Résumé: Après un moment de froid initial, Harry et Draco se redécouvrent mutuellement, mais la prise de conscience du temps passé loin de ses proches est douloureuse. Le lendemain matin, Harry a une conversation pointue avec Minerva et sonde son esprit.
Tout le monde sembla beaucoup plus détendu lors du déjeuner, à commencer par Harry lui-même. Les filles étaient impatientes de faire la sortie à cheval tant attendue, et ne cessaient de demander l'heure tant elles avaient l'impression que le temps n'avançait pas. Malgré sa fatigue évidente, Lucius maintenait son engagement et s'amusait de voir leur excitation grandissante, sous l'œil attendri mais vaguement exaspéré de Daphnée.
Iris, sur les genoux de Severus, essayait désespérément de lui extorquer la promesse de les accompagner un jour à cheval, sous les regards moqueurs et les réflexions piquantes de Lucius et Draco. Il bougonnait tant et si bien que la fillette finit par abandonner sa vaine entreprise. Et lorsqu'elle s'attaqua à lui, Harry éclata de rire en suggérant qu'il les suivrait volontiers sur un balai plutôt que sur le dos d'un cheval.
– Je n'ai pas oublié ce que je t'ai dit hier ! rebondit Draco avec un large sourire. Tu me dois un duel !
– Un duel magique ? plaida-t-il piteusement. Avec baguettes et tout le tralala ?
– Hors de question ! Un duel d'attrapeur et tu n'y couperas pas.
Draco jubilait déjà de leur affrontement à venir et sa joie faisait plaisir à voir.
– Moi, je prends le duel magique, intervint Severus perfidement. Je suis curieux de voir ce que vous donnez aujourd'hui !
Harry se sentit vaguement rougir, d'autant plus que Severus le regardait avec des yeux presque incandescents, et il le savait capable de manœuvrer assez habilement pour l'obliger à honorer ce qu'il avait lui-même proposé à Draco. Il acquiesça simplement, il serait toujours temps de voir les conditions qu'imposerait Severus et de dicter les siennes.
.
Sitôt le repas terminé, Lucius et les filles s'éclipsèrent pour aller se changer tandis qu'ils sortaient prendre le thé sur la terrasse. La chaleur printanière était plus qu'agréable et Harry s'allongea à demi sur un transat pour savourer la caresse des rayons du soleil.
Les elfes amenèrent les chevaux déjà sellés et harnachés au pied de la terrasse inférieure pour éviter aux filles de marcher jusqu'aux écuries, et il eut un sourire amusé en regardant les deux petites cavalières habillées de pied en cap, plus que prêtes à monter en selle. Lucius également était vêtu d'un pantalon d'équitation blanc qui moulait ses cuisses presque trop fines et de hautes bottes de cavalier, le tout surmonté d'une veste cintrée qui lui allait à ravir. L'élégance naturelle de cet homme était étonnante et il la conservait vraisemblablement quelle que soit la tenue qu'il portait. Un rien de noblesse et d'aisance en n'importe quelles circonstances, et Harry se demanda avec un sourire ce qu'il en était lorsqu'il était nu. Lucius monta à cheval avec la même grâce qu'avait Daphnée, les filles aidées par les elfes de maison, et ils s'éloignèrent tous quatre tranquillement en direction des grilles qui marquaient l'entrée de la propriété.
Harry dut s'endormir car lorsqu'il rouvrit les yeux, Severus et Draco s'étaient éloignés sur les fauteuils de la terrasse inférieure et ils discutaient paisiblement au bord de la piscine. Aussi sombre que Draco était blond et lumineux, Severus paraissait pourtant très détendu en sa compagnie et Harry le vit à plusieurs reprises sourire et même rire de bon cœur. C'était assez inédit, tout autant que l'étaient sa patience et sa douceur lorsqu'il s'occupait d'Iris. Sous ses dehors encore austères et son regard froid, il dévoilait peu à peu des aspects insoupçonnés et fascinants qui déclenchaient dans le creux de son ventre des frissons de tendresse. Il se sentait s'attacher dangereusement... mais ne l'avait-il pas toujours été ?
.
.
Les cavaliers revinrent longtemps après; Harry, lui, n'avait toujours pas bougé, perdu dans ses réflexions et sa contemplation.
Lucius n'avait pas menti en disant qu'il s'était initié à l'équitation et il montait avec la même aisance que la cavalière émérite qu'était Daphnée. Bien qu'épuisées, les filles semblaient ravies et les elfes s'empressèrent de servir une copieuse collation et des boissons fraîches pour tout le monde sur la terrasse principale où les rejoignirent Severus et Draco. Autour de lui, Harry regardait d'un œil amusé la vie revenue, les babillages des enfants et les discussions des adultes.
Lucius s'absenta un moment pour aller se rafraîchir et se changer, et il vit Daphnée se pencher vers Draco et lui parler à voix basse d'un air soucieux. Les traits tirés du maître de maison n'échappaient à personne et l'inquiétaient lui aussi. Lucius semblait avoir perdu tout le bénéfice des potions de régénération qu'il lui avait concoctées. S'il ne maigrissait pas, sa fatigue était évidente et Harry devrait lui en toucher un mot pour savoir de quoi il s'agissait exactement. La question de cet héritage à régler lui rajoutait du travail et des responsabilités, et s'il le fallait, il trouverait une autre solution que de lui confier cette charge supplémentaire.
Pour l'heure, il lui fallait parler à Draco, sous peine que Minerva, dont il voyait bien les regards inquisiteurs et presque impatients, ne laisse échapper une réflexion et le mette ainsi au pied du mur. Et il ne doutait pas de sa capacité à le faire volontairement si besoin était.
Harry finit par capter le regard de Draco et d'un signe de tête, il lui fit part de son désir de s'isoler. Ils se levèrent de concert et rejoignirent la terrasse inférieure tandis que Lucius revenait et reprenait une conversation tranquille avec Daphnée.
oooooo
Harry ne savait par où commencer, et le silence entre eux s'éternisait, un silence que Draco respectait encore aujourd'hui. Ils avaient eu si souvent ces confidences essentielles, précédées de mutismes taciturnes dans lesquels trop de pensées se bousculaient.
Draco avait quitté sa veste et retroussé les manches de sa chemise, dévoilant sa peau si blanche et à son poignet une montre hors de prix dont la présence surprit Harry. Ils s'étaient assis côte à côte et leurs regards conjoints étaient fixés sur les autres, s'attardant tantôt sur la connivence entre le beau-père et la belle-fille, autour desquels tournait inlassablement Minerva toujours curieuse des adultes et de leurs propos, tantôt sur la patience dévouée de Severus qui faisait la lecture à Iris.
– Daphnée avait l'air soucieuse après leur promenade, hasarda enfin Harry. Quelque chose qui n'allait pas ?
Draco tourna la tête pour lui lancer un regard étrange, il devait trouver son biais pour entamer la conversation pour le moins surprenant.
– Elle est inquiète pour Lucius. Elle le trouve particulièrement fatigué, davantage que lorsque nous sommes venus il y a deux semaines. Il a même demandé à faire une pause pendant leur ballade... Ce n'est pas son genre. Avec n'importe qui d'autre qu'elle, il aurait maintenu les apparences jusqu'à tomber d'inanition sur sa selle plutôt que de montrer quelque faiblesse que ce soit.
Après un silence, il ajouta :
– Severus me dit que ce ne sont que deux ou trois mauvaises nuits à la suite, mais je ne suis pas convaincu.
Sa propre inquiétude transparaissait dans ses mots, bien qu'il n'en dise rien, et Harry eut un léger sourire ironique.
– Ne te méprends pas, reprit Draco. Nous avons beau avoir de nombreux différents, il n'en reste pas moins mon père, et le seul membre de ma famille encore vivant. Je ne tiens pas à le perdre.
Ses mâchoires crispées témoignaient de sa sincérité et l'inquiétude se lisait dans son regard.
– J'avais remarqué également sa fatigue, approuva Harry. Je vais m'en occuper.
– Severus dit que tu lui as déjà préparé bon nombre de potions, fit Draco après un coup d'œil à son encontre.
Il hocha la tête. Cela n'avait visiblement pas été suffisant. Est-ce qu'il avait bien jugulé le maléfice reçu sur son bras lors de la séance de duel avec Severus ? Est-ce qu'il n'était pas passé à côté de quelque chose d'autre ?
– On a eu si peur de le perdre quand il était à Sainte-Mangouste...
Draco était pensif, perdu dans ses souvenirs douloureux et son regard ne quittait pas son père.
– Personne ne comprenait ce qu'il avait. Aucun médicomage, même ceux qu'on a fait venir de Paris ou Rome, n'était capable de nous dire quoi que ce soit. Daphnée était paniquée. Severus était comme fou. Dévasté. Je ne sais pas s'il s'en serait remis si Lucius avait fini par mourir...
Quelque chose se serra dans sa poitrine, comme une douleur partagée à l'évocation de l'inquiétude que Severus avait pu ressentir. Draco ne disait pas sa propre peine mais elle était limpide.
– Tout ça est derrière vous, dit simplement Harry, tandis que ses pensées dérivaient malgré lui.
La façon dont Draco parlait de Severus ne laissait aucune ambiguïté sur la perception qu'il avait de leur couple et la question franchit ses lèvres avant qu'il n'ait eu le temps de la retenir.
– Pourquoi font-ils chambre à part en votre présence ?
Le regard que Draco lui jeta hésitait entre surprise et agacement, et il regretta instantanément ses paroles.
– Ils font toujours chambre à part, fit-il d'un ton lourd. Je n'ai jamais vu entre eux la moindre connivence, la moindre allusion ou plaisanterie, le moindre regard ou le moindre geste de tendresse qui pourrait faire croire qu'ils sont ensemble.
Il avait appuyé chacun de ses mots avec insistance et une voix un peu amère qui disait bien sa désapprobation.
– Jamais. Rien qui ne montre qu'ils sont plus que deux amis vivants sous le même toit. Au point que j'ai longtemps douté qu'il y ait réellement quelque chose entre eux...
Le visage de Harry exprimait toute sa surprise, mais le regard de Draco toujours fixé sur son père ne perçut pas son étonnement. Devant lui, les deux hommes ne s'étaient pourtant pas tant cachés; ni de fréquenter la même chambre, ni d'un geste de tendresse le soir dans la salle vidéo ou d'un bras autour de la taille, ni même de leurs disputes ou de leurs sentiments mutuels.
– Je peux t'assurer qu'ils sont bien amants depuis au moins notre dernière année à Poudlard ! fit-il en riant.
– Tu les as surpris ?
Draco esquissa un sourire devant son hochement de tête.
– Qu'est-ce qui t'a convaincu ? reprit Harry.
– Lorsque Daphnée m'a raconté comment Severus avait cloué Lucius sur sa chaise longue lors de leur première rencontre...
Ce fut au tour de Harry de sourire à l'évocation du piège tendu par Severus, la façon dont il avait provoqué le désir de son compagnon jusqu'à l'empêcher de pouvoir se lever décemment. Draco, lui, avait repris rapidement un visage plus sérieux.
– Ils ont toujours joué ce rôle, de tout temps et en toutes circonstances. Lucius a toujours refusé de faire de Severus son compagnon officiel. Il n'a ni place, ni titre, ni statut, il vit dans son ombre depuis plus de dix ans, alors même que la mort de ma mère lui avait laissé la place libre. Lucius a toujours prétexté qu'il ne pouvait pas, pour des raisons de position sociale, de notoriété, pour des raisons politiques... Tout le monde le sait, mais il a fait en sorte de museler la presse et les journalistes. Ce qui n'a pas été sans poser quelques problèmes : les rares repas officiels auxquels Severus a assisté il y a quelques années ont bien embarrassé les responsables du protocole. Il était impossible de l'asseoir à la même table que mon père et il se trouvait relégué avec des invités de second ordre...
Harry imaginait mal Severus accepter de jouer les figurants en silence et sans protester. Il comprenait mieux son refus des réceptions officielles ou des sorties dans le beau monde, si elles s'assortissaient de pareilles contraintes.
– Mais même depuis qu'il n'est plus Ministre, reprit Draco, Lucius n'a rien fait pour changer ça. La vérité, c'est qu'il n'est sans doute pas très à l'aise avec l'image publique que ça lui donne.
– C'est à dire ?
– Même si cela passe un peu mieux auprès des jeunes générations ou dans certains milieux, l'homosexualité reste très mal vue par la population sorcière en générale et l'aristocratie sang-pur en particulier. Katie a moins de soucis maintenant, parce qu'elle est de nouveau en couple avec un homme et que sa célébrité la protège un peu... mais lorsqu'elles étaient ensemble avec Luna, elles ont eu à faire face à des quantités impressionnantes d'insultes, de menaces et de pressions. Eux sont davantage protégés encore, par la carrière de Lucius et sa fortune, mais la défiance est la même. Il ne fera rien pour affirmer ce qu'il préfère passer sous silence...
Dire qu'un jour de colère, Harry avait rabaissé Severus en soulignant qu'il n'était pas maître en la demeure et qu'il ne portait pas le nom de son compagnon ! L'humiliation contenue dans ses paroles avait été bien plus grande qu'il ne le pensait alors.
– Severus aimerait être plus libre de vivre comme il l'entend... Mais il respecte ce que souhaite mon père. Malgré tout.
– Au point de jouer la comédie en votre présence et devant les filles..., fit Harry pensif.
Il n'avait pas prêté attention à la portée de ses paroles, mais le regard perçant de Draco le rappela bien vite à la raison.
– Ça a l'air de te surprendre...
– Disons que... devant moi, ils n'ont pas fait mystère de leur relation, répondit Harry avec franchise. Ni de partager la même chambre...
Draco reporta son regard sur Severus qui tenait dans ses bras une Iris fatiguée par sa promenade à cheval, et quasiment sur le point de s'endormir.
– Tant mieux, dit-il après un long silence. Ça me rassure que leur relation ne se résume pas à ce qu'ils en montrent. Il mérite mieux que de vivre dans l'ombre des ambitions de mon père...
Harry hocha la tête. Assurément, leur relation ne se limitait pas à cette froideur apparente. Il y avait derrière bien plus d'amour et de considération que Draco n'en voyait...
– J'ai entendu dire qu'il avait refusé le poste de Ministre, glissa-t-il avec un coup d'œil vers lui. Tu en sais quelque chose ?
– C'est vrai, répondit Harry. Et il l'a fait en grande partie pour Severus, je pense... Malgré moi, j'ai assisté à une de leurs disputes à propos de ça...
Le visage de Draco conserva son air impassible, mais il semblait reconsidérer les deux hommes d'un regard nouveau.
– Ton père aime Severus bien plus que tu ne le crois, même s'il préserve les apparences envers et contre tout, confia Harry avant d'ajouter en riant : Même si bientôt, tout le monde sera au courant !
– C'est à dire ?
– Minerva sait, Draco. Elle m'en a parlé ce matin, à la piscine...
– Comment... ?!
– Elle a surpris un jour une conversation entre Daphnée et toi où tu disais que Severus aurait bien aimé se marier avec ton père...
– Ce n'est pas tant un mariage que Severus voudrait, que simplement une reconnaissance officielle, fit Draco, pensif; puis il éclata de rire : Cette gamine a toujours eu la fichue manie d'écouter aux portes et de se mêler de ce qui ne la regarde pas !
Harry ne pouvait que confirmer mais il ne voulait pas révéler à Draco la nouvelle indiscrétion de sa fille sur sa conversation avec Maya. Il lui en parlerait directement plus tard, mais elle agissait après tout en digne fille et petite-fille de Serpentards !
– Il fallait bien qu'elle sache un jour ou l'autre, reprit Draco. Elle n'est pas bête et les enfants finissent toujours par sentir où se cachent les secrets...
.
Harry prit une grande inspiration et son courage à deux mains. Des mots qu'il allait dire pour convaincre son père dépendait maintenant l'avenir de la fillette...
– Draco, c'est de Minerva dont je voulais te parler...
– Eh bien ?
L'attitude de Draco était teintée d'impatience à présent qu'ils avaient atteint le cœur du sujet.
– Je..., hésita longuement Harry. Minerva... est une Cracmol, n'est-ce pas ?
