Résumé: Après une altercation entre Harry et Severus parce que celui-ci a blessé Lucius lors d'un entraînement de duel, ils oscillent entre réconciliations et tensions. Pendant ce temps, les remous à la tête du Ministère se ressentent jusqu'au Manoir.

Je rappelle que ceci est une histoire pour public adulte et averti. Pour les détails, voir les avertissements sur la page de profil. Merci

à Marion: Severus aime se torturer, c'est certain, il a toujours eu un côté masochiste, mais il n'a surtout jamais été un homme simple. Il est pris entre deux feux, entre la raison et les sentiments, et au fond, il a peur de tout gâcher encore une fois, d'un côté comme de l'autre... Mais il va finir par céder... ;)


– Pourquoi ne m'en avez-vous rien dit, Lucius ? demanda Harry d'un air contrarié.

– Vous dire quoi au juste ?

Lucius sirotait tranquillement son cognac après le dîner, un plaisir retrouvé depuis leur escapade à Paris quelques jours plus tôt, quand Harry avait fini par aborder sa visite à Gringotts.

– Vous saviez ce qu'ils me voulaient, n'est-ce pas ?

– Je m'en doutais, admit Lucius. Mais pour moi, c'est de l'histoire ancienne... Les gobelins vous ont demandé de venir simplement parce qu'ils viennent de retrouver votre trace. Et je peux vous assurer que cette information ne vient pas de moi. Ils avaient connaissance de votre présence au Manoir sans que je n'en dise rien...

L'ombre du soupçon s'effaça rapidement du visage de Potter pour être remplacée par un air las et résigné.

– Mais comment savaient-ils ?

– Vous êtes resté un moment à Sainte-Mangouste pour soigner les Londubat et Lucius, intervint Severus. Puis à Poudlard où tous les professeurs savaient qui vous étiez, et peut-être de nombreux élèves. Sans compter les elfes de maison du château et même du Manoir... Je me suis toujours demandé si les elfes et les gobelins ne partageaient pas des intérêts communs et des informations...

Un silence surpris traversa le Petit Salon et Severus pouvait percevoir les rouages des raisonnements se mettre en branle chez Potter et Lucius.

– C'est une idée intéressante..., fit lentement son compagnon. Et quelque peu inquiétante...

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– Pourquoi avez-vous refusé l'héritage des Lestrange ? demanda Harry en poursuivant son idée première.

– Parce que je n'en ai pas besoin, répondit spontanément Lucius. Et puis... j'ai passé beaucoup de temps après la guerre à redorer le blason des Malfoy. À blanchir mon image au point de pouvoir me refaire une place en politique. Je n'allais pas perdre tout ça en associant à nouveau mon nom à celui des Lestrange...

– Mais moi non plus, je n'en ai pas besoin, protesta Harry. Je n'ai pas dépensé un gallion de mon coffre depuis mon départ d'Europe !

Severus étouffa une exclamation.

– Mais de quoi donc avez-vous vécu toutes ces années ?!

Harry haussa les épaules en lui jetant un regard morne, comme si la réponse était évidente.

– Comment aurais-je pu avoir besoin d'argent ? Là où j'ai vécu, la nourriture se partageait. J'ai participé aux plantations, aux récoltes, à la chasse... Lorsque je soignais, les gens me remerciaient en m'offrant un peu d'argent ou bien des objets, des vêtements... J'ai construit ma propre maison... Je n'avais besoin de rien.

Malgré les explications, Severus avait du mal à concevoir ce qu'avait pu être cette vie dénuée de tout.

– Mais pourquoi moi ? reprit Harry. À part Voldemort, Bellatrix a été ma pire ennemie durant cette guerre !

– J'ai refusé la part d'héritage qui revenait à Narcissa, expliqua Lucius. Et Andromeda avait fait de même. De toute façon, après la mort de Nymphadora Tonks et de son fils, elle n'avait elle-même plus personne à qui léguer ses biens.

Tous deux virent Harry blêmir furieusement à la mention de la mort de la compagne et du fils de Remus, et Severus ne put s'empêcher de lancer un regard sombre à Lucius pour son manque de tact.

– À la mort d'Andromeda, reprit Lucius plus doucement, l'ensemble des coffres des Black, Andromeda et Bellatrix, est resté sans héritier. Les gobelins n'aiment pas ce genre de situation, ils ne veulent pas qu'on puisse les mettre en défaut de quoi que ce soit. Ils ont signalé l'affaire au secrétaire aux comptes du Ministère, et ça a fini par aller en justice.

– Si loin ?

– Il fallait une décision claire et incontestable. Les cousins ou parents éloignés qui commençaient à loucher sur l'héritage n'avaient pas les scrupules que nous avons, et ils n'étaient pas parmi les plus reluisants. Le Ministère, tout comme Gringotts, ne voulait pas qu'il finisse entre de mauvaises mains...

Harry soupira longuement, s'enfonçant un peu plus dans son fauteuil.

– Et donc... moi ?

– Sirius ayant été votre parrain, vous êtes affilié à la famille des Black, poursuivit Lucius. D'autre part, le grand-père de Bellatrix avait une sœur qui fut mariée à un Potter. Vous étiez la personne idéale... Et quoi de plus symbolique que de vous attribuer l'héritage de Bellatrix, en remerciement de ce que vous avez accompli, et en réparation des préjudices que vous avez subis ? Et personne ne doutera jamais de l'usage que vous en ferez...

Harry détourna son regard vers les flammes qui serpentaient dans l'âtre et avala d'un trait son verre de cognac. Son visage, sur lequel se reflétaient les lueurs dansantes du feu, était fermé et un pli sombre marquait les coins de sa bouche.

– D'après ce que j'ai pu comprendre, je ne peux pas le refuser ?

– Je crains que non, répondit Severus doucement. Il y a eu un jugement qui vous l'attribue en totalité, et il n'est pas révocable...

– Acceptez-le et faites-en don, si vous n'en voulez pas, suggéra Lucius en haussant les épaules. Rien ne vous oblige à le garder ou à vous en servir...

Ils avaient fini par parler d'autre chose mais Harry avait gardé un air soucieux toute la soirée. Était-ce le fait d'avoir été reconnu et que même les gobelins aient eu vent de sa présence en Angleterre ? Ou bien cette histoire d'héritage qui le contrariait autant ? Severus n'en savait rien et Potter n'ajouta pas un mot sur le sujet. Lorsqu'il monta se coucher, bien avant eux au demeurant, son regard et son aura étaient sombres, et Severus échangea un regard inquiet avec Lucius.

ooOOoo

Il n'y avait sans doute pas que ce problème d'identité et d'héritage qui jouait sur l'humeur de Potter...

Le lendemain matin, il ne parut pas au petit-déjeuner, et lorsque Severus se laissa lourdement tomber dans le fauteuil de son bureau, il découvrit sur le sous-main une petite enveloppe rouge qui lui serra brutalement le cœur.

D'un geste un peu fébrile, il la prit entre ses doigts et la retourna longuement, sans avoir besoin de l'ouvrir pour savoir ce qu'elle contenait. Potter aussi le savait certainement puisqu'elle était décachetée, le rabat étant simplement glissé sous les autres pans pour la maintenir fermée.

Severus sentit sa présence avant même de lever les yeux vers l'entrée du bureau. Potter se tenait là, sur le seuil, les bras croisés et appuyé de l'épaule contre la porte restée ouverte. Il pensait lire de l'incompréhension sur son visage, de la colère, un quelconque sentiment, mais Harry était impassible et la neutralité de son regard avait quelque chose d'effrayant, trop détaché pour être humain.

– D'où vient-elle ? demanda Severus, résigné. Gringotts, je suppose ?

– C'est exact.

Il soupira. Que dire ? C'était si loin dans sa mémoire qu'il en avait presque oublié ce geste stupide et désespéré...

– Il y en avait d'autres, dit-il lentement. J'ai laissé une de ces lettres partout où vous étiez susceptible de vous manifester à nouveau. À vos amis : à Londubat, à Lovegood, à Dean Thomas et à l'irlandais dont j'ai oublié le nom, à Draco bien sûr... à Molly Weasley. Même à votre cousin Dursley, je crois bien. Et puis à Poudlard, à Gringotts, à Durmstrang, à Beauxbâtons... Je crois même en avoir laissé une sur la tombe de Goddric's Hollow. Ridicule, n'est-ce pas ? J'avais placé sur chacune un sort d'autodestruction. Dès que l'une d'entre elles devait être ouverte, les autres devaient être détruites... Et toutes devaient disparaître au bout d'un certain temps.

Il leva les yeux vers Potter qui n'avait pas bronché.

– Combien de temps ?

– Deux ans, je crois. Je ne sais pas comment celle-ci y a réchappé.

– La magie des gobelins, expliqua Potter sans émotion. Quand ils ont ouvert le coffre, le sort de destruction s'est lancé et ils l'ont bloqué par réflexe, avant même de savoir de quel sort il s'agissait... Tant que le coffre était fermé, la magie la conservait en l'état...

– J'aurais dû m'en douter, fit Severus avec résignation.

Le regard de Potter s'échappa un instant vers le fond de son bureau où Orion se levait et s'étirait avant de se recoucher paresseusement sur le sofa.

– Quand les avez-vous placées... là où elles étaient ? demanda Potter d'un ton détaché.

– Quand j'ai définitivement perdu votre trace... après votre départ de Beauxbâtons.

Potter ne bougeait pas, les yeux fixés sur lui mais son regard passait à travers lui sans rien voir, absent et presque fantomatique.

Severus croisa les mains sous son menton, brusquement fatigué et envahi d'une tristesse nostalgique. Le moment semblait venu de dire les choses et il n'était pas certain de ce qui allait advenir après. L'un et l'autre, ils se tenaient sur un seuil qui menait vers l'inconnu et cette proximité était effrayante plus qu'attirante.

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– Pourquoi êtes-vous parti ? demanda Severus doucement.

Le son de sa voix ramena Potter de là où il était parti et son regard se précisa jusqu'à croiser le sien.

– Pour vous fuir.

Même s'il le regardait, le regard de Potter n'exprimait aucune émotion, aucun semblant de vie ou de sentiment auquel Severus aurait pu se raccrocher pour atténuer la brutalité de ces mots.

– Pourquoi ?

– Parce que mon amour pour vous était devenu une souffrance. Et que je ne supportais plus de vous voir vous détruire à petits feux.

Les battements de son cœur furent anarchiques quelques instants, le temps que la crispation dans son ventre ne s'atténue au fil du silence. La voix de Potter était si impersonnelle et son regard si figé que les mots ne pouvaient être vrais. Ou ne portaient plus aujourd'hui cette vérité si crue. Il fallait pourtant dérouler le fil jusqu'à son extrémité.

– Pourquoi n'êtes-vous pas revenu plus tôt ? demanda-t-il encore.

– Parce que j'avais peur. Peur de moi-même et peur de vous. Peur de vous aimer. Peur de vous retrouver.

Il lui fallut fermer les yeux pendant que Potter parlait. La douleur était insidieuse et lancinante, comme une migraine qui aurait pris naissance dans sa poitrine pour se répandre dans tout son corps.

Et surtout peur que vous ne vouliez pas de moi à nouveau...

Severus ouvrit brusquement les yeux, incapable de savoir si Potter avait prononcé cette phrase à voix haute ou dans son esprit, ou bien s'il l'avait simplement rêvée, mais sa silhouette claire sur le seuil de la pièce avait disparu sans qu'il fût capable de dire à quel moment il était parti.

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La lettre en question ne contenait que deux mots, signés des initiales de Severus, mais Harry n'avait pas besoin de plus pour comprendre tout ce qu'elle signifiait.

« Revenez-moi ».

Deux mots pour un ordre qui n'en était pas un.

Dans ce « moi », il y avait tout l'aveu de la demande, de la prière, de la supplique. Et aussi celui du besoin.

Ce moi disait « j'ai besoin de vous », « s'il vous plaît ».

Il disait aussi bien l'appartenance que la possession.

Mais ces mots dataient de plus de dix ans. Et depuis, Severus n'avait rien dit.

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ooOOoo

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La mélange bouillonnait comme il le souhaitait, juste assez pour adopter cette belle couleur nacrée qui lui rappelait les coquillages d'îles lointaines. Ce n'était pas une potion qu'il brassait aujourd'hui, il n'était pas question de soins ou de médecine, de guérison ou de patients à traiter. Aujourd'hui, puisque Severus n'avait pas réagi à ses confessions sous Véritasérum, Harry voulait des réponses; et quel qu'en soit le prix à payer, il les aurait. Les transes induites n'étaient pas celles qu'il appréciait le plus mais elles avaient le mérite de l'emmener vite et loin, là où se trouvait ce qu'il cherchait. Les conséquences seraient les mêmes qu'à chaque fois sans doute, mais il n'en avait cure, tout entier tendu vers son désir de savoir, de comprendre enfin, d'accéder au moindre signe qui serait un début de réponse.

