Résumé: Grâce à la magie de Harry, Minerva devient une sorcière à part entière, mais Severus reste méfiant devant ce phénomène. Blessé dans ses sentiments et acculé par Lucius, Harry se voit contraint de se dévoiler et de lui avouer sa confiance absolue; son souhait après l'avoir vaincu en duel n'est rien d'autre que de passer une nuit avec lui.


Les maisons hautes et étroites serrées les unes contre les autres paraissaient anodines aux yeux des fillettes, mais leurs habitants et leurs magasins l'étaient moins. Elles ouvraient des yeux émerveillés devant les sorciers vêtus de robes, les affiches ornées de personnages en mouvement, les hiboux en nombre qui volaient vers la poste du village et les démonstrations des farces et attrapes des frères Weasley dans la devanture de leur magasin.

Aux yeux de Harry, Pré-au-lard avait peu changé, malgré quelques demeures supplémentaires et de nouvelles échoppes, mais l'impression de dépaysement était immense. Il n'était pas venu là depuis... ce qui lui semblait une éternité, et à chaque coin de rue, devant chaque boutique, un souvenir prégnant se rappelait à lui et le transportait loin en arrière. Il s'attendait presque à voir surgir Hermione ou Ron au détour d'une porte, à entendre une voix familière le héler de loin ou à croiser un professeur qui le réprimanderait sur son attitude rêveuse au beau milieu de la rue.

Draco n'avait pas l'air plus serein, et sa voix troublée rompit le silence entre eux.

– Merlin tout-puissant ! Ça faisait une éternité que je n'étais pas venu ici ! lâcha-t-il d'un souffle. Ça te fait le même effet qu'à moi ?

– L'impression d'avoir plongé la tête dans une pensine ? Oui, complètement.

– Je crois bien que la dernière fois que je suis venu, c'était avec toi, en dernière année; on s'était saoulés à la Tête de Sanglier avant les Aspics...

– Tu crois qu'Abelforth est encore vivant ? murmura Harry.

– Je ne sais pas, répondit Draco, presque sur le même ton. Ça fait longtemps quand même...

Ils se turent tous les deux, pris dans leurs souvenirs troublés, tandis que Daphnée les regardait d'un œil circonspect, sans comprendre cette impression douloureuse et doucereuse d'avoir fait un bond en arrière dans le temps.

– Tout va bien, les garçons ? Vous avez l'air... ailleurs.

Ils hochèrent la tête de concert, aussi muets l'un que l'autre. Ils n'étaient pas ailleurs mais plutôt loin dans le passé, et cette sensation imminente qu'un élève de Poudlard ou un professeur allait surgir devant eux ne voulait pas passer.

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Daphnée tourna brusquement la tête, son attention captée par ses filles qui s'extasiaient sur une robe magnifique en devanture de chez Gaichiffon, les détails fantaisie du col, les volants et les jupons, bouffants à souhait, les petites manches décorées de rubans...

– Maman, maman, t'as vu comme elle est belle ! On peut l'acheter, dis ?!

– Je vais faire des emplettes avec les filles, leur fit-elle avec un clin d'œil. Ça vous laissera le temps de vous reprendre !

– Tu leur diras d'envoyer la note au Manoir, répondit Draco dans un sursaut. Je réglerai plus tard. On sera aux Trois Balais.

Il désignait de la main le pub au coin de la rue, un peu plus loin. Daphnée hocha la tête en souriant avant de s'échapper vers ses filles qui jubilaient à l'idée de faire les boutiques.

– Ça ne t'ennuie pas ? fit Draco en se tournant vers lui. Si jamais il est encore vivant, je n'ai pas très envie qu'il nous reconnaisse.

Harry déglutit avec peine à l'évocation de cette simple possibilité. Il ne voulait pas être reconnu, il ne voulait pas de questions, d'interrogatoires, ni avoir à se justifier ou à raconter quoi que ce soit. Et Abelforth les avait trop connus à la fin de la guerre et l'année suivante pour ne pas s'étonner de la présence d'un grand blond à l'allure aristocrate et d'un petit brun aux yeux verts émeraudes, même si sa cicatrice avait quasiment disparu dans les prémices des rides sur son front.

– Ça me va très bien, souffla-t-il. Mais Madame Rosmerta ?

– Elle tient le Chaudron Baveur maintenant. Viens.

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L'endroit était comme dans leurs souvenirs, rempli de voix et de rires, animé, avec des recoins obscurs où se faufiler en toute discrétion. Ils s'installèrent au fond du pub, loin de la porte et loin des regards, à une petite table ronde en bois sombre martelée par l'âge et l'usage. Une jeune serveuse souriante vint prendre leur commande; par réflexe, Draco demanda deux bièraubeurres, mais ils se regardèrent un moment en se demandant s'ils n'avaient pas besoin de quelque chose de plus fort.

– Comment ça se fait que tu ne sois jamais revenu à Pré-au-Lard ? s'interrogea Harry.

Draco haussa les épaules en parcourant du regard la salle et les clients qui s'empressaient autour du comptoir en taquinant la patronne sur son décolleté.

– À part pour le travail, au quotidien je vis dans le monde moldu. Je ne fréquente que les stades de quidditch et de temps en temps le Chemin de Traverse... Même Poudlard, je n'y suis revenu qu'une fois ou deux voir Luna... D'ordinaire, elle vient chez moi ou on se retrouve ailleurs.

– Rien n'a changé, en fait, fit Harry pensivement, en détaillant par la fenêtre la rue commerçante et les clients qui entraient ou sortaient des magasins.

– Non. Seulement nous...

La patronne du pub s'approcha d'eux avec un plateau chargé de bières et un large sourire sur le visage. Devant chacun, elle posa une choppe d'une belle couleur ambrée, tiède à souhait et surmontée d'un onctueux nuage de mousse.

– Cuvée spéciale, les garçons. C'est la maison qui offre, fit-elle à mi-voix, de façon à ce que personne ne l'entende. Harry, ça fait plaisir de te revoir au pays ! Draco... Vous m'en direz des nouvelles !

Harry sursauta tandis qu'ils fronçaient tous les deux les sourcils, dévisageant la patronne d'un air interdit. Elle lui disait quelque chose, ces longs cheveux blonds, la mâchoire un peu carrée et ces grands yeux bleus, mais il n'arrivait pas à remettre un nom dessus. Qui donc pouvait ainsi les reconnaître et se soucier en même temps de leur discrétion ? Qui donc pouvait être au courant de son retour ?

– Hannah ? fit-il soudain. Hannah Abbot ?

– Neville ne t'avait pas dit où je travaillais, n'est-ce pas ? fit-elle avec un clin d'œil complice.

Il bredouilla des paroles incompréhensibles, encore tout à sa surprise. Neville lui avait bien dit qu'il était marié avec Hannah, mais ne s'était jamais étendu sur son épouse, et encore moins sur son métier. À peine Harry savait-il qu'il vivait à Pré-au-Lard lorsqu'il n'était pas à Poudlard; il comprenait à présent pourquoi.

– Passez nous voir un jour, dit-elle en s'éloignant pour servir d'autres clients. Le pub est fermé tous les lundis. Ça nous fera plaisir !

– Je ne me souviens même pas d'elle, murmura Draco.

– Elle n'était pas dans ta maison...

Hannah Abbot saluait d'autres clients, un peu plus loin, avec un sourire affable, glissant un mot à chacun avec une désinvolture surprenante. C'était une belle femme, avec des rondeurs là où il le fallait, solaire et joviale, et qui semblait très à l'aise dans son rôle de patronne de pub. Neville avait de la chance.

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– Je déteste cette impression de revivre le passé ! grimaça Draco en reposant sa bière. Je comprends mieux ce que tu dois ressentir depuis que tu es revenu... Ceci dit, elle est fameuse !

Harry prit une gorgée de bière à son tour, en ayant l'impression de goûter une madeleine de Proust. Elle était fameuse en effet, bien meilleure que dans ses souvenirs. La bièraubeurre des Trois Balais était réputée, mais on ne devait pas servir la cuvée spéciale aux élèves qu'ils étaient à l'époque...

– Tu regrettes ? fit Draco en tournant la tête vers lui devant son silence.

– La bière ?

– Non. D'être revenu, idiot !

Il regarda Draco dont les yeux gris le sondaient de manière insistante, puis esquissa un sourire.

– C'est une manière subtile de me demander si je vais repartir ?

– Pas si subtile que ça, apparemment, mais y a de l'idée...

Harry détourna le regard vers l'ensemble de la salle et son ambiance conviviale. Les hommes au comptoir parlaient du dernier match de quidditch en plaisantant sur les plus mauvaises équipes de la saison. Celle de Draco était loin devant, heureusement.

– Très certainement, oui. J'ai besoin de repartir chez moi... mais pas aussi longtemps.

Le visage de Draco s'était tendu un instant, et paraissait à présent soulagé, même s'il restait méfiant.

– C'est quoi « pas aussi longtemps » ?

– Je ne sais pas. Mais je ne pourrais pas disparaître à nouveau comme je l'ai fait. Je suis trop heureux de vous avoir retrouvés, toi et ta famille, Luna et sa folie, Neville et Poudlard... Même ton père me manquerait avec ses manières alambiquées et ses paroles à double sens ! Et puis Severus...

