Résumé: Harry, Draco et sa famille passent l'après-midi à Pré-au-Lard et à Poudlard, pendant que Lucius et Severus passent un moment dans l'antichambre. Le soir, Lucius est troublé par la tendresse dont Harry fait preuve vis à vis de son amant tandis que Harry est troublé par les marques qu'il a laissées sur le corps de son compagnon.
Un petit chapitre qui va "remuer" un peu plus les émotions...
Draco avait fini par partir, le dimanche après le déjeuner... D'un coup de baguette, il avait rassemblé les affaires de toute sa petite famille et fait les bagages, avant de les réduire et de les glisser dans sa poche. Le repas avait été un peu morne, et triste. Les filles n'avaient pas envie de partir et le faisaient comprendre, à force de bouderies et de remarques contrariées.
Minerva avait protesté longuement, disant que l'école moldue, c'était nul et que maintenant qu'elle était une sorcière, elle devait apprendre la magie et rien d'autre. Draco avait pris sa fille à part pour un long sermon et remettre les points sur les i. Mais à peine sortie de cet entretien, elle s'était tournée vers Harry en disant :
– Et qui va me donner des leçons de magie, maintenant ?
– Ton père s'en chargera tout aussi bien que moi, s'il estime que tu le mérites, avait-il répondu, presque froidement.
Et pour atténuer la dureté de ses propos, Severus l'avait surpris un peu plus tard à serrer la fillette dans ses bras.
Comme à chaque fois, Iris avait fini en pleurs dans les siens. Malgré le temps passant, elle supportait toujours aussi mal de le quitter. Et même si cela allumait toujours dans son cœur une petite fierté de voir combien elle tenait à lui, Severus était tout aussi triste à chaque fois qu'il devait quitter sa princesse. Les premières heures n'étaient jamais faciles, avant que l'habitude ne reprenne le dessus.
La veille, ils avaient pourtant passé une excellente soirée, après une journée dans la piscine et dans le jardin. Severus avait réussi à mettre sa morosité et ses inquiétudes de côté pour profiter de ces dernières heures tous ensemble. Il avait fait aussi beau qu'ils avaient été heureux, une journée estivale avant l'heure, chaude, joyeuse, pleine de rires, où Lucius avait fini dans la piscine tout habillé, sous le regard compatissant de Daphnée, tandis qu'ils se mettaient tous à l'abri de sa baguette vengeresse.
À présent, le Manoir lui paraissait silencieux comme un cimetière. Dès le départ de Draco, Lucius s'était enfermé dans son bureau, s'excusant de devoir rattraper le retard accumulé dans ses affaires et sa comptabilité pendant le séjour de son fils. Et au vu des piles de dossiers en attente au coin de son secrétaire, il en avait pour plusieurs jours.
Severus et Harry s'étaient retrouvés tous les deux dans le Petit Salon pour le thé, puis dans la Bibliothèque, presque désœuvrés. Ordinairement, ils devaient chaparder les moments qu'ils pouvaient passer seul à seul, et cette rareté leur conféraient une saveur différente, presque piquante. Là, ils étaient dans l'excès, dans le trop plein, et ne savaient comment en profiter.
Il n'avait même pas envie de sexe; peut-être parce que c'était trop facile, trop évident. Et le cœur n'y était pas, submergé par sa mélancolie. De toute façon, il n'avait pas pu approcher Harry depuis le matin de sa migraine. Celui-ci n'était pas descendu à la piscine pour le rejoindre comme il le faisait ordinairement, et avait été accaparé par Minerva et Draco la majeure partie du temps. Severus aurait dû avoir d'autant plus envie de lui, mais ce n'était pas le cas. Il n'avait pas envie de sexe, il avait envie de tendresse. Et il semblait que ni Lucius, enfermé dans son bureau, ni Harry n'étaient en mesure de lui en donner.
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Contre toute attente, ils avaient passé l'après-midi dans la Bibliothèque. Harry voulait reprendre l'étude des runes, et le travail faisait passer le temps plus vite. Ils avaient commencé à aborder des sujets plus complexes, les notions d'amplificateurs ou d'enclitiques...
– Cette rune, placée de manière isolée avant un mot, en augmente le sens. Par exemple, « bruit » devient « vacarme », « soleil » devient « éblouissement » ou bien « gêne » devient « douleur ». Par contre, si elle est placée après le mot, elle devient une particule – ou enclitique – qui exprime le point d'arrivée. Celle-ci, avait-il expliqué en dessinant un nouveau signe, exprime le point de départ. La subtilité, et c'est le sens général de la phrase qui va te l'indiquer, est de savoir si la rune agit comme un amplificateur du mot qui la suit, ou comme une enclitique du mot précédent. D'où les très fréquentes erreurs de traduction...
Harry était attentif, avide de savoir et de comprendre. Sa curiosité obligeait Severus à aller très vite, parfois trop vite pour avoir le temps d'approfondir certains sujets, mais chaque nouvelle information amenait dans l'esprit du jeune homme de nouvelles questions sur des phrases déjà vues, ou des subtilités de traduction qui étaient d'un niveau bien au-delà de ce qu'ils voyaient.
Il avait fini par mettre un terme à la leçon, sous le regard presque réprobateur de Harry, mais la concentration et la gymnastique cérébrale que lui imposait le jeune homme menaçaient de faire naître une nouvelle migraine. De toute façon, il était quasiment l'heure de dîner et la faim le tenaillait puisque, perdus dans le travail, ils n'avaient même pas bu un thé depuis le déjeuner.
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Severus avait été trouver Lucius dans son bureau, lui aussi perdu dans le travail au milieu des rapports et des dossiers. Une plume à la main, il rédigeait un courrier sur un parchemin à en-tête de la famille Malfoy, et au vu de son air contrarié et de son écriture rageuse, le destinataire en prenait pour son grade.
– Le dîner est servi, avait-il dit simplement. Arrête-toi un peu et viens manger...
Lucius avait levé un regard surpris sur lui, puis vers l'horloge sur la cheminée de marbre, avant de froncer les sourcils.
– Je finis cette lettre et j'arrive...
Severus avait dîné en tête à tête avec Harry, tardant volontairement pour attendre son compagnon, puis avait fini par lui porter une assiette dans son bureau. Lucius avait eu un sourire désolé avant de replonger le nez sur des colonnes de chiffres interminables.
Dans le Petit Salon, il partageait à présent un verre de whisky avec Harry. Quelque chose de fort lui était nécessaire pour digérer cette étrange journée et cette atmosphère trop silencieuse dans le Manoir. Ils parlaient de Draco, de ses filles, des souvenirs de leur petite enfance. Harry était curieux de cette période qu'il avait manquée, intrigué de ses anecdotes et des détails que cela révélait sur chacun d'entre eux. Severus venait de se lever pour aller prendre un vieil album photo lorsque Lucius parut sur le seuil du Salon, le visage las et les traits tirés.
– Je vais me coucher, lâcha-t-il brusquement. Je suis épuisé.
Un pâle sourire lui échappa.
– Je suis désolé de ne pas avoir pu me joindre à vous aujourd'hui... mais j'ai vraiment beaucoup de travail, reprit-il à l'adresse de Harry.
Severus leva le regard vers l'horloge : il était encore tôt. Lucius était certes fatigué des heures passées sur ses dossiers, mais pas lui.
– Reste encore un peu, si tu veux, fit son compagnon qui avait noté son hésitation. Je te retrouve tout à l'heure...
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Il rejoignit Harry avec l'album de photos, tâchant de ne rien laisser paraître de son incertitude et de son trouble. Lucius paraissait presque fuir leur présence, leur laissant le champ libre pour... rien, tout en rappelant que Severus finirait de toute façon la nuit avec lui. Ce petit jeu commençait à l'ulcérer. La rivalité était plaisante un moment, parfois même drôle, mais là, il aspirait à davantage de sérénité et de paix.
