Résumé: Après bien des hésitations et des confessions à demi-mots, Harry et Severus finissent par franchir le pas, la première fois "maladroitement" et la deuxième avec bien plus de tendresse. Mais l'arrivée imminente de Draco et la mauvaise nouvelle de l'héritage des Lestrange vient créer des soubresauts dans une situation déjà floue et fragile.

à Marion: Je suis contente que ça paraisse réaliste parce que j'ai envie que ça ressemble à la vraie vie où souvent on a envie que les choses soient simples mais elles s'obstinent à ne pas l'être. Et puis construire une relation, s'engager, faire confiance, revenir après une longue absence ou assumer ses choix, ce n'est pas toujours facile. Il n'y a pas de raisons que ça le soit pour eux! ^^ Tout de suite, le retour de Draco... et un peu de Mayahuel ;)


Faire le pied de grue sur le perron du Manoir en attendant l'arrivée de Draco et de sa famille n'était pas son fort. Harry se dandinait d'un pied sur l'autre, maladroit et incertain, vivant ces quelques secondes d'attente comme une échéance inéluctable. Il aurait préféré arriver au beau milieu de cette réunion de famille où il n'avait pas vraiment sa place, entrer d'un seul coup dans une pièce et les trouver tous, se jeter dans une discussion déjà établie un peu comme dans une fosse aux lions, plutôt que de guetter l'apparition de son ancien meilleur ami avec les nœuds au ventre qu'il ressentait.

Après le déjeuner, Severus était venu le trouver dans la véranda où il s'était isolé pour réfléchir. Il avait simplement posé une main sur son épaule et il s'était tenu à côté de lui un long moment, immobile et silencieux, avant de s'excuser de ses paroles trop sèches.

La facilité avec laquelle Severus était aujourd'hui capable de s'excuser était déconcertante, alors qu'il avait été si fermé et si arrogant, orgueilleux, pendant si longtemps, pendant toutes les années que Harry avait passées à Poudlard. C'était aujourd'hui un autre homme, bien plus humain, malgré ses travers et ses faiblesses, et bien plus attachant.

Il s'était excusé à son tour. De son agacement, de son ras-le-bol, de son exaspération devant cet héritage qu'il subissait comme un coup du sort, de sa maladresse devant les attentes de Severus, de ses erreurs et de son inconstance.

Dans la chaleur de la véranda, Harry n'avait pas su avoir un geste envers lui, pas un baiser, pas une caresse, il était resté lointain, encore distant malgré les élans de son cœur. Seule la main de Severus s'était glissée le long de son épaule, sous ses cheveux pour passer tendrement sur sa nuque. Même s'il était incapable d'y répondre, Harry en aurait voulu davantage, il aurait voulu sentir sa présence tout contre lui, et ses bras autour de lui, mais il ne pouvait pas exprimer cela.

Et en vérité, il n'avait jamais songé devoir faire face aux souvenirs et aux fantômes de Tonks et de Remus.

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À quelques pas de l'escalier, ils apparurent alors qu'il était perdu dans ses pensées, trois frêles silhouettes serrées autour de Draco, rapidement suivi par les cris de joie des deux petites filles qui grimpèrent les marches du perron quatre à quatre pour aller se jeter dans les bras de Lucius et de Severus. Par respect pour son père, Draco avait sans doute préféré transplaner dans l'allée qui menait au Manoir plutôt que dans la maison, une façon de montrer qu'il restait un invité.

La première chose qui frappa Harry fut la taille de Draco; il était grand, bien plus grand que dans son souvenir, plus grand que Lucius qui était pourtant le plus grand d'entre eux, et Daphnée à ses côtés avait l'air d'une petite chose tombée du nid, même si son regard pétillant signifiait tout de suite qu'elle n'avait rien de la « petite chose ».

Ils s'approchèrent tranquillement, Daphnée au bras de Draco avec une élégance très simple, tandis que les deux fillettes se récriaient d'être enfin en vacances chez Lucius et racontaient déjà toutes leurs aventures depuis leur dernière venue au Manoir. Elles étaient deux, elles donnaient l'impression d'être dix tant elles étaient pleines d'entrain et de joie de vivre, babillant de l'un à l'autre, bondissant même au cou des elfes venus prendre leurs affaires et sautillant d'impatience.

Draco salua Severus et Lucius d'une brève étreinte, et Harry fut surpris de constater qu'elle paraissait plus appuyée et plus chaleureuse envers Severus qu'envers son propre père. La familiarité n'avait jamais été de mise entre les Malfoy et les conflits passés au sujet de son mariage n'avaient pas dû arranger la situation.

Lorsque Draco se tourna enfin vers lui, Harry sentit le nœud douloureux de l'attente se défaire d'un seul coup et sa respiration fut soudain plus aisée et plus libre. Mais le regard de Draco était fuyant, son sourire éteint et sa poignée de main fut courte et presque réticente.

– Harry..., fit-il en le saluant de la tête.

Et il se détourna aussi sèchement qu'il était venu, les yeux brillants d'une amertume difficilement contenue, et rabroua ses filles qui s'éparpillaient en tous sens.

– Minerva ! Iris ! On se calme ! Vous dites bonjour à Harry et vous montez dans vos chambres ranger vos affaires ! Après, vous pourrez aller jouer dans le jardin.

Les deux enfants s'approchèrent de lui tour à tour, soudain beaucoup plus calmes. Harry s'accroupit pour saluer Iris dont la frimousse ronde et les longs cheveux ondulés lui faisaient penser à Hermione. La petite osa un bisou du bout des lèvres sur sa joue et s'échappa aussitôt.

Il n'était pas encore remis de sa surprise qu'il croisa devant lui les mêmes yeux gris acier que son père et son grand-père. Minerva lui tendit une main solennelle et son regard qui le dominait presque au vu de sa position paraissait bien trop adulte pour son âge. En lui serrant la main, elle sembla étudier son visage, puis baissant les yeux, détailla son pendentif, sa chemise entrouverte qu'elle devait trouver bien négligée, ses sandales, sa position enfin, presque ridicule... Elle esquissa un sourire espiègle et disparut rapidement pour rejoindre son père qui s'impatientait dans les escaliers.

Harry se redressa lentement, encore circonspect de cette première rencontre tandis que Daphnée se détachait enfin de Lucius. Après avoir salué Severus, elle avait partagé une longue étreinte avec son beau-père, très chaleureuse, et il prit conscience des bribes de la conversation fugace qu'il avait perçue, où elle avait demandé avec inquiétude des nouvelles de sa santé et dit à plusieurs reprises son bonheur de le revoir enfin debout. Sainte-Mangouste n'était pas si loin et peut-être ne l'avait-elle pas vu ainsi depuis plusieurs mois...

– Tout va bien, lui assura Lucius à mi-voix en l'embrassant sur la tempe. Et nous pourrons bientôt reprendre nos petites habitudes...

Un franc sourire illumina son visage et ses yeux brillants d'émotion, et Harry la trouva soudain magnifique. Puis elle jeta un regard furtif sur l'escalier où Draco avait déjà disparu avec ses filles et s'approcha de lui avec un air désolé.

– Bonjour Harry. Je suis ravie de faire enfin ta connaissance. Je...

Elle s'interrompit et son regard grave glissa à nouveau vers l'escalier.

– Il va revenir, assura-t-elle avec un sourire triste. Il lui faut juste un peu de temps...

Qu'importe. Même si la réaction de Draco lui serrait le cœur, Harry ne pouvait que la comprendre. Il sourit à Daphnée en retour, aussi chaleureux et sincère qu'il pouvait l'être, et répondit d'une voix douce :

– Merci. Je suis ravi également de te rencontrer. J'ai beaucoup entendu parler de toi, fit-il avec un regard malicieux vers Lucius qui profita de l'invitation muette pour les détourner de l'embarras de la situation.

– En bien, Daphnée ! En bien ! assura-t-il en riant. Puis il se tourna vers Sky qui patientait sur le perron en attendant ses ordres : Du thé pour tout le monde, sur la terrasse... et des jus de fruits pour les filles.

L'elfe de maison hocha la tête puis leva brièvement les yeux vers lui, guettant son approbation.

– Je vais prendre du thé également, Sky, fit Harry. Merci.

Entraînée par Lucius, Daphnée lui jeta un regard surpris puis disparut dans le Hall à sa suite.

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oooooo

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Les filles étaient redescendues de leurs chambres avec nombre de dessins qu'elles avaient faits pour Lucius et Severus, des petits cadeaux et des babioles qu'elles avaient consciencieusement étalés sur la table et Iris s'employait à présent à représenter son grand-père sur une ardoise magique qui l'aidait grandement dans ses tentatives maladroites.

En bout de table comme à son habitude, Lucius gardait un œil attendri sur les filles tout en discutant avec Draco et Daphnée.

– Minerva a l'air d'aller mieux... Qu'est-ce qui lui est arrivé la semaine dernière ?

– Rien de méchant, répondit Daphnée en souriant. Une petite maladie de moldus mais qui l'a bien fatiguée. J'espère que vous ne nous en voulez pas d'avoir retarder notre venue...

– Bien sûr que non ! assura Lucius en passant sa main dans le dos de la petite fille qui se tenait juste à côté de lui. Du moment qu'elle va mieux...

Minerva se blottit un instant dans l'étreinte de son grand-père puis s'échappa en riant, tandis que Lucius poursuivait.

– Ton travail, ça va ?

– C'est parfois difficile, admit-elle. Il y a beaucoup de patients, beaucoup de besoins... et peu de moyens ! Je suis psychologue, fit-elle en se tournant vers lui. Je travaille dans un service pour enfants malades... Tu vois ce que c'est, je pense... Tu as vécu longtemps dans mon monde...

Harry hocha la tête, charmé de l'attention de Daphnée qui prenait la peine de l'inclure dans la conversation.

– Je comprends, fit-il d'un ton compatissant.

La façon qu'elle avait eue de dire « dans mon monde » résonnait encore étrangement en lui. C'était le sien également. Hormis ses années à Poudlard, il n'avait vécu que dans un monde non-magique, même si sans doute bien éloigné de celui que connaissait Daphnée.

– Je soigne parfois, également...

Il avait dit cela sans prétention, simplement pour lui faire comprendre qu'il partageait la même approche de l'autre, mais il craignit brusquement que ce ne fut mal perçu. Le sourire sans ambages qu'elle lui adressa affirmait cependant le contraire.

– Et toi ? fit Lucius en s'adressant à Draco.

– Encore trois matchs et la saison sera finie... Les filles sont en passe de gagner le championnat et Katie pourra prendre sa retraite avec les honneurs...

Harry sentait que Draco restait volontairement énigmatique et se gardait bien de toute explication à son égard et ce fut Severus qui se pencha légèrement vers lui et vint lui glisser à l'oreille en toute discrétion « Draco est l'entraîneur des Harpies de Holyhead », tandis que Lucius poursuivait la discussion sans s'attarder.

Harry maîtrisa du mieux qu'il pouvait sa surprise et l'expression de stupeur idiote qu'elle tentait d'afficher sur son visage, tout en jetant un œil à un Severus amusé à côté de lui, et à Lucius qui n'avait même pas conscience de son regard.

Bizarrement, depuis que Lucius l'avait invité au Manoir, il n'avait demandé ni à l'un ni l'autre aucun renseignement sur Draco. Ils avaient parfois livré certaines informations spontanément, à propos de Daphnée, des filles, des disputes qui avaient suivi sa mise en couple et des tensions qui persistaient, mais rien de plus. Harry n'avait pas su ce que faisait Draco dans la vie, ni là où il habitait, ce qu'il aimait, les gens qu'il voyait encore du temps de leur jeunesse, ses passions ou quoi que ce soit d'autre.

A posteriori, il se demanda pourquoi sa curiosité n'avait pas été plus poussée. Par pudeur ? Avait-il voulu préserver une sorte de surprise ou de mystère ? Ou bien pensait-il le connaître tant qu'il n'avait plus rien à découvrir ?

Paradoxalement, Harry savait davantage de choses sur Daphnée que sur son ancien ami. Au vu de son amusement certain à ses côtés, Severus devait avoir conscience de ce décalage et de l'étendue de sa surprise. À présent qu'il y réfléchissait, il aurait vu Draco travailler au Ministère, ou dans les affaires, comme son père. Un poste à responsabilités ou de commandement, ou même à Gringotts, à brasser des fortunes. Mais sans doute pas entraîneur de quidditch !

Il avait tout faux... Après tant d'années, il ne savait plus rien sur lui.

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Draco était assis juste en face de lui, presque à portée de main, et Harry redécouvrait ce visage familier et pourtant si différent. Ses cheveux étaient toujours aussi blonds, de cette blondeur presque blanche si légendaire chez les Malfoy et qu'il n'avait pourtant pas transmise à ses filles. Courts, comme il les portait autrefois, mais coiffés plus librement, sans cette couche de laque ou de gel qu'il se plaisait à mettre à Poudlard et qui les maintenait plaqués et trop stricts. Ses yeux gris étaient les mêmes, durs et glacials, à peine plus clairs que ceux de Lucius et de Minerva, et le fuyaient toujours, avec soin même, sans doute, tant son regard devait paraître insistant. Le nez droit, les lèvres fines, presque pincées à cet instant, un visage harmonieux avec un rien de froideur et de fierté.