Il s'interrompit; il n'avait rien à dire sur Severus. L'évidence parlait d'elle-même.

– Il t'a blessé ce matin, pendant le duel...

– Rien que je ne puisse soigner, je t'assure.

– Tout de même ! Ta chemise était trempée de sang !

Harry haussa les épaules.

– Et lui ? demanda Draco.

– Je ne lui ai pas tiré une goutte de sang, si c'est ta question ! fit-il en riant. Des gouttes d'autre chose peut-être, mais pas de sang.

Draco laissa filer un petit silence, puis le regarda avec des yeux ronds à mesure que son allusion faisait jour dans son esprit.

– Tu es dégueulasse ! s'exclama-t-il en grimaçant à nouveau. Je ne veux rien savoir de ce que vous faites !

– Des gouttes de sueur, Draco, de sueur..., ironisa Harry pour le rassurer. Et je t'ai connu moins prude que ça !

Ils éclatèrent de rire en chœur, comme il y a si longtemps.

– N'empêche, j'ai trouvé Severus bien fatigué au déjeuner, et je comprends mieux pourquoi à présent ! fit Draco avec un air salace.

– Il a beaucoup puisé dans son énergie magique pour le combat, et... j'admets que j'ai un peu dévié sur la fin, concéda-t-il avec un sourire gourmand.

– Je ne veux rien savoir, je t'ai dit ! Et tout de même, vous pourriez choisir d'autres moments pour vous envoyer en l'air !

– Mais nous nous sommes vraiment battus ! se défendit Harry. Pour preuve, ma chemise !

– Mais comment se fait-il d'ailleurs, qu'il ait réussi à te blesser, et pas toi ?

La surprise de Draco n'était pas feinte. Il savait Severus très bon duelliste, mais la puissance de Harry n'était plus un secret pour aucun d'entre eux.

– Severus et ton père s'entraînent régulièrement depuis des années. Et pas pour rire, crois-moi ! J'ai dû soigner Lucius il y a dix jours, à qui il manquait un morceau de bras ! ricana Harry sans voir le froncement de sourcils de Draco. Severus est bien plus puissant qu'il y a des années. Et puis... moi je ne sais plus me battre. Et je ne peux plus...

– Comment ça, tu ne peux plus ?

– Je peux lancer des sorts d'entrave, de désarmement, d'immobilisation, des Stupefix sans doute... mais aucun sortilège d'attaque. Ma magie ne le permet pas, elle se retourne contre moi. Tu as vu à la piscine ce que m'a fait le seul sort de Découpe que j'ai lancé à Severus, rappela Harry en relevant sa manche et en dévoilant une longue entaille violacée sur son avant-bras.

– Je n'avais pas fait attention, murmura Draco, interdit. Tu as déjà des cicatrices partout... je n'avais pas vu. Tu ne peux pas la guérir ?

– Pas celle-ci, visiblement. C'est un rappel sans doute...

La blessure guérirait d'elle-même, mais il ne pouvait rien faire pour la faire cicatriser plus vite. La sensation de tiraillement lorsqu'il bougeait son poignet durerait quelques jours, mais nul doute qu'il se souviendrait, la prochaine fois, des limites à ne pas dépasser avec sa magie. Cela étant, il aurait préféré une démonstration moins cuisante !

– Donc tu es désarmé ? s'alarma Draco. Nous ne sommes plus en guerre, mais tout de même, c'est...

– Je ne dirais pas ça. Je dois juste me battre autrement... Mais comme tu l'as dit, nous ne sommes plus en guerre.

Le ton de sa phrase était suffisamment péremptoire pour que Draco sente qu'il ne voulait pas aller dans cette direction-là et qu'il détourne le regard.

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Passant la porte avec entrain, un groupe de quelques hommes déjà bien éméchés s'installa dans le fond de la salle, poussant la chansonnette à la gloire de l'un d'entre eux, bientôt marié.

– Tu me diras un jour ce qu'il s'est passé là-bas ? le pressa Draco en sautant du coq à l'âne.

– Là-bas où ? fit Harry surpris avant de se renfrogner en comprenant ce qu'il lui demandait.

Draco ne lui en avait pas reparlé depuis la première fois où il lui avait quelque peu raconté sa vie, mais il sentit soudain la curiosité qui taraudait son ami, amplifiée depuis qu'il l'avait vu torse nu lors de leur match de quidditch et dans la piscine. Les cicatrices qui parcouraient son corps posaient des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Pas ici, pas maintenant, et si possible jamais.

Harry gardait un silence coupable. Certes, il avait promis à Draco, mais il aurait espéré qu'il oublie, ou qu'il ait la courtoisie de ne pas s'en souvenir.

– J'aimerais juste comprendre ce que tu as vécu, Harry... Tu es le même, et pourtant tu es parfois si différent... si étrange.

– Étrange ? ricana-t-il d'une voix étranglée. Je... Draco, je sais que je te l'ai promis, mais...

Mais en échange de ces confidences, il avait aussi exigé une promesse de son ami, celle de le mettre hors d'état de nuire si la folie le reprenait. Et même s'il s'accordait mieux avec sa magie, cette possibilité ne serait jamais à exclure. Draco devait comprendre ce qui l'avait poussé à réclamer cet engagement, et l'importance que cela avait pour lui. Il faudrait le lui dire un jour... ou lui montrer; malgré tout.

– Je le ferai.

Draco n'avait pas ajouté un mot et se contenta de hocher la tête, en détournant le regard vers la fenêtre et les passants dans la rue. Une lueur tendre se mit à briller dans ses yeux gris et illumina l'ensemble de son visage où naissait un large sourire. Harry tourna la tête vers l'extérieur et aperçut les silhouettes de Daphnée, Minerva et Iris qui s'approchaient du pub, rayonnantes.

– Une dernière question, fit Draco précipitamment avec un regard de nouveau sérieux. Pendant ton duel avec Severus ce matin, Minerva est venue me faire une petite démonstration des sortilèges que tu lui as appris... Est-ce que... elle possède encore de ta magie ?

Il fallut à Harry un petit effort de maîtrise pour cacher son air ennuyé. Il aurait voulu d'abord faire le point sur les capacités de la fillette avec Luna avant d'en parler à Draco, mais Minerva n'avait pas résisté à la fierté de montrer ce dont elle était capable.

– Non, avoua-t-il. Elle n'a que la sienne propre, mais... je la trouve particulièrement douée.

Autant ne pas lui mentir. Si Draco posait la question, c'était qu'il avait été surpris lui aussi.

– Je vois, fit-il simplement. Elle m'a impressionné moi aussi. Je ne me souviens pas avoir été si doué à son âge, et pourtant mon père avait commencé aussi à m'apprendre de bonne heure...

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Les fillettes entrèrent en trombe dans le bar, plus tumultueuses à elles deux que la bande d'amis qui fêtait un enterrement de vie de garçon et ceux qui discutaient au comptoir. Sans s'arrêter sur les têtes qui se tournaient sur leur passage et les conversations mises en suspens, elles sautèrent au cou de Draco avec une joie communicative.

– Papa ! Tu verrais la trop belle robe qu'on a achetée ! s'écria Iris. Elle est rose, avec des petites fleurs blanches, et...

– Encore du rose ! grimaça Draco.

– J'ai aussi pris des choses moins... roses, rit Daphnée.

– Et moi, j'ai choisi un short en jean, des tee-shirts et un blouson trop mignon, ajouta Minerva.

– Ta fille commence à avoir des goûts bien affirmés ! plaisanta sa mère.

– Allez, montrez-moi ça !

– J'ai tout fait envoyer chez Lucius. Il faut croire que ton nom ouvre bien des portes ! À peine j'ai demandé à la vendeuse de faire parvenir la facture au Manoir Malfoy que la propriétaire du magasin a surgi en proposant d'y faire porter aussi les paquets !

Du coin de l'œil, Harry vit quelques regards se tourner vers eux à la mention du nom de Draco. On le dévisageait de manière un peu plus approfondie, et il perçut une ou deux exclamations étouffées et surprises, tandis qu'un des hommes au comptoir commençait à descendre de son tabouret avec l'intention manifeste de venir vers eux.

Sans qu'aucun ne l'ait vue venir, l'homme croisa sur son chemin Hannah Abbot, surgie de nulle part mais de la manière la plus naturelle qui soit. Elle s'arrêta devant lui, interrompant sa progression, et en trois mots affables et un sourire radieux, le renvoya d'où il venait avant de disparaître à son tour vers le fond de la salle.

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Ce ne fut qu'une fois le village à quelques centaines de mètres derrière eux que Harry sentit se relâcher la tension qui l'avait habité pendant qu'ils étaient à Pré-au-Lard. La foule anonyme l'inquiétait encore; la peur d'être reconnu, d'être de nouveau exposé au regard des gens en tant que Harry Potter ne l'avait pas quitté, même après toutes ces années. Il avait tant lutté pour fuir la scène médiatique qu'il redoutait d'y être à nouveau confronté. Être Brian Evans, reconnu par quelques puristes pour son travail était acceptable, redevenir le Survivant sur les lieux où il avait grandi et où il s'était battu pour tuer Voldemort ne l'était pas. Il ne voulait plus être cette idole, ce bouc émissaire à la fois adulé et sacrifié pour la bonne cause, ni même l'image qu'en avaient gardée les gens.

