Résumé: Harry a décidé de s'installer définitivement en Angleterre et a même accepté un poste à Sainte-Mangouste, mais la situation au Manoir reste compliquée à vivre au quotidien et les attentes des uns et des autres difficiles à satisfaire. Il a par ailleurs décidé de revenir à la vie publique sous son vrai nom et avant cela, de revoir les Weasley.


– C'est aujourd'hui que tu vas sur le Chemin de Traverse ? fit Lucius d'un air songeur.

Harry hocha silencieusement la tête, encore surpris de ce tutoiement à son encontre qui sonnait comme une familiarité déconcertante. Certes, Lucius l'avait vu nu des pieds à la tête, ils avaient partagé le même lit pour une nuit et même, au réveil, une étreinte pleine de désir... Mais Lucius restait Lucius, un homme de pouvoir, d'une stature politique nationale, voire au-delà, et l'aura d'autorité et de prestige qui l'enveloppait muselait Harry malgré tout.

Il avait beau savoir sur lui bien des choses, personnelles, intimes ou familiales, l'avoir vu également dans des instants de faiblesse ou de doute, avoir entendu des confidences insoupçonnées ou des éclats de colère... il suffisait d'un regard ou d'un mot, d'une attitude un peu sévère pour que Lucius redevienne l'aristocrate avant l'homme, le politique avant la personne pleine de charme qu'il savait aussi être.

Restait ce tutoiement depuis ce réveil à Paris, agréable et pourtant étrange, parfois presque déplacé, que Lucius n'avait plus quitté et dont Harry ne savait trop que penser.

– Oui. Je dois rejoindre Matt à Poudlard et nous y allons ensemble...

– Tu t'entends bien avec le petit protégé de Severus ? s'amusa Lucius avec un regard en coin.

Cette expression le fit à nouveau rire. Il l'avait déjà entendue dans la bouche de Draco et la trouvait toujours aussi surprenante.

– Comme tout le monde, je suppose ! C'est un homme charmant !

– Je l'ignore..., reconnut Lucius avec un geste évasif.

Harry fronça les sourcils en relevant le nez de son chaudron où bouillonnait une potion de cicatrisation. Lucius déambulait dans le laboratoire, observant les alignements de bocaux remplis d'ingrédients de toutes sortes, du plus commun au plus rare, du plus inoffensif au plus mortel.

– Comment ça se fait? fit-il surpris.

– Je l'ignore également, avoua Lucius. Je ne l'ai croisé qu'une fois ou deux, lors de sa remise de diplôme ou lors d'un gala de bienfaisance de l'Institut de Potion... Et encore, je n'étais présent ces deux fois-là seulement parce que je fais partie du comité directeur de l'Institut.

Il se tut un instant mais Harry pouvait deviner les interrogations muettes derrière les confidences.

– Je sais qu'il compte beaucoup pour lui... Mais Severus a toujours eu certains jardins secrets où il ne laisse personne pénétrer.

Harry croisa brièvement le regard gris de Lucius avant que celui-ci ne s'éloigne à nouveau de quelques pas. Une certaine amertume y était perceptible, ainsi qu'une vague inquiétude mal définie.

Qu'au bout de tant d'années, les deux hommes aient encore des secrets l'un pour l'autre était surprenant. Severus était certes quelqu'un de réservé, voire d'austère et de solitaire, mais Harry n'aurait jamais cru qu'il puisse y avoir ainsi une distance entre eux. Et les regrets de Lucius à cet état de fait étaient palpables.

Qu'il lui dise cela n'était cependant pas anodin. Comme s'il comptait sur lui pour intervenir et améliorer la situation. Sans l'avouer, l'intention était manifeste mais à y bien réfléchir, elle ne faisait que rejoindre ses propres envies. Matt ne comptait pas que pour Severus et Harry avait bien l'intention de le faire participer à sa vie, y compris au sein du Manoir si cela s'imposait ainsi.

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Lucius était remonté à l'étage pour répondre à un appel par cheminette, mais Harry songeait encore à la relation qu'il entretenait depuis tant d'années avec Severus, leur complicité mêlée de secrets et d'infidélités, et pourtant le lien qui les unissait était d'une force impressionnante. Et la longévité de leur amour, car il ne pouvait douter de cela, forçait l'admiration.

Il devait bien s'avouer qu'il les enviait, quelque part... Ça et toutes ces choses entre eux qu'il ne comprenait même pas. La liberté qu'ils s'accordaient dans le sexe et en même temps ces rapports si codifiés et immuables. Severus trouvait avec lui des possibilités qu'il n'avait pas avec Lucius : pouvoir être actif lors d'un rapport, échanger les rôles au gré des envies... De la même manière que Lucius lui offrait des plaisirs dont Harry n'aurait pas été capable.

Et au vu des marques qu'arborait Severus ce matin dans la piscine, c'était un rôle que Lucius tenait avec délectation. Malgré la pénombre, Harry avait aperçu les stries rouges, parfois violacées, et cette vision l'avait bouleversé, autant de compassion que d'envie. Le plaisir qu'en tirait Severus lui était incompréhensible mais le fascinait.

Il avait longuement massé le dos de son amant allongé sur une chaise longue avec un onguent préparé par ses soins. Sous ses mains, les marques avaient disparu peu à peu, presque à regret. Mais il avait profité de l'abandon de Severus pour ressentir du bout des doigts les éraflures, la peau légèrement enflée, tous les endroits où l'instrument de Lucius avait marqué la chair un peu plus intensément, et il ne pouvait pas cacher que cela l'avait étrangement excité.

En réalité, il aurait voulu, ne serait-ce qu'une fois, les observer dans cette antichambre se donner ce plaisir qu'il ne comprenait pas. Regarder le visage de Lucius dans cet exercice de pouvoir où il n'était en réalité qu'un instrument, et contempler celui de Severus, pour essayer de comprendre ce que la douleur pouvait avoir de si puissant et de si jouissif. Mais jamais il n'oserait ainsi pénétrer l'intimité des deux hommes, même si ce n'était pas l'envie qui lui en manquait parfois.

Harry ricana de ses propres pensées. Au lieu de rêvasser bêtement, il ferait mieux de se concentrer s'il ne voulait pas rater la préparation qui bouillonnait doucement dans le chaudron. Severus aurait sans doute bientôt besoin d'autres onguents de cicatrisation !

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– Une bière ? proposa Matt. Ou tu veux y aller tout de suite ?

– On a bien le temps d'une petite bière, je suppose !

En réalité, Harry ne pouvait pas dire qu'il était pressé d'aller sur le Chemin de Traverse. Malgré son assurance feinte, la perspective de revoir les frères Weasley l'inquiétait. Il avait bien conscience que cette bière n'était destinée qu'à temporiser, que ce n'était que reculer pour mieux sauter, mais il estimait en avoir bien besoin. Et en avoir bien le droit.

– Comment vas-tu ? interrogea Matt. Severus n'a rien dit pour l'autre jour ?

– Severus n'a rien su pour l'autre jour !

Harry sourit doucement au souvenir de cette nuit passée avec Matthieu. Après Matthieu, Paris et Lucius... Il fallait croire qu'il avait en ce moment l'étrange habitude de se réveiller dans d'autres bras que ceux de son amant.

– Tout va bien. On a passé une partie du week-end à Paris... on est rentrés hier dans l'après-midi. Et toi ?

– Oh ! fit Matt avec un regard amusé. Week-end romantique à deux ?

– À trois. Lucius nous a invités au restaurant. Et ce n'est pas ce que tu crois !

Il protesta vivement devant le sourire entendu de Matthieu et ils finirent par éclater de rire tous les deux.

– Et toi ? insista Harry au bout d'un moment.

– Pas grand chose de neuf. Des copies à corriger, et encore des tas de copies à corriger... Et une soirée en tête à tête. Et encore des copies à corriger...

L'insouciance apparente de Matt cachait mal son sourire jubilatoire.

– Une soirée en tête à tête ?! Et tu oses dire rien de neuf ?! le taquina Harry.

– J'ai déjà passé du temps seul à seul avec lui, protesta Matthieu en riant. Ce n'est pas la première fois !

Quelque chose dans sa façon de le dire, le ton de sa phrase ou bien la volonté de s'en défendre soulignait pourtant bien le caractère unique et précieux de cette soirée, et Harry le sonda longuement du regard. Vaguement agité sous cette inspection en règle, et sans doute aussi avec le besoin insidieux de partager ce qu'il avait vécu, Matthieu finit par céder.

– Mais... c'était la première fois comme ça, confia-t-il d'un air lointain. On avait déjà... partagé du temps, des cafés, rigolé ensemble, discuté longuement de l'enseignement, des élèves, de nous-mêmes parfois. Mais jamais... de cette façon-là. Tu sais, ces espèces de conversations hors du temps comme on avait eu une fois tous les deux au bord du lac...

Harry hocha brièvement la tête sans oser un mot de peur de l'interrompre.

– … je l'ai senti... s'ouvrir. Se confier comme jamais auparavant. Sa vie, son passé, ses échecs. Il s'est... mis à nu devant moi. Tout entier et authentique.

Matthieu se tut, le regard perdu dans le vide. Les souvenirs de ce moment de confidence rare tourbillonnaient dans son esprit, mêlés d'émotions poignantes, presque douloureuses.

– Et toi ? fit doucement Harry au bout d'un long moment de silence.

– Moi ?! grimaça Matt avec des yeux un peu trop brillants. Il a pris mon cœur une deuxième fois ! Si je n'avais pas déjà été si éperdument amoureux de lui, il m'aurait conquis cette nuit-là !

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Jamais encore Harry n'avait vu Matthieu si ému et si fragile. Ni ne l'avait entendu avouer si crûment les sentiments qu'il éprouvait pour cet homme inaccessible.

Le jeune professeur était fier, mais de cette fierté étrange qui refuse de s'attarder sur soi-même ou de s'apitoyer sur son sort, et l'autodérision dont il faisait souvent preuve n'était là que pour éviter les confidences et surtout ne jamais se prendre au sérieux. La plupart du temps, il prenait les devants pour désamorcer et minimiser la portée de tout ce qui pouvait l'atteindre ou le blesser, étant le premier à rire de son inconstance et de sa frivolité, de son admiration éperdue pour Severus ou de ce qu'il considérait comme ses défauts physiques.

Matthieu n'était pas non plus du genre à s'épancher sur lui-même, ni à se raconter par le menu. Sous des dehors affables et enjoués, il était en réalité un homme secret, pudique, qui rechignait à se dévoiler. Sur cet aspect-là, il ressemblait farouchement à Severus – bien que Harry devait avouer ne pas être très prolifique non plus sur le sujet.

Les détails qu'il connaissait de la vie de Matthieu n'étaient venus qu'à l'aune de conversations futiles ou d'anecdotes destinées à le faire rire, et malgré ses questions, il n'avait jamais réussi à le faire parler de certaines choses comme la mort de son père, la façon dont il avait vécu le fait de quitter la France pour venir vivre en Angleterre ou bien ses relations avec sa mère...

Pas plus que des histoires d'amour qui avaient compté à ses yeux. Autant Matthieu plaisantait sur ses passades d'une nuit, son échec avec Irina ou bien la quantité de corps qui avaient fréquenté son lit – et ce avec un humour ravageur et parfois même caustique –, autant il ne parlait jamais de ce qui avait duré ou été marquant. Harry savait simplement que son histoire la plus longue avait duré trois ans. Au décours d'une discussion où ils avaient ri de leurs plus grands fiascos, Harry avait avoué qu'il n'avait jamais dépassé les deux mois avec qui que ce soit, puisque son amour pour Severus ou sa « relation » avec Charlie ne comptaient pas, et Matthieu avait dû s'avouer battu puisqu'il avait eu cette relation de quelques années... Mais Harry ne savait même pas si la personne que Matthieu avait fréquentée si longtemps était un homme ou une femme, et par la suite, il avait habilement esquivé toutes les questions s'y rapportant.

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Mais aujourd'hui, Harry pouvait sentir l'authenticité de la réaction de Matthieu. Sa franchise désarmante et cette douleur presque mise à nu devant lui. Il lui semblait se voir cette année-là, avec le fardeau insupportable de son amour vain pour Severus, et il souhaita de tout cœur que Matthieu puisse connaître un dénouement plus heureux que lui-même. Ou à tout le moins plus rapide. Il avait fini par partager une relation avec Severus, mais après bien des années et des difficultés...

