Résumé: Harry fait ses premiers pas au Manoir, entre conversations feutrées, taquineries et confidences délicates... Les excuses de Severus achèvent de le troubler.


Une certaine hésitation les traversa quand ils se retrouvèrent au dîner tous les trois. Des regards qui n'osaient s'attarder trop longtemps dans les autres regards, des silences troublés... Et Lucius, d'une générosité qui le surprenait sans cesse, osa le premier l'ironie qui les détendit.

– Pardonnez-moi de vous avoir abandonner cette après-midi, au retour de notre promenade, mais le grand-père que je suis a eu besoin d'une petite sieste...

Le gloussement de Harry lui tira un sourire pétillant, plus encore que l'air surpris de Severus et Lucius poursuivit la conversation comme si de rien n'était.

Malgré tout, aucun des trois n'avait très envie de parler ce soir-là et lorsque le repas fut fini, la proposition de Harry de regarder un film dans la salle de cinéma, bien qu'elle surprit ses hôtes, fut agréablement la bienvenue.

Il s'installa de lui-même dans un des canapés de côté, leur laissant le canapé central comme ils devaient en avoir l'habitude lorsqu'ils n'étaient que tous les deux, pendant que Lucius se penchait sur les rangées de dvd pour faire son choix. Après quelques minutes d'hésitation, il en prit un qu'il montra à Severus, lequel haussa les épaules d'un air indifférent, puis le plaça dans le lecteur adapté.

Les premières images défilèrent sur l'écran, ombres poussiéreuses et surannées d'une époque révolue. L'obscurité de la pièce les confinait dans un cocon intime et chaleureux. Puis peu à peu la magie du film l'emporta, transportant les personnages et lui-même dans un tourbillon de sentiments, de passions éteintes et de déliquescence.

Régulièrement, Harry ne pouvait s'empêcher de jeter un œil de côté vers Lucius et Severus. Les deux hommes s'étaient installés sur le même canapé, à leur place habituelle de toute évidence, comme ils avaient chacun leur fauteuil dans le Petit Salon, comme Lucius s'asseyait toujours en bout de table dans la Salle à Manger et Severus sur sa gauche... Les petits rituels immuables d'une longue vie commune.

Ils étaient restés relativement lointains au début du film, conservant une distance physique au point que Harry aurait presque pu s'asseoir entre eux... Et au bout d'un certain temps, à un moment qu'il n'avait pas saisi, sans qu'il n'ait perçu le moindre mouvement ou le moindre bruit, capté sans doute par un passage du film, Lucius s'était légèrement basculé dans le canapé pour s'allonger à demi, adossé contre les coussins et l'accoudoir et il avait étendu ses jambes, les chevilles posées sur les cuisses de Severus.

Lorsqu'il s'en était aperçu, après un regard furtif sur les deux hommes, Harry s'était empressé de détourner les yeux, comme s'il avait été témoin d'un acte dont son regard violait l'intimité et il avait senti dans le creux de son ventre une crispation intense et désagréable.

Hormis la main possessive et dominante que Lucius avait posé sur la nuque de Severus lors de son arrivée, c'était la première fois qu'il voyait les deux hommes ne serait-ce que se toucher. Et ce simple geste, pour ce qu'il supposait de familiarité et d'intimité entre eux, le bouleversait. C'était une chose que de savoir qu'ils étaient en couple, c'en était une autre, cependant, que d'en être témoin, et une fois encore, il se sentit de trop.

Osant un deuxième regard que lui dictait sa curiosité malgré la culpabilité, il fut encore davantage surpris de voir que la main de Severus s'était glissée sur la jambe de Lucius, sous le pantalon et caressait machinalement la peau de son compagnon. Un geste de tendresse, beau et triste tout à la fois. Il n'en ressentait aucune jalousie, mais la douleur sourde dans son cœur lui montrait son absence d'indifférence.

Harry reporta son regard sur l'écran avec insistance, se jurant de ne plus se laisser distraire. Mais il était loin du film à présent, malgré la beauté des images et de l'histoire. Son esprit était ailleurs, dans un univers qu'il contemplait tout en en étant exclu. Il les enviait, un peu, mais d'une façon délicate et discrète, sans excès, avec une pointe de mélancolie. Avec tristesse aussi. Celle d'être seul. De se coucher dans un lit froid chaque soir. De se réveiller sans corps à ses côtés, sans corps à caresser...

Ils avaient cette chance, et lui n'avait aucun droit de s'immiscer là-dedans.

À dire vrai, il aurait bien aimé se trouver à la place de Lucius, sentir la main de Severus sur sa peau, recevoir ses attentions, ressentir cette ébauche de tendresse à son encontre. Pour machinale et inconsciente qu'elle soit, cette caresse restait une caresse et il en rêvait depuis tant d'années. Il rêvait de ses mains sur lui, de son souffle sur sa peau, du poids de son corps sur le sien, rien de plus, juste cette simple présence, insistante, permanente, qui le ferait se sentir enfin entier, qui le réchaufferait, qui lui ferait éprouver les limites de son corps, jusqu'à ce qu'au bout d'un moment, la sensation de frontière entre leurs deux peaux ne s'efface, ne devienne indistincte et qu'il ne sache plus où finissait son univers et où commençait celui de Severus, jusqu'à ce que le poids de sa main, de son corps ne s'efface et qu'il ne reste qu'une vague sensation de pesanteur, indéfinie et presque légère.

Il repensa à cet instant où il avait fini dans ses bras, au pied d'un escalier facétieux de Poudlard, à la sensation de son bras dans le creux de ses reins, ce poids, cette contrainte qui l'avait plaqué contre son corps, à l'intensité de son regard qui l'avait consumé, au désir qu'il avait ressenti et qu'il avait senti chez Severus... Il voulait plus que ça. Il voulait des nuits, des jours avec Severus, des ivresses de sensations sur sa peau et jusque dans les profondeurs de son corps, il voulait des excès, des extases, il voulait de la fièvre et de la passion, il voulait lui appartenir et se laisser transporter dans un univers de délices et de souffrances, où le manque de lui confinait à la folie et sa présence à la plénitude.

Et ils étaient pourtant si beaux tous les deux, apaisés de la présence de l'autre. Il s'en voudrait toute sa vie si sa présence ou ses actions devaient mener à leur séparation et pourtant il se rendait compte qu'il était incapable de résister à ce que Severus représentait pour lui.

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Encore une fois, le sommeil fut long à trouver et chaotique, le laissant éveillé aux petites heures du jour avec l'impression de n'être ni reposé, ni apaisé. La nuit au-dehors était encore noire et dans le ciel dégagé, les étoiles en nombre scintillaient de mille feux. Harry savait qu'il ne se rendormirait pas mais quitter la chaleur de son lit ne lui faisait pas grande envie. Il se retourna dans la douceur des draps, chassant de son esprit l'envie d'y trouver un autre corps que le sien et les souvenirs des rêves qu'il avait faits. La solitude lui pesait jusque dans son sommeil et le fait d'avoir en permanence sous les yeux l'image du joli petit couple que formaient Lucius et Severus ne l'aidait pas à se résigner.

Il les avait tant enviés la veille au soir dans leur tendresse discrète et délicate et il avait guetté encore une fois les bruits en provenance de leur chambre au moment de se coucher. Il ne pouvait s'empêcher de les imaginer ensemble, de les voir ensemble, puisqu'il avait eu tant d'exemples de leur sexualité dans l'esprit de Lucius.

En les voyant évoluer, et surtout depuis qu'il avait revu Severus pour la première fois, il s'interrogeait sur ses propres désirs, sa propre sexualité. Longtemps, il avait mis cela de côté, complètement, jusqu'à ne plus ressentir d'envies, jusqu'à ne plus faire de rêves, jusqu'à ce que les manifestations réflexes de son entrejambe ne finissent pas disparaître. Il avait fini par omettre cette partie de son corps, par ne plus y prêter attention, ne s'en servant que pour satisfaire des besoins naturels, et le sexe n'en était pas un pour lui.

Du moins, il le croyait. Jusqu'à le revoir. Jusqu'à le côtoyer. Et cela faisait quelques matins qu'il se réveillait avec un désir qu'il ne reconnaissait plus et des réactions physiques qu'il avait oubliées. Des frissons qui lui parcouraient le corps au souvenir des images floues de ses rêves. Des érections qu'il se refusait à soulager de sa main et qui lui tiraient des gémissements d'insatisfaction. Et il se levait, inassouvi et frustré, pour aller se calmer sous une douche glacée.

Ce matin n'y faisait pas exception et il quitta le lit tiède quand il se rendit compte que ses mouvements pour se tourner et se retourner dans un demi-sommeil n'avaient pour but inconscient que de se frotter un peu plus contre les draps. Un sentiment de honte absolue le traversa et il jeta un sort de nettoyage sur le lit, plus pour se rassurer qu'autre chose, avant de filer sous la douche.

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Le couloir était sombre et désert quand Harry sortit de sa chambre et aucun bruit ne se faisait entendre dans le Manoir. Il descendit l'escalier en colimaçon, hésitant entre la Bibliothèque et la rotonde. Où avait-il le plus de chance – ou de malchance – de croiser Severus malgré l'heure matinale ? Le souhaitait-il vraiment ou non ? Lui-même n'avait pas de réponse à ces questions et ses pas le portèrent par réflexe le plus loin possible de la chambre de ses hôtes.