– C'est exact, affirma Draco froidement. Même si je n'aime pas beaucoup ce terme péjoratif. Lucius t'a bien informé.
L'ironie de la situation le frappa une nouvelle fois. Draco, autrefois si prompt à traiter Hermione de Sang-de-Bourbe, était capable aujourd'hui d'avoir épousé une moldue et de défendre sa fille d'un terme qu'il considérait comme injurieux. Son ancienne amie devait en faire des cabrioles de joie dans sa tombe.
– Je ne l'aime pas beaucoup non plus, avoua Harry avant de finalement se lancer. Écoute, il se trouve que j'ai longtemps étudié la magie primitive chez les moldus. Les shamans, les sorciers qui s'ignorent eux-mêmes en tant que sorciers, et ceux que l'on appelle, nous, des Cracmols... En réalité, ils ne sont pas totalement dépourvus de magie. Elle est présente en eux, mais fonctionne mal. C'est comme si elle était fragmentée, instable, et lorsqu'ils essaient de lancer un sort, cela ne donne rien ou quasiment. C'est parfois même dangereux car ils ne contrôlent pas leur pouvoir et c'est pourquoi ils n'ont généralement pas le droit de posséder une baguette...
Il s'interrompit un instant pour observer le visage impassible de Draco. Il n'avait sans doute pas besoin de lui expliquer ce qu'était sa fille.
– Il se trouve que cet état est « réparable », osa-t-il enfin.
Et après un long silence de part et d'autre, Harry ajouta :
– Je peux aider ta fille. Minerva peut devenir une sorcière comme les autres...
.
.
Draco claqua brusquement des doigts et demanda une Bièraubeurre à l'elfe de maison qui apparut.
– Deux, fit-il après l'avoir interrogé du regard.
Longtemps après avoir entamé sa bière, il gardait encore le silence et Harry n'osait interrompre ses réflexions. Il ne doutait pas que Draco ait très bien entendu ce qu'il venait de dire et la proposition qu'elle contenait, mais il avait besoin de temps.
– Es-tu sûr de ce que tu avances ? commença Draco. Oui, j'imagine que si tu en parles, c'est que tu es sûr. Tu n'es pas du genre à avancer des choses sans certitudes. Et je ne doute pas que tu sois capable de choses qui dépassent mon entendement.
Harry acquiesça sans interrompre le silence revenu entre eux.
– Qu'est-ce que ça implique ? Des contreparties ? Des contraintes ? Des dangers ? Un pacte avec le diable ?
Sa voix oscillait entre la méfiance et l'ironie acerbe et Harry eut un sourire triste qui fit tomber les barrières défensives de Draco pour laisser place à un visage las.
– Rien de tout cela, assura-t-il. C'est juste une autre façon de soigner...
– Je ne sais pas, Harry, fit Draco en observant sa femme et sa fille aînée autour de Lucius. Notre vie s'est construite ainsi. Minerva est dépourvue de magie, tout comme sa mère, et cela ne manque pas. Tu sais, au quotidien, la magie ne fait pas partie de notre vie. Nous vivons à Londres, au milieu des moldus, comme des moldus. Nous n'avons pas d'elfe de maison, nous faisons nos courses nous-mêmes, nous préparons à manger, Daphnée ou moi, suivant nos emplois du temps... Les filles vont à l'école du quartier, au milieu d'enfants non-sorciers, je les emmène en voiture si le temps est mauvais, nous allons au cinéma, aux concerts, nous avons une télévision, une machine à laver, des téléphones portables, des montres... Dans la vie de tous les jours, je n'utilise la magie que pour transplaner pour aller au travail et c'est tout. Et quelques sortilèges ménagers lorsque Daphnée est absente, admit-il en riant. Ce que je veux dire, c'est que le fait qu'elle n'ait pas de magie ne la pénalise pas étant donnée la façon dont nous vivons. C'est un fait acquis.
Il laissa filer un long silence tandis que Harry prenait la mesure de ce que venait de confier Draco sur sa vie. Par amour sans doute pour Daphnée, il avait pris le contre-pied de ce qu'avait été son enfance et son adolescence : un monde où ne régnait que la puissance que conférait la magie et la pureté du sang, un monde de mépris, de suffisance et d'orgueil qu'il avait quitté pour une vie plus simple et plus vraie. Lui aussi vivait depuis longtemps dans un monde non-sorcier, bien que très différent et moins technologique que celui de Draco, mais la magie restait tout de même bien plus présente dans sa vie, au point qu'il ne savait pas s'il pourrait s'en passer à ce point.
– La seule chose que je regrette là-dedans, reprit Draco pensivement. C'est qu'elle ne puisse pas aller à Poudlard... J'en garde, malgré les événements, un souvenir ému. Qu'elle ne connaisse pas ce que ça fait de voler vraiment, par elle-même et pas sur un balai que j'aurais enchanté... Et qu'elle ne puisse pas se protéger et se défendre, ajouta-t-il. Sa vulnérabilité est une chose qui m'effraie. Comme celle de Daphnée...
Harry se contenta de hocher la tête. Il ne pouvait que comprendre le raisonnement et les sentiments de Draco, même si pour lui, le plus regrettable était cette perte de chance de la fillette, eu égard à son intelligence.
– J'en parlerai à Daphnée.
.
.
Harry finissait sa bière en silence, le regard rivé sur son amant, sur la terrasse supérieure. Iris avait fini par s'endormir contre lui, dans la même attitude abandonnée qu'elle avait eue sur les genoux de Draco la veille au soir. Severus avait croisé les mains dans son dos pour la maintenir et semblait lui aussi perdu dans ses pensées, savourant la présence confiante de la fillette. La douceur dont il faisait preuve avec elle ne cessait de l'étonner et de l'attendrir. Quel père aurait-il fait s'il n'avait pas aimé les hommes? Aussi dur et sarcastique que le professeur qu'il avait été, ou aussi paisible et indulgent que l'homme qu'il était devenu ?
– Qu'est-ce qui se joue entre vous trois ? demanda brusquement Draco.
– Comment ça ? fit Harry aussi troublé qu'un gamin pris en faute.
Draco le jaugea un instant du regard.
– Severus te dévore des yeux dès qu'il te voit, tout comme toi; vous passez votre temps à vous asticoter, et Lucius vous regarde faire d'un œil amusé !
Au vu de son attitude, Draco ne serait pas dupe d'un demi-mensonge ou d'une vérité partielle; il avait su ses sentiments autrefois, il ne lui serait pas difficile de faire le lien.
– Je ne sais pas, avoua Harry. Et je préfère ne pas y penser.
Il ne voulait pas savoir, pas y réfléchir, pas tenter de se projeter dans un avenir incertain dont les clés ne lui appartenaient pas. Il ne savait pas et il ne voulait pas savoir.
Draco n'insista pas. Son absence de dénégation était déjà une réponse positive à ses soupçons et il n'avait pas besoin de plus.
– Ne leur fais pas de mal, fit-il tout de même après un long silence. Ils ont déjà eu du mal à trouver un équilibre...
– Tu sais, je ne serais pas là s'ils ne le souhaitaient pas tous les deux...
– Tout ça ne me regarde pas, fit Draco en haussant les épaules. Je suis surpris, c'est tout. Tu disparais, tu réapparais douze ans plus tard, à Poudlard et puis ici, chez ton ennemi juré et son amant, tu dégueules de magie pire que Voldemort et tu ne dis rien de toi, de ce que tu as fait, de ce que tu as vécu... comme si tout était normal.
Ses paroles contenaient des reproches voilés et des vérités évidentes, et Harry se sentit brusquement mal à l'aise. Draco s'était ouvert à lui, sur sa vie, sur ses relations avec son père, sur sa fille, sans ambiguïté et sans faux-semblants, sans rien lui demander en retour et lui il restait désespérément muet. L'impression persistante de le trahir à nouveau par son silence ne le quittait pas.
– Je... Je ne sais pas. Il n'y a pas grand-chose à dire sur moi, Draco... Et puis qu'est-ce qu'elle a, ma magie ?
– Ne me dis pas que tu ne le sais pas. Tu transpires la magie par tous les pores de ta peau !
Son regard était dur et froid comme du métal, lourd comme une enclume qui s'abattait sur sa culpabilité. Harry s'adossa au fond de son fauteuil et ferma les yeux. Les reproches de Draco le contraignaient à des confidences dont il n'avait pas très envie, mais comme avec Severus, il fallait sans doute en passer par là.
– Je suis parti. Loin. Dans des endroits plus reculés et plus isolés que tu ne peux l'imaginer. Je me suis intéressé longtemps à la botanique. Puis à la magie primitive chez les peuples que je croisais parfois. Avant de quitter l'Europe, j'avais appris les bases de la médicomagie. Je suis devenu celui qui fait tout. Qui soigne, qui guérit, celui qui connaît les plantes et qui prépare les potions. J'étais un shaman ou un guérisseur... Les années ont passé sans que je ne m'en rende vraiment compte. Je vivais à droite et à gauche, sans me fixer vraiment. Au fond, toujours seul. Un jour, j'ai traversé l'océan vers les Amériques. J'y vis toujours... en temps ordinaire. Au fond de la forêt.
Draco ne disait rien. Il savait sans doute plus ou moins tout cela de la bouche de Severus ou de Lucius. Harry gardait les yeux fermés, ne voulant surtout pas croiser son regard.
– J'ai été seul, Draco. Plus seul que je ne l'ai jamais cru possible. D'une solitude qui rend fou. Tu sais pourquoi je suis parti... J'ai longtemps refusé de m'attacher à nouveau. Quand je l'ai fait, j'ai à nouveau tout perdu. J'ai perdu toute humanité, toute raison, toute magie. Je n'étais plus qu'un animal. Dangereux parce qu'acculé. Je n'ai survécu que par réflexe, par instinct. Avec pourtant pour seule envie de mourir à nouveau... Plus tard, la magie qui m'a été rendue était différente, plus puissante, brute, presque difficile à canaliser. Elle me dépasse, mais elle m'a rendu la raison, et une raison de vivre. Celle de donner à nouveau, de transmettre tout ce que j'avais appris.
– C'est pour ça que tu es revenu ? demanda enfin Draco.
– Oui. J'ai écrit des livres de potions avec les plantes que j'avais découvertes, j'ai résumé mes recherches et j'ai mis tout ça sur la scène publique. Pour m'en débarrasser, quasiment...
– Avec le succès que l'on sait ! fit Draco avec un sourire dans la voix pour la première fois depuis un bon moment.
– Ce n'était pas prévu. Je pensais ne m'adresser qu'à quelques passionnés et quelques médicomages... Tu sais bien que je n'ai jamais recherché la notoriété; encore moins aujourd'hui qu'hier. Je me suis longtemps contenté de regarder ça de loin, et puis j'ai répondu à des invitations pour des conférences. Ça n'était qu'un prétexte pour asseoir une certaine légitimité. On m'a consulté sur des cas médicaux un peu rares, ou irrésolus. Et ça m'a permis d'approcher enfin les Londubat.
Draco esquissa un mouvement de surprise et Harry sentit son regard le dévisager longuement.
– Toutes mes dernières recherches portaient sur les potions pour retrouver la mémoire. Ça fait des années que je poursuis plus ou moins ce but. Les parents de Neville étaient devenus une idée fixe, comme une noirceur qui restait sur ce paysage d'après-guerre, quelque chose qui n'avait pas encore été réparé. J'ai testé les potions sur eux, avec l'accord de leur fils. Le reste n'était qu'affaire de magie pure et de guérir les blessures dues aux sortilèges...
Harry ouvrit enfin les yeux, ébloui par la lumière, avec l'impression que le plus dur était passé. Il fallait faire un premier pas et le reste viendrait en temps voulu, peu à peu, émietté. Draco le dévisageait toujours, plus doux à présent qu'il avait forcé une porte pour s'approcher un peu plus de lui.
– Comme tout le monde sorcier, j'ai entendu parler de toi sous ton nom d'emprunt de loin en loin, expliqua Draco. Comme une sommité des potions, un expert international. Matthieu s'est intéressé à toi, puis Severus... Quand j'ai appris que c'était toi, réellement, je ne sais même pas si j'ai été surpris. Luna m'a toujours dit que tu reviendrais un jour. Ce personnage un peu solitaire, sorti de nulle part tout en étant le meilleur dans son domaine, te correspondait assez bien. Je savais que tu avais fait les potions pour les Londubat; j'ignorais en revanche que tu avais fait plus que cela...
Il tourna le regard vers son père au loin et ajouta :
– Tu es pour quelque chose dans sa guérison, n'est-ce pas ?
Harry sursauta de surprise. Se pouvait-il que Severus et Lucius aient tenu Draco dans l'ignorance ? C'était envisageable, surtout s'ils n'avaient pas voulu s'étendre sur les raisons qui avaient conduit à l'état de Lucius, et il ne lui appartenait pas de dévoiler quoi que ce soit.
– C'est possible, admit-il en haussant les épaules.
Draco dut deviner qu'il n'en tirerait pas plus car il revint aussitôt sur une interrogation précédente.
– Me diras-tu un jour ce qui s'est passé là-bas et qui t'a tant meurtri ?
Il n'exigeait rien dans l'immédiat, et Harry lui en fut plus que reconnaissant. Il savait, comme autrefois, se contenter d'attendre et d'être là, présent quand il le fallait, incitant aux aveux sans être trop intrusif. Cela n'avait pas changé. Leur amitié restait sur les mêmes bases, la confiance et la disponibilité.
– Oui. Si tu me fais une promesse.
Draco hocha la tête avec un regard interrogateur.
– Si un jour, tu vois une lueur de folie au fond de mes yeux... tu me mets hors d'état de nuire, immédiatement. Quel que soit le moyen.
.
Draco avait frémi mais n'avait rien dit. Y avait-il quelque chose à dire à cela ?
La lassitude les avait gagnés tous les deux, ils ne parlaient plus, se contentaient d'observer la blancheur du Manoir sous le soleil qui baissait sur l'horizon, le clapotis discret de la piscine à côté d'eux et les feuilles des arbres qui se découpaient d'une manière si tranchante sur le bleu du ciel.
Là-bas, Severus tenait toujours Iris endormie contre lui, lisant tranquillement un livre qu'il avait dû faire venir de sa bibliothèque. Peut-être le sujet de leur prochaine leçon ? Harry sourit à cette idée... La proximité de Severus lui manquait, pas grand chose, juste cette sensation d'être près de lui, près de sa chaleur, de sentir son odeur et de partager des moments communs.
Le regard de Draco, lui, était perdu vers sa femme, cette étrange beauté au charme fascinant, aussi brune qu'il était blond, aussi ténue qu'il était grand, aussi dépourvue de magie qu'il baignait dedans depuis l'enfance, et pourtant Harry ne pouvait que reconnaître à quel point ils allaient bien ensemble.
– Vous faites un très beau couple. Et une famille magnifique.
Draco eut un vague sourire, presque triste, gardant son regard rivé sur elle.
– Que l'on essaye d'agrandir... On aimerait avoir un garçon, mais c'est compliqué.
– Lucius m'a expliqué que les grossesses entre sorciers et moldus sont parfois difficiles...
– C'est le cas, fit Draco en hochant la tête. Ça l'a été à chaque fois... Elle a déjà fait deux fausses couches ces derniers mois. Si une nouvelle grossesse se termine de la même manière, je pense que l'on abandonnera. Je ne veux pas lui imposer ça.
Son regard était soucieux, concerné, plein d'une inquiétude emplie d'amour et de tendresse.
– C'est une belle personne, tu sais. Plus sincère et plus honnête que je ne le serai jamais. Elle est au-delà de l'humanité. Elle a réussi à mettre Lucius dans sa poche, sans baguette et sans magie, juste avec des mots. C'est une mère merveilleuse. Aimante et attentionnée. Et je ne pourrais pas rêver meilleure compagne...
Il se tut un instant et Harry pouvait sentir l'émotion et presque les regrets qui l'étreignaient.
– Quand je vois ce que je fais, ce que j'ai fait et quand je vois ce qu'elle est... Parfois j'ai honte. Je ne la mérite pas.
Sa voix s'était brisée sur les derniers mots et Harry posa une main tendre sur son bras.
