Résumé: Harry se glisse doucement dans la vie du Manoir, témoin aussi bien des habitudes d'un couple qu'il ne veut pas briser que de leurs disputes. Malgré tout, sa fascination pour Severus grandit, nourrie par les confidences de Lucius et les souvenirs de lui qu'il découvre dans le bureau de son ancien professeur.

à Marion: Je déplore encore une fois de ne pouvoir te répondre directement ;) Pour le coup, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ta critique sur l'univers pas assez étoffé à ton goût autour de HP. Elle a tout de même "créé" un background assez riche, avec aussi bien des lieux, que de la faune et de la flore, des modes de transport et de communication, une monnaie et un système économique, un univers politique, législatif et judiciaire qui lui est propre, un contexte historique, sans compter toute l'exploitation de la magie et un nombre de personnages très conséquent. Et quand on écrit, plus on ajoute d'éléments, plus il est difficile de les exploiter "correctement", c'est-à-dire de les faire vivre assez pour qu'ils deviennent un vrai "fond sonore" de l'histoire... Il y a souvent trop de choses à dire. Même dans cette histoire qui est pourtant assez conséquente, j'ai parfois jeté des pistes que je n'ai pas réussi à réexploiter derrière... Peut-être que l'univers de HP nous est devenu trop familier pour qu'on en mesure toute la richesse (bon nombre de gens n'ont jamais connu un monde sans HP! :D) Ou peut-être que cet univers est trop parallèle au nôtre pour qu'on y voie une vraie différence (au contraire de la SF ou de la vraie Fantasy par exemple). En tout cas, je suis ravie si ces passages t'ont plu et je te remercie à nouveau de ton commentaire et de ton intérêt.

Quant à Lucius, il ne vise que le bonheur de Severus, mais Harry est attachant et sa présence lui apparaît peu à peu comme une évidence...


Harry perçut le bruit léger des éclaboussures avant même de sortir de l'escalier en colimaçon. Dans le silence du Manoir, le son cristallin des projections d'eau signalait sa présence dans la rotonde.

À peine le rideau magique franchi, il se figea dans une contemplation muette. Le soleil levant inondait la salle et la piscine d'une intense lumière rose orangée, colorant la surface de l'eau de reflets de feu qui ondoyaient au rythme de son mouvement. Le vue plongeante sur le jardin baigné d'un jour nouveau donnait l'impression de percevoir le parfum des roses naissantes et même le chant des oiseaux.

Sous ses yeux étonnés de lumière, Severus enchaînait les longueurs de piscine avec une régularité implacable. Chacun de ses bras fendait la surface de l'eau, l'un après l'autre, d'un mouvement précis et puissant, à un rythme aussi constant qu'un métronome. Le reste de son corps semblait presque invisible, sous la surface de l'eau, propulsé par un geste net et rigoureux. Il ne pouvait en être autrement. Sans cela, cela n'aurait pas été digne de Severus. En toute chose, il mettait la même froideur calculée, la précision implacable qui faisaient de lui ce qu'il était.

Harry restait immobile, fasciné par ces épaules puissantes, ce mouvement inexorable, infini, que faisait chaque bras après l'autre, pénétrant dans l'eau sans presque en déranger la surface. Quand trouvait-il même le temps de respirer ?

Au bout du bassin, Severus finit par s'arrêter, se hissant sur le bord de la piscine, et remarqua enfin sa présence.

– Est-ce que je prends donc tant de place dans la piscine, Potter, que vous n'osiez me rejoindre ?

Sa façon de secouer la tête pour chasser l'eau qui ruisselait de ses cheveux avait quelque chose de terriblement... Harry n'osait même pas poser un mot sur ce sentiment mais il eut légèrement chaud et les souvenirs entêtants de ses rêves ressurgirent jusque dans son ventre qu'ils traversèrent de fourmillements intenses.

– Je ne voulais pas vous déranger, fit-il avec un petit sourire.

– Vous ne me dérangez jamais...

Harry fit rapidement glisser au sol pantalon et chemise, ne gardant que le boxer qu'il avait pris soin d'enfiler en dessous, et plongea dans l'eau. Il était grand temps de se rafraîchir les idées.

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Il se laissait porter par l'eau, tranquillement, savourant la douce étreinte tiède qu'elle lui procurait. Severus était là, non loin, presque indifférent à sa présence, le regard perdu dans les lumières changeantes du ciel bordé de rouge et d'orangé. Avait-il joué avec les biches ce matin ?

Du coin d'un œil qu'il espérait discret, Harry ne pouvait s'empêcher de l'observer. La veille, il l'avait vu dans une pénombre qui ne divulguait que les contours de sa silhouette, et immergé dans l'eau jusqu'au torse. Il découvrait avec émerveillement et envie le corps qu'il avait si peu connu, et si longtemps auparavant... Les épaules larges et façonnées par la pratique quotidienne de la natation, les muscles secs, précis, à l'image de l'homme, jusque sur ce ventre imberbe et qui semblait si doux et si accueillant. Des jambes solides et fermes, à la peau plus pâle encore que celle du torse, mais légèrement voilée de poils bruns. Harry ne voulut surtout pas s'arrêter sur l'entre-deux, promesse de plaisirs qui ne lui étaient pas destinés.

Severus replongea dans l'eau après un frisson et ils nagèrent un moment de concert, parcourant paresseusement la piscine.

Et puis il y eut ce moment de légère folie où Severus s'ébrouait les cheveux, debout au milieu de la piscine, et il ne put s'empêcher de plonger pour lui saisir les jambes et le renverser dans une gerbe d'eau qui éclaboussa jusqu'aux baies vitrées, aussi espiègle et insouciant qu'un adolescent. Harry émergea à la surface en éclatant de rire, le cœur léger et ravi de sa plaisanterie, cherchant des yeux avec méfiance l'homme qu'il trouva juste en face de lui au bout de quelques instants. Severus avait un sourire carnassier sur les lèvres, ses bras l'avaient ceinturé avant même qu'il ne comprenne quoi que ce soit, ses propres bras plaqués le long du corps, et ils le maintenaient immobile avec une force étonnante.

Plaqué contre le corps qui l'attirait tant, Harry ne pouvait plus bouger et il ne doutait plus des bienfaits inattendus de la natation sur la puissance physique de Severus. L'étreinte se resserrait inexorablement, lui coupant lentement le souffle. À moins que ce ne soit pour une toute autre raison... Une douleur sourde mêlée de plaisir envahissait peu à peu ses bras et l'ensemble de son corps et il retint de toutes ses forces un gémissement d'excitation. Contre sa hanche, celle de Severus ne laissait plus aucun doute et son regard sombre brillait de désir.

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L'eau envahit brusquement sa bouche et son nez, noyant son regard d'un miroitement trouble. Harry battit des bras en arrière, cherchant son équilibre, avant de trouver, loin sous la surface, le fond de la piscine qui lui permit de reprendre pied. En remontant, il inspira goulûment l'air libre, un peu sonné et hagard, cherchant des yeux la silhouette de Severus et il croisa instantanément son regard noir. Son visage grimaçait, déformé par une rage sourde et profonde.

– Foutez-moi le camp, Potter ! grinça-t-il entre ses dents.

Effaré, incapable de comprendre ce qui avait motivé son changement d'attitude et le cœur brutalement percé d'une douleur aiguë, Harry regagna le bord et se hissa hors de la piscine. Sans même prendre la peine de se sécher ou d'aller ramasser ses affaires qui étaient bien trop près de l'endroit où se tenait Severus, il sortit de la rotonde et s'échappa dans l'escalier en colimaçon.

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Dans sa chambre, il retint à grand peine l'envie furieuse de balancer son poing à travers les fenêtres et sa magie bouillonna longtemps dans la pièce avant qu'il ne parvienne à se calmer.

Rien. Il ne comprenait rien au comportement de Severus. Tantôt il faisait un pas vers lui, tantôt il freinait des quatre fers. Il avait pourtant bien perçu son désir dans son regard. Contre sa hanche. Imposant. Manifeste. Il n'avait pas rêvé ! Et brusquement, cette colère. Severus l'avait repoussé sans ménagement. Il avait presque vu sa haine. Son désir de lui faire mal, cette fois. De le meurtrir. Il y avait si bien réussi !

Après la colère, une peine immense lui vrillait le cœur. Comment pouvait-il en quelques heures être si loin de la communion d'esprit qu'ils avaient connue dans la Bibliothèque la veille au soir, à fureter côte à côte dans des livres anciens, à partager tant de connaissances, de connivence et une proximité pleine d'attentes. Comment était-il capable d'une telle volte-face ? Et le regard de rejet et de mépris que lui avait lancé Severus en le chassant hors de sa vue lui rappelait bien trop d'autres regards de rejet et de mépris qu'il lui avait lancés autrefois.

Malgré les belles paroles de Lucius, Severus n'avait pas changé, incapable de sentiments à son égard autres qu'une cruauté malveillante. La seule chose qui l'attirait vers lui n'était que le pur désir physique qui lui échappait parfois.

Qu'importe. Il était là pour revoir Draco. Il serrerait les dents et supporterait sa présence en attendant. Et en se tenant loin de lui.

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Harry fit bonne figure au petit-déjeuner et se montra serein et détendu, l'absence de Severus y étant pour beaucoup. Feinte et difficile au début, sa bonne humeur revint rapidement au fur et à mesure de sa conversation avec Lucius et de la dégustation du chocolat parfumé qu'il était descendu se faire en cuisine. Inconscient de ses tourments, ou au contraire bien plus habile à le deviner qu'il ne voulait bien l'admettre, l'aristocrate avait ce don particulier de le tirer hors des sujets qui le mettaient mal à l'aise et de glisser avec ravissement dans des futilités sans embarras, des discussions oisives ou politiques qui l'entraînaient loin de ses préoccupations.

Severus ne fit qu'une apparition brève et muette pour prendre un café qu'il emporta presque aussitôt dans la Bibliothèque.

Le regard exaspéré de Lucius sur son compagnon qui s'éloignait tira à Harry un sourire triste. Ses manœuvres n'arriveraient à rien devant l'entêtement et la dureté de Severus.

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Bientôt, un elfe se présenta dans la Salle à Manger avec un courrier en provenance du Ministère et deux autres lettres sous pli scellé qui luisaient doucement d'un sort de protection. Nul doute qu'elles seraient détruites par le sortilège si quelqu'un d'autre que leur destinataire ne les ouvrait.

Lucius décacheta les trois enveloppes et les parcourut les unes après les autres.

– Que feriez-vous à ma place ? demanda-t-il soudain d'un air las. Dois-je honorer mes promesses passées ou bien dois-je songer à ce qui est le mieux pour l'avenir du pays ?

– Vaste question ! fit Harry en riant. La loyauté ou la justice ? Le devoir ou la raison ?... C'est un dilemme que les hommes n'ont pas réussi à trancher depuis des millénaires ! Je dirais... tout dépend de l'importance de ce qui vous lie aux promesses que vous avez faites et aux gens à qui vous les avez faites...