Le couloir du sous-sol conservait en permanence cet éclairage minimal et un peu froid dû aux lumières intégrées qui parsemaient le plafond. De grandes fougères d'un vert flamboyant venaient heureusement casser cet aspect trop métallique et aseptisé qui lui rappelait les couloirs d'un hôpital. Aucun bruit là non plus, et le son de ses pieds nus sur le carrelage glacé lui parut tonitruant. Harry traversa le rideau de magie qui isolait la rotonde et retrouva immédiatement cette sensation d'humidité si agréable et si enveloppante. La moiteur de l'air l'imprégnait et le nourrissait, il ferma les yeux et sentit presque sa peau se détendre et boire cette vapeur invisible.

Il les rouvrit et s'habitua peu à peu à la pénombre qui y régnait. Seule l'eau de la piscine scintillait doucement, reflétant la pâle lueur des étoiles qui se jetait dans la pièce par les baies vitrées, à peine interrompue par une silhouette sombre et immobile.

– Je ne vous dérange pas ? demanda-t-il tout bas avec l'impression que sa voix résonnait de toutes parts comme un clairon.

– Pas si vous êtes décemment vêtu.

Severus ne s'était même pas retourné, immergé dans l'eau jusqu'au torse, seulement retenu par ses bras accoudés sur le rebord. Il ne bougeait pas, plongé dans ses pensées et dans la contemplation muette des jardins baignés par l'obscurité.

Harry s'approcha lentement, transforma son pantalon en boxer de bain comme le suggérait si bien Severus et se laissa glisser dans l'eau sans faire de vagues. Plus chaude que dans son souvenir. Délicieuse. Il ferma à nouveau les yeux et abandonna la surface pour s'enfoncer dans le liquide tiède et bienfaisant. L'eau l'enveloppait de toutes parts, cocon satiné et mouvant qui le détendait bien plus qu'une douche glacée, malgré la présence de Severus. Il se laissa porter par les remous légers, traversant la piscine entre deux eaux et regagna lentement la surface non loin de lui.

À présent, Harry se trouvait juste à portée de main des épaules de Severus, des épaules larges, massives, dont il devinait sans peine les muscles puissants et entraînés par des heures de natation. Bien plus attrayantes que dans son souvenir. Il lui aurait suffi de tendre le bras, lentement, pour pouvoir effleurer du bout des doigts cette peau légèrement hérissée par la différence de température entre l'eau et l'air. Cette peau qu'il savait si blanche et qui paraissait si sombre et dense dans l'obscurité. Pour passer ses doigts dans ces cheveux encore humides qui l'auréolaient de mèches désordonnées et capricieuses. Une envie folle de poser ses mains sur ce dos qui lui faisait face, qui l'appelait, de les laisser glisser le long de sa taille, de ces hanches étroites qu'il devinait un peu plus loin sous la surface...

Il s'approcha encore et vint s'appuyer à son tour contre le rebord, près de lui sans l'être trop. Severus n'avait toujours pas bougé. Si ce n'était le faible reflet de lumière dans ses yeux, Harry aurait pu croire qu'il était assoupi, le menton posé sur ses mains.

– Vous...

– Taisez-vous et regardez.

Lentement, Severus désigna du doigt un recoin sombre dans le jardin, perdu entre un bosquet et des massifs bas. Un long moment passa sans que Harry ne vit rien d'autre que des ombres. Puis un mouvement fugace le surprit. Il n'était pas certain d'avoir vu quelque chose et en douta encore davantage à mesure que l'attente se prolongeait. Puis à nouveau un soubresaut indistinct et une forme à peine plus claire apparut dans la densité des noirs. Suivie d'une deuxième plus petite. Et qui s'avancèrent lentement dans l'allée d'herbe courte qui serpentait entre les massifs.

Peu à peu, Harry distingua une biche et son faon, avançant prudemment à découvert pour venir brouter les bourgeons tendres des arbustes de Lucius. Rassurés par l'immobilité du jardin et le silence, les deux animaux s'aventuraient peu à peu en direction du Manoir, glanant des douceurs sucrées qui semblaient les ravir.

Il jeta un coup d'œil interrogateur vers Severus qui n'avait toujours pas bougé, fasciné par un spectacle plein de charme.

– Elle vient, avec son faon... presque tous les matins...

La voix de Severus était très basse, presque un chuchotement, intime et rauque, qui lui tira un frisson. Au-dehors, le faon rassasié sautillait sur ses membres grêles, soudain animé d'une envie de jeu insouciante.

Un mouvement brusque dans la rotonde surprit Harry qui mit un moment à comprendre que Severus avait fait venir sa baguette d'un Accio informulé. Après un délicat mouvement du poignet et un chuchotement si bas que Harry ne put le distinguer alors même qu'il connaissait la formule, une légère brume argentée s'échappa de la baguette pour prendre peu à peu la forme d'une biche scintillante. Le patronus s'envola et traversa la baie vitrée pour rejoindre les deux animaux. D'abord surpris et méfiant, le faon reconnut rapidement une forme amie et reprit ses bonds légers avec son nouveau partenaire de jeu, sous la surveillance tranquille de sa mère.

Les animaux jouèrent un moment dans le jour naissant puis la biche redressa soudain la tête, alertée par un bruit ou un mouvement dans les fourrés, et s'échappa brusquement avec son faon dans les ombres du bosquet, laissant esseulé le patronus qui finit par se dissoudre dans les brumes du petit matin. Severus reposa sa baguette sur le carrelage et s'immergea un instant dans l'eau tiède pour réchauffer ses épaules.

– C'est toujours une biche..., constata Harry.

– Que vouliez-vous que ce soit ? fit Severus d'un ton sec.

– Je ne sais pas... J'aurais pensé qu'à force d'être avec Lucius, votre patronus aurait... changé.

Severus lui jeta un regard peu amène et haussa les épaules.

– Ce n'est pas le cas. Un patronus ne change pas si facilement. Il faut... un choc émotionnel ou quelque chose d'aussi fort. Et ça reste très rare.

Un léger sourire effleura les lèvres de Harry. Il retrouvait si facilement, en grattant la surface, le ton sec et si didactique de son ancien professeur. Ce qui l'avait jadis ulcéré ou angoissé lui paraissait aujourd'hui presque charmant. Il aimait à présent cette rigidité feinte qui cachait mal en définitive l'homme, ses désirs et ses faiblesses, cette arrogance fière que soulignait ce léger mouvement de tête qui lui faisait tendre le cou et regarder de haut l'élève qu'il était autrefois.

Severus lui jeta un regard interrogateur, se méprenant sur l'origine de son sourire et du gloussement amusé qui lui échappa.

– Le vôtre a changé ? demanda-t-il perplexe.

Harry haussa les épaules sans répondre. Ce n'était pas de lui dont il voulait parler mais le regard insistant de Severus ne le lâchait pas.

– C'est possible, finit-il par admettre.

– Et quel est-il ?

Harry hésita puis fit un geste en direction de la baguette de Severus.

– Je peux ?

Devant le hochement de tête de Severus, il la prit délicatement et fit un discret mouvement de la main. Il n'avait pas besoin de baguette pour faire apparaître un patronus mais il n'avait pas résisté à la tentation de pouvoir prendre en main celle de Severus. Elle était souple, légère, maniable... agréable. D'un bois tendre et doux sous la paume de sa main. Il parcourut de sa magie les derniers sorts qu'elle avait lancés : des sortilèges mineurs et inintéressants, hormis le spero patronum qu'il avait vu et un sort de silence lancé sur la chambre qu'il partageait avec Lucius, la veille au soir.

Harry soupira. Ainsi, ils avaient protégé leur chambre et sans doute fait l'amour, alors même qu'il était dans une autre chambre, quelques mètres plus loin. Voilà qui expliquait cette rougeur qu'il avait cru déceler sur l'épaule, à la base de la nuque. De ce qu'il en avait vu, Lucius était un amant passionné et doté d'une audace qui l'avait fait rougir lorsqu'il avait pénétré dans ses souvenirs.

L'idée qu'ils aient pu... s'envoyer en l'air... lui serra le cœur bien plus qu'il ne l'aurait cru possible. Il n'avait rien espéré, mais tout de même, avec lui si près et le désir qu'il avait cru percevoir chez Severus... Il s'était sans doute trompé.

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Il esquissa un vague geste de la main et son patronus s'envola gracieusement en traversant la rotonde pour aller se poser dans les plantes verdoyantes qui palissaient le mur autour de la porte d'entrée.

– C'est un..., murmura Severus en le suivant des yeux.

– Un quetzal, oui.

– Le même que nous avons vu dans le hall d'entrée de Poudlard ?

Harry hocha la tête en reposant la baguette. Le même oiseau, les mêmes plumes que celle qu'il avait d'ailleurs rangée parmi les trésors du laboratoire de Severus.

– Comment est-ce arrivé ?

Hum. Il y avait vraiment des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Autant le détourner de cette idée.

– C'est le plus spontané aujourd'hui...

Severus tourna brusquement la tête vers lui en fronçant les sourcils.