Tiré de ses pensées par le petit rire moqueur de Matthieu, il se rendit compte que l'ironie et l'autodérision du jeune homme avait déjà repris le dessus sur ses aveux et sa fragilité enfouie.

– Toute une soirée avec lui et rien à se mettre sous la dent au bout, ricana Matthieu. Quelle misère sexuelle ! J'ai failli aller voir Irina mais j'aurais trop eu l'impression de le tromper !

– Il ne s'est rien passé du tout ? fit doucement Harry, sans vouloir trop rentrer dans le jeu de la moquerie acide.

– Tu as davantage profité de mon corps en dormant une nuit avec moi que lui ! C'est dire ! répondit Matt en riant. Mais il va falloir que quelque chose se passe, sinon je vais devenir fou ! L'abstinence, c'est pas fait pour moi !

Harry ne comprenait que trop bien cette frustration. Il avait été abstinent si longtemps que le sexe était aujourd'hui redevenu une part essentielle de sa vie. Même s'il se sentait plus apaisé depuis cette étrange nuit avec Severus où il savait avoir joui plus de fois qu'il ne s'en souvenait réellement, il comprenait ce manque chez Matthieu, cette impression que le corps était gouverné par des désirs qui ne cherchaient qu'à être assouvis. Et il regrettait presque de ne pouvoir le soulager.

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L'impression était la même que lorsqu'il était revenu pour la première fois à Pré-au-lard avec Draco : il reconnaissait tout, et en même temps, tout était subtilement différent.

La rue principale n'avait pas changé, même si de nouvelles ruelles étaient apparues ça et là, avec de nouvelles boutiques qui ne désemplissaient pas. Les façades blanches, les affiches colorées, les nombreux sorciers en robe traditionnelle ou en tenue plus moderne pour les plus jeunes... Harry reconnut les devantures de Madame Guipure et du vendeur d'accessoires de Quidditch et fut pris d'une envie subite de faire des emplettes. Les balais en vitrine le firent fantasmer un long moment, mais valaient-ils vraiment aussi bien que ceux que Draco avait finalement laissés au Manoir ?

À ses côtés, Matthieu s'amusait clairement de son enthousiasme et de ses yeux rêveurs.

– Tais-toi ! grimaça Harry. Ou bien je t'embarque pour refaire ma garde-robe !

– Besoin de mon avis ? se moqua le jeune professeur de potion. On a envie de plaire à quelqu'un ?

Il fusilla Matthieu du regard pour finir par rougir vaguement devant son air malicieux. Le jeune homme n'avait pas tout à fait tort... Harry n'avait pour seule tenue un peu améliorée que le costume que Lucius lui avait fait faire pour leur première sortie à Paris. Qu'il avait d'ailleurs à nouveau porté ce week-end, non sans remarquer le regard appréciateur de Severus. De nouveaux pantalons et quelques chemises pour aller avec seraient sans doute bienvenus... et tant qu'à faire, l'avis de Matthieu n'était pas négligeable. L'élégance désinvolte du jeune homme était fort appréciable et Harry ne pouvait nier que le regard de Severus comptait. Beaucoup.

– Mmmh..., grommela-t-il. Allons déjà faire ce pour quoi nous sommes venus, on verra le reste après.

– De toute façon, ce n'est pas chez Madame Guipure qu'il faut aller, fit Matt en riant. À moins que tu n'aies quatre-vingt dix ans ! Je connais d'autres boutiques bien plus intéressantes ! Je t'emmènerai même à Paris si tu veux !

Chiche ! fit Harry en français.

Chiche...

Ils s'éloignèrent en riant tous les deux, ravis de leur future escapade et de leur complicité.

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Harry avait failli passer devant sans y prêter attention, mais quelque chose dans la vitrine avait attiré son regard. La sobriété et la rigueur de la présentation des ouvrages ? Le nom de la boutique en lettres noires ? Ou bien le parfum discret qui s'en échappait ?...

La librairie portait le nom sobre de « La Librairie », juste en face de chez Fleury et Bott, une façade étroite dont la porte donnait sur un magasin tout en longueur, sombre, un labyrinthe de rayonnages croulants sous les livres. Une simple pancarte « ouvert » indiquait l'état de la boutique dans laquelle il ne voyait âme qui vive.

– On y va ? s'exclama Harry, brusquement enthousiaste.

Matthieu grimaça en l'arrêtant net dans son élan.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu te plaignais l'autre jour de ne plus le voir assez, ajouta Harry en riant. Allons-y !

– Je n'ai pas très envie de le voir aujourd'hui...

– Mais pourquoi ?

Le jeune homme était clairement ennuyé et sa réticence était visible, mais Harry n'en comprenait pas du tout la raison.

– Vous vous êtes fâchés ? insista-t-il.

– Je ne l'ai pas plus vu depuis que je t'en ai parlé...

– Alors quoi ? C'est à cause de moi ?

Matt leva les yeux aux ciel avec un geste agacé de la main, mais à sa réaction, Harry pouvait deviner qu'il n'était pas loin de la vérité. Il fronça les sourcils en l'interrogeant du regard tandis que le jeune homme s'éloignait de quelques pas, mais rien ne l'éclairait sur cette aversion soudaine et cette fuite en avant.

Il rattrapa Matthieu en quelques enjambées et l'obligea à se retourner pour lui faire face.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'es finalement pas à l'aise avec le fait que j'aie une relation avec lui ?

– Harry ! Ça n'a rien à voir ! Je n'ai aucun problème avec ça.

– Alors quoi ?! s'agaça-t-il.

Matthieu soupira en fuyant son regard.

– C'est... entre lui et moi... Il va se servir de ta présence pour parler de certaines choses et je déteste ce genre de scène.

– De quoi ? Je ne comprends pas.

– Viens, soupira Matt en l'entraînant vers la Librairie. Tu vas comprendre...

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La porte se referma sans un bruit derrière eux, tournant sur ses gonds dans un silence huilé. La librairie était aussi déserte qu'elle en avait l'air depuis l'extérieur et l'odeur caractéristique des vieux livres embaumait tout l'espace. Un parfum de poussière, de renfermé, celui des bibliothèques et des heures d'études, celui des moments qu'ils avaient passés ensemble à étudier les runes. Et quelque part dans cette atmosphère ancienne, une odeur plus épicée et plus vivante qui lui rappelait si bien son amant. Harry la respira à pleins poumons, soudain impatient de le retrouver.

Prévenu par il ne savait quel sortilège de détection, Severus surgit au détour d'un rayon, un livre encore entre les mains, et levant les yeux vers eux, les reconnut brusquement. Son visage afficha alors un sourire ironique, presque caustique.

– Vous deux ! Ensemble !...

Puis s'adressant plus particulièrement à lui, il ajouta en grimaçant :

– Qu'est-ce que tu fiches ici ?!

Harry éclata de rire avant de faire quelques pas nonchalants en direction des rayonnages, ignorant ostensiblement son amant.

– Quel accueil chaleureux ! Tu m'as habitué à mieux !

Indifférent au regard sombre et sarcastique qu'il sentait peser sur ses épaules, Harry balayait du regard les reliures de cuir sans parvenir à en lire un seul titre, totalement concentré sur l'ivresse que faisait naître en lui le parfum retrouvé de son amant.

– C'est le propre de certaines associations, ironisa Severus. Comme lorsqu'on te trouvait dans un couloir de Poudlard avec Draco... on se demandait toujours quel mauvais coup vous prépariez.

– J'ignorais que tu parlais de mauvais coup à mon sujet, fit-il très lentement en se tournant vers son amant, un sourire carnassier sur les lèvres.

Severus eut le bon goût de paraître gêné du double sens de ses paroles et de ce qu'il avait insinué sans le vouloir, ce à quoi Harry répondit par un éclat de rire enjoué avant de se détourner pour découvrir la librairie.

Bonjour, Severus, fit lourdement Matt.

– Excuse-moi, Matthieu, fit un Severus légèrement décontenancé. Bonjour, comment vas-tu ?

Harry aperçut du coin de l'œil la poignée de main incertaine entre les deux hommes et la main, hésitante, que Severus posa sur l'épaule de Matthieu. Sans doute éprouvaient-ils une certaine gêne de sa présence et leur salut était fort peu naturel et spontané.

En vérité, il n'avait rien voulu d'autre que bousculer un peu son amant pour mettre Matthieu en position de force. Et il semblait y avoir réussi. Severus paraissait dérouté par son comportement et son insinuation, et Harry en profita pour s'éloigner quelque peu dans les allées chargées de livres et les laisser converser.

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L'odeur du cuir, des livres anciens et celle de Severus se fondaient en un mélange entêtant tandis qu'il se glissait dans les méandres sombres des rayonnages avec l'impression de pénétrer un lieu presque intime : le repaire de son amant. Il reconnaissait Severus partout dans le soin apporté au classement des ouvrages, le souci de leur bonne conservation, la rigueur et la méthode avec lesquelles ils étaient agencés sur les étagères ou les présentoirs. Rien n'était laissé au hasard, avec une logique aussi implacable que la façon dont il avait parfois vu son amant nager dans la piscine : mesurée, précise et sans fioritures.

Il n'était pas chez Fleury et Bott où les titres criards et les livres populaires attiraient l'œil et le client. Ici, comme le lui avait décrit Matt en parlant de la Librairie, il était dans un temple pour passionnés d'ouvrages anciens sur la magie et les potions. Des grimoires sombres, rares, d'un prix aussi inestimable que leur âge, et dont les titres, que Harry déchiffrait parfois difficilement vu leur ancienneté, attisaient sa curiosité. Pour bien faire, il aurait fallu transformer cette librairie en salon de lecture pour pouvoir profiter de cette richesse incalculable, ou pouvoir emprunter certains ouvrages pour les consulter à loisir, mais il se doutait déjà de la réaction ironique de son amant s'il lui demandait une telle chose. Quoique... pour lui, peut-être...

Il sourit machinalement en se redressant, percevant à nouveau les paroles de la conversation à mesure qu'il se rapprochait des deux hommes.

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– J'ai croisé le directeur de l'Institut de Potion, il y a quelques jours, disait Severus d'un ton bien trop professoral à son goût. Tu as réfléchi à sa proposition ?

– Pas davantage qu'il y a quelques mois, et pas davantage que l'année dernière. Ça ne m'intéresse pas.

La position des deux hommes l'interpella au premier regard. Severus les bras croisés, grand et sombre, toisait Matthieu avec un air fermé digne de ses meilleures années à Poudlard. Et Harry percevait chez le jeune professeur une tension sous-jacente, maîtrisée avec peine, qu'il ne lui avait jamais connue.

– Pourquoi ?! C'est un poste prestigieux. Tu pourrais faire de la recherche, enseigner à de vrais étudiants...

– J'aime ce que je fais, répondit Matt exaspéré. Et j'aime mes étudiants.

Sa voix était sourde, pleine d'une fureur rentrée et pourtant Harry savait les doutes du jeune professeur sur son métier, la difficulté à concilier sa vie avec les contraintes de l'internat et de la charge de directeur de maison, et il trouva d'autant plus inconvenante l'insistance de Severus.

– Tes élèves ? Ce ne sont pas des étudiants, cracha celui-ci. Tout juste des enfants qui ne comprennent rien à rien. Tu perds ton temps avec eux. Et tu gâches ton talent !

– Peu importe, fit Matt d'une voix glaciale. Poudlard me convient et je n'irai pas enseigner à l'Institut.

– Tu mérites mieux que ça ! cingla Severus.

Plus les critiques acerbes pleuvaient de la bouche de son amant, plus Harry distinguait la tension croissante qui nouait les épaules de Matthieu, la façon dont ses poings se fermaient sous le blâme et la colère qui obscurcissait ses yeux bleus habituellement si rieurs.

– Ce n'est pas digne de toi !

– Hum..., se permit d'intervenir Harry. Il ne me semble pas si honteux d'enseigner à Poudlard. On en a connu d'autres qui l'ont fait...

Le regard noir que Severus lui adressa l'aurait fait se liquéfier sur place à une autre époque, mais il ressemblait tant à son regard pendant l'amour, dilaté par le plaisir, qu'il n'avait aucune crédibilité et Harry arbora, quoique avec difficulté, un sourire innocent.