La main le tira de sa concentration impatiente.

La main s'était posée sur son épaule dénudée. Il n'avait pas pris la peine de se rhabiller entièrement après avoir nagé dans la rotonde. Un simple pantalon suffisait pour déambuler décemment dans le Manoir, du moins à son idée à lui.

Sur sa peau encore fraîche et humide, la main était chaude. Large et puissante. Presque un peu rugueuse sur sa peau plus tendre.

La main pesait sur lui d'un poids certain, légèrement insistant. Sa simple présence continue signifiait déjà beaucoup. La main ne bougeait pas, mais ne partait pas pour autant. Elle était simplement là, s'imposant sur son épaule comme une évidence. Ni une caresse, ni une contrainte. Une certitude. Une vérité immuable.

Il n'entendait rien, ne voyait rien. Peut-être avait-il fermé les yeux, sans vraiment s'en rendre compte. Mais même en cherchant la lumière, son esprit était aveugle. Seule comptait cette main et ce que signifiait sa présence.

L'appartenance. La possession. Le fait de faire sien.

Et il pencha légèrement la tête de côté. Offrant un accès plus large à son cou, à sa gorge. S'offrant à la présence de cette main. Et ce geste traduisait toute l'acceptation de ce que signifiait sa présence.

Les battements de cœur s'égrenaient par dizaines dans le silence. Dans l'attente. Rien n'était dit et pourtant tout était dit.

Une deuxième main fut posée sur son autre épaule. Aussi évidente, aussi pressante.

Aussi chaude et rugueuse sur sa peau frémissante.

Ce fut seulement là que lui parvint son odeur épicée. Aussi enivrante que ses mains posées sur lui. Immobiles et qui pourtant le possédaient tout entier.

Il sentit les doigts le serrer un peu plus. Comme s'il ne pouvait se résoudre à simplement le toucher. Il lui fallait le tenir. Le prendre.

Les pouces s'égaraient sur sa nuque. Pesants. Se glissant insidieusement sous ses cheveux. Audacieux.

Il baissa lentement la tête pour livrer sa nuque à leur caresse impérieuse. Mais la main glissa de son épaule vers son cou et il bascula brusquement la tête en arrière, offrant sa gorge comme la plus délicieuse des intimités.

Il sentit le souffle chaud sur sa peau, si près de son oreille que le bruit de sa respiration oppressée lui parut assourdissant, puis la douceur et la fraîcheur humide de ses lèvres qui vinrent lentement se presser, lécher, puis mordre doucement sa gorge abandonnée.

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Il ne perçut pas le craquement mat lorsqu'il les fit transplaner sans même s'en apercevoir. Il ne reconnut pas sa chambre, son lit juste devant lui; rien ne comptait que sa présence dans son dos, son corps qui s'appesantissait contre le sien, ses mains qui le tenaient comme un trésor et sa bouche contre sa peau.

Il ne se souvint pas avoir utilisé un quelconque sort pour faire disparaître leurs vêtements, mais le contact de sa peau tout au long de son dos lui arracha un long frisson. Ses mains parcouraient son torse et son ventre, brûlantes dans la fraîcheur de l'air. Et contre ses fesses, il pouvait sentir son sexe dressé. Tendu et vibrant de désir.

Le poids de son corps contre lui le fit basculer sur le lit, lentement, à plat ventre sur la douceur des draps de satin.

Il perçut la fraîcheur d'un vague sort de lubrification, et il le pénétra.

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Et puis il y eut la douleur. Insupportable.

Son corps qui tentait de fuir la souffrance, s'enfonçant dans le matelas, mais il le prit par les hanches, soulevant son bassin pour avoir un meilleur accès. Il s'enfonça loin en lui, d'une seule poussée, jusqu'au plus profond de ses entrailles, avec un râle sourd de contentement. Et sans attendre que la douleur ne reflue, il commença un va-et-vient puissant et intense.

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Il sentait la présence de son corps, allongé contre lui, dans son dos, et son bras qui reposait mollement sur sa taille. Son souffle plus régulier sur sa nuque. Et leur sueur qui séchait lentement.

À travers la fenêtre, le ciel resplendissant, à peine ponctué de filaments de coton, l'éblouissait d'une lumière trop vive. Il aurait voulu un ciel gris et bas, sombre, déchiré de pluie, et il n'avait que cette impression assourdissante d'un printemps trop violent, trop arrogant, obscène.

Le craquement résonna dans leur silence comme une détonation. Un vieil elfe de maison se tenait devant leur lit, plus grand et débraillé que les autres, pas le moins du monde embarrassé, et les regardait fixement. En d'autres circonstances, Harry aurait pu rire de cette apparition surprenante, ou se moquer de la longueur des oreilles de la créature, aussi démesurées que sa taille pour un elfe, mais il se contenta d'enfouir son visage dans l'oreiller, écœuré et pris d'une violente nausée.

– Monsieur... Votre rendez-vous est arrivé. Il vous attend dans votre bureau.

Derrière lui, Severus jura comme un diable et se leva avec précipitation, cherchant où le sort avait bien pu envoyer ses vêtements. Il se rhabilla à la hâte tandis que l'elfe restait immobile à les observer, ses petits yeux furtifs passant de l'un à l'autre avec circonspection. Quand il se décida enfin à disparaître, Harry n'avait toujours pas bougé. Il croisa un instant le regard hésitant de Severus, puis l'entendit sortir de la chambre d'un pas rapide, prenant à peine le temps de fermer la porte derrière lui.

oooooo

Harry resta prostré sur le lit pendant plusieurs heures.

Il se sentait sale. Avec l'impression d'avoir cédé à ses instincts les plus bas et les plus vils. Cela avait été animal, presque bestial. Il avait fini par jouir bien sûr, mais ça n'avait été qu'un soulagement physique. Il n'avait pas senti cette plénitude qu'il attendait, qu'il avait pu voir dans les souvenirs charnels de Lucius. Severus l'avait pris, avec une intensité sauvage, puis il était parti. Et lui restait là, abandonné... Il n'y avait même pas eu de tendresse ou de gestes qui ressemblent un tant soit peu à de l'affection. Harry avait l'impression d'avoir été un morceau de viande dont Severus s'était servi pour soulager ses pulsions primaires. Il avait été pris sans se donner vraiment.

Et cette sensation de souillure physique n'était rien par rapport à celle qui envahissait son esprit. Ce qu'il avait fait le répugnait : il s'était mis entre les deux hommes qu'il avait promis de ne pas séparer. Lucius l'avait peut-être délivré de son serment, pour des raisons qu'il ne comprenait toujours pas, il avait beau l'avoir poussé vers les bras de Severus, Harry ne voulait pas être celui qui s'interposerait entre eux. Il n'avait pas assez résisté, il n'avait pas été assez fort pour renoncer. Il avait fini par avoir Severus, mais à quel prix à présent ?

Lucius savait. Ou Lucius finirait par savoir. Si ce n'était par Severus ou l'elfe de maison, Harry finirait bien par le lui avouer, sous peine de ne plus pouvoir le regarder en face...

Et ce gâchis immense pour ça ?! Pour si peu ?!

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Il jeta sur la porte un sort impénétrable pour que personne ne rentre et il détourna la magie du Manoir pour bloquer le transplanage des elfes de maison dans sa chambre. Personne ne pouvait le déranger. Il entendit bien Severus venir tambouriner à sa porte après son rendez-vous, et plusieurs fois après, mais il étouffa le bruit d'un sort de silence. Il ne voulait voir personne. Il voulait être seul.

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Dans la soirée, Mayahuel apparut, malgré le sort sur sa chambre, avec un grand verre d'une boisson blanche un peu laiteuse qu'elle posa sur la table de chevet.

– Qu'est-ce que c'est ?

– Corossol, nadi, fit Mayahuel avec un grand sourire malicieux.

Harry grimaça. Elle savait pourtant qu'il préférait d'autres jus de fruit que celui-là. Mayahuel eut un petit rire mutin, plein de fraîcheur et de soleil.

– Il faut savoir changer ses habitudes, nadi. Se laisser surprendre...

Et elle disparut aussi soudainement qu'elle était venue.

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Qu'avait-elle voulu dire ?

Changer ses habitudes. Se laisser surprendre... Ses paroles n'étaient jamais anodines et sa venue après ce qui venait de se passer avec Severus était loin d'être un hasard.

Changer. Il fallait sans doute changer des choses dans sa vie, oui. Mais pour l'instant, il était trop en colère. En colère contre Severus et contre lui-même. Son humeur était sombre, même sa magie était sombre.

oooooo

Au bout d'un moment, il fallut bien se lever. Harry leva le sort anti-transplanage et réapparut dans les cuisines du manoir. Il savait bien qu'il lui faudrait un jour sortir de sa chambre et affronter ses hôtes. Mais il n'était pas pressé. Descendre aux cuisines en douce, c'était un moyen de faire un premier pas sans mettre tout à fait le pied dans la maison.

Une fois passée la surprise de son irruption, les elfes de maison furent ravis de le revoir et s'empressèrent de lui proposer des petits plats, des gourmandises, du champurrado ou du thé par litre. Harry attrapa quelques fruits et s'installa sur un coin de table pour manger. Les piaillements des elfes l'agaçaient mais il savait que cela partait d'un bon sentiment, alors il se taisait et mangeait en silence.

Un peu plus loin sur la grande tablée se trouvait l'elfe qui avait surgi quand il était avec Severus. Il pétrissait une pâte, la malaxant de ses longs doigts fins pleins de farine. Le regard de Harry était empli d'une animosité qu'il maîtrisait mal, jusqu'à ce que l'elfe finisse par lever les yeux vers lui.

– J'espère que tu n'as pas été trop bavard, grommela Harry.

– Je ne vois pas de quoi parle Monsieur Potter...

– Tu le sais très bien. Et j'imagine que Lucius est au courant de tout, fit-il d'un ton acide.

– Je n'avais rien à dire à qui que ce soit, répondit l'elfe en ramassant la pâte en une grosse motte.

Harry leva un sourcil de surprise.

– Quel Maître sers-tu donc ?

L'elfe releva fièrement la tête avec un air presque effronté.

– Mon seul Maître est la promesse que j'ai faite de toujours servir la Maison Malfoy et Maître Lucius au mieux de ses intérêts.

– Et tu ne lui as donc rien dit ? s'étonna Harry.

– Je n'ai pas jugé que c'était quelque chose qu'il soit essentiel que Maître Lucius sache...

Harry ne cachait pas sa surprise. Cet elfe faisait preuve d'une liberté de ton et d'une indépendance peu commune.

– Je pense qu'il n'est pas non plus essentiel qu'il sache que je suis venu aux cuisines ce soir, tenta-t-il.

L'elfe pencha légèrement la tête en réfléchissant.

– Excepté si Maître Lucius s'inquiète démesurément de ce que devient Monsieur Potter...

– Mmhh... J'imagine que tu ne pourras pas faire autrement, maugréa-t-il, désappointé.

– En effet, Monsieur.

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Il regagna sa chambre, il ne voulait voir personne. Il ne voulait pas penser, pas réfléchir, pas se souvenir de ce qu'il s'était passé. Il ne voulait pas rêver à nouveau les mains de Severus sur lui et son corps contre le sien, il ne voulait pas espérer son souffle sur sa nuque et ses lèvres sur sa peau. Il voulait oublier et effacer cette erreur.

Il prit une potion de sommeil sans rêve et s'endormit comme une masse.

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Au petit matin, le soleil était toujours là, aussi vif et éblouissant que la veille. Toujours aussi insolent de lumière, toujours aussi indécent devant le malaise qui le rongeait insidieusement.

Oh, bien sûr, Harry pouvait partir. Il pouvait quitter cet endroit et regagner sa forêt, sa maison. Il pouvait fuir encore une fois, lâchement. Ou bien il pouvait rester et pour une fois, faire face à ses sentiments.

Et laisser une seconde chance à Severus. Et à lui-même.

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ooOOoo

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Harry hantait le manoir comme un fantôme, fuyant la présence de Lucius et Severus. Il parcourait les longs couloirs et les corridors déserts, évitant la rotonde, les Salons, la Salle à Manger, la Bibliothèque, toutes les pièces où il risquait de les croiser. Pour rejoindre sa chambre, il transplanait directement dedans, esquivant l'escalier en colimaçon qui passait devant le Petit Salon. Il ne fréquentait pas non plus le laboratoire de Severus, estimant qu'il était trop facile de l'y trouver.