– Le jour où j'ai fait cette promesse, elle était l'évidence même, soupira Lucius. Et je la pensais sans limite de temps et sans conditions... Aujourd'hui, les choses ont changé.

– Qu'est-ce qui a changé ? demanda Severus d'une voix grave en venant s'asseoir à sa place.

– Tractations politiques..., fit Lucius en désignant les lettres qu'il parcourut à nouveau d'un œil avant de les jeter dans le feu de cheminée derrière lui. Les trois parchemins se consumèrent rapidement en projetant dans l'âtre des flammes bleues et vertes.

Severus haussa un sourcil étonné mais s'abstint de tout commentaire. Il se contenta de picorer un toast et des œufs brouillés, l'air sombre et le nez sur son assiette.

Harry et Lucius échangèrent un regard sans un mot. Après la querelle d'hier, Lucius ne tenait visiblement pas à parler des événements politiques avec Severus et Harry n'allait certainement pas se mêler de cela.

– Je vais abuser de votre présence, Harry, fit Lucius au bout d'un moment. J'aurais besoin que vous complétiez le stock de potions du laboratoire. De la pimentine, des potions contre la fièvre, de sommeil sans rêves, des potions contre la douleur ainsi que des pommades ou des onguents de cicatrisation.

Severus manqua de s'étouffer avec son toast et Lucius lui lança un regard moqueur.

– Les filles de Draco arrivent dans quelques jours et je ne voudrais pas manquer de quoi que ce soit, ajouta-t-il d'un ton doucereux.

– Bien sûr ! s'empressa de répondre Harry. Je vous l'ai déjà dit... si je peux vous être utile à quoi que ce soit...

La demande soudaine de Lucius lui paraissait un peu étrange et il avait bien senti que sa morgue était davantage destinée à Severus qu'à lui. Mais souhaitait-il l'éloigner quelques heures dans le laboratoire ou était-ce un réel besoin ? Et s'il souhaitait l'occuper ailleurs, dans quel but était-ce ? Pour pouvoir travailler lui-même ou pour parler librement à Severus ? Ils en avaient pourtant eu l'occasion la veille au soir...

Harry sentait bien quelque chose d'incongru dans la situation, mais il n'allait pas demander davantage d'explications, surtout en présence de Severus. Lucius lui en dévoilerait sans doute les raisons, un jour, au détour d'une toute autre conversation, comme il savait si bien distiller les informations avec son air et ses manières plus innocents qu'ils ne l'étaient réellement.

Qu'importe. Il se retira de bonne grâce, mais son sourire à l'adresse de Lucius montrait bien qu'il n'était dupe de rien.

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ooOOoo

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Un éclair sombre jaillit de la baguette de Severus tandis que Lucius tournait un regard surpris vers Harry.

La porte de la salle de duel n'était pas verrouillée par un sort, il s'était senti le droit d'entrer, puisque personne ne répondait. Au vu des déflagrations et des explosions qu'il perçut brusquement à l'intérieur, ce n'était guère étonnant : le bruit de Lucius et Severus en plein entraînement avait dû couvrir ses paroles.

Le visage de Lucius passa brusquement de la surprise en le voyant à une terrible grimace de douleur lorsque le sortilège de Severus le toucha au bras. Le corps de l'aristocrate sursauta sous la puissance, puis retomba d'une masse sur les tatamis d'entraînement. Harry se précipita. À genoux près de l'homme inconscient, il dégagea rapidement son bras coincé sous son corps et l'examina. La chair semblait se déstructurer lentement, des parties entières de l'avant-bras devenaient translucides, ondulant quelques secondes avant de se désagréger comme si la matière en était pulvérisée. Il jeta sa magie sur le bras, au moins pour bloquer la propagation du maléfice tandis que Severus, abasourdi par ce qu'il avait fait, s'approchait pour tenter un contresort.

– Restez où vous êtes ! gronda la voix menaçante de Harry. Vous avez fait assez de dégâts comme ça. Tenez vous loin de lui !

– Vous n'allez pas me dire ce que j'ai à faire, Potter ! siffla Severus entre ses dents.

– Je vais vous dire en tout cas ce que vous n'allez pas faire ! se mit-il à crier. Vous n'allez pas lui faire plus de mal que ce n'est déjà le cas ! Vous êtes inconscient ! Il se remet à peine de deux mois à Sainte-Mangouste, il n'a pas repris toutes ses forces et vous l'entraînez dans un combat où vous ne retenez même pas vos coups. Il avait baissé sa garde !...

Le visage de Lucius était pâle et crispé par une douleur insoutenable. Severus, lui, fulminait tout en essayant de se contenir.

– Lucius n'est pas un enfant, il sait ce qu'il fait ! Et nous avons l'habitude de ce genre d'entraînement.

– Il n'est pas rétabli ! hurla Harry. Et vous l'avez pris en traître !

Severus devint livide.

– Occupez-vous de lui puisque vous y tenez tant. Mais ne vous mêlez pas de ce qu'il y a entre lui et moi !

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Severus tourna les talons d'un air rageur, se dirigea hors de la salle de duel et claqua violemment la porte derrière lui. Il fallait qu'il se défoule et qu'il évacue la colère qui bouillonnait en lui. Et mieux valait qu'il passe sa rage sur lui-même plutôt que sur celui qui allait soigner Lucius.

D'un pas rageur, il franchit les quelques mètres qui le séparaient de la rotonde, fit disparaître ses vêtements d'un sortilège qui laissa des morceaux de tissu lacérés au sol et plongea dans la piscine. Aujourd'hui, il avait besoin de suer sang et eau, d'aller au bout de lui-même, de se faire mal jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Il ne s'arrêterait pas avant que ses muscles ne le supplient, pas avant que la douleur ne le fasse plier.

Traître ! Ce mot-là résonnait comme une marque d'infamie qui le poursuivait depuis des années. Malgré tout ce qu'il avait fait, rien ne pourrait effacer ses actions premières, la tache qui était sur son âme, ceux qu'il avait tués ou torturés. Rien ne le rachèterait jamais vraiment. Par Merlin, il s'était pourtant donné tout entier à la lutte pour chercher un pardon illusoire. Mais ce mot dans sa bouche était pire que tout ! Nul ne savait mieux que lui, pas même Lucius, tout ce qu'il avait fait pour Dumbledore et pour l'Ordre. Ce qu'il avait risqué. Ce qu'il avait enduré. Mais pour tous, de tout temps, il était resté le traître, celui dont on ne savait pas vraiment de quel côté il avait penché, celui dont on se défiait. Les regards étaient toujours restés méfiants à son égard, bien plus que face à Lucius. Il ne savait pas inspirer la même confiance sucrée comme lui le faisait. Il se sentirait à jamais un paria.

Severus était d'autant plus meurtri et blessé qu'il savait que Potter avait raison. Il était en colère, en colère contre Lucius et en colère contre Potter, et il n'avait pas retenu ses coups. Il avait pris Lucius en traître alors même qu'il l'avait vu baisser légèrement sa baguette quand la porte s'était ouverte sur Harry. Et ça n'était pas la faute de Harry. N'importe quand d'autre, il savait que les réflexes de Lucius lui auraient permis d'éviter le sort et il avait compté là-dessus. À n'importe quel autre moment, sa baguette aurait lancé un bouclier de protection, un contresort, n'importe quel mouvement réflexe qui aurait ne serait-ce que dévié son maléfice. Mais pas aujourd'hui.

Lucius était encore convalescent et il n'avait pas voulu le voir. Il avait passé trop de temps à veiller ce corps émacié, aussi livide que les draps blancs de l'hôpital. Pendant des semaines, s'épuiser de le croire perdu, la douleur d'une solitude folle et obsédante. Un manque abyssal. Maintenant, il voulait retrouver le Lucius qu'il connaissait, fort et arrogant, l'esprit rusé, l'allure élégante et digne. Il voulait tirer un trait sur cette période sombre, la gommer de son esprit, effacer ce qu'avaient pu être leurs faiblesses à l'un et à l'autre. Lucius n'était pas un faible; il était un pilier, qui ne flanchait pas, son alter ego et Potter ne pourrait jamais s'immiscer là-dedans. Il ne comprendrait jamais ce qui les unissait, le lien qui les soudait depuis plus de trente ans... La force de leurs sentiments et cette sorte de communion d'âme qui faisait battre leur cœur, bien au delà des désirs du corps ou des élans de passage.

Et pourtant, qu'il avait été attirant dans sa colère à lui, viscérale, presque animale. Une lionne qui bravait le danger pour défendre son lionceau, toutes griffes dehors. Et la lueur sombre que Severus avait vue briller dans ses yeux avait éclaté en une rage ténébreuse qui sonnait comme un avertissement.

Mais Lucius, lui, comprendrait ce qui s'était passé. Lucius comprenait tout, même ses désirs pour ce foutu morveux.

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Quand sa colère se fut suffisamment estompée pour laisser surgir l'épuisement et la douleur, Severus remonta dans sa chambre pour prendre une douche et se changer. Sur leur lit, Lucius était allongé, endormi, son bras gauche bandé jusqu'au coude et posé sur un oreiller pour rester légèrement surélevé. Severus s'assit juste à côté de lui, soucieux, et lança de sa baguette un sort de diagnostic.

Il n'y avait pas été de main morte ! Le maléfice qu'il avait lancé était puissant, Lucius l'avait pris de plein fouet et vu son état, il avait fait des dégâts... Mais Potter avait réussi à contenir puis à réparer ses méfaits. Il fallait maintenant laisser les baumes agir pendant deux ou trois jours avant que Lucius ne recouvre l'usage de son bras. Et pour l'heure, une potion de sommeil et contre la douleur le maintenait au lit pour accélérer la guérison.

Il ne pouvait qu'être reconnaissant envers Potter; sans lui, Severus aurait dû ramener Lucius à Sainte-Mangouste. Ce morveux était presque effrayant. Sa magie était démesurée et il n'arrivait même pas à la comprendre. Est-ce que ce foutu gamin s'était seulement rendu compte que sa magie l'avait physiquement empêché de s'approcher ? Il avait senti une résistance massive dans l'air quand il avait voulu rejoindre Lucius, mais Potter était bien trop occupé à le soigner... Cela tenait davantage d'une magie réflexe que d'une réelle intention. Ceci dit, Potter n'était vraisemblablement plus un gamin depuis bien longtemps.

D'une main hésitante, Severus caressa le visage de Lucius, dégageant une mèche de ses cheveux d'un blond presque blanc, et passa lentement le pouce sur sa pommette encore trop saillante. Il n'avait vraiment pas retrouvé sa condition physique antérieure. Et les kilos qui lui manquaient se voyaient en creux sur chaque centimètre carré de son corps lorsqu'il le voyait nu. Il lui faudrait attendre encore un peu plus longtemps pour le retrouver dans toute sa splendeur. Il prit la main tiède de Lucius dans la sienne pour la porter à ses lèvres, le cœur empli de culpabilité.

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– Il va bien, dit posément Harry, appuyé de l'épaule contre le chambranle de la porte.