– Comment ça le plus spontané ?

– Suivant le souvenir dont je me sers pour le faire apparaître, le patronus n'est pas le même...

Harry reprit la baguette et lui imprima un léger mouvement de rotation. Un long filament argenté en sortit qui se mua peu à peu en différentes formes distinctes qui s'éparpillèrent chacune de leur côté. Un cerf, un loup, un gros chien sombre, une loutre, un petit jack russel, un lièvre et enfin une biche.

Un long silence se fit tandis que les patronus se pourchassaient ou bien jouaient ensemble, puis finirent pas disparaître. Le regard insistant de Severus se posa longuement sur lui.

– J'ai reconnu vos parents, Sirius et Remus... Ron et Hermione je suppose... Qui est le lièvre ?

– Luna Lovegood.

– C'est... surprenant.

Un soupir las franchit ses lèvres. Severus ne se trompait que sur un seul patronus: la biche ne représentait pas sa mère, mais cela, Harry n'était pas prêt de l'avouer...

– Je pensais... qu'après toutes ces années, le vôtre avait changé..., murmura-t-il.

– Mon amour pour Lucius n'a pas effacé l'amitié que j'ai pu ressentir pour votre mère, si c'est votre question, dit Severus d'un ton tranchant.

Harry secoua doucement la tête.

– Vous l'aimez donc ?

– En doutiez-vous ?

– Pas vraiment...

Harry ferma les yeux et se pencha vers l'arrière pour poser sa nuque et sa tête sur l'eau, replia ses jambes, et prenant une impulsion des pieds contre le mur, se laissa glisser à la surface de la piscine.

Quand il les rouvrit au bout d'un long moment, ni Severus, ni sa baguette n'étaient plus là et il s'abandonna dans le silence entre deux eaux.

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oooooo

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Harry fut à la table du petit déjeuner longtemps avant que Lucius ne descende. Pour patienter en l'attendant, il parcourait les journaux que les elfes avaient déposés sur la nappe d'une blancheur immaculée, tout à côté de l'assiette du maître de maison. Un sortilège de traduction l'avait aidé à comprendre les gros titres mais il était loin de la scène internationale depuis tellement d'années qu'il n'entendait rien des enjeux politiques ou sociaux sous-entendus dans les articles. Il se faisait un peu figure d'handicapé dans cette société.

La Gazette du Sorcier, elle, n'avait pas beaucoup changé depuis le temps. Toujours le même ramassis d'inepties et de sensationnalisme. Il n'avait été qu'à moitié surpris d'y découvrir un article le concernant. Enfin... concernant le fameux Brian Evans qui avait mystérieusement ressuscité plusieurs patients de Sainte-Mangouste que l'on croyait perdus. Ni le nom des Londubat, ni celui de Lucius n'étaient cependant mentionné dans l'article; pour une fois, l'hôpital avait réussi à tenir le secret médical face aux journalistes.

Après le réveil des parents de Neville, Harry avait commencé à recevoir de nouveau une montagne de courrier de félicitations, de suppliques, de témoignages, de demandes plus farfelues les unes que les autres. La seule adresse pour le joindre était celle de la maison d'édition qui avait publié ses ouvrages de potions et de médicomagie et elle se chargeait de faire le tri et de ne lui faire parvenir que les lettres officielles des établissements de santé certifiés. Il ne voulait pas devenir le nouveau gourou à la mode que s'arrachait tout un chacun.

Il avait également refusé toutes les demandes d'interviews de quelque journal ou magazine que ce soit, et s'était contenté de vivre dans des endroits qu'il savait inaccessibles aux curieux, Poudlard et le Manoir pour les derniers en date. Et pour son plus grand bonheur, le nom de Harry Potter n'était pas encore revenu dans la presse. Hormis Severus et Matt, personne n'avait fait le rapprochement, et son identité n'avait pas encore été découverte. Les professeurs de Poudlard qu'il avait côtoyés gardaient leur langue pour l'instant, et même les élèves semblaient jouer le jeu. Mais Harry ne doutait pas que tôt ou tard, son vrai nom referait surface et qu'il serait de nouveau assailli de questions. Le plus tard serait le mieux.

Pour l'heure, la Gazette et les Nouvelles d'Angleterre, récent journal politique qui semblait plus sérieux et digne de confiance, étaient tous deux focalisés sur le dernier scandale en date qui menaçait de faire tomber Manfred Oakleby, le Ministre en poste, dont le fils aîné avait été surpris ivre mort dans le monde moldu, en train de faire étalage de ses pouvoirs magiques au point de donner quelques sueurs froides aux Oubliators. Et les implications de cette destitution prévisible dépassaient de loin les simples frontières du pays.

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L'arrivée de Lucius le tira brusquement de ses réflexions et il replia rapidement le journal pour accueillir son hôte.

– Bonjour Harry, fit l'aristocrate avec un sourire enjoué. Vous craigniez tant de manquer le petit-déjeuner que vous vous êtes levé à l'aube ?

– Bonjour Lucius... Que voulez-vous, j'essaie de ne pas commettre deux fois les mêmes erreurs, s'amusa-t-il. Bien dormi ? Vous avez l'air en forme !

– Oui, fit Lucius en s'installant et se versant du thé. Je ne sais pas si c'est la promenade d'hier, le fait d'être resté longtemps dehors ou autre chose, mais j'ai dormi comme un bébé.

Un sourire épanoui traversait son visage et illuminait ses yeux gris. Harry se doutait bien de ce que pouvait être le « autre chose » en question et réprima une grimace.

– Et vous ? Vous avez croisé Severus ce matin ?

– Oui, fit-il en hochant brièvement la tête. À la piscine...

Après un regard en coin, Lucius lui fit grâce de plus de précisions et partit sur un tout autre sujet.

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Harry picorait quelques toasts et surtout des fruits, dont la saveur et l'énergie lui manquaient. Lucius, lui, ne semblait pas en manquer ce matin, et il répondait sans doute un peu trop mollement à sa conversation.

– Tout va bien, Harry ? Vous semblez...

– Pardonnez-moi, s'empressa-t-il de répondre. J'étais un peu ailleurs...

Lucius l'observa un instant puis répondit lentement :

– Ce n'est pas ce que j'aurais dit... Vous semblez triste... et résigné.

Il haussa les épaules, ce qui en soit confirmait ce que pensait Lucius.

– Quelque chose vous chagrine ? Je peux vous être utile ?

– Il n'y a rien que vous puissiez faire, Lucius, assura-t-il. Surtout que... vous faites déjà bien assez ! Je crois que je n'ai plus l'habitude d'autant de société... La forêt me manque...

Le regard de Lucius laissa transparaître une lueur d'inquiétude.

– Vous avez promis de rester jusqu'à la venue de Draco, n'est-ce pas ?

– Et je m'acquitterai de cette promesse avec plaisir, Lucius, le rassura-t-il. Mais... je songe à repartir après...

– J'aimerais que quelque chose vous persuade de rester, Harry, fit-il sincèrement.

Lucius s'appuya contre le dossier de sa chaise et, tout en sirotant son thé, ne le quittait pas du regard au point qu'il en soit presque mal à l'aise. Puis il poussa négligemment du doigt la pile de journaux afin de lire les gros titres un à un et s'arrêta enfin sur celui des Nouvelles d'Angleterre.

– L'actualité doit vous paraître bien irréelle...

Encore une fois, il sautait du coq à l'âne et Harry avait cette impression légèrement désagréable que Lucius essayait de le ménager. Mais il touchait souvent juste, et « irréelle » recouvrait bien la sensation qu'il avait éprouvée en parcourant les quotidiens.

– Seuls les noms changent, répondit-il. Mais les luttes de pouvoir sont toujours les mêmes... Le Ministre a l'air mal parti.

– Manfred va tomber, confirma Lucius en hochant la tête. C'est dommage. Je le connais bien, c'est un bon Ministre, mais c'est un naïf, un utopiste et je ne donne pas cher de sa peau. Il va succomber au premier coup monté contre lui...

– L'histoire de son fils ? interrogea Harry.

– C'est certain. Un sortilège d'Imperium ou quelque chose comme ça... Le problème est qu'ils n'ont personne de crédible à mettre à la place. Ils préfèrent détruire avant même de savoir ce qu'ils vont faire quand ils seront au pouvoir. Diriger n'est pas si simple... Je risque de recevoir un certain nombre de visites dans les jours qui viennent...

Lucius semblait navré de son manque de disponibilité à venir et grimaçait un sourire d'excuse.

– Pour vous proposer le poste ? s'enquit Harry.

– Non. Mais pour donner des avis et faire jouer des alliances... Mettre des personnes en contact les unes avec les autres... Je vais être assez pris jusqu'à ce que la situation politique se stabilise. Mais cela ne change rien à votre présence ici ! Severus vous tiendra compagnie avec plaisir...

Harry préféra s'abstenir de répondre. « Plaisir » n'était pas le mot qu'il aurait employé. « Obligation », « indifférence » en revanche lui paraissaient plus appropriés, mais il ne le dirait certainement pas à Lucius. Son silence n'était cependant pas passé inaperçu.

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Au bout d'un moment, il vit Lucius tapoter deux fois sur la table et un elfe de maison apparut quasi instantanément.