Le plus souvent, ses pas le ramenaient tout au bout du couloir sud, où se trouvaient les deux vérandas qu'il aimait tant. Camouflées derrière de lourdes doubles portes dans lesquelles se découpait une porte plus petite qui servait au passage commun, les deux pièces se faisaient face. Harry préférait celle qui donnait côté ouest, la plus luxuriante des deux, où ils avaient pris le thé, quelques jours auparavant qui lui paraissaient déjà une éternité en arrière. Vaste et circulaire, toute de verre vêtue et de métal ouvragée, jusqu'à ce qui tenait lieu de plafond, engorgée d'une profusion de plantes, la véranda offrait une vue plongeante sur le jardin de Lucius, pris dans une folie printanière. Quand il se tenait au plus près des vitres translucides, c'était comme si la nature était tout autour de lui, comme s'il était dans le jardin. De nuit, les lumières qui parsemaient les allées et les massifs lui donnaient l'impression de surplomber le parc depuis la proue d'un navire immense. Un sentiment de force et de plénitude l'envahissait et il ne pouvait détacher son regard du ciel gorgé d'étoiles.

L'autre véranda donnait côté est; les levers de soleil y étaient magnifiques, mais Harry l'aimait un peu moins, sans doute parce que le jardin y était moins garni, moins fleuri.

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Il s'ennuyait. Il ne pouvait plus lire, plus étudier. Mais il ne pouvait se résoudre à partir sans que rien n'ait été dit, pas plus qu'il ne pouvait se résoudre à faire le premier pas.

Il retourna aux cuisines pour se nourrir; aider Sky et les elfes de maison puisqu'il n'avait rien de mieux à faire. Émincer les légumes, découper la viande, préparer une sauce... Harry aimait se servir de ses mains pour faire les choses lui-même. Les odeurs, les fumets, les sucs qui grésillaient dans les poêles... Il avait toujours aimé cuisiner, c'était comme faire des potions, mais avec le plaisir de la dégustation en prime. Les Français lui avaient au moins appris ça, cette façon de jouer avec les équilibres pour composer quelque chose d'harmonieux. Il n'avait pourtant jamais l'occasion de cuisiner vraiment. Seul, ça n'était pas intéressant; on cuisine souvent pour les autres...

Le plaisir lui revenait, le goût... et l'instinct des cuissons. Il compensait son manque des potions par la gastronomie. Il y trouvait son compte. Et cela soulageait les elfes qui pouvaient vaquer à d'autres occupations.

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Harry avait laissé une liste de course à Sky qui s'était acquittée de sa tâche avec entrain. La chef de cuisine l'aimait beaucoup et se mettait en quatre pour le satisfaire. La cuisine semblait aux elfes plus vivante depuis qu'il y passait tout son temps. Et ils avaient l'impression de compter davantage dans la vie du Manoir. Il était gentil avec eux, toujours serviable et leur parlait poliment. Il ne donnait pas des ordres, il demandait... C'était inédit.

Une vieille recette de son séjour en France lui était revenue en mémoire et Harry voulait tenter de la refaire. Il ne savait pas pourquoi ou pour qui il cuisinait, en fait. Il savait bien que les plats atterriraient inévitablement sur la table de Lucius et Severus mais il ne voulait pas y penser. Il s'amusait à faire à manger pour son plaisir d'abord, pour celui des autres ensuite sans vouloir s'avouer réellement qui apprécierait ou non ses petits plats. Il se plaisait à s'imaginer diriger un restaurant. Ça aurait pu être son métier... être un chef qui œuvrait dans l'ombre pour régaler ses clients ne lui aurait pas déplu. Il préférait tellement l'ombre et la discrétion... Il avait trop vécu dans la surexposition permanente dans son adolescence pour vouloir à nouveau l'attention des gens focalisée sur lui.

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Le plat argenté qui contenait les suprêmes de pigeons et les petits pois à la française disparut en même temps que l'elfe de service pour le déjeuner. La recette était simple mais Harry était plus que satisfait : Sky avait bien choisi son fournisseur et la viande était délicieuse, fine et goûteuse à souhait. Il n'avait pas mangé mais il n'avait plus faim. À force de baigner dans les odeurs et de vérifier la saveur de ses préparations, l'appétit lui passait souvent sans qu'il ne s'en rende compte.

Il commença à débarrasser le plan de travail et à ranger ses ingrédients lorsque l'elfe réapparut dans un bruit caractéristique.

– Monsieur Potter, votre présence est souhaitée à la table de Maître Lucius...

En même temps qu'il lui parlait, l'elfe lui toucha le bras, l'entraînant dans un transplanage et avant même qu'il n'ait compris ce qui se passait, Harry se retrouva dans la Salle à Manger du Manoir, face à un Lucius goguenard.

– Vous n'imaginiez tout de même pas que nous allions déjeuner sans le maître d'œuvre, Monsieur Potter ? lui dit-il. Asseyez-vous.

Le ton de Lucius était suffisamment péremptoire pour que Harry sente l'ordre derrière les mots. L'aristocrate était maître chez lui et considérait que le petit jeu avait assez duré. À quoi bon tergiverser à présent qu'il s'était fait piéger ? Il aurait été ridicule de disparaître maintenant...

Harry s'assit, non sans jeter un regard lourd de reproches à l'elfe qui s'empressa de rejoindre les cuisines. Il n'avait sans doute fait qu'obéir à son maître, mais après tout ce qu'il avait fait pour eux, c'était bien mal le remercier !

Il joignit les mains devant sa bouche, observant ses hôtes qui mangeaient tranquillement. Une lueur amusée dansait dans les yeux de Lucius, mais Harry n'y lisait ni colère, ni reproche à son encontre. Était-il possible qu'il ne sache rien ? Que Severus ne lui ait rien dit et que l'elfe de maison ait tenu sa langue ? Cela paraissait si étonnant...

Une fraction de seconde, son regard croisa celui de Severus qui gardait un air absent et inexpressif, aussi impassible qu'une porte de prison. Cet homme était-il capable de la moindre émotion, de laisser transparaître le moindre sentiment hormis la colère ?! Dire que c'était cet homme qui était venu coller son corps contre le sien, le toucher, s'immiscer en lui si profondément... et qu'il ne lisait sur son visage et dans son regard aucun signe de cette intimité fugace et troublante. Ils avaient tant et si peu partagé à la fois. Une intensité charnelle rare... mais pas une fois leurs regards ne s'étaient croisés, pas une fois ils ne s'étaient embrassés. Ça n'avait été que du sexe. Brutal et bestial.

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– Votre absence a assez duré, Harry, fit Lucius plus doucement, même si elle nous a gratifié d'une cuisine plus savoureuse qu'à l'ordinaire...

– Ravi que vous ayez apprécié, dit-il de bonne grâce.

– J'aurais apprécié vous avoir à ma table plutôt qu'en cuisine, trancha-t-il avec un soupçon d'agacement, mais je ne peux que reconnaître vos talents. Vous êtes aussi doué que pour les potions !

Lucius ne trichait pas sur son sentiment. Il lui offrait bien volontiers une porte de sortie, une échappatoire où il n'y avait nul reproche ou rancune, mais il signifiait tout de même que cela suffisait et qu'il désapprouvait son comportement.

C'était à lui de choisir sa réponse. Ou l'affrontement et ses conséquences inconnues, ou bien Harry acceptait la remontrance voilée tout en saisissant l'issue qu'on lui présentait. Soit. Il reconnaissait bien volontiers le ridicule de la situation, et il osa même un sourire sur cette impression de s'être fait traîner à table comme un gamin boudeur. Il était clair qu'il avait perdu et il fallait parfois être beau joueur et savoir reconnaître sa défaite. La colère s'était estompée. La sensation de souillure en partie. La douleur n'avait pas duré...

Mais rien n'était réglé pour autant. D'une façon ou d'une autre, il avait trahi Lucius – et surtout lui-même – en s'immisçant dans leur couple. Mais il n'arrivait pas pour autant à regretter d'avoir eu cette relation sexuelle avec Severus. Il l'avait voulue tout autant que lui. Il n'en regrettait que les conséquences et ce qu'elle représentait comme séisme dans le microcosme du Manoir. Harry avait le sentiment d'avoir franchi une ligne rouge de manière inéluctable et le passage de l'autre côté allait redistribuer les cartes de manière inconnue. Et l'inconnu était toujours effrayant.

En attendant, il prenait gracieusement l'échappatoire qu'on lui offrait et le sourire tranquille et patient de Lucius démontrait sa certitude quant à l'issue qu'il allait choisir.

– La cuisine et les potions, c'est un peu la même chose, plaisanta-t-il en souriant. Mélanger des ingrédients pour obtenir ce que l'on souhaite. La cuisine a juste meilleur goût... normalement !

Severus apprécia d'un sourire en coin, et Harry fut surpris de voir le même sourire briller dans son regard. D'un seul coup lui revint en mémoire la lueur scintillante capable de danser dans ces yeux noirs et qui l'avait tellement fasciné, celle qui réveillait ce visage parfois austère qui semblait incapable d'exprimer la moindre émotion. Toute la vie était concentrée dans ces deux yeux-là, si noirs, si sombres, si lumineux qu'ils arrivaient à le happer et à le maintenir captif comme un papillon devant la flamme d'une bougie, prêt à se brûler les ailes pour toucher au bonheur de cette lumière.

Harry eut pour lui-même un sourire moqueur tout en s'obligeant à baisser le regard pour s'arracher à sa contemplation hypnotique. Pourquoi était-il capable de fondre ainsi devant Severus, comme s'il avait encore dix-sept ans ? Il était pire qu'une midinette !

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Une ombre devant les flammes de la cheminée capta brutalement son attention et il tourna légèrement la tête. Severus n'avait pas réagi et Lucius n'avait tout simplement pas conscience de ce qui se passait dans son dos.

Se tenant tranquillement devant le feu auprès duquel elle réchauffait ses mains, Mayahuel l'observait avec amusement. Depuis combien de temps cette diablesse était-elle là ?!

Quand elle sentit que Harry l'avait vue, elle s'approcha de la table à petits pas avec une moue de plus en plus dédaigneuse sur le visage.

Lucius et Severus sursautèrent en s'apercevant de sa présence et dévisagèrent la petite créature avec un étonnement non dissimulé.

– Ils te nourrissent si mal que tu ne manges rien, nadi ? fit-elle de ses lèvres pincées.

Il la regarda, surpris, puis fixa la table devant lui. Si le couvert avait été mis pour lui également, Harry ne s'était même pas servi, trop concentré sur les réactions de ses hôtes à son retour après son absence irrévérencieuse.

– J'ai déjà mangé en le préparant, Maya...

– Menteur ! affirma-t-elle simplement. C'est toi qui as préparé ça ?

Sur la pointe des pieds pour que sa tête dépasse de la table, elle jeta un œil d'abord méfiant puis intéressé aux restes dans le plat.

– Je t'ai bien appris, dit-elle d'un air satisfait après sa réponse affirmative.

Il éclata d'un rire si spontané qu'il se sentit instantanément libéré de ses inquiétudes et de ses craintes.

– Maya ! Tu ne m'as rien appris à part le champurrado et les tamales !

– C'est bien ce que je dis ! Je t'ai appris l'essentiel !

Son visage rond à la peau cuivrée affichait un sourire si malicieux qu'il se demanda quel mauvais coup elle préparait.

– Tu voulais quelque chose, Maya ? s'amusa-t-il. Mes hôtes sont en train de déjeuner...

Lucius et Severus restaient étrangement cois devant leurs taquineries de vieux couple, se gardant d'intervenir tout en n'en perdant pas une miette.

– Rien de particulier, mais..., commença-t-elle en laissant ses doigts danser dans les airs, faisant apparaître un grand verre d'une couleur rose framboise juste à côté de sa main, qui lui mit immédiatement l'eau à la bouche. ...Pitaya, nadi ? À défaut de manger, prends au moins ça !

– Tu es une mère pour moi, Maya ! se moqua-t-il. Puis regardant le verre avec gourmandise, il ajouta : Et tu connais trop mes péchés mignons ! À quoi dois-je une telle récompense ?

Elle pencha légèrement la tête de côté et sa longue natte noire tomba par-dessus son épaule tandis qu'elle le dévisageait avec un sourire rayonnant et un rien moqueur.

– Le changement, nadi, énonça-t-elle comme une évidence. Je t'ai vraiment bien appris. Tu es finalement peut-être plus intelligent que tu n'en as l'air !