Chassant ses pensées sombres, il s'assit sur le canapé à côté de Harry et ouvrit le livre du passé. Des photos de Draco plus jeune, de Daphnée, enceinte jusqu'aux yeux, dont le ventre rond paraissait sur le point d'exploser, mais toujours aussi vive et alerte alors qu'elle dansait avec son mari. Un minuscule nourrisson dont le regard sombre qui les suivait à travers la photo animée, était étrangement profond, presque dérangeant. Des photos de Minerva qui grandissait, son air concentré en manipulant des jouets, un éclat de rire auquel il ne manquait que le son, les premiers pas hésitants qu'elle avait faits au Manoir, des bras de Daphnée à ceux de Lucius, dans le même salon où ils se trouvaient à présent.
Severus commentait à peine les photos qui parlaient d'elles-mêmes, sous le regard silencieux de Harry.
Daphnée de nouveau enceinte, et un nouveau nourrisson, aux joues plus rondes et aux yeux moins rieurs, duquel il n'était jamais loin. Puis hurlant à pleins poumons dans les bras de sa grande sœur. Pleurant dans ceux de Draco qui affichait des cernes à faire peur. Les débuts avaient été difficiles...
Un souffle surpris lui parvint lorsque Harry tourna la page, dévoilant la première des nombreuses photos où on voyait Iris dans ses bras, babillant ou dormant d'un sommeil apaisé. Allongée sur son torse, les yeux clos, comme elle le faisait encore parfois. Bercée dans le creux de son bras tandis qu'il lisait de l'autre main.
– Iris était un bébé « difficile », se sentit-il obligé de justifier. Exigeante. Un bébé aux besoins intenses comme disait Daphnée. Toujours en demande de contact. Dormant peu et mal, agitée, pleurant beaucoup, difficile à calmer... Draco et Daphnée étaient épuisés. Entre leur travail et Minerva à gérer, ils n'y arrivaient plus.
Harry restait comme hypnotisé par les photos, presque incapable de tourner la page.
– Daphnée m'a dit qu'elle s'endormait mieux dans tes bras que dans les leurs..., murmura-t-il.
Severus ne put s'empêcher de froncer les sourcils et de répondre d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu.
– Pourquoi est-ce qu'elle t'a dit ça ?!
– Je ne sais plus, fit Harry, pensif. On parlait de ton attitude avec Iris...
Malgré lui, Severus se renfrogna un instant. Il n'aimait pas parler de cela; comme si cela renvoyait à l'intime le plus profond, quelque chose d'absolument privé qui ne tolérait pas d'être dévoilé.
– Iris est restée proche de moi parce que je me suis beaucoup occupé d'elle bébé, finit-il par dire. Elle a épuisé en quelques semaines trois nourrices qui ont fini par jeter l'éponge. Draco et Daphnée n'en pouvaient plus, et ne trouvaient personne à qui la confier, ne serait-ce que quelques heures pour souffler un peu, et juste... pouvoir dormir. Avec moi, elle était différente. Plus calme, plus réceptive. Avec Lucius, nous l'avons prise de temps en temps pour une nuit, deux nuits... puis de plus en plus souvent. Au bout de quelques mois, j'ai fini par m'occuper d'elle la journée, quand ils travaillaient. Elle a fait ses premiers pas à la Librairie... après avoir dessiné sur des livres de collection !
Il grimaça au souvenir de ces premières « œuvres » alors que Harry, après un instant d'hésitation surprise, éclatait de rire.
Iris était sa princesse; il avait tout fait pour elle : changer ses couches – en remerciant la magie –, donner à manger à la becquée, comme à un oisillon trop vite tombé du nid, débarbouiller son joli minois grincheux, lui donner son bain et finir aussi mouillé qu'elle, lui apprendre à se servir d'une cuillère, à faire ses premiers pas en lui donnant un doigt dans chaque main, et surtout, surtout, il avait passé des heures à la bercer, à la promener de long en large dans une chambre à la lumière tamisée, à l'endormir dans ses bras ou contre lui... Elle avait mis sa patience à plus rude épreuve que tous les élèves qu'il avait pu avoir – réunis.
Harry restait immobile, figé sur ces images pleines de tendresse et Severus pouvait sentir sa magie vibrer d'une émotion presque douloureuse. Sans même se rendre compte de son geste, la main qui tardait indéfiniment à tourner la page vint effleurer du bout des doigts une photo, troublant un instant l'image animée qui redevint nette quelques secondes plus tard. Iris endormie contre son torse et lui le nez dans ses bouclettes d'enfant. Elle avait souvent, une fois apaisée après des heures de pleurs, cette odeur un peu piquante, presque vinaigrée, qu'il respirait à la base de sa nuque et qu'elle avait perdue en grandissant.
Le contact piquant de la magie de Harry le tira brusquement hors de ses souvenirs; elle avait pris des proportions envahissantes et Severus ressentait le trouble et la tristesse du jeune homme d'une façon prégnante. Il se tourna vers lui sans comprendre. Harry semblait bouleversé au point d'en avoir les larmes aux yeux.
– Tu aurais fait un père magnifique...
Les mots étaient pesés, pesants, imprégnés d'un sens dont il avait peine à mesurer la profondeur pour Harry.
– Tu le seras toi aussi, répondit Severus sans réfléchir.
– Je ne crois pas, non, murmura Harry d'une voix étouffée.
– Tu es encore jeune et...
Un doigt sur ses lèvres lui imposa le silence. Harry referma l'album photo et le lui mit entre les mains, tandis que ses lèvres remplaçaient son doigt en un rapide baiser.
– Merci... Bonne nuit, Severus.
Harry se leva sans un mot de plus et quitta le Petit Salon, le laissant muet et perplexe.
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Severus resta encore un moment à siroter son whisky, dérouté par la réaction du jeune homme, puis monta se coucher et rejoindre son compagnon.
Malgré le soin qu'il mit pour se déshabiller en silence, Lucius ouvrit un œil lorsqu'il se glissa entre les draps et vint coller son corps chaud contre le sien.
– Tu n'es pas allé passer la nuit avec lui ?
Severus haussa les épaules dans l'obscurité. Il n'avait pas envie d'en parler, et certainement pas à Lucius. Il ne comprenait toujours pas. Harry s'était retiré sur la pointe des pieds, avec sa douleur muette et son silence pudique. Il était monté se coucher sans rien lui demander, sans explications, en lui laissant l'étrange impression d'une émotion très digne. Qu'avait-il ressenti ? Face à quoi ? Severus ne pouvait pas croire en une quelconque jalousie ou rancœur. Harry avait paru plus fragile qu'en colère.
Lucius dut sentir son trouble car la main qui caressait son torse et son ventre en cherchant doucement à l'exciter cessa brusquement son manège, et il glissa son bras sous ses épaules pour le prendre contre lui. Severus avait envie de tendresse et ne se fit pas prier pour venir se lover contre son compagnon, posant sa tête dans le creux de son épaule, tout en restant vaguement surpris de son attitude.
Après une semaine à faire chambre à part, Lucius était d'habitude plus avide de sexe que de tendresse, et même s'ils avaient trouvé quelques moments ensemble pour satisfaire leur désir, Severus s'attendait à le trouver impatient et passionné. Il s'était même préparé à cela en ne gardant que son boxer pour se glisser dans le lit.
En règle générale, il ne dormait nu que lorsqu'ils faisaient l'amour le soir en se couchant. Le reste du temps, il gardait son caleçon ou revêtait un pantalon de pyjama; son degré d'habillage variant selon son désir et son envie de faire comprendre à Lucius sa disponibilité. Le pyjama complet était de rigueur en cas de migraine. Ou de dispute. Là, au vu de son humeur, il aurait bien passé un pantalon de pyjama, mais connaissant Lucius, il avait anticipé ses appétits et, vaguement résigné, n'avait gardé que son sous-vêtement.