– Et on voit ce que ça a donné ! Une génération d'élèves impossibles à dégrossir !

– Doit-on considérer que Matt et moi sommes des cornichons et des mollusques décérébrés, incapables de la moindre potion ? fit-il en se rapprochant du jeune professeur et en posant une main solidaire sur son épaule. Il faut croire qu'au contraire, nous sommes un hommage à ton talent d'enseignant, mon chéri...

Severus n'avait pas compris les derniers mots en français, sans quoi il serait sans doute entré dans une colère aussi sombre que son regard, mais Matthieu se détendit immédiatement et ne put s'empêcher de pouffer, s'attirant à nouveau les foudres de son mentor.

– Et avec ton cher et tendre... ? ironisa Severus avec un plaisir acide. Où en es-tu ?

Le répit avait été de courte durée et Matthieu grimaça devant un autre sujet qu'il aurait préféré éviter.

– Toujours au point mort, répondit-il d'une voix fermée.

– Tu perds ton temps là aussi, fit Severus en levant les yeux au ciel avec exaspération. Pourquoi ne vas-tu pas...

– Je sais très bien ce que tu en penses ! coupa sèchement le jeune homme. Mais il me semble que je fais ce que je veux de ma vie.

– Tu devrais...

– Tu n'approuves pas mes choix, mais c'est ma vie.

– Tu n'écoutes jamais ce que l'on te dit...

Harry sentait dangereusement remonter la colère de Matthieu et s'il n'avait jamais vu le jeune homme furieux, il ne le souhaitait pas le moins du monde au vu de ce qu'il sentait vibrer en lui. Un bouillonnement d'exaspération, d'humiliation et de rage qui ne demandait qu'à déborder sous la remontrance de trop, et il connaissait suffisamment les potions pour comprendre que certains mélanges ne pouvaient qu'être explosifs. C'était le genre de circonstances où les paroles dépassent trop vite la pensée et sa présence au milieu des deux hommes ne faisait sans doute que renforcer la rigidité de leur attitude.

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Cela devenait une habitude, mais après tout, pourquoi ne pas user de ses propres armes ? Profitant du lourd silence, Harry se concentra et enveloppa lentement Severus de sa magie pour tenter d'adoucir ses réactions et ses propos. Il espérait ramener un peu de raison et de mesure dans cette confrontation, ou au moins un minimum de calme.

Mais ce ne fut pas assez discret au vu du regard flamboyant que Severus tourna brusquement vers lui.

– Harry ! Arrête ça !

Il leva les yeux au ciel, exaspéré à son tour, et, libérant assez de magie pour imposer à Severus de le suivre, il le saisit par le bras et le traîna vers le fond de la librairie.

Le procédé n'était pas très loyal, ni même correct, mais de cette dispute avec Matthieu ne pouvait naître que du mauvais, et si, en théorie, il n'avait pas à intervenir, il n'allait pas laisser ainsi son amant et son ami se fâcher sous ses yeux sans y mettre son nez.

– Par Merlin ! Harry ! haleta Severus lorsqu'il relâcha un peu la prise de sa magie. Tu n'as pas le droit...

– Je me le suis octroyé ! gronda-t-il en le plaquant contre un rayonnage de livres invisible aux yeux de Matthieu et en le faisant taire de sa langue et de ses lèvres.

Il maintenait une pression de magie suffisante pour que Severus n'ait pas d'autre alternative que de se laisser faire et il le sentit se détendre peu à peu sous le baiser intransigeant. Au bout d'un moment, la colère s'atténua jusqu'à disparaître et Severus commença à lui rendre ses caresses avec plus de tendresse. Harry relâcha lentement son étreinte et jeta une bulle de silence autour d'eux.

– Je sais que tu m'en veux pour ce que je viens de faire, mais, de un, j'en avais terriblement envie, et de deux, pourquoi est-ce que tu ne lui dis pas simplement que tu l'aimes et que tu es fier de lui ?

Si les mots ne l'étaient pas, la réflexion était cinglante et il sentit Severus se crisper contre son corps et recomposer en quelques secondes un visage dur et intransigeant.

– De quoi est-ce que tu te mêles ?! Ça ne te regarde pas !

– Oh que si, ça me regarde ! Il est mon ami et tu es mon amant. Je refuse de vous voir vous entre-tuer pour si peu !

– Il était mon élève bien avant que tu sois mon amant ! gronda-t-il sourdement. Tu n'as pas à me dire comment je dois me comporter avec lui ! Tu n'as aucun droit d'intervenir dans ma vie !

Severus était véritablement furieux. De ces colères qui fulminent brusquement parce que quelque chose a visé juste là où ça fait mal.

– Et c'est ainsi que tu te comportes avec tous tes anciens élèves ?! Ou c'est juste lui qui a droit à ce sermon de père moralisateur ?

Harry soupira un instant et posa son front contre celui de son amant en fermant les yeux.

Il connaissait suffisamment Matthieu pour savoir combien le jeune homme devait être blessé de l'attitude de son mentor. Cette impression de ne jamais faire assez, de n'être pas à la hauteur de ses espérances, de ses exigences, cette indignité aux yeux de l'homme qu'il considérait comme une référence dans sa vie devait lui broyer le cœur et Harry percevait presque ce déchirement chez Matthieu de manière physique.

Il ne se rendait aussi que trop bien compte de sa propre réaction face à la petite phrase que Severus avait laissé échapper sans en mesurer la portée. « Tu n'as aucun droit d'intervenir dans ma vie ». Aucun droit. Les mots étaient cruels et cuisants, ravivant cette idée latente de n'être qu'un amusement de passage dans la vie de Severus, un plaisir occasionnel qui n'avait pas voix au chapitre.

Severus ne l'avait sans doute pas dit ainsi, ni même eu semblable pensée, mais les mots étaient là, et la douleur insidieuse dans son cœur aussi, que Harry étouffa soigneusement sous des monceaux de raison et de bon sens. De toute façon, il n'étais pas question de lui, ni de ce qu'il pouvait ressentir, mais des paroles un peu trop vives que Severus et Matthieu venaient d'échanger et de la colère de Severus à son encontre.

Harry pouvait comprendre cette colère face à l'ingérence qu'il venait de commettre. La relation de Severus avec Matthieu était un terrain privé, jalousement gardé hors de la vue de qui que ce soit, même celle de Lucius. Il n'avait certainement pas à empiéter sur ce territoire, mais il ne pouvait certainement pas non plus rester là sans intervenir pour défendre son ami.

Il laissa à nouveau échapper un long soupir résigné, mêlé d'amertume et de tristesse.

– J'aimerais bien que tout soit plus simple et plus facile entre vous. Vous vous compliquez la vie pour rien ! Tu comptes beaucoup pour lui et il compte pour toi. Ne sois pas si dur... et ne le déçois pas.

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– Merci d'être intervenu, fit Matt pensivement alors qu'ils s'éloignaient en direction de l'apothicaire. Je crois que j'aurais fini par partir en claquant la porte...

– C'est plus ou moins ce que tu as fait, répondit-il en souriant.

– Mais je n'ai pas claqué la porte ! protesta le jeune professeur. Je suis juste sorti pour t'attendre dehors.

Severus aussi avait fini par sortir. Pour aller s'excuser.

– C'est de ma faute, fit Harry. Je suis désolé, je n'aurais pas dû t'imposer d'y aller. Tu savais bien mieux que moi comment ça allait finir...

Chacun dans un silence pensif, ils remontèrent lentement le Chemin de Traverse pour s'engager sur le Sentier des Songes, où les magasins aux devantures plus sobres n'invitaient à entrer que ceux qui recherchaient vraiment des professionnels et des spécialistes. L'apothicaire qui siégeait au bout de la rue y côtoyait un menuisier, des bijoutiers et autres artisans du livre, des objets magiques ou de la confection. Le tailleur personnel de Lucius avait sa boutique ici, si ses souvenirs étaient bons, ainsi que l'ébéniste qui avait fourni bon nombre de meubles du Manoir.

– Il est toujours comme ça avec toi ? Severus ?

– Non ! sursauta Matthieu. Bien sûr que non. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi odieux ! Mais... en présence de quelqu'un... il a toujours cette façon de vouloir imposer son autorité.

Harry hocha la tête en songeant à l'attitude de Severus et à leurs paroles au fond de la Librairie. C'était la première fois qu'ils se disputaient depuis qu'ils avaient vraiment noué quelque chose, et au contraire des autres, ce n'était pas une première fois qu'il avait pris plaisir à vivre, ou qu'il avait espérée ou attendue. Il en gardait un arrière-goût amer qui n'arrivait pas à passer.

Les mots de Severus avaient été aussi blessants pour lui qu'avait dû l'être sa propre attitude pour son amant. Même s'il avait fini par s'adoucir et aller s'excuser auprès de Matthieu, Harry craignait d'avoir trop mis à mal l'amour-propre et l'orgueil de Severus. Comme il le lui avait si bien fait comprendre, il n'avait pas de leçon à recevoir de sa part, et il n'était pas homme à se laisser marcher sur les pieds, surtout devant un tiers.

Malgré toutes les bonnes raisons qu'il avait eues d'intervenir, Harry craignait tout de même les retombées futures de cet incident. Le malaise entre eux, la rancune, les silences... Il aurait voulu crever cet abcès immédiatement mais il était avec Matthieu, et ils n'avaient pas même commencé ce qu'ils avaient prévu de faire...

– Et il faudra me donner ton secret pour le manipuler comme tu l'as fait sans se laisser impressionner ! fit Matthieu en riant. Je ne l'avais encore jamais vu être gêné et ne pas savoir quoi répondre !

Est-ce qu'il serait ridicule s'il retournait voir Severus un instant pour apaiser la situation ?

– Être plus sarcastique que lui. Le déstabiliser avec des sujets qui le mettent mal à l'aise. Et crois-moi, quand tu l'as vu dans certaines positions, il ne peut plus être impressionnant !

Matthieu éclata de rire au beau milieu de la rue, faisant se tourner quelques têtes sur leur passage, tandis que Harry s'arrêtait net, un nœud dans le ventre.

– Par pitié, je ne veux rien savoir de plus ! s'exclama le jeune professeur, les larmes aux yeux, avant de brusquement prendre conscience de son immobilité et de son air ennuyé.

Au diable le ridicule ! Severus valait bien tous les ridicules du monde.

– Est-ce que ça t'ennuie si je retourne lui dire un mot ?

Matthieu eut un regard surpris, puis, prenant conscience de son malaise latent, afficha peu à peu un sourire entendu.

– File ! Et rejoins-moi chez l'apothicaire.

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Harry rebroussa rapidement chemin jusqu'à la Librairie et poussa à nouveau la porte avec un soupçon d'appréhension.

– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux des excuses toi, aussi ?

Le ton était froid et le regard sombre quand la silhouette de Severus se détacha de l'obscurité du fond de la boutique.

– Ce serait plutôt à moi de t'en faire, je crois...

Ils se jaugèrent un long moment jusqu'à ce que Severus ne détourne le regard vers les rangées de livres qui les environnaient.

– C'est inutile. Tu n'as sans doute pas tout à fait tort...

– Mais je n'avais sans doute pas à te le dire de cette façon, fit Harry en s'avançant dans la pénombre du magasin pour enlacer son amant. Tu sais, il tient à toi bien plus que son indifférence à tes conseils ou à ton opinion ne le laisse paraître. De toute façon, il n'est pas indifférent, même s'il n'est pas d'accord. Il a besoin de ton approbation. Comme Draco avec Lucius au sujet de Daphnée... Ton opinion compte démesurément mais si elle ne va pas dans le même sens que lui, il passera outre.

– Est-ce que tu es en train de comparer la relation que j'ai avec Matthieu avec celle qu'il y a entre Draco et Lucius ? soupira Severus.

Harry ne put s'empêcher de rire devant son air désappointé. Peut-être était-il encore allé un peu trop loin !

– On dirait, oui !

Severus passa une main lasse sur son visage et dans ses cheveux, ébouriffant un peu plus ses mèches blanches désordonnées.

– Et c'est pour me dire ça que tu es revenu ?

– Pas exactement mais... J'avais peur que tu m'en veuilles, avoua-t-il.