À présent que Severus lui en avait expliqué le fonctionnement, il percevait les enchantements liés aux runes, présents un peu partout dans la maison. Même si le tracé en restait le plus souvent invisible à ses yeux, la magie était dense, surtout autour de la salle de duel et de leur chambre, et dans cette position, elle picotait presque dans son bras.

– Il lui faudra deux ou trois jours pour retrouver pleinement l'usage de ses muscles et la sensibilité, reprit-il. Quelques jours de plus pour consolider les os, mais dans une semaine, il n'y paraîtra plus.

– Je sais, fit Severus d'une voix morne. Merci.

Merlin que ça lui coûtait de dire ça ! Mais la gratitude était réelle. Il aurait juste préféré ne pas avoir à l'exprimer...

– Je suis désolé, reprit Harry depuis l'entrée de la chambre, de ce que je vous ai dit tout à l'heure. Mes paroles ont été trop loin sous le coup de la colère...

Severus resta bouche bée. Entendre des excuses de sa bouche était... Il était estomaqué. Potter capable de dire qu'il était désolé et qu'il avait été trop loin ! Malgré sa colère manifeste après son rejet dans la piscine ce matin ! Mais s'il comptait qu'il en fasse autant, il se fourvoyait !

– Je ne vous demande rien..., sourit Harry.

– Ne lisez pas dans mon esprit ! gronda Severus, la menace dans la voix tout en vérifiant ses barrières mentales.

– Je ne lis pas dans votre esprit ! fit Harry en riant, mais sur votre visage comme dans un livre ouvert !

Son rire était franc, presque dénué de moquerie. Il avait retrouvé sa légèreté, maintenant que Lucius était tiré d'affaires, et il n'avait plus rien de la lionne qui avait sorti ses griffes tout à l'heure. Il semblait avoir oublié son geste de rejet également, la façon brutale et instinctive dont il l'avait repoussé dans la piscine, à moins que cela ne l'ait pas atteint... Il avait l'ait si insouciant à présent.

– Je vous laisse. J'étais juste venu vous donner des nouvelles...

Severus ne sut quoi dire en le voyant se retourner pour partir. Il n'allait pas sans arrêt le remercier, non ?

– Ah et, Severus... ? À l'avenir, essayez de ne pas systématiquement ruiner mes efforts pour le soigner...

Et il s'en fut dans le couloir avec un petit rire ensoleillé.

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Severus resta longtemps au chevet de Lucius, écrasé de culpabilité et écartelé entre les sentiments contraires qui s'affrontaient en lui. Il savait bien que sa présence était inutile. Lucius dormirait jusqu'au lendemain d'un sommeil serein, et Harry avait lancé des sorts pour être alerté en cas de réveil ou de complication. Mais c'était bien le seul endroit où il était légitime.

Il se carra un peu plus dans le fauteuil qu'il avait tiré près du lit et allongea loin devant lui ses jambes croisées. L'heure du déjeuner était passée depuis bien longtemps mais il n'avait pas faim. Le visage de Lucius était détendu et apaisé, bien davantage que lors de son séjour à Sainte-Mangouste en tout cas. La couleur gris anthracite des draps faisaient ressortir sa peau pâle, mais sans lui donner cet air malade et épuisé qu'il avait alors dans les draps blancs de l'hôpital. Malgré les années et le temps qui passaient, il était beau. Il restait beau.

D'une beauté très noble et très froide, d'un classicisme étonnant, presque sculptural. Il vieillissait moins que lui, de toute évidence. Ses traits étaient moins marqués, les quelques cheveux blancs se fondaient dans la masse déjà si claire et son corps restait sec et souple sans le moindre effort. Il ne manquait que l'éclat gris orageux de ses yeux et cette étincelle de supériorité narquoise qui le faisait si bien tourner en bourrique. Lucius lui manquait. Fallait-il qu'il ne s'en rende compte que lorsqu'il lui était inaccessible ?!

Une énième migraine s'annonçait avec une lenteur démoniaque. Severus savait qu'il devait aller parler à Potter, mais en avoir conscience ne signifiait pas qu'il était facile de s'y résoudre. Il avait eu tort de le repousser ce matin, mais son geste pour se préserver de ses propres désirs avait été instinctif. Il avait tort en tout cas de n'être pas allé s'excuser, il avait tort sans doute sur beaucoup de choses mais il n'était qu'un homme, comme lui avait si bien dit Potter à Poudlard... Quels avaient été ses mots déjà ? « On est tous un jour, ou injuste, ou lâche, ou imparfait »... Il était sans doute tout cela à la fois.

oooooo

Plusieurs chaudrons bouillonnaient de concert dans le laboratoire baigné de vapeurs blanches. Des odeurs d'armoise et de dictame lui sautèrent brusquement au nez et sa migraine s'éveilla tout aussitôt, intense et pulsatile comme Severus n'en avait pas connue depuis longtemps. Il lui fallait pourtant prendre sur lui, il n'allait pas renoncer à présent qu'il avait pris sa décision.

Penché sur sa table de travail où il découpait d'un geste précis et habile des racines d'asphodèle avant de les jeter dans une préparation en cours, Potter l'avait accueilli par un sourire neutre et s'était replongé dans son travail.

– Est-ce que je peux vous parler, Potter ?

– Allez-y.

Severus grimaça. Il n'allait pas tenir longtemps dans le laboratoire avec de telles émanations.

– Ailleurs et tranquillement. Je ne voudrais pas que votre manque de concentration au cours d'une potion ne fasse exploser le Manoir.

Il regretta ses paroles à peine les avait-il prononcées. Pourquoi fallait-il sans cesse qu'il soit arrogant et méprisant à son égard ? Pourquoi ne pouvait-il pas lui parler normalement comme il l'avait fait à Poudlard ou hier soir dans la Bibliothèque ?

Harry serra les dents et son couteau marqua un infime temps d'arrêt avant de reprendre son geste assuré. Il ne leva pas pour autant le regard vers lui.

– Rien de ce que vous pourriez me dire ne saurait avoir assez d'importance pour me déconcentrer, Severus.

Sa voix avait prononcé son prénom d'une façon étrange, sifflante, presque menaçante et qui lui rappelait les intonations du fourchelang. Et ce mépris dans ses paroles... Il l'avait bien cherché après tout !

Potter leva brusquement la tête pour fixer quelque chose sur le pas de la porte et Severus se retourna pour se retrouver face à un elfe de maison qui se tordait les mains et s'inclina d'un air mortifié.

– Qu'est-ce qu'il y a encore ?! gronda-t-il.

– Maître Lucius avait rendez-vous à Gringotts aujourd'hui, Monsieur, gémit la créature terrorisée devant son regard noir. Et un courrier vient d'arriver dont le hibou attend une réponse, Monsieur...

– Et merde ! lâcha-t-il spontanément. Je dois m'occuper de ça aussi maintenant !

Il se tourna à nouveau vers Potter qui n'avait pas perdu un mot de l'échange et qui le regardait maintenant avec attention. Son attitude avait perdu la morgue qu'elle affichait quelques instants auparavant et il attendait à présent de voir ce qu'il allait faire.

– Pourrons-nous parler au dîner ? soupira Severus.

– Cela ne peut pas attendre demain ? fit Potter d'un air presque gêné. Je crains de ne pas être là au dîner. Je vais à Poudlard tout à l'heure et je pense que je dînerai là-bas...

Un pincement au cœur étreignit Severus. Quand Harry avait-il décidé cela ? Ce matin après l'épisode de la piscine ? Ou bien une fois Lucius soigné et endormi jusqu'au lendemain ? La perspective d'un tête à tête toute la soirée avec lui l'avait sans doute conduit à préférer s'éloigner.

– Bien. Je... Eh bien quand vous pourrez..., fit-il d'un ton las et résigné. Passez une bonne soirée...

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ooOOoo

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– Harry ? sourit Matt, éberlué. Quelle bonne surprise !

Il s'approcha et le prit dans ses bras sans autre formalité, dans une étreinte pleine de chaleur et de joie.

– Ça fait plaisir ! s'exclama-t-il. Mais que fais-tu là ? Tu as déjà craqué ?

– Pas encore, répondit Harry en riant. Mais j'ai besoin d'un bol d'air !

– À ce point ? demanda Matt en l'entraînant vers son salon.

– Là, j'ai besoin d'aller faire un tour en balai. Et après, j'aurai besoin de rire, de boire, de parler sans faire sans cesse attention à ce que je dis, de boire encore et de rire encore jusqu'à plus soif !

– Tu sais bien que c'est le genre de programme qui me plaît ! fit Matt avec un sourire jubilatoire. Dois-je appeler des renforts ?!

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– Severus, cette longue jupe fendue vous va à ravir !

Potter, assis en tailleur en haut de l'escalier principal, les cheveux et les vêtements autant en bataille que le tapis précieux dans lequel il venait de se prendre les pieds. Autour de lui, plusieurs elfes de maison paniqués et qui ne savaient que faire, que Severus renvoya d'un signe de tête. Il baissa les yeux sur lui-même pour comprendre de quoi parlait ce fieffé imbécile; sans doute le kimono qu'il avait enfilé à la va-vite en entendant le raffût dans le Manoir et qui dévoilait ses jambes par ses pans entrebâillés.

– Potter, que se passe-t-il ? fit-il en rangeant sa baguette.

– Je ne voulais pas vous réveiller, Severus ! Pardon, pardon, pardon ! J'ai préféré transplaner dans le jardin pour éviter un accident... mais les elfes n'ont pas taillé les racines des arbres dans l'escalier et...

Cette voix traînante et pâteuse, ces yeux mi-clos dont il peinait à soulever les paupières, ses gestes hachés et pleins d'emphase, l'odeur d'alcool qui se dégageait de lui à plusieurs mètres... Potter était ivre mort.

– Vous êtes saoul, Potter !

Celui-ci leva un doigt docte dans un simulacre professoral et Severus se demanda un instant s'il ne se moquait pas de lui.

– Vous avez raison, Severus ! Je reconnais que cette fois-ci, nous avons commis quelques excès !... Que voulez-vous, Irina nous a offert une vodka de toute beauté ! Autant qu'elle, et c'est peu dire... Vous connaissez les russes, Severus !... Oh, c'est rigolo, ça rime...

Potter laissa échapper un petit rire niais et il semblait tout content de sa trouvaille.

– Ça suffit, Potter ! Vous allez réveiller Lucius ! Levez-vous et aller vous coucher !

Il secouait la tête avec l'air obstiné d'un enfant de trois ans.

– Je ne crois pas non... À moins de m'y traîner à quatre pattes... et je sais que c'est un spectacle qui vous ravirait, petit coquin ! Je crois que je vais rester dormir ici... Les tapis sont moelleux et confortables et je vous promets de ne pas vomir dessus...

Potter s'était couché sur le côté, roulé en boule et fermait les yeux en faisant mine de ronfler. Effectivement, Severus n'aurait pas dit non au spectacle proposé, mais Lucius dormait et il ne voulait pas prendre le risque que cet idiot le réveille par son esclandre, malgré la potion de sommeil. Il s'approcha et mit un genou à terre près de Potter. Heureusement qu'il avait les yeux fermés et ne voyait pas le kimono qui s'échancrait largement sur son boxer, sinon nul doute que Potter y aurait été de son petit commentaire.