Mais il fallait croire qu'il ne connaissait pas si bien son compagnon qu'il le pensait.
La caresse de la main dans son dos le détendait mieux que ne l'aurait fait un bain bien chaud et Severus soupira d'aise. Lucius le tenait fermement contre lui, le serrant dans ses bras comme s'ils étaient un rempart au monde extérieur, et il déposait de loin en loin de légers baisers sur son front ou dans ses cheveux.
Les paroles de Harry repassaient en boucle dans son esprit. Contrairement à ce qu'il avait affirmé, Severus ne pensait pas qu'il aurait lui-même fait un bon père. Il n'avait appris la patience et la tolérance que bien trop tard. De toute façon, la question ne s'était jamais posée; du moins pas clairement. La paternité n'avait jamais été un rêve, pas plus qu'un espoir, ni même une simple idée. En revanche, lorsqu'il avait compris qu'il n'était attiré que par les hommes, il s'était d'emblée résigné à ne jamais envisager cette question. Il y avait pourtant d'autres moyens, mais cela lui semblait hors de propos.
De toute façon, il n'aimait pas vraiment les enfants. Ces êtres miniatures, bruyants et inconvenants, moins dociles qu'un elfe de maison, l'agaçaient. Il ne tolérait que les enfants de ses proches, et encore. Sorti de Minerva et Iris, aucun ne trouvait grâce à ses yeux.
Ses besoins d'implication, de filiation, de transmission... avaient été assouvis autrement. Par l'intermédiaire de Draco au tout début; en tant que parrain, il n'avait pas été sans influence sur la vie de son filleul, même s'il n'avait pu lui éviter certaines erreurs. Puis il avait eu Matthieu, son héritage professionnel, une petite fierté qui lui succédait dans le monde fermé des potionnistes européens, même si leur lien ne se résumait pas à cela. Et aujourd'hui, les filles de Draco...
Severus n'avait pas d'enfant, n'en aurait jamais, et c'était bien ainsi. À sa mort, ses biens iraient à Matthieu. Ni Draco, ni ses filles n'auraient jamais besoin de quoi que soit au vu de la fortune immense des Malfoy. Matthieu en revanche... Il n'y avait grand chose; juste un pécule suffisant pour voir venir l'avenir avec sérénité, et quelques propriétés : l'ancien manoir des Prince, l'impasse du Tisseur et une maison de campagne dans le fin fond du pays de Galles. De toute façon, c'était décidé depuis longtemps, même si le principal intéressé n'en savait encore rien.
La respiration de Lucius s'était ralentie, et son étreinte s'était peu à peu relâchée. Il s'était paisiblement rendormi en le tenant dans ses bras, et Severus immobilisa sa main qui caressait distraitement la peau douce du ventre de son compagnon, ne voulant pas le réveiller.
Ses pensées le ramenèrent à ses propres paroles tout à l'heure. Il était certain en vérité que Harry ferait un bon père, mais il l'avait dit sans réfléchir, sans mesurer la portée de ses mots. Ce que cela impliquait l'effrayait. Harry pourrait facilement trouver quelqu'un avec qui partager sa vie, avoir des enfants et fonder une famille... mais au fond de lui, Severus ne le souhaitait pas. Il ne souhaitait ni son départ, ni son union avec qui que ce soit mais quels étaient réellement les désirs de Harry ?
Ces paroles jetées à la va-vite dans la conversation posaient la question troublante de l'avenir. Demain, dans quelques jours, dans un mois ou un an. Et plus loin encore... Maintenant que Draco était parti, qu'est-ce qui retiendrait Harry au Manoir ?
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La rotonde était déserte lorsque Severus y descendit au petit matin. Non pas qu'il se soit attendu à y trouver Harry, mais il avait tout de même eu un mince espoir.
Enchaîner les longueurs dans l'eau chaude parvint à détendre ses courbatures, tout en sollicitant à nouveau ses muscles endoloris. Lucius avait fini par le réveiller au milieu de la nuit pour lui faire l'amour avec un désir exacerbé par l'attente et par un rêve suggestif qui l'avait passablement émoustillé. Malgré les années qui filaient, les appétits de Lucius à son égard ne faiblissaient pas, ce qui était loin de déplaire à Severus, mais cela lui laissait toujours un sentiment de surprise amusée. Lui aussi éprouvait toujours le même désir pour son compagnon, mais il se savait moins dépendant. Il avait longtemps cru qu'il finirait sa vie seul, et cela ne l'avait pas effrayé.
La présence de Harry aujourd'hui rebattait les cartes d'une situation qu'il croyait réglée, mettant à l'épreuve ses certitudes et son couple. Il en était fatigué moralement et physiquement. L'inconfort du doute lui pesait... Mais de présence, en tout cas, ce matin, il n'y en avait pas.
En remontant de la rotonde, il ne vit Harry ni dans la Salle à Manger, ni à la Bibliothèque. Pas plus que dans le Petit Salon ou la véranda. Sur le palier de l'étage, en sortant de l'escalier en colimaçon juste devant sa chambre, il entendit en revanche des bruits légers qui filtraient sous la porte.
Agacé, il s'approcha et mit la main sur la poignée, hésitant à frapper pour s'annoncer. Il le fit tout de même – il n'était pas un hôte irrespectueux –, mais attendit à peine la réponse pour ouvrir la porte. Dans le fond de la pièce, sur sa gauche, il aperçut Harry sortir de la salle de bains, nu hormis la serviette qui ceinturait ses hanches, cachant la partie la plus alléchante de son anatomie. Si l'on oubliait son visage. Ses yeux dont la couleur l'obsédait. Son torse musclé au point qu'il paraissait noueux comme du bois. Son ventre si doux où courait une fine ligne de poils qui menait droit sous la serviette.
Un large sourire éclaira le regard de Harry alors que Severus restait figé, perdu dans la contemplation de ce visage au milieu de cheveux humides, plus en bataille qu'à l'ordinaire. Il était encore irrité mais il ne savait par quoi au juste.
– Tu me fuis ? lâcha-t-il au milieu du silence, alors que Harry s'approchait de lui.
– Pourquoi te fuirais-je, Severus ? fit-il en souriant. J'allais descendre. Embrasse-moi au lieu de râler.
Le simple fait de tenir Harry dans ses bras lui fit oublier tout agacement, et l'embrasser acheva de lui faire perdre la tête.
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Harry s'offrit, une fois encore. Il semblait préférer cette position puisqu'ils n'avaient jamais réitérer la situation inverse, où il avait pénétré Severus avec ravissement. C'était étonnant, d'ailleurs, puisqu'ils avaient apprécié l'un et l'autre, mais il ne savait pourquoi, Harry adoptait d'emblée des positions qui permettaient à Severus d'assouvir son envie de le faire sien, de se perdre dans les confins de son corps et de jouir en lui.
Ils n'avaient pas dérogé à la « règle » et Severus tenait à présent Harry contre lui, sa tête posée dans le creux de son épaule, comme Lucius le tenait pour s'endormir la veille au soir. La comparaison le fit sourire doucement, et il remarqua que Harry avait le même geste que lui après l'amour, effleurant son ventre dans une caresse délicate comme lui le faisait souvent sur Lucius.
Ces moments après l'amour étaient presque ceux qu'il préférait, avec ceux juste avant. Le sexe était du sexe, parfois brutal, souvent bestial, du plaisir brut... Mais il aimait davantage les moments qui avaient du sens : ceux qui signifiaient le désir et la convoitise, et ceux qui n'étaient qu'apaisement après la volupté, une tendresse qui dévoilait les sentiments.
Harry semblait apprécier ce moment de tendresse lui aussi, s'abandonnant comme rarement. Comme il le faisait au début en réalité. Plus le temps passait, et moins il paraissait demandeur de ces instants apaisés. Souvent, il se redressait bien vite, ironisant sur sa fatigue, son besoin de repos dû à l'âge, ou bien il s'agitait avec l'intention manifeste de remettre ça une nouvelle fois, éclatant de rire quand Severus le faisait rouler à l'autre bout du lit dans l'espoir de réfréner ses envies.
