Résumé: Après quelques jours d'absence pour se ressourcer dans sa forêt, Harry retrouve Severus de façon bien plus apaisée et sereine. Lucius lui propose même de s'installer au Manoir. Puis, lors d'un déplacement de l'aristocrate, Harry a l'occasion de passer sa première vraie nuit avec Severus, découvrant une intimité différente et qui lui manque particulièrement.
Dans ce chapitre, on va retrouver Luna et Matthieu... Enjoy!
La frimousse échevelée d'Iris leur sauta dessus à peine ils apparurent sur le pas de la porte de Draco, et Minerva suivit tout aussitôt en criant de joie.
Plutôt que d'utiliser le réseau de cheminettes dont il avait toujours une sainte horreur, Harry avait préféré transplaner dans les bras de Severus, puisqu'il ne connaissait pas encore l'endroit, rapidement suivis par Lucius toujours aussi élégant que le matin même.
Le perron sur lequel ils venaient d'apparaître desservait une petite maison de ville à deux étages, emmitouflée entre ses consœurs, et dont les briques sombres contrastaient agréablement avec les encadrements de fenêtre d'un blanc immaculé. Au-dessus de leurs têtes, un joli porche de bois sculpté les protégeait de la pluie fine qui noyait le ciel de Londres, tandis que l'odeur des nombreuses fleurs qui égayaient les rebords des fenêtres lui parvenait avec ravissement.
– Pressez-vous d'entrer, fit Lucius, impatient. Je suis sous la pluie, moi !
Tant bien que mal, ils repoussèrent les assauts des fillettes, ce qui consista à contourner Minerva pour Harry et à prendre Iris dans ses bras pour Severus, afin de laisser à son tour Lucius pénétrer dans la demeure.
Laissant leurs capes aux patères de l'entrée sur les ordres des jeunes maîtresses de maison, ils entrèrent ensuite dans le salon où Daphnée et Draco les attendaient et les accueillirent chaleureusement.
La pièce n'était pas très grande comparativement à celles du Manoir dont Harry avait maintenant l'habitude, peut-être plus petite même que sa chambre qui était déjà immense, mais elle dégageait une atmosphère chaleureuse et agréable qui n'était pas sans lui rappeler le confort douillet de la salle commune des Gryffondors autrefois. Les flammes tranquilles qui dansaient dans la cheminée chassaient l'humidité de l'extérieur et les canapés moelleux appelaient à s'y asseoir et à passer la soirée en conversations futiles au coin du feu.
Les filles sautèrent dessus à genoux, attendant impatiemment que les invités les rejoignent tandis qu'il tombait dans les bras de Draco pour le saluer.
– Idiot ! fit le jeune homme à son oreille. Comme si tu n'étais pas le bienvenu ici ! Père m'avait évidemment prévenu que tu venais, mais même sans cela, ça n'aurait rien changé !
– Il t'a prévenu, ricana Harry, ou il t'a demandé ?
– Peu importe, concéda Draco en riant. Il est comme ça et tu le sais bien. Viens, je te fais visiter...
Au mot « visite », Minerva et Iris avaient bondi du canapé et Harry eut droit à l'historique complet de leur vie dans la maison et à un inventaire dans les moindres détails, de la bille perdue entre deux lames de parquet aux traits sur le mur sous l'escalier qui marquaient leur croissance, en passant par la décoration de leurs chambres au premier étage. Le deuxième était sans doute celui de Draco et Daphnée, mais ils n'y montèrent pas, se contentant d'un tour rapide dans les pièces du rez-de-chaussée, et du sous-sol où le laboratoire de potions de Draco, soigneusement fermé d'un sortilège puissant, était plus qu'honorable.
À l'extérieur, une jolie terrasse était agrémentée de nombreuses fleurs et un confortable salon de jardin donnait envie d'y passer de longues soirées d'été, à savourer un verre dans la douceur du crépuscule tandis que disparaissaient les derniers rayons du soleil dans le saule pleureur au fond du jardin. Avec tendresse, Harry espéra sincèrement qu'ils aient un jour l'occasion de passer un moment aussi précieux que cela.
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Le dîner fut joyeux, enjoué et l'annonce publique de la grossesse de Daphnée, puisque c'était le motif de cette petite réunion de famille, réjouit profondément Lucius et Severus. Ils burent sans doute plus d'un excellent champagne qu'il n'était nécessaire, mais l'occasion le valait bien. Seule Daphnée, accompagnée de ses filles, trinqua avec un verre d'eau gazeuse au milieu des sourires unanimes.
Longtemps après le dîner, tandis que Lucius, Daphnée et Severus se trouvaient dans l'obligation de partager un jeu de société avec Minerva et Iris, Harry s'installa au salon avec Draco, assez près l'un de l'autre pour pouvoir discuter à mi-voix sans être entendus.
– Je te dois toutes mes félicitations pour cette bonne nouvelle..., commença Harry.
– Même si tu étais déjà au courant avant moi ? fit Draco en riant. Je le sais, Daphnée me l'a dit. Et non, je ne t'en veux pas, si c'est la question qui allait suivre !
– C'est la faute de Maya, maugréa-t-il. Elle s'est sentie dans l'obligation de me prévenir... Mais n'est-ce pas un peu tôt pour l'annoncer ? Êtes-vous sûrs que tout va bien ?
Maya l'avait aussi prévenu que la grossesse était fragile et cette annonce laissait Harry légèrement mal à l'aise.
– Oui, tout va bien. Même si nous ne serons vraiment soulagés qu'à l'accouchement, Daphnée a été examinée aussi bien dans l'hôpital moldu où elle travaille qu'à Sainte-Mangouste et tout se déroule à merveille. Elle a passé le cap des trois premiers mois pendant lequel elle avait fait des fausses couches les autres fois. Ça devrait aller maintenant...
– Je vous le souhaite en tout cas, fit Harry pensif. Et tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là...
Draco hocha la tête en silence, les yeux rivés sur le visage épanoui de sa femme qui éclatait de rire en se moquant de la nouvelle défaite de Lucius.
– Tu es heureux ? demanda Harry mi-sérieux, mi-moqueur. Même si tu dois recommencer avec les couches, les biberons et les nuits sans sommeil ?
– Je crois qu'après ce qu'on a connu avec Iris, plus rien ne nous fait peur ! Mais je suis heureux, oui. On l'espérait, on l'attendait depuis un certain temps...
– Et les filles ? Comment ont-elles réagi ?
Draco laissait glisser son regard vers Minerva qui rayonnait de joie au milieu de ses grands-pères, et vers Iris déjà somnolente sur les genoux de Severus qu'elle n'avait pas quitté de la soirée.
– Très bien. Une nouvelle poupée à dorloter, tu penses ! Elles sont ravies ! Même si Minerva a déjà calculé qu'elle rentrait à Poudlard dans trois ans et qu'elle ne vivrait pas très longtemps avec le bébé...
Harry laissa échapper un hoquet de surprise avant de grimacer.
– Elle est décidément un peu trop mature pour son âge...
Draco haussa les épaules puis se tourna vers lui pour l'observer longuement, un léger sourire sur les lèvres.
– Et toi ? Comment ça va ? Avec Severus ?...
– Bien. Très bien... Tu sais que ton père m'a proposé de m'installer au Manoir ?
Il avait dit cela sans réfléchir, sans songer que c'était peut-être un peu maladroit vis à vis de Draco, cette façon d'envahir peu à peu leur vie de famille, mais le sourire qui s'agrandit brusquement sur les lèvres du jeune homme, presque jubilatoire, le rassura rapidement.
– Ça ne m'étonne qu'à moitié. C'est bien le genre de mon père... Et franchement, il est aussi ravi que Severus que tu sois revenu. J'ai cru qu'ils allaient devenir fous tous les deux là-bas !
Harry fronça brusquement les sourcils devant les insinuations de Draco.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Severus a été... légèrement sur les nerfs pendant ton absence. Père m'a demandé de passer, un jour, avant de lui jeter un sort... tellement c'était devenu invivable.
– Qu'est-ce que tu as fait ? grogna Harry, contrarié par ces révélations.
– On a beaucoup parlé, répondit Draco en haussant à nouveau les épaules. Il m'a posé pas mal de questions sur toi. Si je savais où tu habitais, où tu étais parti... Disons qu'il a essayé de me tirer les vers du nez, ajouta-t-il en riant. Et si Bellatrix ne m'avait pas si bien formé à l'occlumencie, je pense qu'il aurait été chercher directement les informations dans mon esprit !
D'un regard sévère, Harry observa son amant qui câlinait Iris en lui suggérant doucement d'aller se coucher, et la tendresse de son attitude fit fondre sa colère. Mais il gardait un sentiment partagé en songeant à ce qui s'était passé en son absence, agacé tout autant qu'amusé, tandis que Draco reprenait, plus sérieux.
– Il m'a demandé également ce que je savais de ton passé, de ta magie. Ou bien d'où venait ta cicatrice dans le dos. Pourquoi il m'avait croisé si bouleversé le jour où tu m'as montré tes souvenirs... Il n'est pas dupe; il a compris que je sais de toi davantage de choses que lui. Il se pose beaucoup de questions, Harry, et je pense qu'il a besoin de réponses.
Une sourde douleur traversa sa poitrine à l'idée de devoir un jour révéler certaines choses à Severus. Il n'était pas certain de réussir à se dévoiler avec lui comme il l'avait fait avec Draco; surtout avec lui.
– Il m'a également demandé ce que tu pensais... des enfants, fit Draco d'une voix encore plus basse. Il a sans doute observé ton attitude avec Minerva. Et il a insinué que tu avais étrangement réagi lorsqu'il t'avait montré un album photo des filles bébé...
– Je..., balbutia Harry. C'est vrai, mais...
– Je ne lui ai rien dit, assura Draco. Mais il est inquiet. Je crois que ce qu'il craint au fond, c'est que tu ne partes pour rencontrer quelqu'un de plus jeune et fonder ta propre famille...
L'incongruité des inquiétudes de Severus lui fit ouvrir des yeux ronds et Harry éclata d'un rire joyeux et presque soulagé qui fit tourner toutes les têtes vers lui. Quand les regards surpris se furent enfin détournés d'eux, Harry reprit d'une voix basse mais véhémente.
– Mais enfin... c'est ridicule !
– C'est une question qui se pose, Harry. Ou du moins qu'il se pose. Toi et moi avons le même âge et je vais avoir mon troisième enfant...
– Mais ça n'a rien à voir ! Tu sais très bien que...
– Moi je sais. Mais pas lui... C'est pour ça que tu devrais lui parler.