Severus glissa un bras sous ses jambes, l'autre sous ses épaules et le souleva du sol. Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur l'effet que lui faisait Potter dans ses bras, que son mouvement l'avait déjà tiré de sa léthargie. Harry glissa aussitôt ses bras autour de son cou en s'y accrochant avec passion.

– Severus..., gémit-il. Vous êtes grand, vous êtes beau, vous êtes fort... et tellement gentil !

S'il avait encore des doutes, l'haleine de Harry et son discours exalté lui auraient confirmé son ivresse plus que manifeste.

– Vous êtes mon prince charmant ! Je vous aime, Severus ! Épousez-moi !

De ses doigts soudain moins maladroits, Harry tentait avec insistance de dompter ses mèches argentées à l'arrière de son oreille et Severus frissonna sous la caresse. La porte de la chambre de Potter était bien évidemment fermée et il le colla sans ménagement contre le mur le temps de se débrouiller avec la poignée pour ouvrir.

– Oh oui ! Prenez-moi contre la porte, Severus !

Un Potter langoureux se tenait devant lui, glissant ostensiblement une main aventureuse sur son torse par l'échancrure de son kimono. S'il lui prenait des envies lubriques, maintenant !

Il reprit Potter dans ses bras et le porta jusque dans la chambre.

– Oh, regardez ! C'est mon lit ! Ce sera tellement plus confortable !

Severus s'en approcha et le déposa sans ménagement non plus sur le lit.

– Taisez-vous et dormez maintenant !

– Ah non ! Pas question de dormir !

Potter avait saisi son poignet et le tirait vers lui avec une force étonnante.

– Allez ! Je sais que tu en as envie Severus ! Viens !

Avec un geste brusque du bras, Potter s'était déshabillé d'un sortilège et caressait à présent son propre ventre d'une main effrontée. Son corps nu alangui sur les draps de satin était paré d'une érection très généreuse sur laquelle le regard de Severus s'attarda plus de raison.

– Severus, prends-moi !... Touche-moi, suce-moi, baise-moi, Severus !

Sa voix était devenue rauque, très animale, et Severus réprima un nouveau frisson tandis que la main du jeune homme tentait de se frayer un chemin le long de sa cuisse entre les pans du kimono.

– Je saurais vous ressortir ces paroles demain matin, quand vous serez un peu plus sobre, Potter ! fit-il narquois.

– Sors plutôt ta grosse queue et prends-moi, bon sang !

Là, ça n'était plus possible ! Severus sortit rapidement sa baguette et lui lança un sort de mutisme. Mais il en fallait plus pour calmer les ardeurs de Potter dont les mains baladeuses remontaient dangereusement vers son entrejambe. En désespoir de cause, il usa d'un sortilège de croix de Saint-André. Lucius l'utilisait parfois sur lui lors de leurs soirées un peu spéciales et Merlin savait qu'il était diablement efficace.

Les deux poignets maintenus écartés loin l'un de l'autre de chaque côté de sa tête et les deux chevilles plaquées contre le lit également, muet, Potter était à présent hors d'état de nuire, si ce n'était le spectacle affolant qu'il offrait. Mais c'était sans compter son ivresse lascive et les mouvements impétueux de ses hanches soulevées de désir.

Severus aurait pu le laisser ainsi jusqu'au matin mais il n'était pas un homme sans cœur. Il descendit rapidement au laboratoire pour chercher une potion de sommeil sans rêves et la lui administra de force. Aussitôt, les sortilèges se délièrent et le corps de Potter s'abandonna mollement dans les draps. Pour la potion contre la gueule de bois, en revanche, il ne fallait pas trop lui en demander !

oooooo

Severus frappa longuement à la porte de Harry sans obtenir de réponse et finit par l'entrebâiller pour ne trouver qu'une chambre vide. Visiblement, il avait suffisamment émergé de son coma éthylique pour en sortir ou transplaner ailleurs.

Dans la Salle à Manger, les elfes avaient dressé la table comme chaque matin, mais personne n'était encore venu petit-déjeuner. Il descendit jusqu'à la rotonde et aperçut la silhouette de Potter dans la piscine, dont seule la tête dépassait de l'eau.

– Déjà debout ? fit-il d'un ton moqueur.

Potter tourna la tête et lui adressa un large sourire amusé.

– Déjà debout oui ! Et presque pas mal à la tête !

Severus hocha la tête, vaguement contrarié. Ce n'était pas très juste, vraiment ! Il aurait dû le laisser attaché et muet toute la nuit pour lui servir de leçon !

– J'étais venu vous dire que Lucius était réveillé, annonça-t-il tranquillement. Il bouge ses doigts correctement, et la sensibilité est normale... Et j'étais venu vous remercier... pour tout ça.

– Je monterai le voir tout à l'heure, répondit Harry. Et je suis heureux pour vous que tout aille bien. Merci d'être venu me le dire...

Il s'apprêtait à faire demi-tour et à sortir lorsque Potter le rappela.

– Severus ? fit-il d'une voix douce. Je suis désolé pour hier soir... Je ne voulais ni vous réveiller, ni faire d'esclandre dans la maison...

Harry s'était rapproché du bord et se hissa hors de l'eau pour lui faire face plus dignement.

– Vraiment... Je suis navré et je vous présente mes excuses...

– C'est devenu une habitude de vous montrer nu devant moi, monsieur Potter ?

Harry eut un temps d'arrêt, saisissant sa tenue et le sens de ces paroles que venait éclairer un vague souvenir de la soirée précédente.

– Oh merde ! lâcha-t-il avec un rire gêné. J'espérais que cette partie-là n'était qu'un pur produit de mon imagination ! Je pense que vous pouvez cesser de me donner du « Monsieur » après ce que je vous ai dit hier soir ! J'ai eu des mots un peu crus, il me semble ?

– C'est le moins qu'on puisse dire ! ricana Severus.

– C'est embarrassant, n'est-ce pas ?

– Sans doute plus pour vous que pour moi !

Un sourire espiègle affleurait sur ses lèvres, loin de l'embarras qu'il disait éprouver.

– Peu importe. Ça fait du bien de lâcher prise parfois, et j'en avais besoin ! Vous devriez essayer, Severus ! dit-il d'un air malicieux.

Potter fit quelques pas pour aller attraper une serviette qu'il noua autour de sa taille, cachant ainsi sa nudité trop voyante. Il était aussi alléchant de dos que de face, et les légers creux sur les côtés de ses fesses soulignaient admirablement bien leur rondeur. Severus savait déjà où ses mains se poseraient d'elles-mêmes si jamais...

En revanche, il se demandait toujours d'où provenait cette immense cicatrice qui courrait tout le long de son dos, disparaissant sous les cheveux au niveau de la nuque et descendant jusqu'au sillon entre les fesses.

Potter se retourna et son regard se fit plus sérieux.

– Vous vouliez me parler hier, Severus ? Et... Je suis désolé mais... je n'étais pas très disponible...

Pas disponible ? Trop empressé de le fuir et d'aller se saouler, c'est certain !

– Ça ne fait rien. Je dois remonter voir Lucius mais... il faut que nous parlions.

Potter le regardait d'un air étrange, circonspect et curieux à la fois, troublé par son insistance tout autant que par la main que Severus avait posée sur son bras en parlant, sans même en avoir conscience. Il la retira brusquement en percevant le long frisson qui parcourait Potter sous ses yeux. Lucius l'attendait, ce n'était pas le moment.

– Severus ? fit encore Potter tandis qu'il passait sous le rideau magique.

– Oui ? demanda-t-il en se retournant.

– Merci d'avoir pris soin de moi hier soir...

Severus sentit une vague chaleur lui monter au visage.

– Soin de vous ?

– Vous auriez pu laisser les elfes se charger de moi... Et je sais que vous êtes resté un moment après que je me sois endormi. J'ai senti vos enchantements ce matin...

Diable soit ce Potter ! Il aurait vraiment dû le laisser cuver son alcool et sa migraine !

oooooo

– Je ne cesserai jamais de vous remercier, Harry, fit Lucius avec un sourire amusé. Si cela continue, je vais faire de vous mon médecin personnel !

Harry remontait vers l'étage quand il avait entendu des voix en provenance de la Salle à Manger. Il y avait découvert Lucius et Severus attablés et tout sourire, et s'était joint à eux pour un petit-déjeuner tardif.

– J'espère surtout ne plus avoir à vous soigner ainsi ! ironisa-t-il avec un coup d'œil vers Severus qui cachait mal son embarras.

– Cela me servira de leçon, fit Lucius en haussant les épaules. Ne jamais baisser sa garde en est une que nous avons tendance à oublier...

Harry fronça les sourcils devant l'air sérieux de son hôte. Ils n'étaient plus en guerre tout de même... une certaine relâche était compréhensible. Mais Lucius était et resterait sans doute un homme exigeant. Envers lui-même plus que tout autre.

– Pas de douleur ? s'enquit-il pour détourner la conversation.

– Rien d'insurmontable. C'est plus gênant que ça n'est douloureux, répondit Lucius en soulevant son bras dont un bandage renforcé par un sort empêchait la mobilité normale. Il va juste falloir trouver une excuse plausible pour cet incident... Par les temps qui courent, les soupçons vont bon train !

Severus esquissa une grimace et sembla hésiter avant de parler.

– J'ai oublié de te dire que j'avais reporté ton rendez-vous à Gringotts à demain...

– J'aurais pu y aller aujourd'hui, mais bon...

– … et j'ai renvoyé un message à Antonius Greengrass pour dire ton indisponibilité hier soir... Mais vu la situation, il a dû prendre ça pour un signe négatif quant à ton implication à leurs côtés...

Un court instant, Lucius laissa échapper le masque d'indifférence et un air franchement ennuyé apparut sur son visage. Puis il se reprit et haussa à nouveau les épaules.

– C'est certain qu'il l'a pris comme un désaveu mais on ne peut pas revenir en arrière. Ça permettra de voir qui s'implique si je ne soutiens pas...

Malgré sa lecture assidue des journaux depuis son arrivée au Manoir, Harry ne comprenait rien à la situation politique actuelle. Les alliances passées des uns et des autres n'y apparaissaient qu'en filigrane et ne lui donnaient pas assez de profondeur de vue pour saisir les mouvements de chaque pion et les implications de chaque déclaration publique. Et surtout, il ne savait pas vers où et qui allaient les sympathies de Lucius et il n'osait pas vraiment le lui demander. Severus avait l'air un peu plus au courant, mais gardait visiblement ses distances de lui-même.

– Du travail en perspective, conclut simplement Lucius. Puis il se tourna vers lui et ajouta d'un air ironique : Severus m'a dit que vous aviez fait une petite escapade à Poudlard ?

Un sourire gêné lui échappa puis Harry éclata de rire avec légèreté. Severus tenait là une petite vengeance personnelle.