– Servez le thé pour deux personnes dans la véranda.

Spontanément, Harry se jeta sur l'occasion.

– Non. Merci. Pas de thé pour moi, s'il vous plaît. En revanche, Lucius, est-ce que ce serait...

– Oui ? fit-il interloqué.

– Vous pourriez me montrer... ou me dire où sont les cuisines ? J'aimerais...

Lucius ne cachait pas sa surprise mais il acquiesça obligeamment.

– Bien sûr. Suivez-moi...

L'elfe hésita, incertain de ce qu'il devait faire, puis disparut tandis qu'ils se levaient de table. Lucius prit les devants et le conduisit dans l'escalier en colimaçon. Arrivé en bas, il s'arrêta devant l'entrée du sous-sol et passa la main sur le mur de pierre qui marquait la fin de l'escalier et qui laissa apparaître une lourde porte en bois. Ils s'engagèrent dans un corridor qui devait longer le laboratoire de Severus puis pénétrèrent dans une vaste cuisine dont la taille n'avait rien à envier à celles de Poudlard. Une dizaine d'elfes piaillèrent à leur irruption, surpris et inquiets de la faute qu'ils avaient pu commettre, et restèrent à bonne distance de Lucius.

Harry jeta un regard circulaire sur la pièce, détaillant les fours, les fourneaux, les garde-mangers en nombre, les vaisseliers somptueux qui devaient contenir la précieuse porcelaine et l'argenterie des Malefoy.

– Lequel d'entre eux est responsable des cuisines ? demanda-t-il le plus gentiment possible pour ne pas apeurer davantage les elfes.

Une créature un peu rondelette et plus petite que la moyenne s'avança d'un pas vers eux.

– C'est moi, Monsieur. Que désirez-vous de Sky ?

Harry hésita et demanda d'un regard l'autorisation de Lucius, qui hocha la tête tout en gardant un air surpris et curieux.

– Est-ce que tu aurais pour moi une casserole... du lait... du chocolat noir... de la masa harina ? du piloncillo ? Hum... ça va être compliqué tout ça.

Les elfes qui s'étaient empressés de sortir au fur et à mesure ce qu'il avait demandé, s'étaient arrêtés net en entendant les mots étrangers et tordaient leurs mains d'un air inquiet. Lucius, lui, attendait avec un amusement certain la suite des événements.

– Montre moi ce que tu as en chocolat noir, en sucre et en farine de maïs, reprit Harry en simplifiant les choses. Et ta réserve d'épices...

Il suivit la petite créature empressée et fit directement son choix parmi les ingrédients qu'on lui proposait. Quelques bouillonnements plus tard, ce qui s'approchait le plus qu'il pouvait de son chocolat chaud habituel était versé dans une grande tasse, prêt à être servi.

Entre temps, Lucius avait fait apparaître un parchemin et une plume.

– Notez-leur ce que vous désirez et ils trouveront, dussent-ils faire le tour du monde pour cela...

Harry s'exécuta en regrettant le désagrément et les inquiétudes qu'il causait aux elfes, et ils quittèrent la cuisine sous leurs regards soulagés.

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– Excusez-moi, j'en ai pour un instant, fit Lucius en ouvrant la porte d'un grand bureau plutôt sombre. J'ai besoin d'un livre qui est... quelque part dans ce bazar.

La seule fenêtre de la pièce, à demie voilée de lourdes tentures, éclairait mal les deux vastes bibliothèques aux teintes acajous qui couvraient les murs. Au centre, un bureau croulait sous les papiers et les livres, laissant un étroit espace de travail entre les encriers, les plumes, une tasse de thé vide et quelques bibelots étranges. Une veste abandonnée sur un fauteuil, des livres encore, en tas sur une table basse, des coussins en bataille sur le sofa sous la fenêtre... quelqu'un de débordé semblait vivre là et être parti dans la seconde en laissant les choses en plan derrière lui.

– Severus ne supporte pas que les elfes passent derrière lui pour ranger ses affaires... ce qui fait que son bureau est toujours dans un état...

Lucius s'était déjà penché sur la bibliothèque qui faisait face au bureau et cherchait sur les étagères, entre livres et objets de collection, l'ouvrage qu'il désirait tout en observant Harry du coin de l'œil.

Un véritable cabinet de curiosité s'étalait sous ses yeux : un fragment de corne d'éruptif, des fossiles d'animaux étranges, un scrutoscope qui semblait fait de nacre, une pierre de sang plus grosse que son poing, des statuettes anciennes et tout un tas d'objets qu'il n'identifiait même pas. Harry était fasciné, tout en ayant l'impression de pénétrer comme un voleur dans l'antre de Severus. Mais sa curiosité était la plus forte et il avança d'un pas dans le bureau tandis que Lucius égrenait les étagères.

L'endroit était fascinant, dégageant une atmosphère cossue et fantasque en même temps, une noblesse élégante réveillée par l'aspect hétéroclite et bohème des collections d'objets de Severus.

Un reflet attira son œil sur le mur qui cernait la porte d'entrée. Harry se retourna pour découvrir une nouvelle collection, de photos encadrées cette fois-ci, mais c'était de manière étonnante des photos immobiles et figées comme en faisaient les moldus. Il parcourut le mur des yeux, reconnaissant sans peine un ou deux clichés issus des voyages que Severus avait dû faire avec Lucius, des paysages somptueux et même une photo qui les montrait tous les deux, en maillot de bain, Severus le dos contre le torse de Lucius, dans ses bras, le visage éclairé d'un sourire radieux que Harry ne lui avait jamais vu. Ils étaient plus jeunes de quelques années, Severus n'avait pas encore les tempes argentées et Lucius était d'une beauté fascinante...

Il avait beau savoir que c'était bien eux sur la photo, Harry ne parvenait pas à les reconnaître complètement, surpris par la joie de vivre et le rire dans les yeux de Severus. À dire vrai, c'était du bonheur qu'il voyait dans ses yeux. Un bonheur difficile à admettre.

Il détourna le regard et son cœur se serra légèrement quand il reconnut Matt sur une autre photo. Plus jeune aussi, en tenue officielle, certainement le jour de sa remise de diplôme, avec un large sourire sur les lèvres. Derrière lui se tenait Severus en costume de cérémonie, la main posée sur l'épaule de son protégé, rayonnant d'une fierté incommensurable.

– Vous avez changé, depuis ! lança Lucius depuis la bibliothèque.

– Pardon ? fit Harry interloqué.

– Depuis la photo..., reprit Lucius en s'approchant de lui. Vous étiez jeune !

Il désignait un cadre, pourtant à hauteur des yeux, auquel Harry n'avait pas fait attention et où il se reconnut avec difficulté. Sans pouvoir s'empêcher de frémir quand il se souvint de cet instant-là.

Comment avait-il pu oublier cette soirée ? C'était impensable et pourtant ce souvenir était passé aux oubliettes depuis des années, refoulé sous d'autres plus amers et plus douloureux. Quand Harry avait commencé à s'intéresser à la médicomagie, tout en préparant ses Aspics, il avait obtenu l'autorisation de suivre l'enseignement du Collège de France sorcier par correspondance. Mais certaines conférences ou certains congrès n'étaient accessibles qu'en se rendant sur place et Severus avait obtenu l'autorisation exceptionnelle de pouvoir le conduire ce jour-là à Paris.

Même s'il ne l'avait jamais vue, Harry se souvenait parfaitement de l'instant où la photo avait été prise. À l'issue de la conférence, ils étaient restés dans la salle, attendant que la foule s'échappe peu à peu. Depuis un moment, Severus luttait contre une migraine qui l'avait pris au fur et à mesure des discours dont le son magiquement amplifié avait résonné trop fort dans la salle prestigieuse. En sortant enfin parmi les bons derniers, un photographe espiègle et frivole les avait pris pour cible et avait obtenu ce cliché unique, lui radieux dans ce lieu d'exception, au bras d'un Severus dont le regard noir de jais fusillait l'objectif. Harry se souvenait des commentaires envieux du jeune homme, qui aurait visiblement bien fait de lui son quatre-heures, juste avant qu'il n'éclate de rire et que Severus ne menace de le transformer en véracrasse. L'éclair de jalousie qui se lisait dans ses yeux avait fait fuir le photographe sans demander son reste.

En quittant le Collège, ils étaient allés dîner en tête à tête non loin, dans un restaurant chic aux nappes de damas et aux vins capiteux dont Harry avait gardé un souvenir ému. La douceur du printemps les avait retenus à se promener le long des quais, dans un Paris féerique et illuminé, empreint d'une poésie délicate. Il se souvenait d'avoir frissonné en admirant la cathédrale imposante posée sur son île et d'avoir senti le bras de Severus sur ses épaules le ramener contre lui et le prendre dans ses bras, l'enveloppant d'un écrin de tendresse qui l'avait bouleversé. Ils étaient restés un long moment immobiles, savourant une étreinte inédite et qu'il aurait voulue infinie.

– On vous reconnaît malgré tout, mais ce n'est pas évident, sourit Lucius à ses côtés.