Harry maugréa et grimaça et s'enferma dans un silence contrarié. Les inquiétudes de Severus étaient ridicules, et... hors de propos, et il ne pouvait se résoudre à dévoiler certains événements de sa vie devant des craintes aussi déraisonnables ! Ça n'avait aucun sens ! Pourquoi est-ce que Severus ne pouvait pas simplement arrêter de se poser des questions et prendre les choses comme elles venaient ?!
Il savait pourtant très bien l'importance qu'il avait pour lui; ces sentiments qui, quelque part, n'avaient jamais cessé, qui s'étaient simplement estompés et camouflés sous des tas d'autres sensations. Severus savait très bien la tendresse, le désir, l'attachement, le besoin qu'il ressentait. Il le lui avait déjà dit.
Ou peut-être pas.
Il le lui avait déjà fait comprendre... Ou peut-être pas. Ou pas assez.
Peut-être que Severus avait besoin, lui, d'être tout le temps rassuré, d'être sûr, de s'accrocher à des certitudes, celle de son retour quand il aurait besoin de partir dans la forêt, celle de ses sentiments malgré ses silences.
Mais malgré ses angoisses, Severus devait lui faire confiance. De la même manière que Harry avait confiance en lui, de manière totale et absolue, parce qu'il ne pourrait jamais prouver ce qu'il ressentait.
Mais pour lui faire confiance, Severus avait besoin de savoir.
Et au moment où il admettait cette absolue nécessité, Harry comprenait également qu'il serait incapable de parler à Severus. Il le fallait et pourtant il ne le pouvait pas. Ne le pourrait pas.
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Harry sentit sur son bras la main amicale de Draco qui cherchait à le sortir de ses pensées moroses, et le regard lumineux de ses yeux gris lorsqu'il tourna la tête vers lui, lui fit immédiatement penser à son père. Les deux hommes se ressemblaient d'une manière frappante, et qui n'était pas seulement physique : la même sincérité sous les apparences, la même humanité cachée derrière une façade qui pouvait paraître austère... Draco semblait plus facile à aborder quand Lucius respirait davantage l'autorité et une supériorité parfois méprisante, mais au fond, ils étaient les mêmes et Harry les appréciait autant l'un que l'autre.
– Est-ce que le nom de Mandy te dit quelque chose ?
– La seule que je connaisse était la secrétaire de Père lorsqu'il était au Ministère, répondit Draco, surpris. Pourquoi ?
– Lucius l'a vue hier matin et Severus a paru... mécontent de cette nouvelle. Est-ce qu'il a quelque raison que ce soit de lui en vouloir ? Ou de s'en méfier ?
Draco ouvrit des yeux ronds avant de rire doucement pour ne pas éveiller la curiosité des autres.
– Non, il n'a aucune raison de lui en vouloir, à part le fait qu'à l'époque, mon père passait plus de temps avec elle qu'avec lui ! Quant à s'en méfier... ça fait bien longtemps que Lucius a tourné le dos à la gente féminine !
Il n'avait pas posé la question dans ce sens-là, mais l'information était intrigante et Harry fut poussé par la curiosité.
– Comment ça ?
– Je sais que mon père a eu quelques aventures féminines durant sa jeunesse... Et ma mère bien que ce fut un mariage arrangé. Mais depuis que Severus est dans sa vie, il n'y a que lui qui ait compté. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait eu que lui ! acheva Draco en riant.
Les deux hommes avaient mentionné une fois, au détour d'une conversation, avoir eu des partenaires occasionnels, mais à les entendre, ce n'était que pour partager une nuit à trois et varier les plaisirs. Harry n'aurait jamais songé que Lucius, si épris de Severus au point de s'en rendre malade à l'idée de le perdre et de finir à Sainte-Mangouste, ait pu, de son côté, avoir un ou des amants. Cela paraissait sidérant.
– Ton père a eu des aventures en dehors de Severus ?! fit-il, surpris, en détachant chaque mot.
– Oui. Plusieurs. Toujours des hommes. Des amants plus ou moins réguliers, des coups d'un soir... Mais ça fait des années que ça n'est pas arrivé, je pense...
– Et il le sait ?
Harry observait les deux hommes, assis côte à côte de manière assez proche, et quelque chose comme de la connivence passait à travers leurs gestes et leur façon de se parler à mi-voix l'un pour l'autre. Ils ne faisaient sans doute que commenter le jeu ou s'amuser de l'attitude sérieuse de Minerva en lançant les dés, mais leur complicité était éloquente.
– Oui. Severus a toujours su. Même si lui ne l'a jamais fait de son côté...
Il se tourna à demi vers Draco, jaugeant le visage sérieux du jeune homme et son regard fixé sur les membres de sa famille.
– Je te trouve quand même très bien renseigné sur leur vie privée ! s'étonna Harry en riant.
Draco eut un petit sourire de connivence avant de répondre :
– Severus est mon parrain, on a toujours été proches et j'ai toujours davantage communiqué avec lui qu'avec mon propre père. Surtout à l'époque où Père et moi étions en conflit à propos de Daphnée. On ne peut pas dire que Severus se confie, mais... il laisse parfois échapper des informations. Ou bien on devine les choses à travers ses questions... Comme lorsqu'il me pose des questions sur toi ! fit-il en riant. Quant à mon père... sa vie a été en partie publique, et pour le reste, j'ai de bons informateurs, y compris au Ministère ! Mais ça fait bien longtemps qu'il s'est assagi. Ou que Severus lui suffit !
Harry resta un instant songeur devant ces révélations. Il avait du mal à saisir comment au fil des années, Lucius avait pu aller voir ailleurs que dans son couple, puis s'affoler à l'idée de perdre Severus avant d'accepter de le partager avec lui... Et Severus, quant à lui, avait toléré les infidélités de son compagnon, sans jamais se permettre la même chose, avant de finir par lui aussi s'enticher de quelqu'un d'autre, tout en restant épouvantablement jaloux si Lucius suggérait l'avoir trompé.
Le fonctionnement de leur couple ne lui paraissait pas logique, et encore moins simple, mais l'essentiel était qu'il arrive à s'y faire une place sans pour autant mettre leur équilibre en danger. Ce qui ne paraissait pas une mince affaire !
Qu'importe ! Le temps, la patience et les compromis seraient leurs meilleurs alliés. Et il appréciait suffisamment les deux hommes, chacun à sa manière, pour tolérer les aléas et ménager les susceptibilités de l'un et de l'autre. Il n'avait jamais aimé le conflit et ce n'est pas aujourd'hui qu'il allait commencer.
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– En tout cas, depuis que tu es arrivé au Manoir, et aussi vieux qu'ils soient, tu les as sacrément dévergondés ! gloussa Draco en désignant du menton Lucius et Severus dont les mains ne reposaient pas toujours sur les cuisses de leur propriétaire.
– Hey ! protesta Harry en lui mettant une tape sur le bras. Ne parle pas comme ça de Severus ! Il n'est pas si vieux !
– Faut bien reconnaître ce qui est, Harry ! Par Merlin ! Tu sors avec ton ancien professeur de potions ! Qui était déjà bien mûr à l'époque où on était ados ! Et qui se trouve être en plus mon parrain et mon beau-père ! Salazar, je pourrais t'en vouloir pour ça, et c'est même pas le cas !
Draco riait allègrement mais ses propos avaient brusquement refroidi Harry et il demanda d'un ton beaucoup plus sérieux en accrochant son regard :
– Tu es sûr ? Tu es sûr de ne pas m'en vouloir pour ce qui se passe ?
– De quoi ? fit froidement Draco. De voir Severus heureux ? De les voir paradoxalement plus proches et plus libres dans leurs gestes qu'ils ne l'ont jamais été ? De vous voir tous les trois épanouis ? Honnêtement, je ne sais pas ce que vous allez donner, mais en tout état de cause, ce que vous êtes maintenant... je n'ai rien à y reprocher. Au contraire !
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Ils étaient rentrés un peu plus tard, après que Harry ait aidé Draco à débarrasser la table et ranger la cuisine, ce qui n'avait pris que quelques coups de baguette magique et autres sortilèges de propreté. « Le seul avantage de la grossesse ! avait ironisé Draco à mi-voix. Pour se ménager, elle m'autorise à me servir de la magie puisque je dois faire tout le boulot ! Et Merlin sait que je déteste faire la vaisselle à la main ! »
Lucius et Severus s'étaient abstenus de leur aide, arguant que le couple n'avait qu'à prendre un elfe de maison, ce que Daphnée avait une fois de plus refusé en poussant des hauts cris puisqu'ils avaient choisi de vivre dans le monde non-sorcier et comme des non-sorciers.
Harry avait à nouveau transplané dans les bras de Severus, comme s'il n'avait pas été capable de rentrer seul au Manoir, et il s'était délecté quelques instants de son étreinte et de son odeur avant de l'abandonner à Lucius pour la nuit. Avec une pointe de regret.
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Même en dormant seul, et malgré la bonne soirée qu'il avait passée chez Draco, sa nuit fut encore agitée et peu reposante. Il fit un désagréable cauchemar où il revit des visages depuis longtemps disparus, ayant presque l'impression de leur présence réelle, et un autre où Lucius, assis sur une sorte de trône, semblait rendre une justice imaginaire et le condamnait à ne plus jamais revoir Severus sous peine de tuer son amant, et la douleur de la séparation imposée par le pouvoir de l'aristocrate lui vrilla les entrailles avant de le réveiller avec une sensation de mal-être persistante.
Harry n'avait envie de rien d'autre que voir quelques instants Severus et pouvoir le toucher comme on touche un objet pour être sûr de sa présence et de sa réalité, mais c'était impossible. Severus devait encore dormir aux côtés de Lucius, plongé dans un sommeil serein et apaisé, tandis que lui se levait, agacé de se tourner et se retourner sans relâche pour chercher un sommeil qui le fuyait, et surtout plein d'un sentiment d'amertume qui ne voulait pas passer.
Il transplana dans la rotonde et s'immergea rapidement dans l'eau tiède et délassante. Engranger des longueurs de piscine et des kilomètres de nage comme le faisait Severus parviendrait peut-être à le détendre et à chasser son trouble.
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Lorsque Severus le rejoignit dans la rotonde deux heures plus tard, Harry avait fini par s'endormir sur un transat, enroulé dans une serviette de bains comme dans une couverture.
L'impression d'une présence et le bruit de l'eau le réveillèrent doucement et il contempla longuement Severus en train de nager. Cela avait toujours quelque chose de fascinant, ce geste parfait, d'une netteté irréprochable et qui semblait d'une facilité déconcertante. Et puis c'était lui...
