Les jours défilaient lentement à Poudlard, ponctués par le rythme des élèves et les repas dans la Grande Salle. Maintenant qu'il avait le loisir de se promener librement dans le château, Harry était frappé du contraste entre les moments de calme et la soudaine agitation qui envahissait les couloirs. Pendant les heures de cours, Poudlard était d'une sérénité impressionnante. Parcourues d'un silence presque solennel, les vieilles pierres immuables semblaient endormies, figées dans un décor d'une autre époque, un écrin précieux conservé en l'état, avec ses tapisseries pleines de toiles d'araignée et la poussière qui voletait dans les rayons du soleil. Les escaliers s'immobilisaient et les personnages des tableaux s'endormaient dans une quiétude apaisée. Harry déambulait dans les corridors à pas feutrés, respectant la tranquillité et le repos des lieux.

Et lorsque sonnait la cloche de la fin de chaque cours, Harry avait l'impression que le château sursautait, surpris dans un sommeil profond. Brusquement tout se mettait à s'agiter, les escaliers reprenaient leurs va-et-vient incessants, parcourus de centaines de petits pieds pressés, secoués par les cavalcades échevelées des élèves qui se libéraient de la tension et de l'attention soutenue demandée en classe. Les couloirs résonnaient de cris, de rires, de discussions enflammées, on s'apostrophait d'un escalier à l'autre, on se bousculait, des voix lançaient des saluts ou des plaisanteries à la cantonade, parfois des jurons sonores qui s'entendaient mieux que n'importe quelle autre parole et amenaient des froncements de sourcils et de sévères réprimandes des professeurs qui passaient par là.

Les repas dans la Grande Salle n'étaient pas en reste niveau bruit et chahut, mais tout se déroulait dans une ambiance bon enfant et une bonne humeur dont il ne se souvenait pas. Au fil des années, Neville avait peu à peu exercé son influence sur l'école, assouplissant la rigidité du règlement et des traditions. L'influence des différentes maisons allait décroissant et il favorisait la mixité et la collaboration. Les élèves se mélangeaient à loisir aux repas, suivant leurs affinités, et voir des Serpentards dîner avec des Gryffondors ne choquait plus personne depuis longtemps.

Un système de tutorat avait vu le jour, permettant chaque année aux niveaux arrivants d'être guidés par des élèves plus âgés, qui se chargeaient aussi bien de leur faire connaître les méandres du Château que de les aider dans les matières qui leur posaient problème. Le choix des parrainages avait été laissé une fois de plus au Choixpeau Magique qui se chargeait désormais d'attribuer les maison des élèves, mais aussi leurs tuteurs issus de n'importe quelle maison, et ses décisions, pour surprenantes qu'elles soient parfois, tombaient toujours juste.

Les sabliers des quatre maisons étaient devenus presque obsolètes, mais Neville n'avait pas encore réussi à en faire tomber l'usage, et c'était d'ailleurs les parents d'élèves qui avaient surtout protesté, désireux de perpétuer un système qui avait rythmé leur scolarité; plus que leurs propres enfants pour qui la coupe des maisons ne voulait pas dire grand chose. Du coup, Neville avait passé la consigne de distribuer des points davantage pour récompenser l'esprit d'entraide et de collaboration que les mérites personnels de tel ou tel élève.

Le tournoi de Quidditch, en revanche, déchaînait toujours les passions et la Grande Salle bruissait ces jours-ci des enjeux et des rumeurs enfiévrées en vue du prochain match entre Serdaigle et Serpentard. Matt avait invité Harry à venir le voir depuis les tribunes d'honneur en sa compagnie. Depuis le premier dîner dans la Grande Salle, ils s'entendaient à merveille. L'esprit malin et facétieux du jeune professeur de potions était un vrai rayon de soleil à Poudlard.

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Dans les tribunes, l'effervescence était à son comble. Tous les élèves de l'école étaient présents, chacun revêtu des couleurs de sa maison préférée, agrémenté de fanions, écharpes, badges, casquettes ou chapeaux, lunettes de soleil arborant les symboles des adversaires en lice. Les gradins vibraient des centaines de pieds qui frappaient un rythme à l'unisson et les chants d'encouragement montaient graduellement en puissance.

Assis sous un froid soleil d'hiver, Harry pensait aux joueurs des deux équipes qui patientaient dans les vestiaires avant de rentrer sur le terrain. Il avait été à leur place, il se souvenait de cette tension irrespirable qui les envahissait avant le début du match, la pression de l'enjeu, de ne pas décevoir, les calculs interminables des points qui permettraient de gagner, selon qui marquerait des buts et qui attraperait le vif d'or... Le silence de certains, incapables de parler, les autres qui avaient mal au ventre à s'en tordre les boyaux, ceux qui fanfaronnaient pour cacher leur émotion, et les pragmatiques qui attendaient le lâcher des balles pour vraiment entrer dans le jeu.

Il pensait à Ron et aux autres lorsque les deux équipes entrèrent sur le terrain sous les vivats de la foule, le balai à la main. L'arbitre, qu'il ne connaissait pas, libéra rapidement les balles tandis que dans la tribune ouest, une large banderole se déployait, ornée d'un aigle immense et fier qui tenait dans ses serres un serpent moribond, le tout sous les huées de la tribune est. Harry entendit Matt rire à ses côtés.

– Cette année, Serdaigle est imbattable et ils aiment bien en rajouter dans la provocation !

Les joueurs s'étaient déjà élancés tandis qu'il regardait la banderole, et les balais tourbillonnaient dans les airs en tous sens, évitant ou lançant le souaffle et les cognards, les deux attrapeurs restant à distance de la mêlée. L'équipe de Serdaigle était entièrement composée de filles, de grandes bringues qui filaient dans l'air comme des éclairs, virevoltaient avec une aisance déconcertante et menaient le match d'une main de maître.

Harry ne suivit pas grand chose du compte des points tant il était fasciné par le ballet aérien qui se déroulait sous ses yeux et lorsque retentit le coup de sifflet final qui marquait l'obtention du vif d'or, il était plein d'un sentiment de frustration déconcertant.

– Plutôt impressionnant, hein ? lui fit Matt avec un coup de coude et un grand sourire.

Il se rendit compte tout à coup que la foule hurlait des acclamations et applaudissait à tout rompre, mais il était encore loin, emporté par la magie et le brio des joueuses de Serdaigle, transporté dans ses propres souvenirs de compétition farouche et intense. Combien d'années depuis qu'il n'était plus monté sur un balai ? Il avait perdu jusqu'à la notion même de vitesse, d'équilibre... Voler était un jeu pour enfant, un amusement d'adolescent tout au plus. Personne ne se déplaçait ainsi...

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Harry se laissa distancer par la foule qui regagnait l'école en portant ses héros, toute à sa liesse. Il pénétra dans les vestiaires à présent désertés; rien n'avait changé depuis le dernier match qu'il avait fait ici, les mêmes bancs où traînait un maillot oublié, les bouteilles d'eau abandonnées au sol, cette odeur de sueur et de stress mélangés qui imprégnait jusqu'aux murs... Dans un coin, quelques balais soigneusement alignés contre le carrelage blanc. Il lut sur le manche des noms qui ne lui disaient rien. Le seul Éclair de Feu du lot avait l'air hors d'âge, le bois du manche sec et craquelé paraissait prêt à rompre au moindre choc. Les autres étaient plus récents, avec des courbes profilées qui appelaient presque la caresse. Simoun, Sirocco, Chinook, Matanuska...

Il prit un balai un peu plus grand que les autres sur lequel était gravé Foehn en lettres noires et s'avança lentement pour pénétrer sur le terrain. L'envie était trop grande pour ne pas céder à cette tentation d'adolescent qui revenait en flèche de son passé. Il jeta un œil autour de lui, le stade était désert... Il ne tenait tout de même pas à se donner en spectacle, au risque du ridicule. Est-ce qu'il allait encore savoir voler ?...

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Il décolla à quelques centimètres du sol, encore incertain, les mains fermement cramponnées sur le bois ciselé. La sensation était étrangement familière et à la fois si distante; floue et si précise... Il se laissa aller à un virage large suivi d'un autre plus serré, un zigzag rapide, puis un retournement brusque. Le sol qui défilait à quelques mètres sous sa tête semblait si lointain. Il se redressa et partit en piqué vers le ciel, il n'avait rien oublié hormis les sensations merveilleuses que voler faisait naître en lui. Un immense sentiment de solitude et de bonheur. L'absolue liberté.

Ce balai était bien supérieur encore à ce qu'il avait connu, une petite merveille de rapidité et de précision, qui filait droit vers les nuages. Ramassé sur le manche, il se laissait griser par la vitesse, ses cheveux flottant derrière lui, les yeux plissés et humides des larmes que faisait naître le vent, les pans de sa chemise claquant sur son sillage. Une ivresse qui lui avait tellement manqué sans même le savoir. Le monde semblait tournoyer autour de lui, les minuscules silhouettes au sol toujours plus lointaines et insignifiantes. Il tourbillonnait dans un monde ouaté qui se déchirait sur lui, des ombres cotonneuses et translucides aussi moelleuses que des oreillers de plume, un silence étonnant seulement troublé par le bruit de l'air dans ses oreilles.

Le froid lui fit faire demi-tour et il repartit en piqué vers le sol, espérant qu'il retrouverait Poudlard et son stade de Quidditch parmi cette mosaïque de points minuscules sans dévier sur des kilomètres. Harry ferma les yeux, se concentra sur ses sensations et chercha celle de la magie du château qui l'attirait vers lui. Quand il l'eut sentie, il se laissa guider et emporter par la vitesse, le vent, le plaisir indicible qui s'emparait de lui et le submergeait d'émotion.

Quand il rouvrit les yeux, ce fut pour voir le nez du balai immobilisé à quelques centimètres du sol au beau milieu du terrain et le large sourire qui transfigurait le visage de Matt.

ooOOoo

La visite de Severus le prit par surprise. Il n'avait pas donné suite à son message; après tout, qu'y avait-il à dire ? Si ce n'est qu'il fallait résister à la tentation... Et le temps lui avait manqué, de toute façon. Par le biais de Sainte-Mangouste lui était parvenue une demande désespérée d'un hôpital français pour des potions de soins très particulières et il n'avait pas eu une minute à lui, demandant même à Matt de lui prêter main forte sur son temps libre. Les ingrédients ne manquaient pas au château, mais il avait dû faire quelques allers-retours rapides pour aller chercher des produits rares et il avait même chargé Mayahuel de trouver ce qui manquait encore. Il ne pouvait être partout en même temps.

Severus frappa puis entra sur son invitation. Harry allait ouvrir la bouche pour remercier de son aide celui qu'il croyait être Matt, mais il croisa les yeux noirs et brillants de Severus à la place. Il attendit un sarcasme sur son air ahuri qui ne vint pas, puis baissa le regard sur son chaudron. Il ne cherchait ni la confrontation, ni la distraction, il n'avait simplement pas le temps... Même si son esprit, lui, ne lui laissait aucun repos, lui repassant à loisir les regards sans équivoque et l'attitude provocante de Severus assis dans son salon quelques jours auparavant.

La potion dans le chaudron ondoyait d'un orange vif à un jaune ambré, remuant de quelques bulles qui gagnaient mollement la surface. Severus s'approcha d'un air intrigué.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il doucement.

– Des fleurs de dictame, répondit Harry en essayant de rester concentré. On ne connaît ici que les graines ou l'essence de dictame, mais les fleurs sont bien plus puissantes si on les prélève à la pleine lune avec un couteau en argent...

Severus laissa filer un petit silence.

– Vous les avez cueillies vous-même, j'imagine... Pour ma part, excepté ceux que je trouvais dans la Forêt Interdite, j'ai toujours acheté la plupart de mes ingrédients chez des fournisseurs reconnus. Mais je ne me suis jamais intéressé de près aux conditions de ramassage...

– C'est un tort, fit Harry sans animosité. Cela modifie considérablement le pouvoir magique des plantes et des animaux. Comme les potions à base d'algues qui réagissent mal au cuivre, les fleurs de dictame se fanent au contact d'un autre métal que l'argent...

Il sentit Severus s'approcher encore et se pencher légèrement pour observer la potion qui bouillonnait doucement. Il avait oublié dans les méandres de sa mémoire l'odeur entêtante du maître de potions, une odeur épicée, un peu piquante, qui le bouleversait encore.

– Et cet ingrédient ?

Harry lutta un instant pour se reprendre.

– Des boutons de seni, le peyotl des Kiowas, un produit fortement hallucinogène mais très efficace pour les potions qui concernent la mémoire...

Severus hocha la tête, et contourna Harry pour poursuivre son inspection et fureter dans les ingrédients inconnus qui éveillaient sa curiosité.

– Ce sont des ingrédients que nous n'avons pas l'habitude d'utiliser. Vous avez fait des découvertes merveilleuses à l'autre bout du monde !

Harry sentait la cape de Severus le frôler comme une caresse qui inviterait à se draper dedans et son odeur entêtante lui faisait perdre ses moyens. De drôles de frissons menaçaient de parcourir son ventre et sa poitrine. Il ferma les yeux un instant, essayant d'oublier la présence à ses côtés qui lui rappelait avec insistance des désirs anciens. Mais fermer les yeux n'était pas une bonne idée !

– Peut-être..., grimaça-t-il. Il suffit de s'intéresser aux savoirs anciens...

Severus était trop près, décidément trop près. Harry se cramponnait aux carreaux de faïence blanche qui couvraient la paillasse où il travaillait, les jointures de ses doigts pâlissant sous la crispation. Il retenait son souffle pour ne plus sentir ce parfum, réprimant un tremblement. Et Severus, qui semblait ne pas percevoir son trouble – ou avait décidé d'en profiter – s'entêtait à passer et repasser dans son dos et murmurer à son oreille.