– Je ne t'en veux pas, fit Severus en resserrant ses bras autour de lui. Je m'en veux plutôt de ne pas être capable de certaines choses. Vis à vis de lui... et vis à vis de toi. Je suis désolé de ce que je t'ai dit... Bien sûr que tu fais partie de ma vie ! Et...

Devant le silence hésitant entre eux et la culpabilité qu'il percevait chez son amant, Harry choisit de le faire taire d'un profond baiser. Il était rassuré; quelque part au fond de lui, il avait eu besoin d'entendre ces quelques mots et cela lui suffisait. Il n'avait pas besoin de plus.

– Mais ne me refais jamais ce coup-là ! gronda brusquement Severus, incapable de se laisser aller trop longtemps aux excuses. En particulier devant Lucius !

– Lequel ? se moqua Harry en riant. Celui de t'entraîner au fond de la Librairie pour t'embrasser passionnément ?

– Celui-là aussi, oui ! Allez, file ! Je suppose qu'il t'attend. On en reparlera ce soir...

– Ce soir... je..., hésita Harry en se reculant légèrement. Ne m'attendez pas pour dîner, avec Lucius. Ni pour vous coucher...

Severus fronça les sourcils devant le contenu implicite de ses paroles et il se sentit obligé de préciser.

– Tu sais ce que j'ai à faire tout à l'heure... Je ne sais pas comment ça va se passer et... je ne suis pas sûr de rentrer tout de suite.

Harry vit Severus hocher lentement la tête avant de l'entendre murmurer :

– Et toi, j'espère que tu sais que tu peux venir me trouver si tu as besoin...

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oooooo

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Malgré la fin pesante de leur conversation, Harry repartit d'un pas bien plus léger qu'en revenant voir Severus. À tout bien considéré, si l'on excluait la confrontation douloureuse entre Matthieu et son mentor, le déni des deux hommes sur leur attachement mutuel était plutôt ravissant à voir. Deux personnalités écrasantes refusant d'ouvrir les yeux sur ce qui les liait...

Mais comment avait-il pu seulement un jour envisager une relation d'amour entre eux ? Autre qu'un étrange amour filial qu'ils semblaient l'un et l'autre ne pas vouloir reconnaître ? Il suffisait de les voir se parler pour comprendre dans l'instant qu'ils s'étaient mutuellement adoptés sans rien se dire.

Harry comprenait maintenant mieux l'émotion de Matthieu lorsqu'il parlait de Severus, son admiration mêlée de reconnaissance et d'un sentiment de devoir. Sa douleur devant des jugements ou des sarcasmes qu'il estimait injustes, voire cruels. Et sa déception malgré tout de n'avoir plus aucun « prétexte » pour voir Severus, comme s'ils avaient besoin d'une excuse légitime pour continuer à entretenir une relation qui n'avait plus rien de professionnel.

Severus était plus pudique et plus réservé dans ses paroles, mais Harry ne doutait pas de ses sentiments envers Matthieu, ni des regrets sincères qu'il venait d'exprimer à demi-mots. Et il ne doutait pas non plus qu'un léger coup de pouce de sa part permettrait peut-être de dénouer cette situation enkystée depuis trop longtemps.

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Lorsqu'il entra dans la boutique de l'apothicaire, Matthieu n'avait toujours pas fini ses achats et les sachets d'ingrédients s'accumulaient sur le comptoir à mesure que se réduisait la longue liste griffonnée sur un parchemin.

– Tout va mieux ? fit Matt en le voyant arriver avec un grand sourire.

– Ne sois pas sarcastique, toi aussi ! Ou je saurai me moquer de toi en temps utile ! s'amusa-t-il. Oui, tout va bien.

– Tu m'en vois soulagé. Je m'en serais voulu si vous vous étiez fâchés à cause de moi.

Matthieu avait parlé à mi-voix et d'un ton plus que sérieux avant de se dérober pour aller chercher un bocal d'ailes de libellule. L'aveu était touchant et Harry sentit son amitié pour le jeune homme grandir à ces quelques mots.

Il s'intéressa un moment aux produits proposés par l'apothicaire avant de s'approcher du comptoir pour voir ce que Matthieu avait déjà glané dans les rayons. La plupart étaient des ingrédients de potion classiques, sans doute destinés aux élèves pour leurs examens, mais quelques uns sortaient de l'ordinaire. Matthieu poursuivait visiblement d'autres recherches qui n'étaient pas recommandées par les manuels du Ministère.

Sous l'œil circonspect du patron de la boutique dont la petite taille et les cheveux désordonnés lui faisaient penser au professeur Flitwick, Harry mit de côté trois sachets de plantes rares qui lui paraissaient bien trop défraîchies pour être efficaces.

– Qu'est-ce qui n'allait pas ? fit Matt en revenant avec ses dernières trouvailles.

– Trop sèches. J'irai t'en chercher directement si tu en as besoin. Je sais où en trouver...

– On trouve rarement mieux que ça, soupira Matt en examinant la feuille flétrie dans le sachet. Elles viennent de si loin qu'elles arrivent toujours dans cet état-là...

– C'est exact, monsieur, intervint l'apothicaire qui n'avait pas perdu une miette de leur conversation. Nous offrons les meilleurs produits qu'il est possible de trouver, mais nous ne sommes pas responsables des délais d'acheminement, même si nous essayons de faire au mieux.

Matt s'éloigna à nouveau pour une dernière moisson d'ingrédients, tandis que l'apothicaire se tournait légèrement vers Harry en ajoutant :

– Mais si vous connaissez des filières d'approvisionnement intéressantes, nous sommes preneurs de toutes les informations...

– Avec un bon portoloin, elles arriveraient plus fraîches, fit-il en haussant les épaules tandis que le patron fronçait les sourcils en le dévisageant.

– Il ne faut pas moins de cinq portoloins pour revenir de la région où pousse cette plante, monsieur. Sans compter le temps passé à la douane dans certains pays traversés...

– Ah...

Il n'était de toute évidence pas au fait des subtilités des transports sorciers du monde actuel et il n'allait certainement pas avouer qu'il ne lui fallait que quelques secondes pour transplaner à l'autre bout du monde.

– Ceci étant, si vous avez la possibilité de vous fournir par vos propres moyens, fit l'apothicaire qui ne lâchait ni son idée première, ni son inspection en règle, nous pourrions peut-être nous entendre. Monsieur... ?

L'homme avait fini sa phrase d'une telle façon que Harry était certain qu'il lui demandait son nom et malgré lui, il éclata de rire devant l'incongruité de la situation. Quel nom pouvait-il bien donner ? Mentir était envisageable mais il ne le souhaitait plus. Et il fallait bien un jour se jeter à l'eau...

– Brian Evans..., admit Harry avec l'ombre d'une interrogation.

– Ce n'est pas ce que j'aurais dit, murmura l'apothicaire dont le regard passait alternativement de la couleur de ses yeux à la recherche de la cicatrice sur son front.

Il rit à nouveau de bonne grâce, ne pouvant que s'incliner devant tant de perspicacité.

– Vous auriez raison dans les deux cas, admit-il avec un sourire tandis que le regard de l'apothicaire s'illuminait brusquement.

– Vrai... vraiment ? bredouilla le petit homme derrière son comptoir. Je veux dire... ça fait si longtemps...

– J'ai vécu longtemps à l'étranger... assez loin d'ici...

– Très loin, si l'on en croit les découvertes que vous avez publiées sous votre nom de plume, monsieur Potter...

– Voilà ! fit Matt en posant un dernier bocal sur le comptoir. Je crois avoir tout ce qu'il me faut.

Puis il prit brusquement conscience de la façon dont l'apothicaire venait de nommer Harry et tourna vers lui un regard incertain.

– Bien, monsieur Le Bihan... Je fais livrer tout cela à Poudlard, comme d'habitude ?

Matthieu confirma, encore troublé, tandis qu'avec une dextérité surprenante, le petit homme empaquetait l'ensemble des produits et ficelait le colis à destination du château. Ils s'apprêtaient à prendre congé lorsqu'ils remarquèrent son regard brillant tourné vers eux.

– Messieurs... Je serai toujours honoré de vous compter parmi mes clients. Et... monsieur Potter, je ne sais pas si votre retour est déjà officiel...

– Il va l'être très rapidement, assura Harry avec un sourire contrit.

– En ce cas, je suis honoré d'avoir été parmi les premiers à vous revoir avant que la presse et les importuns ne se jettent sur vous... Et hum... Merci. Merci pour tout.

La voix de l'apothicaire était étrangement émue et ses yeux brillaient dangereusement dans la pénombre du magasin. Matt leva un sourcil étonné, cherchant le regard de Harry pour tenter de comprendre et ne trouva qu'un visage pâle et troublé.

– Vous savez, ajouta la voix étranglée, j'ai perdu ma femme et ma fille pendant cette guerre et... Vraiment, je... Merci.

– C'était il y a longtemps, se défendit Harry avec un geste vague. Et je ne suis pas pour grand chose dans le dénouement de la guerre. Beaucoup ont œuvré à la chute du mal...

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oooooo

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Ils s'éloignèrent du magasin d'un pas presque trop rapide pour être honnête puis Matt s'arrêta soudain en le prenant par le bras et le dévisagea longuement.

– Par Merlin ! Je ne pensais pas que ça pouvait encore être à ce point-là ! Après toutes ces années ! Ce type aurait fait n'importe quoi pour toi ! Même se prosterner à tes pieds si tu le lui avais demandé...

L'apothicaire avait eu une attitude plus digne lorsqu'il avait compris, émue mais pudique. Le gérant de la boutique d'ustensiles pour potions, en revanche, avait glapi de surprise en voyant Harry signer la facture de son vrai nom, et tandis qu'il écrivait une note à l'intention des elfes du Manoir pour leur donner ses recommandations, l'homme n'avait rien trouvé de mieux que de se répandre en louanges pleines d'adoration et en regards idolâtres.

Harry grimaça tandis qu'autour d'eux, les gens les regardaient, interloqués par ces deux hommes immobiles au beau milieu de la rue commerçante et des passants qui louvoyaient pour les éviter. C'était une simple idée, ou bien les gens le dévisageaient un peu trop longuement puis se mettaient à chuchoter entre eux avec des airs de conspirateurs ?

– Il devait être un de ceux qui me donnaient ces surnoms grandiloquents de Sauveur, d'Élu, de Survivant ou je ne sais quoi d'autre, fit Harry d'une voix amère. Merlin, que je hais la célébrité !

Si les gens le reconnaissaient, est-ce que c'était en tant que Brian Evans ou bien en tant que Harry Potter ? Qu'est-ce qui était préférable ? Qu'allaient-ils attendre de lui cette fois ?

Une angoisse sourde le saisit brusquement. Il n'avait aucune, mais aucune envie d'affronter à nouveau tout ça !

– Matt..., fit-il d'une voix qui lui parut un gémissement. Je ne suis pas sûr d'être prêt à ça, finalement...

– Allez, viens, fit Matt en l'entraînant par le bras. Tout se passera bien. Tu as le soutien de Severus, et celui de Lucius s'il faut en arriver au côté politique. Et tu auras toujours des endroits où te réfugier pour fuir la célébrité si ça ne se calme pas tout seul...

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oooooo

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Il n'était pas sûr d'être prêt à cette confrontation-là également... La journée commençait à lui paraître étrangement lourde et usante alors que la devanture rutilante de Weasleys' Wizard Wheezes se tenait à quelques pas devant eux.

Une foule d'enfants colorés, riants et criants, se précipitèrent hors du magasin, les poches pleines de sucreries ensorcelées, tandis qu'une bande de jeunes filles entrait en pouffant de rire devant certains gadgets de la vitrine qui promettaient monts et merveilles pour l'anniversaire de l'une d'entre elles.

Harry s'arrêta un instant pour observer le magasin, bien plus imposant que la modeste échoppe rachetée par Fred et Georges des années auparavant. Bien que cela ne soit pas visible, ils avaient dû absorber une boutique mitoyenne pour s'agrandir et développer leur activité. Et sur la vitrine arborant en lettres noires les noms Weasley and Weasley, on pouvait lire également : Londres, Pré-au-lard, Paris, Bruxelles...

Matt l'observait, respectant son hésitation et s'inquiéta :

– Ça va aller ?