– Tu n'as rien à expier, Draco. Au fond de toi, tu as toujours eu beaucoup d'humilité, mais ne te mésestime pas.
– Certaines choses me rappellent pourtant tout ce que j'ai à expier, fit-il en baissant les yeux sur son avant-bras.
Harry décala légèrement sa main et vit sur la peau pâle la marque plus blanche encore qui ne voulait pourtant pas disparaître.
– Je dois pouvoir y faire quelque chose si tu le souhaites. Peut-être l'enlever...
Draco fronça les sourcils en frémissant, mais sans retirer son bras.
– Comment ?
– Laisse-moi mes petits secrets et laisse-moi regarder, fit-il avec un sourire.
Harry passa à nouveau sa main sur la Marque, en y instillant sa magie cette fois.
– Le veux-tu ?
Draco hésita un instant puis hocha la tête.
Il avait pensé devoir renouveler toute la peau, sans doute assez profondément, ou devoir extraire les pigments de couleur un à un... Mais la Marque était avant tout une blessure, la cicatrice d'un puissant sortilège, et sa magie était faite pour soigner et pour guérir.
.
Draco massait depuis un long moment son avant-bras, encore surpris de la disparition de cette trace qui faisait partie de lui depuis tant d'années, tandis que Harry observait la petite silhouette qui s'était glissée aux côtés de Lucius, Minerva et Daphnée.
Mayahuel dut sentir son regard sur elle, ou bien qu'il venait d'utiliser sa magie sur Draco, car elle leva la tête vers lui et lui sourit de toutes ses dents. Il la salua d'un signe de tête, amusé de son manège auprès de ses hôtes.
– Tu la connais ? demanda Draco qui avait suivi son regard. C'est la créature dont Minerva m'a parlé ?
– Je suppose, acquiesça-t-il avec un sourire, bien que je ne sache pas ce qu'elle t'en a dit... Et c'est un être magique, pas une créature.
– Désolé, fit rapidement Draco gêné. Qui est-elle pour toi ?
Harry pouffa un instant. Maya était un univers à elle toute seule, aussi difficile à cerner que le vent ou la lumière.
– Elle est mon ombre. Et ma force... Peut-être peut-elle vous aider, d'ailleurs ! Les potions de grossesse ne sont pas ma spécialité, mais la fécondité, c'est un peu son domaine de prédilection.
La silhouette de Mayahuel au loin se mit à onduler avant de disparaître pour se rematérialiser juste devant eux.
– J'ai entendu qu'on parlait de moi, fit-elle avec un large sourire carnassier. Alors ? Qu'a-t-il dit pour Minerva ?
– Draco n'a pas encore donné de réponse, Maya. Il doit d'abord en parler avec Daphnée...
La petite créature sembla un instant désappointée tandis que Draco hésitait entre étonnement et désapprobation.
– Et j'ai entendu le mot fécondité... Tu veux faire un enfant avec ton compagnon, nadi ?
Harry sentit une certaine chaleur lui monter aux joues, tout en maugréant contre Maya qui ricanait de son effet. Elle l'avait fait exprès, de toute évidence, et le regard circonspect de Draco achevait de le mettre mal à l'aise.
– Maya ! gronda-t-il. Pas moi ! Draco et Daphnée essayent de faire un enfant... Crois-tu que tu pourrais faire quelque chose ?
– Bien sûr ! fit-elle en se tournant vers son ami. S'il le souhaite et elle aussi, je peux favoriser la grossesse...
.
.
Ils avaient dîné dehors, sur la terrasse, à la lumière des lumignons installés par les elfes et des derniers rayons du soleil. Un sortilège tout autour de la table les avait maintenus dans une douce chaleur et la soirée s'était poursuivie sous les étoiles scintillantes au cœur de la nuit.
Daphnée lui avait fait l'effet d'une fraîcheur bienvenue au milieu de ces trois hommes plus tourmentés qui faisaient à nouveau partie de sa vie. Elle était gaie, pleine de douceur et de joie de vivre, insouciante en apparence et pourtant si dense, si profonde. La connexion qu'il ressentait entre elle et Draco était impressionnante; pour un peu, il les envierait...
La fatigue de Lucius, avant même celle des filles, avait sonné la fin de cette douce soirée et chacun avait regagné sa chambre, des pensées pleins la tête.
.
ooOOoo
.
Dans la rotonde baignée par la nuit où scintillait à peine la surface de l'eau, Harry restait immobile à observer l'implacable régularité de Severus. Ses bras qui fendaient alternativement l'eau puis l'air, et à nouveau l'eau, précis comme un métronome, projetaient si peu d'éclaboussures qu'il nageait sans presque troubler le silence de l'obscurité. À chaque fois qu'il parvenait à l'extrémité de la piscine, quelques fractions de seconde avant de toucher le mur, il effectuait une rotation sur lui-même et, prenant appui des pieds sur le carrelage, repartait en sens inverse d'une puissante détente des jambes, parcourant la moitié de la piscine en ondulant sous l'eau avant de reprendre le mouvement inexorable de ses bras. Longueur après longueur, sans jamais s'arrêter, il paraissait même ne pas respirer tant son corps était tout entier consacré à une nage rigoureuse et fascinante.
Harry était comme hypnotisé, se demandant tout de même à quel moment Severus allait enfin cesser cette mise à l'épreuve physique pour s'apercevoir de sa présence. Mais au vu de sa concentration et de la pénombre ambiante, ce n'était pas prêt d'arriver.
Il finit par quitter son pantalon, et se glisser nu dans l'eau, au pied du mur où Severus allait venir faire son demi-tour.
– J'ai cru que tu ne t'arrêterais jamais ! sourit-il lorsque Severus se redressa brusquement devant lui, ébrouant ses cheveux d'un air surpris.
– Il me reste encore deux kilomètres à faire !
– Et garder un peu d'énergie pour t'occuper de moi ? fit-il d'une voix onctueuse.
Le regard de Severus le dévorait déjà tandis que son corps le pressait contre le bord de la piscine.
– J'ai toujours de l'énergie à te consacrer, assura-t-il avec délectation tandis que ses mains s'égaraient sur sa peau.
– Des promesses, toujours des promesses...
.
Sa petite provocation eut plus que l'effet escompté et Severus fut pris d'une envie subite de lui démontrer la véracité de ses propos et de lui faire ravaler ses outrages. Tant et si bien qu'au bout de quelques minutes, Harry les fit transplaner dans sa chambre, se débarrassant au passage du maillot de bain trop encombrant de son amant.
Ils se retrouvèrent sur le lit aux draps de satin rapidement froissés par leurs mouvements envahis d'un désir dévorant. L'un contre l'autre, l'un sur l'autre, ils étaient pris d'une frénésie qui faisait davantage ressembler le frottement de leurs corps encore humides à un combat de lutte pour savoir qui aurait le dessus. Des mains qui caressaient presque violemment, sa bouche avide de baisers et de chair, son souffle rauque sur sa peau hérissée, empoigner son corps, le renverser sur le lit pour le chevaucher avec passion, son regard flamboyant de désir, leurs sexes dressés comprimés entre leurs ventres et dont le contact les faisait vibrer, l'envie rendue insoutenable par l'attente, le retourner encore pour prendre possession de son corps tout entier, la soif inextinguible de sa peau, la faim puissante de le toucher, de le tenir, le désir insatiable de le faire sien...
Un instant, Harry se figea en prenant conscience de leur position : Severus à plat ventre sous lui dont il maintenait un poignet immobilisé au-dessus de sa tête, son autre main glissée sous son ventre tenant fermement son sexe tendu et vibrant, et surtout sa propre érection nichée dans le sillon entre ses fesses et qui pressait l'entrée tant convoitée de son corps.
Severus s'était brusquement relâché, abandonné à son désir, tandis que Harry hésitait encore. Ils n'avaient pas parlé de ça et cela ne s'était pas encore produit; il n'était pas sûr de l'accord de son amant, jusqu'à ce qu'un mouvement de son bassin ne le soulève à la rencontre de son sexe, forçant légèrement l'ouverture de son anus. Le gémissement rauque de frustration de Severus acheva de le convaincre, et en marmonnant un vague sort de lubrification, Harry s'enfonça lentement dans l'intimité chaude et humide qui l'appelait de tous ses vœux.
La sensation était inédite et envoûtante, l'impression de se glisser dans un fourreau soyeux qui l'enveloppait et le compressait de toutes parts, décuplant le plaisir qui s'infiltrait dans la peau si fine de son sexe et qui remontait en de grandes décharges électriques le long de ses nerfs jusqu'en haut de son dos. Un immense frisson le parcourut et il haleta d'un désir renouvelé, tout entier concentré sur les sensations que faisaient naître en lui l'étroitesse et les mouvements impatients de Severus.
Tout en entamant un va-et-vient lent et langoureux, Harry s'émerveillait de l'abandon de son amant. Severus se laissait aller en toute confiance. Il était dans le don de soi et Harry accueillait ce don avec beaucoup de respect.
.
La jouissance les avait laissés pantelants et essoufflés, humides d'une fine pellicule de transpiration qui séchait lentement sur leurs corps encore joints. Harry n'avait pas bougé, allongé sur le dos de son amant, pesant de tout son poids. Il était encore en lui et sentait la chair palpitante de Severus autour de son sexe, une douce et vibrante tiédeur qui l'enveloppait comme un fourreau. Épuisé et le cœur battant la chamade, il reprenait peu à peu son souffle, encore perdu dans un état de béatitude. Il ne pouvait détacher son regard du visage de Severus qui affichait un large sourire de contentement, les yeux clos, totalement relâché et détendu, plus serein qu'il ne l'avait jamais vu.
Harry posa sa joue sur l'épaule de Severus et ferma les yeux, savourant encore cet instant de bonheur et la sensation de ce corps alangui sous lui, autour de lui, si confiant et offert qu'il en avait été bouleversé.
Le frisson de Severus le ramena à la réalité et il tira le drap sur leurs deux corps réunis, déployant également sa magie pour les envelopper d'une douce tiédeur. Le soupir de plaisir de Severus le fit frissonner à son tour, mais pour d'autres raisons; il semblait toujours si réceptif à sa magie que c'en était délectable et fascinant. Harry hésita un instant à s'en servir pour éveiller à nouveau son désir mais il préférait savourer leur union charnelle qui se prolongeait.
Perdu dans ses pensées, il ne s'était pas rendu compte des yeux sombres qui s'étaient ouverts et cherchaient son propre regard, des yeux pétillants de malice et de lubricité, aussi espiègles que le sourire qui courait toujours sur les lèvres de Severus.
– Je dois avouer que c'est assez plaisant de ce côté-là aussi, osa Harry avec un soupçon de convoitise.
– Je confirme, répondit simplement Severus sans se départir de son sourire.
Il y avait dans sa voix quelque chose de suave et de voluptueux qui lui faisait penser au ronronnement d'un chat, satisfait et exigeant.
– Mais ne crois pas que tu auras toujours ce rôle, prévint-il plus abruptement. Je ne veux pas d'un deuxième Lucius !
– C'est-à-dire ? fit Harry amusé.
– Tu commences à le connaître. Il n'est pas du genre à vouloir être à ma place !
Une discrète grimace de frustration accompagnait les mots de Severus tandis que, pour bien signifier de quoi il parlait, il bougeait légèrement ses fesses dans lesquelles Harry était toujours enfoui. Son mouvement sensuel avait fait naître autour de son sexe et jusque dans son ventre des sensations délicieuses et il retint brusquement son souffle.
– Jamais ? interrogea-t-il néanmoins.
– Jamais.
Des images fugaces traversèrent son esprit, ainsi que le souvenir de ce qu'ils venaient de faire et Harry sentit son sexe se gorger de sang à nouveau, dilater cet écrin qu'il n'avait pas quitté et écarter les parois si serrées autour de lui. Severus tourna brusquement la tête d'un air surpris avant de le regarder d'une manière qui éveilla dans son corps des frissons de désir.
– Mais tu n'en as pas eu assez ?! s'exclama-t-il avec un air concupiscent à damner un saint.
– Jamais, souffla Harry en reprenant un mouvement de va-et-vient plus ample et plus impérieux, tandis que Severus marmonnait des paroles inintelligibles contre la fougue insatiable de la jeunesse, tout en cambrant les reins à la rencontre de son sexe.
Autant il avait pris son temps la première fois, attentif aux réactions et au désir de Severus, autant cette fois-ci, il s'abandonna tout entier à ses propres désirs si longtemps oubliés, possédant ce corps avec une véhémence et une ardeur qui le conduisirent rapidement aux portes de l'extase avec un grondement sourd et rauque dont l'animalité le surprit lui-même.
Il s'effondra à nouveau sur Severus, ruisselant de sueur, et les battements échevelés de son cœur résonnaient si fort dans sa poitrine qu'il lui semblait les entendre à travers la chambre.
.
Severus lui laissa quelques instants pour retrouver son souffle et ses esprits, puis remua légèrement pour le faire descendre de son dos.
– Allez, ouste !
Harry prit appui sur ses mains pour se soulever et se retirer avec le plus de délicatesse possible, contemplant d'un regard impudique et lubrique les traînées de sa propre semence qui s'échappèrent de l'antre de Severus en même temps que son sexe. Il lui venait des idées salaces qu'il réfréna en voyant sa grimace d'inconfort.
– Déjà fatigué ? ironisa-t-il.
– Je ne tiens pas à ce que tu remettes ça une troisième fois, fit Severus avec un sourire tandis que Harry se laissait tomber à ses côtés, allongé sur le flanc, la tête appuyée sur son bras replié. J'aimerais pouvoir rester assis à la table du petit-déjeuner...
Harry éclata de rire sous le regard mordant de ces yeux sombres, tout en jetant un sort de nettoyage sur eux et sur les draps où Severus s'était répandu.
– Et deux fois, c'est deux fois un sort de lubrification !
Harry ne put s'empêcher, cette fois, de rosir légèrement.
– Désolé, marmonna-t-il. Mais tu ne vas pas me faire croire que tu n'as pas l'habitude !
– Il se trouve que Lucius et toi n'êtes pas tout à fait du même gabarit...
– Ah oui ? C'est-à-dire ?
– Dois-je me livrer à un état des lieux comparatif pour satisfaire la curiosité de Monsieur ? fit Severus avec un sourire amusé en se tournant sur le côté pour lui faire face.
Harry hésitait encore sur sa réplique que Severus répondait déjà à sa propre question avec un regard provoquant.
– Lucius est plus long que toi mais plus fin, aussi bien au niveau physique que du sexe. Tu es plus court mais plus épais, surtout à la base. Et plus jeune... J'ai juste l'impression qu'une armée de trolls vient de me passer dessus. Ou dedans !
Harry éclata de rire à nouveau devant l'irrévérence et l'impudeur de Severus, si éloignées de ce qu'il avait connu de lui autrefois. Il se sentait lui-même dans un état presque ébrieux, ivre de sensations et de plaisir.
– Je dois avouer qu'on s'y sent bien, à l'intérieur..., fit-il malicieusement. J'y retournerais avec plaisir !
– Pas aujourd'hui ! Je tiens à ma dignité en société !
Ses yeux sombres brillaient d'ironie et Harry n'aurait pas été surpris d'entendre soudain son rire si rare.
– Ça t'aurait fait penser à moi ! se moqua-t-il.
– Je n'ai pas besoin de ça pour penser à toi. Tu hantes mon esprit jour et nuit, tout autant que Lucius...
.
Harry reposa la tête sur son bras replié, surpris et songeur. Il avait croisé les yeux noirs et brûlants de Severus en se penchant pour l'embrasser, puis son amant s'était installé sur le dos, gardant son regard rivé sur le ciel du lit à baldaquin. Il n'avait pas répondu; qu'y avait-il à répondre à cela ? Il doutait même que Severus eut attendu une quelconque réponse mais ses mots n'arrêtaient pas de tourner dans son esprit comme une musique lancinante et entêtante.
Il ne cessait de le surprendre. À chaque fois, il lui semblait découvrir une nouvelle facette d'un même joyau, irradiant une lumière légèrement différente suivant l'angle selon lequel Harry le regardait. Aussi sombre, froid et distant qu'il avait pu l'être lors de leurs premières retrouvailles, il était aujourd'hui tour à tour tendre, plein de désir, d'humour ou même sentimental, parfois frustré dans ses attentes, parfois jaloux, mais jamais, jamais, indifférent.