Draco était beau. Indéniablement. Il l'avait toujours été mais l'âge lui avait donné une patine supplémentaire qui le rendait encore plus noble et plus séduisant. Il avait toujours fait tourner les têtes du monde sorcier – les hommes aussi bien que les femmes, même si cela ne l'avait jamais intéressé – et il avait épousé une moldue ! Harry imaginait sans peine le nombre de dents qui avaient dû grincer, surtout compte tenu de la fortune dont il était l'héritier désigné.

En détaillant ses traits, Harry fut soudain frappé par sa ressemblance saisissante avec Lucius. Son regard passa plusieurs fois de l'un à l'autre, juste séparés par la frêle silhouette de Daphnée, et le visage était le même. Strictement. Comme le même homme à des âges différents. Ne les distinguaient que la longueur des cheveux et quelques ébauches de rides à peine plus marquées chez Lucius.

Sous son regard insistant, Lucius tourna brièvement les yeux vers lui et Harry entendit brusquement les paroles qui se disaient autour de la table.

– Lors du match de samedi dernier, j'ai croisé les parents de Pansy Parkinson, fit Draco à son père. Ils m'ont demandé de tes nouvelles... Il serait peut-être de bon ton de donner signe de vie aux gens que tu connais...

Un air ennuyé traversa fugacement le visage de Lucius.

– Tu as raison... Il faudrait sans doute que je lance quelques invitations ou que j'y réponde...

Il glissa un regard vers Severus, attentif à sa réaction, mais hormis un froncement de sourcils suivi d'un haussement d'épaules, il n'eut pas de commentaire négatif. Il répondit à nouveau à Draco mais Harry était resté concentré sur Severus et les paroles lui échappèrent.

Avec un bonheur évident, l'ancien professeur de potion avait pris sur ses genoux Iris qui dessinait à présent avec des crayons de couleur sur une page blanche tout en racontant sa vie.

– J'avais fait un beau dessin pour toi à l'école, bougonna-t-elle. Mais Chloé, elle m'a gribouillé dessus !

– Iris, si tu expliquais à Severus pourquoi Chloé a gribouillé sur ton dessin ? intervint Daphnée avec un sourire amusé.

La petite fille fit une grimace et ignora la remarque de sa mère jusqu'à ce que Severus insiste à son tour.

– Raconte-moi toute la vérité, Iris, fit-il avec un visage sévère pourtant loin de ce dont il était capable quand il enseignait à Poudlard.

– … je lui avais tiré les cheveux, avoua Iris d'une petite voix penaude. Mais j'avais pas fait exprès ! Je te promets, Sévie, que j'avais pas fait exprès !

Tandis que Severus sermonnait gentiment Iris, Harry osa un sourire discret devant le surnom que lui avait donné la petite fille. À leur arrivée, il avait déjà entendu Minerva appeler Lucius « PapiLuce » et il n'avait pu s'empêcher de pouffer de rire en détournant la tête. Le regard mi-gêné, mi-courroucé de son hôte l'avait averti de représailles s'il émettait le moindre commentaire, et il s'était tu de bonne grâce, s'étant suffisamment moqué de lui le jour où ils s'étaient promenés dans les jardins.

Pendant des jours avant leur arrivée, il s'était demandé quelle serait sa réaction en voyant Lucius et Severus en famille, en particulier avec les filles, la façon dont ils leur parlaient, les gestes qu'ils pouvaient avoir à leur égard, la tendresse ou la douceur... De prime abord, les deux hommes paraissaient si froids et impassibles qu'il était presque étrange de les imaginer se comporter avec des enfants de manière « normale », comme des grands-pères, même si le terme paraissait tellement incongru qu'il lui écorchait la bouche et l'esprit.

Et de fait, en les voyant aujourd'hui, Iris sur les genoux de Severus, et Minerva cherchant désespérément à capter l'attention de Lucius et de sa mère, tout semblait fluide et facile, si naturel que c'en était presque déconcertant. La main de Severus qui écartait les cheveux d'Iris en se penchant sur son dessin était la même que celle qui s'était posée sur son épaule ce matin dans la véranda – ou ailleurs sur lui la veille – et la même que celle qui avait blessé Lucius quelques jours auparavant; et le sourire de Lucius à Minerva était sur les mêmes lèvres qui savaient se montrer si acerbes et autoritaires à d'autres moments. Les hommes n'étaient pas différents, il les découvrait simplement dans une autre situation, et finalement, cela leur allait assez bien. Ils n'en paraissaient que plus doux et agréables.

– Minerva ! Laisse Lucius tranquille, fit la voix sèche de Draco devant l'insistance de sa fille.

– Qu'est-ce que tu veux, ma chérie ? demanda Lucius.

Il se tourna à demi vers elle et passa un bras autour de sa taille, lui accordant enfin l'attention qu'elle réclamait.

– PapiLuce, on peut aller faire une promenade à cheval, s'il-te-plaît ? minauda une voix implorante.

Lucius hésita et son regard fit le tour de la table en s'attardant sur Harry.

– Nous avons un invité, ma chérie. Ce n'est pas très poli de s'absenter sans s'occuper de ses invités...

Avec un air circonspect, elle tourna lentement la tête vers l'invité en question.

– On verra ça demain, ma puce, intervint Daphnée. On aura tout le temps...

Indifférente aux paroles de sa mère, Minerva le fixait de ses étranges yeux gris, dont l'éclat presque métallique semblait irréel.

– Papa dit qu'à l'école de Poudlard, tu étais son meilleur ami. Pourquoi on ne t'a jamais vu alors ?

Paradoxalement, la question indiscrète de la fillette ne surprit pas Harry. Depuis un moment, elle l'observait en coin et il sentait qu'il était l'objet de sa curiosité. Elle attendait juste le bon moment pour le tester. Draco, en revanche, s'était étouffé avec une gorgée de thé devant l'audace et la maladresse de sa fille, et si son regard l'évitait toujours, une légère rougeur témoin de sa gêne était apparue sur ses joues.

La réaction du père et de la fille le firent sourire, et la question de Minerva, pour intrusive qu'elle soit, montrait que Draco leur avait parlé de lui et permettait de crever un abcès.

– J'étais parti très loin, et pendant très longtemps...

– Faire quoi ? répliqua la fillette.

– Apprendre à soigner...

– Comme maman ?

– Pas tout à fait. Mais comme maman oui...

Du coin de l'œil, Harry apercevait les regards attentifs de Lucius et Severus qui suivaient l'échange avec amusement.

– C'est où très loin ? intervint Iris en tournant sa frimousse toute ronde vers lui. À Londres ? À Torquay ?

– C'est là où nous allons en vacances, expliqua Daphnée avec un sourire.

– Très loin, c'est... de l'autre côté de la Terre...

Les moues admiratives des deux petites filles lui laissèrent un instant de répit, assez pour constater que Draco l'observait et ne perdait pas une miette de ses réponses.

– Je suis rentré il n'y a pas longtemps, alors je viens rendre visite à tout ceux qui étaient mes amis...

C'était maladroit sans doute, mais il ne voyait pas comment formuler ça plus subtilement.

– Papa a dit aussi qu'avant d'être amis, vous vous détestiez, ajouta Minerva.

Visiblement, elle avait décidé de mettre les pieds dans le plat jusqu'au bout et le sourire d'Harry s'élargit encore devant la gêne croissante de Draco.

– C'est vrai, acquiesça-t-il. Nous étions les meilleurs ennemis de l'école !... Avant de grandir un peu et d'apprendre à nous connaître et à nous apprécier.

Minerva afficha une moue dubitative tandis que Daphnée intervenait :

– Tu vois, ma chérie... c'est comme toi et Rebecca : il vous a fallu du temps pour devenir amies...

– Tu sais, il n'y a pas qu'avec ton papa que c'était difficile, ajouta Harry en souriant de plus belle. J'ai aussi longtemps détesté Severus, qui me terrorisait et qui était un professeur abominable envers ses élèves !

Elle jeta un regard interrogateur vers Severus, dont le regard flamboyant valait son pesant d'or, et Harry pensa brusquement qu'il paierait sans doute bien cher cette outrecuidance !

– Et avec PapiLuce ? demanda-t-elle encore.

– Nous ne nous aimions pas beaucoup non plus, admit-il.

– Tu n'étais pas très gentil ! lâcha-t-elle d'un ton réprobateur.

La spontanéité et la naïveté de sa réponse le firent pouffer de rire tandis que Draco, et même Daphnée, semblaient profondément gênés et inconfortables.

– Sans doute..., concéda-t-il gentiment.

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– PapiLuce, on peut au moins aller voir les chevaux ? implora Minerva en revenant à son idée première.

Harry sourit devant le brusque saut du coq à l'âne qui désamorçait la situation tandis que Lucius reprenait la main sur la conversation, après avoir balayé la table du regard.

– Pourquoi pas, répondit-il d'un ton pesant. Une petite promenade nous fera le plus grand bien et détendra tout le monde !

Il n'en fallait pas plus pour que les deux petites filles ne sautent de joie et ne s'élancent dans l'escalier qui descendait vers les jardins. Ils se levèrent tous peu à peu, et dans un ensemble assez incertain, finirent par rejoindre les deux enfants qui piaffaient littéralement d'impatience.

Stoppée dans son élan par la vue de la piscine sur la terrasse inférieure, Minerva demanda à leur passage :

– PapiLuce, on pourra se baigner aussi ?

– Pas dans celle-ci, répondit-il. Il ne fait pas assez chaud dehors, mais tu pourras aller dans celle de la rotonde, si ton père et ta mère sont d'accord...

Daphnée acquiesça rapidement tout en prévenant sa fille :

– Mais pas toute seule, Minerva ! Toujours sous la surveillance d'un adulte !

Étonnamment, la fillette se tourna vers lui et affirma d'un ton solennel :

– Tu verras, je suis la meilleure nageuse de mon école !

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À quelques pas devant lui, les Malfoy cheminaient de concert, Draco impeccable dans son costume gris clair, Daphnée toute en élégance discrète, pendue au bras de Lucius comme s'il la conduisait à l'autel de son mariage, aussi petite et brune qu'ils étaient grands et blonds. Sans entendre leurs paroles, Harry percevait son rire clair et libre, dont la spontanéité rappelait celle de ses filles, dénuée des calculs et des manœuvres dont il savait les Malfoy père et fils capables.

À les regarder, un mélange flou d'émotions résonnait en lui. De la peine et de la confusion face à la réaction de Draco, dont l'indifférence, voire la colère, l'avaient bouleversé bien plus qu'il ne voulait même se l'avouer. De l'incertitude devant sa froideur, alors qu'il avait paradoxalement raconté certains éléments de leur passé adolescent à sa famille, mais aussi une sorte de tendresse émue en découvrant le tableau charmant qu'il formait avec Daphnée et leurs deux filles, et plus encore s'il y incluait Severus et Lucius. De la joie de le retrouver, de la nostalgie aussi; une douleur sourde et un peu coupable d'être resté absent si longtemps... Et par-dessus tout, Harry se sentait plein d'une affection douce et bienveillante envers celui qu'il considérait encore comme un ami, et envers ses proches, quelque chose qui lui donnait envie de rester dans un coin et de les observer tous vivre dans ce bonheur dont ils n'avaient sans doute pas conscience.

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Loin devant, Minerva gambadait joyeusement, cueillant ici et là des fleurs sauvages sur les bords de l'allée qu'elle rassemblait en bouquet dans sa main, venant régulièrement faire admirer son œuvre par ses parents.

À ses côtés, Iris tenait Severus par la main, refusant de le lâcher, et le contemplait parfois avec un regard éperdu d'admiration. Elle semblait très proche de lui, davantage que Minerva à qui l'âge donnait un peu plus d'indépendance, et la fascination qu'elle éprouvait pour lui avait quelque chose de très touchant.

Harry sentit un regard insistant et moqueur sur lui.

– Un professeur abominable, hein ?!

Il éclata de rire devant la première pique de Severus dont la vengeance promettait d'être longue et cruelle.

– Vous avez reconnu vous-même que vous aviez été injuste envers nous, Severus ! répliqua-t-il avec bonheur. Et que vous n'étiez pas fait pour l'enseignement. Heureusement, vous vous rattrapez dans d'autres domaines !

Une gêne troublée passa sur le visage de Severus qui baissa les yeux sur Iris, inquiet de ce qu'elle pouvait comprendre.

– Taisez-vous ! siffla-t-il. Pas ici !

– Je ne pensais pas à ça ! se moqua délicieusement Harry. Simplement à votre façon de vous occuper d'elle... Vous auriez fait une très bonne mère poule !

La manière dont Severus le dévisagea de ses yeux brillants lui hérissa les cheveux sur la nuque.

– Je ne sais pas ce qui me retient de vous faire ravaler vos sarcasmes, Harry.

– La présence d'autre personnes, peut-être ? sourit-il.

– Peut-être devrais-je à nouveau vous terroriser comme autrefois...

Harry se mordit la lèvre pour retenir une répartie par trop explicite avant de lâcher à mi-voix :

– Maintenant que j'ai découvert d'autres facettes de vous, vous ne seriez plus crédible...

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Iris abandonna la main de Severus pour courir rejoindre ses parents à quelques mètres devant eux et se faire cajoler par Lucius.

Severus n'avait pas émis la moindre réponse, mais sous son regard insistant, Harry sentait des fourmillements intenses parcourir son ventre et le bas de ses reins. Ce n'était pas le moment d'éprouver du désir, et pourtant il ressentait presque physiquement le besoin de ses mains posées sur lui, de sa peau contre la sienne, de leurs langues et de leurs corps qui se seraient mêlés en une vibrante union.

Il n'avait pas assez profité de sa présence quand il le pouvait, et maintenant, à son grand désarroi, ce n'était pas le moment.