Harry eut une moue qui ressemblait davantage à une grimace, puis lâcha prise et poussa un long soupir. Ce n'était pas comme s'il avait le choix, maintenant. Après cette petite ballade dans le Chemin de Traverse, l'apothicaire et le gérant de la boutique de chaudrons n'étaient peut-être pas les seuls à l'avoir reconnu et la nouvelle aurait vite fait de circuler. S'il ne voulait pas que la famille Weasley apprenne son retour par la presse, comme n'importe lequel de ces gens qui ne comptaient pas et n'avaient jamais compté pour lui, il lui fallait les affronter. Les revoir tout du moins. Ils méritaient cet effort. Après tout ce qu'ils avaient fait pour lui, chacun d'entre eux, et plus encore ceux qui étaient morts pour lui permettre de vivre et d'être là aujourd'hui, ils valaient bien le maigre sacrifice de sa fierté, de son orgueil et toute son humilité.

Évitant soigneusement le regard de Matthieu, il poussa la porte d'une main ferme et décidée. Peut-être qu'après tout, Fred et Georges ne le reconnaîtraient même pas...

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La voix aiguë d'un grelot tintinnabula de manière saugrenue à leur entrée et ce bruit le fit sursauter comme un coup de tonnerre, avant que ne le happe la vision multicolore et hétéroclite de la caverne d'Ali Baba des Weasleys. Les farces et attrapes les plus connues et les plus communes occupaient les premiers rayons, ceux avec les confiseries pour les enfants, les plumes en sucre, les dragées de Bertie Crochue et autres boîtes à flemmes. Derrière, Harry apercevait un rayon consacré aux accessoires vestimentaires et aux cosmétiques qu'il avait contribué à élaborer, et sur le côté, derrière les vendeuses qui surveillaient de loin les clients, se tenaient les plus belles œuvres des deux frères : leurs feux d'artifice en dix variétés différentes et le célèbre marécage portatif qui avait longtemps hanté les couloirs de Poudlard. Mais dans la cohue de visiteurs curieux et d'articles en tout genre criants, sautants, hurlants, il n'aperçut ni Fred, ni Georges nulle part.

– Viens, fit Matthieu en le prenant par le bras. Il y a de fortes chances qu'ils soient dans la deuxième partie du magasin.

D'un pas habitué, il le guida à travers le dédale des rayonnages pour rejoindre une alcôve plus calme, dans laquelle un rideau de velours rouge cachait l'entrée de la boutique attenante. Dans une ambiance feutrée étaient exposés des produits plus rares et réservés à des clients avertis : les poudres à disparaître, des baguettes ensorcelées, des objets magiques à caractère plus érotique et certaines potions à la limite de la légalité. Au vu du contexte, Harry ne fut que moyennement surpris d'apercevoir une affichette vantant les mérites de la potion Animagi de Matthieu – « renseignements au comptoir » – pourtant interdite par le Ministère.

Et derrière ce comptoir de bois sombre, il aperçut brusquement deux têtes d'un roux flamboyant, l'une debout, l'autre assise, et une paire d'yeux bleus qui le regardèrent puis s'écarquillèrent de surprise.

– Merlin ! Fred ! s'étouffa Georges en mettant un grand coup de coude à son frère penché sur un catalogue de commande.

– Tu appelles qui ? Merlin ou moi ? grogna Fred en massant son épaule douloureuse.

Puis il leva la tête, écarquilla les yeux au moins aussi largement que son frère et se redressa d'un bond.

– Merlin ! J'ai la berlue ? On a la même berlue ? Georges ? Dis quelque chose !

Comme l'apothicaire et le gérant de la boutique de chaudrons quelques minutes auparavant, les yeux des deux frères parcouraient sans cesse son visage, ses yeux d'un vert si particulier, son front un peu trop marqué pour y distinguer clairement la cicatrice, ses cheveux, plus longs qu'autrefois et qui avaient gagné en sagesse au fil des années, sa peau, si hâlée qu'il paraissait revenir d'un très long et très lointain voyage...

Mais ils savaient. Dans leurs regards, Harry voyait qu'ils avaient compris, que même en cherchant encore une confirmation, ils étaient déjà sûrs.

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Le silence s'étalait de manière rampante, dans ce qui lui semblait être une éternité en suspension, une bulle de temps prête à éclater au moindre mot, au moindre geste et au plus petit frémissement de l'un d'eux.

Et puis leurs yeux se détachèrent de lui et ils se regardèrent mutuellement, surpris, comme pour chercher des réponses, Fred passa une main fatiguée sur son visage, se tournant à nouveau vers lui pour voir s'il n'avait pas disparu.

– H... Harry ?

Il hocha simplement la tête, incapable de dire un mot, incertain d'une réaction qui tardait à venir.

– Par les couilles de Merlin ! Harry !

En beaucoup moins de temps qu'il ne lui en fallut pour réaliser ce qui se passait, les jumeaux furent sur lui, le saisissant de concert dans leurs bras d'une façon qui l'effraya presque et il se retrouva saucissonné entre deux corps, quatre bras et deux immenses sourires au milieu d'un océan de taches de rousseur.

– Harry ! Par Merlin ! Ça fait si longtemps !

– Si longtemps ! Mais qu'est-ce que tu fais là ?!

– Tu es enfin de retour ?! Tu restes un peu au moins ?!

– Mais où étais-tu passé ?! Qu'est-ce que tu es devenu ?!

– Dix ans ! Plus de dix ans ! Combien de temps ça fait, Fred ?!

– Douze ans ! Merlin ! Mais qu'est-ce que tu as foutu toutes ces années ?!

Harry n'aurait su dire qui parlait, il ne voyait rien, n'entendait rien, il avait fermé les yeux et ne sentait que ces bras autour de lui, cette tribu miniature de Weasleys, parlant vite, fort et beaucoup, parlant tant que cela ne formait plus qu'un brouhaha continu dans ses oreilles, un bourdonnement seulement troublé par les rires et les battements sourds de son cœur qui martelaient dans son corps une cavalcade étourdissante.

Il sentit ses yeux trop humides pour pouvoir les rouvrir tout de suite et sa gorge étranglée d'émotion, tellement envahie par un gonflement étrange qu'elle semblait incapable d'émettre le moindre son qui ne ressemble pas à un sanglot.

– Laissez-le respirer ! fit la voix riante de Matt quelque part derrière lui. Qu'il puisse au moins dire un mot !

Les jumeaux l'étreignirent encore un moment avant de consentir à le lâcher, puis il fut question de bureau, d'étage, d'absence et de prévenir les employés, et il lui fallut bien les quelques minutes où il se sentit guidé vers l'escalier et un petit salon de réception, pour reprendre peu à peu pied dans la réalité.

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« Douze ans... » fit Georges perdu dans ses souvenirs tandis qu'il débouchait et posait sur la table basse une Bièraubeurre pour chacun.

Assis dans un fauteuil si bas qu'il se demandait s'il pourrait s'en extraire un jour, Harry observait les jumeaux, si semblables à son souvenir et si subtilement différents. Le temps avait affirmé leurs traits, leur donnant plus de maturité et d'aplomb, et pourtant, on y retrouvait aisément les deux adolescents facétieux. Il suffisait d'un coup d'œil rapide, d'une étincelle dans le regard ou de cet immense sourire qui partait presque d'une oreille à l'autre et faisait ressortir les taches de son de leurs pommettes, pour faire un bond en arrière dans le temps.

Mais l'émotion première était passée. Ils trinquèrent tous les quatre joyeusement et Harry avala une grande lampée de sa bière avec un plaisir non dissimulé.

– Tu n'as pas changé ! s'exclama Georges avec entrain. La même descente qu'autrefois ! À part la couleur de peau, évidemment ! On dirait que tu reviens des tropiques !

– C'est un peu ça, admit-il en riant. Vous non plus, vous n'avez pas changé. Quoique, avec l'âge, je trouve qu'il est plus facile de vous reconnaître l'un de l'autre.

– Tu trouves ? Pourtant, tout le monde se trompe encore ! ricana Fred. Même sa femme !

– Arrête donc ! fit Georges en bousculant son frère. UNE fois, de dos et de loin, elle t'a pris pour moi ! De près, crois-moi qu'elle ne se serait pas trompée !

Harry éclata de rire devant la dispute millénaire des jumeaux, avant de se tourner vers Georges avec un grand sourire.

– Tu as fini par épouser Angelina alors ?

– Tu es déjà au courant de ça, toi ? fit Georges avec un regard en coin.

– J'ai... revu Draco il y a quelques jours...

Un peu plus longtemps même, mais il était délicat d'avouer aux jumeaux qu'il était revenu depuis quelques temps et qu'il avait revu bien des gens avant eux.

– Et l'entraîneur est si fier de ses joueuses favorites qu'il en parle en permanence ?! gloussa Georges. Oui, j'ai fini par épouser Angie. On se tournait autour depuis pas mal de temps ! Et on a deux enfants maintenant...

– De vrais petits Weasley ! intervint Fred avec un rictus sardonique. Rouquins en diable et aussi indisciplinés qu'un Weasley doit l'être ! Enfin... excepté Percy !

– Les dignes fils de leur père et les dignes neveux de leur oncle ? fit Harry en riant.

– Exactement ! se rengorgea Georges avec fierté. Quoique sur les deux, il y a tout de même une fille, mais elle n'a rien à envier à son frère ! Au contraire, même...

– Poudlard tremble déjà à l'idée de recevoir la prochaine génération de Weasley ?

– Il devrait !

– Je sais que Neville y a déjà songé en tout cas, ricana Matthieu. Et il compte les mois qui le séparent de l'arrivée de ta fille !

Ils rirent tous ensemble à l'idée de ce pauvre directeur qui allait devoir faire face aux héritiers Weasley tout en maintenant l'ordre, quand Georges sembla déchanter un peu.

– Le rôle le plus dur sera quand même pour moi ! se plaignit-il. Je devrai faire le gendarme et la réprimander pour ses bêtises, alors que dans le fond, je serai fier comme un pape !

– Ne t'inquiète pas, susurra Fred avec un air conspirateur. Je saurai la féliciter pour nous deux ! Et l'inspirer si besoin...

.

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– Et toi, Fred ? fit Harry quand il eut essuyé les larmes de rire qui perlaient à ses yeux. Qu'est-ce que tu deviens ?

Georges se pencha vers son frère qui grimaçait, passant un bras affectueux autour de ses épaules avant de répondre à sa place :

– Fred sort à peine d'une rupture douloureuse... C'est un sujet compliqué.

– Oh ! Excuse-moi ! Je suis désolé...

Fred se leva pour aller chercher un paquet de cigarettes, et sans doute aussi échapper à son regard quelques instants.

C'était étrange, cette manie... le tabac était un vice plutôt moldu et rares étaient les sorciers qui fumaient.

– Aucune importance. Tu ne pouvais pas savoir...

Le visage de Fred était d'un seul coup plus sombre, malgré la flamme du briquet qui allumait sa cigarette et Harry se sentit obligé de ne pas s'appesantir et de changer de sujet de conversation.

– Le magasin a l'air de plutôt bien se porter...

– On est plutôt satisfaits, sourit Georges en jetant un regard amusé à son frère. Ton investissement de départ a été multiplié par quelques milliers... On s'agrandit, on colonise d'autres villes... Et on prévoit encore de nouvelles ouvertures pour l'année prochaine.

– J'ai vu les succursales sur la vitrine du magasin ! fit Harry. Vous avez mené votre affaire de main de maître !

– C'est parce que nous avons de bons partenaires ! ricana Fred avec un signe de tête pour Matthieu, tout en soufflant une fumée bleutée.

Le professeur de potion s'était fait plutôt discret jusqu'à présent mais il eut un sourire entendu qui mit la puce à l'oreille de Harry.

– Parce que tu es partie prenante là-dedans, toi ? fit-il en riant.

– Je touche quelques dividendes sur mes créations, c'est tout...

– Et la potion Animagi, entre autres, se vend plutôt très bien, ironisa Fred. Et plutôt très cher.

– C'est parce que vous en avez l'exclusivité ! admit Matthieu avant de se tourner vers lui avec un large sourire : Et je te rappelle que maintenant, tu fais aussi partie des contributeurs de Weasley and Weasley !

– Si peu ! se défendit Harry en riant. Mais je comprends mieux à quoi sont destinés les ingrédients que tu as pris chez l'apothicaire tout à l'heure !