Le jour s'était doucement levé et les premiers rayons du soleil lui chauffaient agréablement le dos. Suivant des yeux la ligne de profil de Severus, les courbes de ce corps qu'il découvrait quasiment pour la première fois en pleine lumière, Harry ne savait quoi penser de ces moments d'intimité qu'ils venaient de partager. La fois dernière, dans le bureau, le sexe avait été plein d'enjeux muets, presque solennel; Severus venait y chercher un pardon, lui venait y chercher une réponse, un aveu, l'importance qu'il pouvait avoir pour ces yeux si sombres, et la tendresse dont il avait besoin. Aujourd'hui, le sexe avait été libre de toute contrainte, joyeux, festif, un moment où s'étaient confrontés leurs désirs, leurs envies et une certaine insouciance.
Et puis ces mots si intenses, une confession échappée au détour du plaisir, entre un rire et un baiser.
.
.
Harry se rapprocha de Severus et vint se lover contre lui, égarant sa main sur la peau pas encore assez familière à son goût. Du bout des doigts, il suivait des courbes et des sillons, réels ou imaginaires, rencontrant ici ou là une des nombreuses cicatrices qui parsemaient le corps de son amant, aussi marqué que le sien. La guerre avait laissé des traces sur Severus, et dans chaque cicatrice qu'il effleurait de sa magie, il lisait le maléfice qui avait causé la blessure et la douleur qui l'avait accompagnée. Il ne voulait pas trop s'y attarder cependant, redoutant les questions sur les marques de son propre corps.
En parcourant la peau de son amant, il s'étonna soudain de sa douceur, qu'il n'avait pas réalisée jusqu'à présent. Redressant la tête, Harry admira sans pudeur l'entrejambe de Severus, s'attirant un rire moqueur.
– Eh bien ? Tu regardes si je suis encore assez en forme ? Deux fois ne t'ont pas suffi ?
Le sexe imposant de Severus reposait mollement sur son bas-ventre, étrangement beau dans son fourreau lisse et doux, tout aussi alangui qu'eux après la jouissance, et laissant à peine entrevoir l'extrémité du gland et le méat qui semblaient si attirants. Et contrairement à lui, comme il venait juste de s'en rendre compte, hormis les bras et les jambes, Severus était totalement glabre, jusque dans des endroits pour le moins intimes où Harry aurait bien de nouveau laissé traîner sa main ou sa langue...
– J'ai peur de t'épuiser pour la journée si on remet ça ! ricana-t-il.
Il sentit une légère claque à l'arrière de son crâne, assortie d'un grognement contrarié qui ressemblait à une menace – ou une promesse.
– Effronté ! lâcha Severus.
Harry éclata de rire et se redressa pour affronter les yeux sombres et incendiaires qu'il avait décidé de faire taire en embrassant leur propriétaire.
Étrangement, il se sentait en paix et plus libre qu'il ne l'avait été depuis longtemps. Serein et confiant. Ses tourments et ses peurs si loin de lui qu'ils semblaient presque appartenir au passé ou à une autre vie. Même parler de Lucius pendant un moment d'intimité avec Severus ne l'avait pas dérangé. Au contraire, cela désamorçait le caractère sacré ou honteux de ce qu'ils venaient de faire. Même absent, Lucius était avec eux, sans être relégué à l'arrière-plan. Il restait partie prenante de ce qui se jouait entre eux, de leurs vies, de leurs relations, et parler d'eux ou de lui n'était ni tabou, ni indigne.
.
– Est-ce que je peux te poser une question ? hasarda-t-il.
– Si je peux t'en poser une à mon tour, répondit Severus avec un sourire machiavélique.
– Marchandage ?
– Échange de bons procédés...
Harry hésita un instant. Il redoutait ce que Severus pouvait lui demander, il n'était sans doute pas encore prêt à aborder certains sujets avec lui – si tant est qu'il le soit un jour –, et le regard de son amant contenait cette ruse toute serpentarde dont il userait sans remord pour lui extorquer des informations. Mais il y avait aussi dans ces yeux une certaine douceur et Harry se décida à suivre son instinct et à faire confiance à Severus. Après tout, il ne demandait rien d'extraordinaire... il voulait juste comprendre.
– Pourquoi faites-vous chambre à part ? Quand Draco et les filles sont là... ?
Severus haussa un sourcil surpris. Il ne s'attendait visiblement pas à une question de ce genre, puis reprit un visage las et résigné.
– Une brillante idée de Lucius, soupira-t-il. Tu sais à quel point il est capable de tout pour maintenir des apparences « respectables »...
Il se souvenait oui, de la façon courtoise mais distante dont l'aristocrate avait traité Severus lors de leur escapade parisienne, jetant sur eux un sortilège de désillusion au seul moment où il avait été proche de son compagnon et l'avait embrassé à bouche perdue. Et au vu des explications de Draco, ce n'était qu'une fois parmi tant d'autres.
– Même chez vous ? Draco et Daphnée ne sont pas nés de la dernière pluie !
Severus haussa les épaules.
– Ça changera peut-être le jour où les filles auront compris, si elles comprennent un jour, mais je ne me fais guère d'illusions.
– Minerva sait. Elle m'en a parlé hier matin...
Severus tourna un regard surpris vers lui et ajouta :
– Et Iris le pressent. Je le sais.
L'affirmation de Severus ne l'étonna même pas. Hormis sans doute ses propres parents, il semblait être celui qui la connaissait le mieux et dont elle était la plus proche.
– Mais je ne suis pas sûr que cela change quoi que ce soit un jour...
Harry hocha la tête. L'air sombre et résigné de Severus lui blessait étrangement le cœur; il se révoltait à l'idée d'éprouver pour lui de la pitié ou quoi que ce soit du même genre, mais comme l'avait dit Draco, Severus méritait mieux que ça...
– Et pourquoi devant moi, vous ne vous cachez pas ?
– C'est plus compliqué, fit Severus avec un léger sourire. Je suppose que dans l'esprit de Lucius, c'est à la fois une façon de se montrer honnête, une affirmation de ce que l'on est... une provocation aussi sans doute. Pour pousser ta jalousie ou ton envie... Vis à vis de toi, il a besoin de prouver des choses et de te faire réagir. Comme l'autre soir où il a oublié de jeter un sort de silence sur la chambre.
– Il l'a fait sciemment ? gloussa Harry.
– Plus ou moins. On n'en avait pas jeté non plus sur la porte de mon bureau quelques heures avant...
Il ne put s'empêcher de rire devant les yeux pétillants de Severus et son sourire espiègle. Il les avait entendus effectivement, sans savoir dire qui était le plus bruyant des deux, et surtout sans vouloir s'avouer à quel point cela l'avait enflammé et combien il aurait rêvé d'être une petite souris pour aller se glisser dans un coin de la chambre assister aux ébats des deux hommes.
Pour autant, à présent ils n'étaient plus seuls tous les trois, et la décence l'avait heureusement poussé à insonoriser sa propre chambre en transplanant avec Severus depuis la piscine.
.
– Et qu'est-ce que tu voulais donc me demander ? interrogea-t-il malicieusement, mais avec une légère pointe d'appréhension.
Harry espérait que Severus reste sur un terrain « facile », pas trop personnel et intrusif, et celui-ci, passé un instant de surprise, semblait à présent hésiter. L'éventail de ses interrogations était vaste et après un bref regard, il se décida.
– Quand tu t'es occupé de Lucius à Sainte-Mangouste, qu'est-ce que tu as fait exactement ? Tu as pénétré son esprit, mais il m'a dit qu'il avait certains de tes souvenirs et que tu avais les siens...
L'étonnement le disputait au soulagement. Entre toutes, Severus avait finalement opté pour une question qui n'était pas du tout personnelle, qui concernait même davantage son compagnon que lui, et Harry lui en fut infiniment reconnaissant.
– J'ai pratiqué... une forme de légilimencie, pour comprendre ce qui l'empêchait de revenir alors qu'il allait bien physiquement. C'est une autre fois où je lui ai montré certains de mes souvenirs...
– De la légilimencie ? Sur quelqu'un d'inconscient ?! s'étonna Severus.
– La magie peut beaucoup de choses, sourit-il. J'ai pénétré son esprit à la recherche d'une souffrance, d'un dilemme, d'un écueil. Quelque chose de suffisamment sombre pour l'entraîner vers le fond. Il s'est défendu malgré tout, ajouta Harry avec un petit rire. Il a tenté de m'égarer, de me montrer ce qui était à mille lieues de ce que je cherchais... Il n'est pas du genre à céder facilement !
Severus esquissa un sourire tout en prenant la mesure de ce qu'il venait de dire.
– Il t'a montré plein de souvenirs personnels de nous deux ?
– Et intimes ! précisa-t-il en riant. J'ai dû t'y voir dans toutes les positions possibles et imaginables...
– Effronté ! grimaça Severus en le poussant d'une bourrade pour le renverser sur le lit. Je n'en crois pas un mot !
Harry éclata de rire devant son air offusqué et se redressa pour se mettre à califourchon sur le corps de son amant.
– Tu devrais..., fit-il d'un ton mielleux. Je sais par exemple que tu apprécies grandement ce qu'il sait faire avec sa langue...
Il se pencha pour glisser la sienne dans les creux de la gorge de Severus qui renversa aussitôt la tête en arrière pour lui laisser libre accès.
– … qu'il est un amant parfois insatiable..., fit-il en frottant de manière provocante son bassin et son sexe sur le ventre de Severus.
– … attentif aux toutes petites choses, comme le moment où tu fermes les yeux pendant l'amour...
Il laissa traîner sa langue et ses dents sur la clavicule de Severus, puis sur l'un des sombres tétons érigés au milieu de son torse.
– … la façon dont ton souffle devient rauque ou saccadé...
Tout comme Severus venait de retenir sa respiration sous la morsure délicate.
– … la façon dont tu viens à sa rencontre quand il te pénètre...
Sous lui, il sentait le sexe à demi durci de Severus soulevé par un mouvement de bassin impétueux.
– … la façon dont il fait rougir ta peau et les marques qu'il te laisse...
Les yeux sombres s'ouvrirent brusquement et Severus se redressa et le retourna comme une poupée de chiffon, bloquant ses poignets de ses mains et s'allongeant sur lui de tout son corps pour le plaquer sur le lit.
– Il t'a montré ça aussi ?!
Harry éclata de rire devant les sourcils froncés et le visage contrarié de Severus. Il ressemblait ainsi tant à l'ancien professeur qu'il en eut un frisson d'appréhension.
– Je te rappelle qu'il y a des années, je vous avais surpris dans tes cachots en fâcheuse posture...
Un long grognement lui répondit tandis que Severus semblait hésiter sur la conduite à tenir, partagé entre colère, gêne et amusement devant son impertinence.
– Ce que vous faites ensemble ne me regarde pas, assura Harry pour désamorcer l'irritation de son amant. Même si dans ces moments-là, il y a quelque chose de très érotique dans l'expression de vos visages à l'un et à l'autre...
– Effronté ! gronda Severus en se jetant sur lui pour venir mordre la peau de son cou, puis sa bouche, et le faire taire d'un baiser ardent et impatient.
Immobile au-dessus de lui, Severus le dominait de toute sa colère et de son désir soudain éloquent à l'évocation des séances purement masochistes qu'il pouvait avoir avec Lucius. Sur son ventre, Harry sentait le sexe lourd et imposant de son amant, tendu et dressé comme un animal prêt à mordre. Un gémissement sourd lui échappa devant le regard de Severus où brillaient des flammes qui le vouaient aux gémonies.
– S'il n'était pas si tard, je te ferais ravaler tes paroles et tes insolences ! gronda à nouveau Severus.
– Et de quelle manière, je te prie ? le provoqua-t-il avec un sourire vicieux. Et il n'est pas si tard ! Sauf si tu es trop fatigué, bien sûr...
Severus eut un temps d'arrêt, trop surpris pour réagir, mais Harry ne tenait déjà plus devant son corps posé sur lui et son regard démoniaque.
– Dépêche-toi, fit-il d'une voix rauque en glissant sa main entre eux, attrapant le sexe de Severus et le dirigeant vers l'entrée de ses fesses. Tu en as autant envie que moi !
Un sort de lubrification informulé plus tard, il sentit son amant pénétrer son corps avec une lenteur qui le rendait fou. La douleur n'était rien; il le voulait sur lui, en lui, oh oui, surtout en lui. Il voulait se sentir pris. Possédé. Rempli. Comblé.
.
.
– Par les couilles de Merlin ! C'est plus de mon âge, ces conneries-là ! lâcha Severus en se laissant tomber à la renverse sur le lit.
– Langage, Severus ! ronronna Harry en se redressant et en venant à quatre pattes se mettre au dessus du corps de son amant.
– Silence ! Laisse moi mourir en paix !
Un bras puissant passé dans son dos fit pression et il se retrouva plaqué sur le torse de Severus, pris dans une étreinte tendre et indolente. La joue posée sur sa peau humide, Harry percevait les battements échevelés de son cœur, résonnants avec force dans sa poitrine qui se soulevait encore bien trop rapidement. Lui-même était encore légèrement essoufflé et tremblant, mais surtout ivre de bonheur, et presque de satiété.
Son sourire devait lui donner un air béat et risible, mais Severus ne le voyait pas et c'était bien ainsi. Il ne voulait pas s'attirer ses moqueries sarcastiques, même s'il avait à présent matière à se défendre. Mais Severus semblait très loin de cet état d'esprit : les yeux clos et un demi-sourire presque extatique sur le visage, il avait l'air tout aussi béat que lui. Épuisé et repu.
Un sourire ingénu lui échappa, vite interrompu par un bruit dans le couloir. Des pas qui trottinent et une petite voix chuchotante :
– Dis, je peux aller réveiller Sévie ?
– Non, Iris, répondit la voix plus grave de Draco. On ne rentre pas comme ça dans les chambres des adultes. Descends au petit-déjeuner et tu verras si Severus n'y est pas déjà...
.
– Je croyais que tu avais mis un Silencio sur la chambre ?! murmura Severus en redressant la tête vers lui avec un regard effaré.
– Dans un seul sens, répondit Harry avec un sourire. On l'entend mais tes gémissements et tes cris de plaisir ne sont pas sortis de la chambre...
– Insolent ! grinça Severus en l'affublant d'une petite claque sur les fesses. Et la porte est bien fermée au moins ?
– Suffisamment pour que même Lucius ou Draco ne puissent pas l'ouvrir !
Severus laissa tomber sa tête en arrière sur l'oreiller, rassuré. Ses bras vinrent l'entourer à nouveau, cherchant encore quelques instants d'une étreinte apaisée.
– Il va falloir se lever..., murmura-t-il.
Harry hocha simplement la tête. Il faisait jour depuis un moment déjà et leur absence serait bientôt remarquée, surtout pour Severus, d'ordinaire si matinal...
– Je dormirais bien encore quelques heures pourtant, bougonna-t-il. Et je suis censé faire comment maintenant ? Je traverse le couloir nu comme un ver pour rejoindre ma chambre ?
Harry éclata de rire à cette idée et se hissa légèrement pour venir embrasser Severus avec avidité. Il n'en aurait plus l'occasion avant Merlin sait quand et la perspective de retrouver leurs rôles respectifs, si distants et réservés, ne l'enchantait guère.
– Je vais te faire transplaner dans ta chambre, fit-il enfin. Quand tu voudras.
Sa voix résignée n'avait pas échappé à la perspicacité de Severus qui le serra dans ses bras et le regarda longuement avant de l'embrasser à nouveau.
.
– Allons-y. Nous n'avons que trop tardé...
– Si tu n'avais pas insisté pour une troisième fois! gloussa Harry.
Il se leva prestement, accompagné malgré tout par la main de Severus sur ses fesses.
– Tu avais besoin que je fasse taire tes insolences, même si ça n'a pas l'air de marcher beaucoup ! fit-il en se levant à son tour, le sourire aux lèvres.
– Jamais ! affirma Harry en prenant sa main dans la sienne.