Lentement, Harry lui paraissait moins proche, recherchant moins sa présence, son attention ou son contact. Il profitait de ce qui s'offrait à lui sans être dans le désir obsédant comme il l'était auparavant.
En fait, Severus avait la désagréable impression qu'il comptait moins, et que Harry s'éloignait peu à peu.
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Severus ouvrit la porte du bureau de Lucius à la volée, et resta interdit en apercevant un homme assis dans un des fauteuils Régence en face de son compagnon. La trentaine, dégarni avant l'âge, un air suffisant sur un visage peu avenant et vêtu d'un costume sombre à la mode sorcière qui ne venait visiblement pas de chez un bon tailleur, l'homme le regarda dédaigneusement, sans même le saluer ou simplement hocher la tête à son encontre, avant de reporter son attention sur Lucius. Le prenait-il pour un simple domestique ?
Severus tourna les yeux vers son compagnon dont le regard amusé passait de l'un à l'autre, un léger sourire sur les lèvres. Ce larbin du ministère, quelle que soit sa position exacte, venait de perdre tout son crédit en un instant. De par ses responsabilités, il aurait dû, il se devait de se renseigner sur ses interlocuteurs avant toute sollicitation ou tout entretien, et visiblement, celui-là ne l'avait pas fait. Il n'avait pas reconnu Severus, ne savait pas de toute évidence qui il était, et s'était du coup abstenu de le saluer, commettant là un faux pas irréparable.
Il n'avait peut-être pas de position officielle, mais il restait tout de même le compagnon d'un ancien Ministre, et ce larbin aurait dû le savoir. Et au vu du petit sourire ironique de Lucius, il n'allait pas rester en place bien longtemps.
– Je repasserai plus tard, fit-il à son compagnon d'un air entendu en refermant la porte.
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Lucius les rejoignit un peu plus tard dans le Petit Salon, alors qu'ils prenaient un thé après leur petit-déjeuner.
– Tu as mangé ? l'interrogea Severus.
Il avait été surpris de trouver un visiteur au Manoir si tôt dans la matinée. Lucius avait sans doute reporté bon nombre de rendez-vous pendant le séjour de Draco, mais un entretien aussi matinal n'était malgré tout pas courant.
– J'ai pris un café avant que vous ne descendiez, fit-il en se servant une tasse de thé.
C'était dit sans reproche; une simple constatation mais Severus connaissait suffisamment son compagnon pour y déceler une pointe d'amertume.
– Qui était-ce ?
– Le secrétaire du nouveau Ministre.
Severus grogna d'un air dédaigneux qui fit sourire Lucius.
– Je sais. C'est un incompétent manifeste ! Il ne restera pas longtemps à son poste !
– Et que voulait-il ?
Lucius sourit à nouveau en faisant tourner son thé dans sa tasse comme s'il s'agissait d'un verre de vin.
– Un avis... Des conseils. Rien de bien important.
Il leva les yeux vers Harry et l'observa un instant en silence.
– Il faudra que je vous parle... plus tard.
Il finit rapidement son thé, se leva et prit congé en embrassant rapidement Severus.
– Je retourne travailler. Soyez sages !
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Les jours suivants, Severus eut l'impression de chercher en permanence où se trouvaient Lucius et Harry dans le Manoir, au point qu'il allait plus vite à poser la question aux elfes de maison qu'à faire toutes les pièces une à une. Les deux hommes semblaient mener une vie qui leur était propre, Lucius entre son bureau et le Ministère, de rendez-vous en rendez-vous, de dossier en dossier, partageant à l'occasion un repas avec eux lorsqu'il en avait le temps. Ou l'idée. Et Harry disparaissait parfois brutalement sur un « Je reviens », pris de l'envie subite de concocter une potion, faire un tour dans les jardins ou s'immerger dans la piscine.
Severus le retrouvait parfois plusieurs heures plus tard, concentré sur un livre dans la Bibliothèque alors qu'il l'attendait dans le Petit Salon, au beau milieu d'une préparation culinaire dans les cuisines ou plongé dans la contemplation des jardins depuis la véranda. Une fois, il l'avait même retrouvé là, en pleine séance de méditation, ou du moins ça y ressemblait, à genoux à même le sol, les yeux fermés, sa magie flottant librement dans l'air autour de lui. Il n'avait osé l'interrompre ou le déranger et il était reparti en silence s'enfermer dans son bureau en attendant le bon vouloir de Monsieur.
Et ce bon vouloir tardait à arriver, poussant sa patience à rude épreuve. Harry était secret, refusant de se confier sur sa vie passée, refusant d'expliquer certaines de ses réactions, fuyant les questions presque physiquement dès qu'il s'agissait d'un sujet personnel ou intime. À ces moments-là, le moindre prétexte était bon pour clore les conversations qui le dérangeaient, et rien n'était jamais plus urgent que la potion qu'il avait sur le feu. Harry était si silencieux sur lui-même que Severus avait parfois l'impression qu'il ne lui servait d'exutoire que pour le sexe, et que leur « relation » était presque à sens unique.
Ils étudiaient encore parfois ensemble les runes ou des textes de magie ancienne, mais le désœuvrement global de ses journées avait poussé Severus à songer à reprendre lui aussi le travail. Il n'avait de compte à rendre à personne, si ce n'était ses clients les plus fidèles, mais la Librairie lui manquait, et de toute façon, il n'avait rien de mieux à faire de son temps.
La quantité de courrier accumulée le convainquit de rouvrir le magasin au moins les matins, pour répondre à ses commandes, voire toute la journée suivant la demande et sa disponibilité.
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Ce fut en rentrant un midi pour déjeuner, Orion sur ses talons, qu'il croisa Draco dans le Hall d'entrée du Manoir, livide et bouleversé.
Severus s'arrêta net, les sourcils froncés, attrapant par le bras son filleul qui ne cherchait visiblement qu'à s'échapper rapidement.
– Draco ? Que se passe-t-il ? Qu'est-ce que tu fais là ?
– Rien, balbutia-t-il. J'étais venu voir Harry...
– Il y a un problème ? Tu as l'air...
– Tout va bien, fit Draco avec un pâle sourire. Tu seras à la Librairie demain ? Je peux passer te voir ?
– Bien sûr ! répondit-il étonné. Tu viens quand tu veux ! Mais tu ne veux pas rester et...
Draco secoua la tête fermement.
– Je dois y aller mais je passerai demain. Ne t'inquiète pas, affirma-t-il en lui donnant une accolade appuyée et surprenante. Et prends soin de lui.
Aussi soudainement qu'il l'avait étreint, Draco le relâcha et disparut par la porte d'entrée, laissant Severus plein de questions et de frustration. Il ne savait même pas de qui parlait son filleul en lui enjoignant d'en prendre soin. Et qu'est-ce que c'était que cette recommandation pour le moins étonnante ?!
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Il trouva Harry dans sa chambre, pensif devant sa fenêtre et qui ne sembla même pas l'entendre entrer.
– Qu'est-ce qui s'est passé avec Draco ? fit-il de but en blanc. Je l'ai croisé dans le hall, blanc comme un linge et j'aurais juré qu'il venait de pleurer !
Harry ne fit même pas mine de se retourner pour lui répondre, mais sa voix était légèrement voilée lorsqu'il répondit :
– Tout va bien, Severus. J'ai juste... fait comprendre certaines choses à Draco. Qu'il avait besoin de savoir. Rien de très important.
Il aurait voulu être plus vexant et plus méprisant qu'il n'y aurait pas réussi. Cette façon de le congédier pour quelque chose qui ne le regardait pas aux yeux des deux plus jeunes, le mettait en rage comme ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps et Severus étouffa une exclamation de pure colère.