– Un projet de recherche..., fit Matt d'un air innocent. D'ailleurs, j'aurai peut-être besoin de ton aide... tu connais mieux les effets de certaines de ces plantes que moi.

– Quelles plantes ? Celles que j'ai proposé de te fournir ? interrogea-t-il en réfléchissant. Pour quel type de projet ?

Matthieu jeta un coup d'œil rapide aux jumeaux avant de hasarder une réponse avec un large sourire.

– Eh bien... il semblerait que Weasley and Weasley veuille développer sa gamme d'aphrodisiaques et autres stimulants...

– C'est également un projet... personnel ? plaisanta Harry avec un regard insistant.

Matthieu mit quelques instants à comprendre ce qu'il insinuait – faire prendre un aphrodisiaque à son mystérieux amoureux pour le mettre plus rapidement dans son lit – puis à mesure que la compréhension se faisait jour dans son esprit, il grimaça et prit un air outré.

– Mais non, enfin ! Je n'ai pas besoin de subterfuges ! Je te remercie ! Tout va bien de ce côté-là !

Les jumeaux riaient de leur connivence et l'air sombre de Fred semblait s'être envolé.

– Et ainsi donc, c'était toi, le mystérieux coup de main de Matt pour les potions de coloration capillaire ? Le petit prodige qu'il voulait nous présenter ?

– J'avoue, admit-il en jetant un regard entendu à Matthieu. Je me débrouille un peu en potion et je trouve qu'on forme un bon duo !

Le jeune professeur ricana brièvement. Ils formaient un sacré duo, oui, aussi bien pour travailler que pour passer du bon temps, boire ou discuter. Et leur complicité sautait aux yeux...

Aussi Harry fut assez surpris quand il vit Georges froncer imperceptiblement les sourcils avant de demander presque froidement :

– Est-ce que... est-ce que vous êtes ensemble ?

La question était étonnante, et plus que la question, l'attitude de Georges l'était davantage. Fermée, distante et pleine d'un jugement moralisateur. Une véritable douche froide.

Harry avait toujours cru les Weasley plutôt ouverts sur la question de l'homosexualité, et même si leur soupçon était erroné concernant son lien avec Matthieu, il lui paraissait d'un seul coup inconcevable de se confier plus tard sur sa vie privée et sa relation avec Severus. D'autant qu'il s'agissait quand même de Severus, le professeur honni de toute une génération d'élèves !

Il allait bredouiller une dénégation maladroite quand il surprit le regard de Georges rivé sur Matthieu qui secouait doucement la tête, en levant presque les yeux au ciel. Aussitôt, son visage se détendit et il reprit la conversation initiale comme si de rien n'était, avec un grand sourire.

– En tout cas, vous vous êtes bien trouvés ! Cette potion a beaucoup de succès dans les repas de famille !

Harry resta un instant interloqué, avec la sensation d'avoir manqué une information dans la conversation qui l'aurait aidé à décoder ce qui venait de se passer. En réalité, la question de Georges ne lui avait pas été destinée, pas plus que sa réprobation, mais il ne comprenait pas vraiment ce qui la sous-tendait.

– Il faut dire aussi que cette démonstration en pleine Grande Salle de Poudlard a beaucoup fait parler d'elle ! ricana Fred. On ne pouvait rêver meilleure publicité. Par contre, j'aurais beaucoup aimé voir la tête de Neville !

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– Et toi, alors ? lâcha enfin Georges qui semblait ne plus pouvoir se retenir. Ce retour ? Pourquoi ? Comment ? Avec qui ?

Le ton était léger mais Harry sentait la curiosité grandissante.

– Je réponds aux questions dans quel ordre, là ? fit-il en riant. Quelque chose de prioritaire ?

C'était sans doute une tentative pitoyable d'amener un peu de futilité et de dérision dans une conversation qui s'annonçait pesante, et il espéra vivement que cela ne soit pas aussi transparent qu'il en avait l'impression.

Les jumeaux échangèrent un regard et d'un accord tacite et muet, ce fut le visage impassible de Fred qui se tourna vers lui.

– Eh bien... commençons au hasard... Où est-ce que tu t'es installé ? Square Grimmaurd ?

Pour une première question, elle était étonnante et Harry en fut légèrement déstabilisé. Ce n'était pas tant la réponse qui lui coûtait que les implications sous-jacentes et ce qu'il fallait également expliquer autour... Pour autant, il n'avait pas vraiment le choix : les jumeaux lui avaient laissé du temps pour se détendre, pour discuter tranquillement... à présent, il fallait bien répondre à certaines interrogations.

– En fait, non... J'ai passé quelques temps à Poudlard en arrivant. Où j'ai rencontré Matt... Et en ce moment... je vis au Manoir Malfoy.

La quantité d'informations implicites que contenait cette simple réponse lui noua un instant le ventre. Son retour qui ne datait pas d'hier, au moins le temps de se lier d'amitié avec Matthieu, son lieu de résidence pour le moins surprenant alors qu'il avait lui-même un pied-à-terre à Londres... Mais les jumeaux ne réagirent pas particulièrement; sans doute connaissaient-ils même déjà certaines de ces réponses...

– C'est Draco qui t'a invité au Manoir ? demanda Fred.

– En réalité, c'est Lucius, avoua-t-il. Pour revoir Draco... J'avais croisé Lucius à Poudlard et il m'a invité à séjourner quelques temps... Le Manoir est autrement plus calme et plus agréable que la Grande Salle ou les cachots austères du Château !

Il avait terminé sur une note qu'il espérait ironique pour faire passer la pilule, mais il ne trompait personne et les regards entendus des jumeaux en témoignaient. Sa réponse n'était pourtant pas si loin de la vérité, il prenait simplement de grands raccourcis avec ce qui s'était réellement passé : oubliés le séjour de Lucius à Sainte-Mangouste et sa guérison inespérée, oubliées ses retrouvailles avec Severus et ses réelles motivations à rester au Manoir...

Harry jeta un coup d'œil discret à Matthieu qui gardait un visage neutre et une attitude légèrement en retrait, comme si la conversation ne le concernait plus.

– Tu as quelqu'un dans ta vie ? fit abruptement Fred.

Harry déglutit rapidement, mal à l'aise du brutal changement de sujet pour un en particulier qu'il n'aurait pas souhaité aborder de sitôt.

– En quelque sorte..., concéda-t-il après un silence. Ce n'est pas ce qui m'a fait revenir, mais il fait partie des raisons qui me feront rester...

Il espérait les aiguillonner sur un autre terrain, en particulier les raisons de son retour, sujet avec lequel il serait certainement plus à l'aise que sa relation avec Severus, mais il se rendit brusquement compte qu'il avait lâché sans le vouloir le sexe de son partenaire et s'en mordit la langue de contrariété.

Il avait peu fréquenté les jumeaux après la fin de la guerre, et ils n'étaient a priori pas au fait de sa préférence pour les hommes... Enfin, ce n'était pas même une préférence, puisqu'il n'avait jamais été question d'autre chose ! Sa seule aventurette féminine avait été Ginny, jusqu'à ce qu'il se rende rapidement compte qu'il ne la considérait que comme une sœur et qu'il n'aurait jamais pu se passer entre eux quoi que ce soit de charnel.

Mais justement, Ginny avait été une Weasley, la petite sœur de ces deux-là, et Merlin seul savait ce qu'elle avait pu leur dire à l'époque. Ajouté à cela la réaction étrange de Georges lorsqu'il avait cru comprendre qu'il était en couple avec Matthieu... Harry attendait leur réaction avec une pointe d'anxiété.

– Et à part aider Matthieu de temps en temps, tu as une activité, un travail ? demanda Fred.

Harry fut à nouveau soufflé par le changement brusque de sujet et il passa rapidement un regard incertain de l'un à l'autre. Aucune réflexion, aucune réaction... une indifférence totale, comme si aucun n'avait perçu ce détail du « il fait partie des raisons qui me feront rester ». Pas même la curiosité amusée qui pousse dans ces cas-là à demander de qui il s'agit. Question à laquelle il aurait eu bien du mal à répondre par ailleurs.

Fuyant les pensées qui se bousculaient dans son esprit, Harry se concentra à nouveau sur la question.

– Eh bien, je suis... à la limite entre la médicomagie, la préparation de potions et la botanique... J'ai écrit quelques livres sur des plantes rares et les potions que j'ai élaborées avec... Sous un nom d'emprunt, se sentit-il obligé de préciser.

– Lequel ? interrogea Fred.

– Heu... Brian Evans.

Fred secoua très légèrement la tête, se tourna vers son frère qui fit également un signe de dénégation, puis vers Matthieu qui, sans un mot, acquiesça vigoureusement en roulant des yeux devant tant d'ignorance.

– Et qu'est-ce qui t'a poussé à revenir au bout de tant d'années ? lâcha Fred d'un ton désinvolte.

Pas de rapport non plus avec le fait de connaître son nom de plume, mais Harry avait renoncé à comprendre ce qui motivait l'enchaînement des questions de Fred et la succession des idées qui l'y poussaient.

– Ce n'était pas vraiment prévu, mais il restait cette situation, que je considérais presque comme un contentieux personnel... et après beaucoup de recherches, je pensais avoir trouvé une potion qui puisse aider les parents de Neville... Et de fil en aiguille, j'ai pris la décision de rester...

– Alors c'était toi.

Pas une question. Une simple évidence posée là entre eux et il hocha brièvement la tête.

L'aveu était implicite mais, après une longue période de convalescence, les parents de Neville étaient sortis de Sainte-Mangouste depuis plus de deux mois, et l'affaire avait fait suffisamment de bruit dans la presse pour que les jumeaux n'en ignorent rien.

La date de son retour reculait encore dans le temps, mais ils n'eurent aucune réaction.

– Une bonne chose, affirma Georges avec un bref hochement de tête, rapidement imité par son frère.

Ce fut le seul commentaire sur ce qu'il avait fait. Pas qu'il attende des remerciements ou quelque félicitation que ce soit de leur part, mais cette absence de surprise et presque de curiosité le mettait étrangement mal à l'aise.

– J'ai d'ailleurs accepté un poste à Sainte-Mangouste, ajouta-t-il en se sentant obligé de combler le silence. À temps partiel... histoire de m'occuper un peu et de rendre service.

– Oh ! Mais... félicitations ! intervint brusquement Matt avec un sourire enjoué. Tu ne m'en avais rien dit !

Harry se tourna vers lui avec l'impression de redécouvrir sa présence, et la chaleur de sa réaction le surprit et lui mit un peu de baume au cœur dans cette étrange conversation.

– Ce n'est pas très vieux... ça ne date que de vendredi, et je ne commence que dans une dizaine de jours... Quelques consultations en pathologie des sortilèges, des recherches en potion, ce genre de choses...

Matthieu eut encore quelques commentaire ravis et enthousiastes qui contrastaient autant avec son silence précédent qu'avec l'attitude impassible des jumeaux. Harry sentait simplement leurs regards sur eux, qui les observaient attentivement sans dire un mot.

– Tu as des enfants ? lâcha Fred.

Harry sursauta, redescendit brusquement du petit nuage sur lequel l'avaient propulsé deux minutes de conversation vivante avec Matthieu, et fixa Fred comme s'il venait de déposer délicatement une bombe sur la table basse au milieu d'eux.

Il se pencha pour attraper sa bièraubeurre qui y était réellement posée, autant pour se donner une contenance que pour laisser passer la surprise, et en avala une longue gorgée. Il y avait à peine touché depuis tout à l'heure – alors que Fred en était déjà à sa deuxième bouteille et que les autres avaient fini depuis longtemps – et la saveur forte et amère lui fit un bien fou. Il aurait bien bu quelque chose de plus fort cependant, et il se prit un instant à regretter le cognac de Lucius.

– Non.

Il avait hésité entre l'ironie et la dérision mais la simple et stricte vérité sortit brutalement de sa bouche, aussi douloureuse qu'elle soit.

– Lui non plus ? fit Fred.

Quelques secondes furent nécessaires à Harry pour comprendre de qui il parlait et maîtriser ensuite les cabrioles complexes qui naissaient dans son cœur et son ventre tant il était ébranlé par la conversation.