Il les fit rapidement transplaner dans la rotonde, récupéra d'un Accio son pantalon et le maillot de bain qui flottait à la surface de l'eau, et les transféra aussitôt dans la chambre de Severus.
.
Harry n'y était jamais entré encore et, à l'inverse de son bureau, il fut surpris par la luminosité de la pièce. Elle était simple, davantage que la chambre de Lucius ou la sienne : un bureau devant les fenêtres, quelques fauteuils près de la cheminée, et un vaste lit aux draps défaits. La seule touche personnelle consistait en une petite bibliothèque près du bureau, débordante d'ouvrages, jusque sur le dessus du meuble bas, et surtout dans les nombreuses photos en noir et blanc qui parsemaient les murs, des photos d'art plus que personnelles, jouant avec les clairs-obscurs comme des sculptures.
Il enfila rapidement son pantalon tandis que Severus passait un peignoir de soie noire qui traînait sur un fauteuil, le même sans doute que celui qu'il portait le soir où Harry était rentré ivre de Poudlard et où il s'était répandu en invitations libidineuses. Il ricana discrètement au souvenir de ses propos licencieux, si osés au moment où il les avait prononcés et tellement d'actualité aujourd'hui.
Il s'approcha de Severus et attrapa la ceinture de son kimono pour l'attirer contre lui et quémander un dernier baiser que son amant lui accorda bien volontiers.
– Je vais prendre une douche avant de descendre, fit Severus en relâchant son étreinte. Tu ferais bien d'en faire autant, tu sens le sexe à des kilomètres !
– Avec toi, la douche ? osa-t-il en riant.
– Hors de question ! Sinon, on ne descendra jamais, et je ne veux pas non plus froisser Lucius outre mesure.
Harry grimaça. Il comprenait Severus et son désir de préserver son couple. Lucius était son compagnon depuis toujours et malgré la bonne volonté dont il faisait preuve, il ne fallait sans doute pas le pousser dans ses retranchements. Après tout, Harry n'était que la cinquième roue du carrosse et il n'avait jamais été question d'autre chose, mais le rappel de cette situation n'en restait pas moins piquant.
– Ne te vexe pas, fit Severus devant son air désappointé. Tu sais très bien ce que je veux dire...
– Je sais, oui, concéda-t-il avec un pâle sourire. D'ailleurs, je voulais te demander aussi... Qu'est-ce qui ne va pas avec Lucius ? Il a l'air épuisé depuis quelques jours, presque malade, alors qu'il allait bien... Même Draco m'en a fait la réflexion et Daphnée s'en est inquiétée également.
– Je ne sais pas, avoua Severus en le gardant contre lui. Il n'a rien voulu me dire, mais je sais qu'il ne dort plus ou très mal, au point de prendre des potions de sommeil sans rêves toutes les nuits. Il ne cesse de faire des cauchemars. La dernière nuit que j'ai passée avec lui, il se réveillait en sursaut toutes les dix minutes, en sueur et tremblant jusqu'à ce que je lui fasse prendre une potion. Mais les effets ne durent jamais très longtemps...
Harry fronça les sourcils, cherchant dans le regard de Severus à en apprendre davantage, mais il n'y vit que la même inquiétude qu'il ressentait également.
– Aucune idée sur ce qui a pu causer ça ?
– Pas vraiment, hésita Severus. Mais je... ça a débuté le jour où Mayahuel est apparue au déjeuner. Je t'ai demandé si elle pratiquait la légilimencie... Si ce n'est pas exactement ça, c'est quelque chose de proche; elle nous a pour ainsi dire « sondés »... Et c'est le seul fait marquant qui s'est produit avant le début de ses cauchemars.
Harry se recula brusquement, inquiet et furieux tout à la fois. La responsabilité de Maya lui paraissait surprenante, mais il avait toute confiance en ce que lui disait Severus et en ses intuitions. Il lui fallait la voir. Rapidement.
– Calme-toi. Ta magie est instable, fit Severus en glissant un baiser sur ses lèvres. Quoi qu'elle ait fait, ce n'était sans doute pas volontaire. Son intrusion en moi ne m'a rien fait mais Lucius est probablement encore fragile depuis Sainte-Mangouste.
– Hum, grogna Harry en se préparant à transplaner. Je te retrouve au petit-déjeuner...
.
oooooo
.
– Maya ! Vas-tu m'obliger à convoquer ta présence par des rituels stupides ou bien vas-tu accepter de venir maintenant ?
– Aucun rituel n'est stupide, nadi, fit une voix chantante derrière lui.
Harry se retourna brusquement et aperçut sa minuscule silhouette qui sortait des ombres près de la cheminée, semblant glisser sur le sol plus qu'elle ne marchait. Son visage cuivré était marqué d'un pli soucieux et elle s'approcha lentement pour lui faire face.
– Je suis là, à présent. Que voulais-tu, nadi ?
– Que leur as-tu fait ? lâcha-t-il sans préambule.
Elle sembla soudain gênée et se mit à faire tourner machinalement un des bracelets de cuivre et de pierres qu'elle portait au poignet.
– Tu veux parler de Lucius, je suppose ? soupira-t-elle.
Devant son hochement de tête un peu sec, elle poursuivit :
– Je ne leur ai fait aucun mal, nadi. Enfin, je n'en avais pas l'intention... Je les ai simplement... étudiés. Mais je crois avoir touché un point sensible. Ou bien c'est le maléfice qu'il avait reçu de son compagnon qui a réactivé cette vieille blessure, je ne sais pas. Mais le contact avec ma magie a amplifié les choses.
– Quelle blessure ? fit sèchement Harry en se laissant tomber dans un fauteuil.
Maya sauta sur un autre fauteuil non loin de lui et projeta dans son esprit les images qu'il avait vues dans celui de Lucius : le combat qui l'avait opposé à Severus sous le regard moqueur et jubilatoire de Voldemort, la douleur reçue, la douleur infligée à outrance et la souffrance d'infliger cette douleur à l'homme qu'il aimait. La blessure magique qui en avait résulté n'avait jamais quitté Lucius, et il était fort possible que le maléfice qu'il avait reçu de Severus dans la salle de duel ait rouvert cette cicatrice et ravivé tous les sentiments de trahison, de déception, envers lui-même plus qu'envers son compagnon, tout ce qui avait brisé Lucius autrefois.
– Mmh, grogna-t-il. Et c'est cela que tu as réveillé ?
– Peu importe qui, au final, éluda Mayahuel. Mais cela a rouvert une boîte de Pandore. Ton ami est hanté par les souvenirs de ce qu'il a fait et il ne parvient pas à s'absoudre lui-même. Rien n'y fait. Ni ce qu'il a essayé de faire en politique, ni ses œuvres... Il est tourmenté et sa culpabilité est immense, quoiqu'il n'en montre rien.
– Ses œuvres ? s'étonna Harry.
– Ton ami brasse de l'argent par millions ! Et il n'en garde qu'une infime partie. Mais l'argent ne peut pas tout racheter. Surtout ses propres fautes.
Il soupesait les paroles de Mayahuel, à l'aune de ce qu'il savait de Lucius, et il devait avouer qu'elle avait sans doute raison sur beaucoup de choses, comme souvent.
– Tu dois guérir cette blessure pour parvenir à l'apaiser, fit-elle encore.
– Pourquoi ne l'as-tu pas fait si tu savais ? bougonna-t-il d'un ton plein de reproches.
Mayahuel pencha la tête pour l'observer attentivement.
– En le soignant, tu as laissé ta marque sur cet homme, nadi. Ma magie ne peut plus l'atteindre. Je ne peux pas défaire ce que j'ai fait.
– Bien. Je vais m'en occuper, soupira-t-il. Encore faut-il qu'il me laisse faire...
– Il n'aura pas trop le choix...
.
Harry resta songeur un moment. Sa colère s'était envolée, il avait trouvé la solution à ses inquiétudes, il ne restait qu'à convaincre Lucius et tout redeviendrait comme avant. Sauf concernant sa relation avec Severus, pour laquelle il ne voulait surtout pas revenir en arrière ! Le souvenir des heures passées ensemble le matin même égaya son visage d'un sourire lubrique.
– Je sais à qui tu penses, nadi, ricana Mayahuel.
Ses yeux aussi sombres que ceux de Severus s'étaient brusquement illuminés et un sourire carnassier était apparu sur ses lèvres sanguines.
– Il te plaît, n'est-ce pas ? fit Harry en riant.
– Son âme est tortueuse, mais il est intéressant, se délecta-t-elle. Je comprends qu'il t'intéresse...
– Pour d'autres raisons que toi, Maya !
– … et il est puissant ! poursuivit-elle d'un ton envieux sans prendre en compte son interruption. Il a réussi à me repousser quand je l'ai sondé !
Elle passa sa langue sur ses lèvres comme si un plat succulent lui mettait l'eau à la bouche.
– Il voulait te parler d'ailleurs..., glissa Harry tout sourire.
– C'est vrai ? ronronna-t-elle.
Il avait l'impression qu'il venait de lui offrir une gourmandise, un bonbon sucré à souhait et qu'elle s'en faisait un délice par avance.
– Et je peux en disposer à ma guise ?
– Non ! Pas à ta guise ! protesta Harry en riant. Je tiens à le retrouver en bon état !
.
oooooo
.
Les cheveux encore humides après sa douche rapide, simplement vêtu d'un pantalon crème et d'une chemise blanche largement ouverte sur son pendentif de malachite, Harry descendit à la table du petit-déjeuner où l'ensemble des Malfoy semblaient déjà installés depuis un moment. Il était bon dernier, ce que ne manqua pas de lui faire remarquer Draco en riant :
– Enfin !
– Harry ! s'écria Minerva avec un grand sourire tandis qu'il entrait en saluant tout le monde et s'asseyait à sa place.
– Toujours pas du matin ? s'amusa Draco. J'en connais qui s'impatientaient de te voir !
Sans vouloir savoir de qui il parlait, Harry jeta un œil suspicieux au jeune homme blond à ses côtés, puis à Severus qui le regardait d'un air goguenard, et enfin à Lucius dont la pâleur et les cernes sombres qui lui dévoraient le visage le firent presque sursauter. Il en oublia immédiatement la moquerie de Draco et fronça longuement les sourcils. Les yeux gris du maître de maison semblaient ternes et éteints, ses traits étaient tirés et il paraissait épuisé.
Harry tourna à nouveau le regard vers Severus et dans un échange muet, il sut qu'ils pensaient la même chose. L'état de Lucius n'allait pas en s'améliorant et était au contraire de plus en plus préoccupant. Il n'avait que trop tardé à s'en rendre compte.
Il attrapa la tasse de champurrado que Sky lui avait encore une fois préparée de manière si dévouée, et se carra contre le dossier de sa chaise pour boire tranquillement. À vrai dire, en descendant, il mourrait de faim après sa partie de jambes en l'air avec Severus, mais l'état de Lucius l'avait brusquement contrarié et il avait perdu l'appétit.
Heureusement, le babillage incessant des fillettes avec Severus remplissait le silence et chacun mit son mutisme sur le fait qu'il n'était vraiment pas du matin.
– Tu n'as pas oublié que tu me dois un défi sur un balai ? le taquina Draco. Tu as intérêt à être un peu plus réveillé que ça tout à l'heure ! On dirait un inferi !
– Silence, Draco ! cingla la voix glaciale de Lucius qui s'était brusquement tendu sur son siège.
Tous les adultes se tournèrent vers le maître de maison dont le regard dur et froid s'appesantissait longuement sur son fils, une expression presque méprisante sur le visage.
– Pardon ? fit Draco, interloqué.
– Tu m'as très bien entendu. Cesse donc ces réflexions désobligeantes.
Harry croisa un bref instant le regard de Severus, qui reflétait la même surprise et la même incompréhension que le sien, tandis que Draco restait bouche bée.
Il posa sa main sur le bras de son ami qui, passée sa stupeur, semblait maintenant furieusement en colère et prêt à en découdre verbalement avec son père. Puisque c'était de lui dont on parlait, c'était à lui de dénouer la situation.
– Tout va bien, Lucius, fit-il d'un ton apaisant. Draco essaye simplement de me décontenancer, mais il n'y arrivera pas, acheva-t-il avec un ricanement sardonique.
– Je n'ai que faire de vos enfantillages, répliqua Lucius d'une voix polaire. Épargnez-moi l'impression de me retrouver à Poudlard !
Ces paroles furent suivies par un long silence que même Minerva et Iris n'osèrent pas troubler. Lucius s'était renfoncé contre le dossier de sa chaise et semblait ruminer ses pensées d'un air sombre sous le regard insistant de Severus auquel il n'accordait aucune attention. Ses doigts serrés autour de sa tasse de thé tremblaient légèrement, et les muscles de son visage roulaient sous sa peau à mesure des crispations de ses mâchoires. Il semblait prêt à mordre.
Il fallut plusieurs minutes avant que la conversation ne reprenne entre Harry, Draco et Daphnée, toujours stupéfaits de ces éclats de voix si peu habituels de l'aristocrate. Lucius était tant connu pour son calme glacial et sa maîtrise de lui-même que la scène qui venait de se jouer avait quelque chose de surréaliste.
Abandonnant l'idée de faire passer un message à son compagnon qui restait aveugle à ses regards, Severus finit par rejoindre leur discussion, mais Harry percevait son trouble et ses interrogations qu'il camouflait du mieux qu'il le pouvait sous une apparence impassible.
.
– Je vais peut-être devoir repasser à l'hôpital, murmura Daphnée à Draco après avoir consulté un message sur son téléphone portable.
Son visage était tiré, et un étrange air triste passa dans ses yeux.
– Quand tu as besoin, tu me dis, répondit Draco sur le même ton. Je t'emmènerai...
La conversation ne lui était pas destinée et Harry fit mine de n'avoir rien entendu, tout entier concentré sur l'attitude de Lucius. Il buvait à présent son thé d'un air presque absent, et lorsqu'il ferma soudain les yeux, penchant la tête de côté pour masser discrètement sa tempe avec deux doigts presque tremblants, il n'y tint plus.
– Lucius, je veux vous parler. Maintenant.
Son ton avait été un peu plus sec qu'il ne l'aurait voulu, beaucoup plus sec qu'il ne l'aurait fallu à voir la façon dont tout le monde le regarda soudain, surpris et effarés. Réveillé comme par un coup de semonce, Lucius avait instantanément revêtu son masque glacial où la colère le disputait à la suffisance, et son regard rageur en disait long sur l'affront qui venait de lui être fait, en public qui plus est. On ne convoquait pas Lucius Malefoy comme un vulgaire laquais.
– … s'il-vous-plaît.
– Dans mon bureau ! Tout de suite !
Lucius s'était levé brusquement et sortait de la Salle à Manger sans même l'attendre, dans une attitude roide et guindée que Harry ne lui avait jamais vue. Pour tout dire, il ne l'avait jamais vu non plus aussi irascible et sur les nerfs. Soit, son propre comportement avait peut-être été déplacé, son intonation trop péremptoire et trop sèche, il n'était qu'un simple invité... mais Lucius réagissait à l'excès à ce qui, en d'autres circonstances, n'aurait pu être qu'une simple maladresse.
.
.
Lucius pénétra dans son bureau comme une furie, congédiant d'un geste nerveux de la main l'elfe de maison vaguement assoupi qui montait la garde près de la cheminée.
Harry n'avait encore jamais pénétré dans le bureau de Lucius et il devait avouer que la pièce ressemblait à son propriétaire : un immense bureau de bois précieux, orné de dorures et de marqueteries, derrière lequel Lucius s'était réfugié et sur lequel étaient posées des lampes toutes aussi dorées; des fauteuils de passementerie rouge sang, un buste en marbre sur la cheminée de marbre également, des tapis de soie, des rideaux de brocart... davantage que le luxe ou la fortune, tout dans la pièce respirait le pouvoir.
Il se trouvait dans le bureau d'un ancien Ministre avec toute sa puissance.
Et loin de décolérer, Lucius le toisait depuis son fauteuil d'un regard dur et froid qui faisait ressembler ses yeux à des billes d'acier implacables.
– Comment osez-vous vous permettre, Monsieur Potter ? fit-il d'une voix cinglante.