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Le rire enfantin d'Iris tira brusquement Harry de ses rêveries insatisfaites et lui fit l'effet d'une douche glacée sur le feu de ses reins.

– Papa ! fit la fillette en tirant Draco par la main. Viens raconter à Sévie comment j'ai volé sur mon balai hier ! Papa, dis-lui !

Presque à contrecœur, Draco ralentit peu à peu le pas pour se retrouver bientôt à leur hauteur, et sous l'insistance de sa fille, il finit par dire :

– Elle a fait tout le tour du terrain de quidditch toute seule et sans aucune aide ! Une vrai championne ! acheva-t-il avec un semblant de sourire.

– Bravo ma chérie ! dit Severus d'une voix admirative. Il faudra me montrer ça !

Iris se tourna vers son père avec des yeux suppliants.

– Tu me prêteras ton balai, papa, pour que je montre à Sévie ?

– Tu as le tien il me semble..., répondit Draco avec douceur.

– C'est un jouet ! se renfrogna Iris. C'est même pas un vrai !

Une moue boudeuse s'afficha sur son visage tout en rondeur, et Harry se demanda comment faisaient Severus et Draco pour ne pas fondre devant son attitude.

– Si tu t'entraînes beaucoup, intervint-il en souriant, tu deviendras une grande attrapeuse, comme ton père !

La petite fille le dévisagea d'un air intrigué, puis regarda son père.

– C'est vrai papa ? Tu était attrapeur comme Katie ?

– Le meilleur de Poudlard ! affirma Harry avec un sourire.

Iris ouvrit de grands yeux ronds comme des billes et béats d'admiration vers son père, dont la surprise et la gêne étaient plus que perceptibles. Draco ouvrit grand la bouche pour protester, sembla lutter un instant contre lui-même, et referma la bouche sans avoir prononcé un mot, le visage dur et contrarié. Son petit mensonge n'avait été qu'une façon de le pousser un peu à réagir et Harry avait presque cru réussir, mais encore une fois, Draco préférait se taire et ne pas l'affronter. Il en fut un peu plus meurtri qu'auparavant, mais il conserva un sourire de façade en adressant un clin d'œil à Iris.

Severus en revanche paraissait furieux et toisait Draco d'un regard noir digne de l'époque où il les terrorisait vraiment, puis il les considéra l'un après l'autre avec le même dédain avant de saisir la main d'Iris et de s'éloigner avec elle.

– Parlez-vous, tous les deux ! Vous êtes insupportables !

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Harry marchait à présent côte à côte avec Draco, dans un silence pesant qu'entrecoupaient les babillages incessants d'Iris à Severus.

– Tu me portes, Sévie ? Allez... S'il-te-plaît !

– Tu es déjà fatiguée ? protesta-t-il. Allons, on n'a pas fait encore la moitié du chemin ! Un peu de courage !

Sous l'invective de Severus, Draco avait rougi brièvement avant de retrouver son air impassible, et Harry sentait qu'il l'observait à présent du coin de l'œil tout en faisant mine de surveiller le comportement de sa fille.

Devant eux, Iris tirait Severus par la main en insistant pour se faire porter, et ses mimiques suppliantes finirent par avoir gain de cause. Il se pencha lentement vers elle, la prit sous les bras et la souleva comme une plume pour la poser à cheval sur ses épaules. Elle émit un cri de joie un peu effrayé en se trouvant brusquement juchée à une telle hauteur, avant de se retenir des deux mains autour du front de Severus.

– Ça va pour cette fois, mais que ça ne devienne pas une habitude ! fit encore Severus. Et ne me décoiffe pas !

Devant ses protestations de pure forme, Iris éclata de rire et passa avec bonheur ses mains dans les cheveux noirs et argentés de Severus, ébouriffant un peu plus ce qui l'était déjà bien assez à l'ordinaire.

– Dis donc, moustique ! gronda-t-il. Si tu veux que je te porte, tiens-toi sage ! Sinon, tu marches !

Iris cessa devant la menace et enserra le cou de Severus, de peur qu'il ne la redescende aussitôt.

– Oui, Sévie. Je suis sage !

– Et sans m'étrangler !

Même Draco souriait devant le manège de sa fille et Harry se décida à briser la glace.

– Si on m'avait dit que je verrai un jour le grand Severus Rogue se faire mener par le bout du nez par une petite fille, fit-il amusé, je crois que je n'aurais pas vécu les cours de potions de la même manière...

Draco pouffa discrètement, et Harry eut soudain l'impression de le retrouver comme lors de leur dernière année à Poudlard, simple et spontané, et si... accessible.

Mais rapidement, le sourire retomba et la tristesse se lut sur son visage. Draco restait pour lui indéchiffrable.

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– Je suis désolé, Harry, fit-il d'un ton fermé au bout d'un long moment.

Les autres s'étaient éloignés quelque peu; inconsciemment, Draco et lui avaient légèrement ralenti le pas, perdus dans leurs pensées. Loin devant, Minerva virevoltait autour de Lucius et Daphnée, toujours accrochée à son bras, qui discutaient avec entrain et riaient de bon cœur. Un peu plus près d'eux, mais toujours à bonne distance, Iris montée sur les épaules de Severus semblait conquérir le monde de toute sa hauteur.

Était-ce l'éloignement des autres qui avait permis à Draco de parler pour la première fois spontanément ? S'était-il senti libéré du poids de leurs regards et de leurs jugements ? En tout cas, Harry avait senti comme une barrière qui était tombée en lui, quelque chose qui s'était dénoué pour aboutir à trois mots d'excuses comme un renoncement.

– Ne t'en fais pas. Je comprends, fit-il simplement.

Draco avait toutes les raisons de lui en vouloir : son absence, son silence, son retour comme une intrusion insupportable dans sa vie personnelle, ses espoirs irréels de vouloir reprendre les choses là où elles s'étaient arrêtées... Harry cherchait même une quelconque raison qui aurait pu permettre à Draco de lui pardonner, et il n'en trouvait pas. Cette simple constatation était plus cruelle que tous les reproches qu'il aurait pu formuler.

– J'aurais dû partir quand vous êtes arrivés..., fit-il à nouveau, se souvenant de la première réaction de Draco. Ta colère était on ne peut plus légitime.

L'incompréhension se lisait dans ses yeux gris, puis son visage se durcit à nouveau.

– Je n'étais pas en colère, idiot ! J'étais bêtement ému !

Quelque chose dans son regard brillait de plus belle, mais Draco refusait de perdre le contrôle et de se laisser aller à trop d'émotion.

– Tu m'as manqué. Tu as manqué à ma vie... J'aurais voulu que tu sois là, j'aurais aimé te présenter Daphnée, j'aurais aimé que tu sois mon témoin à mon mariage, que je puisse t'appeler quand j'ai appris que j'allais être père, que tu sois le premier que j'ai envie de prévenir pour la naissance de mes filles... Mais tu n'étais pas là. Et on ne pourra jamais rattraper ça.

Sa voix étranglée s'éteignit brusquement.

– Je suis peut-être un peu en colère en fait, ajouta-t-il.

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Une douleur de plus en plus vive avait éclos et grandissait dans son cœur, dans son ventre, et Harry sentit les larmes affluer à ses yeux. Il s'était attendu à une colère froide et distante, mais pas à ces regrets de son absence, à ce manque, à la douleur qu'il devinait dans la voix de Draco et à sa propre culpabilité qui le submergeait.

Il s'en voulait, il s'en voulait tellement d'avoir été égoïste et d'avoir préféré fuir sa souffrance sans se dire qu'il en ferait souffrir d'autres. Il n'avait pensé qu'à lui, qu'à son propre chagrin, peut-être pour se sauver un peu lui-même, mais le résultat était là, il avait fait souffrir ceux qu'il aimait sans se soucier de ce qu'ils deviendraient. Il était parti pendant si longtemps qu'ils avaient tous vécu des choses essentielles dans leur vie, mais sans lui. Il s'était effacé de leur existence.

À travers la douleur coupable qui l'envahissait, il sentit la magie lui échapper peu à peu et s'envoler en volutes sombres autour de lui. Même Severus, qui avait dû le percevoir, se retourna vers lui et lui jeta un regard noir. Comme chaque fois que l'émotion le submergeait, Harry avait tendance à perdre le contrôle et il s'empressa de remettre les choses en ordre et de brider son pouvoir.

Draco, qui avait encore ralenti le pas, attendait sa réaction avec un soupçon d'inquiétude et il s'en voulut d'autant plus de ne pas savoir réagir spontanément et sans filtre. Et pourtant Merlin savait combien il était bouleversé et combien il lui coûtait de ne pas se laisser aller à ses émotions ! Mais il ne savait pas faire autrement.

– Je suis en colère, fit encore Draco. Mais au fond, je ne t'en veux pas. Je sais que tu n'as pas eu le choix, que tu as fait ce que tu as pu...

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Harry n'eut d'autre choix que de s'arrêter et de le regarder. Au plus profond de ses yeux gris, il vit un sourire pâle et incertain, hésitant, une joie un peu triste. Mais ni ressentiment, ni rejet.

– Je suis désolé.

Il sentit les paroles lui échapper, comme un trop plein qui débordait hors de lui sans qu'il n'ait son mot à dire.

– Je suis désolé, Draco. Je n'ai jamais voulu ça, je n'ai jamais voulu faire de peine à qui que soit. Jamais ! En particulier à toi. Ça n'a jamais été mon intention. Et... tu m'as manqué, fit-il d'une voix étranglée. Même si je n'ai jamais voulu en prendre conscience, j'ai été vide de toi. Si longtemps ! Je suis désolé de tout ça ! Et je suis tellement heureux de te retrouver aujourd'hui ! Ça fait tellement de bien !

Sans réfléchir, il se laissa tomber dans les bras de Draco et ils partagèrent une longue étreinte, enfin libérés de ce poids des retrouvailles et des premières paroles dites après tant de temps. Harry laissa pour une fois libre cours à ses larmes qui inondèrent ses yeux avec discrétion, caché qu'il était sur l'épaule de Draco dont les bras le serraient si fortement qu'il en avait le souffle coupé. Ou bien c'était peut-être simplement le bonheur de se retrouver vraiment qui l'étouffait à ce point ?

– Sévie, regarde ! fit la petite voix d'Iris. Papa et Harry, ils se font un câlin !

– Tu vois, finalement, ils sont heureux de se revoir..., répondit Severus avec douceur.

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Ils se reculèrent un peu vivement devant le commentaire amusé de la fillette, se regardant un instant avant de reprendre une allure plus digne tout en restant malhabiles et gênés. Draco avait les yeux aussi rouges et brillants que devaient l'être les siens et Harry en fut étrangement rassuré.

Un peu plus loin, Lucius s'était brièvement retourné avec un sourire serein avant de reprendre sa promenade tranquille avec Daphnée. Ces deux-là semblaient dans leur monde, loin de tout, et leur connivence était étonnante. Mais Harry n'était pas dupe de la façon dont Lucius régissait son petit monde, avec fermeté et douceur cependant, une main de fer dans un gant de velours. Sa manière de rompre avec la situation tendue de tout à l'heure était pour le moins intentionnelle. Il avait senti que Draco et lui avaient besoin de se retrouver seul à seul pour pouvoir se parler réellement et que rien n'aboutirait en public, assis autour d'une table avec des spectateurs à leur conversation. Il avait saisi le premier prétexte venu pour disperser tout le monde et leur permettre peut-être de se rejoindre. Et de cette finesse de jugement, il ne pouvait que lui en être profondément reconnaissant.

– Ils sont très proches..., fit Harry en s'apercevant que le regard de Draco avait suivi le même chemin que le sien.

Une jolie clôture blanche délimitait à présent les prés autour d'eux, et au loin se profilaient les nombreux bâtiments des écuries et des greniers.

– Très, répondit Draco avec une grimace.

– Trop ?

Draco lui jeta un regard crispé.

– C'est compliqué... Elle l'apprécie vraiment, tel qu'il est aujourd'hui. Elle ne voit pas forcément que moi, derrière, j'ai tout un passif avec lui. Que j'ai plein de griefs à son encontre. Qu'il n'est pas irréprochable... Je ne peux que me réjouir qu'ils s'entendent bien, mais c'est parfois difficile qu'elle ne soit pas plus méfiante et... neutre.

Entendre la méfiance de Draco vis à vis de son propre père était presque douloureux. Quels orages avaient-ils traversés tous les deux pour qu'il soit encore tellement sur ses gardes ?

– Il a beaucoup changé..., argumenta Harry.

– C'est vrai. Mais elle ne sait pas à quel point il a pu cracher sur notre relation avant de la rencontrer. C'était il y a longtemps sans doute... Aujourd'hui, il est adorable avec elle et les filles, je n'ai rien à lui reprocher.. mais je n'ai pas oublié. Je n'ai pas la capacité de pardonner qu'elle peut avoir.

– Tu as toujours eu du mal à lui pardonner, remarqua-t-il. Il n'a jamais été le père dont tu as rêvé...

Un voile de tristesse passa sur le visage de Draco et le souvenir d'anciennes conversations ressurgit entre eux comme un fantôme. Ils en avaient tant parlé autrefois que Harry pouvait encore entendre l'écho de leurs paroles à travers le temps.

– Pas en grandissant..., fit Draco. Et ce qu'il a fait...

– Des erreurs, comme nous tous... Pour autant, il a évolué. Est-il le grand-père dont tu rêvais pour tes filles ?