Se hissant au bord de la piscine, Severus s'essuya rapidement, frottant son corps d'une serviette immaculée avec des gestes qui auraient pu paraître érotiques en d'autres circonstances, puis vint s'asseoir sur le rebord de la chaise longue où Harry lui fit une petite place tout en glissant ses mains sur la peau fraîche et humide pour l'enlacer.
– Eh bien ? Ton lit était à ce point inconfortable pour que tu préfères dormir sur un transat ?
– C'est parce que tu n'y étais pas, maugréa-t-il assez bas pour avoir une chance que Severus ne l'entende pas.
– Chut, fit celui-ci en posant un doigt sur ses lèvres. Pas de jalousie. Tu auras demain soir...
Le doigt fut rapidement remplacé par les lèvres de Severus et Harry s'abandonna au baiser avec un désir éperdu.
– Je dois aller travailler, fit Severus avec un sourire en se redressant. Essayez de ne pas vous entretuer !
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Harry hésitait entre l'envie de fuir Lucius et celle de converser tranquillement avec lui comme il était parfois si agréable de le faire. La faim lui fit choisir de se rendre à la Salle à Manger pour le petit déjeuner et il y rejoignit son hôte plongé dans la lecture de la presse comme chaque matin.
– Hum. Mauvaise nuit ? interrogea Lucius devant son air maussade et les cernes qui ornaient ses yeux de manière disgracieuse.
– Oui, avoua-t-il sans un mot de plus.
Harry se concentra sur ses toasts enduits de marmelade et sa tasse de champurrado, gardant un silence sans doute fort discourtois vis à vis de Lucius qui lui jetait de temps à autre des coups d'œil surpris, mais il n'arrivait à rien d'autre.
– Harry, qu'est-ce qui ne va pas ? s'enquit son hôte en posant une main sur son bras alors qu'il allait quitter la pièce.
Il baissa les yeux sur cette main fine et blanche, aussi élégante que son propriétaire, cette main qui avait dû caresser Severus pendant la nuit et une douleur sourde monta brutalement dans sa gorge.
– Je ne sais pas. Rien. Tout va bien. Ou du moins, ça va aller, murmura-t-il rapidement. Je dois aller à Poudlard. Je reviendrai...
Harry laissa sa phrase en suspens sans savoir comment la finir. Il avait compté dire quand il devait revenir, mais il n'en savait rien. Pour l'instant, il voulait juste partir.
Lucius se leva brusquement et le retenant par le bras, se tint un peu trop près de lui. Il le dominait de toute sa hauteur, ses grands yeux gris penchés sur lui et sa main vint doucement soulever son menton jusqu'à ce que leurs regards se croisent. Harry n'y voyait que douceur et bienveillance et quelque part, cela lui fit encore plus mal. Des lèvres tendres vinrent se poser sur son front et les bras qui l'enlacèrent, plus fins que ceux de Severus, dégageaient pourtant la même impression de force et de puissance.
Il s'en voulut de ces sentiments et de l'envie de s'abandonner à cette étreinte, se libéra avec délicatesse et transplana rapidement.
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C'était une mauvaise journée et elle le resterait sans doute jusqu'au bout si elle continuait comme ça.
En s'échappant presque du Manoir, il avait transplané sans réfléchir, sans formuler de destination précise, et il se tenait à présent devant la porte sombre du 12, square Grimmaurd. Comme si cela ne pouvait pas être tout à fait réel, Harry se retourna pour observer la rue calme, les voitures sagement rangées le long du trottoir, les grilles de fer forgé immuables et au-delà, les hauts arbres et le calme tranquille du parc où il avait passé tant de temps l'été de ses dix-huit ans. (1)
Mû par une impulsion soudaine, il descendit rapidement les marches du perron et traversa la rue, laissant ses pas se souvenir des mêmes allées sinueuses qu'il avait si souvent empruntées pour rejoindre son banc.
Il était toujours là, aussi constant que la maison de Sirius, le même banc de bois sans doute maintes fois repeint, et sur lequel était aujourd'hui assis un jeune couple d'amoureux qui se regardaient dans le blanc des yeux avec une passion évidente. Plutôt que d'imposer sa présence, Harry continua à s'avancer et alla s'asseoir au pied d'un arbre, s'adossant au tronc immense et massif. La dernière fois qu'il s'était assis ainsi, c'était dans le parc du Manoir et Severus avait sa tête posée sur ses cuisses.
Les amoureux se souriaient au loin, épiés par un écureuil curieux et affamé. Les jeux pour enfants n'étaient plus les mêmes, plus modernes et plus grands que dans son souvenir, mais ils étaient toujours aussi fréquentés par une ribambelle de bambins en sueur, souriants et criants à l'envi. Il se souvint avec une pointe de tendresse de cet enfant-là, qui l'avait ému et qui, inconsciemment, lui avait donné l'envie de se battre à nouveau. Il aurait été curieux de savoir ce qu'il était devenu aujourd'hui...
Harry entendit pouffer à cette idée avant de se rendre compte avec étonnement que le bruit provenait de lui et qu'encore une fois, cet enfant était parvenu à lui changer les idées et à lui rendre un peu de joie.
Il se leva avec bien plus d'entrain qu'il n'en avait eu à venir et traversa à nouveau le parc puis la rue pour se retrouver devant la façade sombre et la porte de bois noir de sa maison. Son autre maison, après celle de la forêt. Pour quelqu'un qui ne se sentait chez lui nulle part, il avait tout de même beaucoup de maisons, songea-t-il avec amusement.
La demeure paraissait bien moins jolie et accueillante que celle de Draco, mais tout l'intérieur avait été refait l'année où il avait habité là et elle avait été nettement plus agréable que du temps des Black. Il y pensait presque avec nostalgie aujourd'hui et cette pensée le fit à nouveau sourire. Mais depuis toutes ces années, la maison végétait sur elle-même, sans personne pour l'entretenir et veiller sur elle et il appréhenda légèrement l'état dans lequel il allait la trouver.
Harry posa sa main sur la poignée de la porte. Il n'y avait ni serrure, ni clef pour ouvrir; un simple sort de reconnaissance qui fonctionna encore et il entendit distinctement la clenche sortir de son logement, lui permettant de pousser la porte qui pivota sur ses gonds sans le moindre grincement.
La blancheur des murs lui sauta aux yeux, l'éblouissant presque, et à mesure qu'il pénétrait dans la maison, la sensation de lumière se fit plus vive même que lorsqu'il était dehors dans le parc. Il parcourut rapidement les pièces du rez-de-chaussée, puis celles des étages, aussi ordonnées et impeccables que s'il vivait là. Davantage même, considérant sa légère tendance à poser les objets, livres, parchemins, vêtements... où il se trouvait pour les oublier ensuite. Charlie, autrefois, avait longtemps râlé contre cette manie de ne jamais voir les affaires qui traînaient, avant de se résigner et de les ranger à leur place d'un coup de baguette nonchalant.
La maison était comme neuve, propre, sans le moindre grain de poussière, les lits faits au carré, mais sans âme qui vive. Les placards du garde-manger étaient tous vides et aucun feu ne semblait avoir brûlé dans les cheminées depuis bien longtemps. Harry appela longuement Kreattur, sans réponse, et ne le trouva ni dans sa pièce au sous-sol, ni dans le grenier où il venait parfois observer les passants dans la rue.
Intrigué mais sans le moindre début d'une explication concernant l'état de la maison, Harry finit par se résoudre à partir, non sans avoir renouvelé le sort de reconnaissance sur la porte d'entrée. Il s'en allait avec bien plus de questions qu'il n'en avait en arrivant, mais au moins, il avait oublié son humeur maussade et ses interrogations sur sa relation avec Severus.
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Le transplanage suivant l'amena à sa destination initiale, le parc du château de Poudlard. La matinée tirait à sa fin mais les cours n'étaient pas encore finis et Harry se dirigea lentement vers les rives du lac où il avait fait des ricochets avec Draco et ses filles quelques jours plus tôt.
Il se perdit longtemps dans la contemplation de cette eau sombre et froide qui lui rappelait un autre lac devenu tabou par sa faute. Mais celui de Poudlard lui était familier, il avait passé du temps sur ses rives herbeuses avec ses amis d'alors, Ron, Hermione, Ginny et les autres... plus tard avec Draco et Luna, et même plus récemment avec Matthieu.
Il songeait au square Grimmaurd, si propre et rangé, il aurait presque pu dire accueillant, maintenu en l'état par il ne savait quel miracle ou quel sortilège, comme si quelqu'un avait posé sur la maison le même sort de conservation que les elfes mettaient parfois sur la nourriture. Se pouvait-il que Kreattur, avant de partir ou de mourir, ait pu faire quelque chose comme cela ? Il aurait dû se livrer à une étude plus approfondie des derniers sorts lancés dans la maison, mais c'était un peu tard, et peut-être pourrait-il revenir avec Sky qui serait sans doute plus sensible à la magie des siens...
Il repensa à la petite dizaine d'elfe qui entretenaient le Manoir et ses jardins avec un dévouement sans pareil. Hormis Sky, il ne connaissait le nom d'aucun d'eux et il se promit de remédier à cela s'il devait vivre à présent dans la demeure. S'il avait besoin d'eux, il se refusait à les appeler d'un claquement de doigt ou d'un coup sec sur la table comme le faisait Lucius. Hermione aurait été fière de lui ! songea-t-il en souriant.
L'image d'un grand blond aux yeux gris s'imposa lentement dans son esprit et il repensa au geste de Lucius avant qu'il ne s'enfuie du Manoir comme un voleur. Il n'arrivait pas à savoir s'il devait considérer son attitude comme équivoque ou purement empathique. Harry était certain que Lucius ne le considérait plus comme un invité, pas plus qu'il ne le considérait simplement comme l'amant de Severus, mais sa position exacte demeurait floue. Et l'étreinte dont il l'avait gratifié tout à l'heure contenait une tendresse déconcertante.
Severus lui manquait et c'était tout aussi déconcertant. Harry avait pu partir plusieurs jours à l'autre bout du monde sans souci, enfin libre et aussi solitaire qu'il en avait eu envie, et tout d'un coup, il se retrouvait douloureusement incapable de passer plus de quelques heures sans son amant ou de devoir le partager avec Lucius. Il comprenait à demi ce que Severus avait dû ressentir pendant son absence : ce manque. Et ce besoin.