Et elle éclata de rire devant son air renfrogné qui augmenta encore lorsqu'il remarqua que Severus réfrénait un sourire devant l'ironie et l'impertinence. Nul doute qu'il appréciait les réflexions désobligeantes de Mayahuel, il était capable d'émettre le même genre de sarcasme !...

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Lucius gardait une distance prudente mais amusée tandis que Severus semblait goûter de plus en plus la présence de la petite créature qui jubilait toujours malgré son regard le plus sombre.

– Je ne peux que lui donner raison..., esquissa-t-il d'un ton mielleux.

Harry se renfrogna encore un peu plus. Au moment le moins opportun qu'il soit, cette diablesse arrivait avec une sucrerie comme on récompenserait d'un bonbon un enfant qui a bien fait ce qu'on lui a demandé. Et en deux temps, trois mouvements, elle avait mis Severus dans sa poche et il semblait prêt à se liguer avec elle. Contre lui.

– Gardez donc pour vous vos sarcasmes ! grinça Harry. Puis il pointa un doigt qui se voulait menaçant vers Mayahuel : Il faut qu'on parle toi et moi !

Elle éclata à nouveau d'un grand rire joyeux qui donnait bien peu de crédit à sa menace, cachant ses mains tatouées dans les plis de sa robe, puis elle sembla enfin s'intéresser aux deux hommes présents dans la Salle à Manger.

Elle contourna tranquillement la chaise de Lucius et marqua un temps d'arrêt à la vue de son bras gauche enveloppé d'un bandage serré. Sa petite main tatouée passa lentement au dessus de l'attelle tandis que son regard remontait vers les yeux gris de Lucius, puis les siens.

– Tu as fait du bon travail... Mais il n'y a pas que cette blessure à soigner, fit-elle remarquer posément.

– Il suffit ! lâcha Lucius d'un ton sec.

Une fraction de seconde avait suffi pour qu'il se retrouve avec sa baguette en main, méfiant et sur la défensive, presque prêt à livrer un combat. Sa vive réaction avait alerté Severus dont la baguette apparut bien serrée dans son poing à peine un instant plus tard. Harry les regarda sans comprendre, tout en remarquant leurs réflexes quasi-simultanés, preuve de leurs entraînements répétés.

– Pardonnez-moi si j'ai été trop intrusive, dit calmement Mayahuel et l'apaisement presque hypnotique dans sa voix eut pour effet de les détendre immédiatement. Votre bras est guéri, vous pouvez quitter ce bandage. Pour le reste...

D'un geste de la main, elle fit disparaître la contention, interrogeant Harry du regard. De quoi parlait-elle exactement ? Il en avait bien une petite idée, mais ce n'était ni le lieu, ni le moment.

Lucius avait rangé sa baguette aussi furtivement qu'il l'avait sortie, et il remuait à présent son poignet, massant longuement la peau si blanche à l'endroit de la blessure. Son visage exprimait encore une certaine tension résiduelle, mais la méfiance s'était estompée.

Mayahuel s'était rapprochée de Severus qu'elle jaugeait d'un regard inquisiteur.

– Ainsi, c'est toi l'auteur de ces blessures, fit-elle simplement. Et celui de ces enluminures magiques qui parsèment la maison. Un peu faibles sans ta magie, nadi, mais intéressantes...

Ses petits yeux étirés brillaient d'une lueur sombre et ne lâchaient pas Severus qui frissonna un instant de ce contact presque physique avec elle.

– Intéressant..., se délecta-t-elle avec avidité.

– Je vois ton petit sourire, Maya ! s'amusa Harry. Veux-tu bien cesser de tourner autour de Severus ?

– Certaines choses te seraient-elles réservées, nadi ?

Son rire espiègle acheva de détendre l'atmosphère et Harry prit son verre de pitaya avec lequel il la remercia d'un geste, avant de boire longuement pour cacher sa réaction gênée. Sa présence avait détourné l'attention de ses hôtes de son absence prolongée, et il ne doutait pas que son irruption à ce moment précis ait eu un autre but que celui-là, mais il ne souhaitait pas revenir sur un terrain glissant.

– Savoure ! fit-elle avec un clin d'œil. Tu l'as mérité. Une autre fois, messieurs...

Elle les regarda tour à tour, un sourire carnassier sur le visage à l'attention de Severus, puis s'éloigna pour s'approcher du feu et sembla disparaître dans les ombres de la pièce.

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Le silence perdura un moment pendant lequel chacun cherchait à comprendre comment et à quel instant elle avait quitté la Salle à Manger, puis Severus osa la première question :

– Qu'est-elle ?

La formulation surprit Harry. Mayahuel n'était pas une chose ! Mais il connaissait suffisamment Severus pour comprendre que son intention n'était pas péjorative, et insistait simplement sur sa nature de créature magique.

– Je ne sais pas exactement, répondit-il avec franchise. Mayahuel est... un être magique... Je n'en ai jamais vu d'autres de son espèce, mais elle dit qu'il en existe, peu nombreux cependant... Elle agit parfois comme une simple elfe de maison, mais elle n'est pas dévouée... elle est libre. Elle n'est liée, ni à moi, ni à ma maison et elle agit selon son bon vouloir.

– Ça, on a bien vu ! ironisa Severus, ses yeux sombres brillants intensément.

– N'en rajoutez pas ! fit Harry avec un petit rire. Elle a un goût certain pour l'ironie mordante, c'est vrai. Vous vous ressemblez sur ce point ! Elle m'a choisi, poursuivit-il pensivement après une gorgée de pitaya, mais elle fait ce qu'elle veut. Parfois elle est occupée et ne répond pas lorsque je l'appelle, parfois elle vient sans que je n'ai rien demandé, ou bien elle fait des choses qu'elle estime meilleures ou plus efficaces que ce que j'ai dit... Elle existe de façon totalement indépendante de moi... Mais bien plus que les elfes de maison, elle possède une magie puissante, très différente de la leur... Il vaut mieux ne pas s'y frotter ! ajouta-t-il avec malice.

– Est-elle légilimens ? demanda brusquement Severus.

Harry hésita un moment et les regarda tour à tour. L'attention de Severus était manifeste Mayahuel semblait avoir éveillé sa curiosité et son regard intrigué ne le quittait pas des yeux. Lucius en revanche, restait plus en retrait, le visage encore troublé après son éclat de colère et de méfiance. Sans doute avait-il fait le rapprochement entre la créature et ce qu'il avait vu de ses souvenirs. La présence de Mayahuel y était récurrente.

Lucius échangea avec Severus un regard où il lut une question muette puis une confirmation. Que leur avait-elle donc fait ?

– Je ne sais pas... mais j'imagine que ce n'est pas impossible, bien que sa magie ne procède pas de la même façon que la nôtre.

Il avait dans certains rituels mêlé son esprit si intimement avec celui de Mayahuel qu'elle n'avait jamais eu besoin de légilimencie pour le connaître, mais ses pouvoirs étaient grands et il n'aurait pas été étonné qu'elle puisse ainsi pénétrer leurs esprits.

– Dois-je m'inquiéter de la voir apparaître à sa guise dans le Manoir ou est-ce quelque chose de parfaitement normal ? fit Lucius avec une pointe d'agacement.

Harry esquissa un sourire contrit. Il comprenait sa réaction et il lui semblait d'autant plus difficile de légitimer les agissements de Mayahuel.

– Je la crois capable de déjouer la plupart des défenses de notre monde sorcier, mais elle ne le fera jamais à mauvais escient... Vous n'avez rien à craindre d'elle parce qu'en réalité, nous ne l'intéressons pas vraiment. Mais vous ne pouvez pas faire grand chose non plus pour empêcher sa présence si elle le souhaite...

– Fort bien ! fit Lucius en se levant brusquement. Puisqu'elle entre et sort selon son bon vouloir, il me semble que je n'ai rien à dire !

En quelques pas, il fut hors de la Salle à Manger, suivi par le regard inquiet de Severus.

– Je vais lui dire un mot, s'excusa-t-il avant de sortir à son tour.

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Resté seul, Harry ne savait que penser. Trop de choses s'étaient précipitées en même temps : sa réapparition forcée, la quasi-absence de réaction de ses hôtes à son retour, l'irruption de Mayahuel et à présent le comportement de Lucius, dont il comprenait sans peine l'agacement, mais qui l'étonnait chez cet homme habituellement rompu à une parfaite maîtrise de lui-même. Tant de choses qui restaient en suspens et sans réponse...

Les elfes de maison interrompirent ses réflexions en arrivant pour débarrasser la table. Harry finit rapidement son verre de jus de fruit et leur laissa le champ libre pour faire leur travail.

En passant devant le bureau de Lucius, il entendit leurs voix, assourdies par la lourde porte, et perçut le ton apaisant de Severus sans comprendre le sens de ses paroles.

Il ne savait pas de quoi exactement ils parlaient – de Mayahuel ou de lui-même – mais il savait en revanche de quoi il allait devoir parler avec Lucius. Le brusque rappel de cet aveu à venir lui noua le ventre. Cette perspective ne l'enchantait guère mais il n'avait pas le choix s'il voulait pouvoir se regarder en face.

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ooOOoo

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La chaleur dans la véranda était étouffante, tropicale, encore accrue par la lumière qui inondait les innombrables vitres de la façades et du plafond. Un soleil éclatant régnait sur le jardin, dessinant des ombres tranchées sur les allées de gravier. Des elfes travaillaient dans les massifs, arrachant les mauvaises herbes et plantant de nouvelles fleurs. Plus loin, les grandes pelouses impeccablement taillées rejoignaient la lisière d'un bois. Depuis la véranda, Harry ne pouvait pas distinguer la piscine sur sa droite, seulement la terrasse de pierres blanches qui descendait vers le jardin par un large escalier aux rampes ouvragées. Il faisait un temps radieux, un temps à se promener dans le parc s'il avait été d'humeur à le faire.

Une fois de plus, il se demandait ce qu'il faisait là. Draco avait retardé sa venue, et il se sentait pris au piège entre Severus et Lucius. Lucius avait semblé l'absoudre de son désir et lui avait quasiment laissé carte blanche avec Severus, lequel restait inconstant dans ses volontés : il ravivait les braises d'un amour ancien, puis disparaissait ou reculait des quatre fers. La relation sexuelle qu'ils avaient eue avait été une pulsion animale, instinctive, qui ne les avait rassasiés ni l'un ni l'autre. Harry voulait plus, mais il refusait de se mettre entre les deux hommes et d'être responsable de ce qui pouvait advenir de négatif. La culpabilité l'étreignait déjà bien assez.

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Harry avait perdu depuis longtemps l'habitude de se tenir sur ses gardes et ses pensées qui divaguaient avaient capté son attention au-delà du raisonnable.

Il sentit la main sur son épaule sans savoir entendu le moindre son ou perçu une quelconque présence.

Son corps se raidit instantanément, entre inquiétude et attente fébrile, tandis que son regard restait figé au loin, sur les massifs parsemés de taches de couleurs rouges et jaunes.

– Ce n'est que moi..., fit une voix douce.

Harry baissa légèrement les yeux vers les longs doigts fins à la peau si blanche posés sur sa chemise. Des mains de pianiste, avait-il pensé un jour... Son cœur se serra brusquement. Était-il vraiment prêt pour cette confrontation, à un moment qu'il n'avait pas choisi ?

La main sur son épaule insistait pour qu'il se tourne à demi et il céda lentement pour se retrouver peu à peu face au visage souriant mais las de Lucius.

– Je suis désolé de m'être emporté, Harry, s'excusa Lucius. La fatigue, la contrariété... je ne sais pas, mais je n'aurais pas dû... Vous n'y êtes pour rien et votre... « amie » sera la bienvenue pour vous rendre visite.

Il secoua la tête pour chasser ces paroles absurdes. Ce n'était pas à Lucius de s'excuser de quoi que ce soit, bien au contraire !

– C'est moi qui suis désolé, répondit Harry d'un air contrit. Maya est habituellement plus... discrète.

– Ce n'est pas la première fois qu'elle vient ici, n'est-ce pas ? fit Lucius avec un petit rire.

– Pas tout à fait...

La gêne était perceptible dans sa voix, mais Lucius ne semblait pas lui tenir rigueur de quoi que ce soit.

– Maya ne sera jamais malveillante à votre égard...

– Je le sais, Harry, assura Lucius tranquillement. N'ayez crainte... Dans vos souvenirs, j'ai vu de Mayahuel bien plus que vous n'en pensez. Et s'il le fallait, votre absolue confiance en elle suffirait à me garantir sa loyauté. J'ai été impulsif et je le regrette.