– Oui, la soirée fut très arrosée, et nous avons dû boire un peu pour nous réchauffer !

Tout était vrai, mais ils en comprendraient ce qu'ils voudraient, évidemment.

.

Avec Matt, ils étaient partis sur le terrain de Quidditch, empruntant des balais anonymes dans les vestiaires pour s'amuser un peu. Harry avait lâché un vif d'entraînement, mais Matt était un piètre attrapeur et il s'était contenté de le regarder voler de long en large comme un fou. L'orage qui menaçait était arrivé sur eux plus vite qu'ils n'eurent le temps de réagir et ils étaient rentrés au château rincés, trempés et bons à essorer. Avant même d'aller dîner dans la Grande Salle, ils avaient déjà pris un ou deux remontants et le repas en avait été largement raccourci, mais ils y avaient croisé Luna et surtout Irina, belle en diable, qui les avait invités dans ses appartements personnels.

La soirée avait été de nouveau arrosée, mais par l'alcool cette fois-ci et Irina avait tenu haut la main la réputation que Matt lui avait faite, à savoir qu'il ne fallait jamais la concurrencer quand il s'agissait de boire.

La vodka avait abreuvé leur soirée jusque tard dans la nuit, il y avait eu des rires idiots, des paroles étranges et des jeux stupides dignes des collégiens qu'ils n'étaient plus depuis longtemps. La curiosité les taraudait mais n'ayant pas grand-chose à raconter de sa vie, Harry avait bu bien davantage que les autres. La seule chose qu'il leur avait concédée était l'anecdote de cette nuit furtive avec Severus lors de sa dernière année. « Je le savais ! » s'était exclamé Matt avec un sourire jubilatoire « Je savais qu'il y avait eu quelque chose ! ». Mais Harry s'était bien gardé de préciser que sa potion n'avait peut-être pas eu l'effet escompté !

Un sourire nostalgique avait traîné sur le visage de Luna, et elle avait avoué spontanément avoir eu un béguin pour Harry cette année-là. « Parce que tu étais le seul à m'entendre » avait-elle dit d'une voix trouble. Puis la jeune fille fantasque d'autrefois avait révélé le visage d'aujourd'hui et elle avait raconté des anecdotes de la vie tumultueuse passée avec son ex et les orages conséquents qui l'avaient émaillée. Luna avait dévoilé un caractère de lionne, impétueux et colérique quand on la poussait trop loin.

Irina, elle, avait confié des fantasmes étonnants, dont certains les avaient presque mis mal à l'aise, et d'autres n'avaient mis mal à l'aise que Matt avec qui elle semblait les avoir réalisés. De lui, Harry savait déjà qu'il aimait autant les hommes que les femmes, mais pas qu'il était aussi coureur que le laissaient supposer les paroles d'Irina. Et le seul aveu fiable qu'il avait obtenu de lui avait arraché des gros yeux à Luna, qui semblait très bien savoir de qui parlait Matt lorsqu'il disait que son cœur était pris par un professeur de Poudlard. Après avoir repassé de long en large dans son esprit tous les professeurs qu'il avait rencontrés, Harry était resté dubitatif. Aucun n'était libre ou susceptible de correspondre au peu qu'en disait Matt, mais il était vrai qu'il ne connaissait pas les enseignants des classes supérieures de botanique et de médicomagie. L'argument lui avait paru un peu forcé, et pour se venger de cette pirouette, il lui avait posé une autre question qui le taraudait. Mais la réponse ne l'avait pas satisfait là non plus. À savoir si Matt avait éprouvé un quelconque béguin pour Severus, il s'était contenté de hausser les épaules en levant les yeux au ciel.

En rentrant, l'ivresse mêlée à une forme de jalousie avaient conduit Harry au pire des comportements dont il affectait de ne garder qu'un souvenir fugace. Et comme lorsque Severus lui avait avoué que sa potion n'avait sans doute pas fonctionné durant la seule nuit qu'ils avaient passée ensemble, il devait aujourd'hui faire profil bas et regarder Severus savourer son embarras.

Cependant, Harry aurait été bien curieux de savoir ce qu'il avait raconté exactement à Lucius. Si l'attitude de Severus avait été irréprochable, qu'en était-il de ce qu'il avait ressenti ? Et pour fuir les questions embarrassantes de son compagnon, il avait peut-être gardé un silence salutaire. La tentation était grande d'en savoir un peu plus...

– J'espère que vous me pardonnerez ces déclarations d'ivrogne et ces paroles un peu crues ! sourit Harry à l'attention de Severus.

Il vit Lucius tourner aussitôt un œil interrogateur vers son compagnon avec un sourire goguenard et un sourcil levé. Le silence de Severus et son regard, entre gêne et exaspération, voulaient tout dire. Il n'avait dû faire à Lucius qu'un résumé très succinct de ce qui s'était passé.

Et en même temps, Harry lisait dans ses yeux un amusement non dénué de respect pour le piège qu'il venait de lui tendre.

– Je vous mettrais bien au défi de répéter tout ce que vous avez dit hier soir, mais je ne sais pas qui serait le plus gêné des deux...

Harry éclata de rire sans pouvoir empêcher une légère rougeur de lui monter aux joues.

– Effectivement ! Match nul, dirons-nous...

Le regard faussement outré de Lucius passa de l'un à l'autre.

– Comment ça « match nul » ?! En tant que maître de maison, j'exige de savoir ce qui se passe sous mon toit !

– Tu n'avais qu'à être là ! fit Severus avec un sourire provocateur. Il fallait mieux te défendre lors de ce duel !

– J'ai vaguement invité Severus dans mon lit, avoua Harry pour couper court à la réaction de Lucius qui hésitait entre agacement et amusement, et qui écarquilla aussitôt des yeux malicieux.

– Et dire que j'ai raté ça !

oooooo

Migrer dans la véranda pour prendre tranquillement le thé n'avait pas fait dévier Severus de son idée. Sans doute taraudé par ses déclarations alcoolisées de la veille au soir, il s'était mis en tête de le faire parler de lui sur un plan très personnel et Harry n'aimait pas du tout ça.

– Personne ne vous attend nulle part ? demandait Severus comme s'il lui tendait un piège. Aucune compagne, aucun compagnon ?

– Non. Je n'ai personne, répondit-il d'un ton froid.

Il évita soigneusement de croiser le regard de Lucius qui savait mieux que nul autre la longue solitude sentimentale qu'avait été sa vie.

– Et il n'y a jamais eu personne ? insista Severus.

Le nez rivé sur sa tasse de thé, Harry déglutit péniblement. Severus n'avait pas le droit, il allait trop loin.

– Pas depuis mon départ d'Europe. Et rien de sérieux depuis la Roumanie, répondit-il sans réfléchir, tout entier concentré sur son mal-être.

– Qui y a-t-il eu en Roumanie ?

Severus enchaînait instinctivement, alors même qu'il n'aurait dû que se taire ! Comment pouvait-il exiger de lui une pareille discussion, maintenant, devant Lucius, alors qu'elle aboutirait inexorablement à des choses qu'ils ne s'étaient pas encore dites, à des sujets qu'ils évitaient consciencieusement l'un et l'autre depuis qu'ils s'étaient revus ? Harry ne voulait pas en venir à ses sentiments et à ce qu'il avait vécu lors de cette dernière année à Poudlard, et n'importe quelle conversation où se mêlait une part de son intimité mènerait vers ça. Il n'y était pas prêt. Et pas devant témoin.

Il savait bien qu'il n'était venu au Manoir que pour éclaircir cette année sombre, pour comprendre enfin ce qui s'était joué entre Severus et lui, les sentiments inavoués, quels qu'ils soient, le rejet, la frustration, la douleur d'un amour muet et vain, son mutisme... Mais à le voir, à le côtoyer au quotidien, Harry n'était plus sûr de vouloir savoir. Severus semblait si inconstant, si changeant, comme il l'avait été autrefois. Et son rejet, comme dans la piscine l'autre matin, faisait encore plus mal. Les vains espoirs nourris autrefois semblaient encore plus douloureux aujourd'hui, comme si la peine se surajoutait à celle qui n'avait jamais cessé, comme si cela rouvrait une nouvelle blessure sur une cicatrice jamais complètement refermée.

Et il y avait du plaisir aussi à boire la coupe jusqu'à la lie...

– Et pour vous ? N'y a-t-il eu personne d'autre que Lucius ?

Severus eut un temps d'arrêt, surpris et incertain, et jeta un coup d'œil hésitant à son compagnon. Avait-il des choses à cacher, ou bien cherchait-il son approbation ?

Lucius, en revanche, affichait un sourire goguenard sans percevoir la question muette.

– Ce que l'on fait ensemble avec un troisième compte ou pas ? fit-il d'un air sarcastique.

Harry en fut agacé. L'irruption de Lucius dans la conversation lui rappelait sa présence, alors qu'il aurait voulu une discussion privée entre Severus et lui. Et les imaginer partager leur lit et leurs nuits avec un autre... alors que lui-même n'avait personne, et pas même Severus... La jalousie se mêla brusquement à l'irritation. Et il voulait en avoir le cœur net. Il fixa intensément Severus.

– Pas même ce jeune professeur de potions que vous avez formé de vos propres mains ? fit-il sarcastique.

L'étonnement de Severus n'était pas feint. Ou alors il était très doué ! La surprise l'avait presque fait sursauter et à présent l'incompréhension se lisait dans son regard.

– Matthieu ? dit-il, incrédule. Mais enfin ! Ce n'était qu'un enfant !

.

Une douleur sourde, mêlée de honte et d'humiliation surgit brusquement dans le cœur de Harry, et formait un noyau de douleur qui enflait démesurément.

– Mais... je n'étais...

pas beaucoup plus vieux que ça l'année précédente ! C'est donc ainsi qu'il l'avait considéré ? Comme un enfant ?... Un ado impulsif qui faisait un caprice ? Qui s'amourachait bêtement de son professeur ?... Rien n'avait donc existé. Ce qu'il avait cru être de l'intérêt, de la considération, voire un amour naissant, n'avait été que cette patience un peu irritée que l'on éprouve face à un enfant. Un amusement mêlé de pitié.

Qu'il avait donc fallu à Severus une grande patience pour supporter ses jérémiades, son attitude d'attente éperdue ou bien ses provocations d'amoureux transi ! Qu'il avait dû rire sous cape, ou bien être gêné de ses impudeurs ou de son insistance... Comment Harry avait-il pu croire qu'il y avait autre chose en Severus qu'une simple exaspération devant ses sentiments déplacés et incongrus ?

Dire qu'il avait espéré !... Et pendant des années, même en enfouissant ses souvenirs loin sous la douleur, il avait espéré, encore, ne pas avoir aimé en vain; il avait espéré que tout n'était pas factice, qu'il n'avait pas rêvé ou mal interprété un regard par-ci, un geste par-là... qui loin d'être tendres, n'avaient dû être que paternalistes et condescendants.

Harry était soudain las. Il s'était tellement trompé !