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De longues jambes vêtues d'un pantalon de toile claire apparurent dans son champ de vision et sans souci pour l'état de ses vêtements, Luna s'assit dans l'herbe à ses côtés. Elle remonta ses genoux qu'elle enserra de ses bras et posa sa joue dessus, son visage tourné vers lui.
– Que fais-tu ici ? demanda-t-elle doucement. Ici, je veux dire : pas à Poudlard, mais près du lac...
Elle disait cela comme si le trouver là plutôt qu'ailleurs avait un sens. Comme si cet endroit particulier pouvait avoir une signification ! Peut-être bien avait-elle raison...
– Je t'attendais ? sourit-il.
– Je suis là.
– Je vois... Les cours sont terminés ?
– Oui. Je t'ai senti depuis un moment, mais je ne pouvais pas venir avant...
– Senti ? s'amusa-t-il. J'ai une odeur particulière ?
– Oui, fit-elle rêveusement. Tu sens le bois, la sève, quelque chose de vivant et de vert comme des feuilles écrasées, de l'herbe coupée... la chlorophylle peut-être. Ou du moins c'est ta magie qui sent cela...
Il sourit avec tendresse aux paroles de la jeune femme. Lorsqu'elle se laissait aller, elle était la même adolescente rêveuse et un peu étrange qu'autrefois.
– Qu'est-ce qui t'a amené ici ? demanda-t-elle à nouveau.
– Je ne sais pas, fit-il pensif. C'était l'endroit où être ? C'est une journée étrange...
– C'est une journée étrange pour moi aussi, confirma-t-elle pensivement en hochant la tête. Un élève m'a offert un livre inestimable et Padma m'a offert le même bouquet que le jour de notre mariage...
Harry pouffa de surprise et d'amusement devant ce geste tendre et intime qu'elle dévoilait sans pudeur.
– C'est une histoire d'une tristesse absolue, le réprimanda Luna à moitié sérieuse. Pour la cérémonie j'avais un magnifique bouquet en plumes de paon que j'avais gardé précieusement, et une année, j'ai accepté de garder Orion pour rendre service à Draco qui ne pouvait pas le faire, pendant que Lucius et Severus étaient partis en voyage. Et ce maudit chat a ravagé mon bouquet de mariage !
– Des plumes de paon, Luna ? s'étrangla-t-il en riant.
– Évidemment, ce maudit chat a sauté dessus dès qu'il les a vues ! grommela-t-elle. Je l'aurai bien métamorphosé en araignée pour pouvoir l'écraser ensuite, mais ça aurait fait de la peine aux filles ! Enfin... aujourd'hui, j'ai à nouveau un bouquet digne de ce nom, acheva-t-elle avec un sourire.
Il souriait aussi, résistant à l'envie de se moquer gentiment des plumes de paon dévastées par le chat de Severus, mais l'image de Padma offrant à nouveau à Luna ce précieux bouquet perdu était si tendre qu'il en oublia toute plaisanterie déplacée.
– Et ce livre, c'était quoi ?
– Un livre de mon enfance, offert par mon père à l'origine, et qui avait brûlé dans l'incendie de la maison. J'avais mentionné le titre un jour en cours... Mais, tu sais, d'habitude, les élèves n'écoutent jamais ce qu'on leur dit ! Et ce garçon a trouvé ce livre dans une brocante et il me l'a ramené...
Le ton encore émerveillé de sa voix était nettement perceptible, tout comme son émotion, et Harry passa doucement un bras autour de ses épaules pour la tirer contre lui.
– Tes élèves t'apprécient...
– C'est réciproque, fit-elle à mi-voix avant de reprendre. Et toi, en quoi est-ce une journée étrange ?
– Je ne sais pas. Je suis un peu perdu, je crois, pensa-t-il le regard égaré dans le vague des eaux scintillantes. Entre ce dont j'ai envie et ce qui est raisonnable, entre le désir irrépressible et la nécessité de composer avec ce que je ne peux pas changer... Des choses que je ne comprends pas, d'autres que je ne maîtrise pas et qui m'effraient... Et quand je veux transplaner à Poudlard, je me retrouve square Grimmaurd ! acheva-t-il en riant.
– C'est un signe très intéressant ! fit Luna avec un regard gourmand. Es-tu sûr de n'avoir pas le moins du monde pensé à cette destination avant de transplaner ?
– Oui, j'en suis sûr ! J'ai pensé à cette maison récemment, mais pas à ce moment-là !
Harry se défendait avec bonhomie, amusé de l'intérêt soudain de Luna pour ce qu'il considérait être un aléa de la magie et elle, de toute évidence, un présage.
– Et à quelle occasion avais-tu récemment songé à cette maison ? s'enquit-elle.
– Hum. J'avais songé, éventuellement, à y habiter, si je ne m'installe pas au Manoir, marmonna-t-il avec l'impression de trop en dire.
Et à ce que Severus l'y rejoigne régulièrement... mais cela, il ne le mentionna pas.
– T'installer au Manoir ? fit-elle avec un demi-sourire qui ne lui disait rien qui vaille. Et dans quelles circonstances as-tu transplané ? Que s'était-il passé juste avant ?
Juste avant, Lucius avait semble-t-il percé à jour son manque criant de Severus et s'était permis un geste de tendresse surprenant...
Harry grogna pour toute réponse, mais il n'était de toute façon pas certain que Luna en attendait une. Elle voulait seulement lui faire mettre le doigt sur quelque chose.
– Il y a sans doute matière à réfléchir, reprit-elle. Les aléas de la magie sont souvent les chemins de l'inconscient...
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– Sais-tu si Kreattur est mort ? fit-il pour changer de sujet.
– Non. Je veux dire, non il n'est pas mort. Il travaille un peu dans les cuisines de Poudlard... où il est copieusement détesté par les autres elfes, parce qu'il ne fait à manger que pour les Serpentards ! dit-elle en riant. Draco et moi ne voulions pas qu'il reste tout le temps seul square Grimmaurd... il y devenait fou. S'il est possible qu'il le soit encore davantage qu'il ne l'était déjà.
Harry hocha la tête pensivement.
– C'est donc lui qui entretient encore la maison...
Luna acquiesça et il en fut presque un peu déçu. Croire que la demeure avait pu rester en l'état toutes ces années, comme préservée par magie des aléas du temps, avait eu quelque chose de réconfortant et d'étrangement beau.
– Et donc, tu comptes te réinstaller en Angleterre ? l'interrogea-t-elle sans lui laisser le temps de réfléchir.
– C'est possible..., fit-il avant d'hésiter. En fait, oui.
Un sourire ravi illumina le visage de Luna et il lui sourit en retour, heureux de sa réaction, mais aussi de pouvoir s'avouer à lui-même avec certitude ce qu'il présageait depuis un moment. Le fait est qu'il ne pouvait plus partir.
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– Luna, est-ce que tu veux des enfants un jour ?
– C'est une proposition ? fit-elle en riant.
– Non ! protesta-t-il avec véhémence avant de rire de sa moquerie. Idiote ! Mais je me demandais...
– D'où vient cette question ? demanda-t-elle plus sérieuse.
Harry regretta aussitôt de l'avoir posée; Luna avait le don pour ne jamais abandonner aucune question sans avoir creusé jusqu'au fond les motivations de celui qui l'avait posée !
– Il paraît que c'est une question que Severus se pose à mon sujet... Alors, je me demandais pour toi. Comme on a le même âge et que tu vis également avec une femme...
– Parce que tu vis avec une femme ?
Son sourire innocent ne dissimulait pas le moins du monde son ironie et elle reprit avant de s'attirer les foudres de Harry.
– Parce que je vis avec quelqu'un du même sexe que moi, donc... En fait, « il paraît que », c'est Draco qui a parlé avec son parrain et Severus se demande si c'est une question qui te travaille ?
Harry jura le plus silencieusement possible devant cette impossibilité de discuter avec elle sans être décortiqué vivant.
– Je comprends qu'il s'interroge... Pour ma part, non, répondit-elle alors qu'il se souvenait à peine de la question originelle. Je n'en ai, je crois, jamais souhaités. Quand on se découvre gay, il y a souvent cette espèce de résignation implicite qui va de pair... Et puis, je suis sans doute trop « perchée » pour ça. Mes élèves et mes filleules me suffisent. Mais c'est une question sensible pour Padma... Elle éprouve ce désir, même si elle fait comme si de rien n'était pour l'instant. Elle a peu de famille, et elle n'aura jamais de neveux ou de nièces, étant donné que Parvati est morte pendant la Dernière Bataille. Alors, je ne sais pas... Il y a parfois des choses que l'on ne fait pas pour soi-même.
Harry la regarda soudain d'un air étonné, surpris par cette confidence pour le moins intime sur leur couple. Elles avaient paru si unies et soudées lorsqu'il les avait vues ensemble que ce grain de sable lui fit mal au cœur.
– Je crois que pour toi, c'est une question qui ne se pose pas non plus, fit Luna en posant une main sur son visage. Mais Severus ne le sait pas encore...
À cet instant précis, il fut certain qu'elle savait bien plus de choses qu'il n'avait pu lui en dire, qu'elle avait vu en lui ou dans ses fichues boules de cristal des informations qu'il n'avait jamais dites puis l'impression s'estompa.
– Pourquoi dis-tu cela ? murmura-t-il.
– Parce que tu prendras ce qui viendras... Avec ou sans la présence d'enfants dans ta vie. Tu l'as trop attendu.
En y réfléchissant bien, il ne pouvait qu'acquiescer, ce qu'il fit en l'observant un peu plus attentivement. Luna était jolie, grande, fine, avec ce soupçon d'élégance dans les gestes qui attirait l'œil et lui donnait beaucoup de prestance. Mais dans les moments plus intimes et privilégiés qu'ils pouvaient avoir lorsqu'ils étaient seuls, une fragilité inédite se mêlait à l'impression d'assurance qu'elle dégageait et Harry retrouvait en elle l'adolescente rêveuse et parfois douloureuse qu'elle avait été pendant leurs années à Poudlard. Et le regard perçant de ses yeux bleus semblait voir en lui comme dans un livre ouvert.
Elle hocha la tête comme en réponse à ses pensées intérieures, et reprit pensivement :
– Severus s'inquiète de ce qui pourrait t'éloigner de lui... C'est mignon.
– Ne te moque pas, Luna. Je t'en prie.
Il avait dit cela comme une supplique, déconfit par ce qu'elle pouvait penser de leur relation.
– Je ne me moque pas, Harry. C'est très sincère. Ça prouve à quel point il tient à toi... Comment... arrivez-vous à « négocier » cette partie à trois ?