Lucius pressa son épaule affectueusement puis retira sa main en un geste évasif qui signifiait une certaine résignation nonchalante.

C'était la première fois que Lucius évoquait si clairement ce qu'il avait pu voir dans son esprit, et visiblement il en avait perçu davantage que ce que Harry lui avait montré. Un jour, il lui faudrait savoir jusqu'où.

– C'est juste que..., poursuivait Lucius, j'ai toujours considéré le Manoir comme inviolable, sécurisé... une espèce de rempart derrière lequel moi et les miens serions toujours à l'abri. Savoir qu'elle, vous, ou d'autres... seraient capables de franchir ses protections et pénétrer à l'intérieur n'importe quand est assez... déstabilisant.

Les mains croisées derrière le dos, Lucius contemplait ses jardins et l'immense propriété qui entourait sa demeure, le visage légèrement soucieux.

Encore une fois, Harry était surpris par la transparence de Lucius. Se pouvait-il que cet homme si simple, si honnête et si naturel avec lui soit un tel requin en politique et dans les affaires ? Il ne fallait sans doute pas gratter bien loin sous la surface pour retrouver l'aristocrate suffisant, bouffi d'orgueil et d'arrogance, comme il avait pu l'être lors de leur dîner à Paris, mais avec lui, Lucius laissait toujours tomber le masque et se montrait en toute honnêteté. Il commençait à comprendre ce qui avait pu attirer Severus sous l'apparence noble et froide de l'aristocrate.

– Avec la quantité de magie que j'y ai insufflée l'autre jour, reprit Harry en se moquant de lui-même, je vous assure qu'il est inviolable ! Aucun sorcier normalement constitué ne pourrait franchir ses défenses !

– Excepté vous..., sourit Lucius.

– Le jour où vous ne souhaiterez plus ma présence, Lucius, énonça Harry très sérieusement, je n'abuserai pas de ce que je suis capable de faire.

– Je n'en doute pas, assura-t-il. Mais pourquoi diable ne voudrais-je plus de vous ici ?!

Son rire clair était désarmant de simplicité et de surprise. Harry hésitait, percevant l'enjeu et l'importance de l'instant où ses paroles pouvaient tout faire basculer.

– Lucius, je dois vous parler...

– Allons dehors, voulez-vous, l'interrompit-il. Un peu d'air frais me fera du bien...

Harry fronça brusquement les sourcils, observant le visage épuisé et légèrement plus pâle qu'à l'ordinaire de son hôte.

– Vous ne vous sentez pas bien ?

– Un peu de fatigue..., éluda-t-il. Les derniers jours ont été éreintants, avec le changement de Ministre... Et puis, il fait trop chaud ici.

Ils regagnèrent le couloir qui desservait les pièces principales du rez-de-chaussée puis le grand Hall d'entrée sans apercevoir Severus, au grand soulagement de Harry. Sa présence n'aurait fait que retarder une échéance inéluctable et il ne savait pas s'il aurait encore eu le courage de parler à Lucius en tête à tête.

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Entre les deux escaliers somptueux qui menaient aux étages s'ouvraient les vastes portes donnant accès à l'extérieur et aux jardins. Le reflet du soleil sur l'immense terrasse en marbre blanc du Manoir était éblouissant, et Harry cligna des yeux plusieurs fois avant de s'habituer à la clarté presque surnaturelle. Mais il faisait effectivement plus frais que dans la véranda et une légère brise apportait un souffle d'air bienvenu.

Lucius les conduisit un peu plus loin sur la droite, devant les pièces d'apparat inusitées, où se trouvaient des fauteuils accueillants faisant salon autour de quelques tables basses. À travers les baies vitrées, Harry jeta un œil sur ce qui devait être une salle de bal ou de réception, toute en faste et en dorures, dont les innombrables miroirs le reflétaient de tous côtés, donnant une impression d'immensité irréelle. Plusieurs lustres en cristal renvoyaient les rayons du soleil dans toutes les directions, éclairant les vases précieux, les statuettes, les cheminées de marbre et les guéridons en acajou. Il imaginait sans peine les soirées et les réceptions fastueuses qui avaient dû avoir lieu dans cette salle autrefois – peut-être même Lucius s'était-il marié ici avec Narcissa – drainant entre ces murs d'une richesse inédite, toute la noblesse et le gratin du monde sorcier, revêtus de leurs plus belles robes de cérémonie, babillant des compliments hypocrites et des mondanités pleines de fausseté, esquissant des valses élégantes dans la douceur des soirs d'été.

Cela arrivait-il encore parfois ? Severus lui avait dit que l'aile nord du Manoir ne servait plus depuis longtemps... Du temps où Lucius était Ministre ? Pour le mariage de Draco ? Quoique la noce avait dû être moins somptueuse qu'elle ne l'aurait été si Draco avait épousé une sorcière... Un tel faste laissé à l'abandon soulignait encore un peu plus le changement que le temps avait opéré chez Lucius. Il était à présent si loin de l'aristocrate fier et arrogant qu'il avait été autrefois...

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À peine installés dans les fauteuils sur la terrasse, un elfe de maison apparut avec un plateau pour leur servir un thé.

Tenant entre ses mains une tasse de porcelaine brûlante comme s'il voulait s'y réchauffer, Lucius l'observait avec attention et intérêt, dans un silence qui s'éternisait. Tout à l'heure, Harry s'était senti prêt à avouer sa "trahison", mais Lucius l'avait interrompu, et à présent, il fallait tout recommencer.

– Eh bien, de quoi vouliez-vous m'entretenir, Harry ?

– Lucius... je dois vous parler de..., commença-t-il avant de s'interrompre pour déglutir difficilement.

Merlin ! Qu'il était difficile de rompre ainsi la confiance !

– Severus... ? hasarda la voix douce de Lucius. Tout va bien, Harry, je vous assure...

Que voulait-il dire ?

Le regard posé sur lui était empreint de douceur et de compréhension, à peine voilé d'une mélancolie furtive. Lucius souriait doucement, rassurant, comme pouvait l'être un ami et Harry en fut plus troublé que par n'importe quelle parole qu'il aurait pu dire.

Évidemment il savait. Il savait tout. Et sans doute depuis le départ. De la lettre cachée à Gringotts aux quelques moments qu'ils avaient passés ensemble. De leurs hésitations à leur désir mutuel. Des moments de tension à cet instant de bestialité et de sexe. Severus ne lui avait rien caché.

Le silence s'éternisait encore, il n'y avait plus grand-chose à dire, à présent, si Lucius savait tout et n'en disait rien.

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Harry but son thé lentement, sous le regard bienveillant de Lucius, étonné de ce silence tranquille qui les enveloppait.

Les elfes avaient déserté les jardins à présent baignés d'une quiétude apaisante. Il ferma les yeux et se laissa aller contre le dossier de son fauteuil, offrant son visage à la caresse du soleil. Le clapotis de l'eau de la piscine, en contrebas de la terrasse, lui rappelait celui de la rotonde ou des cénotes de sa forêt. Il était bien là, même si la température était un peu fraîche pour lui... il aurait pu s'y endormir au murmure de l'eau et au chant des oiseaux, si le silence de Lucius n'avait ce côté obsédant des non-dits que l'on laisse en suspens.

– Il vous aime ? demanda soudain Harry.

– Oui, sourit Lucius.

– Vous l'aimez ?

– Oui ! fit-il avec un rire léger comme une évidence.

– Alors qu'est-ce que je viens faire là-dedans ?

Harry avait parlé sans même ouvrir les yeux, peu désireux de se confronter au regard de Lucius, mais les intonations qu'il percevait dans sa voix avaient suffi à le détendre et à lui permettre d'aller jusqu'au bout de ses interrogations.

– Il vous aime et vous l'aimez..., répondit Lucius en souriant.

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ooOOoo

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Il avait besoin de travailler et de s'occuper l'esprit pour cesser de penser. Ni la cuisine, ni les potions ne lui demandaient assez de concentration pour empêcher ses pensées de divaguer et de revenir sans cesse sur les mêmes sujets et les mêmes interrogations. Harry avait donc trouvé refuge dans la Bibliothèque où il s'était plongé dans l'étude d'ouvrages anciens de runes et de botanique, accumulant autour de lui, sur la grande table de travail, une quantité impressionnante de livres ouverts, et chaque nouvelle information amenait de nouvelles questions et de nouveaux livres à consulter, achevant de le noyer sous un déluge d'informations et de savoir qui le maintenait loin de ses propres tourments. La Bibliothèque du Manoir était une mine d'or et il aurait pu y passer tout son temps, tant il y avait de choses à découvrir et tant cela lui donnait des idées pour de nouvelles potions et de nouvelles expériences.

Un bruit dans le Hall d'entrée le tira un instant hors de sa concentration. Par la porte de la Bibliothèque restée ouverte, Harry entendit Severus confier sa cape à l'elfe de maison venu lui ouvrir et lui demander où se trouvait Lucius.

– Dans son bureau, Monsieur, fit la petite voix nasillarde.

Depuis la fin du déjeuner où il avait suivi Lucius pour le calmer après l'apparition de Mayahuel, Severus avait quitté le Manoir et n'avait pas reparu. Harry, lui, avait passé le début de l'après-midi à parler avec Lucius, une conversation pesante et lourde de sens qui avait éveillé autant de questions qu'elle avait apporté de réponses.

Les pas sonores de Severus se rapprochaient de la pièce où il se trouvait et Harry sentit naître dans sa poitrine une légère crispation. Le pas ralentit et se fit hésitant, puis Severus pénétra dans la Bibliothèque.

– Tout va bien ? demanda-t-il tandis que Harry finissait par lever la tête pour le saluer.

Severus se tenait à quelques mètres de lui, jetant un œil curieux sur la montagne d'ouvrages qui l'entouraient.

– Oui, merci, fit Harry en hochant la tête.

L'expression et l'attitude de Severus restaient inexorablement neutres et dépourvues de toute ambivalence. Harry n'en attendait rien mais cette froideur apparente ne cessait de le questionner.

– Je vous ai ramené de la lecture, fit Severus en lui tendant un tout petit livre dont la couverture semblait hors d'âge. C'est un des ouvrages les plus anciens que je connaisse sur la magie des runes. Je l'ai vendu il y a quelques années à un collectionneur qui me l'a prêté pour que vous puissiez le consulter...

D'une main hésitante, Harry prit le livre, percevant tout à coup la stase magique qui l'entourait et le protégeait, et leva un regard interrogateur vers Severus.

– Cela maintient une atmosphère sèche et constante autour du papier, expliqua-t-il, pour mieux le conserver. Il a au bas mot quelques centaines d'années...

– J'en prendrai grand soin, fit Harry presque ému de la confiance de Severus. Merci...

– Je n'en attends pas moins de vous !

Un sourire discret atténua la brutalité de ses propos et Severus quitta la Bibliothèque sans un regard ni un mot de plus.

D'un geste fébrile, Harry repoussa tous les ouvrages qu'il était en train de consulter pour examiner le petit livre aux feuillets de vélin roussis par le temps et d'une finesse extraordinaire. Sans la stase magique, nul doute que le papier se serait transformé en dentelle puis en poussière.

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Une heure plus tard, Harry replia le parchemin sur lequel il avait pris des notes au fur et à mesure de sa lecture. L'ouvrage était riche de savoirs oubliés et il n'avait pas voulu en perdre une miette. Il n'aurait sans doute plus jamais l'occasion de consulter un livre aussi ancien et aussi précieux.

Le geste de Severus ne cessait de l'étonner. Il n'avait pas dit un mot au sujet de ce qui s'était passé entre eux, il n'avait pas esquissé un geste de rapprochement, son attitude restait aussi distante qu'à l'accoutumée, presque froide, il l'avait même vouvoyé, et à côté de cette réserve, il s'était donné la peine de contacter un ancien client, de se faire prêter un livre d'une rareté exceptionnelle – s'il n'était pas unique – et de le lui confier... Harry était bien conscient de tenir une petite fortune entre ses mains, mais plus que cela, c'était la portée symbolique du geste de Severus qui le marquait.

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Il frappa à la porte du bureau de Severus sans certitude. Ses deux hôtes n'étaient ni dans le Petit Salon, ni dans la véranda, et il s'apprêtait à descendre l'escalier en colimaçon s'il n'obtenait pas de réponse.

– Entre...

Le tutoiement le surprit; sans doute Severus pensait-il avoir affaire à Lucius... Harry tourna quand même la poignée et s'avança dans le bureau toujours un peu sombre malgré le soleil éclatant à l'extérieur.

Assis à son bureau, Severus ne parut pas surpris de le voir et leva vers lui un regard brillant.