– Déjeuner. Et après, je te prends en duel. J'ai besoin d'un peu d'exercice.
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Draco venait de partir, blême et décomposé, et Harry allait à présent devoir affronter les questions de son amant dont il entendait le pas rapide dans l'escalier. Pas plus réjouissant que ce qu'il venait de faire.
Il avait promis à Draco de tout lui expliquer lors de leur visite à Pré-au-lard, mais il ne voulait pas « salir » la fin de son séjour au Manoir avec ça. Ils avaient convenu d'un autre jour, à distance raisonnable de cet entracte familial et plein de bonheur.
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– Assieds-toi, fit-il à Draco. Et tu auras besoin ta baguette.
Draco obéit, s'installant dans un des fauteuils qui faisaient salon devant la cheminée de la chambre et tira sa baguette hors de son étui avec une légère appréhension.
– Pourquoi ?
– Tu vas user sur moi de légilimencie. Ce sera plus simple que de tout t'expliquer. Et je ne suis pas sûr d'en avoir la force...
– Tu sais, je ne suis pas très bon légilimens, Harry. Je me défends en occlumencie mais...
– Ne t'inquiète pas, assura-t-il. Je te guiderai. Ce n'est qu'une façon pour toi de pénétrer mon esprit, mais tu ne pourras pas aller plus loin que ce que je veux, et je choisirai les souvenirs que je veux te montrer. Je n'ai pas de pensine, mais c'est un peu pareil...
Draco semblait hésiter, maintenant qu'il était devant le moment presque solennel, et la main qui tenait sa baguette tremblait légèrement.
– On peut arrêter quand tu le souhaites, ajouta Harry d'un ton rassurant. Si tu as besoin de souffler ou... quoi que ce soit, tu le dis simplement et on arrête. Et... après, je ne veux pas en parler. Pas maintenant. Tu vois ce que tu as à voir, mais je ne veux pas parler de ça.
Draco hocha lentement la tête et le regarda au fond des yeux de manière intense.
– Legilimens...
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Harry sentit la présence de Draco s'insinuer doucement en lui, avec précaution, presque sur la pointe des pieds si cela avait été possible et cette idée le fit sourire. Mais ils n'étaient pas là pour tergiverser et il fit rapidement apparaître les premiers souvenirs, simples images fugaces au début pour peu à peu s'allonger en tranches de vie.
Il se revit habiter non loin du village, dans une jungle hirsute et luxuriante. Lui, torse nu, les cheveux plus longs qu'aujourd'hui et la peau étonnamment brune. Son séjour en Angleterre l'avait fait pâlir à un point dont il n'avait pas eu conscience...
Des images de sa cahute, simple, sans doute miséreuse aux yeux de Draco. Le strict nécessaire se limitait à un foyer pour le feu et un lit de fortune pour dormir. Quelques ustensiles pour chasser, cuisiner... la forêt pourvoyait au reste.
L'apparition brusque du visage d'Axaya dans ses souvenirs le fit frissonner. Les premiers jours, les mois passants. L'attachement progressif. Maigres instants de bonheur et de sérénité...
Et puis la noirceur renversante. L'eau froide et insidieuse. Meurtrière. Le hurlement de douleur qui avait déchiré son cœur et son esprit devant la disparition irrémédiable de ce visage tant aimé. Le vide, la nuit qui s'étaient abattus sur lui. Cet immense fracas dans un silence de plomb.
Un hoquet et une main posée sur son bras l'arrêtèrent et Harry rompit le contact visuel. Devant lui, penché en avant comme s'il allait tomber, Draco était blême, le visage défait et sa main sur son bras tremblait d'une émotion mal contenue. À travers les souvenirs, il avait ressenti tous les sentiments de Harry, et surtout cette douleur insurmontable qu'il ne connaissait pas et espérait ne jamais connaître.
– Ce n'est pas tout, fit-il simplement.
Draco hocha la tête et prononça à nouveau le sort quelques instants plus tard.
Harry montra encore la folie, ce pourquoi il voulait vraiment que Draco sache ce qui s'était passé. La folie meurtrière. Cette explosion de rage et de magie, hors de tout contrôle, qui avait ravagé la forêt, une partie du village et son âme. Qui l'avait laissé comme un animal, sans raison, sans jugement, livré à ses seuls instincts de prédation et de survie.
Et parce qu'il devait à Draco bien d'autres vérités, Harry montra d'autres choses. La façon dont les villageois survivants l'avaient capturé pour l'exorciser de sa folie. Le rituel qu'ils avaient pratiqué sur lui, sorti d'il ne savait quelle tradition ancestrale. Il se vit, nu, face contre terre, solidement attaché à des piquets de bois plantés dans le sol, chaque membre en direction d'un point cardinal, et cette longue entaille pratiquée dans son dos pour laisser sortir le démon, de la racine des cheveux au bas des reins. Une incision méticuleusement rouverte, chaque soir et chaque matin, au lever et au coucher du soleil. La douleur physique, insurmontable, et qui n'était pourtant rien à côté de sa douleur morale. À travers sa folie, il entendit ses propres hurlements, il vit aussi les incantations, les danses rituelles, les poudres magiques mélangées à la plaie et au sang.
Il montra aussi rapidement la façon dont la magie l'avait libéré, malgré lui qui aurait préféré en finir là, son errance dans la forêt, la montagne qu'il avait gravie pour mourir à son sommet, le quetzal et Mayahuel... avant qu'il ne sente à nouveau la crispation de la main de Draco sur son bras.
À peine le contact rompu, Harry le vit se lever et se précipiter vers la salle de bains.
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Draco revint quelques minutes plus tard et se laissa tomber dans son fauteuil, toujours aussi pâle, le visage encore humide de l'eau qu'il s'était passé dessus après avoir rendu son petit-déjeuner dans les toilettes.
Longtemps, son regard se perdit vers la fenêtre, évitant de croiser le sien, s'abreuvant d'une scène normale, du soleil serein, des nuages qui s'effilochaient doucement dans le vent léger, d'un oiseau qui se laissait porter par les courants...
– Je sais que... Mais... c'était il y a combien de temps ? demanda-t-il au bout d'un long moment.
– Deux ans pour ce que tu as vu à la fin.
– Pourquoi est-ce que tu as accepté de me montrer ça finalement ?
Draco avait demandé ce qui l'avait brisé. Et puis...
– Parce que tu m'as fait une promesse et que si tu dois un jour la tenir, je ne veux pas que tu hésites. Je veux que tu repenses à ce que je t'ai montré et que tu saches pourquoi tu le fais. Parce qu'avec la magie que j'ai aujourd'hui, il ne s'agira pas seulement de tuer quelques villageois et brûler un bout de forêt. Ce serait bien pire et maintenant tu le sais.
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Le déjeuner avait été plus que silencieux en l'absence de Lucius, Severus ruminant ses pensées tandis que ses yeux lançaient des éclairs. Et Harry devait à présent affronter la colère de son amant, furieux de cette mise à l'écart et d'être maintenu dans l'ignorance, et qui avait bien l'air décidé à le lui faire payer.
Sa voix claqua froidement dans la salle de duel.
– Assez de simagrées. Combat classique. Vainqueur au premier sang. Des réclamations ?
Harry aurait été bien en peine d'en faire puisque le sortilège de mutisme de Severus l'avait atteint avant même qu'il n'érige son bouclier.
Ce duel lui paraissait déjà une mauvaise idée dès le départ : les images de ce qu'il venait de montrer à Draco ne cessaient de le hanter, et Severus ne cherchait qu'à se défouler et épuiser sa colère dans un combat de puissance. Mais en quelques mots, son amant venait d'en sceller l'issue en sa défaveur sans même le savoir.