Il chassa péniblement ces pensées sombres de son esprit pour se concentrer sur Draco et sa petite famille, si simples et si naturels, si agréables qu'il se sentait avec eux aussi bien qu'il pouvait l'être.

Draco marchait devant lui, entraîné par ses filles. Chacune d'un côté, elles le tenaient par la main et gambadaient en commentant tout ce qu'elles avaient vu de surprenant au village, tout en lui posant des tas de questions sur Poudlard et le monde sorcier. Leur ignorance relative le surprenait; elles semblaient nettement plus familières de l'usage de la montre et du téléphone portable que de celui du hibou ou des portoloins.

Sans s'en apercevoir, Harry écoutait les explications de Draco à ses filles, avec sans doute un air suffisamment étonné sur le visage pour qu'il entende Daphnée pouffer à côté de lui.

– À part chez leurs grand-pères, les filles ne côtoient pas beaucoup le monde sorcier et elles n'ont pas l'habitude de certaines choses, expliqua Daphnée en souriant.

– Draco me l'avait dit, mais j'avoue que c'est surprenant. Je ne pensais pas que vous viviez autant en dehors...

– À vrai dire, avant que tu... n'interviennes pour Minerva, nous pensions même prendre encore plus de distance. Vu sa condition, elle restait très à l'écart de cet univers. Pour ses études, nous avions prévu de l'envoyer dans un collège non-sorcier, et pour ne pas faire de différences entre elles, Iris aurait suivi, disait-elle, pensive. Aujourd'hui, tout a changé et elles pourront toutes les deux aller à Poudlard. C'est une autre vie qui s'ouvre à elles...

Harry lui jeta un œil surpris, puis son regard dériva vers son ventre, encore discret dans son pantalon moulant. Il n'avait pas songé que son geste ait pu avoir autant d'impact sur leur vie à tous. Ce n'était pas que celle de Minerva qu'il avait bouleversée, mais aussi celle d'Iris qui sans cela, n'aurait pas accédé à des études de sorcellerie, pas plus que cet enfant à naître que Daphnée portait en son sein.

– J'imagine que Maya te l'a dit ? murmura-t-elle en souriant. Tu n'arrêtes pas de regarder mon ventre et de surveiller ce que je fais, ou si je suis fatiguée !

– Ah..., fit-il, embarrassé.

Il n'avait pas eu conscience d'être aussi peu discret et s'en voulut quelque peu.

– Pourquoi..., commença-t-il avant qu'elle ne l'interrompe.

– Je sais ce que tu vas me dire. Je veux juste attendre un peu pour lui en parler, affirma-t-elle en regardant loin devant elle son mari et ses filles. Je ne veux pas lui faire une fausse joie et que tout se termine comme les autres grossesses. Il en a trop souffert.

– Autant que toi, sans doute... Je comprends tes raisons, Daphnée, mais Draco voudrait le savoir. Que les choses se passent bien ou mal, il voudrait être là pour toi, avec toi. Il t'aime trop pour que tu le mettes à l'écart.

Là-bas, Iris était partie cueillir une belle fleur rouge qu'elle offrit à son père et qu'il glissa dans la poche de poitrine de son costume.

– Je ne veux pas le blesser, murmura-t-elle.

– Ne pas savoir, ne pas avoir su... le blessera aussi. Il a confiance en toi. As-tu confiance en lui ?

– Bien sûr ! Je...

Daphnée se tut brusquement, le visage fermé, tandis qu'il devinait les pensées se bousculer dans son esprit.

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Les hautes tours de Poudlard se dressèrent devant eux avec fierté et élégance, découpées sur un ciel bleu rayonnant de lumière. Les filles écarquillèrent les yeux, Daphnée comprise, et ils franchirent les grilles de fer forgé pour pénétrer dans le parc, plus verdoyant que lorsque Harry l'avait quitté quelques semaines auparavant.

Les cours n'étaient pas encore finis et ils prirent le temps de flâner près du lac en attendant la sonnerie de la dernière cloche de la journée. Sur les berges, quelques étudiants des instituts d'études supérieures s'étaient installés, parfois allongés dans les herbes hautes, pour réviser au calme ou simplement discuter entre eux.

Ils s'assirent également, au pied des saules pleureurs qui versaient leurs branches graciles à la surface de l'eau, et picorèrent les confiseries achetées un peu plus tôt chez Honeydukes. Harry s'était demandé si le passage secret vers la statue de la sorcière borgne était encore praticable, mais passer par là aurait gâché la surprise des filles de découvrir le château au détour d'une colline. Et puis Draco ne lui aurait certainement pas pardonné de montrer à sa fille comment contourner le règlement de Poudlard alors qu'elle n'y était même pas encore élève.

Pourtant aucun d'eux ne s'était privé de le faire tout au long de leur scolarité. Et ils en avaient même bien profité la dernière année, donnant des cheveux blancs aux professeurs jamais certains de leur présence dans le château. Quand Minerva serait en cinquième ou sixième année peut-être... La carte du Maraudeur devait toujours traîner dans ses affaires au fond de sa maison.

Un sourire effleura les lèvres de Harry à cette idée, entraînant un regard interrogateur de Draco. Après tout, cette carte ne pouvait pas rester inusitée, et il fallait toujours transmettre son savoir pour se sentir utile. Ou alors, Draco avait mentionné que Georges Weasley avait des enfants, lui aussi... Ce serait un juste retour des choses après leur don inestimable !

– Non, tu ne veux pas savoir à quoi je pense, ricana-t-il en percevant le regard insistant de Draco sur lui.

– Si ça concerne Severus, je ne veux pas savoir, non !

– Même pas ! Arrête de me prêter sans arrêt des pensées malveillantes ! fit Harry en riant. Quoique... tu aurais raison !

Au bord de l'eau, Minerva et Iris s'amusaient à jeter des cailloux dans le lac, tentant maladroitement de faire des ricochets, et ils se levèrent à l'unisson pour les rejoindre et voir qui était encore le meilleur.

– Pas trop fort ! plaisanta Draco au bout d'un moment. Tu risques de casser une fenêtre des dortoirs des Serpentards !

Daphnée les regarda sans comprendre. Elle avait renoncé depuis un moment à leur demander des explications sur toutes leurs plaisanteries et leurs sous-entendus, malgré sa curiosité.

Assise dans l'herbe, détendue, elle souriait doucement pour elle-même en contemplant son mari, penché de côté avec un caillou plat dans la main, et qui s'apprêtait à tirer. Dans la chaleur de l'après-midi, il avait laissé tomber la veste et retroussé les manches de sa chemise blanche. Avec deux ou trois boutons défaits, ses cheveux blonds légèrement en bataille et les yeux brillants, il paraissait bien plus décontracté et bien plus jeune que lorsqu'ils étaient aux Trois Balais où son visage tendu était aussi strict que son costume.

Harry surprit son regard éperdu d'amour et de tendresse, et il l'envia quelque peu. Ce qu'elle partageait avec Draco était inestimable; un trésor de considération, de respect mutuel et de sentiments... un trésor qu'il désirait aussi. Il ne se lassait pas de les observer, de surprendre leur complicité, leurs regards, leurs gestes l'un envers l'autre, les lueurs de désir ou de douceur qui passaient dans leurs yeux... C'était beau. Et douloureux à la fois.

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La sonnerie de la fin des cours retentit jusque sur les rives du lac et marquait la fin de leur récréation enfantine. Draco se redressa et épousseta sa chemise, reprenant une attitude plus digne, mais son sourire radieux et ses cheveux fous témoignaient malgré lui des éclats de rire qu'ils venaient de partager.

– Allez, hop ! On va voir Marraine !

Les filles se levèrent à leur tour et ils prirent tous les cinq le chemin de l'entrée du château.

Dans le Hall d'Entrée de Poudlard, la croissance de la végétation avait suivi son cours. Une canopée sombre recouvrait le plafond, et les lianes et de hautes fougères habillaient la pierre froide des murs. Dans les feuillages, les chants des oiseaux rivalisaient de beauté, emportés par le souffle étrange d'une petite brise chaude qui correspondait peu à l'atmosphère glaciale du lieu qu'ils avaient connu.

Draco ouvrit des yeux ronds puis éclata de rire en foulant le sol tapissé d'une pelouse impeccable. Quelqu'un avait dû l'entretenir à l'aide d'un sortilège de tonte, car l'herbe courte et nette était digne d'un green de golf.

– Par Merlin ! Ça n'existait pas quand on était gosses, ça !

Iris et Minerva étaient muettes de stupéfaction, la bouche grande ouverte et le doigt pointé en l'air pour se montrer l'une à l'autre le perroquet perché sur une branche, un nid de colibris d'où s'échappaient des pépiements affamés ou bien une orchidée de la taille d'un livre.

La foule des élèves de Poudlard surgit peu à peu, glissant autour d'eux en tâchant de les éviter, étonnés de la surprise de ces visiteurs étrangers devant ce qui était devenu leur quotidien.

– Mais ça n'a l'air de surprendre que nous ! remarqua Draco en riant.

Harry n'avait encore rien dit. Il contemplait comme les autres la voûte de feuilles vert sombre, sépulcrale et envoûtante, l'obscurité nichée dans les frondaisons, cette ébauche de forêt qui lui rappelait cruellement la sienne, et ces cris d'oiseaux qu'il aurait voulu étouffés par une présence plus dense et plus animale.