Un instant, Harry fut pris d'un doute sur la nature de sa colère. Était-ce son attitude qui était en cause ou bien sa relation avec Severus ? Peu importait au final, il devait faire ce qu'il avait à faire. Le reste viendrait après.
– Combien d'heures avez-vous dormi cette nuit, Lucius ? fit-il le dos tourné, concentré pour retenir sa magie qui commençait à s'échapper malgré lui.
– Qu'est-ce qui vous permet... ?
– Regardez-vous, Lucius ! Combien d'heures avez-vous dormi ?!
– Monsieur Potter ! claqua sa voix autoritaire et menaçante.
Harry se retourna brusquement, insensible au regard d'acier qui le fusillait sur place et à sa magie qui tourbillonnait en volutes émeraudes autour de lui.
– Nom d'un chien ! Arrêtez vos simagrées, Lucius ! Vous n'êtes pas celui-là avec moi ! vociféra-t-il. Pourquoi ne m'avez-vous rien dit ?! Vous aviez fait de moi votre médecin ! Comment voulez-vous que j'agisse si vous ne me dites rien ?!
Était-ce ses paroles qui agirent comme un déclic, ou bien la menace de sa magie qui prenait de l'ampleur dans la pièce ? Mais le visage de Lucius s'affaissa brusquement, perdant son air dominant et vindicatif, pour ne laisser apparaître qu'un regard las. Il se massa un moment les tempes, cachant la douleur sourde qui lui vrillait le crâne, avant d'ouvrir à nouveau les yeux sur lui d'un air résigné.
– Je plaisantais lorsque j'ai parlé de médecin personnel, Harry...
– Pas moi ! Combien d'heures avez-vous dormi cette nuit ?
Il se laissa tomber sombrement dans un fauteuil, séparé de Lucius par l'immensité du bureau de ministre.
– Deux, peut-être trois..., avoua Lucius.
– Je ne vous ai pas sorti de Sainte-Mangouste pour vous retrouver dans cet état ! Vous ne vous êtes pas dit que vos cauchemars avaient quelque chose d'anormal ? Qu'une certaine magie était en cause ? Pourquoi n'êtes-vous pas venu m'en parler, plutôt que d'avaler des potions de sommeil sans rêves ?! Vous êtes dans un état de nerf invraisemblable ! vitupéra-t-il, avant de poursuivre pour lui-même. Je savais bien que quelque chose n'allait pas. J'aurais dû m'en rendre compte. J'aurais dû venir plus tôt...
– Vous n'y êtes pour rien, Harry, fit Lucius d'une voix douce. Et je ne sais pas si vous y pourrez quelque chose...
– C'est ce qu'on verra ! pesta Harry en l'invitant d'un signe de tête péremptoire à venir s'asseoir dans un fauteuil à ses côtés.
Sans même esquisser un mouvement de surprise, Lucius obtempéra. Lorsqu'il fut assis plus près de lui, plus frêle et fatigué qu'il ne l'aurait cru une fois sa colère passée, Harry se radoucit à son tour et tendit la main vers son hôte.
– Est-ce que vous m'autorisez... ?
– Comme à Sainte-Mangouste ? demanda Lucius.
– Rien de plus.
Lucius acquiesça en silence et tendit sa main aux longs doigts graciles. Un jour, il aimerait l'entendre jouer du piano... puisqu'il était certain que c'était lui qui se servait de celui du boudoir à l'étage. Pour l'heure, Harry se contenta de prendre sa main et d'insinuer lentement sa magie.
Un grognement contrarié lui échappa. La tension artérielle était faible, bien trop faible, le pouls lent, irrégulier, sans doute depuis assez longtemps pour commencer à impacter les autres organes, et il s'étonna même que Lucius puisse encore tenir debout sans faire un malaise. Plus il percevait les dégâts à mesure que sa magie s'infiltrait en profondeur dans l'organisme de Lucius, plus il devait retenir de jurons et d'éclats de voix. Que de temps perdu !
Heureusement, ils étaient déjà en partie liés, il lui fut aisé de transférer un peu de sa magie pour pallier au plus pressé. Rien ne serait ensuite hors de portée d'une potion de régénération. Mais le plus dur se situait à un autre niveau.
.
Harry sentit Lucius sursauter lorsqu'il pénétra dans son esprit; il aurait pu être plus délicat mais il s'inquiétait trop de ce qu'il allait trouver pour prendre des gants. À peine immiscé, il se sentit assailli de noirceur, d'obscurité et de douleur. Et partout, partout dans ce néant aussi sombre et dense qu'un puits sans fond résonnaient des cris et des hurlements, plaintifs, torturés, agonisants; déchirants les ténèbres d'un monde sans lumière, sans joie et sans repos. Il avait l'impression de revivre des souvenirs anciens, la présence des Détraqueurs, froide et glaciale, qui semblait aspirer toute émotion positive dans un gouffre de souffrance, la nuit de la résurrection de Voldemort dans le cimetière de Little Hangleton, un océan de peur et de douleur, et la culpabilité immense d'être responsable de la mort de Cédric.
– Plus je suis fatigué, plus c'est présent, avoua Lucius à mi-voix.
Harry secoua la tête. Le maléfice à l'œuvre en Lucius était suffisamment puissant pour faire ressurgir ses propres tourments anciens, mais il n'était pas question de lui aujourd'hui. Sans s'appesantir davantage sur les hurlements ou leur provenance, il balaya les ténèbres d'un grand coup de magie; une magie chaude et lumineuse, celle des rayons de soleil qui se frayent un chemin dans la canopée, celle du vent qui secoue les lianes, celle de la pulsion de vie qui anime toute graine, celle de la forêt : vivante, grouillante, foisonnante, aussi vigoureuse et tenace que la sève qui monte jusqu'aux feuilles les plus hautes.
La main crispée de Lucius se détendit à mesure que son esprit était libéré de la noirceur ambiante pour retrouver une certaine paix et une lumière tamisée.
– D'où venaient tous ces cris, Lucius ? demanda Harry doucement sans ouvrir les yeux.
Loin, très loin, il cherchait l'origine, la source de tous ces maux qu'avaient rouvert le maléfice de Severus et la magie de Mayahuel, la blessure ancienne dont il soupçonnait à présent qu'elle contenait une grande part de magie noire, et peut-être même celle de Voldemort.
– …de ce que j'ai fait autrefois, Harry. De ce que j'ai été. De ceux à qui j'ai fait du mal. Je ne serai jamais en paix avec ça.
– Vous n'êtes plus le même homme, Lucius ! affirma-t-il sourdement.
Très loin, aux tréfonds de son âme, Harry percevait l'appel sombre de la culpabilité qui rongeait Lucius aussi sûrement qu'un lent poison.
– Cela ne change rien à ce que j'ai fait... et que je ne peux réparer.
– Vous n'êtes plus le même homme, Lucius ! répéta-t-il en saisissant son avant-bras gauche, brusquement nu, qu'il porta à la hauteur de ses yeux.
La trace de la Marque y avait disparu depuis qu'il l'avait soigné après le sort de Severus, mais Lucius secoua la tête.
– Cela ne change rien. J'ai été capable de faire du mal. Même à ceux que j'aimais...
– Vous ne l'êtes plus. Vous ne souhaitez que son bonheur. Vous aviez changé de camp. Vous vous êtes racheté au-delà de l'imaginable.
– Et cela n'efface pourtant rien.
Devant lui, se tenait le trône où Voldemort passait avec délectation sa langue sur ses lèvres devant le spectacle qui lui était offert. Ses yeux rougeoyants d'une lueur plus que malsaine s'attardaient longuement sur le corps sanguinolent et secoué de spasmes de douleur échoué au milieu de la salle. Debout à quelques pas, hébété, Lucius tenait encore sa baguette à la main, agitée d'un léger tremblement après son déchaînement de violence. Un rire suave s'échappa du visage à peine humain du Seigneur des Ténèbres.
– Mon cher Maître des Potions ! Tu méritais amplement cette punition mais je n'aurais moi-même pas été si loin...
Son regard hanté se tourna vers Lucius toujours immobile, tentant à grand peine de cacher les haut-le-cœur de son âme ravagée par ce qu'il venait de faire.
– Plus cruel que moi, Lucius..., ricana-t-il. Qui l'eut cru ? Emporte-le et fais en sorte qu'il vive ! Sinon il t'en coûtera ta vie, et ma colère avant cela !
Sourd aux menaces qui n'étaient rien par rapport à ce qu'il ressentait, Lucius s'était déjà précipité à genoux auprès de son amant, prenant dans ses bras son corps inconscient et supplicié, avant de disparaître dans un brusque transplanage qui cacha le flot de larmes roulant sur ses joues et étouffa son cri de désespoir.
.
.
Lucius avait rouvert les yeux, encore essoufflé et pâle, mais son visage était plus serein et ses traits moins crispés. Il s'obligeait à ralentir sa respiration, à reprendre le contrôle, savourant cette paix nouvelle qu'il n'avait pas connue depuis si longtemps. La sensation de pesanteur, de noirceur, la culpabilité et la douleur de son âme, tout avait disparu lorsque la magie de Harry avait enfin guéri cette blessure d'autrefois qui l'avait poursuivi si longtemps.
Il ne pourrait certes jamais défaire ce qu'il avait fait mais il avait sans doute fait assez pour accepter de vivre en paix, au-delà de ce qu'il ne pouvait changer.
Aujourd'hui ne restait qu'un souvenir amer, difficile à admettre, mais il pouvait sans douleur comprendre les raisons qui l'avaient poussé à s'en prendre ainsi à Severus, ainsi que celles qui avaient poussé son amant à provoquer volontairement sa fureur. Peut-être même l'attitude de Severus les avait-elle sauvés ce jour-là, de la colère de Voldemort tout autant que de leur destin de mangemorts. Sans même en parler entre eux, chacun avait rejoint le camp adverse, auprès du Ministère pour Lucius, auprès de Dumbledore pour Severus, écœurés de cette cruauté abjecte, si loin de ce qu'ils avaient cru au départ.
Aujourd'hui, la guerre était loin. Il avait œuvré pour la paix, et pour tant d'autres choses qu'il en avait perdu le compte, il avait son compagnon auprès de lui, son fils et sa propre famille, deux merveilleuses petites-filles rieuses et pleines de joie de vivre qui faisaient sa fierté, Harry, dont la présence dans sa vie ne cessait de l'étonner, et le droit peut-être, enfin, de profiter de cette paix retrouvée.
.
– Merci, fit-il simplement lorsque Harry réapparut dans le bureau avec une fiole de potion à la main.
Le jeune homme eut un léger sourire pour toute réponse, avant de lui tendre le flacon ambré.
– Prenez ça et allez dormir une heure ou deux, Lucius. Ça ne peut que vous faire du bien.
– Non, ça va aller... Je me sens... très bien.
Il se sentait très bien en effet, apaisé, serein, plus détendu qu'après un bon massage, et surtout profondément amoureux. Et il avait très envie de retrouver Severus.
Les yeux verts qui le scrutaient attentivement devinrent malicieux et il entendit presque l'éclat de rire contenu de Harry.
– Faites-le. Ça vous aidera à redescendre. Pour le moment, vous êtes surchargé en magie; ça vous rend légèrement euphorique... Vous seriez capable de sauter sur Severus au détour d'un couloir !
Une image mentale exquise prit naissance dans l'esprit de Lucius et répercuta une étrange chaleur jusque dans son ventre. Severus lui manquait. Le fait de ne pas pouvoir dormir avec lui, de ne pas pouvoir le toucher, l'embrasser comme il en avait envie était un véritable supplice. Il mourrait d'envie de retrouver leur intimité dans toute sa profondeur.
– Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, avoua-t-il avec un large sourire. S'il est encore en état après vos galipettes de ce matin !
Harry éclata de rire sans paraître gêné le moins du monde. Il transpirait une assurance délicieuse et la satiété d'après la luxure.
– S'il a tenu assis au petit-déjeuner, c'est qu'il est encore en état !
Lucius eut un temps d'arrêt avant d'éclater de rire à son tour. Face à lui, Harry se mordillait délicieusement la lèvre, sans doute conscient d'en avoir avoué un peu trop sur leurs ébats.
– Tiens donc ! fit-il malicieusement après avoir repris contenance. Je ne l'aurais pas cru...
.
oooooo
.
Après avoir jeté un œil dans les deux salons et la bibliothèque, Harry finit par retrouver Minerva et Iris dans la salle vidéo, confortablement installées dans un canapé et captivées par un dessin animé aux couleurs chaudes et aux paysages oniriques. Dans le canapé voisin, Severus lisait tranquillement et caressait Orion étalé de tout son long à ses côtés. La façon dont sa main fourrageait dans le poil mi-long de l'animal et se perdait dans la fourrure avait quelque chose de très sensuel et de très hypnotique. Là, tout de suite, Harry aurait bien voulu être un chat.
Severus tourna la tête à son approche, un sourire aux lèvres.
– Tu as survécu ? ironisa-t-il à mi-voix pour ne pas être entendu.
Le tutoiement discret de Severus lui fit chaud au cœur, même si cela restait une aparté entre eux.
– Tu joues les chaperons ? se moqua Harry à son tour.
Il vint s'accroupir près de l'accoudoir où Severus venait de poser son livre et se penchait à présent vers lui, si près que leurs visages auraient presque pu se toucher.
– Draco et Daphnée ont dû s'absenter. Elle devait repasser à son travail et il l'a emmenée...
– Et pour avoir la paix, tu colles les filles devant la télé ?
Les yeux sombres de Severus firent taire son rire naissant.
– Pour ta gouverne, c'est Draco qui les a mises devant un dessin animé ! Je ne fais que surveiller.
Il ne put empêcher un sourire ironique de flotter sur son visage devant l'air outré de Severus qui n'aimait visiblement pas être accusé de ne pas bien s'occuper de ses petites-filles.
– Où est Lucius ? demanda-t-il brusquement. Qu'est-ce qui lui a pris tout à l'heure ? Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu dans une telle colère...
– Manque de sommeil, répondit Harry en croisant ses bras sur l'accoudoir. Fatigue, cauchemars, etc... Mais ça va. Il va bien maintenant. Je lui ai donné une potion et je l'ai envoyé dormir une heure ou deux. Je pense qu'il sera content de te voir là-haut à son réveil...
Severus fronça les sourcils malgré tout.
– Qu'est-ce qu'il a depuis quelques jours ? Tu as pu en savoir plus ?
– Une vieille blessure magique que le contact de Maya a réveillée, bien malgré elle, répondit-il sans s'appesantir. Mais c'est terminé. Il va bien.
Il n'allait pas en dire plus, sous peine de paraître accusateur aux yeux de Severus, sur la scène qui s'était jouée ce jour-là... Lucius le ferait s'il l'estimait nécessaire.
Severus hocha la tête, conscient sans doute qu'il n'en saurait pas davantage de sa part, avant de jeter un œil aux deux fillettes qui restaient plongées dans leur dessin animé sans se soucier le moins du monde de leur conversation.
– Et toi, ça va ? murmura Severus. Il avait vraiment l'air furieux. Et je sais à quel point il peut être... dur et blessant quelquefois.
– Venant de toi, ça ne m'étonne pas que tu saches à quel point il peut être dur ! ricana Harry.
Au bout de quelques secondes, un air indigné se peignit sur le visage de Severus, en même temps que sa main, rapide comme l'éclair, vint lui mettre une tape à l'arrière de la tête.
– Par les culottes de Salazar ! Mais c'est pas possible ! grogna-t-il à mi-voix. Tu as les hormones en ébullition comme un ado de quinze ans !
– C'est possible..., sourit-il en retour. Tu n'as pas eu l'air de t'en plaindre ce matin...
Le regard de Severus lui intima l'ordre de se taire, ordre dont il n'avait que faire par ailleurs, et l'envie subite de l'embrasser pour le taquiner davantage lui traversa l'esprit. Il n'en était malheureusement pas question et Harry se recula en se redressant à demi.
– Allez. Je vous laisse...
– Où vas-tu ? fit Severus en fronçant les sourcils. Tu ne veux pas rester avec nous ?