Harry n'eut même pas le temps de râler pour lui-même que les sorts pleuvaient déjà sur son bouclier de protection et il dut rapidement déployer sa magie pour y faire face. Severus n'avait pas pris la peine de monter lentement en puissance comme il l'avait fait la fois précédente. Sachant ce dont Harry était capable, il avait d'emblée placé la barre bien plus haut et il ne lui faisait aucun cadeau.
Il lui fallut se concentrer quelques instants pour réussir à contrer les attaques de son adversaire et à absorber la magie dirigée contre lui. Mais là encore, il ne faisait que se défendre et il sentait bien que sa passivité irritait encore un peu plus son amant.
En augmentant sa puissance, Harry parvint à franchir les défenses de Severus et à le faire chuter à genoux, mais cet affront n'eut pour effet que de l'énerver encore davantage, et le Severus qui se releva était impressionnant de colère et de pouvoir.
Il ne retenait aucun coup, aucun sort vicieux en diable et la magie dont il se servait était noire comme de l'encre. S'il n'avait pas eu une totale confiance en lui, Harry aurait pu croire que Severus ne développait sa puissance que pour devenir un nouveau Voldemort.
Malgré tout, il pouvait se défendre longtemps et l'empêcher de le toucher, mais il doutait que Severus renonce au combat par simple lassitude. Il voulait un vainqueur, il voulait le pousser à bout et son manque manifeste de combativité le mettait hors de lui.
Il n'y avait pas d'issue possible : Harry n'avait ni le cœur ni l'esprit à faire durer ce combat qu'il n'avait pas souhaité. La seule envie qu'il avait était de se rouler en boule dans un coin pour chasser les images obsédantes de son passé qui revenaient en permanence.
De toute façon, il était incapable de faire couler le sang de Severus sans faire couler le sien par la même occasion. Ils pouvaient souffrir tous les deux, ou bien souffrir lui seul, s'il laissait Severus le toucher. Dans tous les cas, il ne pourrait passer outre la blessure pour faire cesser cette mascarade et il n'avait résolument aucune envie de blesser son amant.
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Harry baissa très légèrement la puissance de son bouclier de protection et il n'en fallut pas plus pour que Severus ne parvienne à franchir ses défenses. Le maléfice le toucha dans le dos, sur la colonne vertébrale et il sentit la peau se déchirer et s'écarteler sous la puissance du sortilège. Sentant aussitôt ses jambes se dérober sous lui, Harry tomba à genoux et appuya ses mains au sol pour parvenir à maintenir son équilibre. La douleur lui vrillait le crâne tandis que Severus relevait instantanément son sortilège de protection et sa baguette, mettant fin au combat.
– Par Merlin ! tonna-t-il. Comme la dernière fois, j'arrive à contourner tes défenses et à te prendre par derrière ! Tu n'apprends donc rien d'une fois sur l'autre ?!
Le mépris dans sa voix lui fit plus mal que la simple douleur de son dos déchiqueté. L'ancien professeur était de retour et Harry s'attendait presque à un sermon sur ses erreurs et ses faiblesses.
– J'aime qu'on me prenne par derrière, ricana-t-il, la tête baissée.
– Très malin ! Debout maintenant ! Sèche-moi cette hémorragie et à la douche !
Harry grimaça de l'ironie de la situation. Il saignait à peine... quant au reste, ça allait être plus difficile.
– Maya, j'ai besoin de ton aide, grinça-t-il entre ses dents.
La petite créature ne devait pas être très loin car il n'eut pas besoin de se répéter avant qu'elle ne surgisse dans la salle de duel, entourée d'un halo de magie d'un brun mordoré dont la luminosité était difficile à soutenir.
– Qu'est-ce que... ? fit-elle avant de comprendre d'un coup d'œil la situation.
Ni l'un, ni l'autre ne furent capables de comprendre les imprécations menaçantes qu'elle vociféra à l'encontre de Severus dans une langue étrange, pleine de cliquetis et de sons nasillards, mais son regard valait toutes les malédictions du monde.
Harry la sentit s'affairer dans son dos et la magie de Mayahuel les enveloppa tous les deux dans une lueur cuivrée. Toujours à genoux, incapable de bouger ses jambes, il sentit peu à peu les premiers fourmillements revenir, puis des sensations de décharge électrique qui, malgré la douleur, le soulagèrent considérablement.
– Parce que tu ne peux plus te soigner tout seul, maintenant ? cracha Severus.
Relevant lentement la tête, Harry devina le regard furieux et le rictus méprisant sur le visage de son amant et préféra fermer les yeux.
– Pas tout, avoua-t-il. Et difficilement à certains endroits... et sur certaines cicatrices...
Focalisé sur les élancements de plus en plus vifs dans ses jambes, il ne vit pas Severus blêmir en comprenant – enfin, et en partie – ce qu'il venait de faire, ni son regard gêné, ni le pas en arrière qu'il fit comme s'il voulait prendre la fuite.
– Toi, tu restes ici ! gronda Mayahuel qui elle, en revanche, avait bien perçu son mouvement de recul. Tu devrais pouvoir te lever, nadi...
Prenant appui sur ses mains, Harry parvint lentement à déplier ses jambes et à se redresser, même s'il dut faire appel à la magie pour maintenir un équilibre précaire. Les élancements étaient devenus des brûlures et il avait l'impression que du feu courait le long de ses nerfs, mais il était au moins capable de faire quelques pas avant de devoir s'asseoir.
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Dans le Petit Salon, Lucius feuilletait tranquillement les journaux du jour qu'il avait à peine parcourus le matin même, lorsque Harry se laissa tomber dans un fauteuil plus qu'il ne s'assit. Sa grimace de douleur et son manque d'élégance n'échappèrent pas à son hôte qui fronça les sourcils en relevant un visage intrigué.
– Tout va bien, Harry ?
Il hocha simplement la tête tandis que, par l'escalier en colimaçon, il percevait la magie de Mayahuel qui s'emballait en invectivant son amant. Qu'allait-elle encore dire qu'il ne souhaitait pas ? Severus était déjà tellement en colère après lui de ses silences et de l'ignorance dans laquelle il le laissait... Harry redoutait les explications à venir et il ne voulait surtout pas revoir le mépris qu'il avait lu dans ses yeux. Plus que la colère ou les hurlements, le mépris faisait mal.
Il appuya la tête en arrière contre le dossier du fauteuil, lâchant un long soupir, tandis que le pas sec et rapide de Severus remontait le long de l'escalier. Sa silhouette sombre apparut très brièvement dans l'encadrement de la porte.
– J'attends des explications, lâcha-t-il d'une voix polaire.
Tout aussitôt, il disparut et la porte de son bureau claqua brutalement quelques secondes plus tard.
Harry laissa de nouveau échapper un long soupir sous le regard perplexe de Lucius.
– La lune de miel est finie ? l'interrogea-t-il avec une grimace ennuyée.
Le ton n'était même pas ironique, plus désolé qu'autre chose, et cette impression était encore plus dérangeante qu'une simple moquerie.
– Severus est furieux, confia-t-il à son hôte. Il vient de s'apercevoir que j'ai des limites, et ça le déçoit.
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Dire qu'il avait fui le tête à tête avec Severus était un euphémisme. Harry était resté avec Lucius jusqu'au dîner où Severus n'avait fait qu'une brève apparition, puis il était monté tôt dans sa chambre. La potion contre la douleur qu'il avait prise ne faisait plus effet et il savait bien que le plus simple était de rester allongé jusqu'à ce qu'il ait complètement récupéré de ses lésions.
La veille au soir, Severus n'avait pas poussé la confrontation jusqu'à venir le trouver dans sa chambre, et de cela, il lui était plutôt reconnaissant. Il valait sans doute mieux qu'ils se calment l'un et l'autre, l'un de sa colère et l'autre de sa culpabilité.