La voix enjouée de Luna devant lui le tira brusquement de cette sensation de vide qu'il ressentait, comme s'il était en manque de quelque chose, d'une drogue vitale pour lui.

– Nom d'un chien, Harry ! Rappelle ta magie, tu m'éblouis !

Le sourire ironique de Luna lui fit comprendre qu'elle se moquait gentiment de lui, mais effectivement, tout à ses pensées, il se rendit compte qu'il avait laissé divaguer des volutes émeraudes qui s'échappaient vers le dôme de verdure. Sous son regard amusé, il rassembla sa magie éparpillée hors de lui en s'excusant, se souvenant soudain que Luna percevait les présences magiques d'une autre manière qu'eux.

Et il s'en souvint d'autant plus qu'à peine sa magie sous contrôle, Luna se tourna d'un seul coup vers les deux fillettes qui se tenaient à ses côtés et mit une main devant sa bouche en étouffant un cri. Son regard stupéfait passa de Minerva à lui, puis revint sur sa filleule, et ses yeux bleus se mirent à briller d'émotion. N'y tenant plus, elle lui sauta au cou en lui murmurant « Merci ! Tu as réussi ! Merci ! », et quelques instants plus tard, elle avait pris Minerva dans ses bras et tournait comme une toupie avec la fillette dont les pieds ne touchaient plus terre.

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Après avoir reposé Minerva au sol, Luna avait salué Draco et Daphnée, les yeux encore humides, en les serrant dans ses bras de tout son cœur, embrassé Iris, et les avait traînés dehors pour aller prendre l'air dans le parc. Ils en revenaient à peine, mais qu'importe, elle avait besoin de marcher un peu pour se remettre de ses émotions.

– Je savais que j'avais raison ! Maintenant, quand je vous parlerai des joncheruines et des nargoles, vous me croirez !

Harry et Draco se regardèrent brièvement avec un demi-sourire embarrassé sur le visage avant que Luna n'éclate de rire.

– Je plaisante, les garçons ! Je plaisante !

Elle fit visiter à Minerva et Iris les serres de Neville, siège de leurs futurs cours de botanique et commenta pour Draco les nouveaux bâtiments construits dans le parc et qui abritaient les classes supérieures de botanique et de médicomagie, avant de se diriger vers la lisière de la forêt interdite. En passant près du ginkgo biloba paré de ses feuilles d'or, à l'emplacement de feu le saule cogneur, Harry ne put résister à l'envie de lui demander si le passage secret vers la cabane hurlante existait toujours. Malgré ses efforts, sa voix ne fut pas suffisamment basse pour ne pas être perçue par les oreilles aguerries de Minerva.

– Il y a des passages secrets à Poudlard ? demanda-t-elle d'une voix gourmande.

– Comme dans tout bon château sorcier qui se respecte, ma princesse, et tu les découvriras en temps et en heure ! affirma Luna en riant. Puis sous le regard sombre de Draco, elle ajouta : Enfin, peut-être... mais surtout n'en parle pas à ton père !

Un peu plus loin, en aparté, elle confirma à Harry avec un air complice :

– Il existe encore. J'y installe parfois certaines créatures de la forêt interdite pour les protéger : passer l'hiver au chaud ou pour mettre bas...

– Et celui vers chez Honeydukes ? l'interrogea-t-il sans s'arrêter sur cette idée troublante d'une espèce de sanctuaire dans un lieu qui avait vu tant de douleur et de magie noire, des métamorphoses de Remus à la pleine lune, à la présence de Voldemort en passant par la mort de Severus. Qu'avait-elle donc bien pu faire de la Chambre des Secrets ?!

– Aussi. Mais heureusement pour leur santé bucco-dentaire, les élèves ne le connaissent pas !

Non loin de l'endroit où se tenait autrefois la cabane de Hagrid, s'élevaient à présent d'immenses enclos dans lesquels vivait paisiblement un troupeau d'hippogriffes. Les bêtes majestueuses déambulaient tranquillement, certaines se perdant sous le couvert des arbres avant de s'enfoncer dans la forêt.

Iris poussa un cri d'effroi en les apercevant, impressionnée par leur bec tranchant, les griffes pointues de leurs serres et leurs regards perçants. Luna lui expliqua les recommandations d'usage avec de tels animaux, comme avec toute créature : le respect et la politesse et Harry sourit en voyant pointer discrètement l'enseignante sous la marraine.

À quelques pas de là, il vit Daphnée tendre la main pour se laisser sentir par l'animal, le rassurer et montrer sa confiance. Mais la tête qui se penchait gracieusement sur ses doigts offerts était celle d'un sombral. Iris regardait sa mère faire sans comprendre, tandis que Minerva s'approchait à son tour pour tendre sa main.

Luna fronça les sourcils et vint poser ses mains sur les épaules de sa filleule.

– Qu'est-ce que tu vois ?

– Comme un grand cheval sombre, mais mort, tout maigre, avec des ailes...

Elle tourna un regard interrogateur et sérieux vers Draco qui haussa les épaules, aussi surpris qu'elle, puis vers Daphnée.

– Que toi tu puisses les voir ne m'étonne pas, étant donné ton métier, mais elle... ? A-t-elle déjà été témoin d'un décès ?

– Pas que je sache, fit Daphnée sans comprendre.

– Est-ce que ça peut être dû à la façon dont elle a recouvré la magie ? interrogea Luna en se tournant vers Harry, tandis que Draco expliquait à sa femme la particularité des sombrals.

– C'est... possible, fit-il lentement. Mais je suis aussi surpris que toi. Nos magies sont en partie liées, mais je ne pensais pas que ce soit au point de...

Cela lui paraissait hautement improbable mais il devait bien se rendre à l'évidence. La connexion entre sa magie et celle de Minerva allait plus loin que ce qu'il avait pu penser et elle avait reçu de lui davantage qu'un simple « surplus » éliminé en quelques heures. Avec un brin d'inquiétude, il espéra qu'elle n'ait perçu aucun souvenir de sa vie passée, que ce soit pendant la guerre ou bien sa vie dans la forêt.

– Mais qu'est-ce qu'il y a à voir ?! trépigna Iris.

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ooOOoo

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Lucius s'arrêta un instant pour contempler son œuvre. Severus était magnifique, debout, contraint par les liens et abandonné à sa main. Il s'approcha du corps immobilisé pour passer sa paume sur le dos et les fesses de son compagnon, caressant amoureusement les rondeurs dont la peau rougie était brûlante sous ses doigts. Quelques marques étaient d'une couleur plus soutenue, presque carmin, par endroits violacées, le sang affleurant la surface de l'épiderme.

Severus soupira sous le contact frais de sa main, le front posé contre le mur. Lucius lui laissa quelques instants pour souffler et laisser redescendre la douleur, pour calmer le feu des morsures du cuir, apaiser la brûlure sur sa peau. Son compagnon était déjà au sommet de ce qu'il pouvait endurer, sur le fil ténu entre la douleur-plaisir et l'excès. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il atteindrait les limites de Severus, encore moins le jour où il les arriverait à les dépasser, les repousser un peu plus loin. Severus était fatigué, et la fatigue le rendait plus sensible, moins endurant à la douleur. Il avait atteint son paroxysme bien plus rapidement qu'à l'ordinaire; trop rapidement à son goût. Lucius s'en doutait avant même de commencer la séance, mais il n'avait pas pu résister à son envie, à son désir de faire rougir cette peau si blanche, de laisser ses marques sur le corps de son compagnon, de le pousser au bord de la rupture, là où Severus était si beau, si désirable, si docile sous la douleur et pourtant si digne, si abandonné sous sa main et pourtant si puissant dans sa maîtrise.

Si puissant que Lucius ne parvenait jamais à résister. Cette peau rosée, qui devenait peu à peu rouge puis carmin, ces marques, cet abandon en toute confiance, cette résistance infinie le rendaient fou, incapable de résister, lui, à son désir impérieux, aux crispations frénétiques qui parcouraient son bas-ventre et son sexe jusqu'à ce qu'il se laisse aller à pénétrer Severus et à le baiser avec la même force qu'il avait mis à ne pas succomber à ses envies.

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Ils s'écroulèrent sur le lit, aussi épuisés l'un que l'autre, Severus sur le ventre, les deux bras enfouis sous un oreiller, et Lucius allongé sur le côté, parcourant d'une main douce les rougeurs encore brûlantes sur le dos et les fesses de son compagnon.

– Attrape-moi le baume de cicatrisation, je vais t'en passer un peu...

Severus haussa mollement les épaules, les yeux clos et encore lointain.

– Certaines marques sont vraiment violacées, insista Lucius avant de sourire. Tu ne peux pas résister au plaisir de les arborer devant Harry ?

– Je ne peux pas résister au plaisir d'aiguillonner un peu sa jalousie, avoua Severus en souriant sans ouvrir les yeux.

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– Il est venu me voir après le duel..., fit Lucius après un long silence.

Severus grogna au souvenir de ce qu'il avait subi, à la fois le combat et la touche finale, dont il ne savait toujours pas s'il devait la qualifier de plus bel orgasme de sa vie ou bien d'impression de mort imminente.

– Il est d'une puissance...

– Impressionnante, je sais, l'interrompit Lucius, sans cesser de le caresser. Et il n'a conscience de rien... Peu importe. Il est venu me demander la récompense du vainqueur.