Harry pouvait sentir le souffle de sa parole au-dessus de son épaule et la tiédeur de son corps trop près du sien qui l'attirait avec une indécence folle. Il avait juré, il ne pouvait pas ! Et son esprit ne cessait de le trahir et de lui projeter des images puisées dans celui de Lucius qui ne l'aidaient pas à se maîtriser. Il ne connaissait que trop bien le corps qui rôdait avec insistance près du sien, il le voyait encore dans des positions bien trop indécentes, offert, alangui, pénétré... Harry sentait une traînée de sueur couler le long de son dos et il percevait vaguement la voix de Severus qui poursuivait ses commentaires, tandis que dans son esprit, il entendait ses gémissements et ses râles de plaisir qui montaient en puissance jusqu'à l'orgasme. Il allait perdre pied quand une brûlure cuisante autour de son poignet le ramena à la réalité et à la conscience. En ouvrant les yeux, il vit les langues de feu du serment inviolable danser sur sa peau hâlée. Ne pas convoiter...

– Vous vouliez quelque chose, Severus ? réussit-il à déglutir.

– Oui, c'est vrai... J'en avais oublié l'essentiel. En fait, Lucius voudrait vous voir...

oooooo

Harry mit un long moment à se recomposer après le départ de Severus. Sa simple présence physique était insupportable, elle réveillait en lui des désirs et des envies qui n'avaient pas le droit d'être. C'était une véritable torture et pourtant Severus n'avait rien dit ou fait de particulier, à part être là, trop près de lui pour qu'il puisse rester serein et garder le contrôle de lui-même.

Harry se présenta un peu plus tard dans le salon principal du manoir Malfoy. La potion demandait un temps de maturation qu'il ne pouvait réduire et il lui fallait maintenant patienter. Autant mettre ce délai à profit pour accomplir cette visite.

Lucius passait là le plus clair de son temps, à demi allongé sur un canapé près de la cheminée. Malgré les bons soins des elfes de maison et de Severus, et ses propres potions de régénération, il mettait du temps à reprendre des forces. Harry ne l'avait pas revu depuis l'hôpital mais les stigmates physiques de sa période de coma magique étaient encore bien visibles : il était peu assuré sur ses jambes, ne pouvant faire plus de quelques pas sans aide, son visage restait émacié et les cernes creusaient toujours des ombres sous son regard gris. Mais son esprit avait retrouvé toute sa vivacité et ses yeux pétillaient de malice.

– Vous vouliez me voir, Lucius ? fit Harry en s'avançant sur les tapis précieux.

D'un geste, l'aristocrate l'invita à s'asseoir sur un fauteuil qui lui faisait face et fit venir un elfe de maison pour lui demander de servir du thé.

Harry observait les mains graciles aux longs doigts fins, Lucius avait des mains de pianiste... La trace du serment inviolable à son poignet avait disparu et Harry repensa avec culpabilité à ce qui s'était passé dans le laboratoire tout à l'heure. Tout ça devenait trop compliqué pour lui. Il avait juste envie de retrouver la quiétude de sa vie dans la forêt, quitte à souffrir encore de devoir tout quitter.

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Lucius, lui, observait Harry. Les pensées complexes qui traversaient son visage presque sombre. Les plis marqués au coin de sa bouche et les rides naissantes sur son front qui camouflaient sa cicatrice. Sa peau cuivrée qui respirait la chaleur d'autres contrées. Il avait peine à y retrouver l'adolescent qu'avait été Harry, cet air enfantin dont il se souvenait et l'aspect malingre de sa silhouette. Les années lui avaient donné du corps et de l'âme comme un bon vin, il avait mûri en se bonifiant.

– Je voulais vous remercier, Harry... Vraiment. Pour tout ce que vous avez fait pour moi, pour nous...

Pour une rare fois dans sa vie, Lucius se sentait maladroit. Il ne savait comment exprimer ce qu'il ressentait, la force de sa reconnaissance et tout ce qu'il lui devait.

– Vous savez, depuis mon « réveil », nous avons beaucoup parlé, avec Severus... De tout..., poursuivit-il platement. De ce que nous partageons et de ce que nous attendons l'un de l'autre, de l'avenir et du passé... Il y a encore des zones d'ombre et des fragilités, mais ça guérira avec le temps. Et la confiance...

Des zones d'ombre et des fragilités... Bel euphémisme pour parler des envies et des désirs de Severus, de son esprit qui s'échappait ailleurs et des blessures accumulées chez Lucius, depuis la fascination de son compagnon pour ce Brian Evans jusqu'à ce combat devant Voldemort où la douleur et la défiance avaient laissé une trace irrémédiable.

– Les blessures magiques sont particulièrement longues à guérir, fit Harry comme s'il lisait en lui comme dans un livre ouvert. Mais je pourrai vous y aider si vous le souhaitez...

Lucius restait troublé. Il avait face à lui quelqu'un qui savait tout de lui, qui avait tout vu, jusqu'à ses pensées les plus personnelles, jusqu'à celles qu'il avait enterrées au plus profond et qu'il ne voulait plus voir, les souvenirs de sa noirceur, de ses erreurs. Harry avait pénétré son esprit jusqu'aux tréfonds de son âme et il se sentait comme mis à nu. C'était un sentiment déstabilisant, presque humiliant, et qu'il avait du mal à maîtriser.

– Pardonnez-moi, dit-il au bout d'un moment. Je ne sais comment exprimer la gratitude que je vous dois...

– Vous ne me devez rien.

– Si, je vous dois beaucoup, et plus encore, reprit-il. Là d'où vous m'avez sorti...

– Vous êtes un grand romantique, Lucius, fit Harry avec un petit sourire. On ne se sacrifie plus par amour, de nos jours.

Un pincement au cœur fit trembler un instant le grand corps frêle allongé sur le canapé.

– Ne vous moquez pas, Harry. Je ne le permettrai pas, fit Lucius vivement d'un air peiné. J'ai l'impression d'être nu et désarmé devant vous. Je me sens impuissant et dépossédé... Vous savez tout de moi et... l'inverse n'est pas vrai. Nous ne sommes pas à armes égales.

Il secoua la tête un instant. Il avait rarement confié ainsi un sentiment de faiblesse. Le fait de se confier, le besoin même était déjà en soi une faiblesse. Il fallait croire que son coma magique l'avait rendu bien pusillanime. Ou bien qu'il s'était affaibli au cours des années...

– Ce n'est pas un combat, Lucius, fit Harry avec une extrême douceur. Et je n'ai rien à vous cacher...

Il vit Harry se mettre debout et s'approcher de lui.

– Levez-vous...

Il se leva à son tour avec un rien de maladresse, son corps n'étant toujours pas très assuré. Harry prit ses deux mains dans les siennes, tendrement.

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Si cela pouvait aider Lucius, Harry était prêt à se mettre à nu devant lui et à tout lui montrer. Il n'avait rien à cacher, ni sa vie, ni son histoire, ses souffrances ou ses sentiments. Lucius semblait très affecté par ce qu'il avait pu voir en lui... pour le remettre sur un pied d'égalité, il était normal qu'il en fasse tout autant.

Alors, tout en insufflant de la magie à Lucius pour l'aider à tenir debout, Harry lui ouvrit son âme. Il lui montrait tout, sans fioritures et sans apparats, l'étendue de sa vie jusqu'aux zones d'ombre les plus profondes. Il fit défiler rapidement son enfance et ses années à Poudlard. Les combats contre Voldemort, les souffrances et ceux qu'il avait perdus. Le vide de l'après-guerre et le néant qu'il avait traversé, sans ses amis les plus chers. Son amour naissant pour Severus, devenu une passion insensée et irraisonnée. La façon dont il avait essayé de le sortir de ses ombres. L'humiliation et la douleur du rejet... Sa fuite éperdue pour couper court à ses sentiments qui le faisaient souffrir. Cette quête forcenée du danger face aux dragons, comme s'il fallait mourir pour se sentir vivre. La façon dont il avait abandonné Charlie, sa lâcheté. Ses études en accéléré à Beauxbâtons et Durmstrang. Et puis sa décision de partir, très loin, de fuir ce qui lui rappelait sans cesse son pays et l'homme qu'il aimait. Son exil en Chine, puis dans la jungle de Bornéo, sa vie auprès des Ibans, ses premières découvertes en botanique magique, la grenouille sans poumons, les nepenthes carnivores. Sa traversée de l'océan, ses rencontres avec des tribus indiennes, au Canada, en Amérique, jusqu'en Amérique Centrale, sa quête des magies et des savoirs primitifs.

Et puis il s'était perdu, loin des hommes, la magie l'avait quitté et il avait erré aux confins de la vie sauvage et aux limites de la folie. Dans une solitude absolue et aliénante. Jusqu'au jour où il était sorti de la jungle tropicale pour se retrouver au pied d'une montagne qu'il avait gravie pour atteindre l'antique cité à son sommet. Au milieu des vestiges d'une civilisation disparue, il tutoyait le ciel et il dominait une mer de nuages qui formait un tapis blanc et moelleux à ses pieds. Ça et là, en contrebas, des taches de végétation apparaissaient dans la brume. Il savait qu'il n'aurait pas assez d'énergie pour redescendre et trouver de quoi se nourrir avant que l'épuisement et la faim ne prennent le dessus sur ses maigres forces. Qu'importe, c'était un bel endroit pour mourir. Quelque chose comme le sommet du monde...

Là, Mayahuel était réapparue, comme sortie de nulle part, comme si sa présence était évidente, et un quetzal s'était posé sur son épaule. La magie était revenue, brusquement, plus forte, plus puissante et l'avait transformé. Puis il avait vécu quelques temps dans la jungle, seul avec Mayahuel, réapprenant à vivre, poursuivant ses recherches et améliorant ses connaissances, avant de reprendre peu à peu contact avec le monde des vivants pour transmettre son savoir. Jusqu'à ce que Severus le retrouve, jusqu'à ce qu'il revienne enfin en Angleterre pour tenter de soigner les Londubat, jusqu'à ce que le destin le fasse venir à son chevet...

Puis son esprit fit ressentir à Lucius le désert affectif qu'avait toujours été sa vie. La solitude infernale qu'il avait choisie pour ne plus souffrir et qui était devenue elle-même une souffrance et une prison. Il avait enfoui ses souvenirs et ses sentiments jusqu'à l'oubli absolu. Au bout du monde, il avait passé des mois et des mois absolument seul, au point de ne plus savoir ce que cela faisait que d'être touché, quelle était la sensation de deux peaux qui se rencontrent, la douceur et la tiédeur d'une caresse. Au point de ne plus supporter que quoi que ce soit pénètre dans son espace vital. Au point d'avoir le réflexe de croire que le contact était forcément une menace, un danger.

Malgré lui, son esprit lui montrait qu'il avait toujours manqué de chaleur humaine, que toute sa vie, il avait oscillé entre les excès les plus absolus et un vide insondable que rien ne venait jamais combler. Depuis les Dursley dans sa petite enfance, qui le laissaient hurler quand il réclamait de l'attention et de la tendresse... À Poudlard, il n'avait eu que quelques contacts fraternels avec ses camarades. Et puis cette huitième année qui n'avait été qu'une débauche de chair et de sexe pour tenter de se satisfaire et d'oublier, alors qu'il ne rêvait que d'un seul homme. Rien n'avait jamais réussi à compenser le manque de celui qu'il aimait à en perdre la raison, même l'unique fois où il avait fait l'amour avec Severus en usant d'une potion. Et ensuite quelques instants de tendresse volés avec Charlie, quelques garçons par-ci par-là à Durmstrang et Beaubâtons, qui n'avaient jamais réussi à le faire se sentir bien...

Mais depuis son exil loin de l'Europe, aucun homme n'avait plus jamais posé une main sur sa peau avec amour ou désir. Aucun homme n'avait caressé son visage, ne lui avait murmuré à l'oreille, aucun homme n'avait collé son corps contre le sien ou ne l'avait tenu dans ses bras, aucun ne l'avait réchauffé, aimé ou rassuré, aucun ne l'avait enveloppé de douceur ou ne l'avait protégé, aucun n'avait été bienveillant envers lui. Hormis cette douleur à sens unique envers Severus, toute sa vie n'avait été qu'un néant amoureux. Et tandis que ses yeux se brouillaient d'humidité, son esprit pervers et sadique s'amusait à mettre en balance sa propre solitude avec les souvenirs d'affection et de tendresse qu'il avait vus entre Lucius et Severus.

Harry arracha presque ses mains de celles de Lucius pour rompre la connexion. Ils avaient l'un comme l'autre les larmes aux yeux, sidérés du désespoir profond qui se cachait tout au fond des sentiments de Harry.

– Pardon. Pardon, murmura-t-il affolé. Je suis désolé. Je ne voulais pas ça...

Lucius le regardait avec une intensité qui l'effrayait.

– Ne le sois pas...

Puis il ouvrit les bras pour inviter Harry à s'y blottir.

– C'est le moins que je puisse faire après ce que tu as fait pour moi.

Sans même l'avoir réfléchi, mû par un instinct irrationnel, Harry s'avança lentement tandis que les bras de Lucius se refermaient autour de lui avec douceur. Un instant, il eut l'impression d'un piège de liane qui se refermait sur lui. Mais la pression était tendre et confortable. Et les mains dans son dos caressait le tissu de sa chemise dans un mouvement lent et apaisant.