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Son silence n'avait pas échappé aux deux hommes qui le fixaient, avec un air d'incompréhension sur le visage de Severus, plus catastrophé chez Lucius.

– Vous m'aviez demandé de préparer des potions, hier... et je n'ai pas vraiment eu le temps encore. Je vous laisse. J'ai du travail qui m'attend.

Il se leva, le plus naturellement du monde, espérait-il, et il quitta la pièce sans attendre de réponse. Pour autant qu'il sache, les deux regards l'avaient suivi, mais aucun n'avait tenté de l'arrêter.

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Harry n'était pas allé très loin. Contrairement à ce qu'il avait dit, il avait fui le laboratoire. Il voulait juste être seul. Et puis, il n'était pas assez concentré pour travailler, il aurait risqué de concocter un poison bien insidieux au lieu d'une potion de soin. L'idée lui arracha un rire sec. Oh oui ! Un poison qui rongerait lentement de l'intérieur, vicieux en diable, aussi sournois que la douleur qui lui tordait le ventre.

Et aussi vite qu'elle était venue, l'idée se dissipa. Il n'était pas homme à se venger. Il avait mal. Il était amer. Et en colère. Mais il ne pourrait jamais faire de mal à celui qu'il avait aimé. Parce qu'il l'aimait encore.

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Harry avait trouvé refuge dans la véranda. La chaleur qui y régnait lui faisait du bien, et les plantes luxuriantes et la vue sur le jardin avaient un effet apaisant sur sa colère.

Il n'était qu'un idiot. Il n'avait jamais été doué pour comprendre les sentiments des gens, et il ne le serait jamais. Et les siens en particulier le répugnaient plus que tout autre chose.

« Se lier », « s'attacher à quelqu'un »... Les mots avaient un sens et un poids dont il avait conscience comme rarement. L'amour enfermait dans une cage dorée, suspendant la liberté au profit d'un asservissement maladif. Harry avait lui-même tendu les cordes qui le retenaient prisonnier.

Il avait eu raison de refuser l'amour pendant toutes ces années. Ça faisait mal. Forcément, inexorablement, ça faisait toujours mal. À chaque fois qu'il s'était attaché à quelqu'un, il avait souffert. Que ce soit d'être « simplement » rejeté, ou que cela finisse par la douleur d'une disparition brutale ou d'un décès, aimer était synonyme de perdre. Aujourd'hui, il avait perdu et il en avait douloureusement conscience.

Mais il serait beau joueur. Il assumerait avec fierté et panache une défaite qu'il ne devait qu'à lui-même. La douleur lui appartenait, il ne la montrerait pas, mais il ne serait pas dit qu'elle lui ferait mettre un genou à terre ou qu'elle lui tirerait à nouveau la moindre larme.

oooooo

– Tu l'as blessé...

Severus grimaça et regarda Lucius d'un air embarrassé.

– Je vois bien, mais je ne comprends pas pourquoi...

Harry était sorti en silence, sans se retourner et son attitude toute en pudeur ne cachait pas une seule seconde la blessure ressentie. Même sa silhouette avait semblé plus voûtée, plus effacée qu'à l'ordinaire et l'aura de magie ténue qu'ils percevaient souvent autour de lui, avait paru soudain se voiler d'une ombre.

Lucius était à demi allongé dans le canapé et Severus s'approcha pour se faire une place entre ses jambes et s'étendre ensuite contre lui, le dos appuyé contre son torse, la tête posée en arrière sur son épaule. D'un geste tendre, Lucius vint passer la main dans ses cheveux et l'embrassa sur la tempe, puis resserra ses bras autour de lui. Il aimait quand Severus s'abandonnait un peu; c'était devenu si rare... Retrouver le plaisir savoureux de le sentir contre lui, de glisser son nez dans ses cheveux pour percevoir son odeur, de le sentir si vulnérable et en quête de réconfort.

Ils avaient beau dormir ensemble toutes les nuits depuis tant d'années, avoir partagé tant de moments frivoles, intenses ou d'une luxure bestiale, s'être vus, s'être touchés de toutes les façons possibles et imaginables, les vrais moments de tendresse étaient rares, surtout quand Severus seul les initiait.

Il n'aimait pas montrer sa vulnérabilité, son besoin d'affection; c'était quelque chose qu'il s'employait à cacher corps et âme, une faiblesse coupable qu'il reniait de toutes ses forces et qu'il n'avouerait jamais. Severus n'avait besoin de rien, ni de personne, du moins en apparence. Aussi imperturbable qu'un roc, d'une solidité à toute épreuve, taciturne et secret, voilà comment Lucius l'aurait décrit. Il savait être joyeux aussi, souriant, gai, avec un humour pointu sans être corrosif... mais c'était une facette qu'il montrait plus rarement, et uniquement en privé. Et le seul sentiment excessif qu'il laissait entrevoir parfois était la colère, des colères impétueuses, violentes, qui montaient en orages aussi vite qu'elles redescendaient.

Mais de faiblesse, Severus n'en montrait aucune. Rien qui ne soit en dessous de sa ligne de conduite habituelle, nul besoin, nulle sensibilité excessive, pas de peine, ni de chagrin, ni le moindre désarroi. Avec le temps cependant, Lucius avait fini par reconnaître ces sentiments tabous dans les rares moments où Severus venait chercher une tendresse furtive, une main aimante pour une simple caresse ou une présence réconfortante. Et il savait bien pourquoi il était ainsi à présent.

.

– Tu ne vois pas pourquoi tu l'as blessé ? Vraiment ? fit-il doucement. « Éprouver des sentiments pour Matthieu ? Mais ce n'était qu'un enfant ! »

Il sentit Severus se tendre et tourner brusquement la tête vers lui.

– Mais c'était le cas ! Matthieu était juste un adolescent complètement déboussolé par la mort de son père ! Et il venait d'arriver dans un pays étranger !

Poser des mots sur les réactions des uns et des autres. Lucius n'avait pas le choix s'il voulait vraiment que Severus comprenne.

– Tu oublies que l'année précédente, Harry avait sensiblement le même âge... Tu viens de renier tout ce que tu éprouvais pour lui à ce moment-là !

– Mais ça n'a rien à voir ! protesta vigoureusement Severus. Harry n'était plus un enfant depuis longtemps ! Tout ce qu'il a fait pendant la guerre, les combats, les gens qu'il a perdus, ce qu'il a vécu... il était adulte bien avant d'en avoir l'âge ! Matthieu lui, était un gamin perdu, méfiant, plein de douleur et de colère. Comment aurais-je pu éprouver le même genre de sentiments ?! J'ai fait avec Matthieu ce que son père n'a pas pu faire... je l'ai formé et je l'ai fait grandir. Tu sais très bien que je l'ai toujours considéré comme... presque un fils.

Sa voix était devenue sourde et Lucius savait combien l'aveu de cet attachement, même à lui, devait lui être difficile.

– Moi, je le sais, dit-il doucement. Mais Harry, lui, ne le sait pas...

Severus absorbait ses paroles en silence.

– Je pense que Harry est un peu jaloux de Matthieu, reprit patiemment Lucius. Il ne comprend pas ce qui vous lie, si ce n'est pas de l'amour... Pourquoi tu as pu lui donner autant... Tu lui as transmis ton savoir, tu l'as formé comme ton héritier, alors même que tu dis n'éprouver aucun sentiment pour lui. Harry, lui, a dû se battre pour que tu lui enseignes, il a lutté pour apprendre de toi, et dans le même temps, tu as refusé d'admettre ce que tu ressentais à son égard. Il t'aimait en silence, il veillait sur toi pendant tes crises de migraine, il t'a protégé... Il t'a tant donné et toi rien. Pour lui, il n'a été digne ni de ton enseignement, ni de tes sentiments... C'est comme si rien n'avait existé cette année-là.

– Je ne comprends pas pourquoi tout ça a encore autant d'importance, bougonna Severus entre ses bras.

– Parce qu'il est parti pendant toutes ces années pour fuir sa souffrance... Non seulement celle de t'aimer sans retour, mais en plus, celle de ton rejet. Si tu admets l'avoir aimé cette année-là, ça change tout.

– Ça change quoi ? grogna encore Severus.

– Ça veut dire que tout ça n'était pas vain. Ça atténuera la douleur d'avoir été rejeté... qu'il a ressentie et qu'il ressent encore.

Lucius desserra son étreinte autour de Severus et glissa un dernier baiser sur sa tempe.

– Va le voir. Va lui parler. Et va t'excuser si c'est nécessaire...

oooooo

Harry perçut la présence de Severus avant même d'entendre le bruit de ses pas ou le son de sa voix. Une présence qui brusquement l'insupportait.

– Harry, je voudrais te parler...

Employer son prénom ainsi... c'était presque sale, indécent. La familiarité que l'on emploie avec un enfant. Et le tutoyer maintenant, alors qu'il attendait ça depuis si longtemps !

– Il ne me semble pas avoir requis votre présence, Severus.

Le ton était plus sec qu'il ne l'avait voulu. Ses mots aussi. Mais Harry voulait pousser Severus dans ses retranchements. À cors ou à cris – ou bien à corps et à cris – il voulait une explication.

– Il me semble que je suis encore chez moi, siffla sa voix tendue. Et j'y fais ce que je veux.

– J'ignorais que vous vous appeliez Severus Malfoy...

Harry vit Severus blêmir. Il s'en voulut un instant de la bassesse du sarcasme, mais après tout, il avait enduré bien pire pendant des années ! Il savait que cela toucherait Severus et à cet instant précis, c'était ce qu'il désirait. Lui infliger un semblant, même infime, de la douleur qu'il ressentait. Le faire souffrir un peu.

Il ne savait pas ce qui lui avait mis la puce à l'oreille. Son attitude ? Le fait qu'il ne puisse pas influer sur la magie du Manoir ? Ou bien la différence de comportement des elfes de maison ?... Mais, malgré les années, Severus n'était pas maître en la demeure et c'était visiblement un élément qui le piquait un peu.

Malgré tout, il prenait sur lui pour se recomposer une attitude neutre. Fallait-il qu'il veuille absolument lui parler pour s'effacer ainsi devant le sarcasme !

– Harry, il faut que nous parlions...

Parler. Il fallait parler, oui. Il voulait une explication de Severus, il voulait entendre ses mots ! Il voulait des points sur les i ! Il voulait l'entendre hurler que non, il ne l'aimait pas, il ne l'avait jamais aimé et il ne l'aimerait jamais ! Qu'il s'était fait des idées, qu'il avait rêvé ! Qu'il s'était bercé d'illusions !

Et en même temps, il ne voulait surtout rien savoir. Il ne voulait pas l'entendre, pas un mot, pas un son sorti de sa bouche, rien qui ne vienne de lui !

– « Nous » ? Je ne crois pas que nous ayons quelque chose à nous dire !

Pas même le bruit de son souffle, pas un geste, pas une ébauche de quoi que ce soit ! Il ne voulait pas de sa présence, de son existence dans sa vie. Il voulait tout effacer !

– Harry...