– Quel rapport avec toi ? fit Severus en redressant la tête, surpris.

– Il veut passer une nuit avec toi...

Severus étudia son compagnon, longuement, plongé dans ses yeux gris si lumineux.

– Et ça t'ennuie...

Ce n'était pas même une question et Lucius ne trouva pas opportun d'y répondre. Son compagnon le connaissait mieux que quiconque; il n'avait pas besoin d'explications pour comprendre les enjeux muets, les sentiments inavoués et les interrogations qui le hantaient.

Severus se redressa complètement et le renversa sur le lit, le dominant de tout son poids, son regard sombre brillant d'une certitude féroce.

– Je t'aime. N'oublie jamais ça.

Depuis quand Severus n'avait-il pas prononcé ces mots ? Combien de fois les avait-il même prononcés ? Lucius aurait sans doute pu les compter sur les doigts d'une main...

Et Severus fondit sur ses lèvres et l'embrassa passionnément, lui ôtant toute possibilité de répliquer quoi que ce soit.

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oooooo

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Le bruit des voix surgit brusquement dans le Hall d'entrée du Manoir, celui des manteaux et des chaussures qu'on enlève, puis des pas vers les pièces communes, à la recherche d'une présence.

– Vous allez dire bonsoir et vous montez vous coucher, avertit Draco en s'adressant à ses filles.

Il était un peu tard, pas démesurément non plus, mais cela faisait plusieurs jours que Minerva et Iris veillaient jusqu'à presque tomber de sommeil... Son fils avait raison de remettre un peu d'ordre dans leurs habitudes.

Lucius baissa le son de l'écran pour pouvoir converser plus tranquillement à leur arrivée; de toute façon, il ne regardait plus le film depuis un bon moment, perdu dans ses pensées. À demi allongé sur le canapé, lové contre lui, Severus dormait.

Il aurait le réveiller, le repousser un peu, lui faire comprendre qu'il fallait se redresser pour retrouver une position normale et préserver les apparences. Pour ne rien dévoiler d'une attitude aussi intime et personnelle... Il n'avait pas le cœur à ça.

Lucius caressa doucement son compagnon, un dernier geste dans une dernière seconde de tendresse, puis, sans ôter le bras qu'il avait passé autour de ses épaules, se prépara mentalement au déferlement de leurs invités.

Les filles arrivèrent les premières, surexcitées malgré la fatigue, et entreprirent de lui raconter leur après-midi, se mettant à chuchoter dès qu'elles virent Severus endormi. Draco et Harry eurent un bref regard surpris sans toutefois émettre le moindre commentaire mais Lucius croisa longuement celui de Daphnée, tendre et souriant. Elle comprenait tant de choses de lui sans qu'il n'ait besoin de les exprimer...

– Allez ! Un bisou et au lit ! fit doucement Draco.

– On va aller se coucher nous aussi, suggéra Daphnée à l'adresse de son mari.

Ils se comprirent d'un regard et Draco hocha la tête tandis que Minerva et Iris s'approchaient pour lui glisser un baiser sur la joue, puis sur celle de Severus, le plus délicatement possible, en prenant garde de ne pas le réveiller.

Il fallait pourtant que Lucius le tire de son sommeil pour qu'ils montent eux aussi se coucher. Severus n'allait pas passer la nuit sur le canapé ! À contrecœur, il retira son bras des épaules de son compagnon et commença lentement à se redresser. Severus était si fatigué qu'il dormait profondément, pesant de tout son poids contre lui, sans réagir à son mouvement ou à sa voix qui l'appelait doucement par son prénom.

– Laissez-le dormir, fit Harry en posant sa main sur son bras pour lui signifier de ne pas bouger davantage. Je vais le faire transplaner dans sa chambre...

Il en avait presque oublié sa présence. Harry. Ses pouvoirs surprenants, démesurés, et son amour pour Severus.

Délicatement, le jeune homme passa un bras sous les jambes et le dos de son amant et ils disparurent en une fraction de seconde. Lucius resta un instant interloqué, surpris par la rapidité de leur absence, par l'évanouissement soudain du poids de Severus contre lui et surtout par cette impression de froid intense qui le saisissait.

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Il était resté quelques instants à discuter avec Draco sur le palier de l'étage, puis son fils était parti rejoindre Daphnée qui couchait leurs filles. Mais Lucius n'avait toujours pas vu Harry sortir de la chambre de Severus. Certes, il était possible qu'il transplane directement dans la sienne, mais quelque chose lui disait que ce n'était pas le cas.

Harry était bien là lorsqu'il ouvrit doucement la porte, assis au bord du lit où Severus reposait, toujours profondément endormi, aussi serein et détendu qu'il l'était quelques instants auparavant dans ses bras. À la différence près qu'il était nu, et que Harry caressait délicatement les marques pourpres sur son dos et ses fesses.

Lucius aurait donné cher pour savoir ce que pensait ou ressentait le jeune homme à cet instant même. Pour une fois, son aura ne faisait pas des siennes et il ne voyait même pas l'expression de son visage.

La main presque brune passait sur la peau blanche, violacée par endroits, avec la délicatesse d'une plume, dans un silence presque religieux. Indifférente à sa présence, si jamais Harry l'avait perçue. Le jeune homme n'avait pas bougé, ni reculé. Ni surpris, ni fautif. Juste absent. Et cette main sur son compagnon, si horripilante et pourtant si naturelle.

C'était une chose que de savoir qu'ils s'envoyaient en l'air à tour de bras, c'en était une autre que d'être témoin de cette tendresse entre eux, et Lucius sentit sa propre hésitation. Il ne savait comment réagir.

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Il y avait pourtant eu d'autres hommes depuis qu'ils étaient ensemble, avec qui ils partageaient parfois une nuit. Surtout lorsqu'ils partaient en voyage à l'étranger, comme une cerise sur le gâteau pour égayer leurs vacances. Des moldus la plupart du temps, qui ne pouvaient pas les reconnaître, parfois des sorciers qu'ils quittaient au matin après un Oubliettes.

Ils le choisissaient ensemble, un homme qui leur plaisait à tous les deux, souvent brun, bien fait, qu'ils rencontraient sur un lieu de drague homosexuel ou dans un bar. Il ne s'agissait que d'une nuit et que de sexe. Quelques baisers, des caresses, des corps nus, de la sueur et du sperme.

Lucius appréciait de voir Severus à l'œuvre, pénétrer leur partenaire d'une nuit, le baiser à grands coups de reins, haletant, puissant. Il devait être doué : la plupart criaient leur plaisir en quelques minutes et ne mettaient pas beaucoup plus longtemps à jouir sous ses assauts.

Parfois, il se caressait en le regardant faire, distraitement. Jamais jusqu'à la jouissance, mais ces gestes excitaient encore davantage Severus qui ne le quittait pas des yeux en martyrisant ces corps. Il le regardait lui, en les baisant eux. Et c'était comme s'il lui faisait l'amour.

Lucius aimait le regarder s'échiner sur ces corps fugaces, prendre ainsi une jouissance qu'il ne pouvait se résoudre à lui donner. Car il avait beau l'aimer, jamais il ne pourrait se donner de cette façon à Severus. C'était juste... inenvisageable. Et celui qui le ferait changer d'avis n'était pas encore né.

Tout comme il était inenvisageable que ces hommes d'une nuit aiment Severus de la même manière que lui. Il ne l'aurait pas supporté. Le corps de Severus lui était réservé et il n'aurait laissé aucun d'entre eux le pénétrer. Lui seul pouvait lui donner cette jouissance-là.

À dire vrai, c'était arrivé une fois. Fortuitement. Avec un marchand d'art que Blaise lui avait présenté; Karl était un collectionneur éclairé et éclectique, mécène à ses heures d'artistes que Lucius appréciait et ils avaient fini par nouer des liens d'amitié.

Un soir, au détour d'un vernissage et d'un cocktail, ils étaient montés tous les trois dans leur chambre d'hôtel pour prendre un dernier verre. Quelque chose dans le regard de Severus avait brillé. Il avait envie de sexe et l'homme lui plaisait. Son assurance, sa puissance. Ils n'avaient rien prévu mais cela s'était fait. Et Severus s'était retrouvé debout, les bras tendus appuyés contre un mur avec Karl dans son dos qui le pilonnait à grands coups de reins.

Lucius avait laissé faire, profitant du spectacle, vaguement dérangé tout de même. Jusqu'au moment où il n'avait plus supporté de ne pas intervenir. Il s'était glissé devant lui et avait commencé à sucer le sexe gorgé de sang de Severus. Doucement, délicieusement. Severus avait crié son plaisir, son besoin. Jusqu'à ce qu'ils le conduisent ensemble à l'orgasme.

Cela ne s'était jamais reproduit.

Personne d'autre que lui n'avait le droit de lui procurer ce plaisir-là. Severus pouvait prendre son plaisir sur d'autres, ou bien Lucius le lui donnait. Mais aucun ne le mènerait à la jouissance comme lui le faisait.

Jusqu'à Harry. Qui caressait si tendrement cette peau meurtrie que Lucius n'osait pas le déranger.

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Jusqu'à Harry, Severus n'avait jamais été voir ailleurs. Strictement fidèle depuis le début de leur couple, sans même que ce soit une contrainte. Aucun autre homme que lui, hormis ces partenaires fugaces qu'ils avaient eus ensemble. Il était ainsi, il n'en avait pas besoin. Lucius lui suffisait. Les autres ne l'intéressaient pas, il ne les voyait même pas.