Lucius était plus grand que lui, plus mince aussi. Tout d'un coup, Harry perçut son odeur, présente depuis le départ, mais cachée jusqu'alors par d'autres sensations. Il sentait une fragrance claire comme son aura, légère, un parfum de bois, de vanille et d'orchidée qui lui rappelait un peu sa forêt. Il eut envie de poser sa tête contre la poitrine qui s'offrait à lui; contre son oreille, il entendait le cœur qui pulsait dans ce corps et il percevait le mouvement du torse de Lucius à chaque respiration.

Harry s'abandonna en fermant les yeux. C'était comme la sensation de l'eau lorsqu'il se baignait dans les cénotes, une masse mouvante et tiède qui l'enveloppait avec douceur, des mouvements semblables à des vagues qui ondoyaient et ballottaient mollement son corps. C'était agréablement vivant et réconfortant.

Il sentit Lucius approcher son visage et respirer le parfum de ses cheveux. Harry se demanda si cela lui avait échappé, si le mouvement avait été volontaire ou non. L'intimité que cela supposait le surprenait. Et il se sentit brusquement pris en faute et coupable d'un silence malhonnête. Une trahison par omission alors que Lucius lui faisait confiance et le réconfortait.

Il se défit rapidement de l'étreinte de Lucius, alors même que cela lui coûtait énormément, reprit ses mains dans les siennes et lui montra les images de ce qui s'était passé dans le laboratoire un peu plus tôt. La présence de Severus éveillant en lui des désirs coupables qu'il avait du mal à réprimer et cette pulsion de vie qui le tenaillait. Lucius eut un mouvement de recul qui sonnait comme une gifle cinglante et Harry s'accrocha à ses mains pour continuer de lui montrer à quel point il luttait contre ses propres sentiments, qu'il ne céderait pas et que sans doute, il repartirait bientôt pour être en mesure de tenir sa promesse.

oooooo

De retour au château, Harry s'était enfermé dans ses appartements et son laboratoire, refusant de prendre son dîner dans la Grande Salle, s'assommant de travail pour tenter d'oublier ce qui s'était passé au Manoir. Il avait été trahi par son propre esprit qui avait mis en avant des sentiments de manque exacerbés et sortis de leur contexte. Il ne voulait inspirer ni la pitié de Lucius, ni le désir de Severus. Il voulait la paix et le calme de la solitude, il voulait retrouver sa forêt et quitter ce monde trop compliqué et trop rempli de sensations, de sentiments, de désirs et d'envies dont il supportait de plus en plus mal la torture incessante. Là-bas, il oublierait à nouveau les paroles, les regards, les invitations implicites et les gestes d'attention, et au moins il ne serait plus confronté à cette tentation permanente.

Il avait à nouveau senti Luna se précipiter chez lui, inquiète, contournant sa porte scellée d'un sort en passant par celle du laboratoire qu'il n'avait pas verrouillée.

– Je constate que rien ne t'arrête, fit-il le regard sombre.

– Que s'est-il passé au Manoir ? l'assaillit-elle d'une voix essoufflée.

Harry tourna lentement la tête vers elle, inquisiteur et méfiant. Il n'avait pas fait mystère à Matt de son rendez-vous avec Lucius puisqu'il l'avait chargé de surveiller la potion en cours. Mais il semblait que les informations circulaient bien vite dans ce château. Il n'était pas à ça près et Luna avait toujours été de son côté... Il lui raconta par le menu le comportement de Severus, ses propres désirs et la promesse faite à Lucius, ainsi que leur entrevue d'aujourd'hui.

Sa réaction, à mesure que Harry expliquait la situation, semblait plus ennuyée que surprise. Elle semblait en savoir déjà long avant même qu'il ne dise quoi que ce soit. Ou bien... elle était professeur de divination après tout. Qu'avait-elle vu ou deviné qu'elle lui cachait ?

– Luna, qu'est-ce que tu ne me dis pas ? gronda-t-il au bout d'un moment.

– Rien, assura-t-elle d'une voix douce. Puis elle sembla prendre son courage à deux mains pour lui demander : Est-ce que tu vas partir ?

Harry lui jeta à nouveau un regard sombre, il n'avait même pas évoqué cette possibilité-là, à laquelle tout le conduisait il est vrai...

– Toi aussi, tu m'y pousses ? ricana-t-il d'un air mauvais.

– Au contraire, Harry ! J'aimerais te persuader de rester...

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ooOOoo

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Il était resté. Au moins pour l'instant, se disait-il. Après...

Luna, par il ne savait quel argument, avait réussi à le persuader qu'il avait quelque chose à terminer ici, une boucle à boucler comme elle disait et qu'il ne pouvait s'exonérer de faire face à ses propres démons, dussent-ils s'appeler Severus ou Lucius.

Il lui fallait au moins avoir une explication claire avec chacun des deux hommes. Avec Lucius, il devrait sans doute se justifier de ses désirs et pour cela, déjà les admettre lui-même. Mais le nœud gordien de tout cela restait Severus. Harry avait besoin de réponses pour pouvoir tourner la page et renoncer encore une fois au maître de potions. Car il ne doutait pas que l'issue serait celle-là et qu'il allait encore souffrir, mais il ne pouvait pas, cette fois, partir sans certitudes et sans avoir achevé son pèlerinage sur le passé une bonne fois pour toutes.

Matt l'avait rejoint pour la soirée et ils avaient noyé dans l'ivresse leurs chagrins respectifs. Ils avaient maudit Irina et les hommes inaccessibles, le charme slave et les arrogants si désirables. Paradoxalement, et malgré la gueule de bois du lendemain matin, cela lui avait fait le plus grand bien. Matt avait connu Severus comme professeur et en avait malgré tout gardé une image positive. Pouvoir parler à demi-mot de son ressenti lui était du coup plus facile et cela semblait moins incongru. Severus pouvait être aimable et Harry l'avait aimé... Aujourd'hui, tout était flou pour l'instant, mais la légèreté et l'insouciance avec lesquelles Matt prenait la situation l'avaient détendu et lui avaient permis de relativiser les choses. Ils avaient fini par en rire à gorge déployée avant de s'endormir ivres morts sur le canapé.

oooooo

Harry descendait les escaliers de Poudlard depuis la volière, avalant les marches d'un pas pressé quand il tomba nez à nez avec Severus. Nez à nez n'était même pas une métaphore : plongé dans ses pensées, il n'avait pas vu la grande silhouette immobile au pied de la dernière marche et dans un sursaut de surprise au dernier moment, il perdit l'équilibre et se rattrapa aux épaules puissantes sous la chemise de soie noire, son visage à quelques centimètres de celui de Severus dont les bras se refermèrent sur lui par réflexe pour prévenir une chute.

Un sourire ravageur étira lentement les lèvres du maître de potions tandis que Harry restait sidéré par la surprise, dans l'attente d'un contact douloureux avec le sol qui ne venait pas, et au lieu de cela, cette odeur reconnaissable entre mille et ce corps contre le sien, comme un refuge inattendu et salvateur.

– Inutile de vous jeter dans mes bras pour me saluer, Potter ! fit sa voix narquoise.

À dix-sept ans, Harry serait devenu écarlate; là, il se contenta d'un sourire amusé et quelque peu résigné tout en se passant la main dans les cheveux pour cacher son trouble. Il quitta à regret le contact du torse de Severus, non sans noter que l'étreinte durait de part et d'autre quelques secondes de trop pour n'être qu'un geste fortuit.

– J'ai toujours su que je vous aviez un faible pour mes maladresses, Severus... Et que je pouvais compter sur vous pour les réparer !

– C'était vrai pour vos potions ! Mais la prochaine fois, je ne vous rattrape pas et je profite du spectacle de votre chute ! ricana-t-il.

– Et je me raccrocherais à vous et nous finirions tous les deux par terre, étalés l'un sur l'autre ? hasarda Harry.

– Vous essayez vraiment de me dissuader, là ?

Une lueur de désir pur traversa le regard de Severus et Harry sentit son bras se glisser dans son dos et l'attirer violemment contre lui.

Son corps plaqué contre celui de Severus en percevait parfaitement les formes et les courbes, la chaleur, le souffle court et légèrement rauque, la force presque animale qui le maintenait fermement, les lèvres entrouvertes qui n'osaient plus un mot... Harry restait comme hypnotisé par ces yeux d'ébène qui brillaient d'une envie presque démoniaque et lui promettaient monts et merveilles. Et dans ce même regard, il pouvait lire également la lutte qui faisait rage en Severus pour résister à ses propres désirs et reprendre le contrôle de lui-même.

Harry, lui, ne luttait pas, il s'abandonnait à cette étreinte envoûtante. Quelle qu'en soit l'issue, il voulait savourer chaque millième de seconde de la sensation de ce corps qu'il épousait si parfaitement, de la proximité de ces lèvres presque au contact des siennes, de ce regard dont l'intensité le dévorait. Pendant ces quelques instants, il avait choisi de se donner tout entier, corps et âme, malgré la brûlure cuisante qui se rappelait à son poignet.

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Au bout d'une éternité ramenée à quelques battements de cœur désordonnés, il sentit le bras de Severus se relâcher peu à peu dans son dos et vit son regard se voiler d'un renoncement empreint de tristesse.

– Ne me tentez pas trop, Potter..., fit Severus en s'écartant de lui.

Il lissait sa chemise d'un geste machinal, la tête légèrement baissée et sa voix portait les accents d'une sincérité presque douloureuse. Quand il releva le regard, ses yeux brillaient encore, non plus de désir, mais d'une émotion contenue et pudique.

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Harry fit quelques pas en silence avant de se retourner pour voir si Severus le suivait. Il lui fallait résister lui aussi à l'élan de tendresse qu'il ressentait brusquement et à la douleur de son avant-bras. Et sur ses reins, la sensation de la pression du bras de Severus persistait en une douce tiédeur.

– Qu'est-ce que vous veniez faire à Poudlard, Severus ?

Il mit autant de douceur dans sa voix qu'il le put, désireux d'effacer la difficulté du renoncement pour l'un et pour l'autre. Severus le rejoignit et se mit à marcher à ses côtés, mais à une distance respectable, gardant le regard rivé sur le mur au fond du couloir, loin devant lui.

– J'étais venu voir Matt... J'avais besoin de quelques potions.

– Il s'est absenté pour la journée, je crois...

– C'est ce que j'ai constaté.

Le ton de Severus était détaché, froid, si loin de l'intensité de l'instant d'avant que Harry se demanda un instant s'il n'avait pas rêvé tout éveillé.

– De quoi aviez-vous besoin ? Je peux peut-être vous dépanner si c'est pressé...

– Rien d'urgent. Des potions contre la migraine...

Harry ne put s'empêcher de jeter un œil de côté, le visage de Severus restait imperturbable, un masque lisse qui ne laissait plus transparaître aucune émotion. Et ses migraines étaient donc toujours présentes, malgré le renoncement aux potions, à l'alcool, à certains aliments, au bruit... Ils n'avaient jamais réussi à en saisir la cause exacte.

– J'en parlerai à Matt au dîner de ce soir, proposa Harry. S'il n'est pas revenu, je peux vous les faire moi-même...

Severus hocha simplement la tête en signe d'acquiescement.

– Lesquelles utilisez-vous ? demanda encore Harry.

– Hellébore et ergot de seigle.

Ils descendirent un escalier qui frémit légèrement avant de les déposer dans le couloir du quatrième étage.

– Je devrais trouver ce qu'il me faut au laboratoire...

Le silence accompagnait leur pas, lents et lourds, sans un regard et sans un geste.

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– Et où alliez-vous si précipitamment ? demanda soudain Severus.

Son soupir surprit Harry qui osa un regard étonné. La tension de Severus semblait peu à peu se relâcher, presque physiquement, et sa voix retrouvait des accents moins fermés et moins laconiques.

– Aux serres. Neville m'a demandé de passer, fit Harry. Vous m'accompagnez ?

Severus haussa les épaules.

– Je dois rejoindre les grilles de Poudlard pour pouvoir transplaner, alors...

– Ce n'aurait pas été plus simple par cheminette ? le taquina-t-il doucement.

Il haussa à nouveau les épaules tandis que retentissait dans le château la cloche de la fin des cours. Quelques secondes après, les premières portes des salles de classe s'ouvrirent et dans un vaste bruit de raclement de chaises et de tambourinement de pieds, des centaines d'élèves s'élancèrent dans les couloirs pour rejoindre le cours suivant.

Ils s'approchèrent tous deux d'une balustrade qui surplombait la danse des escaliers, apercevant des dizaines de visages juvéniles, blonds, bruns, roux, des regards fatigués ou éclairés de malice, des sourires pleins de tâches de rousseur, des mains qui tenaient d'autres mains ou bien chargées de cahiers ramassés en toute hâte et fourrés pêle-mêle dans un sac, des envolées de robes froissées d'être resté trop longtemps assis sur les mêmes plis, un baiser échangé à la volée, des rires aigus et la voix ferme d'un professeur qui ramenait un peu de calme dans ce chahut plein d'une vie débordante.

– Ça ne vous manque pas ?

Severus haussa les épaules, réponse toute faite à bien des questions dérangeantes.

– Quoi donc ? Le bruit, les parchemins à corriger, les élèves insolents et incapables... ?

Il reprit après un silence.

– Je n'ai aimé enseigner que quand il était trop tard et que je n'ai plus pu le faire...

À leurs pieds, les escaliers se clairsemaient rapidement et le silence revenait peu à peu dans le château, interrompu de loin en loin par la course des derniers retardataires.

– En fait, je n'aurais pas dû enseigner..., fit Severus d'une voix lente. Du moins, pas à des enfants. J'avais un degré d'exigence trop élevé pour des gamins d'une dizaine d'années...