Il lui fallut baisser le regard pour cacher sa gêne. Que savait Lucius de cette photo ? De ce moment particulier qui l'avait suivie et qui n'avait de sens que pour lui et Severus... De cet instant inoubliable qu'il avait pourtant remisé dans les méandres de sa mémoire.

Harry s'éloigna de la photo, peu désireux de montrer outre mesure son trouble et Lucius s'échappa vers la bibliothèque où il attrapa un petit livre rouge qu'il revint poser bien en évidence au centre du bureau, dérangeant dans son geste une petite balle aux reflets dorés qui roula doucement sur le cuir du sous-main. Harry la rattrapa d'un geste réflexe et sentit se déployer dans sa main les ailes fatiguées d'un vieux vif d'or. Il regarda longuement la minuscule sphère dont la couleur était passée depuis longtemps, devinant à peine les lettres gravées. Le vif avait dû épuiser sa magie à voler en liberté dans le bureau pendant des années et les ailes ne battaient plus que de temps à autre, animées d'un mince sursaut d'énergie au contact de sa main.

Cela aussi, il le reconnaissait. Le vif de son tout dernier match de quidditch à Poudlard, une victoire phénoménale sur l'équipe de Serdaigle qui avait permis aux Gryffondor de remporter la Coupe des Quatre Maisons. Une victoire mais aussi un match d'adieu. En descendant de son balai, il avait, comme les autres, fêté le succès de son équipe, défilant en hurlant sa joie au milieu du terrain, serrant dans son poing levé le vif d'or qui ne cherchait qu'à s'échapper. Près des tribunes officielles, il avait vu Severus qui venait à sa rencontre pour le féliciter et il avait sauté dans ses bras, ivre de bonheur. « Prenez-le » avait-il dit en lui fourrant le vif dans la main « Je vous l'offre ! Pour quand je ne serais pas là pour vous faire faire de l'exercice ! » C'était peu de temps après qu'ils aient passé une nuit ensemble et il donnait souvent dans la provocation pour faire réagir son professeur...

Le vif roula doucement sur le bureau jusqu'à se nicher entre deux livres et replia ses ailes fatiguées, s'abandonnant dans le sommeil éternel des objets dépourvus de magie.

Le mouvement de Lucius le tira hors de sa rêverie et il le suivit hors du bureau, refermant soigneusement la porte derrière lui.

oooooo

Le plateau chargé du thé de Lucius et de sa tasse de champurrado les attendait sagement, posé sur un guéridon dans la véranda qu'il découvrait pour la première fois. Une exubérance de plantes luxuriantes couvrait les murs et remplissait la pièce chaude et humide, lui donnant l'aspect d'une des serres de Neville. De grands papillons d'un bleu royal voletaient paisiblement autour de confortables canapés de chintz où ils s'installèrent pour déguster leurs boissons.

Harry n'était pas dupe des agissements de Lucius. Il était évident qu'il l'avait emmené à dessein dans le bureau de Severus pour qu'il voie cette photo et ce vif d'or. Pour qu'il voie ces souvenirs de lui que Severus conservait encore malgré les années. Il était resté présent dans l'esprit dans son ancien professeur durant tout ce temps où il avait été absent... Mais dans son cœur ? Y avait-il jamais été ?

.

Le chocolat n'avait pas tout à fait le goût qu'il aimait, mais c'était un agréable pis-aller en attendant de faire mieux. Les épices lui chatouillaient délicieusement le palais et les effluves lui avaient mis l'eau à la bouche bien avant d'en avaler la moindre gorgée. Harry se détendit lentement, brusquement conscient d'être resté tendu et les muscles contractés durant tout le temps qu'ils avaient passé dans le bureau.

Lucius s'était installé dans un fauteuil sur sa gauche, sans lui faire face, les jambes allongées loin devant lui et les yeux fermés, un air satisfait sur le visage.

– Pourquoi faites-vous cela, Lucius ?

– Faire quoi ?

Harry lui renvoya le même sourire faussement innocent qu'il osait arborer.

– Je suis si transparent ? minauda l'aristocrate.

– J'espère que vous manœuvrez mieux en politique que vous ne le faites avec moi...

Lucius haussa les épaules en souriant sans se formaliser.

– Pour vous donner des raisons de persévérer, de ne pas vous laisser abattre. Severus ne cherche pas à vous repousser. C'est juste un homme compliqué, et j'en sais quelque chose ! Il se protège...

– De moi ?

– Non. De ses propres sentiments...

Harry détourna le regard et ferma les yeux. Les paroles de Lucius lui avaient arraché un frisson.

– Et il cherche à me protéger aussi..., ajouta Lucius.

.

Un long moment passa tandis qu'il repassait dans son esprit les paroles de Lucius et leurs implications, et d'autres plus anciennes, des allusions plus ou moins voilées, des silences édifiants.

« Son bonheur passe par vous ».

– Je ne vous comprends pas, Lucius...

– Je ne cherche pas à être compris ! répondit-il avec un petit rire.

– Mais j'ai besoin de comprendre ! protesta Harry.

– Non. Vous avez besoin de lâcher prise...

Il secoua la tête en refusant de saisir ce que voulait dire Lucius. Tout ça allait trop loin, trop vite et il ne voulait pas se laisser entraîner malgré lui.

Un elfe de maison apparut devant eux et effectua une sorte de révérence.

– Maître, le secrétaire particulier du ministre Oakleby souhaite vous parler par cheminette.

– Faites patienter. Je viens.

L'elfe disparut et Lucius se redressa lentement, les mains posées sur les accoudoirs de son fauteuil.

– Le début des hostilités..., fit-il avec un sourire navré. Je suis désolé. Si jamais cela dure... ne m'attendez pas pour déjeuner.

– Mais...

Il était encore tôt dans la matinée. Est-ce que cela allait durer aussi longtemps ?!

– Faites comme chez vous. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez aux elfes.

Lucius s'éloignait déjà vers la porte de la véranda restée entrouverte.

– Est-ce que Severus doit rentrer déjeuner ?

Il se retourna, la main sur la poignée.

– Je ne suis pas sûr, mais je pense. Il avait prévu de fermer la Librairie quelques jours, sans doute va-t-il le faire de manière un peu anticipée.

– Pourquoi ? fit Harry en fronçant les sourcils.

– Tout le monde sait qu'il a mon oreille, lâcha Lucius d'un air désinvolte. Il va être sollicité lui aussi...

– Vous avez donc tant d'influence sur les décisions à venir ? s'étonna Harry.

– Il se peut...

oooooo

Harry avait lentement savouré sa tasse de champurrado tout en repassant dans son esprit les événements des derniers jours, puis les elfes étaient venus débarrasser le thé froid de Lucius. Il se leva et quitta la véranda. Sous la porte du bureau de Lucius filtrait le bruit d'une conversation et il reconnut, sans en comprendre les paroles, sa voix doucereuse mais chargée de menaces. Il en eut un long frisson dans le dos et se dirigea vers la Bibliothèque sans s'attarder.

Il se souvenait des ouvrages qu'il voulait consulter ou dont il voulait approfondir la lecture, en prit trois qu'il ramena dans la véranda et s'installa confortablement.

La lecture l'avait absorbée jusqu'au retour de Lucius sans qu'il ne voie le temps passer, mais il sentit son estomac s'éveiller à la faim en même temps que sa présence le réveillait.

Son hôte revint s'installer dans le fauteuil qu'il avait quitté quelques heures auparavant, un sourire neutre sur le visage.

– Tout s'est bien passé ? demanda Harry par courtoisie.

– C'est loin d'être fini..., assura Lucius sans s'étendre outre mesure.

Il semblait un peu fatigué et la concentration pendant l'entretien avait creusé un pli entre ses sourcils.

Un pas lourd dans le couloir leur signala le retour de Severus et il pénétra bientôt dans la véranda, se laissant tomber dans un fauteuil face à eux, le visage fermé et le regard sombre, les saluant à peine d'un signe de tête.

Lucius attendit quelques instants avant de s'adresser à lui.

– Quelque chose ne va pas ?

– Migraine.

Sa façon de répondre, froide et laconique, arracha presque à Lucius un soupir de lassitude qu'il retint au dernier moment. Il n'eut pas le temps de s'appesantir qu'un elfe faisait une nouvelle apparition au milieu de la serre.

– Maître, le ministre Oakleby souhaite s'entretenir avec vous par cheminette.

Cette fois, Lucius ne retint pas son soupir et glissa un coup d'œil navré vers Harry.

– Je viens...

Severus fronça les sourcils et son regard passa de l'un à l'autre avec défiance.

– Que se passe-t-il ? fit-il durement.

– Tu n'as pas lu les journaux ce matin ? l'interrogea Lucius.

– J'ai travaillé. Je n'ai pas eu le temps.

Le reproche était à peine voilé et Harry se sentit un peu gêné d'être là.

– Manfred est poussé vers la sortie, expliqua Lucius d'une voix neutre. Dans trois jours au plus tard, il démissionnera...

Les yeux d'encre de Severus devinrent plus sombres encore, fulminants d'une colère non dissimulée.

– C'était bien la peine de mettre ce pantin à cette place ! cracha-t-il. Et c'est donc pour ça que j'ai reçu de la visite ce matin ?! Un foutu journaliste qui voulait un entretien avec toi et un type du ministère qui voulait discrètement te faire parvenir un rapport ?!