Harry s'approcha pour lui rendre le livre avec un sourire plein de gratitude.

– Merci beaucoup..., fit-il simplement.

Severus baissa les yeux vers le livre et la main de Harry tendue vers lui, les contempla un moment et finit par prendre l'ouvrage.

– Avec plaisir...

Un léger vibrato perlait dans la voix de Severus qui fit naître des frissons dans son ventre. Leurs regards se croisèrent brièvement et Harry préféra faire demi-tour et s'avancer vers la porte. Il n'était pas prêt à ce qui pouvait se passer s'il restait trop longtemps en sa présence. Son désir était trop fort et il avait besoin de temps.

Il n'eût pas le loisir d'atteindre la porte qu'il sentit une main sur son épaule le freiner et le retenir. Severus s'était levé et l'avait rejoint avec une étonnante rapidité et à présent, sa main insistante le priait de lui faire face.

Harry se retourna lentement, incertain de ce qu'il désirait ou ne désirait pas. Ses pensées et ses sentiments étaient aussi confus que son envie était évidente, mais il refusait encore d'abandonner la raison au profit de ses pulsions.

Devant lui, bientôt contre lui, Severus ne le lâchait pas et s'approchait encore davantage. Un pas en arrière et Harry fut contre la bibliothèque, acculé par une présence délicieuse dont le contact grandissant et l'odeur épicée lui faisait tourner la tête, perdu dans la profondeur des yeux sombres dont l'intensité le brûlait d'une ivresse folle.

Malgré lui, ses mains glissèrent dans le dos de Severus pour l'attirer un peu plus contre lui et le simple fait de sentir son corps puissant sous ses doigts fébriles le fit frissonner des pieds à la tête.

Plus aucun espace ne les séparait l'un de l'autre et Harry pouvait sentir contre son torse la poitrine de Severus qui se soulevait à un rythme anormalement rapide et saccadé. Il ne pouvait quitter des yeux le regard si noir qui l'avait irrémédiablement capté, jusqu'à ce que la distance entre leurs visages ne se réduise encore et que leurs lèvres se joignent lentement.

Elles étaient fraîches, et si douces... si tendres.

L'émotion qui l'envahissait l'obligea à fermer les yeux avant qu'ils ne paraissent trop brillants de larmes contenues.

Les lèvres de Severus l'embrassaient doucement, somptueuses comme de la soie, et leur caresse était la plus délicieuse qu'il ait jamais connue. Peu à peu, leurs langues se mêlèrent, esquissant une danse ancestrale qui éveilla dans sa poitrine des fourmillements d'une intensité presque insupportable.

Rapidement, l'émotion le submergea et un tremblement irrépressible parcourut son corps. Ce baiser signifiait tellement pour lui, il contenait tout ce qu'il avait toujours espéré : une ébauche de tendresse, un geste d'attachement tellement plus important que toutes les parties de sexe débridé qu'ils pourraient avoir ou tous les orgasmes du monde. La douceur de ces lèvres sur les siennes témoignait mieux que des mots des sentiments de Severus, de son affection, de sa bienveillance, de son estime et de l'importance que Harry pouvait avoir pour lui.

Le sexe n'était que du sexe, primaire, bestial, aussi anonyme que pouvait l'être une pulsion. Mais ce regard brillant de mille feux, et ce baiser tendre et offert, ce don de soi, le bouleversaient tant qu'il souhaita que Severus ait gardé les yeux fermés pour ne pas voir la larme qui s'échappait et qui roulait lentement sur sa joue.

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Perdu dans son émotion, Harry n'avait pas senti jusque là les mains fiévreuses de Severus qui s'empressaient dans son dos, sur sa nuque, dans ses cheveux qui flottaient sur ses épaules, et qui maintenaient sa tête si près de la sienne qu'il n'aurait pu détacher ses lèvres de sa bouche si tant est qu'il l'ait voulu.

Peu à peu, il perçut également le corps qui se pressait contre le sien, les bras puissants qui l'entouraient, la jambe glissée entre les siennes pour se tenir au plus près de lui, et le désir marqué de Severus qui enflait encore contre sa hanche.

La fin du baiser fut un déchirement que vint combler l'obscurité troublante de son regard. Severus le dévorait des yeux, aussi sûrement que ses mains s'égaraient vers le bas de son dos.

Puis les mains le saisirent aux épaules et le firent pivoter pour faire face à la bibliothèque sur laquelle Harry s'appuya. Un par un, il sentit les boutons de sa chemise sauter et les mains se glissèrent sur sa peau, parcourant son torse et se perdant dans les poils clairsemés de son ventre avec délectation et envie. Contre sa nuque, presque glissé dans ses cheveux, il sentait le souffle de Severus et ses lèvres qui semblaient vouloir dévorer sa gorge offerte.

Les mains s'attardèrent un moment sur ses épaules et firent glisser sa chemise, découvrant son dos nu contre lequel se pressa la bouche de Severus, si avide de chair et de chaleur.

Quelque part entre l'ivresse du contact de sa peau et le désir incandescent qui coulait dans ses veines, Harry perçut le sort lancé pour fermer la porte tandis que lui-même osait un sortilège pour déshabiller Severus des pieds à la tête.

Il sentait la fièvre qui s'emparait du corps nu pressé contre lui, l'envie, le désir, les bras possessifs qui le ceinturaient pour mieux le faire sien, les mains exigeantes, le membre dressé contrarié par le pantalon que Harry n'avait pas encore quitté.

Les doigts défirent un bouton, puis un autre, et encore un autre, et le dernier rempart qui les séparait tomba mollement sur ses chevilles, offrant son intimité la plus folle à ses appétits voraces.

Mais Harry ne voulait pas s'abandonner avec docilité, pas aujourd'hui, pas cette fois, il ne voulait pas se donner sans retour. Il se retourna lentement pour faire face au regard affamé de ces yeux noirs et à cette bouche insatiable et insatisfaite. Cette fois, il voulait voir Severus en faisant l'amour, il voulait plonger son regard dans le sien, il voulait l'embrasser pendant qu'il serait en lui, il voulait pouvoir scruter son visage, la tension qui l'habitait, les reflets de la volupté, l'éclair de plaisir qui traverserait ses pupilles sombres, légèrement dilatées par cette jouissance comme une souffrance, et ce grondement rauque qui passerait par ses lèvres entrouvertes et viendrait s'éteindre sur sa peau.

Avec une facilité déconcertante, Severus glissa ses bras sous ses fesses et le souleva pour le conduire vers le sofa. Un feulement outré s'en échappa lorsqu'il le déposa avec délicatesse sur le velours ras et Orion se réfugia dignement sur le fauteuil de son maître.

Ses jambes qui avaient entouré Severus l'attirèrent tout contre lui, offrant le libre accès de ses fesses à son désir. Leurs regards ne s'étaient pas quittés, rivés l'un dans l'autre, tandis qu'une fraîcheur fugace accompagnait le sexe soudain à l'orée de son intimité et qui le pénétrait avec lenteur.

La douleur lui fit fermer les yeux, et les lèvres de Severus vinrent chercher les siennes le temps qu'elle s'estompe, captant ailleurs son attention, effaçant les élancements sous une douceur délicate.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, Severus l'observait toujours, guettant son assentiment muet et le ballet des corps put vraiment commencer.

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Du corps de Severus, contre son dos, émanait une douce chaleur. Il s'était retiré avec délicatesse même si Harry aurait préféré qu'il reste plus longtemps en lui, pour prolonger cette union fusionnelle qu'ils avaient tant attendue, et ils restaient à présent lovés l'un contre l'autre sur l'étroit sofa. Les bras de Severus l'enveloppaient et le tenaient serré dans une étreinte possessive et tendre à la fois, au plus près de lui, de son souffle redevenu régulier, de son cœur qui ne battait plus la chamade mais qui refusait cependant de le laisser prendre la moindre distance.

Il percevait ses cuisses qui suivaient la ligne des siennes, la douceur de son ventre contre lequel étaient venues se nicher ses fesses, son torse large et puissant contre son dos, et plus haut encore, le visage de Severus, glissé dans le creux de son épaule et de sa nuque, et parfois un baiser furtif posé sur sa peau, comme une caresse du bout des lèvres, éphémère et pourtant essentielle.

Comme un présent inestimable, Harry voulait savourer chaque seconde, chaque battement de cœur de cette étreinte apaisée après l'amour, une éternité de douceur contenue dans une fraction de temps étirée à l'infini. Ce moment était tout. Tout ce qu'il avait toujours voulu, ce qu'il avait toujours attendu. La sérénité de l'instant où toute chose avait trouvé une réponse, la tendresse offerte, donnée sans contrepartie, et si vraie..., sa présence, enfin, si unique, si précieuse qu'il n'imaginait pas qu'elle puisse ne plus être.

Il avait été si seul si longtemps qu'il avait perdu jusqu'à l'idée même de ce que pouvait être un corps contre le sien, une peau nue sur la sienne, des bras qui le tenaient lové, une caresse tendre et aimante. Et Severus lui avait donné tout cela.

La simple idée que cela puisse s'arrêter à nouveau, à jamais, le terrorisait. Retourner dans sa forêt, dans sa maison, loin de tout et loin des hommes, si seul que même la parole lui devenait étrangère, ne jamais plus sentir le glissement tiède et soyeux de sa main, de ses lèvres, ne plus plonger dans son regard brillant et intense, ne plus être tenu tout entier dans ses bras, était inconcevable.

Et pourtant, comment pourrait-il en être autrement ? Après la visite de Draco, il n'aurait plus aucune raison de rester au Manoir, pas plus qu'il n'avait de raisons de rester en Angleterre. Il n'aurait d'autre choix que de regagner sa propre maison, là où était le commencement et la fin de toute chose.

Harry sentit la crainte et la panique monter lentement en lui. Il s'était attaché et il s'était perdu. Il n'y avait pas d'autre issue que la douleur et la souffrance.

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– Quelque chose ne va pas ?

La voix douce interrompit un instant la spirale de pensées sombres qui s'étaient emparées de lui. Severus dégagea de la main les cheveux qui recouvraient son oreille et son cou et y glissa un baiser réconfortant, nichant son nez et sa bouche dans le creux de sa nuque.

Harry secoua la tête, puis finit par demander :

– Non. Pourquoi ?

– Ta magie est instable... et agitée.

Le fameux contrôle sur sa magie qui lui faisait encore défaut... Il s'était tant relâché et éparpillé dans ses pensées qu'il avait perdu la maîtrise, et en y prêtant à nouveau attention, il sentait bien que les volutes de sa magie s'échappaient à travers le bureau et qu'ils étaient tous deux enveloppés dans une aura émeraude.

Harry s'empressa de rassembler en lui et de remettre sous contrôle tout ce qui s'était dispersé dans la pièce. L'air parut soudain plus clair, scintillant, et la fraîcheur le fit frissonner. Derrière lui, Severus eut un halètement surpris, comme s'il manquait d'air.

– Désolé...

– Je n'ai pas dit que c'était désagréable d'être baigné par la magie, sourit Severus, mais il faut y aller plus doucement pour la réprimer. C'en est presque... douloureux.

– Pas désagréable, hein ? fit-il avec un petit rire.

Sur sa peau, les lèvres étirées de Severus marquaient un large sourire puis se rassemblèrent en un baiser léger.

– Ta magie était cependant bien sombre...

Harry ne répondit pas. Qu'y avait-il à dire au juste ? Qu'il était au comble du bonheur et de la peur en même temps ? Qu'il vivait ce qu'il avait toujours souhaité et redouté à la fois, et qu'il redoutait maintenant de tout perdre à nouveau ? Que la situation lui paraissait insoluble ?

Il se lova un peu plus contre le torse de Severus et il sentit ses bras raffermir leur prise et le tenir plus serré encore contre lui, doux et fermes, à la fois rempart et réconfort, protection et tendresse.

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– Merci, dit-il simplement.

– De quoi ?

D'être là. D'être tout simplement là. De ne pas être parti à la sauvette comme la première fois. De ne pas s'enfuir, de ne pas bâcler les choses. D'accorder de l'importance à ce moment, à cette étreinte, de prendre le temps.

D'offrir tant. De la douceur, de la tendresse, des sentiments muets. De la chaleur, du soutien et une certaine considération.

D'avoir été si attentif et si aimant alors qu'il en avait besoin. De ne pas avoir laissé les pulsions prendre le dessus. D'avoir été doux et respectueux.

De caresser. D'embrasser. De plonger son regard dans le sien au moment de s'unir. D'avoir été présent. Et de le rester.