– Il est parfait, admit Draco avec une grimace. Ils sont parfaits. Presque trop...

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Minerva avait rejoint en courant la barrière qui ceinturait le dernier pré et, grimpée sur le premier montant, elle appelait les chevaux au loin en criant leurs noms et en claquant de la langue, bientôt rejointe par Lucius et Daphnée qui s'accoudèrent à côté d'elle, puis par Severus qui assit Iris sur la clôture tout en la maintenant d'un bras autour de la taille.

Lentement, les quatre chevaux levèrent la tête et, avec un petit hennissement, se mirent en marche pour s'approcher tranquillement de la limite de leur pré, là où ils se trouvaient. Les deux plus petits, ceux des filles, finirent le chemin en trottinant, avides d'une caresse ou d'une friandise. Minerva et Iris ne cachaient pas leur bonheur, s'extasiant chacune sur sa monture qui était forcément la plus belle et la plus gentille.

Draco, légèrement en retrait, observait son père qui discutait avec Minerva, et Harry l'observait, lui. Il avait senti à la fois une pointe de jalousie et de réprobation dans la façon dont il parlait de la relation de Daphnée et de Lucius, mais ses dernières paroles l'étonnaient encore davantage. Que Draco puisse juger son père parfait sur quoi que ce soit était pour le moins stupéfiant. Il disait là rien moins que sa confiance absolue et son admiration. Et y incluait également Severus...

– Qu'est-ce que vous voudrez faire comme promenade demain, les filles ? demandait Lucius. Dans la forêt ou le long de la rivière ?

– La rivière ! cria Iris.

– Non ! Sur le chemin vers le village ! contra Minerva avec enthousiasme. Comme ça, on pourra galoper !

Lucius se tourna vers Daphnée.

– C'est Maman qui va trancher, fit-il avec un sourire.

– La rivière, dit-elle doucement avec un regard vers sa fille aînée. C'est plus sûr pour Iris, mais tu pourras galoper un peu si tu veux...

Iris battit des mains à sa petite victoire et s'accrocha au cou de sa mère, tandis que Minerva se réjouissait également, consciente d'avoir gagné elle aussi malgré les apparences.

Draco s'avança pour passer tendrement son bras autour de la taille de sa femme et il souriait en lui murmurant à l'oreille des paroles que Harry n'entendit pas. Daphnée leva la tête et lui sourit en retour, et ils échangèrent un baiser léger et fugace qui contenait pourtant plus d'amour qu'il n'était possible de le dire.

À côté de lui, Harry perçut brusquement la présence de Severus avant de sentir sa main chaude et tendre sur son épaule, puis sur sa nuque et dans son dos. Un geste furtif, esquissé en prenant garde à la discrétion qui s'imposait à eux, au contraire de Draco et Daphnée, mais qui là, tout de suite, lui faisait un bien fou. L'audace que représentait ce simple geste effectué hors de toute intimité le surprenait de la part de Severus; il avait dû percevoir son désarroi et le trouble qui sévissait en lui. Lorsque leurs regards se croisèrent, Severus souriait doucement et rayonnait de confiance.

– C'est toujours plus facile en se disant les choses..., fit-il simplement. Mais prenez garde à vos débordements de magie. Si nous sommes capables d'y faire face, ce n'est pas le cas de Daphnée et des filles...

– Vous l'avez senti ?

– Comme Draco sans doute, même s'il n'a rien dit...

Harry hocha la tête alors que Severus retirait sa main, lui laissant une impression de froid persistant malgré le soleil qui réchauffait sa peau.

.

Au bout d'un long moment de caresses et de flatteries sur l'encolure des chevaux, Lucius donna le signal du départ pour regagner tranquillement le Manoir. Les filles s'étaient reposées de leur longue marche et repartirent de bon cœur, Minerva toujours loin devant eux et Iris tenant la main de son père d'un côté et celle de Harry de l'autre. Tous les trois pas, ils s'amusaient à la soulever en la tirant vers l'avant, et elle riait et criait de joie en ayant l'impression de s'envoler et de faire des pas de géants, à tel point que Lucius et Daphnée se retournèrent pour profiter de ses éclats de rire.

– Stop ! Stop ! demanda-t-elle longtemps après. J'ai la tête qui tourne !

Ils cessèrent leur manège et la petite fille se remit à marcher normalement, essoufflée et rayonnante.

– La vérité, Iris, fit Draco comme s'il poursuivait leur conversation, c'est que Harry était bien meilleur que moi au quidditch.

– Comment c'est possible ? demanda Iris en tournant vers lui ses yeux noisettes dont la candeur l'émerveillait.

– Quand j'étais élève à Poudlard, j'étais l'attrapeur des Gryffondors, répondit Harry en souriant, et ton papa, celui des Serpentards. Nous avons joué beaucoup de matchs l'un contre l'autre et... je crois que j'ai toujours gagné !

– Non, pas toujours ! répliqua Draco en riant.

– Tu es sûr ?

– Tout à fait !

– Qu'importe, fit Harry en souriant de leur taquinerie. Nous étions les meilleurs attrapeurs de Poudlard !

– Katie aussi est attrapeuse et c'est la meilleure ! affirma Iris.

– Aujourd'hui, tout le monde est meilleur que moi ! Et qui est cette Katie dont j'entends toujours parler, dit-il en se tournant vers Draco. Une de tes joueuses ?

Un sourire énigmatique flottait sur ses lèvres.

– Katie Bell... Tu ne te souviens pas ? demanda-t-il. Et devant le hochement de tête surpris de Harry, il poursuivit : Elle est devenue pro après Poudlard, et elle va prendre sa retraite à la fin de la saison. C'est ma meilleure joueuse, avec Angelina et Alicia...

Il ne se souvenait que trop du collier d'opale que Draco lui avait donné et qui avait failli la tuer, mais il n'allait pas mentionner cet épisode-là ! Visiblement, Katie avait fini par lui pardonner...

– Même que Katie et Marraine, elles sont fâchées ! fit Iris avec aplomb.

– Angelina Johnson et Alicia Spinnet ? dit Harry surpris, sans prêter attention à la petite fille.

– On dit pas « même que », ma chérie, mais tu as raison, répondit Draco, puis tournant la tête vers lui : Celles-là même ! Elles sont passées professionnelles toutes les trois et elles ont quasiment toujours joué dans les mêmes clubs, ce qui fait qu'elles se connaissent par cœur et qu'elles sont redoutables ! La succession va être difficile...

Il ne sut que répondre tant la surprise le rendait muet. Ces trois filles avec qui il avait fait quelques matchs adolescent étaient devenues des joueuses aguerries, sans doute adulées de la même manière dont Ron avait admiré les joueurs des grandes équipes autrefois. Harry fut brusquement saisi par cette impression que le temps avait disparu à son insu dans un gouffre invisible.

Et Draco était à la tête de tout ce petit monde-là... Sa curiosité fut piquée au vif.

– Et tu es donc l'entraîneur le plus connu du monde sorcier ? fit-il malicieusement.

Draco esquissa un sourire gêné et éluda la question.

– C'est vrai ! affirma Iris. Même que tout le monde lui demande des places pour aller voir les matchs !

– Qu'est-ce que j'ai dit, chérie ? la réprimanda Draco. On ne dit pas « même que » !

– Oups ! fit-elle en s'éclipsant discrètement vers Severus.

– Ce qui me fait penser que je dois bien avoir un ou deux vieux balais qui traînent au Manoir, avec des vifs d'entraînement..., songea Draco en le jaugeant d'un regard espiègle. Que dirais-tu d'un petit duel ? Je te prends où tu veux quand tu veux !

Une étrange cabriole eut lieu dans son cœur – jouer contre Draco comme au bon vieux temps avait quelque chose de très excitant – jusqu'à ce que la voix grave de Severus ne vienne interrompre ses pensées.

– Qui prend qui au juste ? fit-il avec un petit sourire entendu.

– Au quidditch, Severus ! Au quidditch ! répondit Harry en ricanant. Mais ce n'est pas très juste, Draco ! Je ne suis plus monté sur un balai depuis plus de dix ans !

– Excepté à Poudlard il y a quelques temps, intervint à nouveau Severus. Je me suis laissé dire que vous étiez encore plutôt doué...

Le regard amusé de Draco passait de l'un à l'autre et son sourire s'élargissait de répartie en répartie.

– Qui vous a... ? C'est Matt, n'est-ce pas, qui vous a vendu la mèche ?!

Le sourire énigmatique de Severus resta sa seule réponse.

– Matt... le Matthieu ? ironisa Draco. Alors, tu as rencontré le petit protégé de Severus ?

Un regard courroucé vint le faire taire tandis que Harry renchérissait :

– Celui-là même. Et nous nous entendons assez bien, je dois dire...

Sa phrase était anodine pour Draco, mais il avait mis suffisamment de sous-entendus dans son intonation pour s'attirer à son tour le regard sombre de Severus et voir sa jalousie piquée au vif. Se pouvait-il que Severus craigne la concurrence de son protégé, comme il avait lui-même craint qu'il n'y ait quelque chose entre eux ?

Severus bougonna pour toute réponse et garda un silence contrit.

– Alors ? Ça te tente ? reprit Draco comme si de rien n'était. Un petit duel, juste toi et moi ? Pour la peine, j'irai même chercher des balais de l'équipe... les meilleurs qui existent actuellement ! Ne dis rien, va ! Je vois déjà tes yeux qui brillent et ton sourire rêveur comme avant un match !

Draco riait de bon cœur et il avait assurément vu juste en lui. La perspective de remonter sur un balai et d'affronter son meilleur ennemi excitait Harry comme un enfant devant ses cadeaux de Noël ! Il avait volé un peu avec Matthieu, mais le quidditch n'était pas son fort, et cela n'avait rien à voir avec l'idée de s'entraîner avec Draco comme autrefois, même si l'issue de leur duel ne faisait aucun doute. L'entraîneur des Harpies devait passer la moitié de sa vie sur un balai alors qu'il n'avait volé que deux fois depuis son retour ! Mais l'excitation était là, et l'impatience tout autant, et il rit à son tour devant ce bonheur retrouvé.

La voix aiguë d'Iris tira Harry de sa rêverie et il perçut à nouveau les paroles autour de lui.

– Il est où Matthieu ? demandait-elle.

– Tu sais bien qu'il travaille et qu'il vit à Poudlard, répondit Severus.

– Papa ? fit-elle en grimpant les premières marches de l'escalier qui menait vers la terrasse du Manoir. On ira à Poudlard voir Marraine ?

– Je ne sais pas, ma chérie. Peut-être, si on a le temps...

Surpris d'être déjà arrivé au Manoir tant le retour lui avait paru plus rapide que l'aller, Harry jeta un regard interrogateur à Draco qui réfléchissait encore à la question de sa fille.

– Qui est donc sa marraine dont elle parle tant et qui vit à Poudlard ?

Quelqu'un d'assez proche pour entrer ainsi dans sa vie et celle de sa famille... Draco eut un air étonné devant son ignorance, puis il éclata de rire.

– On dirait qu'elle ne t'en a pas parlé ! Eh bien... Luna, bien entendu !

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ooOOoo

.

La fraîcheur tombant peu à peu avec la fin de l'après-midi, ils étaient rentrés à l'intérieur du Manoir, éparpillés selon leurs occupations. Les filles avaient obtenu le droit de regarder un dessin animé dans la salle de cinéma après leur longue promenade, et les adultes s'étaient installés au Petit Salon, Severus plongé dans un livre, tandis que Daphnée réchauffait ses mains autour d'une tasse de thé et ses jambes nues devant le feu tiède qui brûlait dans la cheminée, tout en discutant avec Lucius.

Daphnée était vraiment une jolie femme, simple et élégante, sans attrait spécifique mais avec ce charme particulier qui aurait fait dire qu'elle était « racée ». Ses longs cheveux bruns ondulaient sur ses épaules, parés de reflets acajous dus aux flammes, et ses yeux noisettes brillaient d'intelligence. Comme envoûté par sa femme, Draco ne la quittait pas du regard, bien qu'ils se soient installés un peu à l'écart pour pouvoir discuter tranquillement.

Harry ne s'était pas encore remis de sa surprise, vaguement vexé d'avoir été tenu dans l'ignorance par Luna, et tentait de reconsidérer l'étrange échiquier de sa vie où les pions semblaient avoir bougé sans son autorisation et s'être alignés dans de nouvelles perspectives.

– Luna est donc la marraine d'Iris ? fit-il au bout d'un moment, captant enfin le regard de Draco.

– De Minerva en fait. Iris a un parrain, mais ils agissent de la même manière avec les deux filles, ce qui fait qu'elle considère aussi Luna comme sa marraine...

– Et qui est le parrain d'Iris ? Quelqu'un que je connais ?

– Blaise.

– Zabini ? demanda-t-il par réflexe.

Draco hocha rapidement la tête, semblant un peu mal à l'aise. Pour le détendre, Harry afficha un sourire serein, plus qu'il ne l'était réellement.

– Et quel est le rapport avec Katie ? Iris a dit qu'elles étaient fâchées...

– Je ne suis pas sûr que ce soit à moi de te raconter la vie de Luna, fit Draco gêné.

– Bien sûr. Je...

De toute évidence, ce n'était pas à lui. Si Luna ne l'avait pas fait, alors Harry n'était pas en droit d'exiger quoi que ce soit de lui. Draco reprit cependant :

– Après Poudlard, Luna et Katie ont été ensemble. Pendant trois ou quatre ans. Une histoire orageuse, compliquée... Sous ses dehors un peu fantasques, Luna a un caractère très fort, surtout en couple, et Katie n'est pas en reste. Ça a toujours été tumultueux entre elles et ça s'est fini de la même façon. Depuis, elles s'évitent comme la peste, ce qui n'a pas été sans poser quelques problèmes...