Harry respectait le silence de la confidence, bien certain que la moindre interruption arrêterait Severus dans son élan si sincère.

– Seulement ma condition de mangemort m'a fermé bien des portes. Dumbledore a été le seul à me faire confiance. Toujours, jusqu'au bout et de manière inconditionnelle...

Severus se taisait, le regard dans le vague d'un lointain souvenir, puis au bout d'un moment, il lâcha la balustrade sur laquelle il s'appuyait et repartit d'un pas lent, Harry à ses côtés.

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– Où êtes-vous allé après Poudlard ? fit Severus alors qu'ils descendaient un nouvel escalier.

– En Roumanie, quelques mois..., répondit Harry pensivement. J'ai suivi quelques cours de médicomagie à droite et à gauche, à Beauxbâtons, Durmstrang... Et puis je suis parti dans des contrées moins civilisées...

– Le Sarawak ?

– Entre autres...

– Y faire quoi ?

L'expression de Severus restait neutre et sa voix ne trahissait rien d'autre qu'une sorte de lassitude.

– De la recherche pour ainsi dire. En botanique et sur les savoirs premiers... les formes primitives de magie..., répondit Harry avant d'hésiter un instant. Et vous, après Poudlard ? Vous avez ouvert une librairie ?

Il perçut le regard de Severus sur lui, interrogateur, avant qu'il ne se souvienne sans doute qu'il avait parcouru bien des souvenirs de Lucius le concernant.

– Un simple passe-temps, fit-il avec un geste évasif. Pourquoi avez-vous fini par revenir ?

Un léger tremblement était passé dans sa voix, rien de plus qu'une simple hésitation ou un son un peu plus grave qu'à l'accoutumée mais qui résonnait en Harry comme une vibration insidieuse. Il sentait bien la question que Severus éludait de toutes ses forces, une question pourtant fondamentale : celle des raisons de son départ, qui ne serait peut-être jamais posée et qui flottait pourtant entre eux comme un gouffre presque tangible. Il ne voulait pas savoir... En tout cas pas pour l'instant, comme s'il avait besoin de se protéger...

– Parce qu'il ne sert à rien d'apprendre si on ne peut pas transmettre, répondit Harry lentement.

Après un silence, il avoua à mi-voix :

– J'ai toujours considéré le sort des Londubat comme une affaire personnelle...

Severus hocha la tête brièvement, comme s'il comprenait à demi-mots.

– On a tous quelque chose à racheter...

Sa voix était troublée et il passa sa main dans ses cheveux aux tempes argentées, ébouriffant un peu plus les mèches sombres qui entouraient son visage pâle. Il paraissait si vulnérable tout à coup...

– Comment vont-ils aujourd'hui ? reprit-il après un silence. Les Londubat ?

Une grimace fugace déforma la bouche de Harry.

– C'est compliqué...

Il lui était difficile de parler de cela. La souffrance de Neville, palpable au travers de leurs nombreuses conversations sur le sujet, pesait sur ses épaules comme une croix personnelle. Il avait mis tant de temps à comprendre comment les faire revenir, tant de temps pour élaborer la potion qui leur rendrait leurs souvenirs et leur conscience...

– Ils se reconstruisent lentement... Et Neville apprend à les connaître, murmura Harry d'une voix blanche. Mais c'est difficile. C'est difficile de reconstruire un lien après tant d'années d'absence...

– Mais ce n'est pas impossible, répliqua Severus fermement.

– Ce n'est pas impossible... Mais cela demande du temps. Du temps, de la confiance, de l'énergie et beaucoup d'abnégation...

Il tourna la tête vers Severus qui s'efforçait de paraître imperturbable, mais tous deux avaient conscience du double discours dans leurs paroles. Ils parlaient d'eux-mêmes tout autant que des parents de Neville...

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Ils étaient parvenus dans le hall du château et Severus leva la tête vers la voûte étouffante de feuilles et de lianes entremêlées en réprimant un frisson. Harry contenait difficilement son sourire au souvenir d'un Severus suffocant et ruisselant de sueur lors de leur escapade dans la jungle.

– Ne ricanez pas ! gronda Severus. Cela reste oppressant.

– Vous êtes bien le seul à le penser ! s'amusa Harry. Les élèves adorent...

Ils étaient seuls dans le Hall ouvert à tous les courants d'air, résonant de cris d'oiseaux et du sifflement du vent dans les feuillages denses et sombres. Severus le fusillait d'un regard noir qui n'admettait aucune réplique lorsqu'un bruissement d'ailes multicolores passa juste au-dessus de leurs têtes dans un souffle. Il n'en fallait pas plus pour que Harry laisse échapper un rire léger devant la surprise et les cheveux encore plus décoiffés de Severus.

Avec un geste agacé de celui qui n'aime pas perdre le contrôle de lui-même, Severus se recoiffa et épousseta les épaules de sa chemise, lissant le tissu soyeux du plat de la main. Par réflexe, il saisit une longue plume chatoyante qui mêlait des barbes d'un bleu turquoise à un vert vif et qui glissait lentement le long de son torse. L'étonnement se peignit sur son visage tandis que Harry ouvrait des yeux ronds qui allaient alternativement de la plume aux couleurs vives à la voûte de feuilles, fouillant la végétation du regard à la recherche de l'oiseau qui leur avait laissé pareil présent.

Entre ses doigts, Severus tenait la plume avec une sorte de déférence, la tournant d'un geste lent qui faisait apparaître un miroitement intense et chamarré, le vert se mêlant de bleu et le bleu se mêlant de vert pour rendre une couleur unique et fugitive qui étincelait dans le hall si sombre.

– Est-ce que c'est bien ce que je crois ? fit-il lentement.

L'oiseau avait disparu depuis longtemps dans les frondaisons et Harry baissa les yeux sur la plume avec un sourire. Oui, c'était bien ce que Severus croyait, la plume d'un oiseau magique qu'il ne connaissait que trop bien, celui-là même qui lui était apparu un jour au sommet d'une montagne pour le ramener dans le monde des vivants, celui qui lui apparaissait encore de loin en loin, comme porteur d'un message énigmatique, et qui, contre toute attente, était devenu son patronus, le mythique serpent à plumes de sa forêt lointaine. Harry hocha la tête pensivement.

– Elle a des propriétés magiques, n'est-ce pas ? demanda encore Severus.

Il hocha à nouveau la tête, prenant doucement la plume luminescente qu'il lui tendait.

– Elle vous sera plus utile qu'à moi, fit Severus d'une voix résignée.

Harry leva les yeux vers lui tout en faisant disparaître la plume dans sa manche. Elle rejoindrait les crins de poulain de licorne qui lui avaient été donnés à son arrivée à Poudlard, parmi ses ingrédients les plus précieux...

Une vague douleur transparaissait sur le visage de Severus qui recula d'un pas et reprit vivement son chemin vers les portes de Poudlard. Il n'avait jamais vraiment accepté de ne plus pouvoir faire de potions et voir de pareils ingrédients dont il ne pourrait jamais se servir lui était insupportable.

Harry posa une main apaisante sur le bras de Severus qui ouvrait la porte du château et qui se retourna brusquement dans un mouvement de surprise...

Sans voir la mince jeune fille au dehors qui entrait au même moment et qu'il bouscula sans ménagement.

Sans comprendre la chute de l'adolescente blonde et furieuse qui finit les fesses par terre dans une envolée de robes rouge et or.

– Non mais vous pouvez pas faire attention, espèce de mufle !

Deux yeux d'un bleu glacial les foudroyaient du regard.

– Comment osez-vous... ? rugit la voix de Severus avant que la pression de la main de Harry sur son bras ne l'appelle à davantage de raison et de modération.

La jeune Gryffondor se remit debout avec une grâce dédaigneuse qui ne manqua pas d'ulcérer un peu plus l'ancien professeur.

– Il faudrait songer à porter des lunettes si vous n'y voyez plus rien ! lâcha-t-elle effrontément avant de partir dans une nouvelle envolée de robes qui les cloua sur place.

Tout s'était passé si vite que Harry n'avait eu que le temps de retenir de manière muette le bras de Severus tout en essayant de lui transmettre par ce contact une bonne dose d'apaisement. Ce ne fut qu'une fois la jeune fille disparue par une autre porte qu'il se tourna vers lui et éclata de rire. Le visage de Severus était pétrifié et ahuri de surprise au point de n'avoir pu répliquer un quelconque mot.

L'hilarité de Harry sembla réveiller l'ancien maître de potions qui hésitait toujours entre colère et étonnement. Il finit par bougonner quelques paroles incompréhensibles où émergeaient les mots « De mon temps », « en parler à son directeur de maison ! », « insolence » et « Foutus Gryffondors ! Tous les mêmes ! ».

Le regard noir de Severus sur lui ne faisait qu'augmenter son fou rire et il lui fallut plusieurs minutes avant de se calmer et de pouvoir poursuivre leur chemin.

.

– Ne m'en veuillez pas, Severus... Mais vous voir muet comme une carpe devant cette gamine ! Vous avez perdu la répartie que vous aviez quand nous étions à Poudlard !

Harry ne pouvait s'empêcher de le taquiner malgré l'air revêche et menaçant de l'ancien professeur qui surgissait sur son visage comme autrefois.

– Méfiez-vous, Potter, de ce que vous allez dire ! gronda-t-il.

– Avouez que sans nous... sans Hermione, Ron, Neville, moi et tous les autres... vous vous seriez ennuyé !

Un sourire indulgent tentait d'atténuer la moquerie de ses propos mais alors que Harry s'attendait à un regard de colère ou une parole acide, Severus sembla au contraire troublé et quelque chose de sombre et morose passa à travers son aura.

Toute envie de rire le quitta instantanément devant l'amertume de Severus. Sans le vouloir, Harry avait sans doute touché un point sensible et il se demanda ce qui provoquait exactement ce changement d'humeur. Le souvenir de ses camarades disparus ? Ou celui de ces années de professorat que Severus n'avait pas vraiment souhaitées... ?

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Ils marchèrent un moment en silence, Severus aussi silencieux et inabordable qu'il savait l'être.

– Qu'y a-t-il ? demanda doucement Harry.

Ils étaient presque arrivés à la croisée des chemins qui menaient d'un côté aux serres et de l'autre à l'entrée du domaine, là où ils étaient censés se séparer. Ils s'arrêtèrent de marcher sans toutefois se faire face, incertains de ce qu'ils allaient faire. Il finit par se dire que Severus ne répondrait pas quand il perçut enfin sa voix rauque :

– Je n'aime pas me souvenir de cela. J'ai laissé trop de considérations personnelles interférer dans ma relation avec vous.

– Est-ce que ce sont des regrets ? glissa-t-il.

Le regard sombre se posa sur lui fugacement avant de fuir au loin vers les grilles d'entrée du parc.

– Ne m'en demandez pas trop, Potter ! Mais je reconnais que j'ai souvent été injuste.

Le silence après un tel aveu paraissait encore plus assourdissant qu'à l'ordinaire. Tant et si peu à la fois, ce que Severus ne voulait pas appeler un regret effaçait bien des souvenirs difficiles et des souffrances passées. S'il n'avait pas été contraint d'enseigner à Poudlard pour se protéger et cacher ses allégeances, s'il avait pu rejoindre l'Institut Supérieur de Potions ou toute autre école... tout aurait été différent. Toute une génération d'élèves n'auraient pas eu à subir d'incessantes brimades, Harry aurait vécu bien différemment ses années d'études, il aurait pu aimer les potions depuis la première année et non pas si tardivement... mais il serait mort depuis bien longtemps sans sa protection face à Voldemort et il n'aurait jamais expérimenté cette attirance qui les avait liés malgré eux.

Ce qui était fait, était fait. On ne pouvait plus rien y changer et cela les avait construit malgré tout...

– C'est de l'histoire ancienne à présent, dit Harry d'une voix douce. Et puis, on est tous un jour, ou injuste, ou lâche, ou imparfait... Nous ne sommes qu'humains...

.

Un vent tiède s'enroulait autour d'eux qui faisait onduler légèrement le tissu de leurs manteaux et voleter leurs cheveux. Leurs regards avaient fini par se croiser, denses et profonds. Ils restaient immobiles. Le silence entre eux s'éternisait comme un moment suspendu, qui ne les obligeait en rien, ni à parler, ni à se quitter, mais qui leur permettait d'être présent l'un à l'autre en toute sérénité, sans enjeu, sans désir, sans colère ou agacement. Un simple moment de partage où chacun pesait ce qu'avait été la vie de l'autre, ce qui l'avait changé et ce qui avait changé en lui, ce qu'il était devenu, si proche et si lointain à la fois.

– J'aurais aimé ne pas vous perdre de vue si longtemps, Potter...

Cela tenait à la fois du reproche et du regret. Les fautes étaient partagées...

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Du coin de l'œil, ils aperçurent en même temps la silhouette de Neville qui approchait d'eux à pas rapides depuis les serres. Ils comprirent alors qu'il allait rapidement mettre fin à cet instant qui n'appartenait qu'à eux seuls et qu'ils ne pouvaient rien faire pour l'en empêcher. Ils mesuraient l'échéance inéluctable tout en savourant les dernières secondes de ce regard plongé l'un dans l'autre, un contact intense et intime qui vola en éclat sous le salut joyeux de Neville.

– Eh bien ? Vous étiez en train de vous entretuer du regard ? rit-il.

Severus rompit le premier le lien visuel entre eux et se tourna pour saluer Neville.

– Monsieur le directeur..., fit-il en hochant la tête.