Et Severus qui semblait ne pas comprendre. Qui s'approchait inexorablement. Qui posait sa main sur son bras. Et ce contact était une telle brûlure, une douleur insoutenable...

Toutes les vitres du Manoir tintèrent d'un bruit sec quand Harry transplana et ce craquement sinistre faisait écho à la déchirure qu'il ressentait au fond de lui.

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Le Manoir vibrait encore de la détonation qui avait retenti dans la véranda et Lucius se demanda si les baies vitrées étaient encore debout.

Ses yeux verts assombris d'une rage sourde, Harry apparut brusquement. La magie tourbillonnait autour de lui, s'échappant en volutes bouillonnantes et tourmentées. Que s'était-il encore passé ?!

– Lucius, puis-je utiliser la salle de duel ? demanda-t-il d'une voix étouffée par la colère.

Avec Severus ? Un frisson d'inquiétude le parcourut, mais ce n'était pas le genre de Harry.

– Bien sûr. Un sortilège d'attraction pour qu'elle absorbe la magie ou un de répulsion pour qu'elle la réfléchisse...

Et il disparut tout aussitôt. Harry transplanait vraiment dans le Manoir comme dans un moulin à vent.

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– Ce gosse est impossible !

– Merlin soit loué, il n'est pas en train de te lancer un sortilège impardonnable, fit Lucius avec un rictus sardonique. C'est déjà ça !

Il n'y avait pas cru, mais tout de même...

– Il est descendu à la salle de duel. Qu'as-tu fait encore ?!

– Ce foutu gosse est impossible ! lâcha Severus en se laissant tomber dans un fauteuil. Il n'y a rien à en tirer !

De lui non plus visiblement. Lucius sentait sa patience mise à rude épreuve.

– Je passe mon temps à essayer de le faire rester, et tu passes ton temps à le faire fuir ! Est-ce que ça va s'arrêter à un moment donné ?! Tu lui as parlé ? Tu t'es excusé, au moins ?

Les yeux noirs de Severus lançaient des éclairs meurtriers.

– Crois-tu que j'ai eu le temps ? Et pourquoi est-ce que ce serait toujours à moi de m'excuser ? M'excuser d'avoir été tyrannique avec lui à Poudlard. M'excuser de ne pas l'avoir prévenu de mes intentions. Quand est-ce qu'il s'excuse lui ?!

Brusquement, Lucius eut cette impression étonnante de revenir à des temps plus anciens où il devait faire face aux crises d'un adolescent paumé... Mais même Draco n'avait pas été comme ça.

– S'excuser de quoi ? D'être parti parce que tu le repoussais ? fit-il d'un ton grinçant. Range ta fierté dans ta poche, Severus. Elle t'a déjà coûté bien cher une fois... Ne recommence pas encore la même erreur ! Tu as besoin de lui...

Severus sursauta comme s'il avait été piqué et lui lança un regard plus noir encore.

– Je n'ai pas besoin de lui ! C'est hors de question !

Un grand éclat de rire échappa à Lucius, qui rendit Severus bien plus furieux qu'il ne l'était déjà.

– Tu ne peux pas lutter contre ça, Severus ! Tu n'as pas le choix ! Ça fait douze ans que tu essayes et ça ne marche pas !

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ooOOoo

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– Il y est toujours ? demanda Lucius.

Depuis plusieurs heures, Harry s'était enfermé dans la salle de duel et les débordements de magie paraissaient ne jamais vouloir cesser. Le Manoir vibrait dans sa structure même, les vitres tintaient dans leurs chambranles et un grondement sourd sorti de nulle part résonnait jusque dans leurs os. Le plus étrange était cette luminosité étincelante qui éclairait les murs, les portes, les fenêtres... Toutes les parois, tous les objets semblaient en surbrillance et les miroirs scintillaient de mille feux sans qu'il n'y ait même de soleil à l'extérieur.

– Je vais passer à Gringotts tout à l'heure; je veux régler ces papiers aujourd'hui. Crois-tu que je puisse te laisser ?

– Que veux-tu qu'il se passe ? grogna Severus. Au pire, le Manoir se sera écroulé et au moins, tu ne seras pas dessous.

De toute façon, il ne pouvait rien faire. Tant que Harry n'aurait pas dompté ou épuisé sa magie, il n'y avait pas moyen de lui parler.

Ils avaient dû envoyer les elfes à l'extérieur du Manoir, terrorisés par la puissance du déferlement de magie qu'ils ressentaient davantage qu'eux. Le lien qui les unissait à la demeure était parfois un handicap... Mais les écuries et les dépendances avaient besoin d'un grand nettoyage, c'était l'occasion. Des cuisines désertées, ils s'étaient ramené de quoi se faire un en-cas rapide. Aucun des deux n'avait très faim, et ils hésitaient à se servir davantage de la magie au sein de la maison tant qu'elle était surchargée par celle de Harry.

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Le rendez-vous ne lui prit qu'une petite heure. Des papiers à vérifier et à signer, des procurations et un bref coup d'œil sur les livres de compte. Les gobelins étaient comme toujours exempts de tout reproche. En refermant le dernier registre, Lucius repensa tout de même à cette conversation qu'ils avaient eue à leur sujet. Ces êtres restaient une inconnue dont personne ne se méfiait mais qui manipulaient toute la vie économique de la société sorcière. Même parmi les sorciers qui travaillaient pour la banque, qui pouvait vraiment dire les connaître ?

Les gobelins suivaient sans doute leurs intérêts propres, dont personne ne se souciait tant qu'ils n'étaient pas en conflit avec ceux des sorciers... Mais il serait sans doute intéressant de se pencher sur ce qu'ils souhaitaient et pensaient. Ils n'étaient pas des créatures à se mettre à dos, et leur appui pouvait en revanche être important. Lucius avait toujours entretenu des rapports très courtois avec eux... mais purement utilitaires. Une discussion conviviale avec le directeur de Gringotts ne saurait être inutile...

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À son retour, la vibration sourde qui durait depuis plusieurs heures s'était arrêtée, même si tout le Manoir semblait encore illuminé. Severus était dans son bureau, sombrement assis dans son fauteuil, et jouait machinalement avec le vif d'or qu'il faisait rouler dans sa main.

– Alors ?

– Alors rien, répondit Severus. Il est sorti comme si de rien n'était... Quand il a vu la panique des elfes, il s'est excusé. Et il est parti finir ses potions...

– Vous vous êtes parlés ? demanda Lucius, circonspect.

– Il veut que je lui enseigne les runes..., fit Severus en haussant les épaules.

Lucius ne cacha pas sa surprise. Harry avait paru tellement blessé, puis en colère contre Severus qu'il s'attendait presque à ce qu'il ait quitté le Manoir à son retour de Gringotts. Non seulement il était toujours là, mais il avait demandé à Severus une aide qui allait l'obliger à passer des heures en sa compagnie. Était-il masochiste au point de faire durer le supplice de leur confrontation ? Cherchait-il malgré tout à s'en rapprocher, quoi qu'il lui en coûte ? Harry était difficile à cerner, peut-être même davantage que Severus.

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ooOOoo

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Les miroirs mirent deux jours à perdre leur scintillement et à ne plus renvoyer qu'un simple reflet. Harry s'était excusé auprès de Lucius qui l'avait taquiné sur ce débordement intempestif de magie, il avait été horriblement gêné et s'était excusé à nouveau, et les choses en étaient restées là.

Dans la salle de duel, Severus n'avait rien trouvé de particulier au premier abord. La pièce avait absorbé une grande partie de la puissance de Harry, avait transmis le surplus au cœur de la magie du Manoir et le reste avait transformé la demeure en palais des glaces scintillant. La quantité phénoménale de magie dont Harry s'était vidé aurait dû l'épuiser pour plusieurs jours dans le meilleur des cas, voire le tuer sur le champ, mais il ne paraissait même pas en souffrir. Il avait gardé la même vitalité, le même entrain rayonnant qui égayait de sa simple présence leurs journées et leurs soirées. Souriant et détendu, il plaisantait comme si rien ne s'était passé.

En cherchant bien cependant, Severus avait décelé de légers changements dans la salle de duel. Des sortilèges de protection, les traces de charmes qu'il ne connaissait pas... Et en passant le seuil pour en sortir, un léger scintillement avait attiré son attention. Il avait d'abord pris cela pour un résidu volatil de la magie qui avait imprégné le Manoir pendant deux jours, puis, à y regarder de plus près, entremêlés aux arabesques noires et or des runes qu'il avait tracées des années auparavant, Severus avait perçu des liserés d'un vert sombre liés à la magie de Harry. L'ensemble formait un entrelac savamment tissé, l'un renforçant considérablement la puissance de l'autre, et constituait des enchantements de protection étonnants qu'il avait par la suite retrouvés tout autour du Manoir et sur le seuil de chaque pièce.

Les traces de la magie de Harry avaient gravé dans le bois des sillons d'une matière presque minérale qui luisait doucement dans l'obscurité et qui disparaissait à la lumière. Cela ressemblait à la pierre de sang qu'il avait dans son bureau, ou bien à de la malachite qui aurait été incrustée en de savants ornements. La même matière que celle du pendentif que Harry portait sans cesse autour du cou et qui rappelait si bien la couleur de ses yeux. La beauté qui se dégageait des arabesques vert sombre était fascinante et Severus y percevait une magie puissante liée à la terre et la nature, et qui pour lui, évoquait la forêt, les feuilles, l'humus et la chlorophylle.

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ooOOoo

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Draco avait repoussé sa venue d'une semaine; Minerva étant malade, il préférait la garder au calme jusqu'à la guérison. Ils avaient craint que cela ne pousse Potter à prendre congé et à ne revenir que lorsque Draco serait là, mais à leur grand étonnement, une seule demande de Lucius avait suffi à le faire rester.

Severus avait préféré fermer la Librairie quelques jours, le temps que les tractations politiques se calment et qu'il ne soit pas mêlé à tout ça. Les habitués et les collectionneurs savaient comment le joindre directement en cas de besoin, et il avait promis son aide à Potter.

Au fil des jours, Harry avait adopté un petit rituel immuable, partageant avec eux les repas et les soirées, parfois un thé dans le Petit Salon ou une promenade dans les jardins... Ses matinées étaient consacrées au laboratoire où il préparait des potions pour le Manoir ou pour Sainte-Mangouste; ses après-midi étaient dédiées à l'apprentissage des runes ou à l'étude d'autres ouvrages dans la Bibliothèque.

Il n'avait fallu que quelques jours à Harry pour acquérir une connaissance que lui-même avait mis des mois, voire des années à assimiler. Les dictionnaires de runes n'avaient plus de secret pour lui, chaque mot, chaque enchantement lu était instantanément mémorisé et il ne commettait jamais la moindre erreur. Sa capacité d'apprentissage était impressionnante; il ingurgitait le savoir avec une avidité dévorante... Pourquoi n'avait-il pas été ainsi lors de ses années d'études à Poudlard ? Severus avait tellement rêvé d'avoir des étudiants brillants... Heureusement, il y avait eu Matthieu.