Severus était l'homme d'un seul homme.

Lui avait eu des amants, parfois, au début... Rien de bien important, des histoires d'une nuit, de simples occasions qu'il n'avait pas manquées. Severus avait su et n'avait rien dit. Et puis les choses s'étaient arrêtées d'elles-mêmes.

Plus tard, quand il avait été conseiller, puis Ministre, il avait eu ses fameux assistants. Il avait toujours été de tradition dans les sommets européens ou internationaux, que chaque homme politique se voie attribuer une assistante. Une jolie fille, maline et dégourdie, chargée de gérer tous les détails : les emmener au bon endroit au bon moment, capable de mettre un nom et une biographie sur chaque tête, d'organiser un rendez-vous avec un partenaire politique en toute discrétion, mais aussi de trouver un médicomage de confiance en pleine nuit si besoin était, de refaire faire une garde-robe sur mesure au pied levé, ou bien de trouver une table dans le meilleur restaurant à la dernière minute. Elles étaient aussi chargées de les détendre; de quelque manière que ce soit.

Personne n'en aurait parlé ouvertement, mais ses préférences étaient connues : Lucius était l'un des rares à qui l'on attribuait un assistant.

Il les choisissait à l'avance, sur photo, avec Mandy, sa secrétaire particulière, son homme de confiance. Paradoxalement, il les préférait tout à l'inverse de Severus : des corps de danseur, musclés mais sans en avoir l'air, pas très grands, fins, élancés. Souvent un peu efféminés. Il aimait leurs manières, les entendre rire, leurs sous-entendus grivois et leurs regards piquants. Les prendre au détour d'une porte, entre deux réunions, ou dans le bureau qu'on mettait à sa disposition.

Au fil des conférences et des sommets, il avait eu ses favoris et suivant leurs disponibilités, Mandy finissait par lui choisir toujours les trois mêmes. Mark était le plus jeune des trois, mais aussi le plus débauché... et le plus beau; il n'aimait rien tant que venir s'asseoir sur ses genoux, baisser son pantalon, et après l'avoir stimulé de ses longs doigts fins, s'empaler de lui-même sur son sexe. Sa façon de rouler des fesses comme une invitation, lorsqu'il avait envie de s'envoyer en l'air faisait éclater de rire Mandy, qui les laissait rapidement seuls tous les deux pour quelques minutes.

Sean était plus délicat, plus âgé aussi, mais ses grands yeux bleus un peu tristes avaient quelque chose qui émouvait particulièrement Lucius. Il était plus tendre, plus doux, et c'était sans doute celui qui avait eu le plus de « sentiments » pour lui, une sorte d'attachement un peu fragile. Mais Sean suçait admirablement bien et après les réunions un peu difficiles, c'était le meilleur moyen de se détendre que Lucius avait trouvé.

Et puis il y avait eu Antonio. Tonio qui avait le même regard sombre et intense que Severus. Tonio qui murmurait des paroles grivoises à son oreille en pleine réunion, qui le provoquait sans cesse, qui était une incitation permanente à la débauche, ses gestes caressants, ses regards incendiaires... Tonio était plus chaud qu'une braise et Lucius avait toujours l'impression de manipuler une pépite incandescente qui allait lui exploser à la figure.

Comme les rois avaient leurs favoris, Lucius avait eu ses assistants, ses petits mignons comme il les appelait affectueusement. Et lorsqu'il avait cessé ses dernières fonctions au Ministère et quitté définitivement l'arène internationale, Mandy lui avait organisé un week-end avec ses trois assistants, deux jours de sexe et de cajoleries en guise d'adieu dont il avait eu le plus grand mal à se remettre physiquement.

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Et depuis, il n'y avait eu que Severus. Le centre de sa vie. Severus aussi solide et immuable qu'un roc. Qui ne variait pas quels que soient les courants qui le balayaient. Qui ancrait son cœur. Qui l'aimait et qu'il aimait.

Lorsque Severus avait commencé à s'intéresser à Brian Evans, à être fasciné par cette possibilité surprenante que ce soit Harry, Lucius avait cru le perdre et cela avait été destructeur. Aujourd'hui, il ne doutait plus, mais la situation n'en était pas moins ambiguë.

Il partageait Severus. Il acceptait qu'il appartienne par moments à Harry, de quelque manière que ce soit. Même sexuellement, ce dont il ne se serait pas cru capable. Mais le sexe n'était finalement que du sexe. Les sentiments et les émotions étaient pour le coup plus dérangeants. Et la tendresse dont il était témoin lui nouait doucement la gorge.

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– Laissez-le dormir, murmura-t-il. Vous aurez votre nuit avec lui une autre fois...

Harry n'avait pas bougé, et sa main parcourait toujours lentement le corps de son compagnon, délicate, s'attardant sur les zones un peu enflées où le fouet avait mordu. Il n'avait pas cherché à effacer les marques à l'aide de sa magie, à guérir les meurtrissures; il se contentait juste de les effleurer, comme s'il voulait en mémoriser le relief et les contours.

– Je n'avais pas l'intention de rester, fit-il d'une voix lointaine. Je me demandais seulement comment il dormait. Ainsi, nu, ou bien avec un pyjama, un sous-vêtement... ?

La question était surprenante, mais connaître sa réponse supposait une forme d'intimité que Harry n'avait jamais eue avec Severus. Partager du sexe n'était pas partager une nuit.

– La plupart du temps avec un pantalon de pyjama ou un boxer. Parfois nu. Couvrez-le simplement, ça ira très bien.

Lentement, Harry tira la couette sur les fesses puis le dos de Severus qui frémit légèrement au contact de la fraîcheur du tissu et se tourna pour se blottir dedans. Il avait besoin d'une longue nuit de sommeil. Les derniers jours avaient été trop intenses : trop de sexe avec Harry ou avec lui, le duel qui avait épuisé une bonne partie de son énergie magique, et la séance par-dessus tout ça... Lucius regrettait presque cette séance. Il en avait été l'initiateur, et il n'aurait pas dû. Malgré le plaisir retiré, ils n'en avaient été pleinement satisfaits ni l'un, ni l'autre.

Harry se releva sans déranger son amant, et s'approcha de lui, le regard lointain, presque absent à lui-même.

– Bonne nuit, Lucius, fit-il en sortant de la chambre.

Après un dernier regard à son compagnon, il ferma la porte pour regagner sa propre chambre et aller dormir lui aussi. Seul, lui aussi.

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oooooo

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Une lueur tremblotante projetée dans l'obscurité du couloir attira son attention. Par la porte entrouverte de la Bibliothèque, Harry aperçut les courtes flammes orangées d'un petit feu dans la cheminée, éclairant à peine la pièce sombre à l'odeur poussiéreuse si caractéristique. Les elfes avaient dû oublier d'éteindre ce feu la veille au soir et il poussa légèrement la porte, percevant dans le même temps de faibles notes de musique, à peine un murmure, qui troublaient le silence de la nuit.

Dans le canapé dos à la porte, il devina la silhouette sombre de Severus, la tête penchée en avant, le front appuyé sur ses deux mains jointes. Un piano et le doux bruissement d'un violoncelle se répondaient avec grâce pour dessiner une mélodie envoûtante dont les accords dansaient dans la pièce, revenant de loin en loin sur elle-même comme un serpent ondoyant qui se mordrait la queue. (1)

Harry resta un instant fasciné par la musique avant de s'approcher et de poser ses mains sur les épaules de son amant. Malgré sa douceur, Severus sursauta et tourna brusquement la tête vers lui, surpris, et grimaça tout aussitôt face à la douleur que le mouvement avait fait naître. Harry vit les sourcils froncés et les yeux clos, plissés plus que simplement fermés, le visage dont il devinait les traits tendus malgré la semi-obscurité.

– Qu'est-ce qui ne va pas ? murmura-t-il en posant ses lèvres sur le front moite de Severus.

– Migraine..., lâcha celui-ci en s'abandonnant de nouveau dans le canapé.

– Tu as pris une potion ?

– Oui. Mais ça ne fait pas effet.

Harry contourna lentement le canapé pour venir s'asseoir aux côtés de son amant.

– Pour l'instant, ajouta Severus en ouvrant les yeux sur son air soucieux. Ça faisait dix jours que j'étais tranquille... celle-là ne va pas passer comme ça.

Il ne put s'empêcher de se pencher vers Severus et de glisser une main tendre sur son visage et ses lèvres sur les siennes, tandis qu'il fermait à nouveau les yeux.

– Tu ne sais toujours pas ce qui les déclenche ? murmura-t-il.

– En règle générale, non. J'ai renoncé à comprendre... Mais celle-là, je sais très bien.

– Et quoi donc ? fit Harry en se redressant légèrement.

– Fatigue. Je ne sais pas à quelle espèce de compétition vous jouez, toi et Lucius, mais il m'en demande autant que toi. Je ne suis pas increvable !

Un sourire piteux apparut sur son visage. Harry savait Lucius exigeant et souvent insatiable en matière de sexe. Ajoutés à cela leurs propres ébats...

– Veux-tu que je te prépare d'autres potions ? Plus fortes ?

Severus grimaça à nouveau.