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Harry avait frissonné, encore, entendu un marmonnement dans son dos et un plaid douillet était venu les envelopper d'une douce chaleur. Severus n'avait pas relâché son étreinte et il parsemait de temps en temps son dos et ses épaules de baisers qui faisaient descendre le long de sa colonne vertébrale un autre genre de frisson, éveillant des fourmillements intenses jusque dans son ventre.

Le temps avait passé, les minutes, peut-être les heures, et il voulait savourer chaque seconde comme si elle était la dernière, aussi précieuse, si ce n'est plus, que la précédente, conscient de la fin inéluctable et prochaine de ce moment si précieux.

La lumière s'était faite plus rase et moins puissante la pièce s'était peu à peu voilée d'ombres qui s'allongeaient sur les tapis, dessinant les fantômes de leurs silhouettes alanguies.

– Il est tard...

– Le dîner va bientôt être servi, confirma doucement Severus.

Le dîner. Lucius. L'obligation d'être présent et son regard à affronter. Une soudaine résignation lui serra le cœur.

– Je vais monter prendre une douche, fit Harry.

Les bras de Severus l'empêchèrent de se redresser et il sentit une étonnante fraîcheur s'étendre sur son corps, jusque dans des endroits pour le moins intimes, qui le laissa propre, net et légèrement embarrassé. Severus avait-il pensé à ces endroits-là, ou cela faisait-il partie du sortilège de propreté ?

– On a encore un peu de temps...

Malgré lui, Harry soupira d'aise. L'échéance était reculée de quelques instants et il s'abandonna un peu plus contre la peau douce et chaude de Severus. Il avait envie de l'embrasser mais il ne voulait pas encore se priver de cette étreinte, tant qu'elle était possible.

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Quelques coups sourds résonnèrent sur la porte du bureau.

– Messieurs, le dîner est servi..., fit une petite voix nasillarde.

L'elfe avait au moins pris la peine de rester de l'autre côté de la porte, et non pas de surgir en plein milieu de la pièce comme la première fois. Il y avait du progrès, même si son interruption n'en restait pas moins désagréable.

Severus le serra encore une fois dans ses bras et posa un dernier baiser sur son épaule, puis relâcha son étreinte. Ils se redressèrent en même temps, frissonnants et engourdis.

Harry se leva et enfila son pantalon et sa chemise rapidement, sans se retourner, brusquement noué par l'inquiétude et presque du remord. Derrière lui, Severus avait retrouvé ses vêtements en tas sur le fauteuil de son bureau, surmontés par un Orion bien contrarié de se faire à nouveau déloger. Il s'éloigna avec force miaulements de protestation pour grimper sur le sofa encore tiède de leur présence, tandis que Severus retrouvait son apparence habituelle, élégant mais sobre.

Il y avait quelque chose de pathétique à se rhabiller ainsi à la hâte, comme deux amants surpris par le temps qui a filé et qui doivent rendre leur chambre d'hôtel ou se précipiter pour ne pas rater le dernier train. Harry regretta presque de n'être pas parti un peu plus tôt pour aller prendre sa douche, cela lui aurait épargné cet instant presque sordide.

Si ce n'était Severus, qui revenait à présent vers lui, le regard doux et tendre qu'il posait sur lui, la main qu'il glissa le long de son visage et dans ses cheveux pour l'attirer vers lui, et les lèvres qu'il posa délicatement sur les siennes...

– Tout ira bien, assura-t-il.

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oooooo

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– J'ai failli vous attendre, Messieurs ! fit Lucius avec un large sourire, déjà installé et servi. Asseyez-vous...

Les deux hommes gagnèrent chacun leur place et s'assirent, avec gêne pour l'un et détachement pour l'autre. Severus se servit dans le plat ouvragé posé au centre de la table et entreprit de manger avec appétit, rapidement imité par Lucius qui ne semblait faire aucun cas de leur absence de l'après-midi, ni de leur arrivée commune. Harry restait plus hésitant, jusqu'à ce que la petite enveloppe posée contre son verre n'attire son attention. Il fronça les sourcils et jeta un œil interrogateur vers Lucius.

– Vous avez reçu du courrier, sourit-il malicieusement. Je n'ai pas voulu vous déranger...

Harry sentit la chaleur lui monter au visage et il cacha son hésitation en se concentrant sur l'enveloppe, adressée à « Harry Potter, Manoir Malefoy » avec un en-tête aux armoiries ouvragées de Gringotts. Ils n'allaient décidément pas le laisser tranquille avec ce maudit héritage !

Il décacheta l'enveloppe d'un geste nerveux et parcourut rapidement la courte lettre qui le sollicitait à nouveau pour signer les papiers qui le mettraient à la tête de la fortune des Lestrange et des Black.

– Maintenant qu'ils sont certains de votre retour, ils ne vous lâcheront pas tant que le jugement concernant l'héritage ne sera pas appliqué, remarqua Lucius. Avez-vous décidé de ce que vous vouliez en faire ?

– J'en ai une petite idée, admit Harry avec un soupir. Mais ces paperasses et ces formalités m'horripilent au plus haut point. Et je crains les fuites éventuelles sur mon identité... En réalité, j'aimerais ne pas être mêlé à tout ça de près ou de loin !

Lucius faisait lentement tourner son vin dans son verre en un geste presque hypnotique, renversé contre le dossier de sa chaise, et l'observait avec attention.

– Je comprends bien. Pour ce qui est d'accepter l'héritage, vous n'avez guère le choix... Le reste est affaire de manipulation et de persuasion...

Il but une gorgée et esquissa un rire léger et ironique envers lui-même.

– Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas !

Harry leva lentement les yeux vers l'aristocrate, aussi enjoué et détendu qu'à l'ordinaire, puis chercha le regard de Severus qui acquiesça d'un sourire.

Peut-être Lucius était-il l'homme de la situation... envers et contre tout.

– Je... dois encore voir quelques personnes. Je vais m'absenter demain dans la journée...

– Je vous rappelle que Draco arrive demain, remarqua posément Lucius. En début d'après-midi...

– Déjà ?! fit spontanément Harry. Puis devant l'énormité de ses propos, il ajouta : j'ai perdu le fil des jours...

Un sourire amusé dansait sur le visage de Lucius, mais il s'abstint de tout commentaire.

Draco. Il allait falloir gérer les retrouvailles avec Draco en plus de tout le reste. De l'héritage. De sa « relation » avec Severus. Des incertitudes qu'il avait vis à vis de Lucius. De ses propres désirs et hésitations.

La lassitude lui coupa le peu d'appétit qu'il avait et il se contenta de siroter un verre de vin en silence en regardant ses hôtes manger tranquillement.

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Après le dîner, Lucius proposa de regarder un film dans la salle de cinéma et il accepta la proposition avec plaisir. Aucun d'eux ne semblait très enclin à la discussion et le repas avait été plutôt silencieux, chacun perdu dans ses pensées.

Au sortir de la Salle à Manger, Harry s'excusa un court instant devant le sourire ironique de Lucius.

– Je descends aux cuisines chercher un chocolat chaud..., se justifia-t-il.

Soit, il n'avait pas l'habitude qu'avait son hôte d'exiger et de convoquer les elfes d'un coup sec sur la table. Il n'était pas non plus le maître de maison... L'aurait-il été que sans doute il n'aurait pas agi non plus de cette façon. Commander n'était pas dans ses habitudes. Il faisait ou bien il demandait... Le reste n'avait pas lieu d'être.

Malgré tout, Harry persistait à ne pas comprendre cet homme, tour à tour simple et chaleureux, puis froid et autoritaire quand il s'agissait de diriger ou de maintenir les apparences. Mais excepté les deux saillies piquantes sur leur retard et le fait de ne pas vouloir les déranger, Lucius n'avait rien dit de leur absence durant l'après-midi. Aucun commentaire, aucune question... Se pouvait-il qu'il ne sache rien ? Qu'il n'ait pas compris ? Même l'elfe de maison savait qu'ils étaient tous les deux dans le bureau de Severus... L'ignorance de Lucius paraissait plus qu'improbable. Et il gardait pourtant la même ligne de conduite, tolérant et compréhensif.

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Aux cuisines, Sky s'empressa de lui préparer son champurrado malgré ses protestations pour le faire lui même. Il abandonna rapidement la bataille : il ne corrigerait pas à lui seul des années de servitude et il devait avouer qu'elle le réussissait mieux que lui. Elle y glissait sans doute un ingrédient supplémentaire qu'il n'arrivait pas à définir mais qui lui ravissait les papilles.

En remontant, sa tasse brûlante à la main, Harry trouva les deux hommes dans la pénombre, déjà installés dans le canapé face à l'écran. Cette fois, ils n'avaient pas attendu la moitié du film pour retrouver leur position sans doute habituelle. Dès son entrée dans la pièce, il aperçut Lucius à demi allongé, les chevilles posées sur les cuisses de Severus qui avait glissé sa main sous le tissu du pantalon et caressait lentement la jambe de son compagnon.

La situation était évidente, mais elle n'en était pas moins légèrement désagréable et amère. À quoi pouvait-il s'attendre d'autre ?

Il s'installa à son tour dans un des deux canapés restés vacants et Lucius lança le film.

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Severus n'avait regardé le film que d'un œil. L'autre traînait régulièrement vers la silhouette sombre de Potter, assis stoïquement dans son canapé et buvant sa tasse de chocolat chaud à petites gorgées.

Il n'avait pu que noter son hésitation surprise en entrant dans la pièce, le regard pesant et insistant sur la position sans équivoque de Lucius. Son compagnon n'avait pas hésité une seule seconde à s'installer confortablement, dans une attitude familière et détendue qu'ils n'adoptaient que lorsqu'ils étaient seuls. Et au vu de son sourire ironique et réjoui, il l'avait fait à dessein, pour marquer d'une certaine manière son territoire. Lucius était un homme possessif et l'habitude du pouvoir lui avait laissé cette façon de montrer ce qui était sien.

Harry avait semblé se résigner et avait regardé le film tranquillement dans son coin, sans jamais glisser un regard vers eux. Il devait bien se douter que la situation resterait telle qu'elle était, que cela n'irait jamais beaucoup plus loin. Sa place était sans doute inconfortable et délicate mais Severus ne pouvait guère lui offrir davantage.

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Lorsqu'ils quittèrent Harry devant la porte de sa chambre, il sentit le bras insistant de Lucius se glisser autour sa taille et l'entraîner, non pas dans une étreinte, mais le pousser vers l'avant, vers leur propre chambre, comme si Lucius craignait qu'il ne s'attarde pour lui dire au revoir ou davantage.

– Eh bien ?! sourit-il en ouvrant la porte.

– Ça suffit ! murmura Lucius en le pressant dans la chambre. Il a assez profité de toi tout à l'heure, maintenant tu es à moi pour toute la nuit !

Les yeux brillants de son compagnon montraient assez explicitement ses intentions pour que Severus n'ait aucun doute sur ce qui allait advenir.

– Comment ça « profité » ? s'amusa-t-il cependant.

– Tu ne me feras pas croire qu'il ne s'est rien passé tout à l'heure dans ton bureau, Severus ! Tu sens le sexe à plein nez ! Et tu sais très bien que ça m'a toujours rendu fou !

Joignant le geste à la parole, Lucius l'avait déjà plaqué contre la porte à peine refermée et s'appuyait de tout son long contre lui. Malgré leurs vêtements, Severus sentait sans peine son érection impatiente qui se pressait contre le bas de son ventre.

– Ça fait trois heures que tu me fais languir ! continua Lucius avec une envie fiévreuse. Et ne t'amuse pas à le faire encore, ou je te baise là, contre la porte, sans même prendre la peine de te déshabiller !

– Hors de question ! Tu as ruiné assez de mes pantalons avec tes façons de faire hasardeuses pour rendre ton couturier riche à millions !

Sous l'impatience de son compagnon, Severus vibra de désir puis s'empressa de le satisfaire, remarquant que Lucius n'avait, cette fois, pas pris la peine de jeter un sortilège de silence sur leur chambre, ce qu'ils n'avaient pas fait non plus dans l'après-midi. Harry s'était montré plus discret qu'ils n'allaient sans doute l'être avec Lucius, mais c'était de bonne guerre après tout !

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ooOOoo

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Malgré une nuit fatiguée et fatigante, Severus s'obligea à se lever tôt. Lucius avait été exigeant, presque insatiable, et lorsqu'il avait fini par s'endormir, ce fut pour trouver un sommeil agité de cauchemars qui avaient maintenu Severus éveillé et l'avaient contraint à donner à son compagnon une potion de sommeil sans rêves afin de lui permettre de se reposer.