Ils ne parlaient pourtant jamais de lui. Jamais d'autre chose que de rune ou de savoirs lorsqu'ils n'étaient que tous les deux d'ailleurs. Potter était redevenu égal à lui-même, souriant et simple, mais Severus sentait bien qu'il conservait avec lui une certaine retenue qu'il n'avait pas auparavant, une distance même physique. Lui-même se gardait bien de faire à nouveau des gestes équivoques ou qui auraient pu être mal interprétés. Plus aucun frôlement, plus de contacts, plus de caresses à peine ébauchées. Il se contentait d'observer Harry avec une réserve prudente, conscient de l'avoir sans doute blessé et ne sachant comment franchir ce fossé que l'incompréhension avait dressé entre eux.

Potter évitait soigneusement la piscine à présent, aux heures où lui-même y allait, très tôt au petit matin ou bien en fin de journée. Il s'arrangeait pour n'en profiter que lorsqu'il le savait occupé dans son bureau ou ailleurs. En fait, en dehors des heures où il lui enseignait, Potter évitait de se trouver seul avec lui. Lorsque Lucius était présent, en revanche, il semblait plus libre et plus désinvolte, se permettant même de taquiner Severus malicieusement. Et de nouveau seuls, une certaine réserve discrète les séparait, qui n'était pourtant ni de la colère, ni du rejet.

Malgré les paroles blessantes qu'il avait pu lui dire, malgré les sarcasmes dictés par les habitudes anciennes, malgré la façon dont il l'avait rejeté dans la piscine, Potter était capable de revenir toujours à une humeur égale et douce. Cette capacité à pardonner fascinait Severus. Rien ne semblait pouvoir l'atteindre durablement ou profondément. Déjà durant cette dernière année à Poudlard, Potter avait su remonter la pente après la mort de tous ses amis d'une façon qui l'avait sidéré, alors que lui-même s'enfonçait dans la dépression et la dépendance pour bien moins que ça. Derrière chaque blessure ou chaque douleur, il savait trouver les capacités de rebondir et de surmonter les épreuves. On ne pouvait pourtant pas dire qu'il ait eu une vie facile, élevé dans une famille tyrannique à la limite de la maltraitance – et encore, Severus se doutait qu'il ne savait pas tout –, pourchassé par un mage noir qu'il avait combattu au péril de sa vie et en laissant derrière lui nombre de personnes qu'il aimait... Et pourtant, à chaque fois et encore aujourd'hui, son corps et son esprit absorbaient chaque épreuve puis semblaient revenir naturellement à leur état initial comme si rien ne s'était passé et Potter retrouvait sa joie de vivre rayonnante et solaire habituelle.

oooooo

Comme Lucius l'avait prédit, Manfred Oakleby avait été contraint à la démission en soixante-douze heures et sa place vacante avait provoqué un petit séisme politique dont ils avaient senti les répercussions jusque dans le Manoir. Un va-et-vient régulier de hiboux et de chouettes, des visites intempestives et des appels incessants par cheminette avaient obligé Lucius à se déplacer à Londres et au Ministère jusqu'à ce que la situation soit réglée et qu'un nouveau ministre soit nommé à la tête du pays.

Il était rentré les traits tirés et peu satisfait du pis-aller qui avait été trouvé. Augustus Rowle n'était pas le pire des candidats, mais il était loin d'être le meilleur à son goût, et ne serait de toute façon qu'un pantin entre des mains plus puissantes. Mais au moins, quelqu'un occupait le poste et le calme était revenu, aussi bien au Ministère que dans le Manoir.

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Pour fêter cette paix retrouvée, et peut-être aussi se faire pardonner son absence, Lucius les avait conviés pour la soirée à Paris, en les priant de sortir la tenue de soirée qui s'imposait. Severus n'était pas adepte des mondanités, ni des réceptions où il était de bon ton de se faire voir, mais cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé une soirée en tête à tête avec Lucius loin du Manoir, et il accepta de bonne grâce. La présence de Potter à leur côté était un rayon de soleil supplémentaire et Lucius eut la décence de ne pas leur infliger un dîner de gala dont il avait le secret.

À la place, il leur avait réservé une loge de face, au premier balcon de l'Opéra de Paris. Sous la coupole et le grand lustre se jouait un ballet extraordinaire où la grâce du danseur n'avait d'égale que sa beauté captivante. En matière de sorties et de spectacles, Lucius avait des péchés mignons qu'il assumait parfaitement et que l'argent et la notoriété lui permettaient d'assouvir sans honte. À l'entracte, ils savourèrent un champagne des plus grands crus et profitèrent de l'absence momentanée de Harry pour échanger un baiser comme ils n'en avaient pas eu depuis longtemps et qui les laissa pantelants, essoufflés et insatisfaits.

À la fin du spectacle, ils dînèrent dans un des plus grands restaurants gastronomiques de la capitale. Dans un petit salon de quelques tables, entre la cheminée de marbre et la vue sur la Seine, ils dégustèrent une envolée de plats succulents et raffinés et des vins exceptionnels qui leur ravirent le palais et l'esprit.

La note était indécente et Lucius la signa avec une plume d'authenticité comme s'il s'agissait d'un vulgaire bout de papier, aussi hautain et méprisant qu'il savait l'être. Severus perçut la gêne de Potter, grandissante au fil de la soirée, et dont Lucius n'avait pas conscience. Lui-même n'aimait pas beaucoup cet étalage de richesse et d'argent, mais il savait que Lucius avait été habitué à vivre dans le luxe et que c'était sa manière de faire plaisir à ses proches. Il lui fallait toujours ce qu'il y avait de mieux, de plus chic, de plus grandiloquent parce qu'il ne pouvait donner que le meilleur. Avec le temps, Severus avait réussi à faire diminuer ces excès et ces folles dépenses, mais parfois une petite folie faisait tant plaisir à Lucius...

En revanche, cette impudeur presque obscène semblait mettre Harry très mal à l'aise, lui qui était habitué à vivre de peu et dans des conditions tellement différentes. Il avait déjà dû accepter que Lucius lui fasse tailler un costume pour la soirée, dont il n'avait jamais voulu discuter du prix. Son tailleur privé était venu au Manoir pour prendre les mesures de Potter et proposer des modèles et des tissus tous plus magnifiques les uns que les autres. Et le résultat était à la hauteur des attentes de Lucius : Harry était splendide, littéralement à tomber par terre, et Severus s'en était mordu les lèvres toute la soirée. Le costume trois pièces sombre révélait admirablement la force et la puissance de son corps, et le gilet d'un vert profond qui soulignait la couleur de ses yeux lui donnait un air presque mystérieux qui avait fait tourner bien des têtes.

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La seule note en demi-teinte eut lieu au cours du repas. Lucius savourait son assiette tout en le dévorant des yeux quand un homme d'une élégance rare vint le saluer au cours du dîner.

– Lucius ! Quel plaisir !

– Francis ! fit-il en échangeant une chaleureuse poignée de main. C'est un plaisir partagé ! Severus Rogue... Brian Evans... des amis. Francis Dorléans, Ministre de la magie français...

Severus aperçut le soulagement de Potter à la mention de son nom d'emprunt; lui, comme à chaque fois, digérait mal la présentation en tant qu'« ami ».

– Messieurs..., les salua l'homme d'un signe de tête.

Severus le lui rendit et se permit un sourire sardonique devant son air plein de suffisance. Malgré les mots de son compagnon, le Ministre savait parfaitement qui il était. Et Lucius pouvait bien faire tourner des têtes n'importe où dans le monde, il n'appartenait qu'à lui.

Le regard de Dorléans s'attarda plus longuement sur Potter, curieux et intrigué, puis il reprit d'une voix plus basse à l'attention de Lucius :

– J'ai été très peiné d'appendre le nom du nouveau Ministre, Lucius. J'espérais pouvoir travailler à nouveau avec vous...

Lucius éluda d'un sourire et d'un geste de la main.

– J'ai déjà donné, Francis... À d'autres de reprendre le flambeau.

Les deux hommes discutaient en aparté, mais la longue expérience de Severus de ces conversations en « off » avait entraîné son oreille et il arrivait à en garder le fil tout en parlant avec Harry.

– J'espérais que Greengrass parviendrait à vous convaincre...

– Je me préserve..., répondit Lucius. Et je préserve la paix des ménages. Mais je traîne dans les coulisses...

– Je ne donne pas plus de deux ans à Rowle pour disparaître lui aussi. Peut-être d'ici là, reconsidérerez-vous la question... Vous avez suivi la situation dans les Carpates, j'imagine ?

– Oui. Inquiétante... Qu'en pensez-vous ?

– Pas du bien. Tôt ou tard, cela va dégénérer, fit Dorléans d'un ton lourd. J'ai de bons contacts là-bas, je vais vous faire parvenir un rapport discrètement, vous me donnerez votre avis...

– Je n'y manquerais pas, promit Lucius. Qu'en sera-t-il des prochaines élections en France ?

– Celui qui me chassera du Ministère n'est pas encore né, Lucius !

– Je vous le souhaite ! fit-il en riant.

– Je vous laisse entre amis... N'oubliez pas, Lucius... Ma secrétaire a des consignes pour vous laisser libre accès à mon bureau ou ma cheminée, j'attends de vos nouvelles... Professionnellement, j'entends ! ajouta Dorléans avec un petit sourire. Et il reprit à voix normale : Au plaisir de travailler à nouveau avec vous, Lucius ! Messieurs... passez une excellente soirée.

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La conversation n'avait pas duré plus de trois minutes et Severus ne savait au final pas quoi en penser. Il fixa longuement Lucius qui s'excusait de l'interruption avant de se décider à parler, malgré la présence de Harry. Ou peut-être à cause de cela justement... Il serait davantage obligé de répondre et ne se contenterait pas d'éluder les questions comme il le faisait si souvent.

– On t'a proposé le poste de Ministre ?

Le regard de Lucius était lourd et chargé de reproches devant cette question impudique et publique.

– C'est possible, finit-il par dire.

– Et tu as refusé ?

Était-ce vraiment une interrogation ou une simple constatation... ?

– Il me semble que Rowle est le nouveau ministre, répondit simplement Lucius.

Lucius ne lui en avait rien dit, évidemment. Son esclandre de l'autre jour n'était sans doute pas pour rien dans sa décision et Severus regretta que sa rancœur passée soit sortie à ce moment-là, amplifiée par la migraine et les contrariétés de ses relations avec Potter.

« Merci » fut la seule chose qu'il fut capable de dire avant un long moment.


Merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. N'hésitez pas à laisser un commentaire, je suis curieuse de ce qui vous touche et de ce qui vous fait réagir.

La prochaine fois, ce que vous attendez depuis cent et quelques pages... ;) Et le retour de Mayahuel pour ceux qui l'apprécient

Bon courage à ceux qui vont entamer le NaNo. Ce qui compte, c'est d'essayer et de se lâcher... On ne réussit pas toujours, mais un jour on trouve le thème qui nous convient et on ne s'arrête plus!

Au plaisir de vous lire

La vieille aux chats