– Alors, c'est elle..., fit Harry pensif. Un soir où on avait un peu bu, Luna a raconté quelques bricoles au sujet d'une ex... j'imagine que c'était Katie.

– Sans doute, je ne lui connais pas d'autre relation à part Padma...

Luna et Blaise étaient donc les parrain et marraine de Minerva et Iris, des amis suffisamment proches de Draco pour être inclus dans sa vie de famille et sa vie personnelle depuis des années. Était-il jaloux ? Ce n'était pas ça à proprement parler, mais la situation lui laissait une sensation inconfortable et surtout un sentiment de gâchis difficile à digérer.

– Vous ne vous êtes jamais quittés depuis Poudlard en fait ? demanda Harry doucement.

– Non. En fait, ton... départ nous a rapprochés, fit Draco d'une voix basse et gênée. Nous étions aussi bouleversés l'un que l'autre... Avant, tu étais le lien entre nous, l'intermédiaire. Avec ton absence, nous avons formé un autre lien, plus soudé. Elle fait partie de ma vie comme personne d'autre. Il était logique qu'elle soit la marraine de mon premier enfant...

– J'imagine que Lucius et Severus la connaisse du coup ? fit-il en fronçant les sourcils.

– Bien sûr. Elle a été mon témoin de mariage...

Harry accusa le coup sans rien laisser paraître, tant il ne voulait rien rajouter à la gêne manifeste de Draco. Il était sans doute indispensable d'en passer par toutes ces révélations pour pouvoir reprendre des relations vraies entre eux tous.

– Pourquoi ai-je eu l'impression que Severus et Luna s'ignoraient superbement alors ? fit-il en revenant sur son idée première, avant d'expliquer à Draco : Un jour, Severus est venu me voir à Poudlard et Luna est arrivée à ce moment-là. Elle a fait mine de ne quasiment pas le connaître et il y a eu un vrai froid entre eux...

Draco jeta un regard vers Severus toujours plongé dans son livre, son visage sombre à peine éclairé par les lueurs dansantes du feu.

– Il y a un contentieux de longue date entre eux, soupira-t-il. Luna reproche à Severus de ne pas m'avoir assez soutenu lorsque Lucius... quand il a tempêté à propos de ma relation avec Daphnée. Je comprends Severus. Il était pris entre deux feux... Il ne pouvait pas désavouer mon père en public, même s'il n'en pensait pas moins et qu'il ne devait pas se priver de lui dire ses quatre vérités lorsqu'ils n'étaient que tous les deux. Mais Luna n'a pas supporté qu'il n'ait pas une position plus tranchée en ma faveur, et elle lui en veut toujours. Elle ne fait pas toujours dans la demie-mesure, de la même manière qu'elle a du mal avec le fait que Katie joue toujours pour moi...

– Parce que tu n'as pas coupé les ponts avec elle ?

– Oui. C'est idiot..., fit Draco d'un air résigné. Elle sait que ma relation avec Katie n'a rien à voir avec ce qu'il y a entre elle et moi. J'aime bien Katie, c'est une bonne joueuse, qui se donne à fond et qui sait mener une équipe, mais même si je l'apprécie, nous ne sommes pas à proprement parler amis. Seulement Luna aurait préféré que je ne la voie plus du tout. Elle ne comprend pas que ça puisse être juste professionnel...

– Elle a pourtant l'air si... douce quand on la voit avec Padma, avoua Harry avec un sourire.

– Ne t'y fie pas ! fit Draco en riant. C'est une lionne ! Elle a un caractère bien trempé, même si elle le montre moins maintenant. Padma lui a permis de trouver un équilibre inédit, mais sous la surface, je ne sais pas si elle a tant changé que ça... Avec les enfants, en tout cas, elle est merveilleuse.

– Tes filles ont l'air de l'apprécier...

– C'est le cas. Même si c'est un peu plus compliqué pour Minerva maintenant... Viens avec moi !

Harry n'eut pas le temps de s'appesantir sur ses paroles que Draco s'était déjà levé et l'attendait près de la porte.

– On revient, fit Draco en jetant un œil vers Daphnée, Lucius et Severus, et il l'entraîna dans l'escalier en colimaçon vers l'étage.

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Ils parcoururent le long couloir des chambres, dépassant celle des maîtres de maison et arrivèrent devant une porte fermée au bout du corridor. Harry n'avait jamais poussé la curiosité jusqu'à tenter de les ouvrir toutes, il aurait trouvé cela indécent. Il avait supposé qu'une chambre d'invité se cachait derrière chacune d'entre elles et il en était resté là.

Mais lorsque Draco tourna la poignée, il fut surpris de découvrir un vaste salon dont les baies vitrées surplombaient le jardin et donnaient une large vue sur la campagne alentour. Au vu de sa position à l'extrémité de l'aile sud du Manoir, le salon devait se situer au-dessus des deux vérandas réunies, et de la rotonde, adoptant la même forme en demi-cercle. Riche, meublée de quantité de petits fauteuils rouges comme des framboises et de guéridons ornés de bibelots, la pièce dégageait une atmosphère de bonbonnière, très sucrée et très douce, pleine de dentelle et de trésors. Un vaste piano niché contre le mur attendait sagement des mains de mélomane, surmonté d'un cadre où il reconnut difficilement un Draco qui semblait avoir le même âge qu'Iris aujourd'hui.

– C'était le salon de ma mère, expliqua Draco. Sa chambre est juste à côté.

Il jeta un œil circulaire sur la pièce avant de reprendre :

– Les filles adorent cette pièce, tu te doutes bien pourquoi, ajouta-t-il avec un sourire. Severus la déteste, mais mon père y vient parfois. C'est lui qui a mis ces photos...

Il désignait sur le manteau de la cheminée un ensemble de cadres où Harry reconnut Iris et Minerva à des âges différents, seules, à cheval ou bien avec leur mère. Sur l'une d'entre elles, il vit le grand sourire de Luna tenant dans ses bras un tout petit bébé tétant son poing qui devait être sa première filleule. Elle rayonnait de fierté et son regard protecteur, presque dangereux, aurait empêché quiconque d'approcher.

Un peu plus loin, il s'attarda sur une autre photo en pied de Draco et Daphnée le jour de leur mariage. Elle était splendide, toute vêtue de tulle et de dentelles qui dessinaient à ravir les courbes de son corps et la finesse de sa taille. Un chapeau légèrement incliné soulignait son visage radieux et les boucles sombres de ses cheveux. À ses côtés, Draco était d'une élégance rare dans son costume gris et vert, si distingué et raffiné que celui qu'il portait aujourd'hui passait presque pour un vêtement de tous les jours. Même à travers la photo, Harry percevait dans son regard sa fierté, non pas de la femme qu'il épousait, même s'il ne doutait pas de leur amour, mais d'avoir obtenu ce qu'il voulait, la satisfaction insolente d'avoir pu s'unir à celle qu'il avait choisie, envers et contre tout, et surtout contre la volonté de son père; un orgueil impertinent et douloureux qui avait remporté une victoire pourtant perdue d'avance.

– Vous étiez magnifiques...

– Merci, fit Draco. Ce fut une journée difficile.

Harry regretta un peu plus encore de n'avoir pas été là.

– À cause de Lucius ?

– Lucius, Luna qui rageait de voir que Katie était présente... Ils ont tous joué le jeu le temps du mariage, mais les tensions n'en étaient pas moins vives...

Draco lui désignait une autre photo où Daphnée et lui posaient en compagnie de leurs témoins. Aux côtés de la mariée se tenaient deux visages inconnus et souriants, et derrière Draco, il reconnut Blaise Zabini, tiré à quatre épingles dans un costume vert olive qui seyait superbement à sa peau noire, et Luna, auréolée de longs cheveux blonds, vêtue d'une robe très chic, quoique d'un style un peu excentrique.

Un large sourire échappa à Harry. Ils étaient tous superbes, et la vision de Luna dans cette robe si improbable, qui lui correspondait tant, le rassura inexplicablement. Il n'y avait vraiment qu'elle pour porter si bien ce qui aurait fait ressembler n'importe qui à un véracrasse endimanché, et il retrouva dans cette image quelque chose de l'adolescente fantasque qu'il avait quittée si brusquement.

– Et qu'est devenu Blaise ? fit-il enjoué.

– Il tient une galerie d'art qui a pignon sur rue à Londres et à New York. Il négocie sournoisement comme un Serpentard, brasse des millions et boit des cosmos dans des cocktails mondains... La vie dont il rêvait, en somme, répondit Draco avec un petit rire. Lucius a parfois affaire à lui pour agrandir sa collection privée...

– Marié ?

– Non. Des liaisons plus ou moins longues avec des filles plus ou moins intéressantes, qui vont de la blonde sans cervelle à la poule de luxe... Il ne veut pas s'embarrasser, et je crois qu'il regrette un peu la seule que j'ai vraiment appréciée, une artiste peintre avec qui il est resté deux ans et qui l'a quitté le jour où il l'a trompée... Les autres préféraient fermer les yeux tant qu'il restait avec elles.

Il haussa les épaules et reprit :

– Il est loin d'être parfait, mais en privé, c'est un homme bien, plus simple qu'il n'y paraît, et il adore les filles... Et il m'a toujours été fidèle, même s'il ne l'est pas avec les femmes. Quand j'ai rencontré Daphnée, et que Lucius a menacé de me déshériter et même de me faire perdre mon travail, il a toujours été derrière moi... Il m'a même prêté un appartement dans Londres pour qu'on puisse y vivre. Je n'étais pas encore entraîneur, Daphnée finissait ses études... nous étions un peu juste financièrement si je n'avais pas accès à la fortune de mon père.

– J'ai du mal à croire que nous parlons du même homme qui fait salon avec ta femme au rez-de-chaussée, fit doucement Harry.

– Tu n'imagines pas à quel point il a changé..., avoua Draco avec un regard triste. Elle l'y a beaucoup aidé... et la naissance des filles aussi. Mais ce qui est fait est fait.

– Je peux t'assurer qu'il regrette beaucoup de choses...

Il posa une main apaisante sur le bras de Draco dont il sentait les tensions sous-jacentes.

– C'est ce que Severus dit aussi..., admit-il.

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Harry fit quelques pas dans la pièce, vers un guéridon où une photo attirait son œil, tandis que Draco s'asseyait lourdement dans un fauteuil. Dans un cadre sobre, il découvrit un cliché en pied de Lucius et Severus côte à côte, la main de Severus sur l'épaule de son compagnon, dans ce geste qu'il avait souvent avec lui également, une familiarité presque étonnante pour un portrait officiel. Il n'aurait su dire lequel était le plus beau des deux, entre l'élégance toute aristocratique de Lucius et le charme sombre de Severus, mais ils formaient assurément un très beau couple.

– Le jour de ton mariage aussi ? demanda-t-il en désignant la photo.

Draco hocha la tête tandis que Harry sentait un fourmillement familier parcourir son ventre à contempler le regard noir et chaud de Severus et que s'allumait en lui la même chaleur pleine de désir animal.

Il s'obligea à s'arracher à la vision de cet homme auquel il aspirait tant et à poursuivre sa conversation avec Draco.

– Et Angelina et Alicia ? Qu'est-ce qu'elles deviennent, à part le quidditch ?

– Alicia est une éternelle célibataire qui ne veut pas s'embarrasser d'un homme; quant à Angelina, elle est mariée avec Georges Weasley et ils ont deux enfants...

– Georges Weasley ? Le frère de Ron ? s'étonna Harry.

Sa voix légèrement étranglée n'avait pas échappé à Draco qui lui jeta un regard en coin où il lut anxiété et inquiétude.

– Oui. Ils se tournaient autour depuis Poudlard...

– Il tient toujours son magasin avec Fred ? murmura-t-il.

– Oui. Plusieurs, même... Ils ont ouvert une filiale à Pré-au-lard, et dans quelques capitales étrangères. Leur affaire marche plutôt très bien...

C'était étrange. Matt lui avait pourtant dit qu'il expérimentait des potions pour les frères Weasley, mais c'était comme si Harry n'avait pas compris de qui il s'agissait, qu'ils étaient ceux à qui il avait donné le prix du Tournoi des Trois Sorciers, les frères de Ron et de Ginny, les frères de Charlie avec qui il avait tant partagé en Roumanie, les enfants de Molly, presque sa deuxième famille... Et il réalisa soudain qu'il n'avait été revoir aucun d'entre eux depuis son retour.

oooooo

Il était quasiment l'heure du dîner lorsqu'ils redescendirent, sans avoir prononcé beaucoup plus de paroles. Harry trouva le repas animé, presque aussi bruyant que la salle à manger de Poudlard, alors qu'elles n'étaient que deux. Lui resta relativement silencieux durant toute la soirée, noyé dans ses pensées, malgré les tentatives de Minerva pour le faire parler. Draco avait bien compris ce qui le rongeait, et il lui épargna rapidement les babillages insistants de sa fille qu'il renvoya vers Lucius et Severus avec douceur.