Lucius ne répondait pas et son silence exaspérait visiblement Severus qui leva vers lui un doigt menaçant.

– Je ne te le dirai qu'une fois mais tiens-le toi pour dit ! tonna-t-il. Il est absolument hors de question que ce soit le même cirque que la dernière fois !

Jamais Harry ne s'était senti aussi déplacé et mal à l'aise que dans cette situation qui voyait les deux hommes s'affronter d'un regard flamboyant. Et la fureur qui se dégageait de Severus dépassait de loin ce dont il l'aurait cru capable vis à vis de son compagnon. La déclaration d'amour à peine voilée qu'il avait faite le matin même dans la piscine de la rotonde semblait à présent bien loin.

Malgré son regard qui n'en disait pas moins, Lucius gardait un calme et une maîtrise exemplaires. Il n'était pas homme à se laisser aller à vociférer en public.

– Plus tard, se contenta-t-il de dire froidement en se levant avant de sortir de la pièce.

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Harry baissa obligeamment les yeux vers le livre ouvert sur ses genoux. Il ne voulait pas rajouter au malaise ambiant par ses questions ou son attitude, et il laissait ainsi à Severus la possibilité de parler, de partir ou de fulminer tout à son aise.

Il le vit se lever, marcher un moment de long en large d'un pas énervé, puis se poster devant la baie vitrée, les bras croisés et un air inabordable sur le visage.

Contrairement à la première fois, Lucius ne fut pas long et les rejoignit quelques instants plus tard, aussi neutre et détendu que Severus était furieux et crispé. À peine son compagnon revenu dans la pièce, il se retourna et lui jeta un regard noir.

– Je vais nager une heure. J'ai besoin de me défouler.

– Le déjeuner va être servi dans cinq minutes, signala Lucius d'une voix égale.

– Vous vous passerez de moi ! Je n'ai pas faim !

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– Je suis désolé, Harry, fit Lucius d'une voix lasse, une fois Severus parti en claquant la porte. Il va se calmer...

– Ne le soyez pas. Je comprends..., dit-il avant d'hésiter. Ma présence est sans doute malvenue et il serait peut-être préférable que...

– C'est hors de question ! trancha Lucius sèchement.

Puis il se rendit compte que ses propos pouvaient être mal interprétés et il ajouta d'un ton plus doux :

– Vous êtes bien entendu libre de faire ce que vous souhaitez, mais je ne voudrais pas que vous partiez pour une simple querelle de couple... Il va se calmer et il va revenir...

Il l'espérait en tout cas.

.

oooooo

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Severus les rejoignit après le repas, alors qu'ils prenaient le thé dans le Petit Salon. Silencieux et l'air encore bougon, bien que son regard soit moins sombre, il arriva avec plusieurs livres anciens qui sentaient bon la poussière, s'installa sur le petit secrétaire qui meublait un pan de mur et déploya ses ouvrages devant lui pour poursuivre ses recherches. Ce n'était pas sa place habituelle près d'eux, mais il était là, travaillant sans un mot mais présent. Une façon de faire un premier pas sans s'excuser.

Lucius s'absenta encore un moment pour recevoir un énième homme politique et revint sans qu'un mot n'ait été prononcé en son absence.

En fin d'après-midi, Severus vint enfin se joindre à eux près de la cheminée où brûlait un agréable feu. Il s'assit dans son fauteuil habituel, se versa une tasse de thé et soupira.

– Je n'en ai trouvé mention nulle part..., fit-il comme s'il poursuivait une conversation dont lui seul se souvenait.

Lucius esquissa vers Harry un regard interrogateur puis demanda d'une voix affable :

– Trouvé mention de quoi ?

– De patronus multiples. Il se trouve que ce jeune homme, fit-il avec un mouvement de tête vers Harry, est capable de choisir son patronus.

Lucius ne cacha pas son étonnement et glissa vers lui un regard plein de questions. Harry ne put que confirmer d'un bref hochement de tête. Après tout, si parler de lui pouvait réconcilier les deux hommes, il s'y prêterait bien volontiers.

– Mon patronus..., commença-t-il à l'intention de Lucius. En quelque sorte, c'est comme s'il y avait un patronus dominant, spontané, et d'autres que je peux faire apparaître en sélectionnant le souvenir d'une personne précise.

– Mais son patronus principal a changé ! précisa Severus.

– Ce n'est plus le cerf de votre père ?

– Non. C'est un... un quetzal.

Lucius ouvrit des yeux ronds tandis que Harry se mordait les lèvres. Nul doute que Lucius se souvenait parfaitement à cet instant précis du moment où il l'avait vu dans son esprit.

– C'est un oiseau magique d'Amérique Centrale, expliqua Severus qui se méprenait sur le silence de son compagnon.

– Je sais parfaitement ce qu'est un quetzal, merci ! fit-il sèchement. Je suis juste... surpris.

Harry sentait peser sur lui le regard incisif de Lucius qui ne l'interrogeait pas pour autant, pour son plus grand soulagement.

– Vous ne m'avez d'ailleurs toujours pas dit à quelle occasion cela s'est produit, osa Severus sans vergogne, comme s'ils avaient partagé une longue conversation sur le sujet.

– Ce n'est pas quelque chose dont j'ai envie de parler.

Loin de le soutenir, il eut à affronter le regard un peu exaspéré de Lucius devant son mutisme tandis que Severus se renfrognait et se carrait dans son fauteuil. Fallait-il qu'il veuille les réconcilier pour faire autant d'efforts!

– … un jour où j'ai failli mourir de faim, de froid, de solitude et de folie au sommet d'une montagne, lâcha-t-il d'une traite. Un quetzal est apparu.

C'était le mieux qu'il pouvait faire, et c'était déjà bien plus qu'il n'aurait souhaité dire.

– C'est un phénix en quelque sorte..., compléta-t-il et il vit Severus frémir à la mention de l'oiseau qui l'avait ressuscité après avoir été laissé agonisant par Voldemort.

Lucius savait, pour l'avoir vu lorsqu'il lui avait ouvert son esprit, mais c'était autre chose que de l'entendre... Quant à Severus, l'explication ne l'avait pas laissé de marbre et il affichait un regard troublé et anxieux.

– Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que cela avait changé mon patronus... Ce n'est pas un sortilège dont j'avais souvent l'occasion de me servir, ricana Harry. Mais un jour de désœuvrement, j'ai voulu en faire apparaître un pour le faire évoluer dans l'obscurité, et c'est là que j'ai vu... Et en me concentrant pour essayer de revenir à mon patronus habituel, celui du cerf, j'ai compris que je pouvais également le faire apparaître. Ainsi qu'une dizaine d'autres...

Les deux hommes le regardaient en silence, interloqués.

– Et je ne trouve mention de ce phénomène nulle part, protesta à nouveau Severus.

– Tout n'est pas toujours écrit dans les livres..., fit Harry d'une voix plus douce.

Severus le fixa brusquement d'un regard douloureux. Étrange comme le souvenir d'Hermione pouvait ainsi ressurgir entre eux.

Une impression fugace le traversa avec émotion. L'impression que Severus avait, en arrêtant d'enseigner, repris le flambeau abandonné par son amie et l'avait porté avec dévotion pendant toutes ces années. Il aurait tellement bien vu Hermione à la tête d'une petite librairie dont elle seule aurait connu par le détail les rayonnages surchargés et le contenu de chaque livre, faisant de sa passion et de sa curiosité insatiable son métier, comme l'avait fait Severus aujourd'hui. La même dévotion, la même certitude que la connaissance était le fondement, la même envie d'apprendre. Harry était certain que Hermione se serait passionnée également pour la littérature non-sorcière ou la poésie, comme il avait pu en voir dans la bibliothèque du Manoir et il se demandait quel aurait été son livre préféré...

La confusion des sentiments, hein ? pensa-t-il soudain. Il n'avait toujours pas rendu le livre à Severus...

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– Qu'avez-vous fait après Beauxbâtons ? demanda Severus, creusant un peu plus une ancienne conversation.

Il semblait que le temps de ses confessions était venu. Les questions inquisitrices de l'ancien professeur ne lui laissaient aucun répit et Lucius l'encourageait sans cesse d'un regard muet.

– Au début, je suis parti vers l'Asie, raconta Harry. À Beauxbâtons, je m'étais beaucoup intéressé à la médicomagie traditionnelle et aux plantes. L'herboristerie, la botanique, la médecine, et dans une certaine mesure, les potions, sont finalement des disciplines très proches, et indispensables les unes aux autres.

Harry aperçut Severus hocher la tête brièvement mais il évitait les regards des deux hommes pour pouvoir poursuivre.