Il sursauta à cette question surprenante, presque déplacée, mais la voix de Luna n'avait rien d'ironique; il y décelait au contraire une attention soucieuse et concernée.
– À tâtons. Tout ça est très flou pour l'instant. J'arrive à « obtenir » quelques moments par-ci par-là avec Severus, lorsque Lucius travaille ou bien lorsqu'il est absent... Mais ils ont à la fois un goût de trop peu et de trop précieux. Rien n'est simple, ni ordinaire, ni évident. Ce n'est pas... facile.
– J'imagine que ce n'est facile pour personne, fit Luna pensivement. J'ai connu brièvement la place de Lucius... À la fin de mon histoire avec Katie. C'était déjà assez tumultueux entre nous deux lorsqu'elle est tombée amoureuse de son mari. Elle m'aimait encore et elle aurait voulu que ça puisse... fonctionner. Elle ne pouvait pas choisir. J'ai choisi pour elle. Je n'aurais jamais pu la partager avec quelqu'un d'autre comme Lucius le fait pour toi. Et comme tu le fais aussi.
– Je n'ai pas vraiment le choix, j'imagine...
Luna tourna vers lui un regard plus dur.
– Si, tu l'as. Mais tu as choisi de respecter ce qu'ils étaient et ce qu'ils vivent. Ce dont je ne peux que te remercier. Ils ont leurs travers et je leur reproche beaucoup de choses, mais je les estime malgré tout. Et ils sont les grands-pères de mes filleules, qui les adorent !
– Surtout Iris ! plaisanta-t-il pour détendre l'atmosphère.
Luna leva les yeux au ciel, vaguement exaspérés mais aussi pleins de tendresse.
– Severus a pratiquement élevé cette gosse pendant deux ans !
Ils sourirent tous les deux devant ce que cette phrase pouvait avoir de cocasse si elle ne recouvrait pas une réalité plus émouvante, et se perdirent quelques instants dans leurs souvenirs. Harry n'avait vu que les photos de cette période, mais elles l'avaient bouleversé au-delà de ce qu'il croyait possible. Et la douceur dont Severus faisait preuve vis à vis de la petite fille lui rappelait des souvenirs personnels bien plus amers.
– Ne sois pas si abattu, fit soudain Luna. La situation n'est pas aussi sombre que tu le crois. Vous n'avez qu'à vous mettre en couple tous les trois, cela simplifierait vos problèmes !
Elle avait fini sa suggestion en riant, mais cela lui arracha tout de même un frisson glacial. L'image fugace d'un vaste lit où ils dormiraient tous les trois ensemble s'imposa avec insistance dans son esprit. Il se demanda furtivement quelle place aurait chacun d'entre eux en pareille circonstance, avant de se sentir furieusement coupable et de chasser cette pensée avec horreur.
– Pourquoi n'as-tu pas tenté la même chose avec Katie, si c'est une si bonne idée ?! grinça-t-il.
– Erk ! Parce que c'est répugnant ! fit-elle avec une grimace de dégoût. Katie a rencontré un homme ! Vous, vous êtes tous les trois du même sexe... ça peut fonctionner !
– Qu'est-ce qu'il y a de si choquant à coucher avec un homme ? rit-il. Parce que tu n'as jamais... ?
– Erk ! Non ! Et si mes souvenirs sont bons, ton expérience de la population féminine est plus que limitée également.
La réaction de Luna le fit rire mais elle avait également raison pour lui.
– À part quelques baisers avec Cho ? songea-t-il avec amusement. Et Ginny que je considérais plus comme une petite sœur ?...
– Voilà. Concernant ton expérience avec les hommes, en revanche, j'ai souvenir que Mac Gonagall se demandait souvent où tu passais tes soirées...
– C'était parce que j'avais besoin d'être sûr, bougonna-t-il devant ses allusions.
– Il t'a fallu beaucoup d'essais avant d'être sûr !
Luna éclata de rire devant son sourire faussement embarrassé. Harry, lui, ne se souvenait que trop bien des corps fugaces étreints dans la pénombre des bars ou des boîtes de nuit, qu'il ramenait parfois quelques heures square Grimmaurd avant de les chasser au petit matin pour regagner Poudlard, éreinté et insatisfait. Il avait tout autant cherché à confirmer ses attirances qu'à tenter d'oublier son amour vain pour Severus. Une boulimie de bras, de peaux et de sexes qui n'avait servi à rien d'autre qu'à se sentir un peu plus sale et misérable.
– Allez, viens, fit-elle en posant une main sur sa cuisse pour prendre appui et se lever, avant de la lui tendre pour l'aider à se lever à son tour. Allons déjeuner. J'ai faim et je dois encore assurer un cours tout à l'heure...
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Ils regagnèrent le château et descendirent directement aux cuisines puisque le repas servi dans la Grande Salle était terminé depuis un moment. Les elfes de maison s'empressèrent autour d'eux avec déférence, rapidement chassés par Kreattur qui décréta qu'il s'occuperait seul de son maître et de l'enseignante de Poudlard.
Il semblait au comble du bonheur de pouvoir à nouveau servir son maître et de se sentir utile, mais en voyant la lueur d'adoration et de folie qui couvait dans ses yeux, Harry se sentit coupable de l'avoir abandonné à son sort en quittant l'Angleterre. Kreattur n'était déjà pas tout à fait sain d'esprit du temps de la mère de Sirius; le temps et la solitude n'avaient pas arrangé les choses. Poudlard était une bonne chose pour lui, il n'y était ni seul, ni esclave, et pouvait bougonner à son aise en ne faisant que ce qu'il voulait bien faire. De préférence pour Harry ou des Serpentards.
Rassasiés de tourte à la viande, de légumes, de gâteau et de jus de citrouille, ils burent tout de même un verre au retour définitif de Harry au pays, à quoi Kreattur manqua de s'étrangler et de défaillir de bonheur.
– Ce qui ne veut pas dire que je serai toujours en Angleterre, Luna...
Il se sentait obligé de préciser sans cesse ce détail pour ne pas laisser croire des choses fausses.
– Oui, je sais bien, fit-elle en riant. L'appel de la forêt, tout ça... Mais si tu ne vas pas à la forêt, la forêt peut venir à toi !
– J'avais bien aussi quelque chose comme cette idée-là, mais c'est sans doute un peu prématuré d'en parler, se défendit-il tandis qu'elle le regardait d'un air intrigué. En fait, j'étais venu pour parler de plein de choses, mais pas de moi !
– C'est-à-dire ? fit-elle en reposant son verre de vin.
Harry hésita. Entre confidences et plaisanteries, les sujets qu'il voulait aborder à l'origine ne paraissaient plus si essentiels et un survol rapide serait sans doute suffisant.
– Eh bien... L'héritage Lestrange tout d'abord. Avec Lucius, j'ai pu jeter un œil sur l'inventaire complet et je voulais en parler avec toi et Neville. De vos projets, etc... Et puis, vous dire que j'allais rester un peu plus longtemps que prévu, ajouta-t-il avec un sourire. Et puis, je voulais te parler de Minerva...
Son visage prit un air plus concerné et elle le regarda intensément.
– Qu'y a-t-il avec Minerva ?
– Je... voulais te demander l'autorisation de lui fournir sa première baguette d'enfant. Je sais qu'il est de tradition que ce soit le rôle de la marraine de l'accompagner, mais...
En réalité, il n'avait pas vraiment d'arguments à fournir pour expliquer sa demande, mais Luna, toujours aussi clairvoyante, buta sur tout autre chose.
– Lui « fournir » ? fit-elle en réfléchissant un instant. Je croyais que c'était la baguette qui choisissait son sorcier... Je ne sais pas ce que tu as derrière la tête, mais tu es sans doute le mieux placé pour savoir ce qu'il faut faire. Tu as bien plus d'affinité que moi avec sa magie...
Il sourit doucement face à son intuition. Elle n'avait pas tout à fait tort et sa réponse contenait aussi un remerciement implicite. Harry secoua doucement la tête face à ce qui n'était qu'évidence et justice, simplement heureux d'avoir pu rendre un peu de bonheur à la fillette et à ses proches.
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Harry passa l'après-midi à deviser avec Neville dans le bureau directorial. Le perchoir inutile de Fumseck traînait dans un coin comme un souvenir quelque peu funeste et il se demanda encore une fois ce que l'oiseau était devenu après avoir rendu la vie à Severus dans la Cabane Hurlante cette année-là. Se pouvait-il que la quantité de magie déployée pour venir à bout du venin de basilic ait eu raison de lui, ou bien avait-il disparu pour une toute autre contrée, ayant accompli son devoir et sa destinée ici ?...
Sur le mur, entre les portraits de Dumbledore qui souriait d'un air espiègle et de Mac Gonagall dont le regard bienveillant atténuait la dureté, se tenait un cadre sobre et vide. Severus Rogue 1997-1998. Harry était curieux de savoir si ce cadre était toujours vide parce que Severus était encore vivant ou bien si le portrait venait de temps en temps honorer le bureau de sa présence, mais, étrangement, il n'osait poser la question à Neville.
La question de l'héritage, paradoxalement à la charge symbolique qu'elle représentait pour lui, fut vite réglée puisqu'il en laissait l'entière disposition à Neville et que celui-ci regorgeait d'idées pour l'utiliser. Harry en fut grandement soulagé même si le plus compliqué restait la mise en œuvre officielle de son souhait. Mais à mesure qu'il en avait parlé avec Lucius et qu'il s'était fait à l'idée d'avoir à nouveau une vie médiatique, tout cela l'effrayait moins. Et s'il devait vivre pour de bon en Angleterre, il refusait d'avoir à se cacher ou à surveiller en permanence ses arrières de peur d'être reconnu. Il n'avait pas à avoir honte de qui il était et leur curiosité finirait bien par s'émousser avec le temps. Ou avec un peu d'argent comme le faisait si bien Lucius...
L'après-midi passa rapidement et il quitta Neville à l'heure du thé, non sans lui avoir dit de saluer et de remercier Hannah pour son intervention à Pré-au-lard lorsqu'il était avec Draco. Même si l'idée ne l'enchantait guère, il accepta aussi une invitation à venir rencontrer ses parents qui souhaitaient absolument le remercier de ce qu'il avait fait pour eux. Les époux Londubat allaient bien mieux et avaient fini par nouer avec leur fils des relations amicales, à défaut de réelles relations filiales, mais ils avaient connu ses parents à une époque lointaine et Harry n'avait pas très envie de recevoir des remerciements éperdus, ni de devoir remuer un passé si lointain. Il avait déjà assez à faire avec son passé plus proche.