Harry se sentait fatigué, presque assommé de ces moments trop intenses. Il n'était pas encore au clair quant à sa « relation » avec Severus qu'il fallait déjà s'occuper de cet héritage, renouer des liens avec Draco, éclaircir certaines choses avec Luna, et que se rajoutaient à présent des retrouvailles nécessaires et déjà trop tardives avec la famille Weasley. Trop de choses à faire dans un temps trop court, et tout semblait se bousculer, se précipiter, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. Il ne souhaitait qu'un peu de calme et de quiétude et cela paraissait absolument hors de portée.

.

Harry avait aperçu le regard interrogateur, presque inquiet, que lui avait lancé Severus et avait répondu par un haussement d'épaules. Draco, un peu plus tard, lui avait dit deux mots qui avaient fait taire ses questions muettes, mais il ne cessait de l'observer tandis qu'il avalait les verres de whisky les uns après les autres. Il allait devoir cesser d'ailleurs, à son grand regret, sous peine de terminer à lui seul la bouteille hors de prix de son hôte. L'alcool ne le rendait pas ivre ce soir, chose qu'il aurait préférée, ne le rendait pas même gai ou enjoué. Il se sentait seulement un peu cotonneux, calé dans son fauteuil au coin du feu; une certaine lourdeur au fond de lui apaisait ses pensées sombres, et au bout d'un moment, il se remit à apprécier la tranquillité de la conversation autour de lui, la douceur des liens qui les unissaient tous malgré le passé, et le bonheur paisible d'être là.

Iris, épuisée par la longue promenade vers les écuries, avait fini par s'endormir sur les genoux de son père, la tête posée contre son torse, la bouche entrouverte, dans une attitude abandonnée qui l'émut particulièrement. Les bras de Draco, lovés dans son dos, la tenaient tendrement contre lui, et sans y prêter attention sans doute, il penchait de temps en temps la tête pour enfouir son nez dans ses cheveux et respirer son odeur.

Ils étaient beaux.

Pour un peu, Harry aurait souhaité que cet instant dure à jamais, tant la vision de Draco et sa fille était apaisante. Si ce n'était Severus qui lui manquait et qui semblait inaccessible.

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– Monte la coucher, fit Daphnée au bout d'un moment. Elle dormira mieux dans son lit...

– On va tous y aller, je crois, répondit Draco en passant ses bras sous les fesses d'Iris pour la soulever avec douceur. La journée a été longue et nous sommes tous fatigués...

Il le regardait intensément en disant ces mots et Harry hocha la tête. Lui aussi avait besoin de décompresser un peu, de faire le vide et de s'isoler, à défaut d'avoir envie de dormir réellement.

Tous finirent par monter, Minerva en boudant un peu et en protestant parce qu'elle était grande, elle, et pas fatiguée, mais elle suivit le mouvement malgré tout.

– Jette un sort de silence sur ta porte, si tu veux dormir demain matin, lui conseilla Draco en souriant. Elles ne viendront pas te réveiller dans ta chambre, mais elles sont assez malines pour faire du bruit juste devant jusqu'à ce que tu ouvres un œil...

Étonnamment, Harry vit Severus se diriger vers sa propre chambre, et non pas vers celle qu'il partageait habituellement avec Lucius, et il se demanda jusqu'où ils poussaient les apparences en public. Pas un mot, pas un geste ou une attitude qui fassent soupçonner qu'ils puissent être plus que deux amis, et même deux chambres distinctes en présence de leur famille, alors qu'ils ne s'étaient pas cachés devant lui. Pour qui, et surtout pourquoi faisaient-ils cela ? Ni Draco, ni Daphnée ne pouvaient être dupe de ce cinéma. Pour les filles alors ? Il ne comprenait pas l'intérêt, ni la raison éventuelle, et quelque part, ces simagrées l'agacèrent profondément.

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Comme il s'en doutait, Harry ne trouva pas le sommeil. Non pas à cause de l'alcool qu'il avait bu, mais parce qu'à chaque fois qu'il fermait les yeux, il revoyait sans cesse les visages de Fred et Georges, celui de Charlie, et surtout celui de Molly le jour où elle avait enterré son mari et ses deux enfants, maintenue debout par une rage digne et implacable, qui n'avait laissé aucune place à la souffrance et au chagrin. Plus que tout autre, Harry craignait sa réaction à son retour qui n'avait que trop tardé.

Ses pensées et ses sentiments coupables divaguèrent jusqu'à ce que l'alcool soit presque évaporé de son sang et il ne dormait toujours pas. Il finit par se lever et transplaner dans la rotonde, plongeant avec délice dans l'eau délassante, presque phosphorescente sous la lumière de la lune.

Il oscilla longtemps entre deux eaux, se laissant davantage porter par l'eau qu'il ne nageait réellement. La nuit était encore sombre, mais le jour n'allait plus tarder, ainsi que Severus, s'il se levait tôt. Il hésitait. Il avait besoin de le voir, mais n'en avait pas envie.

Harry regagna finalement sa chambre et s'allongea pour dormir une heure ou deux, sans prendre la peine de fermer sa porte. Peu importe qui le réveillerait.

oooooo

Draco n'avait pas menti et Harry entendit des chuchotements appuyés dans le couloir qui le tirèrent d'un sommeil lourd et désagréable.

Un œil curieux finit par se glisser par la porte restée entrebâillée, et il invita Minerva à entrer dans sa chambre par un large sourire et un geste de la main.

– Déjà debout ? fit-il tandis qu'elle se jetait à son cou au milieu du lit pour lui faire un câlin.

– Mais tout le monde est déjà debout ! répondit-elle en riant. Tu es le dernier !

Il grogna d'agacement; il n'était pourtant pas tard au vu de la position du soleil dans le ciel, mais le rythme de vie des filles avait dû réveiller toute la maisonnée à une heure plus matinale qu'à l'ordinaire.

– Dis, tu voudras bien venir avec moi à la piscine ce matin ? Maman veut pas que j'y aille toute seule...

– Bien sûr ! fit Harry, surpris. Mais on va aller manger quelque chose avant...

– Mais j'ai déjà mangé, moi ! répliqua Minerva en riant davantage.

Il grommela une réponse inaudible contre les petites filles trop pressées et se dit avec effarement qu'il se comportait comme Severus.

– Allez, file, dit-il avec le sourire. Je dois sortir de là et je suis tout nu. Va en bas, je te rejoins dans cinq minutes.

Par la grâce de Merlin, Minerva ne l'obligea pas à répéter, mais elle n'avait pas sitôt franchi la porte qu'elle descendait l'escalier en colimaçon en criant à tue-tête « Harry, il dort tout nu-euh, Harry, il dort tout nu-euh ! ». Pour la discrétion, il pouvait repasser !

Il passa rapidement sous la douche, enfila un maillot de bain, un pantalon et une chemise sans prendre la peine de se sécher les cheveux – mouillé pour mouillé, ça ne valait pas le coup – et descendit à son tour vers la Salle à Manger.

Les sourires moqueurs de Draco et Lucius l'accueillirent tandis que Daphnée paraissait plus gênée du comportement de sa fille, mais aucun n'esquissa le moindre commentaire. Ils terminaient tous le petit-déjeuner et Harry s'assit lourdement à sa place, ravi de voir que Sky avait pensé à lui et lui avait préparé un champurrado maintenu au chaud par un sort de conservation. Cela ferait un excellent et rapide en-cas avant de filer à la piscine.

– Bien dormi ? fit Severus en lui jetant un regard noir.

– Pas vraiment, avoua-t-il en se massant les tempes.

– Trop d'alcool ? fit à nouveau sa voix acide.

Harry ouvrit des yeux étonnés de l'animosité manifeste de Severus. Personne n'y avait vraiment prêté attention, habitués aux sarcasmes parfois rudes de l'ancien professeur, mais il ne s'y trompait pas. Severus était en colère contre lui, et il se doutait bien de la raison.

– Non, pas vraiment. Juste pas réussi à trouver le sommeil...

– C'est normal, dit Draco qui en devinait sans doute la vraie raison. Et il ajouta d'un ton léger : Tu te poses trop de questions. Fonce dans le tas sans réfléchir, comme autrefois, ça te réussissait plutôt bien !

Harry rit un instant en évitant le regard indécis de Severus, et avala rapidement sa tasse de chocolat chaud sous la surveillance de Minerva qui s'impatientait. Mais le visage de Lucius, les traits tirés et les yeux encore plus cernés que la veille, attira son attention.

– Je ne suis visiblement pas le seul à avoir mal dormi, fit-il en le fixant avec insistance.

– Ça se voit tant que ça ?! dit Lucius en riant. Des cauchemars... rien de bien méchant.

Harry aperçut les yeux sombres de Severus dévier vers son compagnon et les deux hommes échangèrent un regard lourd de sens. Que se passait-il donc entre eux qu'il ne comprenait pas ? Était-ce le fait d'avoir dormi l'un sans l'autre ?

Draco et Daphnée n'avaient pas entendu, tout entier concentrés sur une discussion avec Iris, et c'était peut-être mieux ainsi.

– Quelqu'un d'autre vient à la piscine ? demanda-t-il en se levant.

– Pas d'aussi bonne heure, fit Draco en souriant. Elle n'a trouvé que toi pour l'accompagner, mais tu n'y es pas obligé, tu sais...

– J'y ai déjà passé la moitié de la nuit, ça ne me dérange pas ! plaisanta-t-il tandis que Minerva venait le prendre par la main pour l'entraîner vers l'escalier.

Harry sentit des regards dans son dos alors qu'ils sortaient de la Salle à Manger, sans vouloir s'appesantir sur leur provenance. Dans le lot figurait très certainement celui de Severus et il refusait de s'y attarder.

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Dans la rotonde, la lumière du soleil régnait en maître et la surface de l'eau en était presque éblouissante. Minerva lui tint la main pour passer à travers le rideau magique qui en fermait l'entrée et il sentit les modifications dans le sort de protection qui devait le rendre impénétrable aux fillettes sans la présence d'un adulte. Puis à peine franchi la barrière, elle se déshabilla en toute hâte, dévoilant sous ses vêtements un petit maillot de bain rose fuchsia, et elle sauta dans la piscine sans aucune hésitation.

Brusquement, un puissant sentiment de peur panique submergea Harry comme un raz-de marée, balayant ses défenses et ses réflexes comme des fétus de paille. La peur. Le danger. Une angoisse insurmontable. Il se retrouva tremblant comme une feuille morte, transi de froid, terrorisé, incapable d'avoir une pensée cohérente, avant de se rendre compte qu'elle savait parfaitement nager.

Harry passa une main fébrile sur son visage et se laissa tomber sur un transat, soudain épuisé, le souffle court et le cœur battant la chamade. Il lui fallut plusieurs minutes pour se calmer et réussir à canaliser sa magie qui bouillonnait en lui et hors de lui en tous sens. La vision de ses cauchemars anciens concernant Axaya s'était superposée à celle de Minerva sautant dans la piscine et il avait complètement perdu le contrôle, à tel point qu'il était étonné que ni Severus, ni Draco ne se soient précipités en percevant le trouble de sa magie. La salle de duel, par sa proximité, avait sans doute absorbé une partie du flux, tout autant que le cœur du Manoir. Il restait cependant sidéré et profondément dérangé par la facilité avec laquelle son contrôle sur sa magie avait été balayé par l'angoisse du souvenir.

Dans la piscine, Minerva barbotait avec bonheur en l'attendant, tentant de l'éclabousser pour le faire réagir.

– Allez... Tu viens ou quoi ?! lâcha-t-elle au bout d'un moment.

La voix claire et joyeuse de la fillette l'arracha à ses pensées sombres et il se leva avec un sourire crispé, ôtant sa chemise et son pantalon tandis qu'elle battait des mains d'excitation.

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S'en donnant à cœur joie après cet instant de pure panique, il joua avec Minerva comme un enfant, insouciant, ils nagèrent de concert ou l'un après l'autre en se pourchassant à travers la piscine, s'éclaboussèrent si fort qu'ils atteignirent les baies vitrées sur toute leur hauteur, plongèrent, se renversèrent dans l'eau jusqu'à ce que la fillette, épuisée, ne finisse par demander grâce et s'accoude au bord de la piscine pour reprendre son souffle.

Un large sourire qui allait d'une oreille à l'autre illuminait son visage, lui donnant un air radieux.

À son tour, Harry vint se reposer à côté d'elle, apaisé par l'eau, le chahut avec Minerva et ses éclats de rire qui sonnaient comme du cristal. Ses yeux gris qui l'observaient sans cesse étaient fascinants d'étrangeté, et elle respirait une intelligence vive et pétillante.

– Si tu me disais à présent ce que tu me voulais vraiment, Minerva, fit-il doucement. Pourquoi voulais-tu venir à la piscine avec moi ?

Car il ne doutait pas des intentions et de la volonté de la fillette qui avait vraisemblablement su choisir son moment pour se retrouver seule avec lui.

– Maman ne veut pas que j'y aille toute seule, répliqua-t-elle instantanément. Puis devant son silence et son regard insistant, elle concéda avec un petit sourire : Je ne te connais pas. Je suis curieuse...

Il éclata de rire devant l'air sournois et manipulateur de la petite fille, digne héritière de son père et de son grand-père.

– Et que veux-tu savoir ? se moqua-t-il gentiment.

– Eh bien, je ne sais pas. Tout ! Quel âge tu as d'abord ? fit-elle pleine d'aplomb.

– Le même que ton père !

– Non mais c'était trop facile ! Ça compte pas ! dit-elle vivement comme s'il s'agissait d'un jeu où elle n'avait droit qu'à un nombre limité de questions. Une autre !

Le procédé n'était pas très honorable mais il n'aurait peut-être pas d'autre occasion...