– En quittant la France, reprit-il, j'ai poursuivi un projet de recherche qui m'a emmené en Chine et au Tibet. Leur pharmacopée traditionnelle nous dépasse depuis des millénaires et il y a forcément des choses à en apprendre... De fil en aiguille, je suis descendu vers le sud, à la recherche de plantes rares. Certaines forêts primitives sont encore vierges de toute trace humaine et des centaines de végétaux – et d'animaux, d'ailleurs – n'ont jamais été recensés... J'ai longtemps vécu en Indonésie, dans des endroits reculés, quasi inaccessibles. Des centaines d'îles ne sont même pas habitées !... J'ai côtoyé quelques peuples, des échanges de savoirs au départ... Je soignais parfois des malades qu'ils n'arrivaient pas à guérir, et ils me montraient certaines plantes... J'ai fini par m'installer dans une tribu, quelques années sans doute... J'ai partagé leur vie quotidienne et j'ai beaucoup appris sur leurs croyances traditionnelles qui contiennent une bonne dose de magie primitive. Certains d'entre eux étaient quasiment des sorciers, mais sans éducation magique... chose qui m'avait déjà frappé au Tibet. Je suis alors reparti pour m'intéresser davantage à cet aspect des choses et j'ai traversé le Pacifique vers l'Amérique du Nord, puis Centrale, à la recherche des différentes formes de chamanisme et de magie qu'on y pratique... Je ne sais pas ce que je peux dire de plus...

Harry avait été bien plus complet que la première fois qu'il en avait parlé mais il voyait bien au regard de Severus que ce n'était pas suffisant à ses yeux.

– Qu'en avez-vous appris ? demanda-t-il.

– Je ne saurais vous dire ! fit Harry avec un petit rire. C'est tellement vaste !... Je reste fasciné, poursuivit-il devant l'attitude renfrognée de Severus, par les connaissances de ces peuples « primitifs »... C'est bien au-delà de ce que l'on peut imaginer, en terme de sciences, de médecine, et même de magie. Bon nombre de ces chamans ou de ces magiciens sont de vrais sorciers, autant que nous, mais leur pratique de la magie n'a jamais été perfectionnée. Elle est fruste, comme celle des enfants lorsqu'ils n'ont pas encore reçu d'éducation sorcière, mais elle est présente. Et la pratiquer sans baguette ne les aide pas. Mais certains sont capables de sortilèges imprécis, d'ébauches de métamorphose, d'élaborer des potions... Les guérisseurs sont souvent des médicomages qui s'ignorent, et leurs phénomènes de transes, induites ou non, ne sont pas loin de nos prophéties.

– Pourquoi ne sont-ils pas recensés et envoyés dans des écoles de sorciers, dans ce cas ? fit Lucius.

– Parce que l'accès à cette éducation sorcière n'est réservée qu'aux populations déjà favorisées... N'avez-vous jamais trouvé étrange la disproportion entre les écoles de magie et la population qu'elles concernent ? Une seule école pour toute l'Afrique, deux pour tout le continent américain, alors qu'en Europe nous avons Poudlard, Beauxbâtons, Durmstrang pour un territoire bien plus petit et une population en proportion... Et l'éducation familiale n'est qu'un leurre qui ne concerne là non plus que des peuples déjà favorisés. Parmi les peuples « primitifs », la transmission du savoir ne se fait qu'oralement, par transmission filiale ou bien par cooptation. Mais ils ont un savoir très riche dont nous avons oublié bon nombre de choses pour ne nous concentrer que sur une forme très élitiste de la magie.

– C'est certain, acquiesça Severus. Je le vois bien depuis que j'ai ouvert la Librairie... Nous sommes peu nombreux à nous intéresser aux savoirs anciens ou perdus. Par exemple, pour beaucoup les runes ne sont qu'une langue morte à savoir traduire pour les buses ou les aspics... Peu connaissent encore la magie qui leur est liées...

Harry leva un moment son regard vers Severus, songeur. C'était la première fois qu'il entendait son ancien professeur parler de sa Librairie et de ce qui le passionnait. C'était inédit et une certaine curiosité le piqua.

– J'ai toujours eu horreur des runes, fit Harry en riant. Je suis heureux d'apprendre qu'il y a quelque chose de plus intéressant derrière !

– C'est la même chose pour les symboles anciens comme le pentagramme ou le décadion, reprit Severus.

– Ou la magie liée aux saisons et aux événements de la vie comme la naissance et la mort...

Ils se regardèrent tous deux intensément. Pour une fois, ils se comprenaient et partageaient un intérêt commun. Leur communion d'esprit sauta aux yeux de Harry et il en fut troublé, tandis que Lucius les observait d'un air amusé.

– J'ai toujours trouvé étrange, reprit Harry, que les sorciers ne s'intéressent pas non plus à la magie d'autres êtres qu'eux. Les gobelins ont une puissance assez insoupçonnée, dont nous n'avons jamais rien appris, et les elfes de maison circulent librement dans les demeures de bon nombre d'entre nous alors que nous ne comprenons même pas la magie dont ils sont capables.

– Les gobelins n'ont de pouvoir que celui de diriger Gringotts, fit Lucius.

– Détrompe-toi, le contredit Severus. Les gobelins sont capables d'une magie que nous ne comprenons pas bien, la plupart du temps sans baguette... Et les enchantements dont ils dotent leur orfèvrerie peuvent être très puissants, en bien comme en mal d'ailleurs. Certains n'ont rien à envier aux pires livres de magie noire de ta bibliothèque...

– C'est vrai que c'est surprenant que nous ayons laissé toute la vie économique du monde magique transiter entre les mains d'un peuple que nous ne connaissons pas, admit Lucius, songeur.

– Quant aux elfes de maison, ajouta Harry en riant, ils transplanent dans vos maisons comme si elles étaient ouvertes à tout vent et même là où vous n'en êtes pas capables, comme au Ministère ou à Poudlard...

– Comment se fait-il d'ailleurs que vous soyez capable de transplaner à Poudlard comme vous l'avez fait avec moi ? l'interrogea Severus en fronçant les sourcils.

Lucius lui jeta à nouveau un regard interrogateur. Est-ce que Severus lui avait même parlé de cette escapade au Sarawak ?

– Je ne sais pas, j'en suis capable, c'est tout. Les elfes le peuvent, Dumbledore le pouvait aussi... À force d'apprendre et de côtoyer d'autres savoirs, ma magie a évolué... Elle s'accorde sur certains lieux de magie comme Poudlard, le Manoir et me permet d'y accéder...

– Est-ce que vous seriez capable de transplaner dans ou hors du Manoir sans avoir été ajouté aux barrières magiques ? s'alarma Lucius.

Harry étouffa un rire devant les inquiétudes de son hôte.

– Vous avez peur que je prenne la poudre d'escampette ?

– Plutôt que n'importe qui soit capable de faire comme vous et de pénétrer dans le Manoir sans autorisation ! Ça veut dire que nous n'aurions plus aucune défense...

L'image de Harry se flouta légèrement, comme un léger dédoublement, devant les regards surpris des deux hommes.

– Oui, je peux, acquiesça-t-il en reprenant une apparence normale. Mais je doute que beaucoup de sorciers en soient capables, et je vous montrerai comment bloquer ce phénomène... Mais il faudra m'emmener au cœur de la magie du Manoir.

Lucius hocha la tête d'un air troublé. La perspective que la sécurité du Manoir ne soit pas celle qu'il avait toujours cru le dérangeait profondément et il lui tardait de remédier à cela, dusse-t-il en passer par Harry. Et heureusement, il avait suffisamment confiance en lui pour cela.

– Je croyais que seuls les membres de sang de la famille pouvaient manipuler la magie du Manoir ? dit Severus avec le regard sombre.

Nul doute que lui ne le pouvait pas en tout cas...

– Normalement oui, fit Harry évasif. Mais ce n'est pas certain. Tout dépend comment a été conçue la magie du lieu. Elle est parfois accessible à d'autres... À Poudlard, le directeur peut influer sur la magie du château sans être du sang des fondateurs. Et dans beaucoup d'autres lieux magiques, elle est accessible sans limites... Les protections qui ont été mises à l'origine comptent beaucoup; parfois c'est la magie de sang, parfois d'autres formes de magie...

.

– Comment se fait-il que vous n'ayez plus de baguette ? l'interrogea Severus plus tard.

Lucius s'était mis en retrait de la conversation et semblait réfléchir davantage sur ses tractations politiques qu'il n'était présent avec eux. En revanche, Severus poursuivait toujours son interrogatoire, comme s'il était essentiel qu'il tire de lui tout ce qu'il pouvait avant que la porte des confidences ne se referme.

– Un jour, je l'ai perdue. Bêtement. Brindille parmi les brindilles. Ma magie était différente, handicapée à ce moment-là. Je n'ai pas su la retrouver. Et quand la magie est revenue, j'ai appris à faire sans, je n'en avais plus besoin... Après tout, la baguette n'est qu'un instrument qui permet de canaliser la magie. D'augmenter un peu sa puissance et de la maîtriser plus facilement. Mais elle n'est pas indispensable... Les premiers accidents de magie des enfants ont souvent lieu sans baguette !

– Pourquoi dites-vous que votre magie était handicapée ? fit Severus qui ne se laissait pas dévier de son idée première.

– Il y a eu une période où j'ai perdu quasiment tout pouvoir magique, avoua Harry, résigné. Pour des raisons que j'ignore... J'étais incapable de la moindre étincelle de magie.

– Est-ce que cela correspond au moment où vous êtes passé près de la mort ?

– Oui, grinça-t-il en serrant les dents.

– Qu'est-ce qui a causé la perte de votre magie ?