Il avait espéré croiser Harry dans la rotonde, la véranda ou le laboratoire, mais il n'était présent nulle part dans le Manoir, pas même dans sa chambre dont la porte était restée entrebâillée, ouverte à son regard curieux. Il ne fût pas plus présent au petit-déjeuner que durant toute la matinée.

Lucius s'était levé, les traits tirés et des cernes sous les yeux qui s'étaient à peine estompés après une douche et un grand café. Les cauchemars n'étaient pas habituels chez lui, hormis dans les périodes de grande tension et Severus se demandait ce que cela cachait.

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En fin de matinée, il finit par croiser Harry dans la Bibliothèque, revenu sans crier gare et qui semblait plongé dans la lecture d'un livre qui paraissait bien trop récent pour être à lui.

Il s'approcha sans que sa présence ne le fasse lever les yeux de son ouvrage et reconnut enfin un des livres de droit de Lucius, ouvert au chapitre des successions et donations. La question de cet héritage en suspens avait vraiment l'air de le travailler.

– J'espérais vous croiser à la piscine ce matin..., fit-il en se penchant légèrement jusqu'à poser une main sur le dossier du fauteuil où il était assis.

Il se maudit intérieurement en constatant qu'il avait repris un vouvoiement presque instinctif et Harry sursauta en constatant sa présence si proche, esquissant un sourire gêné.

– Je me suis absenté très tôt... Je devais passer à Poudlard et... Vous savez où est Lucius ?

– Dans son bureau, je suppose, répondit Severus en fronçant les sourcils. Pourquoi ?

– J'ai... besoin de lui parler.

Une frustration mécontente devait se lire sans peine sur son visage mais il n'en avait cure. Les choses ne prenaient pas la tournure qu'il souhaitait et cela l'agaçait au plus haut point.

– Fort bien. Je vous laisse aller le trouver dans ce cas.

Severus tourna les talons et sortit rapidement de la bibliothèque. En trois phrases, ce sale gosse avait réussi à lui gâcher sa bonne humeur et quelques longueurs dans la piscine ne seraient pas de trop pour qu'il parvienne à se défouler.

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Ils avaient déjà commencé à déjeuner lorsque Lucius entra dans la Salle à Manger, le front encore marqué d'un pli soucieux. Il s'assit lourdement et se servit un verre de vin qu'il but rapidement avant même de commencer à manger.

– Tout va bien ? l'interrogea Severus.

– Oui, fit Lucius en hochant la tête.

Puis, comme si cela avait été le signal pour déclencher la discussion, il se tourna vers Harry et reprit le fil de ses idées.

– Je repensais à ce que vous m'avez dit. Ce sera sans doute plus compliqué que nous ne l'imaginions... L'accord verbal de Neville Londubat ne suffira pas, il vous faudra passer par le conseil d'administration pour obtenir son aval.

– Pourquoi refuserait-il ? fit Harry.

– Il ne refusera pas. J'en suis toujours membre, même si j'honore peu de réunions de ma présence, répondit Lucius avec un petit rire. La donation sera validée sans problème, mais le président essaiera par tous les moyens de s'en faire un peu de publicité et de tirer la gloire à lui...

– Qu'il fasse ce qu'il veut du moment que mon nom ne soit pas mentionné !

Severus haussa un sourcil curieux. Un pli de contrariété barrait le front de Harry et faisait légèrement ressortir sa cicatrice.

– Je veux donner l'héritage des Lestrange à Poudlard, expliqua-t-il en se tournant vers lui. Pour créer un véritable institut de médicomagie et de botanique, permettre à l'école de se développer, enfin... ce qu'ils veulent !

Il aurait pu le deviner au vu de la conversation, mais les paroles de Harry le rassurèrent. Voilà qui justifiait sans doute son absence matinale et sa discussion dans le bureau avec Lucius.

– J'aurai une certaine influence sur le président du conseil d'administration, assura Lucius, mais une fuite reste toujours possible... Est-ce que ce ne serait pas plus simple de prendre les devants et de rendre la chose publique avant même la donation ? Couper l'herbe sous le pied est parfois...

– C'est hors de question ! l'interrompit Potter. Il n'y a que deux choses dont je suis certain à propos de cet « héritage » : je n'en veux pas une mornille et je ne veux pas que mon nom apparaisse !

– Tout ne se passera peut-être pas comme vous le souhaitez, Harry, fit doucement Lucius. Il faut vous y préparer... Êtes-vous sûr que rendre votre retour public entraînerait tant de désagréments ?

– Au vu de la façon dont je suis assailli en tant que Brian Evans, je ne veux même pas l'envisager ! répliqua Harry en fronçant les sourcils. La maison d'édition et mon secrétaire filtrent tout, mais c'est déjà assez délirant comme ça ! Alors, le reste... et imaginer qu'ils fassent le rapprochement entre les deux... !

Après leur escapade à Paris, ils avaient bien aperçu dans les journaux français quelques articles qui mentionnaient le passage éclair du grand potionniste dans la capitale, et même une photo prise à leur insu à l'opéra où on les devinait tous les trois dans la loge, mais l'information était restée cantonnée à la presse française et ils avaient pris soin de ne pas mentionner ces articles devant Harry.

– Il faudra tout de même vous montrer, ne serait-ce que pour signer les papiers de la donation et justifier de ma bonne foi...

– Votre bonne foi ? releva Harry en fronçant à nouveau les sourcils.

– Si je vous représente, fit Lucius en riant, on va me soupçonner de collusion avec Gringotts et le conseil d'administration pour vous déposséder, ou même de vous avoir mis sous Imperium !

Harry laissa échapper un long soupir et la lassitude effaça brusquement les marques de contrariété sur son visage.

– C'est tout ce que je déteste dans la société des hommes ! dit-il lentement. La méfiance, les calculs sournois et les manipulations... Pourquoi est-ce que ça ne peut pas être simple ?! Lucius, je sais que je vous demande beaucoup et je ne veux pas vous mettre dans une position délicate...

– C'est moi qui vous l'ai proposé, Harry...

Severus observait avec intérêt le ballet de la conversation entre les deux hommes, tellement pris dans leurs réflexions qu'ils mangeaient sans même faire attention à ce que contenaient leurs assiettes.

– Il y a un autre souci également, commença Lucius. Je me demande si dans le jugement qui vous attribue l'héritage, ne figure pas un devoir d'information de Gringotts concernant l'exécution de la décision du tribunal. En d'autres termes, si la banque ne sera pas obligée de prévenir le Ministère... Parvenir à juguler le président du conseil d'administration de Poudlard est une chose, mais si le Ministère éprouve le besoin de se glorifier de ce jugement et de l'utilisation que vous faites de l'héritage, ce sera plus ardu...

Harry baissa la tête et se massa longuement les tempes.

– Il n'y a pas moyen de faire pression ?

– Il y a toujours moyen, assura Lucius. Mais ça multiplie le risque de fuites... Je vais déjà me procurer les minutes du jugement pour voir exactement ce qu'il contient...

Lucius but une gorgée de vin et jouait avec son verre tout en réfléchissant tandis que Harry semblait avoir définitivement perdu l'appétit.

– Savez-vous exactement ce que contient l'héritage, Harry ? demanda-t-il encore.

– Ils m'ont montré une sorte d'inventaire, mais je n'y ai pas trop prêté attention...

– En dehors de l'argent qui est facile à liquider, reprit Lucius, je suppose qu'il y a des objets de valeur, des propriétés...

Si cela était encore possible, ils virent Harry blêmir de plus belle.

– Qu'est-ce qu'on va faire de ça ?!

– Je connais du monde sur le marché de l'art... je peux faire vendre un certain nombre de choses, à l'étranger si besoin... mais bien en-dessous de leur valeur réelle pour ne pas attirer l'attention. Si le nom des Lestrange est associé au moindre objet, on saura que l'héritage est en cours de liquidation et donc que vous êtes de retour...

– Je me fous de la valeur des choses ! grogna Harry.

– Je pense que le coffre contient également des artefacts de magie noire qu'il ne sera pas judicieux de mettre au grand jour, poursuivit Lucius. Quand aux propriétés des Black, je n'ai pas connaissance qu'elles aient été vendues depuis la guerre...

Lucius se tourna vers Severus pour avoir son avis.

– Pas que je sache, répondit-il. Le Manoir des Lestrange, tout comme leurs autres propriétés, sont toujours plus ou moins à l'abandon...

– Et elles ne sont pas vendables sans éveiller l'attention...

Le regard de Harry passa lentement de l'un à l'autre, fatigué et presque triste.

– Qu'essayez-vous exactement de me dire, Lucius ?

– Que les choses ne se passeront pas forcément comme vous le souhaitez, Harry. Si vous voulez conserver un certain anonymat, vous ne pourrez donner que ce qui est discret, c'est-à-dire l'argent... Gringotts vous facilitera les transactions sans problème. Mais il vous restera sur les bras les propriétés et un certain nombre de biens dont vous ne pourrez pas vous débarrasser. Si à l'inverse, vous voulez vraiment tout liquider, cela ne se fera pas sans attirer l'attention sur vous... À vous de voir ce que vous préférez.

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Se laissant aller contre le dossier de sa chaise, Harry ferma les yeux un instant et lorsqu'il les rouvrit, son regard était trouble et encore lointain, perdu dans les affres du souvenir et du passé.

– La discrétion, fit-il soudain. Le plus longtemps possible. Quand mon nom aura fuité, il sera toujours temps de vendre le reste. C'est la seule solution possible.

Il y avait bien une autre solution possible, celle de disparaître à nouveau loin de la société des hommes et de ses tourments, mais elle n'était souhaitable pour personne.

– Est-ce que vous voudrez conserver un droit de regard sur l'utilisation qui sera faite de votre donation ? demanda doucement Lucius.

Severus écarquilla les yeux d'étonnement. Le comportement de son compagnon vis à vis de Harry ne cessait de l'étonner. Il se montrait bien plus ouvert et compréhensif qu'avec n'importe qui d'autre, agissant avec lui avec beaucoup de tact et de respect, une délicatesse presque excessive à son goût. Le même genre de comportement qu'il pouvait avoir avec Daphnée, mais qu'il n'avait avec aucun de ses partenaires politiques, pas plus qu'avec Draco, et qu'il n'avait plus depuis longtemps avec lui.

– Aucun ! trancha Harry. Ils peuvent en faire ce qu'ils veulent, même décorer Poudlard avec des guirlandes de fleurs, je m'en moque ! Cet « héritage », c'est comme une malédiction supplémentaire que Bellatrix m'aurait laissée ! Je voudrais juste m'en débarrasser !

C'était certes un cadeau empoisonné, mais Harry ne pouvait pas prendre cela avec si peu d'importance et de réflexion !

– Je crois que Lucius a raison, se permit de dire Severus au bout d'un moment. Vous avez un devoir moral sur cet héritage. Vous ne pouvez pas laisser certains objets atterrir dans de mauvaises mains et...

– Je n'ai pas demandé cette responsabilité !

– Mais vous l'avez ! fit-il sèchement. Et parmi tout cet héritage, il y a aussi des choses dont vous ne voudrez pas vous débarrasser ! Dans ce qui vient d'Andromeda se trouvent aussi les biens de Tonks et de Remus !

Il se tut avec l'impression d'avoir lâché une bombe dans la Salle à Manger. La véhémence l'avait emporté un peu loin, peut-être un peu de colère aussi devant la distance et l'indifférence de Potter qui le contemplait à présent avec un regard grave et douloureux. Celui que Lucius lui jeta, en revanche, était lourd de sens et de réprobation, et sa main posée sur son bras le dissuada d'ajouter un mot, même des excuses qui auraient peut-être été les bienvenues.

– Je ne suis pas sûr que j'avais besoin d'entendre ça aujourd'hui..., souffla Harry dont les yeux verts étaient anormalement sombres et brillants.

– Allons, messieurs, fit Lucius d'une voix apaisante. Oublions ça pour l'instant ! Draco ne va pas tarder à arriver et nous aurons tout le loisir de penser à cet héritage dans quelques jours... Il ne va pas s'envoler comme ça ! D'ici là, appuya-t-il en tournant la tête vers Harry, je vais me procurer le jugement et après la visite de Draco, nous irons à Gringotts consulter l'inventaire de tous les biens de cet héritage. Ensuite, nous en reparlerons...


... Parce qu'une première fois n'est pas toujours à la hauteur de ce qu'on en aurait souhaité ou imaginé. Mais on s'en remet...

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J'espère que ceux qui ont suivi jusque là ont été satisfaits de ce grand pas franchi entre eux; la prochaine fois, les retrouvailles avec Draco...

Au plaisir de vous lire

La vieille aux chats