– Moi aussi je suis curieux, Minerva... Est-ce que... Est-ce que tu me permettrais de regarder en toi ? Je ne te ferai aucun mal, je te le promets.

– Regarder comment ? fit-elle sans se démonter.

– Avec ma magie. Ça ne fait pas mal, tu ne sentiras rien du tout...

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– Qu'est-ce que tu m'as fait ? demanda-t-elle au bout d'un long moment sans le quitter de ses étranges yeux gris.

– Je te l'ai dit, j'ai regardé un peu en toi...

En toute confiance, elle avait pris sa main et la magie de Harry l'avait traversée en douceur, s'imprégnant de ce qu'était la petite fille et de sa personnalité.

– Tu cherchais s'il y avait de la magie ? Il n'y en a pas. J'ai déjà vu pleins de médecins et il n'y a rien. Je suis sans magie, comme maman.

Il s'était assis sur le bord de la piscine, et la regardait flotter devant lui; sur la pointe des pieds, elle touchait à peine le fond à l'endroit pourtant le moins profond. Il frissonna un instant, la peau hérissée par le froid, et se décala légèrement pour se placer sous les rayons du soleil déversés par les baies vitrées.

– Est-ce que tu aurais aimé avoir de la magie ?

– Oui ! affirma-t-elle en s'approchant à nouveau du bord pour s'y accrocher. Pour être comme papa et Iris. Et pour impressionner mes copines !

Il rit à nouveau devant sa franchise désarmante avant de la taquiner :

– Mais tu sais que c'est interdit de se servir de la magie devant des non-sorciers ?!

– Oui, je sais que c'est un secret. Sauf devant des gens spéciaux, en qui on a entièrement confiance, comme maman et moi... Mais même la famille de maman ne sait pas que papa et Iris sont des sorciers...

Comme une litanie, elle semblait réciter une leçon maintes fois répétée, puis brusquement, ses yeux gris se mirent à le sonder et brillèrent d'intelligence, et elle prit la direction de la conversation.

– Toi, tu as beaucoup de magie, n'est-ce pas ?

– Un peu..., sourit-il.

– Et qu'est-ce que tu en fais ?

La question le désarçonna et Harry éclata de rire.

– Pas grand chose. Je soigne des gens parfois et je fais des potions...

– Papa aussi fait des potions des fois, fit-elle, mais ça ne marche jamais très bien sur moi. Une fois, j'ai eu les oreilles qui ont fumé pendant une semaine et j'ai pas pu aller à l'école ! J'ai eu le droit de regarder la télé et d'accompagner papa à son travail pendant que Iris, elle, elle allait à l'école !

Sur son visage apparut un air hautain, presque machiavélique, et qui le fit sourire, souvenir d'un privilège obtenu sur sa sœur avec une fierté sans pareille.

– Papa m'a dit que tu es un très grand sorcier...

– Je suis plus petit que ton papa, s'amusa-t-il.

– Ne te moque pas de moi ! répliqua-t-elle sérieusement et son regard devint dur. Il a dit aussi que pendant la guerre, c'est toi qui as tué le sorcier qui était le chef des méchants.

– C'est vrai, admit-il. Mais j'ai été beaucoup aidé. Par plein de gens...

Difficile de savoir ce que Draco lui avait dit au sujet de leurs rôles respectifs pendant la guerre, en particulier celui des Malfoy père et fils, et Harry souhaita ardemment que Minerva abandonne ce sujet épineux. Mais ses yeux dérivaient déjà vers le cordon de cuir et le pendentif qu'il portait autour du cou.

– Il est beau, ton collier. C'est quoi ?

– C'est une pierre. Ça s'appelle de la malachite. On en trouve pas très loin de là où je vis...

– Tu me le donnes ?

– Non ! sursauta-t-il, brusquement tendu et gêné de la question. On me l'a donné. Il m'est précieux...

Minerva ouvrit la bouche pour poser une autre question, mais elle se réfréna devant sa réaction et laissa passer quelques secondes avant de demander :

– Tu es tout seul, n'est-ce pas ?

– Qu'est-ce que tu veux dire ? fit Harry, troublé.

– Tu n'as pas de femme, pas d'enfant.

Dans sa voix, transparaissait davantage une affirmation qu'une interrogation...

– Non. Je suis tout seul. Et toi, tu as un chéri ou une chérie ?

Surprise par sa question, elle eut un petit rire enfantin et redevint d'un seul coup la petite fille qu'elle était habituellement.

– Non. Rebecca, c'est ma meilleure amie mais c'est pas ma chérie ! affirma-t-elle avant de pencher légèrement la tête sur le côté et d'ajouter. Sévie, c'est le chéri de PapiLuce, n'est-ce pas ?

Pris au dépourvu, Harry sursauta. Devait-il répondre à cela ? Mais la question de Minerva contenait déjà sa propre réponse; elle savait.

– Oui.

– Ils s'aiment comme papa et maman ?

– Je crois, oui...

– Papa dit que Sévie est malheureux.

Ces mots-là étaient davantage une question informulée qu'elle lui adressait, mais la surprise qu'il ressentit prit les devants.

– Comment ça ?!

Elle pencha à nouveau la tête et ses yeux gris le sondèrent pour jauger de la confiance qu'elle pouvait lui accorder.

– Tu le répéteras pas, hein ?! C'est un secret ! Une fois, j'ai entendu papa dire à maman que Sévie aimerait bien se marier avec PapiLuce, mais que PapiLuce ne veut pas...

.

Un mouvement fugace capta son attention et Minerva détourna subitement le regard vers le coin opposé de la piscine. Près de la baie vitrée, la silhouette trapue de Mayahuel était apparue et elle s'avançait tranquillement vers eux, souriant de toutes ses dents, malgré l'air carnassier que cela lui donnait parfois.

Minerva se tint de prime abord sur la défensive, mais se détendit rapidement quand elle le vit saluer Mayahuel d'un signe de tête et d'un sourire de connivence.

– Tu la connais ? demanda-t-elle d'une voix qui transpirait encore la méfiance.

– C'est une amie, acquiesça-t-il.

Mayahuel s'approcha et vint s'asseoir à côté de lui, relevant les plis de sa robe pour glisser ses petits pieds dans l'eau sans la mouiller. De son regard perçant, Minerva l'observait, détaillant les traits de son visage si différent de ce qu'elle connaissait, ses vêtements bariolés et Harry la vit s'arrêter net sur ses mains tatouées. Elle ouvrit des yeux ronds de surprise, mais, digne représentante de sa lignée, elle sut se contenir et demanda simplement :

– Qu'est-ce qu'ils veulent dire, tes tatouages ?

Mayahuel éclata de rire devant la première question qui sortait de cette bouche enfantine.

– Ce sont des symboles de protection et d'appartenance à mon peuple.

– Papa aussi a un tatouage... Là, dit Minerva en désignant son avant-bras gauche, mais il est tout effacé et presque blanc... Papa ne l'aime pas beaucoup. Souvent, il jette un sortilège dessus pour le cacher.

Harry ne put s'empêcher de frémir au souvenir de ce qu'elle évoquait. Avec le temps, la Marque des Ténèbres semblait s'être effacée sans avoir totalement disparu et il ne pouvait que comprendre l'envie de Draco de la cacher. Ce signe d'infamie persistait malgré la fin de la guerre, malgré ce qu'il était devenu, comme un rappel permanent de ses erreurs passées. Qu'en était-il de Severus ? Étrangement, il ne l'avait pas vue lorsqu'ils avaient passé du temps ensemble plus ou moins dévêtus, mais il est vrai que son esprit était focalisé sur d'autres choses à ce moment-là...

– Et quel est ton peuple ? demanda encore Minerva. Qu'est-ce que tu es ? Tu ressembles à une elfe de maison, mais tu n'en es pas une. Tu n'as pas les oreilles pointues, ni leur nez et tu as trop de cheveux !

– J'ai trop de cheveux ? fit Mayahuel en riant, caressant sa longue et magnifique natte d'un noir bleuté. Tu me préférerais chauve ?!

Puis, devant les rougeurs sur les joues de la fillette, elle reprit plus doucement :

– C'est vrai, je ne suis pas une elfe de maison. Je suis Mayahuel, et mon peuple... eh bien, tu ne le connais pas. Nous venons de loin et nous ne sommes que quelques-uns...

– Et comment es-tu rentrée ? Normalement, on ne peut pas rentrer dans le Manoir sans être avec papa ou PapiLuce.

– Je suis venue voir Harry et ton grand-père m'y a autorisée, confia Mayahuel devant le ton de nouveau méfiant de Minerva.

– C'est vrai ? fit-elle en se tournant vers lui, les sourcils froncés.

– C'est vrai, Minerva, acquiesça-t-il doucement. Lucius et Severus connaissent Maya, et tu peux lui faire confiance. Elle ne te fera aucun mal...

Minerva ne semblait pas convaincue par sa réponse et gardait une attitude toute en retrait, sans quitter Mayahuel des yeux, puis finit par sortir de l'eau, tandis qu'il discutait avec la petite créature.

– Je peux remonter, Harry ?

– Bien sûr ! fit-il surpris qu'elle lui demande l'autorisation. Mais sèche-toi bien. Il ne faudrait pas que tu retombes malade. Je ne veux pas avoir affaire à ton père ! acheva-t-il en riant.

La fillette avait attrapé une serviette et se frottait consciencieusement le corps, insouciante de ses longs cheveux qui continuaient de dégouliner d'eau, mouillant inlassablement ce qu'elle venait d'essuyer. Harry l'observait avec un sourire attendri puis lui tendit la main.

– Donne-moi ta main.

Elle la prit sans comprendre, avant d'écarquiller les yeux en percevant le courant de magie qui la traversait et la séchait instantanément, et se mit à rire.

– Eh ! Ça chatouille, fit-elle en se tortillant avant de se rhabiller rapidement et de sortir de la rotonde, non sans jeter un dernier regard circonspect à Mayahuel.

oooooo

– Je lui ai fait peur, tu crois ?

– Je ne pense pas, fit Harry pensivement, les yeux encore fixés sur le rideau magique où Minerva venait de disparaître. Mais elle est sur ses gardes... Cela ne m'étonnerait pas qu'elle aille demander à Lucius si nous avons dit la vérité !

Avec un petit rire, il sauta dans l'eau pour se réchauffer et vint s'accouder au rebord de la piscine juste à côté de Mayahuel.

– Que voulais-tu au juste, Maya ? La rencontrer ou bien c'est parce que tu as senti ma magie ?

– Ta magie a débordé, nadi..., dit-elle en hochant la tête. Tu as perdu le contrôle, encore...

– J'ai eu peur, fit-il en détournant le regard. Elle a sauté dans la piscine et je l'ai vue disparaître dans l'eau...

Harry n'avait pas besoin d'en dire plus pour que Maya sache ce qu'il avait ressenti, et rien qu'à cette évocation, il sentait encore son ventre se nouer et des sueurs froides parcourir son corps, malgré la chaleur de l'eau autour de lui.

– C'est normal. Et ce n'est pas grave.

– J'ai eu peur de lui faire du mal, confia-t-il encore.

– C'est impossible, nadi. Ta magie n'agirait que pour la protéger. Tu aurais vidé la piscine ou tu l'aurais sortie de l'eau, mais tu ne pouvais pas lui faire du mal.

Il hocha brièvement la tête, rassuré malgré tout par les paroles de Maya. Il n'aurait jamais fait de mal intentionnellement à qui que ce soit, mais dans certaines circonstances, il craignait de perdre le contrôle de lui-même, en plus de celui de sa magie. La certitude qui transparaissait dans la voix de Mayahuel l'apaisa.

– Ceci dit, tu devais être bien près pour pouvoir sentir le débordement de ma magie, ironisa-t-il.

– Pas très loin, admit-elle avec un sourire.

– Je suis étonné que les autres là-haut n'aient rien perçu, d'ailleurs...

– J'ai contenu tes débordements vers le cœur du Manoir. Ils n'ont rien senti, pas plus qu'elle...

Harry se sentait vaguement vexé par son intervention, mais en réfléchissant, il ne pouvait que la remercier, et c'était encore plus vexant.

– Tu as entendu ma conversation avec Minerva, alors ?

– Oui, mais je ne voulais pas te déranger à ce moment-là...

Ses petits yeux noirs l'observaient avec attention et elle eut un rire léger avant d'ajouter :

– C'est une petite fille très vive d'esprit ! Qu'as-tu vu en elle ?

La fillette lui avait fait la même impression. Elle en était parfois dérangeante, tant il sentait les rouages de son esprit se mettre en marche quand elle osait certaines questions bien trop adultes pour elle. Ce n'était pas tant ce qu'elle demandait qui le surprenait, que ce qu'elle comprenait ou devinait derrière les réponses et les réactions qu'on lui faisait, et les conclusions qu'elle en tirait. Même à son entrée à Poudlard, avec quelques années de plus qu'elle, Harry n'avait pas le souvenir d'avoir été aussi vif et intuitif. Et elle ne se servait même pas de magie ! Il imaginait parfaitement bien la puissante legilimens qu'elle pourrait faire...

– Que je peux l'aider...

– Pourquoi ne l'as-tu pas fait, alors ?

– On apprend de ses erreurs, Maya ! fit-il en la fusillant du regard. Je vais d'abord en parler à Draco. Il est son père.

– Tu as raison, dit-elle en hochant la tête. C'est plus sage... Mais que feras-tu s'il refuse ?