Ainsi donc, Fred n'avait rien perdu de son aveu fortuit concernant le sexe de son « partenaire ». Et la seule question qui suivait cette révélation était cela. Harry renonça à nouveau à tenter de comprendre la logique, si tant est qu'il y en ait une.

Il avait l'impression étrange et désagréable de revenir aux jours où il avait dû témoigner, après la guerre, pour faire condamner les uns et innocenter les autres. Des litanies de questions dérangeantes qui avaient remué des souvenirs qu'il aurait préféré tenir éloignés de lui, ce sentiment permanent qu'un mot de trop ou une information oubliée auraient pu faire basculer la vérité, la difficulté d'être poussé dans ses retranchements, les pièges tendus pour voir si ses réponses variaient... Il était cuisiné comme s'il s'agissait de son propre procès.

En réalité, les questions sans queue ni tête de Fred ne faisaient qu'effleurer la surface, brosser l'ébauche d'un portait par petites touches successives, comme un peintre impressionniste, pour essayer de conquérir une impression d'ensemble sur ce qu'il était devenu, pour essayer de prendre le recul nécessaire pour une vision réaliste et ne pas rester focaliser sur un détail que l'absence de perspective rendrait flou ou incompréhensible.

Fred picorait les informations à droite à gauche tandis que Georges se contentait de hocher la tête à chaque réponse, et toutes ces informations glanées mises bout à bout en disaient sans doute bien plus sur lui et son état d'esprit que chacune prise isolément.

.

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Harry songea à nouveau à la question précise de Fred et faillit sourire en jetant un regard en coin à Matthieu, à nouveau aussi distant de la conversation que s'il était absent. Severus n'avait pas d'enfant à sa connaissance, excepté cet étrange lien qui l'unissait au jeune professeur de potion, une forme mutuelle d'adoption, complètement virtuelle et pourtant si réelle, qui les faisait s'affronter sur certains sujets comme Lucius et Draco auraient pu le faire, comme un père et un fils le feraient.

– Non, se contenta-t-il de répondre, bien que ce mot lui semblât blessant, cruel et ô combien loin de la réalité.

Fred haussa un sourcil devant le presque soupir qu'il avait laissé échapper et enchaîna aussitôt :

– Tu vas réclamer l'héritage des Lestrange ?

Harry soupira réellement cette fois-ci, autant devant cet énième saut du coq à l'âne que devant le sujet lui-même.

– Oui et non. J'essaye de faire en sorte de le liquider. Je ne veux rien avoir affaire avec tout cet argent, fit-il d'un ton définitif. Je ne savais même pas qu'il m'avait été attribué !... Je vais donner tout ce que je peux à Poudlard, et le reste... eh bien, il faut d'abord que je négocie avec le Ministère pour obtenir leur aide. Il faut « nettoyer » les propriétés de toute magie noire, retirer tous les sortilèges et...

– C'est pour ça que Neville cherche de nouveaux professeurs ? le coupa Matthieu qui s'était brusquement « réveillé » et penché en avant pour l'interroger. Il est au courant ? Il veut agrandir l'équipe enseignante ?

– Sans doute. Neville est bien sûr au courant et il a de grands projets pour l'école... Tout ça n'est pas encore finalisé mais Poudlard recevra tout l'argent qu'il est possible de tirer de cet héritage. Le reste n'est que modalités pratiques et affaire de temps...

Harry reposa sa bouteille vide sur la table basse en jetant un œil furtif aux jumeaux : ils avaient échangé un long regard plein d'une conversation muette et Fred allumait à présent une nouvelle cigarette avec un léger sourire amusé qui était bien le premier que Harry lui voyait depuis un bon moment.

– Si..., commença Fred avec détachement, ... pour « nettoyer » ces propriétés, le Ministère te met des bâtons dans les roues, comme c'est probable, tu peux toujours demander de l'aide à Bill...

– Bill ?... Bill ! souffla Harry interdit. Comment va-t-il ? Il est toujours...

– Il est toujours briseur de sorts chez Gringotts, mais il dirige maintenant une de leurs agences à Paris, intervint Georges qui parlait pour la première fois depuis le début de l'interrogatoire mené par son frère. Ceci dit, il viendrait t'aider avec plaisir... Avec Fleur, poursuivit-il, ils vivent aujourd'hui en France, avec leurs trois enfants : Victoire, Dominique et Louis. Fleur est devenue enseignante pour une école élémentaire de sorcier, Victoire va faire sa rentrée à Beauxbâtons en septembre et Bill... eh bien, Bill a un appétit de plus en plus vorace pour la viande crue...

Harry haussa un sourcil à la mention de ce détail en se demandant si sa condition de demi-loup garou était devenue un problème avec le temps.

– Il va bien ?

– Oui, il va bien, assura Georges avec un sourire apaisant.

– Et la Chaumière aux Coquillages ? songea-t-il brusquement à voix haute.

La maison n'était pas la sienne mais elle comptait pour bien d'autres raisons et les souvenirs affluèrent en masse dans son esprit, le bousculant un peu plus qu'il ne l'était déjà.

– Ils ont gardé la Chaumière, le rassura Fred. Pour les vacances ou les réunions de famille...

– Et... Percy ? hasarda-t-il sans même y réfléchir.

Les jumeaux tournèrent la tête l'un vers l'autre dans un même mouvement et se regardèrent à nouveau longuement. Ces deux-là partageaient une forme de communication dont ils n'avaient sans doute pas conscience et Harry n'aurait pas été étonné d'apprendre qu'une forme de télépathie existait entre eux.

En tout état de cause, il se rendait bien compte à quel point il était incongru qu'il demande des nouvelles de Percy et que cela n'avait pas échappé aux jumeaux. Ils semblaient juger à présent de l'opportunité de lui donner des nouvelles des autres membres de la famille.

– Percy fait toujours carrière au Ministère, ricana Georges avec un soupçon de sarcasme. Il est aujourd'hui directeur des transports magiques, marié avec une secrétaire du Magenmagot et ils ont deux filles d'une dizaine d'années : Molly et Lucy. On ne les voit pas beaucoup... Percy est toujours resté un peu distant avec le reste de la famille.

– Molly..., répéta Harry pensivement.

Le nom de la matriarche Weasley résonnait comme un écho doucereux dans son esprit, quelque chose de tendre et d'amer à la fois, que son absence avait drapé de regrets, de douleur et de culpabilité.

Un brusque sentiment d'urgence le traversa : Percy avait-il donné ce nom à sa fille comme un hommage à sa mère disparue ? Quel âge devrait avoir Molly aujourd'hui ? S'était-il passé un événement tragique pendant toutes ces années dont il n'avait rien su ?

Harry leva un regard inquiet vers Georges qui se préparait déjà à répondre, ayant vraisemblablement pris sa façon de répéter le prénom de sa mère pour une interrogation.

– Molly ?...

Sans s'apercevoir du trouble de Harry, Georges se tourna vers son frère pour lui adresser un sourire entendu.

– … Eh bien... Elle n'a pas beaucoup changé ! rit-il. Toujours envahissante, exubérante, incapable de ne pas materner même un oisillon tombé du nid ! L'avantage du temps qui passe, c'est qu'à présent, elle couve davantage ses petits-enfants que ses propres enfants. Ça nous laisse un peu de répit ! Et entre les enfants de Bill, de Percy et les miens, elle a de quoi s'occuper !

– Bof, fit Fred d'un air désabusé. Elle a autant de petits-enfants qu'elle a eu d'enfants... Ça ne lui change pas beaucoup. Le même nombre de pulls à tricoter pour chaque Noël !

Les jumeaux ricanèrent de concert au souvenir cuisant de ces fameux pulls faits main et Harry ne put s'empêcher de rire avec eux, un pincement presque ému au cœur. Il avait été pendant quelques années le huitième enfant de Molly et avait eu droit, lui aussi, à son propre pull qu'il avait chéri comme une marque d'appartenance à cette étrange famille.

Étouffant ses remords, Harry repassa dans son esprit les informations qu'il avait glanées en quelques heures. Trois enfants pour Bill, deux pour Percy et deux pour Georges... autant de petits-enfants que d'enfants; ce qui signifiait que Fred n'en avait pas, pas plus que Charlie... Le seul dont les jumeaux n'avaient pas encore parlé, et dont il sentait l'ombre pesante planer de plus en plus au-dessus de la conversation.

Charlie dont il n'osait demander des nouvelles. Pas plus qu'il n'osait prononcer son nom, comme tétanisé des reproches qu'ils pourraient lui faire à son sujet.

Charlie...

Merde ! songea-t-il en se fustigeant mentalement, ce n'est pas aujourd'hui, douze ans après, et devant ces deux-là qu'il allait se trouver assommé par la culpabilité.

Et pourtant... Sa voix lui sembla misérable quand elle franchit malgré lui le seuil de ses lèvres :

– Et... Charlie ?

Ce fut Fred qui lui répondit. Avec un regard flamboyant et un soupçon d'acidité qui perlait entre les mots.

– Charlie va bien. Il a quitté la Roumanie et il est rentré en Angleterre il y a trois-quatre ans. Seul...

.

.

Il y eut un long silence cette fois, que Fred finit par briser en se levant pour aller rechercher une bière pour chacun.

C'était un répit salutaire, et la bière n'était pas de trop, mais cela signifiait aussi que la discussion n'était pas terminée et que Harry n'allait pas pouvoir s'échapper tout de suite malgré la migraine qui se levait sous son crâne. Un tourbillon de sentiments et de souvenirs qui le laissaient déjà légèrement nauséeux et fatigué.

Il prit une longue gorgée de bière en s'apercevant qu'il était assoiffé et complètement déshydraté, mais s'étrangla brusquement sur la gorgée suivante en entendant Georges lui demander d'une voix sourde :

– Où étais-tu passé ?

La phrase était lourde de sens, cette fois, et Harry sentit qu'il ne pouvait plus tergiverser bien longtemps.

– Douze ans ! ajouta Fred d'un air sombre. On t'a cru mort... Tout le monde t'a cherché mais on ne savait même pas où.

– Molly... Molly était dans tous ses états. Draco et Luna étaient bouleversés. Et Charlie...

Georges laissa sa phrase en suspens en haussant les épaules.

– Je... je ne suis pas sûr d'avoir beaucoup d'excuses, avoua Harry en déglutissant péniblement.

Le silence s'éternisait. Les jumeaux n'avaient pas besoin d'ajouter un mot pour faire comprendre leurs reproches et toute cette rancœur accumulée depuis des années. Tout, dans leur attitude fermée et leurs regards, était éloquent.

Harry soupira. Le moment qu'il avait tant redouté était arrivé et il ne savait toujours pas comment y faire face. Comme vis à vis de Luna, de Severus ou encore plus de Draco, il n'avait aucune, strictement aucune bonne raison à son silence. Il n'était pas mort, ni muet, ni incapable d'écrire un courrier, il n'avait pas perdu la raison, ni la mémoire, il n'avait pas été blessé, malade ou inconscient pendant tout ce temps, et rien ne justifiait ce si long silence.

– Je... je suis désolé..., murmura-t-il. J'ai eu besoin de fuir, d'aller me perdre loin, et longtemps. De changer de vie, de ville, de continent, de civilisation. J'avais besoin d'être seul. De tout recommencer à zéro. De n'être personne là où personne ne me connaîtrait. De n'être rien au milieu d'un désert. J'avais besoin de n'être nulle part... De naître ailleurs.

Un instant, la vue de ses mains happa son esprit. Ses mains grandes ouvertes, aux doigts croisés, qui se tenaient là, posées sur ses cuisses. Des mains fortes, aux nombreux sillons, profonds, autrefois calleuses, qu'il redécouvrait comme s'il ne les avait jamais vues; qui, en d'autres temps, d'autres lieux, avaient soigné d'innombrables corps, tué des animaux à poils, à plumes ou à écailles, tué même des hommes. Qui avaient travaillé la terre, coupé du bois et fait du feu, préparé des milliers de potions ou cuisiné des plats aux épices d'ailleurs et aux goûts lointains. Elles avaient même essuyé des larmes, caressé des peaux de tant de couleurs et fermé les yeux de quelques morts...