Harry savait qu'il aurait dû se confier à Severus, répondre à certaines de ses questions, expliquer ce qu'il avait vécu, mais il ne pouvait s'y résoudre. Il ne voulait voir dans son regard ni de l'incompréhension, ni de la pitié, préférant garder un silence total sur son passé. Severus devait le prendre tel qu'il était, sans rien savoir, sans explications, juste pour ce qu'il était. Sinon...
Il n'eut pas l'opportunité de pousser plus avant sa réflexion que Severus poussait la porte de sa chambre avec fracas, l'air encore plus furieux que la veille.
L'horloge sur la cheminée de marbre indiquait presque onze heures du matin, il aurait dû être à la Librairie, avec ses clients... Qu'est-ce qui l'amenait donc à faire irruption ici comme une furie ?
Severus se campa un instant devant la fenêtre, les bras croisés comme s'il voulait s'empêcher de faire un geste malheureux, puis se retourna brusquement vers lui, sombre et menaçant.
– Maintenant, je veux une explication ! fit-il d'une voix sourde. Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais incapable de te battre ?
Éviter certaines explications allait vraiment devenir compliqué à présent... Harry referma lentement son livre et le déposa sur la table basse devant la cheminée. Son dos le tiraillait encore un peu mais c'était nettement plus supportable que la veille.
– « Incapable »... ce mot sonne comme un doux compliment dans ta bouche, Severus, ironisa-t-il. J'ai l'impression d'être retourné en cours de potions...
L'allusion sembla calmer un instant la colère de son amant, mais ce ne fut pas suffisant pour qu'il abandonne la partie.
– Je veux comprendre, Harry ! Je viens de me faire passer un savon par Draco à propos de ce duel, après celui de ta créature hier soir, ça commence à bien faire ! Tout le monde semble au courant de choses que j'ignore, et j'exige une explication !
Harry soupira, espérant seulement que Draco avait respecté sa promesse et n'en avait pas trop dit. Il savait qu'il était incapable de lancer des sorts d'attaque comme l'exigeait tout duel digne de ce nom; ils en avaient parlé à Pré-au-lard. Si Severus avait mentionné ce combat et la blessure qui en avait résulté, nul doute que son ami avait dû passer sa colère sur son parrain. Et après ce qu'il avait vu dans son esprit, ce qu'il savait à présent de son passé et de l'origine de sa cicatrice dans le dos, la fureur de Draco avait dû atteindre des sommets.
Mais l'inquiétude et le désarroi de Severus étaient palpables sous la colère. La culpabilité, aussi. Et sans doute la frustration intense d'être laissé à l'écart de ce qu'il pressentait comme essentiel dans son passé.
Tout d'un coup, Harry eut envie de calme et de quiétude, pas de cette colère, pas de cette angoisse permanente qu'il sentait chez son amant depuis quelques jours; il n'avait pas assez profité de lui, ne l'avait pas assez embrassé, ne l'avait pas assez senti contre lui, entre ses bras... Il avait envie de le toucher, de le serrer, de le caresser, d'apaiser ses inquiétudes de sa présence ou d'un geste...
Ce fut plus fort que lui. Harry se leva d'un bond pour le rejoindre et prit son visage entre ses mains, posant ses lèvres sur les siennes avec un sentiment d'urgence qu'il n'avait pas connu depuis longtemps.
Mais la colère de son amant n'était pas si simple à amadouer et Severus le repoussa d'un geste agacé.
– N'essaye même pas de me prendre par les sentiments. Je veux une explication.
Malgré son rejet, Harry se fraya une place entre les bras de Severus, enlaçant sa taille avec tendresse. Les mots restaient nécessaires.
– Je suis simplement incapable, comme tu dis si bien, de faire couler le moindre sang ou de lancer le moindre sortilège d'attaque... Ma magie ne le permet pas. Je peux me défendre, me battre autrement, mais... selon tes règles, ce duel était perdu d'avance.
– Et pourquoi diable n'as-tu pas utilisé tes mots de sécurité pour arrêter le combat ?! jura Severus en le regardant d'un air stupéfait.
– Je n'y ai même pas pensé..., avoua Harry, penaud.
Quand bien même il y aurait pensé, il n'était pas sûr qu'il les aurait utilisés. Un rien d'orgueil et cette obstination – peut-être déraisonnable – qui lui faisait préférer la blessure aux confidences et aux aveux.
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Severus tempêta, vociféra, protesta, le voua aux gémonies tout en gesticulant et en faisant les cent pas entre le salon et la fenêtre, puis finit par se calmer et venir le rejoindre sur le canapé. Il le prit dans ses bras en s'excusant à nouveau du duel, de la blessure, de son aveuglement, puis lui reprocha encore à demi-mots son silence et ses secrets, avant de se taire.
Au-delà de la colère, Severus était inquiet, presque blessé de ce mutisme. Il avait sans doute besoin d'être rassuré sur les sentiments que Harry lui portait, mais comme pour le reste, la parole était difficile.
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Harry étudiait son amant qui gardait un silence tendu et irrité. Le froncement des sourcils au-dessus des yeux sombres comme la nuit. Les rides légères que cela causait sur son front. Les plis contrariés au coin de sa bouche. Cette moue désapprobatrice qu'il avait déjà autrefois devant la couleur d'une potion ou la note sur un parchemin.
Le temps avait marqué ses traits, creusant quelques sillons supplémentaires au coin des yeux ou sur les joues, là où la peau pliait parfois lorsqu'il souriait, mais Severus gardait indéniablement le charme qui lui était propre. Quelque chose d'indéfinissable entre le sérieux, l'austérité de son visage et l'ironie mordante dont il était capable. Une froideur apparente qui amusait Harry d'autant plus qu'il l'avait vu à présent dans tellement d'autres situations : souriant, éperdu de désir ou de volupté, riant aux éclats, veillant d'un regard attendri sur Iris, tendu par l'orgasme ou l'observant à la dérobée avec dans les yeux ce qui ressemblait à de l'amour...
Severus restait, malgré les années, l'homme qui l'avait fasciné à Poudlard, dont les yeux sombres avaient cette profondeur dans laquelle il était capable de se perdre des heures durant. Dont il avait rêvé les mains sur son corps, les lèvres sur sa peau et le sexe en lui. L'attirance était la même. Elle n'avait jamais cessé.
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S'il ne savait comment formuler les choses, Harry était davantage capable de les montrer, et si Severus avait besoin d'être rassuré sur son attachement, il pouvait le lui prouver sans réserve.
Bloquant un poignet qui traînait là pour parer à toute tentative de rébellion, Harry se tourna à demi et s'installa à califourchon sur les cuisses de son amant, pressant ses lèvres sur celles de Severus avec une intensité qui le surprit lui-même.
Il ne fallut que quelques secondes avant qu'il ne sente la bouche de son amant s'entrouvrir et sa langue lui répondre avec douceur. Mais Harry voulait plus, bien plus. Il y avait dans ce baiser tout le manque qu'il avait de lui; son besoin et son impatience aussi. Et ses mains qui parcouraient les cheveux sombres mêlés de fils d'argent exigeaient plus de ferveur, plus d'entrain et ses lèvres insistèrent jusqu'à ce qu'il sente enfin Severus réagir vraiment à son baiser, le souffle plus court et l'envie chevillée au corps.
Les poignets libérés s'étaient portés dans son dos, sur ses reins, caressant ses fesses à pleines mains, mais Harry se recula légèrement et abandonna la bouche rougie d'avoir été dévorée pour glisser ses lèvres dans le cou de Severus. Les cheveux défaits, la tête rejetée en arrière sur le dossier du canapé, les yeux clos et la gorge offerte, il présentait une image de parfaite luxure qui acheva de lui faire perdre la tête.