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En attendant Luna et Matt après la fin de leurs cours, il traîna dans le Hall d'Entrée, ravi comme à chaque fois de l'harmonie entre sa magie et celle de Poudlard. À chacune de ses venues ici, la végétation et les frondaisons sombres qui ornaient les murs et le plafond lui paraissaient toujours plus belles et plus envoûtantes.
Ils le trouvèrent là, pensif, la tête levée vers une canopée luxuriante dans laquelle il se serait bien perdu, et il tomba dans les bras de Matt qu'il n'avait pas revu depuis bien trop longtemps.
Dans la douceur du printemps, ils marchèrent tranquillement tous les trois jusqu'à Pré-au-lard et le pub d'Hannah Abbot où ils burent une bièraubeurre de la cuvée spéciale, puis une deuxième, suivies d'une troisième... Il était prévu qu'ils dînent ensemble à La Tourte Tiède, le nouveau restaurant du village sorcier, mais Luna préféra rentrer au château. Après le cadeau plus que romantique que Padma lui avait fait le matin même – et sur lequel elle refusa de s'étendre malgré les questions du jeune professeur – une soirée en tête à tête s'imposait.
Avec étonnement, Harry se rendit compte qu'elle était, devant Matt, bien plus pudique sur son couple et ses sentiments, que devant lui. Était-ce parce qu'ils travaillaient tous les trois avec Padma au même endroit ? Ou bien s'abstenait-elle d'afficher son bonheur trop évident devant lui ?...
La question le tarauda un moment tandis qu'il regardait s'éloigner sa silhouette longiligne et gracieuse sur la route qui menait au château, puis il se tourna vers Matt dont le visage habituellement si rieur et lumineux était assombri d'un voile de tristesse. Harry fronça les sourcils et s'apprêtait à lui demander ce qui n'allait pas lorsque Matt prit les devants et son bras par la même occasion pour l'entraîner vers le restaurant.
– Viens. Allons boire. Et manger. Et boire encore.
Harry hocha la tête en riant. Il lui avait fait semblable proposition un jour et il ne pouvait refuser de lui rendre la pareille.
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Le repas fut plus enjoué que ne le laissait présager l'humeur de Matthieu en arrivant. Ils parlèrent de tout et de rien, de la vie au château, des histoires d'amour des élèves et de leurs mélanges hasardeux en classe de potion, des souvenirs d'enfance de Matt qui sentaient bon l'air iodé et le vent marin, du prochain congrès de potionnistes où ils avaient tous deux été invités, de la pluie, du beau temps, du tableau de chasse de Matt qui s'allongeait drastiquement à mesure du temps passant, de beaucoup de choses sauf de ce qui était vraiment personnel.
Matt était léger, enjoué, rendu presque euphorique par l'alcool, glissant des sourires charmeurs aux serveurs du restaurant, aussi bien hommes que femmes, et des plaisanteries coquines voire grivoises qui les faisaient tous rire aux éclats.
– Tu te rends compte qu'ils doivent nous prendre pour un couple bien pervers ? fit Harry après s'être délecté du petit jeu de Matthieu.
– Et quand bien même on serait en couple ?! répondit Matt avec des yeux gourmands. S'amuser de temps en temps avec un troisième serait appréciable, non ?
– Je ne sais pas, fit Harry prudemment, incertain de ce que le jeune professeur sous-entendait.
Une grimace figea brusquement le visage de Matthieu tandis que le bruit ambiant du restaurant semblait soudain devenir assourdissant. Le volume sonore des conversations, le son grinçants des couverts dans les assiettes, les rires aigus et les voix puissantes des serveurs qui transmettaient les commandes à la cuisine formaient un brouhaha devenu insupportable à cet instant.
– Ne t'inquiète pas. Si j'ai envie d'être en couple, ce n'est pas avec toi, lâcha Matt d'une voix morne, presque inaudible.
C'était la deuxième fois de la soirée que Harry avait cette impression que Matthieu n'allait pas bien. Derrière les apparences et les faux-semblants de la bonne humeur, la légèreté due à l'alcool et l'entrain habituel du jeune homme, se cachait autre chose qui le minait.
– Viens, fit-il en se levant. Allons boire un verre dans un endroit plus calme. Je crois que tu as besoin de parler...
– Rentrons à Poudlard, acquiesça Matt d'une voix résignée. J'ai une bouteille de bon Whisky à finir dans mes appartements.
Ils payèrent rapidement, laissant un généreux pourboire aux serveurs presque déçus de leur départ et sortirent du restaurant. La nuit était fraîche, sombre malgré le ciel parsemé d'étoiles, mais le plus surprenant était cette quiétude retrouvée à peine la porte s'était-elle refermée sur le bruit du restaurant. Les rues étaient désertes et calmes, éclairées de loin en loin par un lampadaire dans lequel brillait une flammèche oscillant au gré du souffle de l'air.
Harry prit Matthieu par le bras pour le guider dans la bonne direction. Le jeune homme semblait parti à avancer droit devant sans réfléchir, englué dans ses pensées et dans l'alcool, sans se soucier de sa destination. Ils marchèrent longtemps en silence, empruntant le même chemin que dans l'après-midi, trébuchant parfois sur les cailloux du chemin nichés dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'il sente Matt frissonner. Ils étaient partis sous le soleil, légèrement vêtus, et la fraîcheur, la fatigue et l'humidité de la nuit se faisaient à présent sentir.
D'une pression sur le bras, Harry arrêta Matthieu, le prit dans ses bras et transplana directement à Poudlard. Il avait hésité, trouvant pour le moins intrusif de pénétrer ainsi dans ses appartements, mais il lui semblait préférable que personne ne croise le jeune professeur dans cet état dans les couloirs du château.
Reconnaissant son salon, Matt s'éloigna pour aller chercher dans un buffet une bouteille aux trois quarts pleine et deux petits verres qu'il posa sur la table basse tout en s'affalant dans un des canapés de cuir blanc. Harry parcourut du regard la pièce si moderne et pourtant si agréable, appréciant à nouveau les contrastes de noir et de blanc, aussi bien sur les photos accrochées aux murs, qu'entre les murs et le sol, avant de venir s'asseoir non loin de Matthieu.
Le fait de marcher et la fraîcheur de l'extérieur paraissaient l'avoir quelque peu ranimé, tout en chassant au loin le masque de bonne humeur qu'il avait revêtu toute la soirée. En fait, malgré la quantité impressionnante d'alcool qu'il avait ingurgitée, le jeune homme semblait plus lucide que jamais. Amer, mais lucide.
– À tes amours, fit Matt en tendant son verre pour trinquer.
Harry inclina la tête en remerciement avant de demander :
– Comment vont les tiennes ?
– À reculons ?
Matt avala son whisky d'une traite et s'en resservit aussitôt un deuxième qu'il garda dans la main en faisant longuement tourner l'alcool dans le verre. Harry sourit doucement; Lucius avait parfois ce tic aussi, se perdant dans les circonvolutions du liquide comme pour se concentrer sur ses pensées... Mais les paroles de Matthieu le firent grimacer.
– À ce point ?
– Oh... J'exagère un peu mais pas beaucoup. On arrive à se parler, beaucoup parfois... à passer des moments ensemble... Mais dès que tout semble aller un peu plus loin, quand j'ai l'impression que peut-être il va se passer quelque chose... il fait volte-face, je n'entends plus parler de lui pendant des jours, ou bien je n'ai droit qu'à une phrase assassine... de celles qui piétinent bien ta fierté et ton cœur...
Harry pressa une main affectueuse sur l'épaule de Matthieu mais son geste semblait bien dérisoire.
– Qu'est-ce qui lui fait peur ?
– Je ne sais pas. Tout. S'engager. Se laisser envahir par des sentiments. Faire confiance...
Matt but son verre avec une grimace douloureuse avant de le reposer sur la table un peu trop sèchement.
– Je paie les pots cassés de quelqu'un d'autre, c'est tout. Et toi ? Comment va Severus ?
Harry fronça les sourcils devant le ton acerbe.
– Tu ne l'as pas vu depuis longtemps ?
– Je n'ai plus vraiment de raisons de passer à la Librairie maintenant, puisque tu lui fournis ses potions.
Les reproches et l'amertume étaient à peine voilés et Harry se sentit douloureusement coupable de l'éloignement de Severus. Préparer ses potions n'était peut-être qu'un prétexte pour Matthieu afin de voir régulièrement son ancien professeur et mentor, mais cela restait un lien entre les deux hommes et Harry l'avait fait voler en éclats par sa présence.
– Pourquoi...
Il hésitait sur une question ancienne qu'il n'avait réussi à éclaircir.
– Comment se fait-il que tu n'aies jamais été au Manoir pour le voir ?!
– Je ne sais pas, fit Matthieu d'une voix acide. Je ne fais pas vraiment partie de la vie de Severus, il faut croire. Je ne suis pour lui qu'un ancien élève.
– Je ne pense pas qu'il ait la photo de chacun de ses anciens élèves dans son bureau ! lâcha Harry avec colère.
– Ah.
Matt haussa les épaules et se pencha vers la table basse pour se servir un nouveau verre de whisky avec un détachement volontaire.
– Le jour de ta remise de diplôme, compléta Harry d'une voix sourde où la colère n'était pas éteinte. Une photo de toi en robe de cérémonie et lui derrière toi.
– Je m'en souviens, figure-toi, fit Matthieu. J'y étais.
Harry étouffa un juron de rage devant cet entêtement à ne pas voir la réalité en face. L'alcool et l'amertume rendaient Matthieu buté et borné et il n'arriverait jamais à lui faire entendre raison quant à l'estime que Severus lui portait.
Matt tenait à Severus bien plus qu'il ne le laissait paraître, mais pas de la façon dont Harry l'avait cru à une époque. Il n'y avait visiblement aucun sentiment de désir entre les deux hommes, pas de relation affective qui aille au-delà de l'estime, de la reconnaissance et de la fierté. Comment avait-il pu croire un jour à autre chose ?!
Mais aujourd'hui, Matthieu souffrait de l'éloignement de Severus, d'un manque de considération, et la présence de Harry n'avait fait que renforcer les choses. À son grand désarroi. Il allait devoir en parler avec Severus, comprendre ce qui l'empêchait de faire entrer Matthieu plus complètement dans sa vie ou pourquoi il s'imposait certaines limites inexplicables.