– Pas de formalité entre nous, Severus ! Vous seriez à ma place si vous n'aviez pas refusé le poste ! répliqua Neville avec un sourire conciliant. Puis il se tourna vers Harry qui affichait un air étonné sous la surprise des paroles de son ami : J'allais à ta rencontre puisque je ne te voyais pas arriver...

– On s'est croisés dans les couloirs et on a un peu traîné en route, s'excusa Harry. Le temps pour Severus de regretter l'époque où tous les élèves le craignaient !

Il pouffa de rire devant le regard sévère de Severus tout en racontant à Neville l'incident avec la jeune fille.

– Il a pourtant terrorisé un élève il y a quelques jours en lui collant la main sur ta porte, dit Neville en riant.

– Oh, mince ! lâcha Harry, ennuyé. C'est de ma faute...

Et il entreprit d'expliquer le sortilège apposé sur le parchemin qui avait conduit Severus à attraper un élève au hasard pour vérifier ses déductions. Ils rirent tous deux en se moquant gentiment de l'ancien professeur qui restait muet, le regard étrangement lointain.

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– Je..., commença Severus avant de s'interrompre.

Les deux autres se tournèrent vers lui, attentifs et interrogateurs. Ils s'attendaient à une réplique courroucée, un regard sombre ou une attitude menaçante, ils ne virent qu'une tristesse mélancolique sur le visage de Severus qui semblait tout à coup pressé de partir.

– Oh...

Harry se sentait désemparé devant cette attitude toute en retenue pudique qui faisait voler en éclat la moindre de ses certitudes. Il ne comprenait plus rien. Que s'était-il passé depuis une heure pour transformer le Don Juan qui l'avait pris dans ses bras au bas d'un escalier capricieux, en cet homme si hésitant et troublé ? La sensualité intense avec laquelle il l'avait tenu collé tout contre lui avait laissé place à une vulnérabilité troublante et sincère qu'il ne lui avait jamais vue. Il se pensait résolu à partir prochainement mais cette certitude semblait dissoute par les confidences et le renouveau de la parole. Il était dans un flou total où la seule chose nette était la difficulté à se séparer là, maintenant, et l'envie de revoir à nouveau Severus pour prolonger ce qui avait un goût de trop peu.

– Je comprends..., murmura-t-il alors que Severus reculait d'un pas. Je vous fais signe pour les potions...

Puis il se tourna vers Neville.

– Sais-tu si Matt est là ce soir ? Severus avait besoin de potions...

– Je ne sais pas, répondit Neville d'un air hésitant devant la gêne manifeste des deux autres. Je pense, oui...

Il recula encore d'un pas.

– Je vous tiens au courant, Severus..., dit Harry en hochant la tête.

– Merci... Bonne journée, Messieurs.

Severus leur tourna le dos sans attendre de réponse et partit à grands pas vers les grilles du parc de Poudlard, sa silhouette massive diminuant peu à peu à mesure qu'il disparaissait vers la sortie. Harry resta troublé et indécis longtemps après l'avoir vu transplaner tandis que Neville se tenait muet à ses côtés, une main sur son épaule, ne voulant pas déranger ses réflexions.

.

ooOOoo

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– Entrez, Lucius...

Il se hissa à travers la trappe avec ce qu'il espérait être un minimum d'élégance même si le passage ne s'y prêtait guère. La pièce dans laquelle il pénétra était dans la pénombre, seules quelques minces bougies dans un coin jetaient une lueur tremblante sur les épais coussins qui servaient à s'asseoir ou s'allonger. Paré de quelques voilages de lin qui découpaient des alcôves apaisantes, l'endroit dégageait une impression étrange, très dépouillée, presque minérale, qui appelait au calme et à la sérénité. Un refuge pour la méditation ou pour se ressourcer...

Debout devant les fenêtres, pieds nus sur un immense tapis couleur de sable, Lucius aperçut Harry plongé dans la contemplation de la nuit sur le parc. Il s'approcha lentement et vint se placer à ses côtés, parcourant du regard les ombres des bâtiments, du lac et de la forêt qui s'étalaient sous leurs pieds jusqu'à l'horizon bleuté.

– Vous saviez que c'était moi bien avant que j'arrive, n'est-ce-pas ? sourit-il.

Harry admit d'un hochement de tête.

– Votre magie vous précède, Lucius. Et depuis Sainte-Mangouste, la vôtre et la mienne sont un peu... accordées.

Ce qu'avait fait Harry à l'hôpital était au-delà de sa compréhension, même au-delà de celle de Severus. Aucun médicomage non plus n'avait été à même d'expliquer ce qui s'était passé. Harry semblait maîtriser des savoirs dont ils n'avaient même pas conscience de l'existence. Ce qu'il disait était sans doute vrai, même si Lucius ne percevait pas de lien particulier envers celui qui l'avait soigné.

– J'imagine que c'est aussi à vous que l'on doit le nouvel aspect du Hall d'entrée ? s'amusa-t-il.

– Poudlard et moi avions envie de refaire la décoration ! fit Harry avec un sourire dans la voix tandis qu'il touchait le mur devant lui et qu'un léger halo vert entourait sa main et la pierre, comme si le château réagissait à sa présence.

– J'ai cru être de nouveau à Sainte Mangouste en arrivant !

Lucius entendit Harry pouffer de rire. Du coin de l'œil, il ne percevait que l'ombre de son corps qui se découpait à contre-jour dans la mince lueur des bougies, une silhouette charpentée qui donnait l'impression d'être ramassée sur elle-même et de n'attendre que le moment où elle pourrait se déployer.

– Vous semblez aller mieux..., l'interrompit Harry dans ses pensées.

– Il n'est pas dans ma nature de ne pas maintenir au moins les apparences.

Cet aveu implicite était le mieux qu'il pouvait faire. Il n'avait plus rien à cacher à Harry mais de là à le dire clairement... Lucius savait bien qu'il n'était pas totalement rétabli encore, mais il l'était suffisamment pour jouer son rôle en toute circonstance et ne pas tolérer qu'on le considère comme amoindri. Même vis à vis de Severus.

Harry hocha simplement la tête.

Lucius parcourut à nouveau la pièce du regard, cet étonnant mélange de matière et de couleur qui donnait l'apparence du bois, de la pierre et du sable et qui semblait si propice à l'apaisement.

– Ce sont vos appartements ?

– Non, je loge dans les cachots, répondit Harry avec un amusement certain. Près des laboratoires de Potions. Ici, c'est la salle de classe de Luna. J'aime y venir quand il n'y a pas de cours, l'atmosphère qui s'en dégage est particulière, intense... Et cette vue sur Poudlard...

Sa voix avait quelque chose d'hypnotique, en accord avec le lieu. L'envie d'avancer la main, de simplement le toucher, traversa l'esprit de Lucius. Rien que d'y penser, il était encore bouleversé du contact qu'ils avaient eu au Manoir, lorsque Harry s'était dévoilé. Mis à nu pour ainsi dire. Derrière la douleur de la solitude et de l'errance à la rechercher de lui-même, Lucius avait perçu l'étrangeté de sa magie, un phénomène surprenant, sans doute amplifié par le contact physique mais qu'il ressentait quand même légèrement en se tenant non loin de lui.

– Vous êtes un sorcier puissant, Monsieur Potter, laissa-t-il échapper. Devant le haussement d'épaules de Harry, il ajouta : Ce n'est pas la peine de le nier... Vous savez, j'ai côtoyé pendant longtemps le Seigneur des Ténèbres, et dans une moindre mesure Dumbledore, qui étaient les deux sorciers les plus puissants de leur époque. Je sais percevoir cela. Aujourd'hui, il reste Severus qui est sans doute un des plus grands sorciers d'Europe, malgré ce qu'il veut bien en reconnaître...

La nuit semblait s'approfondir encore dans le parc du château, recouvrant les ombres d'obscurité.

– Vous êtes bien au-delà, dit Lucius lentement en pesant ses mots. Votre puissance a quelque chose d'effrayant...

Potter restait immobile et silencieux, les mains croisées derrière le dos. Rien ne semblait avoir de prise sur lui, il restait aussi lisse et impassible qu'un bloc de granit. Une solidité qui contrastait tellement avec la solitude désespérée que Lucius avait perçue chez lui.

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– Je ne suis qu'un homme...

La voix lasse troubla le silence qui s'était installé. Harry se tourna légèrement vers lui. Un homme de peau, de chair, de sang. De sentiments et de pensées. Un simple corps voilé d'un pantalon blanc et qui portait les stigmates d'une vie de sacrifices. Mais la magie pulsait en lui d'une façon troublante.

– Et votre humilité vous honore... Mais vous ne me ferez pas croire que vous ne mesurez pas votre différence, Monsieur Potter.

Un soupir lui répondit, confirmation muette et résignée.

– Je n'aimerais pas être de vos ennemis...

– Je n'ai pas d'ennemis, Lucius, réfuta-t-il. Et je ne cherche pas à m'en faire...

L'assurance transparaissait dans la voix de Harry, et Lucius ne doutait pas de sa sincérité immédiate.

– Cela viendra peut-être... Malgré vous. Mais ce jour-là, vous aurez mon appui.

Un soupçon d'agacement se fit sentir quand Harry croisa les bras et Lucius ne pouvait que le comprendre. Revenir après tant d'années de silence, et de cette manière-là, n'allait pas sans poser quelques difficultés et susciter quelques jalousies.

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Sans s'en apercevoir, il dut laisser échapper un geste de faiblesse ou de fatigue, puisque Harry se tourna brusquement vers lui, la mine inquiète.

– Venez vous asseoir, dit-il avec sollicitude. Nous pourrons continuer à parler tranquillement...

Les coussins au sol, quelques moelleux qu'ils fussent, n'étaient pas sa façon de s'asseoir privilégiée, mais Lucius s'adapta, tâchant de conserver la distinction propre à son rang. Harry s'était installé quasiment en face de lui, en tailleur à même le sol et son visage éclairé d'une lueur orangée et tremblante paraissait soudain bien fatigué.

– Vous n'étiez pas venu seulement pour me prêter un serment d'allégeance, Lucius ?

Le mot avait été choisi à dessein pour le faire réagir et il ne put s'empêcher de grimacer. Il était loin d'avoir voulu suggérer une telle perspective et il regrettait que Harry puisse l'interpréter ainsi, mais en forçant un peu le résumé, cela s'en approchait. Il s'efforça de sourire affablement.

– Non. Pas du tout. À dire vrai, j'étais venu vous inviter à passer quelques jours au Manoir.

La surprise de Harry n'était pas feinte et effaça quelques secondes la méfiance qui se lisait sur son visage.

– Pourquoi ? Est-ce une de vos manœuvres habituelles ?

Le sourire démentait la dureté de ses propos et le ton de Harry était davantage celui de la taquinerie, mais Lucius prit note de la suspicion qui revenait malgré tout spontanément.

– Loin de là, sourit-il. Mais je sais votre besoin de tranquillité, et quelques jours loin de ce château bruyant et surpeuplé ne vous feraient pas de mal... Et puis Draco doit venir passer quelques jours au Manoir; j'ai pensé que vous seriez heureux de le revoir...

– J'ai... du travail, des potions en cours..., réagit Harry sous la surprise. Et je n'étais pas sûr de rester beaucoup plus longtemps après ça...

– Vous auriez bien sûr libre accès à l'ancien laboratoire de Severus, s'empressa-t-il de répondre. Et il ne s'agit que de quelques jours...

Le silence dura entre eux. Lucius observait Harry, son regard qui paraissait tourné vers lui-même, son visage plongé dans ses réflexions. Draco et lui avaient été proches autrefois, est-ce que cela suffirait à le décider ?...

– Ce serait... possible, dit-il enfin. Il me faut au moins trois jours pour terminer les potions en cours ici, mais ensuite... Quand doit-il venir ?

– À la fin de la semaine prochaine. Mais puisque vous serez libre, je vous attends dans trois jours, fit Lucius avec un grand sourire. Vous serez plus au calme au Manoir...

Le rire spontané de Harry brisa l'atmosphère pesante entre eux et le surprit.

– Vous manœuvrez toujours aussi habilement Lucius, et je me suis fait piéger. Soit. Je ne sais pour quelle raison vous me voulez au Manoir mais je viendrai dans trois jours, s'inclina-t-il gracieusement. Mais je repartirai après la visite de Draco. J'ai aussi du travail ici... et ailleurs.

Sa façon de rendre les armes avait quelque chose de très élégant mais il était certain qu'il ne se ferait pas prendre deux fois au même piège. Lucius esquissa un sourire en se préparant à la dernière bataille.

– Vous aviez raison tout à l'heure, Monsieur Potter, j'étais bien venu pour un serment, commença-t-il tout en prenant dans sa main la main de Harry et en refermant les doigts autour de son poignet. Pour le rompre, celui-ci...

De sa main gauche, il saisit sa baguette et la posa sur leurs deux avant-bras réunis. Les langues de feu rougeoyantes apparurent et se rétractèrent à mesure qu'il prononçait l'incantation afin de délier Harry de son serment inviolable. Il était moins habile de la main gauche, mais il faudrait que cela suffise. Il avait déjà passé assez de temps dans les grimoires afin de savoir comment lever le sort.

Quand Lucius leva les yeux de son poignet à présent vierge de toute trace, il croisa le regard inquisiteur et les sourcils froncés de Harry qui massait lentement son avant-bras où persistaient quelques marques rouges.

– Pourquoi avez-vous fait cela ?

Un soupir lui échappa à son tour. Expliquer cette nécessité était presque au-delà de ses forces mais il allait devoir faire un effort.

– Je sais ce que vous aviez promis, Harry. Et je sais aussi pourquoi vous l'avez fait, commença-t-il. Mais je sais également quels sont vos désirs, quoique vous vous en défendiez, ainsi que ceux de Severus...