– J'ai besoin... de me ressourcer, avoua-t-il doucement. Si tu as besoin que je surveille les filles quand tu monteras voir Lucius, je serai dans la véranda... Mais laisse-lui une heure ou deux de sommeil avant.
– Les filles sont capables de se surveiller toutes seules, mais je leur dirai où tu es, fit Severus en hochant la tête. Tu es sûr que tout va bien ?
Harry se redressa complètement avant que l'envie d'embrasser Severus ne le reprenne.
– Ne t'inquiète pas, sourit-il. Tout va bien.
.
oooooo
.
Le besoin de solitude s'était fait sentir à mesure que Harry soignait Lucius. Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas recentré sur lui-même, sur les fondements de sa magie, sur son essence même. Et la forêt lui manquait cruellement.
Trop concentré sur ses sentiments, sur ses relations avec Severus, avec Lucius, sur le tumulte en lui que suscitait son retour au pays, il avait perdu de vue la nécessité de la distance et du calme.
Il se dirigea vers le fond de la véranda, là où se trouvaient le plus de plantes et de végétation, une petite oasis luxuriante, une niche pleine de vie presque cachée depuis la porte d'entrée. Entre les pots de marbre sculptés aux armoiries des Malfoy, certains aux dimensions plus qu'imposantes, Harry s'assit à même le sol, à genoux et les fesses posées sur ses propres pieds. Fermant les yeux, il posa les mains sur ses cuisses qu'il avait largement écartées pour former un triangle aux côtés égaux et se concentra sur sa respiration.
Quand elle fut enfin ample et profonde, il s'attacha à dénouer chaque tension, chaque crispation, chaque contracture enfouies dans son corps. Un sourire affleura ses lèvres lorsqu'il prit conscience des courbatures déjà latentes dans ses cuisses et ses fesses et qui le feraient sans doute grimacer le lendemain matin. Mais certaines étaient plus récalcitrantes et il lui fallut longtemps pour parvenir à relâcher totalement ses épaules et sa nuque.
La sensation familière de flottement commença à se faire sentir, son sourire s'accentua et les koan dont il se servait autrefois pour guider sa réflexion ressurgirent spontanément en lui. La tempête n'a pas emporté la lune. Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as. Lorsqu'il n'y a plus rien à faire, que fais-tu ?
Les mots ondoyaient dans son esprit comme des litanies, puis finirent par se dissoudre, laissant un vide confortable et apaisé.
Il prit peu à peu conscience de la vie autour de lui, la circulation de la sève, la croissance des plantes, leurs mouvements si lents pour entortiller une jeune pousse autour d'une autre branche, la respiration de la terre humide, l'odeur si caractéristique qui s'en dégageait, et la façon dont cette fleur ouvrait des pétales graciles pour conquérir une si charmante abeille.
Sa magie s'étala longuement autour des troncs, le long des branches, s'enfouit dans les méandres duveteux des feuilles, effleurant les nœuds du bois et les bourgeons tendres, s'immisça jusqu'aux racines qui les nourrissaient, retrouvant une source et un équilibre qui lui avaient manqué.
Il avait oublié à quel point les propres racines de sa magie étaient lointaines et qu'elle trouvait son origine dans la forêt qu'il avait quittée. Et il avait trop longtemps négligé de s'y ressourcer. Ce qu'il faisait n'était qu'un pis-aller et il lui faudrait immanquablement y retourner bientôt, même si cela signifiait quitter le Manoir.
Toujours dans un état de perception approfondie, il prit conscience des différentes présences dans le Manoir. La signature magique de Lucius, à l'étage, avait gagné en force et en éclat par rapport à celle des derniers jours; elle oscillait, tranquille, dans la sérénité que lui conférait le sommeil. Harry aperçut celle de Severus, dense et sombre, qui quittait la salle de cinéma pour rejoindre l'escalier en colimaçon, laissant dans la pièce l'aura bien plus ténue d'Iris, d'une délicate couleur jaune pâle. À ses côtés, à peine visible, Minerva n'était qu'une infime étincelle en devenir.
Au sous-sol, dans la cuisine, ou bien dans les jardins, la présence des elfes de maison lui apparaissait bien différemment, pétillante, effervescente, chacun portant en lui une multitude de petits éclairs comme des feux d'artifice. Auprès de celui qui se tenait sur le perron du Manoir, près de la porte restée ouverte, apparut brusquement l'aura argentée de Draco, plus claire que celle de son père. Elle lui fit penser à un flambeau, solide et stable, quand celle de Lucius serpentait davantage, se coulant selon les événements sans pour autant jamais vaciller.
Malgré la distance, Harry perçut les bruits, le manteau qu'on enlève, le frottement des chaussures sur le sol, les chuchotements.
– Tu es sûre que ça va aller ? fit la voix grave de Draco.
– Ne t'inquiète pas. Ça ira, répondit Daphnée, avant de pousser un petit cri de surprise face à sa fille qui lui sautait dans les bras.
Le temps du repos était terminé, il lui fallait à présent rejoindre le monde des vivants et Harry ouvrit lentement les yeux sur la lumière presque aveuglante de la serre, dépliant ses membres et s'étirant comme un chat.
– Papa ! Maman ! Vous êtes rentrés ! s'écria Minerva.
– Ça y est, oui. Vous avez été sages au moins ?
– Comme des images !
Harry s'avança dans le couloir qui menait vers le hall d'entrée, tout sourire et reposé comme jamais.
– Oh ! C'est pour qui les balais ? fit la petite voix d'Iris. C'est pour moi ?
– Non, répondit Draco. C'est pour Harry et moi. Et interdiction d'y toucher, mademoiselle !
La fillette fit une moue boudeuse, déçue de ne pas avoir accès à ce trésor tant convoité.
– Ceux-là ne sont pas des jouets, ma chérie, ajouta Draco. Mais si vous êtes sages, vous pourrez faire un tour avec moi.
Des cris de joie lui répondirent tandis que Draco s'apercevait de sa présence dans l'embrasure de la porte, lui adressant un sourire lumineux.
– J'ai ramené de quoi te faire souffrir ! jubila-t-il. Tu es prêt pour une séance de vol ?
– Tu vas encore m'accuser de vouloir me défiler, fit Harry en riant, mais c'est bientôt l'heure du déjeuner ! On verra ça plus tard !
Draco fronça les sourcils en portant son regard sur son poignet.
– Mais il est donc si tard ? soupira-t-il, tout en s'approchant de lui pour parler hors de portée des oreilles enfantines. Je suis désolé d'être parti à la va-vite après ton altercation avec mon père. Daphnée avait... besoin de moi. Où est-il ? Je vais aller lui parler. Son attitude...
– Tout va bien, Draco, l'interrompit-il. J'ai parlé avec Lucius. Et Severus est avec lui, maintenant. Ce n'était qu'un coup de colère sans conséquence...
– Tout de même, il n'avait pas à nous parler sur ce ton ! Je vais lui en toucher deux mots, crois-moi.
Le regard gris de Draco brillait de la même fureur glaciale que Lucius quelques heures auparavant.
– Ton père a ses raisons que tu ignores, l'apaisa-t-il. Ne t'en fais pas, tout ira bien maintenant.
.
oooooo
.
Ils plaisantaient tous les deux avec Daphnée à la table du déjeuner lorsque Lucius fit sa réapparition, suivi de Severus. Son visage impassible ne laissait transparaître aucune émotion, ni gêne, ni regret, comme s'il ne s'était rien passé le matin même, mais son regard était étonnamment plus doux et plus tendre. Il s'assit sans dire un mot, et entreprit de se servir dans les plats d'argent ouvragé une généreuse portion de gigot, sous les regards circonspect de Daphnée et plus froid de Draco.
Mais la même surprise se peignit sur leurs deux visages lorsque Lucius releva la tête : les cernes grises sous ses yeux avaient disparu, il paraissait détendu et reposé, presque plus jeune tant la fatigue s'était volatilisée de ses traits. Harry se fit la réflexion que même ses longs cheveux blonds semblaient plus brillants. Il était indéniablement fort séduisant et respirait la volupté.
Face à lui, les yeux sombres de Severus exprimaient un remerciement muet avant qu'une grimace d'inconfort et un léger tressaillement ne troublent son expression. Harry jeta un œil à Lucius dont la tête baissée cachait mal le demi-sourire, puis de nouveau à Severus, et finit par éclater de rire dans le mutisme ambiant.
– Silence ! lui marmonna Lucius avec un air amusé, avant d'offrir un sourire radieux à Iris qui lui parlait depuis l'autre bout de la table.
.
.
Après le repas qui s'était terminé aussi plaisamment qu'il était possible, entre rires et plaisanteries, Draco avait tout de même tenu à s'expliquer avec son père et les deux Malfoy avaient disparu dans le bureau de Lucius. Sans doute devait-il plus ou moins présenter des excuses à son fils mais il n'allait pas le faire en public non plus.
Assis dans un fauteuil du Petit Salon, Severus tentait vaguement de reprendre sa lecture tandis que Iris s'obstinait à vouloir grimper sur ses genoux pour lui réciter les comptines qu'elle avait apprises à l'école. Il était question d'oreilles, d'yeux, de nez et de menton, et Harry se retenait de pouffer en contemplant l'ancienne terreur des cachots malmenée par une fillette qui passait ses doigts sur son visage sans tenir compte de ses protestations. Lorsqu'elle finit par lui ébouriffer les cheveux des deux mains comme le réclamait sa chanson, Harry céda à son rire irrépressible sous le regard assassin de son amant et se leva en catimini pour aller se calmer un peu plus loin.
Quelques instants plus tôt, Daphnée avait tiré en grand les rideaux et ouvert la porte-fenêtre pour s'éloigner et boire son thé sur le perron du Manoir. Harry l'aperçut, assise sur les marches de marbre blanc, contemplant d'un air absent le parc devant elle, les massifs fleuris, la longue allée qui menait au portail et les deux fontaines de part et d'autre qui s'écoulaient en un doux bruissement. Elle paraissait si lointaine et si fragile à cet instant qu'il s'approcha et vint s'asseoir à côté d'elle.
– Je ne te dérange pas ?
– Du tout, murmura-t-elle. J'avais juste... besoin d'air.
Il fronça les sourcils.
– Est-ce que tout va bien ?
Elle esquissa un sourire triste pour toute réponse, avant de finalement s'échapper sur un ton plus gai.
– Alors, c'est aujourd'hui que tu vas affronter Draco en duel ?
– Il a l'air d'y tenir, fit Harry en riant pour la détendre. Il va enfin pouvoir prendre sa revanche depuis Poudlard et me faire mordre la poussière !
– Il s'en fiche, sourit-elle. Il veut juste voler à nouveau avec toi. Comme avant. Il est excité comme un gosse devant le cadeau dont il rêvait. Il a ramené les meilleurs balais du pays, ceux de l'équipe nationale. Même les filles des Harpies ne les ont pas... Tu vas te régaler !
– Ou pas ! Il doit être bien meilleur que moi aujourd'hui !
– Il vole toujours beaucoup, c'est vrai. Il aurait pu être professionnel à la sortie de Poudlard, comme toi, mais il n'a pas voulu..., fit-elle en haussant les épaules. Avec un air de conspirateur, elle poursuivit : Il a malgré tout une faiblesse en vol : si tu veux le piéger, attaque-le sur sa droite. Il vire bien à gauche, mais il est toujours moins à l'aise à droite. Et quand il voit le vif, il a toujours un léger recul en arrière, une façon de s'allonger un peu plus sur le balai. Tu ne peux pas te tromper si tu le vois faire ça.
– Tu cherches à le faire perdre ?
– À rééquilibrer les choses..., sourit-elle malicieusement.
Daphnée était étonnante. Souriante et taquine. Son air triste avait disparu derrière une espièglerie dont il n'aurait pas voulu faire les frais, mais qui devait certainement plaire beaucoup aux deux Malfoy père et fils.
– Tu as l'air de bien t'y connaître ! s'amusa Harry. Draco t'a contaminé avec le quidditch ?
Elle éclata d'un rire spontané et rafraîchissant.
– Je n'ai pas eu le choix, figure-toi ! J'ai dû voir tous les matchs des Harpies, quoi ce soit au stade ou bien des enregistrements. Je suis incollable sur les équipes, les classements des dix dernières saisons, les joueurs de tout le championnat, avec les faiblesses d'untel et les qualités d'un autre... ! C'est toute la vie de Draco ! Et avoir la moitié de l'équipe à dîner toutes les semaines n'aide pas à décrocher !
Quelque chose dans ses paroles lui égratigna légèrement le cœur. Il s'imagina de grandes tablées chez Draco, pleines de joie et de rires, de bons repas qui finissaient aux petites heures du matin, à regarder le soleil se lever et à refaire le monde un verre de Whisky à la main. Pendant que lui était seul dans sa forêt.
Daphnée finit par rompre son silence résigné.
– Draco m'a longuement parlé de la guerre, dit-elle pensivement. Il m'a expliqué beaucoup de choses. Ce que lui avait fait, ce que tu avais fait...
– On a tous fait des choses dont on n'est pas fier, répondit-il enfin. Draco... est sans doute celui qui a eu le rôle le plus difficile.
Il songeait à leur dernière année à Poudlard, la culpabilité maladive de Draco, sa souffrance de n'avoir su dire non, d'avoir été aveuglé, pris au piège et cette haine de lui-même. Comment avait-il pu l'abandonner de la sorte ? Submergé par sa propre souffrance, il avait préféré fuir sans tenir compte de sa détresse.
Le rire incongru de Daphnée le surprit dans ses pensées.
– C'est drôle. Il dit la même chose de toi ! Et que c'est toi qui as sauvé le monde sorcier.
Harry rougit légèrement et en fut contrarié en même temps. Il n'avait eu aucun choix. Et tuer un homme n'avait pas fait de lui un héros, juste un assassin.
– Je n'ai rien sauvé du tout, fit-il un peu froidement. C'était des enjeux qui me dépassaient. J'étais trop jeune, arrogant, vaniteux, inconscient au point d'en être presque suicidaire. Un pantin dont on a tiré les ficelles au nom d'une stupide prophétie.
– C'était des années sombres... C'est pour ça que tu es parti ?
– En partie seulement. J'ai eu besoin... de fuir ce que les gens attendaient encore de moi. Et de fuir une douleur plus personnelle.
Daphnée hocha brièvement la tête, comme si elle comprenait de quoi il parlait. Que lui avait dit Draco ? Il savait les sentiments que Harry portait à Severus cette année-là... lui en avait-il parlé ?
Une gêne désagréable et insidieuse s'immisça dans son ventre.
– Tu lui as manqué. Il m'a toujours beaucoup parlé de toi, de vous... Il a toujours dit que tu reviendrais, mais il a trouvé le temps long.
Harry accueillit ses paroles avec un silence coupable, encore une fois.
– Je n'avais jamais réalisé à quel point il m'avait manqué aussi.
Et Merlin que c'était vrai ! Il lui avait fallu attendre plus de dix ans pour s'autoriser à penser que ses proches d'alors avaient laissé un vide dans son cœur que rien n'était venu combler.
Mais il ne voulait pas plonger dans des pensées sombres et coupables, dans les réminiscences du passé aussi grises et lourdes que du plomb. Il voulait retrouver la paix et l'équilibre qu'il avait regagnés tout à l'heure dans la serre, l'ivresse de la volupté qu'il avait connue ce matin et les taquineries qu'il pouvait se permettre avec les uns et les autres. De la légèreté. Quelque chose de simple et de facile. Pour une fois.
.
.
Daphnée dut saisir son trouble, lui offrant un sourire tranquille et amical, mais sans se détacher de son but.
– Lucius m'a expliqué ce que tu avais fait à Sainte-mangouste... pour lui, commença-t-elle tandis qu'il sursautait presque. Tu as l'air surpris ?
– Oui, fit Harry en reprenant une attitude plus neutre. Draco n'avait pas l'air au courant hier...
Que Lucius se confie sur cela l'étonnait déjà, mais que ce soit à sa belle-fille plutôt qu'à son fils...
– C'est normal, il m'en a parlé hier pendant que tu discutais avec Draco...
– Vous avez l'air... très proches, avec Lucius, l'interrompit-il.
Elle eut un rire mutin et son regard inquisiteur le dévisagea longuement.