– Non. Je ne veux pas en prendre trop. Laisse-moi juste... cinq minutes. Ça va aller.

Harry se redressa légèrement en prenant appui sur le dossier et commença à se lever.

– Bien. Je vais...

Le bras puissant de Severus l'entoura et le tira vers lui et il se retrouva à demi allongé sur ses genoux.

– Reste-là, idiot ! Juste... tais-toi cinq minutes.

Sans se faire prier davantage, Harry s'installa un peu mieux et cala sa tête sur les cuisses de son amant. En se levant, Severus avait simplement passé son kimono noir et un pantalon de pyjama dont le tissu soyeux était frais sous sa joue. Il se tut, puisqu'il le lui avait demandé, profitant simplement de sa présence tendre malgré la douleur de la migraine, et quelques instants plus tard, de la caresse de sa main dans ses cheveux.

Dans la pénombre de la bibliothèque, la musique virevoltait en douceur, plus apaisante que la plus puissante des potions, et Harry se laissa bercer, ses pensées divaguant dans les méandres de souvenirs doucereux, baigné dans l'odeur enivrante de son amant.

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Devant son visage, les pans croisés du kimono étaient légèrement écartés, dévoilant une parcelle du ventre de Severus. Harry réfrénait l'envie d'y glisser les doigts et d'effleurer sa peau blanche, sans forcément aller plus loin, mais de simplement le toucher, l'embrasser. Sa peau l'attirait comme un aimant.

Le ricanement de Severus le tira de sa torpeur emplie de sentiments de désir et de douceur.

– N'y compte même pas ! J'ai bien trop mal à la tête pour ça !

Sans s'en rendre compte, il avait approché son visage du ventre de son amant, écartant le tissu de son nez pour mieux respirer son odeur, et ses lèvres frôlaient sa peau.

Harry se recula, vaguement gêné de son mouvement inconscient.

– Je ne comptais rien faire du tout, protesta-t-il en souriant. Ça ne passe toujours pas ?

Severus secoua la tête avant de grimacer de douleur à son geste stupide.

Harry se redressa et observa le visage tendu face à lui. À la graduation du froncement de sourcil, aux yeux à demi fermés et à la crispation des pommettes, il arrivait autrefois à définir la puissance de la migraine. Celles qui étaient supportables et celles qui envahissaient Severus comme un déferlement de vagues tempétueuses, dévastant tout sur leur passage. Il y a quelques années, celle-ci lui aurait fait perdre connaissance pour plusieurs heures.

– On va essayer autre chose, fit-il en se levant. Monte dans ma chambre, je vais chercher un onguent au laboratoire.

– Pas de sexe, je te préviens ! râla Severus.

– Pas de sexe, j'ai compris, sourit-il. Monte et mets-toi au lit.

– De tout façon, il fait trop chaud ici, maugréa son amant en éteignant la cheminée et la musique d'un coup de baguette.

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Lorsque Harry transplana dans sa chambre, Severus était déjà installé, à demi redressé sur un oreiller, un bras en travers du front, comme pour cacher ses yeux. S'approchant des fenêtres, il tira soigneusement les rideaux; dans un moment, le jour se lèverait et la lumière n'était pas la bienvenue aujourd'hui.

– Enlève ton kimono et allonge-toi sur le ventre.

Sans un mot, Severus obéit et se cala confortablement sur un oreiller pour soulager la cambrure de son dos, les yeux clos. Sans vergogne, Harry grimpa sur le lit et s'assit à califourchon sur les fesses de son amant. De la fiole qu'il avait remontée du laboratoire, il versa généreusement dans ses mains un liquide parfumé et entreprit d'en enduire le dos de Severus.

– Qu'est-ce que c'est ?

– Des plantes. Pharmacopée tibétaine...

Ses mains parcouraient lentement la peau, puissamment, faisant pénétrer l'onguent dans l'épiderme par de longs massages appuyés, tandis que ses yeux s'habituaient peu à peu à l'obscurité dans laquelle il avait plongé sa chambre. Sous ses doigts, les tensions des muscles se dénouaient à mesure qu'il devinait de mieux en mieux les marques rouges, parfois sombres, sur la peau de son amant. Il adoucit brusquement ses gestes, inquiet de la sensibilité de ces traces qu'il avait oubliées.

– Ça ne fait pas mal ?

– Non. Continue...

Harry reprit son massage, pensif. Il n'était même pas pas sûr que Severus, complètement focalisé sur sa migraine, ait compris de quoi il parlait. De la pulpe sensible de ses doigts, il percevait à présent les légers reliefs, soulèvements infimes de la peau à l'endroit des morsures du cuir, les traces rougeâtres qui marquaient les limites des coups les plus appuyés. Elles étaient moins visibles que la veille au soir, et dans quelques heures, il n'en subsisterait plus que quelques marques semblables à de légères ecchymoses.

Pour l'heure, Harry caressait doucement ces stigmates d'un plaisir qu'il ne comprenait pas, s'attardant davantage aux endroits où la peau était vierge des traces de Lucius. La façon dont il était sans cesse présent entre eux, même en son absence, ne cessait de l'interroger. À travers leurs paroles, leurs actes, leur manière de se comporter, ou les signes qu'il laissait de sa présence, Lucius était partout, tout le temps. Et Harry n'avait aucun doute sur le plaisir qu'il avait pris à marquer ainsi le corps de son compagnon en sachant très bien qu'il en serait le témoin.

L'odeur fraîche et épicée de l'onguent emplissait la chambre, tandis que le corps de Severus se relâchait complètement, souple et délié. Même son visage semblait plus détendu, apaisé par le cheminement lent et insistant de ses mains sur son dos. Les yeux clos sans effort ni crispation reflétaient le calme d'un demi-sommeil serein.

Ralentissant ses gestes pour ne pas troubler la quiétude naissante de son amant, Harry sollicita doucement son pouvoir pour faire apparaître de petites volutes de magie émeraude au bout de ses doigts. Il ne voulait rien imposer au corps de Severus, il n'était pas question de forcer les choses, mais il parcourait simplement la peau de son amant de ces étincelles de magie, et elle les absorbait de manière goulue, instantanée, comme si le corps de Severus s'abreuvait de cette magie pour compenser la faiblesse de la sienne.

Le duel avait trop puisé dans ses forces, bien qu'il n'accepterait jamais de le reconnaître, et l'énergie dépensée lors de cette séance avec Lucius n'avait sans doute pas arrangé les choses. Comme le lui avait dit Mayahuel, il était fatigué, et ce coup de pouce magique ne serait pas de trop pour chasser son épuisement et la douleur pulsatile qui régnait dans son esprit.

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À travers les rideaux, la lumière s'insinuait de plus en plus. Sa chambre donnait sur l'est et le ciel se colorait à présent des mêmes lueurs orangées qui avaient attiré son attention vers la Bibliothèque tout à l'heure. Un flamboiement lointain émergeait peu à peu dans une atmosphère brumeuse, éclaircissant les bleus sombres de la nuit mourante.

Un frisson le prit près de la fraîcheur de la fenêtre. Harry s'était levé un instant pour soulager ses jambes engourdies et regarder le lever du soleil, et il lui tardait maintenant de rejoindre son amant enfin assoupi, de s'allonger contre son corps pour se lover dans sa chaleur.

Il se coula silencieusement dans les draps tièdes, prenant garde de ne pas le réveiller. Sur le flanc de Severus, une marque plus sombre qu'il n'avait pas vue auparavant, attira son attention et il l'effleura d'un doigt délicat, hésitant à passer dessus un peu d'onguent pour l'aider à disparaître plus vite. Il n'avait pas osé tout à l'heure baisser le pantalon de pyjama de Severus, mais de ce qu'il en avait vu la veille, Lucius n'avait pas lésiné à marquer somptueusement les fesses de son compagnon.

L'incertitude le tenaillait, partagé entre le désir de ne pas éveiller son amant et celui de soigner les stigmates des morsures du fouet, ainsi qu'une espèce de curiosité étrange sur laquelle il ne voulait pas s'attarder.

Allongé sur le flanc, il caressa doucement le dos de Severus, de plus en plus bas, insérant sa main sous la ceinture du pantalon jusqu'à le faire glisser en bas des fesses. Elles étaient plus marquées encore que ne l'était le dos tout à l'heure et il jura intérieurement tandis qu'un long frisson parcourait son ventre.

Harry s'abandonna longtemps à la contemplation de ces marques, suivant les yeux le tracé des lignes pourpres ou rosées qui dessinaient des parallèles sur les rondeurs de ces fesses habituellement si blanches. En même temps, il guettait la respiration lente de Severus qui n'allait sans doute pas tarder à sortir de son bref sommeil.

– Je peux savoir ce que je fais cul nu ?

– J'attendais que tu te réveilles pour finir le travail, fit-il en souriant devant le regard brillant de Severus.

Sans attendre son accord, Harry ouvrit à nouveau le flacon d'onguent pour en verser directement sur les fesses de son amant et entreprit de les masser pour le faire pénétrer, effaçant peu à peu les rougeurs les plus sombres.

Au bout d'un moment, Severus grimaça et grogna son mécontentement.

– C'est douloureux ? s'enquit Harry en adoucissant son massage.

– Pas vraiment.

– C'est la migraine ?

Severus grimaça à nouveau de manière appuyée.

– Elle est passée avec ton produit miracle.