Sa lassitude devait transparaître dans sa voix, et le regard sombre de Harry ne l'aidait pas, mais il fallait garder le contrôle de cette conversation.

– Je sais qui est Severus, Harry. Je sais quel genre d'homme il est, je le connais sans doute mieux que lui-même... Je sais comment il réagit aux contrariétés, aux émotions, quel regard il pose sur les événements ou sur moi. Je sais ce qu'il aime, ce qui le met hors de lui, je sais interpréter le moindre de ses gestes ou de ses regards, je n'ai pas besoin de mots pour le comprendre... Je connais Severus. Et je sais aussi de quoi il a besoin.

Lucius s'autorisa un instant de pause pour retrouver son souffle.

– Le désir qui vous unit est évident, mais je ne le crains pas. Parce que je sais que Severus ne s'éloignera pas de moi, quoi qu'il en soit; parce que notre union est d'une autre nature et qu'elle est ancrée en chacun de nous. Je ne crains plus de le perdre ou de le voir se détourner parce que je sais que ce ne sera pas le cas. Mais je sais aussi que son bonheur passe par vous...

Harry accentua encore le froncement de ses sourcils et son air sévère lui rappela Severus dans ses plus belles heures.

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– Est-ce que vous êtes en train de me donner une sorte d'absolution ou d'autorisation pour faire ce que je crois ?

Harry secoua la tête. Énoncer clairement ce qu'il devinait lui était impossible, tant la surprise et une colère montante l'empêchaient d'admettre le fond des intentions de Lucius. C'était tellement inconcevable et... absurde.

Mais dans la lumière des bougies, le visage de Lucius respirait au contraire la conviction et la certitude. Quelle était la raison obscure qui le poussait à lui laisser carte blanche avec Severus après lui avoir fait promettre de venir quelques jours au Manoir ? Après s'être laissé emporter si près de la mort par amour, voilà que Lucius le jetait presque dans les bras de son compagnon. Quelle était cette folie soudaine ?

– Severus a besoin de vous, Harry, l'interrompit Lucius dans ses pensées tourmentées. Tout comme vous avez besoin de lui... Et moi, j'ai besoin qu'il soit heureux. Mon équilibre et mon bonheur passent aussi par cela.

L'impression de vivre une comédie saugrenue et irréelle arrêtait les mots et même la moindre protestation au bord de ses lèvres, le plongeant dans un silence hébété. Harry attendait le son d'une cloche, l'irruption de la lumière qui auraient signé la fin d'une représentation théâtrale à laquelle il ne comprenait rien, tout en ayant vaguement l'impression que cela le concernait au premier plan.

– Harry, insistait encore Lucius. Peu importe ce que vous pensez de moi, ce que moi je pense ou ce qui doit se passer... Je vous ai délié de votre serment, vous êtes libre et ne devez de compte à personne. Laissez-vous une chance. Il adviendra ce qu'il adviendra. Je sais que Severus a besoin aussi de cette liberté et que cela ne changera pas nos relations.

Lucius se leva avec légèreté malgré la douleur qui lui arracha une grimace fugace.

– Je vais vous laisser, Harry. Je pense que vous avez besoin de réfléchir et de faire le point... Mais vous avez promis de venir dans trois jours, et ce jusqu'à la visite de Draco. Nous en reparlerons si vous le voulez quand vous serez au Manoir...

oooooo

Lucius parti, Harry redescendait vers les cachots, ses pieds suivant un chemin machinal que seuls eux connaissaient. Son regard tourné vers le sol ou les marches des escaliers se laissait porter par les veines du bois, les rainures de la pierre, des lignes profondes incrustées dans la matière comme un itinéraire à suivre, mystérieux et insolite. De trait en trait, de creux en jointure, il parcourait le château, hypnotisé par ce chemin qui l'empêchait de réfléchir, comme s'il allait trouver au bout la solution à ses interrogations. Quand le sol devint lisse, il leva les yeux et constata qu'il se trouvait dans le couloir de la Salle sur Demande. Quel paradoxe ! Le dénouement au bout du chemin était la Salle sur Demande alors qu'il ne savait même pas quoi demander ! Pour voir, il passa trois fois devant le mur vierge en demandant un endroit pour réfléchir et contre toute attente, la porte apparut. Il tourna la poignée avec circonspection, méfiant de ce qu'il allait pouvoir trouver derrière. Entre sa magie parfois facétieuse et celle de Poudlard, il s'attendait à tout.

La première impression qui le saisit fut la chaleur. Et cette sensation de densité de l'air due à l'humidité qui le saturait. Il avait devant lui une jungle épaisse et sombre qui emplissait la pièce sans qu'on puisse en distinguer le début de la fin, tant la végétation couvrait le sol, le plafond, les murs d'un bout à l'autre et donnait une impression de profondeur dans laquelle il lui semblait pouvoir s'enfoncer pendant des heures.

Donc, pour toute réponse, la Salle sur Demande le renvoyait chez lui. C'était donc ça la solution, le signe qu'il attendait ? Rentrer chez lui ? Il secoua la tête d'un air dubitatif. Ce n'était cependant pas tout à fait chez lui... ce n'était pas la forêt d'Amérique Centrale où il avait construit sa maison dans une petite clairière cachée aux yeux du monde. Ce n'était pas tout à fait les mêmes espèces de lianes, de plantes, d'arbres ou même d'oiseaux... Cette jungle-là était plus dense et plus humide, il y avait vécu, oui, mais pas récemment. En revanche, il y était retourné voilà peu pour y chercher des ingrédients, il y avait même emmené Severus... Pour préparer la potion de Lucius... Est-ce que l'avenir passait donc par eux ?

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Harry s'assit pesamment sur une racine massive qui serpentait à ses pieds, plongeant à quelques pas dans un sol spongieux. Les paroles de Lucius passaient et repassaient en boucle dans sa tête. Il l'avait piégé de la plus belle des manières, il n'y avait aucun doute là-dessus, mais la question était pourquoi ? Lucius savait depuis longtemps l'intérêt renaissant de Severus à son encontre et le fait de le revoir n'avait fait que raviver la flamme et le désir. Peut-être même en avaient-ils parlé si Severus avait joué la carte de l'honnêteté depuis Sainte-Mangouste. Il ne pouvait cacher ce genre de sentiments, ses pulsions et ses désirs étaient trop évidents, trop transparents. Mais cette abnégation de Lucius à vouloir le pousser dans les bras de Harry ? Pour son bonheur ?

Est-ce que par hasard Lucius aurait pu avoir pitié de lui ? À cette idée, Harry ne put qu'éprouver du dégoût et de la colère. Quand il s'était dévoilé tout entier à Lucius, il n'avait rien caché, rien tu ou presque, mais ses pensées avaient pris un tournant bien sombre et bien trop désespéré à son goût. Ce n'était pas ça qu'il avait voulu montrer. Et son sentiment de solitude, quelque réel qu'il fusse, n'était pas si constant et si intense que ce que Lucius avait vu. Ce sentiment extrême, couplé avec le trouble renaissant qu'il éprouvait pour Severus, auraient pu inciter Lucius à le délier de son serment ? Peu vraisemblable... Lucius n'était pas homme à agir aussi gratuitement, si derrière, cela n'avait pas été motivé par un besoin de Severus.

Aucune bonne réponse ne paraissait éclairer de lumière l'ensemble de la scène qui venait de se dérouler. Il n'y avait que des questions insolubles, et tant de points étranges qui intriguaient Harry. Les paroles de Lucius sur son besoin de calme et d'isolement. Certes, c'était une déduction logique, il ne se serait pas retiré au fin fond de la forêt s'il avait aimé le bruit, l'agitation, la foule... mais son insistance... Harry avait accepté l'invitation assez facilement, trop désireux de revoir Severus après leur dernière entrevue qui l'avait troublé. Et Draco...

Qu'est-ce que Severus avait donc pu lui dire de leur conversation au sujet de Draco ? Harry s'était interrogé sur les relations distantes et crispées entre le père et le fils, et à présent Lucius l'invitait à venir voir de ses propres yeux, ou bien à intervenir... La concordance était trop évidente pour qu'il n'y ait aucun lien entre les deux conversations, mais qu'est-ce que Lucius attendait vraiment de lui ? Évidemment, Harry était ravi à l'idée de revoir Draco, de renouer un lien avec lui, mais qu'est-ce qui motivait Lucius à le rapprocher de son fils ? Espérait-il qu'il serve d'intermédiaire à une réconciliation ? Et cette façon de se déclarer de son côté s'il venait à se faire des ennemis... Lucius semblait avoir abandonné toute carrière politique, mais il pensait peut-être que lui, Harry, était revenu pour cela... C'était bien mal le connaître; mais après plus de dix ans, connaît-on encore les gens ? Et prêter en même temps tant de calculs et d'intentions machiavéliques à Lucius, qui se relevait à peine de son lit d'hôpital où il avait failli mourir de trop aimer, était tellement déplacé et insupportable... Il ne méritait pas ça.

La conversation avec Lucius lui laissait le goût amer des choses pas tout à fait accomplies, qui restent en suspens, avec ce rien d'inachevé qui détruit toute harmonie d'ensemble. Il glanerait peut-être quelques éclaircissement auprès de Luna ou Matt sur ce dont était capable Lucius, mais quelque chose lui disait que les réponses ne viendraient qu'au Manoir, une fois qu'il serait au pied du mur.

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ooOOoo

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Il restait trois jours à Harry pour glaner le maximum d'informations et d'éclaircissements et terminer ses potions en cours. Et puis surtout, profiter de ses amis retrouvés avant de partir pour le Manoir.

Il prit le temps d'aller dîner tranquillement dans les appartements de Luna et Padma pour la première fois. Il les avait peu vues ensemble finalement, il avait toujours été plus proche de Luna et il fut surpris de les voir évoluer toutes les deux en pleine intimité. Elles dégageaient quelque chose de simple et de touchant, nichées dans un cocon douillet et discret au cœur du château. Un intérieur chaleureux et harmonieux dans lequel Padma évoluait avec élégance. Son attitude était celle d'une femme calme, douce mais sûre d'elle. Harry percevait son aplomb, sa fermeté et son assurance à travers les sourires et la légèreté dont elle faisait preuve. À côté d'elle, Luna laissait apparaître un tempérament plus volcanique, brusque et spontané. C'était étrange, il n'avait pas du tout perçu cela quand il la voyait seule mais le contraste entre les deux femmes révélait des aspects insoupçonnés.

Le dîner fut charmant et le mot qui lui vint à l'esprit pour décrire la soirée était « tendresse ». Malgré leurs caractères bien différents, elles semblaient heureuses, l'une compensant le tempérament de l'autre. La douceur était de mise dans leur relation et les regards qu'elles s'échangeaient en disaient long sur leur connivence. Harry se doutait bien que certains de ces échanges muets le concernaient d'une façon ou d'une autre mais il se laissait faire. La façon d'éviter certains sujets, d'insister sur d'autres... Luna n'était pas innocente sur bien des plans.

Quand il voulut prendre congé, Luna insista pour le raccompagner et il céda sans sourciller. Elle voulait visiblement lui parler seule à seul et elle l'entraîna au sommet de la tour, dans sa salle de classe déserte à cette heure tardive, et dans une pénombre à peine éclairée par quelques rayons de lune.

Ce fut comme si elle cédait. À lui ? à Padma qui l'avait poussée à révéler certaines choses ? à elle-même ? Elle s'assit sur les coussins clairs, alluma quelques bougies et finit par dire :

– Demande-moi ce que tu veux...

Harry ne put s'empêcher de rire un instant.

– Tu proposes de me dire l'avenir ?

Elle esquissa un sourire mais son visage conservait une certaine gravité.

– Ce que tu veux savoir... Je te dirai ce que je peux.

Pour le coup, elle le prenait de court et il ne savait plus par où commencer. Il ne doutait plus qu'elle ait beaucoup de choses à dire mais jusqu'où voulait-il savoir ? Il se laissa aller à son sentiment premier...

– Pourquoi ai-je la désagréable impression que tu tires des ficelles que je ne vois pas ?...

Un air hésitant et navré apparut sur le visage de Luna et ses grands yeux bleus furent traversés d'une lueur presque triste.

– Parce que c'est un peu vrai... ?

Harry soupira.

– Et que suis-je censé faire ?

Il avait la détestable impression d'être un pantin que l'on manipulait pour en obtenir certains mouvements et qu'elle reprenait ainsi le rôle de Dumbledore, qui autrefois bougeait ses pions sur l'échiquier sans rien expliquer à personne.

– Je ne peux pas te le dire, souffla-t-elle d'une voix gênée.

– Mais tu as vu des choses...

Luna hocha la tête en silence.

– Est-ce à toi que je dois la visite de Lucius hier ?

– Pas complètement, avoua-t-elle. C'était inévitable...

Il s'adossa contre le mur, brusquement las et mélancolique.

– Tu ne peux pas me dire grand chose de toute façon...

– Non, concéda-t-elle tristement. Je peux seulement te dire que tu dois aller au Manoir et revoir Draco. Ce qu'il se passera là-bas t'appartient...

Harry hocha la tête d'un air morne. Il avait besoin de dormir... ou de s'enivrer encore avec Matt en maudissant ces devins et ces prédictions qui pensaient qu'ils pouvaient régir le monde et les hommes à leur guise. Luna n'y était pour rien mais cette impression de recommencer la même boucle qu'autrefois, au lieu de parvenir à la clore, lui pesait comme un enfer personnel.