Harry poussa un long soupir. Maya avait raison de le mettre devant cette éventualité, même si elle ne lui plaisait guère. Ce serait difficile et douloureux et cela lui laisserait le sentiment d'un immense gâchis, mais...

– …Je respecterai son choix, concéda-t-il enfin. Je n'ai aucun droit sur elle.

Il baissa la tête. Il en voudrait sans doute à Draco si cela devait se passer ainsi, mais il ne pourrait que suivre sa décision, quoiqu'il lui en coûte.

– Tu as gagné en sagesse, nadi...

.

Il s'immergea un instant dans l'eau pour se réchauffer et revint prendre sa place à côté de Mayahuel, accoudé au rebord, le menton posé sur ses mains, fermant les yeux sous l'intensité de la lumière qui inondait les jardins et les baies vitrées. Un soleil soutenu effaçait les dernières traces de l'humidité de la nuit et grimpait sereinement dans un ciel vierge du moindre nuage.

– Maya, pourquoi est-ce que cela m'arrive encore ?

Elle laissa passer un léger silence, entre hésitation et vérité.

– Tu as été brisé. Cela ne peut pas disparaître sans laisser de cicatrice. C'est encore trop vif...

– Mais ça fait si longtemps ! s'exclama-t-il. Est-ce que ça ne pourrait pas juste s'arrêter ?...

Derrière ses paupières closes, Harry ne percevait que des jaunes, des oranges et des rouges qui rayonnaient avec la même intensité que la douleur au fond de son esprit. Et la culpabilité revint l'écraser un peu plus...

– On en a déjà parlé, fit doucement Mayahuel. Tu n'as pas ce droit. N'étais-tu pas heureux hier soir, entouré d'eux tous ?...

– Ce n'est pas ma vie, Maya, soupira-t-il. C'est la leur. Je n'en suis que spectateur.

– Je crains que tu ne fasses à nouveau partie de leur vie, rit-elle.

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Harry ouvrit les yeux pour croiser son regard et y chercher des éclaircissements sur ce qu'elle venait de dire. La seule chose qu'il vit en soulevant ses paupières, ébloui de la lumière trop vive, fut son sourire à pleines dents et le clin d'œil qu'elle lui fit juste avant que sa silhouette ne se mette à onduler, puis qu'elle disparaisse dans les ombres. Une fraction de seconde après, il perçut une odeur épicée et sentit les bras de Severus se refermer sur lui.

Un tourbillon de sentiments chavira brusquement son ventre et sa poitrine. La vague inquiétude de ce que Severus avait pu entendre, le bonheur de sa présence et de ses bras autour de lui, et puis une colère amusée envers Mayahuel qui n'avait rien dit de l'approche de Severus et qui avait sans doute volontairement capté son attention ailleurs... et pensant cela, il lui sembla entendre l'écho de son rire, loin en lui. Harry ouvrit grand son esprit dans sa direction en souriant. « Traître ! » formula-t-il et son rire résonna encore avant de disparaître, tandis qu'il se laissait envahir par l'instant présent.

– Il m'a pourtant semblé que tu n'étais pas simplement spectateur, l'autre jour dans mon bureau..., murmura contre son oreille une voix où perçait un sourire envieux.

Son corps contre le sien le brûlait comme un brasier et ses bras le maintenaient immobile et à la merci de son désir. Sans se retourner, Harry renversa la tête en arrière, sur son épaule, pour chercher sa bouche et ses lèvres, son souffle, sa peau, son regard ardent. Il se pressa un peu plus contre lui, éperdu d'une envie comme un incendie qui courait dans ses veines et dans ses membres. Des fourmillements intenses électrisaient chaque centimètre carré de sa peau, embrasant ses terminaisons nerveuses. Les mains enfiévrées de Severus parcouraient son torse et son ventre presque violemment, et Harry les prit pour les guider vers son bas-ventre et son sexe dressé d'un désir dévorant.

– Pas ici. Pas maintenant, fit Severus en saisissant ses poignets et en les immobilisant.

Un long gémissement de frustration sorti de sa gorge malgré lui et son corps fut parcouru de spasmes incontrôlables à la recherche du plaisir. Il lui semblait qu'il aurait fallu que Severus le touche ne serait-ce qu'une fois, pour que son plaisir éclate et qu'il se répande dans l'eau. Le brasier qu'il ressentait était plus intense que jamais, il voulait Severus en lui et la frustration était telle qu'il avait l'impression de devenir fou.

Plusieurs minutes après, Severus n'avait toujours pas relâché sa poigne et Harry sentait ses mains fourmiller par manque de sang plus que du désir électrique qui l'avait envahi. Sa respiration était toujours saccadée et son corps tendu comme un arc, mais sa raison revenait peu à peu et il fit appel à sa magie pour apaiser les sensations qui le dévoraient encore. Il sentit Severus réagir aux volutes de sa magie et laisser échapper le même souffle rauque que lorsqu'il avait lui-même gémi. Il ne serait pas dit qu'il serait le seul à être frustré.

Il joua avec sa magie autour de Severus jusqu'à le faire haleter, et lorsqu'il cessa son petit manège, Harry dut lutter de toute sa volonté pour ne pas succomber au gémissement de frustration qu'il entendit tout contre son oreille.

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– Pourquoi ne t'ai-je pas senti arriver tout à l'heure ?

– Tu étais concentré sur autre chose... Et tu n'es pas le seul sorcier dans cette maison; j'ai aussi quelques petits tours dans mon sac !

Contre la peau fine de son cou, il sentit les lèvres de Severus s'étendre en un large sourire. Il était fier d'avoir réussi son effet de surprise et de lui avoir fait perdre le contrôle d'une autre manière que Minerva.

La tension et le désir entre eux s'étaient apaisés. Ils avaient gardé leurs mains sagement loin des points sensibles. Ils s'étaient embrassés, doucement, tranquillement, tendrement, en prenant garde à ne pas réveiller leurs envies, à ne pas se laisser embraser.

À présent, ils restaient l'un contre l'autre, Severus dans son dos, l'enveloppant d'un cocon de tendresse. Devant eux s'étalaient les jardins éperdus de lumière, verts jusqu'aux confins de l'horizon où la cime des arbres rejoignait le bleu ténu du ciel. De temps en temps, les lèvres de Severus venaient caresser sa peau, s'enfouir sous ses cheveux comme s'il voulait s'imprégner de son odeur. Ses bras autour de lui semblaient un rempart au monde, un écrin protecteur et sécurisant, dans lequel Harry se laissait bercer. Comment se pouvait-il qu'il soit si près du bonheur après avoir été si près de la terreur et de la folie tout à l'heure ?

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– Que venait faire Mayahuel ? demanda Severus en rompant le lointain silence.

Harry ne pouvait décemment pas évoquer sa peur panique et sa perte de contrôle qui avaient alerté Maya... Et mentir n'était pas honnête.

– Me voir. Et rencontrer Minerva peut-être...

Severus hocha la tête.

– Un jour, il me faudra lui parler.

– À Maya ? fit Harry surpris. Devant l'acquiescement de Severus, il ajouta en riant : Quand tu veux ! Elle en sera ravie !

À son tour, Severus eut un sursaut d'étonnement.

– Pourquoi donc ?

– Je crois qu'elle est très attirée par toi, magiquement parlant, sourit-il.

– Dois-je m'en méfier ? fit sa voix intriguée.

– Non. Elle reviendra de toute façon. Elle craint d'avoir effrayé Minerva...

La façon dont la fillette était restée sur ses gardes, puis avait saisi la première occasion pour disparaître, les avait ennuyés tous les deux. Ce n'était pas ce qu'ils souhaitaient, mais l'intelligence de Minerva lui avait recommandé la prudence face à ce qu'elle ne connaissait pas.

– Elle est venue vous demander si Maya avait bien l'autorisation de Lucius d'être là ? demanda Harry, encore amusé de sa réaction.

Severus laissa passer un silence plein de réflexion avant de répondre en souriant :

– Pas du tout. Elle a fait mine de sortir de la rotonde quand je suis arrivé par l'escalier, mais je pense qu'elle écoutait votre conversation depuis un moment...

Sa grimace ennuyée n'échappa pas à Severus, qui ricana doucement. Qu'avait-elle donc entendu ? Avec Maya, Harry avait évoqué sa perte de contrôle, mais aussi la possibilité de pouvoir l'aider à propos de sa magie... Ce qu'elle avait pu en comprendre l'inquiétait. Il ne voulait pas qu'elle en espère trop alors qu'il n'avait même pas encore parlé à Draco.

Et cette manie d'écouter aux portes ! Sournoisement. Que ce soit ici ou chez elle, en surprenant la conversation de ses parents au sujet de Lucius et Severus... Elle savait bien trop de choses pour son âge et ses préoccupations n'étaient pas celles d'une enfant.

Harry hésita un instant à en faire part à Severus, à lui dire qu'elle n'ignorait rien de ce qui les liait et à l'interroger sur cette étrange idée de faire chambre à part en présence de leur famille, mais il se mordit la lèvre pour se retenir. La façon dont les deux hommes régissaient leur relation et leur vie privée ne le regardait pas, et Severus risquait d'en prendre ombrage.

– Pourquoi n'es-tu pas venu ce matin ?

Sans s'attarder sur le comportement de Minerva, Severus osait ce qui lui tenait davantage à cœur et sa voix légèrement rauque en soulignait malgré lui l'importance. Se pouvait-il qu'il ne soit descendu que pour avoir cette réponse ?

– Je ne sais pas, avoua Harry. J'étais fatigué... et préoccupé.

– Par ta conversation hier soir avec Draco ? Quelque chose s'est mal passé ?

Severus ne pouvait qu'avoir remarqué son mutisme de la soirée, et sa consommation abusive d'alcool, même s'il n'avait pas été saoul à proprement parler. Si la raison profonde lui échappait, il avait en revanche fait le lien avec la discussion qu'ils avaient eue dans le salon de l'étage où Draco et lui avaient disparu un long moment.

– On a simplement parlé d'anciens amis communs. De gens que je n'ai pas encore revus. Des Weasley...

Les bras de Severus le serrèrent un peu plus contre lui et Harry sentit son souffle tout contre sa peau.

– Cela m'a étonné moi aussi que tu n'y sois pas encore allé...

– Je... Je n'ai pas d'explications, confia-t-il d'une voix étranglée.

Comment avouer qu'il n'y avait même pas pensé ? Qu'il n'avait jamais songé rester ? Puis qu'il n'avait pensé qu'à le revoir encore et encore ? Lui. Que le reste n'avait pas d'importance, hormis les retrouvailles avec Draco ? Qu'il avait sans doute occulté inconsciemment ce problème ? Qu'il s'était réfugié derrière le temporaire, derrière ses désirs, ses envies et qu'il avait effacé ce qui pouvait être douloureux ?

Qu'il devait à présent assumer cela aussi, et que la perspective d'affronter la colère et le chagrin de Molly Weasley envers lui et son absence était pire que d'aller affronter Voldemort. Qu'il ne voyait pas d'issue possible autre qu'une confrontation insupportable et déchirante.

Mais Severus ne semblait pas avoir besoin d'explications. Il devinait ses tourments et tentait de les apaiser par sa présence attentive et bienveillante. Sans conseils superflus et sans leçon de morale.

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– J'aimerais que nous reprenions nos leçons sur les runes..., murmura Harry.

Parler ainsi était étrange. Il l'avait longtemps vouvoyé. Parvenait à présent à le tutoyer dans les moments d'intimité. Mais ce « nous » avait le goût d'un bonbon dont la saveur sucrée persistait sur sa langue.

L'étonnement de Severus était perceptible, mais il hocha rapidement la tête.

– Avec plaisir. Mais pourquoi ?

– J'imagine que j'ai encore beaucoup à apprendre... Et j'aime ces moments passés ensemble.

– Je pensais que ce n'était qu'un prétexte, fit Severus après un long silence.

– Pour t'approcher ? dit-il avec un petit rire. Pas seulement. Le sujet m'intéresse. Et j'aime ta façon d'enseigner...

Un tressaillement sur son épaule lui montra que Severus était sensible à ses propos, même s'il s'en défendrait.

– Alors l'abominable professeur a tout de même quelques qualités ? ironisa-t-il avec un rictus mauvais.

Harry prit soudain conscience que sa remarque lors de la promenade l'avait piqué au vif et il s'en voulut après coup. Il n'avait pas souhaité être blessant et regretta amèrement ses paroles.

– Quelques unes..., répondit-il en souriant. Je comprends que Matthieu chante tes louanges. Quand tu le souhaites, tu es capable d'enseigner brillamment...

– Je peux enseigner sur beaucoup de sujets différents, fit brusquement Severus d'une voix mielleuse en le pressant contre le bord de la piscine. Et nous allons reprendre nos leçons avec assiduité dès que Draco sera parti !


Merci à ceux qui commentent et qui mettent en favori. N'hésitez pas à laisser un commentaire pour me dire ce que vous avez pensé de ces retrouvailles avec Draco...

A mon sens, cela ne pouvait pas être trop facile; Draco devait forcément lui en vouloir un peu. Ils ont eu une année d'amitié intense à Poudlard pendant leur huitième année, et Harry a disparu d'un coup, sans laisser de traces, ni d'explications. Ils s'apprécient encore et leur amitié va renaître, mais toute cette période que Draco a vécue sans Harry, la rencontre avec sa femme, les tensions avec son père, la naissance de ses enfants... a forcément laissé des traces. Avant de se refaire confiance, il auront besoin d'avoir des explications et des mises à plat...

Au plaisir de vous lire

La vieille aux chats