Harry déglutit péniblement, le regard fixé sur le feu qui ronflait dans la cheminée. Un léger raclement de gorge en provenance de Lucius vint rompre le silence et il l'en remercia en son for intérieur. Severus dut comprendre le message car il ne s'attarda pas et repartit dans une autre direction.

– Comment se fait-il que votre magie s'adapte si facilement ? Au Sarawak, vous m'avez dit qu'elle s'adaptait au lieu presque instantanément, et là, vous dites qu'elle s'adapte à celle de Poudlard ou du Manoir ? C'est en lien avec ce qui s'est passé avec le quetzal ?

– Je ne sais pas, fit Harry en soupirant. Peut-être... Vous avez beaucoup voyagé, vous savez que certains endroits sont plus difficiles pour s'acclimater que d'autres; le phénomène est aussi plus important dans les campagnes ou les endroits reculés que dans les grandes villes... Et plus on vit longtemps dans un endroit, plus la magie y est habituée... Il y a aussi une adaptabilité personnelle qui joue... Et certains lieux ont aussi une magie très différente de la normale, des territoires sacrés ou consacrés, ou qui sont porteurs d'un tabou. Du coup, la magie y est beaucoup plus difficile d'accès. La mienne est devenue très souple, très malléable et lorsqu'elle s'accorde à un lieu, elle peut y puiser de la puissance...

– Qu'entendez-vous par « territoire porteur d'un tabou » ?

– Dans certaines cultures, c'est l'antithèse du sacré. Il est porteur d'une croyance qui le rend inviolable, intouchable, parfois l'interdit concerne même le fait de le mentionner...

– Comme pour le nom de Voldemort pendant la Guerre ? l'interrompit Severus.

– Non, parce que ce n'est pas le fait d'un sortilège. C'est la magie d'un lieu qui devient presque... négative, et dans les sociétés environnantes, il devient tabou et dangereux. Y pénétrer est synonyme de châtiment ou de malédiction, pas par le fait des hommes, mais par la magie du lieu. Déclarer un tabou est en fait un moyen de protéger les gens d'une magie qui dégénère...

– Qu'est-ce qui est susceptible de faire dégénérer la magie d'un lieu ?

– Le fait de répandre un sang sacré... la profanation des rituels ou d'un lieu sacré...

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– Vous connaissez bien la magie des gobelins ? demanda Harry encore plus tard.

– Un peu, répondit Severus. Je me suis surtout intéressé aux enchantements qu'ils utilisent sur les métaux qu'ils forgent. Ils se rapprochent un peu des enchantements liés aux runes, que je connais beaucoup mieux. Mais quand on combine les deux, cela peut donner des résultats assez étonnants...

– Des enchantements de quel type ? De protection, des maléfices ?...

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La conversation les avait menés jusqu'au dîner, où Lucius était resté étrangement silencieux, se contentant de suivre les échanges entre les deux hommes, puis au-delà du dîner, Severus s'avérant être une source inépuisable de curiosité et de savoir.

Peu à peu, Harry avait retrouvé avec une émotion qu'il dissimulait difficilement, l'ancien professeur sous l'homme froid et distant. Le discours, le verbe, la ferveur de transmettre... Severus était passionné et passionnant, et il comprenait mieux à présent l'admiration et l'engouement que Matt pouvait lui vouer. Il aurait tant voulu connaître Severus ainsi lorsqu'il était élève à Poudlard, tant voulu d'un enseignant aussi investi. Un immense élan de tendresse le traversa sans qu'il n'en puisse rien montrer.

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Après le dîner, Severus revint avec plusieurs ouvrages dont il montrait le contenu à Harry, expliquant encore et encore des notions de magie ancienne, signalant des sortilèges oubliés, des enchantements complexes dont il lui détaillait les runes dans un dictionnaire. Ils finirent par investir la Bibliothèque, étalant autour d'eux sur la table de travail, nombre de livres dont la richesse et la rareté égalaient ceux de Poudlard ou des plus grandes universités.

Lucius s'était retiré dans son bureau en s'excusant, les visites de la journée ne lui avaient pas permis de rattraper son retard sur la gestion de l'empire Malfoy et il profitait de leur tête à tête pour s'absenter quelque peu.

Harry interrogeait Severus avec avidité. Le temps de ses confessions était révolu pour l'instant et il n'était question que de curiosité et de savoir. De sensualité aussi un peu... Il y eut des frôlements, des effleurements, des mains qui pointaient le doigt pour souligner un passage et passaient si près de sa propre main, des fois où Severus revenait avec un nouveau livre qu'il posait devant eux et il se penchait au-dessus de lui pour chercher une page, se collant si près que Harry pouvait percevoir les battements de son cœur... Il y eut même une main posée sur son épaule, si forte, si pressante qu'il douta un instant de sa capacité à ne pas l'étreindre. Il y eut des mots, prononcés d'une voix si dangereusement basse et si près de son oreille que les cheveux en bataille de Severus le chatouillèrent et il se retint d'y glisser les doigts avec bonheur et d'attirer cette bouche plus près de sa peau. Tout un ballet de contacts étonnés, de gestes légers et pas si chastes, de caresses ébauchées sous le couvert de paroles pleines de savoir.

Bien plus tard, Lucius revint les trouver, leur disant qu'il montait se coucher. Il se glissa entre eux, où pourtant il n'y avait pas beaucoup d'espace, posant sur l'épaule de chacun un bras léger et apaisant. Un rire lui échappa lorsqu'il vit le désordre sur la table et la quantité de livres ouverts en tous sens, agrémentés de symboles et de runes auxquels il n'entendrait jamais rien. Il se moquait de lui-même avec bonheur et un rien de fatigue, puis d'un geste soudain et plein de tendresse, il glissa un baiser sur la tempe de Severus et leur souhaita bonne nuit.

Il ne leur fallut que quelques secondes pour le suivre. Il était tard et la lassitude se faisait sentir également. Ils se quittèrent sur un regard qui donna à Harry l'impression de plonger avec ravissement dans un puits sans fond et sans lumière, et Severus disparut d'un pas empressé dans la chambre de Lucius.

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oooooo

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Harry ne regrettait rien. La conversation avait été riche et passionnante, et le puits de science qu'était Severus l'avait fasciné. Il avait tout aimé de cette soirée, autant ce qu'il avait appris que la disponibilité et l'intérêt de Severus. Pour la première fois, il avait eu l'impression de l'avoir tout entier pour lui, sans partage et sans faux-semblant. Attentif et curieux. Il avait aimé chaque seconde de leur discussion, chaque instant où il l'avait senti présent, sincère vis à vis de lui, chaque moment furtif où leurs peaux s'étaient effleurées, où leurs gestes les avaient rejoints dans une communion de sensualité. Et même si le fait dérangeant de se confier avait été un préalable, il n'en regrettait aucun mot qui avait su les emmener à ce moment de partage.

Il savait que Lucius n'était pas venu dans le but de les interrompre ou de les séparer, mais simplement pour les prévenir qu'il montait. Son baiser furtif avait été spontané et dénué de toute arrière-pensée et Harry en avait été délicieusement ému. La jalousie ou tout autre sentiment de contrariété n'avaient pas surgi: au contraire, il avait plutôt ressenti du désir, une certaine curiosité piquante d'en découvrir davantage sur eux, sur leur tendresse et leurs gestes intimes. Une certaine envie de vivre la même chose aussi, de recevoir ou de donner la même affection douce et sincère.

Il ne regrettait pas cette interruption, pas plus que ce qui aurait pu se passer si elle n'avait pas eu lieu. Pour l'instant, il n'en souhaitait pas plus, pas tout de suite... Il voulait savourer d'abord ce qu'il avait reçu, l'attention, la considération; savourer jusqu'à la dernière goutte la saveur incomparable d'avoir senti Severus à lui seul dévoué pendant ces quelques heures, profiter jusqu'à plus soif de ces souvenirs tout frais et si délicieusement ancrés dans sa peau, de son corps qui avait vibré si près du sien, de sa main si possessive sur son épaule, de son souffle sur sa nuque ou dans son cou.

Harry fit des rêves étranges cette nuit-là, peuplés de signes et de symboles, d'oiseaux magiques et de runes qui dansaient des sarabandes dans un rituel d'union. Peuplés de désir aussi, un désir lancinant et pulsatile, qui avait pour visage deux vastes puits noirs et sans fond, et une bouche qui récitait des incantations d'une voix rauque.

Ce fut un gémissement qui le tira du sommeil et il ouvrit de grands yeux étonnés en comprenant qu'il sortait de sa propre gorge. Et en percevant les vagues de plaisir puissantes et rythmées qui secouaient son corps de manière spasmodique. Le souffle court et le dos couvert de sueur, il reprit peu à peu ses esprits avant de se rendre compte de la présence entre son ventre et le drap d'une matière gluante qui séchait lentement.

Il se leva d'un bond, plus qu'embarrassé de ce qu'il avait fait et jeta un sort de nettoyage sur le lit. Et la douche la plus froide eut du mal à le calmer lorsque lui revinrent en mémoire les images et surtout les sensations de ses rêves.


Merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. N'hésitez pas à me dire ce qui touche, ce que vous trouvez triste ou émouvant, je suis curieuse de vos impressions...

Au plaisir de vous lire

La vieille aux chats