– Une dernière chose..., dit-il en levant les yeux vers elle. Tu perçois la magie différemment des autres, n'est-ce pas ?

– Je... perçois certaines choses, acquiesça-t-elle lentement. Je ne sais pas comment expliquer cela, mais parfois, l'aura de certains sorciers m'est accessible, même à distance... Et plus la puissance du sorcier est forte, plus sa perception est nette.

Il soupira, résigné.

– D'où ta perception étrange de mes changements d'humeur...

Luna hocha la tête, son regard un peu triste l'observait avec bienveillance.

– Je sais que tu traverses une période trouble, dit-elle doucement. Mais tu trouveras des réponses au Manoir, même si ça ne sera pas forcément facile...

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ooOOoo

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La nuit avait été sombre, longue et froide. Des images récurrentes et des pensées sans fin tournaient dans sa tête sans qu'il puisse les chasser assez durablement pour pouvoir s'endormir. Debout devant ses fenêtres, Harry accueillit les premières lueurs de l'aube avec un soulagement épuisé et une migraine intense. Enfin, la vie allait reprendre dans ce château si désert et silencieux la nuit. Pour une fois, il était content de retrouver du bruit et de l'agitation, les premiers pas dans les couloirs qui partaient vers la Grande Salle et les voix qui résonnaient entre les vieilles pierres des cachots.

Il n'avait rien de mieux à faire et s'en alla lui aussi prendre son petit déjeuner avec les élèves les plus matinaux malgré l'absence de cours en ce premier jour de week-end. Il croisa plusieurs professeurs qu'il salua de la tête et allait attaquer sa deuxième théière lorsque Matt le rejoignit, le sourire aux lèvres et les cheveux encore ébouriffés d'une nuit agitée. Le sourire s'effaça lorsqu'il vit les cernes sous les yeux de Harry et son air épuisé.

– Mal dormi ?

– Pas dormi...

Matt esquissa une grimace compatissante et repartit vers ses appartements dont il revint quelques instants plus tard avec une petite fiole qu'il lui tendit.

– Tiens, fit-il avec un sourire. Va dormir quelques heures et rejoins-moi cette après-midi. J'aurai besoin de ton aide...

– Qu'est-ce que c'est ? demanda Harry en regardant le liquide violet. Et besoin de moi pour quoi ?

– Potion de sommeil sans rêves made in Matthieu. Tu en as besoin, je pense... Va dormir et je t'explique le reste plus tard !

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Après quelques heures d'un sommeil bienvenu et réparateur, Harry rejoignit Matt dans ses appartements personnels, intrigué par sa demande dont il n'avait pas voulu dire un mot de plus.

– Eh bien ? Que me valait donc cette invitation ? fit Harry en souriant tandis que Matt refermait la porte derrière lui.

Le jeune professeur le jaugea d'un coup d'œil, dut l'estimer assez reposé à son goût et l'invita à entrer plus avant. L'appartement était petit mais extrêmement lumineux et meublé d'un style très moderne et épuré qui n'avait rien à voir avec les intérieurs habituels de Poudlard. Deux canapés de cuir blanc se faisaient face de part et d'autre de la cheminée habillée de métal sombre, séparés par une table basse anguleuse du même métal, de grandes photos en noir et blanc sur des murs tout aussi blancs et un sol noir d'encre, quelques objets aériens de métal argenté ça et là... le contraste était saisissant, déjà dans la pièce mais aussi par rapport aux intérieurs de ses propres appartements, ceux de Neville ou de Luna.

Matt éclata de rire devant sa surprise et l'entraîna aussitôt vers une porte sur la gauche de la cheminée. Les autres portes que Harry apercevaient devaient mener à la salle de bains et la chambre où il aurait bien jeté un œil rien que pour voir à quoi elle ressemblait. La pièce où ils pénétraient était plus simple, un immense bureau blanc encombré d'une multitude de parchemins à corriger et de l'autre côté, un vaste établi de métal noir où bouillonnait un petit chaudron entouré de tous les ingrédients qui avaient dû servir à confectionner une quelconque potion.

L'air malicieux de Matt ne lui disait rien qui vaille et, après un regard interrogateur, Harry s'approcha du liquide fumant pour comprendre de quoi il s'agissait. Il reconnaissait bien les ingrédients utilisés mais restait sceptique sur ce que Matt cherchait exactement à obtenir comme effet.

– Qu'est-ce que... ?

– Tu me promets de garder ça pour toi ? l'interrompit Matt avec un air de conspiration.

Et devant la réponse affirmative de Harry, il poursuivit :

– Tu te souviens des frères Weasley ? Fred et Georges...

– Évidemment ! répondit Harry en souriant. J'ai un peu contribué au lancement de leur magasin, il y a quelques années !...

Il regarda tour à tour le visage espiègle de Matt et le liquide incolore qui bouillonnait doucement et la réponse devint évidente.

– Tu...

Il montra la potion du doigt avant de se tourner à nouveau vers le regard pétillant du jeune professeur de potions.

– Tu travailles pour eux ? souffla-t-il en éclatant de rire.

Matt acquiesça avec un sourire immense et s'empressa de dire :

– N'oublie pas que tu as promis !

– Et Severus sait que son petit protégé travaille pour les frères Weasley ? fit Harry en riant à nouveau.

– Non. Personne, répondit Matt en secouant la tête. Et je ne veux pas que ça s'ébruite, ça ne ferait pas très sérieux !

– Et pourquoi as-tu besoin de moi ? demanda Harry en essayant de se calmer.

– C'est une potion de coloration capillaire, mais je n'arrive pas à la stabiliser tout en maintenant le côté inodore, incolore et sans saveur...

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Entre fous rires et plaisanteries, ils passèrent l'après-midi à améliorer la préparation de base de Matt et à faire diverses tentatives. Mélangée à n'importe quel liquide, même de l'eau, la potion restait indétectable, exceptée par les effets recherchés, mais trop peu de temps pour que cela soit intéressant. À force d'essais qui virent leurs cheveux passer par toutes les couleurs possibles et imaginables, ils parvinrent enfin à un résultat plus satisfaisant et s'autorisèrent une pause pour aller dîner.

Ils discutaient paisiblement avec Padma qui souhaitait les faire intervenir auprès des classes supérieures afin de donner un enseignement complémentaire en potions à ses futurs médicomages, lorsqu'un fou rire à la table des Serpentards leur fit lever la tête. Une magnifique chevelure rose bonbon était apparue au milieu des têtes brunes et blondes, déclenchant l'hilarité générale de la salle, bientôt suivie par une deuxième, une troisième crinière, puis une succession de colorations du même rose qui semblaient éclore comme une multitude de petits champignons les uns à côté des autres.

– Tu as osé ! murmura Harry à son voisin de table tout en retenant un fou rire.

Matt hocha furtivement la tête avec des larmes de rire dans les yeux

– Trois fioles dans une carafe de jus de citrouille...

Ils se retenaient à grand peine, contaminés par l'hilarité générale des élèves tandis que Neville, tapotant son verre à l'aide de son couteau, tentait d'obtenir le silence et l'attention de la salle. Quand le calme revint enfin, il ne put cacher le léger sourire et la rougeur qui colorait ses joues tout en déclarant :

– Je rappelle à tous que les farces et attrapes des frères Weasley sont strictement interdites dans l'enceinte de Poudlard ! Les élèves atteints aujourd'hui peuvent aller rejoindre l'infirmerie pour voir Mme Pomfresh...

Sous les regards réprobateurs des autres professeurs, Harry et Matt commencèrent à nouveau à pouffer, se levèrent précipitamment de table avant de s'enfuir dans les couloirs pour libérer un immense éclat de rire.

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Après un détour par les appartements de Matt, ils étaient sortis prendre l'air pour se calmer et ils s'assirent dans les herbes hautes sur la berge du lac. Le soleil descendait lentement sur l'horizon, lâchant dans le ciel un rougeoiement intense de fin du monde. Matt déboucha la bouteille de vin d'un habile sortilège et remplit deux verres à ballon d'une main généreuse.

– Merci pour ce fantastique coup de main ! fit-il avec un large sourire en tendant son verre pour trinquer avec Harry.

– Merci pour cette merveilleuse journée..., répondit Harry d'une voix douce.

Il avait passé une journée merveilleuse, oui, loin des incertitudes et des doutes de la nuit passée, loin des inquiétudes sur ce qui l'attendait au Manoir... L'espace d'une journée, plus rien n'avait existé que ces idées un peu folles qui leur avaient traversé l'esprit et les rires qu'ils avaient partagés. Toute une journée de légèreté et d'insouciance, de futilités dignes de collégiens qu'ils n'étaient plus depuis longtemps et qui le laissaient apaisé et détendu, plus serein qu'il ne l'avait été depuis des années.

Ils burent en silence un moment, savourant le vin généreux et la beauté du ciel chatoyant, embrasé d'oranges intenses et de rouges sombres qui se disputaient l'horizon, bercés par le doux clapotis de l'eau.

– Tu pars demain alors ?

La voix de Matt était douce, presque réconfortante et Harry hocha brièvement la tête. Là, tout de suite, maintenant, il n'était plus très sûr de vouloir y aller. La nécessité de se confronter à Severus et dans une moindre mesure à Lucius, ne lui paraissait plus si essentielle. Il était bien à Poudlard, il s'y sentait en paix, dans un cocon confortable dont il n'avait pas très envie de sortir, malgré les manœuvres de Luna. Matt était un agréable compagnon de bringue et de beuverie, et même de confidences, Neville et Luna des amis précieux, et le reste était si éloigné qu'il ne semblait pas indispensable. Même le contact de Severus, les quelques secondes intenses qu'il avait passées dans ses bras et son attitude pleine de vulnérabilité et de sincérité, étaient à présent bien lointains, effacés par la quiétude de l'instant.

Harry s'allongea dans l'herbe, admirant au-dessus d'eux le même ciel que celui de la Grande Salle, et qui se remplissait peu à peu d'étoiles. Il savait pourtant qu'il devait faire face et affronter quelques jours au Manoir. Si Luna avait vu quelque chose, il ne pouvait pas tergiverser et fuir éternellement ses responsabilités, quels qu'en soient les désagréments et l'impression d'arrachement qu'il éprouvait à quitter cet endroit. Et puis il méritait des réponses. Il avait besoin de réponses. Tout comme Severus...

– Tu vois souvent Severus ? fit-il en brisant le silence tranquille du crépuscule.

Matt tourna la tête vers lui, observant son air étrange et ses yeux perdus dans le vague. Ils n'avaient jamais poursuivi leur première conversation au sujet de l'ancien professeur de potions et il fallait bien que cela arrive un jour...

– De temps en temps... Il me fait savoir quand il a besoin de potions et je les lui apporte à la Librairie...

– Pas au Manoir ? s'étonna Harry. Et il ne vient pas les chercher ici ?

– Je n'ai jamais eu l'honneur d'être convié au Manoir, moi ! le taquina Matt. Et Severus ne met jamais les pieds à Poudlard... Trop de mauvais souvenirs, je suppose.

– Il est pourtant passé il y a quelques jours. Il te cherchait... J'ai fini par lui faire ses potions et les faire porter au Manoir par hibou. Tu étais encore parti pour une nuit de débauche !

Ils rirent un instant puis Matt but un peu de vin, souriant un air entendu.

– Que veux-tu... je suis un homme volage ! Et il faut bien que je me console d'Irina ! plaisanta-t-il avant de reprendre plus sérieusement. Luna et Neville m'ont fait part de sa venue mais ce n'est pas moi qu'il cherchait... Ni des potions. Je lui avais donné un bon stock quelques jours auparavant...

Harry accueillit la nouvelle par un silence prolongé tandis que les pensées se bousculaient dans sa tête. Pour quelle raison Severus avait-il menti et prétexté venir voir Matt ? Était-il possible qu'il ne soit venu que pour le voir, lui ?

– Comme d'habitude, il m'avait envoyé un message et je lui ai tout emmené à la Librairie, répéta Matt qui avait bien compris que Harry cherchait des informations.

– Un simple passe-temps, m'a-t-il dit...

– Ou pas... Sa librairie est un temple en ce qui concerne les livres de potions, de runes ou de magie ancienne... Plus complète que toutes les bibliothèques du monde sorcier. Severus est une référence pour les connaisseurs, un véritable puits de science et il y investit tout son temps. Un peu plus qu'un simple passe-temps, non ?

Malgré le délicat accent français, le ton de Matt était tranchant, comme s'il lui reprochait de s'être laissé berné si facilement par les paroles de Severus. Il était définitivement bien plus renseigné que lui, et lui était bien naïf... Sur quels éléments Severus avait-il encore bien pu mentir ou minimiser les choses ?

– Que sais-tu sur Lucius ? demanda Harry en attaquant la question sous un autre angle.

– Ce que sait tout un chacun..., répondit tranquillement Matt d'une voix adoucie. Il a été à la tête du Ministère pendant deux ans à peu près, et les gens gardent encore de lui une opinion plutôt positive. Il a été chassé, mais par des tractations internes, pas parce que les gens étaient mécontents, même si sa politique d'ouverture et de coopération en a surpris quelques uns. Il a beaucoup œuvré pour mettre en place des politiques communes internationales, des programmes d'échanges et de jumelage... On lui doit Irina entre autres...

Son petit rire amer fit tressaillir Harry qui passa une main affectueuse sur son épaule.

– Même s'il n'a plus officiellement de poste au gouvernement, poursuivit-il, Lucius a toujours ses entrées un peu partout et une influence certaine... On demande son avis et on l'écoute... Il reste un homme de pouvoir.

– Et Severus là-dedans ?