En filigrane dans leur discussion se posait aussi une autre question : l'impression que donnait le Manoir d'être un endroit prohibé. Comment ferait-il s'il s'installait dans la demeure pour un jour recevoir quelqu'un ? Comment pourrait-il inviter Matt, Luna, ou Neville à déjeuner, ou simplement prendre un thé, dans un lieu qui n'était pas chez lui ? Était-ce pour cette raison-là que Severus n'avait jamais invité Matthieu au Manoir ?
Harry avait toujours le square Grimmaurd, où il n'avait de compte à rendre à personne, mais cette question lui montrait à quel point le Manoir ne serait jamais qu'un endroit incomplet, où il serait hébergé, où il vivrait, mais avec des limites imposées. Disposer d'une ou deux pièces ne signifiait pas s'y sentir chez soi et libre, et cette révélation était légèrement douloureuse.
À son tour, il se resservit un verre de whisky et l'avala cul sec, sous le regard surpris de Matthieu qui finit par éclater de rire.
– Je suppose qu'on a tous les deux des raisons d'être amer ce soir, fit-il bien plus détendu. Je suis désolé que ce soit tombé sur toi ! D'habitude, la compagnie d'une bonne bouteille me suffit, mais sa conversation est un peu morne !
– Ne t'excuse pas..., répondit Harry. J'ai déjà fait la même chose, il me semble. Et je suis en partie responsable en ce qui concerne Severus... En tout cas, je suis ravi que tu préfères ma compagnie à celle d'une bouteille, mais de temps en temps s'amuser à trois est appréciable, non ?
Matthieu éclata d'un rire joyeux à l'allusion et se pencha sur la table basse pour les servir à nouveau. Ils semblaient partis pour finir la bouteille dans une bonne humeur retrouvée et Harry éclata de rire à son tour.
– Toi et moi contre la bouteille, fit Matt en levant son verre. Le premier qui se couche a perdu... et ce ne sera pas moi !
Ils trinquèrent à l'amitié, à l'alcool qui libérait la parole, aux amants trop désirés, et même à l'amour, si délicieusement cruel, avant de parvenir à renverser la bouteille d'un air victorieux, eux-mêmes à demi affalés dans les canapés.
– Dire que j'ai cours demain matin à la première heure ! marmonna Matt avec une voix pâteuse. Merlin merci, il existe des potions contre la gueule de bois !
– Au lit, alors ! fit Harry en riant. Si tu arrives à t'y traîner et si le lit ne tangue pas trop !
Matt réussit à se lever en chancelant, non sans lui avoir tiré la langue avec fierté, et parvint à maintenir un équilibre précaire sur ses deux pieds.
– Et toi aussi tu viens ! fit-il en le tirant par la main. Tu n'es pas en état de transplaner et Severus m'en voudrait à mort si tu te désartibulais en essayant !
Se soutenant l'un l'autre, ils parvinrent jusqu'à la chambre, se déshabillèrent à demi avant de s'écrouler sur un lit qui aurait pu contenir deux ou trois personnes de plus.
– Nom d'un chien ! Ça empeste l'alcool ! gémit Matthieu en tirant le drap sur eux. Rien que l'odeur, ça va me rendre malade !
– Si tu vomis, vomis de ton côté du lit ! Et ne me réveille pas ! maugréa Harry, mais le jeune professeur dormait déjà.
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Lorsqu'il ouvrit les yeux quelques heures plus tard, Harry sursauta. La chambre devant lui, petite et décorée dans des tons de vert sombre, n'était ni la sienne, ni celle de Severus. La paire de bras qui l'enserrait contre un corps chaud n'étaient pas non plus ceux de son amant habituel. Mais le plus choquant était sans doute qu'il était nu comme un ver.
– Arrête de bouger ! gémit Matthieu dans son dos. Mal à la têêête...
La pénombre de la chambre ne donnait pas d'indication sur l'heure si ce n'est qu'il était encore relativement tôt, ce que confirmait le silence dans le château. Au moins, Matthieu ne serait pas en retard pour ses cours. À condition qu'il soit en état !
– Matt... Lâche-moi que j'aille te chercher une potion !
En entendant sa voix, Matt sursauta à son tour et se redressa brusquement au-dessus de lui, un peu trop brusquement à voir son teint blême et maladif.
– Harry ? fit-il plaintivement avant de tenter un rire bref. Merde ! Severus me tuerait s'il savait ça ! Merlin, qu'est-ce que tu fous à poil dans mon lit ?! On n'a pas baisé au moins ?
– Non, il ne s'est rien passé. Je m'en souviendrais ! Toi peut-être pas, mais moi oui ! se moqua Harry en glissant sur le dos. J'ai juste horreur de dormir avec des vêtements; je suppose que dans la nuit, la magie a fini ce que je n'avais pas fait... Toi, visiblement, ça ne te dérange pas !
En souriant, il désignait au-dessus de lui le pantalon à moitié défait du jeune professeur qui laissait voir l'étoffe du caleçon.
– Tu es sûr qu'on n'a rien fait ? gémit à nouveau Matthieu en se mettant à genoux et en se reboutonnant prestement.
– À part cuver trois grammes d'alcool ? Non. Allez, pousse-toi maintenant, que je puisse me lever et me rhabiller ! Et aérer cette pièce ! Ça empeste l'alcool là-dedans !
– Il me semble que j'ai déjà entendu ça... Et rhabille-toi, oui ! Ça vaut mieux que de me narguer comme ça !
Matt se décala sur le côté, ôtant la jambe qui empêchait Harry de bouger et se rallongea en grimaçant dans les draps moites.
Harry se leva, enfila rapidement son pantalon qui traînait par terre et alla ouvrir en grand les rideaux puis la fenêtre, laissant apparaître un soleil sournois. Dans le lit, Matthieu gémit pitoyablement et il ricana en sortant de la chambre. Il se souvenait que le jeune homme avait, à côté du salon, un petit laboratoire personnel de potion dans lequel il pensait bien trouver quelque chose pour soulager sa gueule de bois.
L'air de la chambre était un peu plus respirable lorsqu'il revint avec sa fiole mais Matthieu n'avait pas bougé d'un centimètre, allongé de tout son long sur le ventre, laissant voir un dos musclé plutôt appétissant orné d'un monumental tatouage. L'effet en trois dimensions était saisissant et le serpent semblait jaillir de son œuf, les crochets bien apparents, prêt à mordre. S'il n'y avait eu Severus, Matthieu aurait été un beau parti...
Harry s'assit à côté de lui et lui tendit la fiole de potion avec un regard compatissant. Le jeune homme se retourna malgré la lumière trop vive et l'avala d'un trait en grimaçant.
– Et pourquoi tu es bien plus en forme, toi ? Tu as bu autant que moi !
– Ma magie fait que je dégrade l'alcool bien plus vite que la plupart des gens. Ça m'épargne souvent les aléas du lendemain, fit-il en souriant.
Il fallut quelques minutes pour que la potion agisse et Matthieu parvint enfin à se lever pour aller soulager sa vessie dans la salle de bains. En revenant, il regarda l'heure sur la pendule et constata avec soulagement qu'il lui restait encore une heure avant le début des cours.
– Petit-déjeuner ? fit-il à l'intention de Harry.
– Oui, mais léger !
– Moi aussi, ricana-t-il en agitant une clochette en argent posée sur le manteau de la cheminée. Mais j'ai besoin d'un grand café avant d'être capable de prendre une douche et de me raser et je ne peux pas me présenter dans la Grande Salle dans cet état !
Un elfe de maison apparut dans un craquement sonore au milieu du salon et s'inclina aussitôt avec dévotion.
– Maître ?
– Maître ? répéta Matt avec un air surpris.
– Bonjour Kreattur, fit Harry en riant. Puis s'adressant à Matt, il ajouta : Je t'expliquerai, c'est une longue histoire... Un petit déjeuner pour deux, Kreattur, s'il-te-plaît; des toasts, des œufs au bacon, du thé, du café, et ce que tu voudras...
– « Maître »..., marmonna Matt en cherchant partout sa baguette pour transformer la table basse en comptoir avec de hauts tabourets assortis.
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Le petit-déjeuner était plus que réconfortant mais Matt avalait chaque bouchée avec un air dubitatif sur le fait qu'elle veuille bien rester dans son estomac. Le café fut finalement la chose la plus salutaire pour qu'il arrête de grimacer et retrouve un air plus tranquille.
– Je suis désolé pour la soirée d'hier, Harry. J'étais... visiblement pas en forme.
– Arrête de t'excuser, je t'ai déjà dit, fit-il en souriant. J'ai déjà fait bien pire, il me semble. Et la soirée n'était pas désagréable pour autant ! Mais qu'est-ce qui motivait cette humeur particulièrement chagrine ?
Le visage de Matthieu était encore pâle et son teint légèrement brouillé, mais il avait bien meilleure mine que tout à l'heure au réveil. Avec une bonne douche et rasé de près, il ferait suffisamment bonne figure pour donner ses cours sans rougir de son état.
– Je ne sais pas. Je suis fatigué, je pense. L'année scolaire touche à sa fin, mais c'est encore intense avec les élèves qui passent les Buses et les Aspics... La pression est énorme et comme chaque année, j'ai envie d'arrêter d'enseigner...
– Arrêter d'enseigner ? fit Harry, interloqué. Mais tu adores ça !
– Mais c'est pesant, avoua Matt avec un geste évasif de la main. Je n'en peux plus de vivre ici, des contraintes, des rondes de nuit, de la présence permanente au château... Luna et Neville, au moins, ont leur conjoint ici, mais moi, je ne suis pas un moine ! J'ai besoin de sortir, de voir du monde, de m'amuser. J'ai besoin de vacances, de rentrer chez moi, de boire jusqu'à plus soif, de manger de la cuisine française, de faire du bateau, de faire la sieste au soleil, de danser jusqu'au bout de la nuit. Et quand j'aurai eu assez de tout ça pendant tout l'été et que les élèves m'auront assez manqué, j'aurai envie de revenir à Poudlard... Enseigner, c'est toute ma vie, mais c'est pas que ma vie. J'ai besoin d'autre chose à côté.
Harry garda un silence chagriné. Il s'était déjà longuement demandé comment avait fait Severus pour vivre ici pendant toutes ces années, et aujourd'hui, il ne pouvait que comprendre Matthieu. La responsabilité, la présence permanente au château... c'était un sacerdoce. Mais de là à ce qu'il songe à abandonner l'enseignement ! Sans doute que s'il parvenait à conquérir celui qui faisait battre son cœur, les choses seraient différentes, mais pour cela, Harry ne pouvait pas faire grand chose...
– Et qu'est-ce que tu vas dire à Severus pour avoir découché cette nuit ? demanda Matt en levant vers lui un regard ennuyé.