Défaisant un à un les boutons de la chemise de son amant, Harry parcourut lentement de ses lèvres la peau dévoilée, glissant du cou vers la clavicule, puis sur le torse, jusqu'à enrouler sa langue autour d'un téton déjà dressé avant même son approche. Il joua de sa bouche et de ses dents tandis qu'un long frisson parcourait Severus, avant qu'il ne laisse échapper un gémissement de plaisir douloureux, en même temps qu'un mouvement incontrôlé du bassin qui pressa encore davantage son érection contre le bas-ventre de Harry.
Sans desserrer sa morsure délicate, il glissa ses mains entre eux et entreprit de défaire les boutons du pantalon de Severus, relâchant à l'air libre le sexe dressé de son amant qu'il caressa doucement du bout des doigts. Une humidité délicate y perlait déjà qui attira sa langue, puis sa bouche toute entière tandis qu'il s'installait à genoux entre les jambes de Severus.
Il ne sut comment, ils se retrouvèrent au bout d'un moment debout et nus, Harry se retenant au ciel de lit du baldaquin pendant que Severus s'insinuait en lui, ses mains parcourant son corps avant de lui faire lâcher sa prise et de le presser jusqu'à ce qu'il finisse à quatre pattes sur les draps de satin, les fesses exhibées et offertes comme la dernière des catins. À genoux derrière lui, son amant le baisait durement, presque sèchement. Silencieux hormis le claquement rapide et répété de son bassin contre sa peau.
Severus, lui, ne pouvait détacher ses yeux de cette cicatrice qui partageait en deux le dos de Harry, une fine ligne blanche qui naissait sous les cheveux noirs et descendait le long de la colonne vertébrale, devenant plus rose au niveau des reins pour finir épaisse et violacée là où il l'avait blessé la veille, à quelques centimètres au-dessus de l'endroit où entrait et sortait son sexe.
Harry entendit le bruit sec et sonore avant même de ressentir la brûlure cuisante sur sa peau. Severus venait de lui mettre une gigantesque claque sur la fesse. Dans le même temps, il se retira d'un coup, descendit du lit et partit sans un mot et sans un regard vers la salle de bains.
La force du geste l'avait propulsé vers l'avant et Harry se retrouva à plat ventre au milieu des draps froissés, seul et abasourdi, sans avoir la moindre idée de ce qui venait de se passer. Il avait bien senti la tension de Severus dans sa façon de le prendre, sans tendresse, presque sans affects, mais pas au point de le laisser comme ça, en plan, pas après ce geste qui n'avait servi qu'à le défouler de sa colère.
La chaleur pulsatile et vaguement cuisante sur sa fesse se rappela à son bon souvenir et il se contorsionna pour y jeter un œil. On y voyait nettement le contour de chaque doigt et de la paume de la main de Severus, d'un rouge carmin malgré sa peau brunie par le soleil. Nul doute qu'il en garderait la trace quelques jours mais il n'arrivait pas à lui en vouloir.
Severus était plus contrarié qu'il ne l'avait imaginé, plus inquiet qu'il ne l'avouerait jamais et ce n'était pas une partie de jambe en l'air comme démonstration de son affection qui parviendrait à l'apaiser, même si les sentiments de Harry avaient été sincères et dénués d'arrière-pensées.
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Il se leva à son tour. Dans la salle de bains, il entendait l'eau de la douche couler d'un flot immuable et il hésita un instant, la main sur la poignée de la porte, pour finalement se décider et entrer.
Debout au fond de la douche à l'italienne, face au mur et tête baissée, Severus était immobile, un bras tendu appuyé contre le carrelage bleu-vert. L'eau chaude ruisselait sur sa nuque, ses bras, le long de son dos qui renvoyait des reflets de lumière à travers la vapeur qui baignait la pièce.
Contournant la paroi de verre, Harry s'avança sans un bruit et le rejoignit sous le jet d'eau, posant ses mains sur les épaules larges et massives et se pressant légèrement contre lui.
– Qu'est-ce qui ne va pas, Severus ? murmura-t-il à son oreille.
Le silence dura assez longtemps pour qu'il doutât que son amant l'ait entendu, mais il avait au moins perçu sa présence, collant son corps contre le sien un peu plus qu'il ne l'avait fait.
Au bout d'un moment, Severus releva légèrement la tête, sans se retourner pour autant.
– Tu vas partir, n'est-ce pas ?
Ah. Draco avait parlé de cela aussi.
– Oui, fit-il en glissant ses bras autour de la taille de Severus qui ne put réprimer un frisson.
Derrière toute la colère de son amant, il y avait donc cette question fondamentale.
– Quand ?
– Je ne sais pas. Rapidement sans doute.
– Combien de temps ? fit la voix troublée de Severus.
– Je ne sais pas non plus. Au moins quelques jours.
Le silence perdura quelques instants, assez pour qu'il trouve l'eau de la douche soudain froide et désagréable et il eut à son tour un long frisson.
– Comment est-ce que je peux te contacter ? Où est-ce que je peux te trouver ?
Harry retint un instant son souffle avant de répondre, inquiet à l'idée de ce qu'il allait dire.
– Tu ne peux pas. Tu peux juste me faire confiance.
La tension de Severus était à nouveau palpable, dense, épaisse comme du métal et il serra un peu plus ses bras autour de la taille de son amant, cherchant à le rassurer par sa présence et sa tendresse.
Severus avait peur. Peur qu'il ne disparaisse à nouveau. Peur de lui faire confiance. Peur d'un avenir incertain et qu'il ne maîtrisait pas.
Relâchant son étreinte, Harry le prit par l'épaule et l'obligea à se tourner jusqu'à ce que son regard rencontre le sien, sombre mais voilé de doutes et d'incertitudes.
– Je reviendrai. Je te le promets.
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Le manque devenait prégnant et il ne lui fallut que quelques heures pour se décider, maintenant que Severus était au courant.
Enfournant ses quelques vêtements dans son sac, assortis des parchemins qu'il avait annotés en étudiant les runes avec Severus, Harry acheva de vider et de ranger sa chambre. Jetant un dernier coup d'œil autour de lui, sur le lit à baldaquin, le canapé où ils étaient assis le matin même, le secrétaire où il avait travaillé... il s'estima satisfait et descendit présenter ses remerciements et ses adieux à son hôte qui l'écouta avec un regard incertain.
L'inquiétude de Lucius était à peine dissimulée, pas plus que les questions qui le taraudaient à l'idée de ce départ brusque et que Harry n'avait jamais clairement évoqué.
Maintenant qu'il avait pris sa décision, il ne voulait plus temporiser, comme un pansement que l'on arrache brutalement plutôt que de tergiverser. Il lui fallait partir sans attendre, sans atermoiements, miné par l'urgence.
Le pas rapide et lourd de Severus qui rentrait de la Librairie se fit entendre dans le couloir, s'approchant inexorablement du Petit Salon. Il lui fallut à peine un instant pour juger et comprendre la situation : le sac de Harry qui n'attendait que le départ, le regard gêné et inquiet de Lucius face à sa réaction. Il fit demi-tour et partit s'enfermer dans son bureau sans un mot.
Harry hésita quelques secondes. Ni l'un ni l'autre n'avaient jamais aimé les adieux; autant faire ce qu'il y avait à faire.
– Prenez soin de lui, fit-il à Lucius avant d'attraper son sac et de transplaner brusquement.
Il ouvrit les yeux sur la jungle luxuriante, sur sa forêt du bout du monde, sa maison au creux des arbres avec l'impression de sortir enfin la tête de l'eau et de prendre une grande bouffée d'oxygène. Le sentiment de pouvoir respirer normalement à l'air libre, sans être oppressé était un soulagement, pouvoir à nouveau inspirer à pleins poumons, enfin délivré de cette pesanteur et de cette apnée qui le paralysait peu à peu.
– Tu as ressenti l'appel ? fit la petite voix de Mayahuel en sortant de l'ombre. Tu es resté éloigné trop longtemps...
Merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. N'hésitez pas à me faire part de vos réactions, quelles qu'elles soient :)
Au plaisir
La vieille aux chats