– C'est un reproche ? s'amusa-t-elle, avant de confier : C'est vrai, j'ai beaucoup de tendresse pour lui. C'est un homme brillant, d'une culture incroyable. Un véritable esthète... Et il est d'une délicatesse parfois difficile à croire quand on le voit comme ce matin.
– Un esthète ? fit-il surpris, sans s'appesantir sur ses dernières paroles.
– Oui ! s'exclama Daphnée en riant. Lucius a une vraie passion pour l'art, et un goût très sûr. Tu lui demanderas de te faire visiter sa fondation un jour... C'est un trésor !
Harry était surpris. Le Manoir regorgeait de choses précieuses mais, hormis deux ou trois tableaux ou sculptures, et les quelques photos qu'il avait vues dans la chambre de Severus, rien ne s'apparentait à de l'art pour lui. En même temps, il ne pouvait honnêtement pas prétendre y connaître grand chose.
– Bref, fit Daphnée en souriant. Ce n'est pas le sujet... Mais Lucius m'a dit ce que tu avais fait pour lui. Il a une très grande estime pour toi. Et une entière confiance, tout comme Draco...
Elle avait retrouvé un sérieux presque dérangeant sur son visage si doux.
– Je..., hésita-t-elle. Nous avons décidé d'accepter ce que tu proposais pour Minerva...
Il tourna vers elle un regard surpris. Ses méandres dans la conversation l'avaient perdu et il ne s'attendait pas à aborder ce sujet par ce biais-là. Fallait-il donc l'approbation de Lucius pour qu'elle soit encline à lui faire confiance ? L'idée était un peu dérangeante, mais Minerva était sa fille après tout, et Daphnée ne connaissait pas, ne ressentait pas la magie. Il ne pouvait que comprendre ses réserves.
– Draco m'avait pourtant paru plutôt réticent hier... Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?
Les yeux de Daphnée se voilèrent soudain, tristes et troublés alors qu'elle gardait le silence en fixant un point invisible à l'horizon.
– J'ai... perdu un patient cette nuit. Un petit garçon de neuf ans dont je m'occupais depuis plusieurs années, murmura-t-elle d'une voix brisée. Fort et courageux, mais trop malade. C'est pour ça que je suis repartie à l'hôpital ce matin. Il n'y avait plus rien à faire et... ce n'est pas très professionnel, mais ses parents avaient besoin qu'on soit là, avec mes collègues. Qu'on pleure avec eux. Qu'on leur montre que ce n'était pas seulement professionnel, justement. Que cela nous touchait... Que l'on n'était pas indifférent.
Elle se tut un long moment tandis que Harry frémissait à la douleur dans sa voix.
– Si la magie peut, ne serait-ce qu'un peu, la protéger... je ne veux pas passer à côté de cette chance.
D'un geste discret, elle essuya une larme qui perlait à ses paupières, tandis qu'il posait une main réconfortante sur son épaule.
– Je comprends... ce que peut être la douleur de la perte.
Daphnée sursauta si brusquement qu'il eut l'impression qu'elle tombait de la marche sur laquelle elle était assise. Les sourcils froncés, elle se tourna vers lui.
– Qu'est-ce que c'était que ça ?
– Quoi donc ?
– Quand tu m'as touchée. J'ai senti... J'ai vu... Un visage. Un enfant. Et quelque chose de très sombre. C'était quoi ?
Un long frisson descendit le long de la colonne vertébrale de Harry, en même temps que des sueurs froides lui glaçaient le corps.
– Un mauvais souvenir, grimaça-t-il.
– Cet enfant..., insista Daphnée avec un air bouleversé. C'était ton enfant ? Il avait le même pendentif que toi.
C'était... Qu'avait-elle perçu ?
– Pas mon enfant, non. Même si j'aurais préféré qu'il le soit.
Harry luttait pour maîtriser et rassembler sa magie en lui. Rapidement. Sans savoir comment Daphnée pouvait être affectée par ses débordements, il ne voulait pas prendre de risques. Et surtout quitter ce terrain dangereux.
– Oublie ça ! murmura-t-il d'un ton trop suppliant à son goût. En ce qui concerne Minerva, elle ne court aucun risque avec ce que je vais faire. Je vais simplement lui rendre une magie qu'elle a déjà quelque part, mais dont elle ne sait pas se servir... Ça ne peut que la rendre plus forte. Et lui ouvrir des perspectives qu'elle n'avait pas...
Daphnée le détaillait d'un regard étrange et douloureux à la fois, loin des considérations qui concernaient sa fille, mais elle n'insista pas et gardait un silence inquiet.
Harry était nerveux. Il se leva brusquement et descendit une ou deux marches pour se mettre à la hauteur du regard de Daphnée. Il avait envie de ne pas s'éterniser, mais ne pouvait se résoudre à partir. Pas comme ça. Pas maintenant.
– Daphnée, je...
– Nous te faisons confiance pour Minerva, Harry, l'interrompit-elle d'une voix douce. Le reste ne me regarde pas si tu ne veux pas en parler...
Elle lui tendit la main – avec une légère appréhension au moment du contact – qu'il saisit et il l'aida à se lever. Sans le décider, ils descendirent les marches du perron et s'aventurèrent dans les allées de gravier parfumées de l'odeur des roses naissantes, chacun plongé dans ses pensées.
.
Ils acceptaient son intervention auprès de Minerva. C'était une bonne chose pour la petite fille, même si les raisons qui avaient poussé Daphnée à cela ne lui plaisaient pas. La magie était un cadeau précieux, qui pouvait aussi être un danger dans certaines circonstances, mais l'environnement dans lequel grandissait Minerva la protégerait, Draco la protégerait, ainsi que Lucius et Severus. Elle serait l'égale de sa sœur, sans différence, sans distinction entre elles qui avait l'air de parfois la blesser. Resterait Daphnée, moldue dans une famille de sorciers...
– C'est indiscret, peut-être, commença-t-il, mais as-tu songé que tu serais désormais la seule, entre ton mari et tes filles, qui ne connaîtrait pas la magie ?
Elle haussa les épaules en souriant.
– Peu importe. J'ai grandi sans. La magie n'est pas ma vie, ni mon univers. Notre façon de vivre, avec Draco, en est éloignée. Sans doute, elle sera maintenant plus présente si Minerva devient à son tour une sorcière... mais ça ne change rien. Je préfère protéger ma fille, et la mettre sur un pied d'égalité avec sa sœur, que passer à côté de cette possibilité pour avoir un enfant à mon image... Et puis... pour Draco, c'est important.
– Pourtant..., hésita-t-il. Il a l'air de bien le vivre. Quand je lui ai parlé hier de ce que je pouvais faire pour Minerva, j'avais presque l'impression que cette idée le dérangeait...
– Draco ment bien, rit-elle avec légèreté. C'est un héritage de son père, et les filles suivent la voie à mon grand désespoir. Il n'avouera jamais ce qu'il ressent à ce sujet. Il s'est résigné. Mais ça l'a beaucoup touché. Quand tu lui en as parlé... il voulait juste ne pas y croire trop fort sans espoir.
Sans savoir se l'expliquer, Harry ressentit un grand élan de tendresse envers son ami. Draco et ses blessures l'avaient toujours profondément touché, au-delà de ce qu'il avait pu éprouver pour d'autres. Sans doute parce qu'ils avaient vécu des choses en miroir, mais aussi fortes l'un que l'autre.
– Vous faites une famille magnifique, dit-il pensivement.
Elle eut un rire surpris.
– Merci ! Ça t'arrivera aussi un jour !
Dans sa voix, il n'y avait ni ironie, ni condescendance, juste une espèce de confiance aveugle en l'avenir.
– Je ne crois pas. Je n'ai jamais su ce que voulait dire ce mot.
– Magnifique ? fit-elle en riant. C'est la couleur de tes yeux !
– Non. Fa...
Il s'interrompit devant son regard taquin. Daphnée se moquait gentiment de lui avec un sourire désarmant et il lui sourit à son tour.
.
.
Elle le prit par le bras et le conduisit vers un recoin du parc où il n'était encore jamais allé, un labyrinthe de verdure où ils croisèrent au détour d'une allée un paon blanc dont les plumes crénelées formaient une traîne semblable à une robe de mariée. Ils se perdirent dans le dédale de végétation, cherchèrent leur chemin sous un soleil radieux, se cachèrent et rirent comme deux enfants qu'ils n'étaient plus depuis longtemps.
Ils finirent par s'en extirper, essoufflés et échevelés d'être passés à travers les branchages pour regagner plus vite la sortie.
Daphnée riait encore, les yeux brillants et sa joie faisait plaisir à voir.
– Ce truc est un piège, dit-elle. Je le soupçonne d'être magique et de ne pas vouloir laisser sortir les gens qui s'y aventurent !
Ils remontaient tranquillement vers le perron du Manoir et les portes-fenêtres grandes ouvertes du Petit Salon, dans lequel ils devinaient vaguement la silhouette de Severus dans son fauteuil et celle d'Iris, toujours assise sur ses genoux, et plongée dans ses bras comme dans un refuge.
Parvenu sur la dernière marche de l'escalier, Harry s'arrêta, perdu dans sa contemplation muette. Dans une attitude de patience infinie, penché par dessus l'épaule si frêle de la fillette, Severus corrigeait doucement la lecture hésitante d'Iris, les mots ânonnés d'une voix peu sûre d'elle et la prononciation parfois aléatoire. Elle avait l'air si minuscule entre ces grands bras qui l'entouraient avec légèreté et si vulnérable contre sa poitrine immense. De ses longs doigts que Harry n'avait jamais vus si délicats, Severus écarta du visage d'Iris une mèche de cheveux tombante et la glissa derrière son oreille qui semblait ridiculement petite à côté de sa main. La différence de taille entre Iris et son grand-père lui parut brusquement sidérante et la fragilité de la fillette augmentait cette impression de calme et de douceur lorsqu'il s'occupait d'elle.
– Il a toujours été aussi... maternel avec elle ? fit-il rêveur.
À côté de lui, Daphnée pouffa légèrement, sans perdre une miette de sa contemplation.
– Je ne suis pas sûre que le terme lui plairait, mais il a toujours été comme ça, oui. Très proche d'elle, presque fusionnel, depuis toute petite. Au point que, bébé, elle s'endormait plus facilement dans ses bras que dans les nôtres... Et Iris est fascinée par Severus, elle l'a en adoration et il obtient d'elle tout ce qu'il veut.
Elle souriait tendrement à sa fille et à son grand-père, inconscients de son regard, tandis qu'il ne pouvait détacher ses yeux de la délicatesse de son amant.
– C'est lui qui lui a appris à lire, ajouta Daphnée songeuse. Avec Minerva, c'est différent. C'était la première-née, l'aînée de la nouvelle génération. Lucius s'en est davantage occupé et Severus lui a laissé prendre toute la place qu'il souhaitait. Mais avec Iris... C'est sa princesse.
Harry avait peine à imaginer Severus avec un nouveau-né dans les bras, le berçant avec délicatesse au point de l'endormir... mais au vu de ce qu'il avait sous les yeux, plus rien ne lui paraissait impossible. Et s'il devait un jour ne garder qu'un seul souvenir de Severus, ce serait l'image de cette tendresse insoupçonnée et si attendrissante.
.
– Si je n'avais pas toute confiance en vous deux, fit soudain la voix de Draco, je me demanderais d'où vous sortez, aussi débraillés et échevelés !
Harry et Daphnée se regardèrent mutuellement, étonnés de se trouver l'un avec la chemise défaite et sortie du pantalon, l'autre avec des brindilles dans les cheveux, tous deux aussi décoiffés que s'ils s'étaient roulés par terre, et ils éclatèrent de rire de concert sous l'œil amusé de Draco et de Severus qui l'avait rejoint sur le perron.
– Harry, changer de bord ? ironisa Severus. Impossible !
Son ricanement moqueur contenait bien des aveux implicites sur la certitude de sa sexualité, que Harry ne voulait pas voir étalés au grand jour et il garda sa réplique pour lui. Mais il perçut en revanche le regard interrogateur de Daphnée et s'en étonna. Draco ne lui avait-il rien dit à ce sujet ? Il n'avait peut-être pas voulu révéler à sa place ce qui appartenait à son intimité, mais qu'elle ne l'ait jamais découvert au détour d'une conversation avec son mari ou Luna lui semblait pour le moins surprenant.
Il s'apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre à l'interrogation muette de Daphnée, lorsque la voix fluette d'Iris le devança.
– C'est quoi changer de bord, Sévie ?
Harry éclata de rire, attendant avec bonheur de voir comment son amant allait se dépêtrer de la question. Sans paraître décontenancé le moins du monde, Severus expliqua :
– C'est quand tu préfères quelque chose et que, tout d'un coup, tu changes de préférence et que tu n'aimes plus la première... Par exemple, tu adores les pots de glace à la fraise, et brusquement, tu ne les aimes plus et tu te mets à aimer les esquimaus à la vanille...
Il se tut un instant, puis grimaça à demi, tandis que Harry explosait de rire, rapidement suivi par Draco.
– Hum... Mauvais exemple. Mauvaise image mentale.
– Pitié, Severus, hoqueta son filleul. Certaines choses ne sont pas bonnes à dire !
Légèrement en retrait, Daphnée pouffait plus discrètement, les roues rouges et les yeux brillants.
– Par Merlin, Severus ! bredouilla Harry les larmes aux yeux. C'est une chose que Draco ou moi pourrions suggérer, mais pas toi !
Si l'un d'entre eux le remarqua, son tutoiement spontané ne fut pas relevé et ils riaient encore de concert lorsque Lucius et Minerva arrivèrent à leur tour sur le perron, interloqués de les voir tous s'esclaffer, hormis Severus passablement contrit de sa bévue et Iris dont le visage incertain reflétait une parfaite innocence.
– Eh bien ? fit Lucius avec un regard appuyé vers Harry, dont il avait sans nul doute remarqué la familiarité envers Severus. Que nous vaut ces rires à gorge déployée ?
– J'ai eu un mot malheureux, répondit Severus en les fusillant du regard, et les adolescents sont de retour...
– Severus nous expliquait pourquoi il préfère les esquimaus à la vanille plutôt qu'à la fraise, ricana Harry.
– Toi ? s'étonna Lucius en se tournant vers son compagnon. Mais tu détestes la glace ?!
.
.
Ils avaient fini par se calmer au bout d'un long moment, évitant de se regarder pour ne pas se remettre à pouffer bêtement, et tentaient par tous les moyens d'esquiver les questions des filles qui ne comprenaient toujours pas la raison de leur hilarité. Severus, lui, bougonnait toujours sous le regard tendre et vaguement moqueur de Lucius.
– Une petite séance de quidditch serait de bon ton pour calmer un peu ces jeunes gens, je crois, fit-il en souriant.
Il n'en fallut pas plus à Draco qui sauta sur l'occasion pour faire venir d'un coup de baguette magique les deux balais rangés dans un placard du hall d'entrée.
– Excellente idée ! jubila-t-il. Et cette fois-ci, tu n'y couperas pas !
Harry tenta bien de protester que le fou rire avait ravagé ses abdominaux et qu'il n'était pas en état, mais rien n'y fit, et tous ensemble, ils se dirigèrent vers un pré au fond des jardins du Manoir.
Merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. N'hésitez pas à laisser un commentaire pour me donner vos impressions
On commence à l'aborder un peu plus dans ce chapitre, et ce sera un des arcs secondaires de l'histoire: je trouvais intéressant de parler de la perception de l'homosexualité, au niveau privé (la famille, les amis), mais surtout au niveau public (Lucius est une personnalité publique et un ancien Ministre). Je trouve trop facile, comme dans beaucoup de fanfictions, de dire que le monde sorcier est tolérant sur ce point-là; il ne l'est pas concernant la question du sang (Sang-Pur/ Sang-Mêlé), je trouve illogique qu'il le soit concernant l'homosexualité. Les personnages doivent donc faire face au regard extérieur, choisir de s'assumer ou non, de se montrer ou non, avec les difficultés que cela comporte, comme dans le monde réel. Et parfois, notre propre ennemi, c'est nous-mêmes.
Au plaisir de vous lire
La vieille aux chats