– La vérité ! fit-il en riant. Mais je suis encore un grand garçon, il me semble ! Je n'ai pas de compte à lui rendre.
– La vérité ?! Que tu as dormi nu dans mon lit et dans mes bras ?! Il va en faire une syncope !
Harry éclata de rire en imaginant la tête de Severus s'il était tombé sur ce genre de scène. Mais plus qu'une syncope, il aurait surtout craint un sortilège de magie noire !
– Ça aurait pu être pire ! On aurait effectivement pu coucher ensemble !
Matt riait mais riait jaune, pas tout à fait certain d'être en possession de l'intégralité de ses souvenirs.
– Je crois que de toute façon, j'en aurais été incapable !
– Je confirme ! Tu t'es endormi à peine allongé ! se moqua Harry avant d'ajouter en grimaçant. De toute façon, je n'avais pas l'intention de rentrer au Manoir hier soir. Severus passait la nuit avec Lucius.
Matthieu se renversa contre le dossier du tabouret pour l'observer plus attentivement.
– Alors c'est comme ça que vous fonctionnez ? Chacun son tour ?
– Je... je n'ai pas très envie de parler de ça, Matt.
Le jeune homme hocha silencieusement la tête. Si ça n'avait pas été dans ses appartements, Harry aurait sans doute dormi dans les anciens appartements que lui avait prêtés Neville. Ou bien square Grimmaurd... Le manque de Severus avait été si criant la veille qu'il préférait se tenir éloigné du Manoir, de Lucius et surtout de croiser son amant trop brièvement dans la piscine. Cinq minutes à nager ensemble ce matin et quelques baisers ne lui auraient pas suffi; autant se tenir éloigné de Severus jusqu'à ce qu'il soit complètement disponible plutôt que de se torturer à petites doses.
Ce soir, Lucius devait passer la soirée avec Daphnée à l'opéra, et sans doute rentrer fort tard. Harry passerait la nuit avec Severus, mais il lui faudrait un long moment avant d'être rassasié.
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– Qu'est-ce que tu fais lundi ? hasarda Matt pour changer de sujet.
– A priori rien, pourquoi ?
– Tu viendrais avec moi sur le Chemin de Traverse ? Je n'ai pas cours le lundi après-midi...
La demande était surprenante, mais passer du temps avec Matthieu avait toujours quelque chose d'attirant.
– Besoin de moi pour quelque chose en particulier ?
Matt haussa les épaules en baissant le regard vers sa troisième tasse de café.
– Je dois aller chez l'apothicaire pour acheter un certain nombre d'ingrédients pour mes recherches, fit-il en laissant passer un long silence avant de reprendre : Je dois aussi passer chez les frères Weasley. Ils aimeraient beaucoup rencontrer celui qui m'a aidé à élaborer leurs dernières potions de métamorphose qui ont un succès fou...
– Les frères Weasley ? s'étrangla Harry. Fred et Georges Weasley ?!
– Ceux-là même, acquiesça Matt en levant les yeux vers lui. Je sais que leur frère Ron était ton meilleur ami autrefois, et que peut-être, c'est compliqué pour toi de les revoir mais... Tu as le choix.
Harry se sentit blêmir légèrement. C'était compliqué oui, mais pas pour les raisons que Matt soulevait; c'était compliqué parce que les Weasley avaient été sa deuxième famille – la première même, si l'on considérait que les Dursley n'avaient jamais vraiment compté – qu'ils avaient tout fait pour lui, qu'ils avaient toujours été présents et qu'il les avait complètement laissés tomber en disparaissant pendant des années sans jamais leur donner aucune nouvelle.
Une puissante culpabilité vint tordre son cœur et nouer son ventre à l'idée de les revoir. Fred et Georges et les autres qui allaient inévitablement suivre... Qu'allaient-ils dire, tous ? Il avait été moins proche de Percy ou de Bill, mais il avait bien connu les jumeaux à Poudlard, et il les avait revus de loin en loin. Et puis Charlie, avec qui il avait vécu en Roumanie, qui l'avait accueilli, hébergé, qui l'avait aidé à trouver un travail dans la réserve, à se reconstruire après sa déception devant son amour impossible avec Severus... Charlie avec qui il avait mangé, bu, dormi. Et même fait l'amour. Et pour qui il avait disparu tout aussi abruptement.
Charlie était sans doute loin, mais il y avait Molly. Pour qui il avait été comme un fils, adopté sans l'ombre d'un doute, le huitième enfant Weasley et il avait disparu depuis si longtemps... Et depuis toutes ces semaines où il était revenu, il n'avait jamais trouvé le temps, et surtout le courage, d'aller tous les affronter.
– Tu es bien pâle ! fit soudain Matt. Le petit déjeuner a finalement du mal à passer ?
La voix moqueuse l'arracha à ses pensées et Harry leva un regard incertain vers le jeune professeur.
– C'est plus compliqué que tu ne le crois, Matt... Les Weasley, c'était... Un peu comme ma famille. Et je suis parti.
– Tu n'es pas...
– Tu leur as parlé de moi ? le coupa Harry avec appréhension.
Matthieu le dévisageait attentivement, sans mesurer l'enjeu et la portée de ce qu'il lui demandait, mais conscient du trouble qu'avait fait naître son invitation.
– Ni de toi en tant que Harry Potter, ni de Brian Evans... J'ai seulement dit qu'un petit génie des potions m'avait filé un coup de main pour élaborer mes dernières trouvailles et ils avaient envie de le rencontrer...
Malgré lui, Harry poussa un soupir de soulagement. Les jumeaux ne savaient pas qu'il était de retour et il pouvait très bien esquiver cette rencontre et tout ce que ça impliquait.
Le regard de Matthieu, en face de lui, ne le jugeait pas, mais en reposant sa tasse de café et en se levant, il ajouta:
– C'est pas toi qui me disais hier soir que tu avais décidé de reprendre une vie normale, sous ton vrai nom, et d'arrêter de te cacher ? Si c'est vraiment le cas, il y a peut-être certaines personnes que tu devrais affronter avant qu'elles n'apprennent ton retour par la presse... Je te laisse réfléchir; je vais prendre une douche, je n'en ai pas pour longtemps.
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Harry déglutit difficilement en le regardant disparaître dans sa chambre, puis derrière la porte de la salle de bains. Matthieu avait le don, comme parfois Luna, de mettre pile le doigt sur des choses sensibles et difficiles à entendre. Le jeune professeur ne lui avait imposé aucun choix : le choix s'imposait de lui-même.
Si Harry voulait pouvoir reprendre sa véritable identité, affronter le monde sous son vrai nom, quel que soit le battage médiatique qui en résulterait au début, il allait devoir affronter certaines choses avant. Et les Weasley étaient sans doute la plus importante et la plus significative d'entre elles.
Du fond de l'appartement, il entendait couler l'eau de la douche sans y prêter guère attention, perdu dans ses pensées, mais le silence soudain lui fit regarder l'heure sur la pendule. Matthieu avait cours dans à peine dix minutes.
Sa silhouette alléchante apparut quelques instants plus tard, une simple serviette nouée autour des hanches, la peau encore humide et luisante dans la lumière du jour qui entrait par la fenêtre. Avec une deuxième serviette, il se frottait vigoureusement les cheveux pour les sécher, avant de la lancer sur le lit, suivie de celle qui cachait sa nudité. Tournant le dos à Harry, il fouilla dans une commode pour en tirer des sous-vêtements qu'il enfila rapidement avant de se diriger vers la penderie.
Matthieu était plus petit et un peu plus mince que Severus mais, à part cet immense serpent qui dansait dans son dos et dont les yeux jaunes le regardaient étrangement, il partageait avec lui le même genre de carrure qui dégageait une impression de puissance, des épaules larges et musclées, un dos sculptural qui s'affinait peu à peu jusqu'à la taille, et à présent cachées sous le tissu du boxer, des fesses fermes qui semblaient idéales pour y poser les mains.
Harry leva les yeux au ciel, plus pour lui-même qu'autre chose, exaspéré par sa propre réaction à la vue d'un corps à demi-nu. Severus lui manquait. Jusqu'au plus profond de lui-même, il ressentait ce manque, ce besoin de son corps, de son regard, du contact de sa peau. Il se sentait avide, empli d'un désir qui nécessitait d'être comblé, et la présence d'un Matthieu impudique et innocent des réactions qu'il suscitait ne faisait qu'amplifier ses appétits.
Mais Matthieu était Matthieu, intouchable et pas la bonne personne en tout état de cause. En d'autres temps, en d'autres circonstances, cela aurait sans doute été possible, mais aujourd'hui – comme hier d'ailleurs – Severus occupait son esprit et la simple pensée de la nuit à venir où il pourrait profiter à loisir de son amant, déclencha chez lui de profondes crispations dans le ventre.
Alors que Harry frémissait encore du frisson de désir qui l'avait parcouru, Matt le rejoignit dans le salon, habillé d'un costume sombre dont l'élégance surprenait malgré sa sobriété. Il était impeccablement rasé et ses cheveux noirs parsemés de mèches blanches depuis ses derniers essais de potions de métamorphose brillaient autant que son regard. En fait, bien qu'ils ne partagent aucun lien de sang, il ressemblait beaucoup à Severus par certains aspects.
– Alors ? Tu as réfléchi pour lundi ? fit-il en se servant un fond de café qu'il avala rapidement.
Harry sursauta légèrement avec l'impression de redescendre du petit nuage sur lequel l'avaient mené ses réflexions et croisa le regard intense de Matthieu.
– Je... je vais venir avec toi. J'ai sans doute trop longtemps fui certaines choses, avoua-t-il.
Matt hocha la tête avant d'attraper sa baguette pour lancer un sort sur le lit dont les draps se remirent en place de façon impeccable, puis la rangea dans sa manche.
– Je dois y aller, sinon je vais arriver après mes élèves, ricana-t-il. Tu peux rester là autant que tu veux...
– Je ne vais pas rester là en ton absence ! répondit Harry en riant. J'ai déjà assez abusé de ton hospitalité ! Et de ton lit !
– Que vas-tu faire ?
– Je vais... rentrer au Manoir.
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Rentrer. Pas simplement aller...
« Si vous deviez rentrer quelque part... j'aimerais que ce soit ici ».
(1) Cf Prologue: Refuser de se résigner
Merci à ceux qui mettent en favori ou qui commentent, et surtout n'hésitez pas!
Dans le prochain chapitre, une situation qui reste toujours difficile à vivre pour Harry et Lucius et une petite escapade à Paris!
Au plaisir
La vieille aux chats