– Alors quoi ?

Deux yeux sombres s'ouvrirent pour le dévisager longuement, une lueur piquante dansant dans leur profondeur.

– Je crois que tu vas vraiment devoir finir le travail..., fit Severus en se retournant sur le dos, dévoilant une érection conséquente.

Harry éclata de rire à le vue de ce sexe dressé aux proportions plus que généreuses.

– Pas de sexe, tu as dit tout à l'heure, fit-il malicieusement.

– Peu importe ! Tu es responsable de ça, tu as intérêt à y remédier !

Les yeux de Severus lançaient des éclairs menaçants, promesse de châtiment s'il n'obtempérait pas.

– Comment ça, je suis responsable ?!

– Tu croyais vraiment que j'allais rester insensible à tes mains en train de caresser une certaine partie de mon anatomie ?!

– Eh bien, oui, minauda Harry. Je ne te croyais pas si... réactif ! Aurais-tu donc un cœur ?

Il se tut, se sentant descendre une pente glissante à travers ses moqueries, et le regard de Severus, d'une intensité presque dérangeante, le lui confirmait.

À la place, il se mit à quatre pattes au dessus du corps de son amant et s'employa à embrasser, lécher, sucer, mordiller... chaque zone qu'il savait des plus sensibles chez lui : le cou – en regrettant de ne pouvoir y laisser ses propres marques, l'endroit étant trop visible aux yeux de tous –, les tétons, déjà dressés avant même qu'il ne s'y attaque, et les creux du ventre, sur le côté des muscles qui dessinaient si bien leurs formes alléchantes.

Plus bas, il sentait le sexe de son amant pulser d'une envie non dissimulée, stimulée par sa bouche et sa langue qui se promenaient sur son corps. Et le grognement d'impatience de Severus trahissait ce désir lancinant.

Sans traîner davantage sous peine de représailles, Harry hasarda délicatement ses lèvres sur la peau douce qui entourait cette érection qui l'appelait de tous ses vœux, embrassant l'intérieur des cuisses, les plis de l'aine, glissant sa langue sur les bourses tendues, avant de saisir à pleine bouche le sexe de son amant.

Ensemble, ils n'avaient jamais fait ça de cette manière. D'ordinaire, le désir était déjà trop puissant pour qu'ils s'attardent longtemps en caresses et préliminaires. Harry aimait trop se sentir, pris, rempli, possédé... pour traîner sur une fellation.

Il savait en revanche Lucius plutôt généreux sur ce genre de pratique, et Severus appréciait grandement les caresses buccales de son compagnon. Il avait dit ne pas vouloir de sexe; juste être soulagé, et ma foi, il le serait !

Sous sa langue et ses lèvres, dans sa bouche, le sexe de Severus vibrait de ses attentions et les gémissements sourds qui s'échappaient de sa gorge témoignaient de son plaisir grandissant. Les mouvements de bassin qu'il réfrénait au début se faisaient plus violents, plus instinctifs, et la main glissée dans ses cheveux se crispait et insistait davantage pour appuyer sur sa tête et le pénétrer plus profondément.

Severus se délivra dans un cri rauque, le corps arqué en arrière, et son sexe enfoui dans la gorge de Harry aussi loin qu'il le pouvait, avant de se relâcher complètement, épuisé et en sueur.

.

oooooo

.

Severus vint s'accouder au rebord de la piscine et contempler le jardin à travers les baies vitrées de la rotonde. Secouant d'abord la tête, il passa ensuite une main sur son visage pour en chasser l'eau, avant de poser le menton sur ses bras croisés.

Lucius était parti avec Daphnée et les filles faire une promenade à cheval, et les garçons, Draco et Harry, étaient partis au pré qui servait de terrain de quidditch pour s'affronter à nouveau autour d'un vif d'or. Ils lui avaient proposé de venir mais Severus avait décliné l'offre, prétextant qu'il avait à faire les longueurs de piscine dont la migraine l'avait privé le matin même. En vérité, il préférait laisser les deux amis ensemble; Draco devait repartir le surlendemain et il sentait bien qu'ils avaient envie de passer le plus de temps possible l'un avec l'autre.

De loin en loin, il apercevait leurs deux silhouettes se découper sur le ciel blanc, voleter presque sur place pendant un instant, et puis disparaître brusquement en piqué, avant de ressurgir à plusieurs dizaines de mètres de l'endroit d'où ils avaient disparu. Ils riaient, sans doute... heureux comme des gosses.

Dans le Manoir vide, Severus avait erré de pièce en pièce. Il n'avait pas vraiment envie de nager, mais il avait fini par se rendre à la piscine, faute de mieux, empli d'un sentiment de malaise étrange. Il n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui le taraudait, une angoisse sourde, une sensation indéfinissable que quelque chose n'allait pas.

La migraine avait disparu, bien plus rapidement qu'il ne l'aurait pensé, lui laissant seulement une impression de pesanteur dans l'esprit; mais ça n'était pas inhabituel après une crise, et ce n'était clairement pas ça qui le dérangeait.

Les mains et l'onguent de Harry avaient fait des miracles et il lui en était infiniment reconnaissant. Sans cela, il aurait été bon pour passer sa journée enfermé dans sa chambre et dans l'obscurité, fuyant la lumière, le bruit, le mouvement comme autant d'épines ajoutées à sa douleur. Il savait bien aussi que dans son demi-sommeil, Harry lui avait transmis un peu de sa magie, sans insister, juste offerte, pour l'aider à retrouver son niveau habituel d'énergie magique. S'il le lui avait proposé, Severus aurait refusé, et Harry devait bien s'en douter. Il avait profité de sa somnolence, mais il ne lui en voulait pas. Ses actes partaient toujours d'un bon sentiment; à tel point que c'en était parfois désarmant...

Non, son sentiment de mal-être ne venait pas de là, même s'il n'arrivait pas à en définir l'origine. Il se sentait... à la fois vide et submergé. Inquiet. Angoissé. Perpétuellement dans l'attente d'une certitude qui ne venait pas...

Loin là-bas, les balais virevoltaient, montant en vrille vers le ciel jusqu'à ce qu'il ne les distingue plus.

Les vacances étaient bientôt finies. Draco allait rentrer chez lui, reprendre le travail, tout comme Daphnée, les filles allaient retourner à l'école et le Manoir serait vide. Désert et silencieux. Ne resterait que Harry. Qui n'avait plus de raisons de rester là après le départ de Draco. Il était venu pour le revoir, le retrouver, renouer des liens d'amitié anciens... Et maintenant ?

Qu'est-ce qui justifiait qu'il reste ?

Lucius pouvait le lui demander, et ne se priverait sans doute pas de le faire. La situation l'amusait... l'excitait, même. Mais combien de temps tout cela durerait-il ?

L'incertitude de l'avenir le taraudait. Severus savait ce qu'il désirait mais il n'était pas seul en cause... Et il était difficile de savourer l'instant présent sans savoir de quoi l'avenir était fait.

.

.

Il repensa à ce qui s'était passé le matin même, dans la chambre. Il devait avouer qu'il comprenait mal Harry. Ses réactions... parfois très détachées, et parfois excessives et très intimes. Ses secrets bien gardés. Ses grandes déclarations où il avouait sa confiance absolue, tout en refusant absolument de se confier. Le besoin qui transperçait parfois dans son comportement d'être entouré, cajolé, presque comme un enfant, et l'instant d'après, cette assurance moqueuse qui désarmait jusqu'à ses sarcasmes habituels.

Le sexe était devenu un jeu, une simple partie de plaisir, loin des enjeux et des sentiments des premières fois. Harry venait chercher des sensations, du plaisir, un orgasme... Les donner aussi, dans un échange réciproque. Mais ce matin, il avait même refusé que Severus le touche. Le plaisir avait été à sens unique, et il n'aimait pas ça. Il en gardait une sensation d'incomplétude et d'inaccompli.

Il avait voulu Harry, il l'avait eu. Jusque dans son lit. Mais il avait davantage l'impression à présent de partager du sexe que de faire l'amour.


(1) Pour les curieux, la musique est de Agnès Obel: September Song et Under Giant Trees

Merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. N'hésitez pas à laisser un message pour me donner vos impressions...

On en a déjà eu des aperçus et cela reviendra sous différentes formes: un des grands axes secondaires de l'histoire concerne la sexualité. Ce qu'on pratique, ce que l'on reçoit et ce qu'on donne de soi, ce qu'on refuse, la façon dont on en parle, les raisons pour lesquelles on fait l'amour. Le sexe peut être un plaisir, un échange mais il peut aussi être très égoïste; il peut être plein d'enjeux solennels, une façon de se faire pardonner, de se réconcilier, ou au contraire une résignation devant l'insistance ou pour avoir la paix... Ils vont également explorer des facettes moins communes de la sexualité, y chercher et y trouver des choses différentes...

A mon sens, il n'y a pas de tabous ou d'interdits en matière de sexualité (hormis la pédo/nécro/zoophilie et l'inceste), mais des règles: le respect du consentement, du corps et des envies de son partenaire. Si ces préalables sont respectés, aucune forme de sexualité, aucun désir n'est à blâmer ou à moquer. Chacun a le droit de trouver son plaisir où il souhaite tant que cela reste respectueux de soi et des autres.

Au plaisir de vous lire

La vieille aux chats