– Tout le monde sait qu'ils sont amants et que Severus vit au Manoir depuis des années. Mais personne n'en parle. À force de pressions et de menaces, Lucius a réussi à établir une véritable omerta à ce propos... Severus reste dans l'ombre et s'en contente.

Harry ne put s'empêcher d'esquisser une grimace à laquelle Matt répondit par un petit rire.

– Oui, acquiesça-t-il. J'imagine que c'est un sujet compliqué entre eux... Severus est solitaire et distant, mais ce n'est pas un homme à s'effacer par obligation !

– Il... Il est heureux ? murmura Harry. Tu crois... Qu'il est heureux ? Qu'ils s'aiment ?

Il s'interrompit sous le regard inquisiteur de Matt, hésitant et ne sachant pas trop lui-même ce qu'il voulait dire.

– Ils s'aiment oui, répondit lentement le professeur de potions. Mais je ne sais pas si « heureux » est un mot qui puisse jamais s'appliquer à Severus... Je dirais qu'il était « satisfait »...

– Était ?

– L'apparition dans le monde sorcier d'un certain Brian Evans a troublé bien des choses...

Harry tressaillit même si la voix de Matt était exempte de reproches.

– Il t'a dit quelque chose ?

– Severus ne parle pas de ces choses-là. Et il ne se confiera certainement pas à moi, affirma Matt. Mais je le connais depuis longtemps maintenant, et je devine beaucoup de choses... Je sais qu'il est troublé.

Il n'était pas le seul à être troublé par ce retour inopiné... J'aurais aimé ne pas vous perdre de vue si longtemps... les mots de Severus résonnaient encore en boucle dans sa tête.

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– Tu l'as connu juste après que je sois parti, Matt... Comment était-il ? À ce moment-là... ?

Matt l'observa encore quelques instants, puis plongea son regard dans le lac et dans ses souvenirs.

– Je te l'ai dit l'autre jour... Professionnellement, il a été le meilleur professeur que j'ai jamais eu. Exigeant mais juste. Sévère mais patient. Passionné au point de prendre un temps infini pour faire comprendre les choses au plus idiot d'entre nous... Mais il n'admettait ni la fainéantise, ni l'inattention. Il m'a transformé... Je lui dois tout.

Comme à chaque fois qu'il parlait de Severus comme son ancien professeur, la voix de Matt était étrangement chargée d'une émotion qui s'étranglait dans sa gorge. Et même si la pénombre l'empêchait de distinguer clairement les traits de son ami, Harry n'aurait pas été étonné de voir ses yeux briller d'une humidité difficilement contenue.

– La seule année où je l'ai connu, il a été exemplaire... l'enseignant que je rêve d'être un jour... Mais je sais aussi que ça a surpris beaucoup de monde. Les élèves qui l'avaient eu les années précédentes étaient stupéfaits. Ils avaient l'habitude de rentrer dans son cours en tremblant et en craignant le pire, mais ce n'était plus du tout cela. Les autres professeurs non plus n'en revenaient pas. Flitwick pourra te le dire... il était transformé.

– Qu'est-ce qui s'était passé ?

– Personne ne l'a trop su. Après ton départ, il a passé l'été au Manoir... et il est revenu en étant le meilleur professeur de Poudlard. Avant de décider de tout arrêter...

Harry pouvait admettre ce que lui disait Matt, même s'il avait du mal à imaginer Severus en enseignant calme et patient. Cela restait difficile à concevoir, presque antinomique... Mais il se souvenait aussi des confidences de Severus, de cet enseignement qu'il n'avait appris à aimer que lorsqu'il était trop tard.

– Mais pourquoi a-t-il continué un an de plus malgré ses migraines ? Et pourquoi a-t-il tout arrêté s'il était devenu si... tellement meilleur ?

– Je crois... Je crois qu'il s'était laissé une dernière chance, commença Matt. Une dernière année pour voir... Avec son système de prendre le meilleur élève de chaque classe comme assistant, il pouvait superviser ses cours sans être le nez sur les chaudrons... et ça se passait plutôt bien. Mais lui n'allait pas bien. Quand il a vu mon niveau, et sans doute ma passion, il a décidé de me former pour être son successeur et passer le flambeau. Je crois que c'était l'occasion qu'il attendait, quelque part...

Matt laissa passer un silence en buvant pensivement un peu de vin puis reprit :

– Il m'a formé comme il n'a pas pu te former toi...Il m'a façonné à sa main. Il a fait promettre à MacGonagall de mettre le poste en suspens le temps de passer ma maîtrise... Tu te rends compte ! Six ans sans un professeur titulaire sur le poste !... Mais Minerva a accepté et en sortant d'ici, il m'a fait bosser d'arrache-pied ! Un vrai bourreau de travail ! Il m'a donné tous les cours que je manquais, il a négocié avec la faculté pour avancer les examens... En deux ans, c'était joué et je suis revenu à Poudlard...

– Il avait trouvé à qui parler ! rit Harry d'un ton flatteur.

– C'est davantage sa réussite que la mienne, affirma Matt sans l'ombre d'un sourire. J'y serais arrivé au bout du compte, mais sans doute pas à la même vitesse... Je n'ai été qu'un instrument entre ses mains. Il voulait arrêter; enseigner n'avait plus de sens... mais il ne voulait pas laisser le poste à n'importe qui.

– Pourquoi est-ce que ça n'avait tout à coup plus de sens ?

Matt lui jeta un regard lourd de sous-entendus.

– Parce que tu n'étais plus là, peut-être...

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Harry déglutit péniblement en essayant de remettre tous les éléments dans le bon ordre. Le vin dont Matt remplissait à nouveau leurs verres lui brouillait l'esprit et il lui semblait que chaque certitude qu'il avait eue cachait une autre vérité dont il n'avait pas conscience.

– Tu as dit qu'il n'allait pas bien cette année-là ?

Matt croisa son regard de manière intense en lui tendant son verre.

– Harry, il faut bien que tu comprennes que Severus ne m'a jamais rien dit de tout ça. Il ne se confie pas, à personne. Sauf peut-être à Lucius, et encore... Tout ce que je te dis, c'est ce que j'ai compris ou deviné au fil des années... Ce ne sont que des déductions, mais que je pense assez vraies...

Matt passa longuement sa main sur son visage puis dans ses cheveux, comme s'il hésitait encore à parler.

– Je sais que la dernière année où tu étais à Poudlard, il avait développé une forme « d'addiction »... à cause de ses migraines, mais pas seulement. Quand il est revenu à la rentrée, après avoir passé l'été au Manoir, il était sevré, même si les potions anti-douleur qu'il prenait encore auraient pu assommer un cheval. Mais il était ailleurs... Il avait changé. De coupe de cheveux, de façon de s'habiller, de manière d'être avec les élèves et d'enseigner, il était fantastique... Mais il n'était clairement pas là. Il prenait peu à peu ses distances avec Poudlard, il avait renoncé à la charge de directeur de Serpentard, il dormait souvent au Manoir, même en semaine, ne revenant que pour les cours ou s'occuper de moi... Et quand il a été sûr que je pouvais assurer les cours aux élèves les plus jeunes, il s'est même absenté plusieurs fois dans l'année...

– Absenté ? releva Harry.

– Oui..., confirma Matt. Il est parti en voyage à plusieurs reprises. En Roumanie, puis à Durmstrang... Juste quelques jours à chaque fois. Mais il revenait toujours plus sombre de ces séjours à l'étranger. Je sais aussi par de vieilles connaissances qu'il est passé par Beauxbâtons et Ilvermorny...

Ainsi... Ces questions de Severus l'autre jour, sur les endroits où il était allé après Poudlard... Il voulait confirmer des soupçons vieux de plus de dix ans...

Harry ferma les yeux, le plus fort possible, en souhaitant plus que tout être ailleurs qu'ici. Mais en les rouvrant, le monde n'avait pas vraiment changé. Dans le ciel brillaient les constellations de son enfance et le doux clapot de l'eau sur les berges du lac était le même que pendant toutes ces années à Poudlard où il venait se prélasser dans les herbes hautes. Il n'avait pas vraiment essayé de transplaner mais un changement aurait tout de même été le bienvenu.

Il prit douloureusement conscience des inégalités du sol et des cailloux enfouis dans la terre qui meurtrissaient son dos et se redressa lentement. Matt, à côté de lui, frissonnait dans son pull léger ou bien saisi d'une émotion toute autre.

– Tu trembles... ?

– Il ne fait plus très chaud, maintenant, fit Matt d'une voix toute aussi tremblante. Ça t'ennuie si on rentre ?

À travers la main qu'il posa sur son épaule, Harry insuffla un peu de magie et il sentit la tiédeur grandir autour de Matt, l'enveloppant peu à peu dans une bulle de chaleur protectrice et moelleuse. Il le sentit se détendre rapidement et reprendre une respiration plus lente et plus apaisée. Matt se lovait dans cette chaleur comme un chat devant un feu de cheminée et Harry n'aurait pas été surpris de le voir s'étirer puis se mettre en boule avec des manières bien félines.

– C'est donc ça ton secret pour te promener toujours à moitié à poil en plein hiver ! plaisanta Matt avec un large sourire.

– On n'est plus en hiver, mais effectivement la magie me garde au chaud, admit Harry. Je ne supporte plus d'être engoncé dans des couches de vêtements ou des chaussures... Mais je ne suis pas à poil pour autant !

Il protestait en riant, ravi de décharger son ami d'un trop plein d'émotions qu'il avait senti croissant.

– À peine un pantalon, et une chemise à moitié boutonnée ! Quand elle est boutonnée !... Et tu comptes te présenter comme ça au Manoir de Lord Malfoy ?!

Ils se disputèrent un moment en plaisantant sur ce qui était indécent et ne l'était pas, évacuant la tension que la conversation avait naître en eux.

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Au bout d'un moment, le silence se fit, chacun plongé dans ses pensées et ses souvenirs. La nuit était devenue noire depuis bien longtemps et les lumières sur la façade du château s'éteignaient une à une. Une lune blafarde était montée dans un ciel piqueté d'étoiles, éclairant leur visages d'une lumière surréelle et jouant avec les creux et les ombres dans un décor fantomatique.

Matt reprit la parole le premier.

– Pourquoi vas-tu au Manoir au juste ?

– Lucius m'a invité quelques jours... Draco doit passer bientôt.

Sans y prêter garde, Harry se massa le poignet droit où il savait les brûlures encore présentes avant de se rendre comte de son geste. Il n'avait pas parlé à Matt du serment inviolable et hésitait à le faire... Avant de se rendre compte brusquement que son avis et son éclairage avaient plus d'importance qu'il ne le pensait au départ.

À demi-mots et sans en révéler trop sur le mal qui avait conduit Lucius à Sainte-Mangouste, il raconta... Le serment prêté puis le serment délié, l'abnégation étrange de Lucius...

– Lucius est un homme de pouvoir, manipulateur comme il se doit..., avança Matt. Mais il ne fera jamais de mal à Severus... Je reconnais cependant que ses intentions sont surprenantes.

– C'est le moins qu'on puisse dire...

– Est-ce que tu crains de revoir Severus ? dit-il en tournant la tête vers lui.

Harry soupira en essayant de rassembler ses idées.

– Je crains de le revoir autant que j'en ai envie...

– Les sentiments ne sont pas éteints ?

Un frémissement le saisit. Il n'avait jamais dit clairement à Matt ce qu'il avait ressenti cette année-là pour Severus, mais le jeune homme n'était pas idiot. La question si directe le surprenait pourtant.

– Je ne sais pas ce que je ressens. Je ne peux pas mettre de mots sur des sentiments qui ne sont pas bien définis... Mais je sais que je ne suis pas indifférent, admit-il. Malgré moi, il me fait réagir bien plus que ses paroles ou sa simple présence ne le devraient. Que ce soit... une attirance, un trouble ou de la colère, mes réactions sont amplifiées au-delà du raisonnable. Luna a raison quand elle dit que je dois aller au fond des choses... Je dois comprendre ce qui se joue entre nous deux, même si ça ne veut pas dire s'y plier...

Brusquement éclairé par un rayon de lune qui dévoilait son visage en entier, Matt souriait doucement, d'un air presque compatissant. Il semblait lointain, tout en étant si proche, ses yeux d'habitude si gais et rieurs semblaient tristes et éteints, sa peau pâle encore davantage blanchie par la lune, presque fantomatique. Harry secoua la tête et l'impression s'estompa aussitôt.

– Et toi, où en es-tu avec Irina ? fit-il avec entrain.

Matt éclata d'un rire frais et bienvenu.

– Irina m'a jeté, je n'irai pas la supplier ! Même s'il nous arrive encore de noyer ensemble notre chagrin dans la vodka !

– Ensemble ? releva Harry en souriant.

– Oui, ensemble, répondit Matt d'un air espiègle. Mais ça ne repartira pas ! Elle sait que j'ai des vues sur quelqu'un d'autre et qu'en attendant, je vogue à droite à gauche... Du coup, elle joue aux yeux du monde un grand mélodrame à la russe en ressassant son désespoir et sa douleur tout en se complaisant dedans. Et avec moi, elle se prend pour une aristocrate froide, pleine de dédain et de suffisance qui accable celui qui est responsable de son malheur...

– Tu ne veux toujours pas me dire qui est cet « autre » ? le taquina Harry.

– Tu sais à qui elle me fait penser en fait, quand elle joue la grande comtesse méprisante ?

Matt l'avait interrompu avec un éclair de malice dans le regard.

– À Lucius Malefoy !

Leur éclat de rire soudain dérangea un brave héron qui picorait tranquillement dans la vase et s'enfuit à tire d'ailes.


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Au plaisir,

La Vieille aux Chats