– Après... la Roumanie, j'ai étudié un peu en France et en Russie, et puis je suis parti. Loin. Très loin. À l'autre bout du monde, fit-il avec un regard vague. J'ai vécu à gauche et à droite. J'ai appris beaucoup. Des langues que plus personne ne parle. Des savoirs vieux comme le monde et qui se perdent. Des plantes qui n'existeront plus dans dix ans... Et puis j'ai appris à naviguer sur une pirogue, à construire une maison, j'ai appris le temps des plantations et des récoltes, j'ai appris la chasse et la cuisine. Je fais sans doute une des meilleures soupes de serpent au monde !

Il laissa échapper un petit rire en se promettant de faire goûter cela un jour à Lucius et Severus tandis que Fred arborait un air circonspect.

– Pendant toutes ces années, je n'ai pensé qu'à moi, qu'à ce que la solitude m'apportait. Je n'ai jamais pensé susciter tant d'inquiétudes, tant de... craintes ? J'ai pensé que vous sauriez. Que vous comprendriez... Ou j'ai préféré le croire.

Il attrapa sa bière et caressa un moment le fin col en verre de la bouteille en songeant à cette époque. Avait-il volontairement occulté tout son passé, le souvenir de tous ceux qu'il avait laissés en Angleterre ? Ceux à qui il devait des comptes aujourd'hui, ceux qui avaient été inquiets, bouleversés et furieux de son absence et de son silence qui s'éternisaient. Et peut-être même les trois à la fois au fur et à mesure du temps passant. C'était possible. Avait-il été complètement égoïste en oubliant ceux qui faisaient partie de sa vie ? C'était certain. Avait-il eu le choix ?... Ou est-ce que cela avait été une réaction salutaire, qui lui avait permis de se perdre complètement pour mieux se reconstruire... ?

Il avala le restant de sa bière en quelques rapides gorgées, la reposa sur la table basse et s'adossa au fond de son fauteuil en jetant un regard plein de défi aux jumeaux.

– Je suis revenu.

.

ooOOoo

.

Harry inspira une grande bouffée d'air frais et humide et leva son regard vers le ciel. Un plafond de nuages gris et blancs bouchait la vue au-dessus de lui, semblants plus menaçants dans le lointain. Il respirait enfin à l'air libre, comme un rescapé; son visage offert recueillait une fine bruine qui lavait sa peau des tourments, des souvenirs douloureux et de la culpabilité qui l'étreignaient encore. Il aurait pu rester des heures ainsi, savourant ce calme soudain, ce silence après la tempête, et cette pluie comme une rédemption.

– Je... Je crois que je te dois des excuses.

Harry baissa la tête si vivement qu'il sentit craquer une des vertèbres de son cou et une vive douleur remonta jusqu'à la base de son crâne.

Interdit, il se retrouva face au visage étrangement bouleversé de Matthieu, ses yeux habituellement bleus tirant sur le gris et habités d'une lassitude et d'une émotion qu'il aurait plus facilement lues dans ses propres yeux.

– Mais pourquoi ?!

Le regard de Matthieu le voyait sans le voir, passant à travers lui comme à travers un nuage de brume ou un fantôme, puis il baissa la tête, dansa un instant d'un pied sur l'autre pour finir par se redresser sans le regarder en face pour autant.

– Je crois... Je crois que je n'avais pas compris. Ton histoire. Ce qui te lie à eux. Je t'ai demandé de venir, je t'ai presque un peu forcé la main... Je croyais que c'était à cause de leur frère, parce que c'était ton meilleur ami, et que ça risquait de vous rappeler de mauvais souvenirs, à toi et à eux. Je croyais que c'était pour ça que tu ne voulais pas trop les revoir. Mais je n'avais pas conscience de... À quel point tu les connaissais. Que tu faisais à ce point partie de leur vie avant. Et de ce qui risquait de se passer. Je ne voulais pas... ça.

La tirade de Matthieu s'étira dans un long silence. Harry était trop abasourdi pour émettre la moindre pensée cohérente ou avoir la moindre réaction, et le regard du jeune professeur le fuyait toujours.

– Je... je ne me suis jamais vraiment intéressé à ton histoire. Quand je suis arrivé en Angleterre, j'ai entendu parler de la guerre, bien sûr. Tout le monde en parlait, tout le temps. Les comptes-rendus des procès étaient dans tous les journaux. Mais moi, je ne l'avais pas vécue; cette guerre ne me concernait pas... Et puis rapidement, les gens sont passés à autre chose. Et moi aussi. Je savais simplement que tu étais celui qui avait tué Voldemort. Que les gens te considéraient comme un héros. Que beaucoup de membres de l'Ordre étaient morts. Dont Ron. Dont leur père... Je savais surtout que tu avais été l'assistant de Severus l'année précédant mon arrivée. Et cela comptait bien plus à mes yeux que toutes ces histoires de guerre ! Que vous aviez eu cette étrange relation avortée dont il ne se remettait pas... Je savais quand il parlait de toi sans te nommer. Quand il regrettait ta présence. Je savais ton importance à ses yeux. Et j'en étais étrangement jaloux...

Matthieu s'arrêta un instant et ricana à ce sentiment ridicule.

– J'ai voulu... te supplanter. J'ai voulu être meilleur que toi. Je voulais qu'il t'oublie... Je me suis battu d'arrache-pied, j'ai travaillé comme un fou. Jusqu'à... jusqu'à être le seul qui compte. Ce n'était pas le même genre de lien, c'était autre chose, mais j'étais devenu important à ses yeux. Et c'était important aux miens...

Un mouvement au loin attira son regard et il resta fixé sur cet horizon vague sans rien en discerner de précis.

– Mais quand tu es arrivé à Poudlard il y a quelques mois... j'ai tout de suite été séduit par ton naturel, ta chaleur, ta spontanéité... Tu étais plein de vie et tu rayonnais. Et puis, j'avais suivi tes travaux et tes publications. C'était fascinant... Tu ne pouvais pas être celui que j'avais tant jalousé. Tu étais trop... sympathique et agréable. La réaction que j'avais eue à dix-sept ans n'était qu'une bêtise d'adolescent. Je ne me suis intéressé qu'à celui que tu étais aujourd'hui, je n'ai pas voulu en savoir plus sur ton passé. Quand Luna m'a dit un jour que tu connaissais Fred et Georges, je n'ai pas pensé que tu les connaissais à ce point. Elle m'a vaguement parlé de Ron et de quelques vieilles histoires d'école, et je n'ai pas poussé plus loin la curiosité. Je ne savais pas... Je n'ai pas voulu te tendre un piège ! Je pensais juste que c'était une bonne occasion de les revoir. Pas que ça se terminerait ainsi.

Malgré la stupeur qui le tenait encore en suspens, Harry parvint à émettre un léger sourire face à cet aveu difficile. Matthieu se tenait comme sur le fil d'un rasoir, hésitant entre des monceaux de culpabilité, de jalousie ancienne et les liens précieux d'une amitié qu'ils avaient nouée aujourd'hui. Sans l'avoir consciemment voulu sans doute, il venait de se livrer de la plus étrange des manières, de vider son sac à ses pieds, en pagaille, mélangeant sa propre histoire à celle de Harry, en mettant à nu ses sentiments les plus profonds et les plus inavouables.

Peu à peu, Harry sourit plus franchement, avec l'envie soudaine de prendre Matthieu dans ses bras, jusqu'à ce que le regard du jeune professeur croise le sien.

– Et moi, je crois que je dois te remercier, assura-t-il avec un sourire rayonnant à présent. Sans toi, je ne sais pas si j'aurais eu le courage de venir. Il le fallait, mais le premier pas est toujours... compliqué. Je ne dis que ça s'est bien passé, mais ce qui compte, c'est que ça s'est bien fini. Il fallait nécessairement qu'on s'explique sur certaines choses, et ça ne pouvait pas être agréable... Mais c'est une bonne chose de faite, et maintenant, le reste sera plus facile. Sans ça, ils ne m'auraient pas proposé de collaborer avec eux !

Harry ricana un instant en repensant à la proposition des jumeaux avant de reprendre plus sérieusement :

– Je ne t'en veux aucunement, si c'est le fond de ta pensée. Sans ton coup de pied au cul, je ne sais pas si je serais venu... ou du moins pas comme ça. C'est vrai que ce n'est pas facile : j'ai un passé avec chacun d'eux... Excepté Percy, mais Percy a toujours été à part dans cette famille ! Ils ont tous été importants pour moi d'une manière différente : Molly et Arthur ont été des parents de substitution, les jumeaux étaient comme des grands frères qui faisaient sans arrêt les quatre cents coups, Bill a toujours été quelqu'un de solide sur qui on pouvait compter, et Charlie...

Harry haussa les épaules sans savoir qu'en dire. Charlie avait été plus qu'important, mais c'était inexprimable.

Derrière eux, le grelot saugrenu de la boutique Weasley and Weasley tintinnabula de son rire aigu, accompagné par les piaillements d'enfants qui s'envolèrent comme une nuée de moineaux, puis un silence tranquille revint dans la rue. Depuis leur sortie du magasin, ils n'avaient pas bougé, à quelques mètres du pas de la porte, mais la bruine avait cessé, emportée par un vent frais qui s'engouffrait sous leurs vêtements avec indécence.

– Quant au reste, reprit Harry pensif, je pense qu'aujourd'hui, nous comptons tous les deux pour Severus. Pas de la même manière, bien sûr... Et il serait absolument incapable de l'avouer, même sous la torture, mais... tu es important dans sa vie.

Un sourire triste ondula un instant sur le visage de Matthieu.

– Puisses-tu avoir raison...

– Je le sais, affirma Harry d'un ton définitif. Seulement, il ne sait pas dire ces choses-là. Il ne sait que se moquer, piquer les gens, bousculer et tester les limites pour voir à quel point tu es capable de t'accrocher... Mais fais appel à lui et il sera toujours là.

Severus avait agi de la même manière avec lui, avant de se révéler plus avant. Et s'il n'avait jamais été jusqu'à dire certains mots, Harry ne doutait pas de ses sentiments.

– Je... je dois y aller, avoua Matthieu, étrangement pâle et le regard hanté. Je suis de garde ce soir au Château et... je dois être présent pour le dîner...

– Bien sûr ! fit Harry, surpris de cette volte-face subite. Je ne veux pas te retarder...

– Que vas-tu faire maintenant ? Rentrer au Manoir ?

– Pas tout de suite, je pense, hésita-t-il. Je vais voir si Ollivander est encore ouvert. J'ai un service à lui demander. Et puis... je dois encore aller voir Molly...

.

ooOOoo

.

La maison était plus petite que dans son souvenir. Plus trapue. Moins biscornue.

Peut-être était-ce l'effet de la distance... Harry était apparu sur la colline qui faisait face au Terrier, à quelques centaines de mètres des barrières anti-transplanage. Il se tenait légèrement en surplomb, adossé à un arbre qui n'était même pas une graine la dernière fois qu'il était venu. L'humidité de la terre et de l'herbe mouillait son pantalon mais il n'y faisait pas attention. Un simple sortilège suffirait le moment venu.

Il voulait prendre le temps. D'observer. De se préparer, peut-être, à cette nouvelle confrontation... Et peut-être aussi quelque chose comme se recueillir.

Le jardin qu'il avait si souvent dégnomé avec Ron était aujourd'hui impeccable, paré de superbes massifs de fleurs à travers lesquels serpentaient des allées d'herbe tendre; un havre de paix et de repos où il aurait pris plaisir à méditer ou se détendre. Un peu plus loin, au sein d'un bosquet d'arbres comme un écrin, reposaient les corps d'Arthur et de ses deux enfants.

Il leva les yeux vers le ciel noir d'encre, presque sépulcral, bien que ce ne soit pas encore la tombée de la nuit. La température avait baissé de plusieurs degrés et il frissonna sous le vent frais.

La journée avait été étrangement lourde et dense, et l'orage qui allait éclater laverait cette sensation poisseuse qui lui collait à la peau, ce trop-plein âcre et pesant. Trop d'événements, trop de souvenirs et de ressentis embrouillés. Son esprit et son cœur ne savaient plus où donner de la tête. La discorde entre Severus et Matthieu, puis sa propre querelle avec son amant, devoir faire face à ceux qui le reconnaissaient, se confronter aux jumeaux, entre retrouvailles et rancœur, et la réaction surprenante de Matthieu, coupable et bouleversé pour il ne savait trop quelle raison...

Tout n'avait pas été négatif, loin de là. En plus d'avoir franchi un premier pas avec la famille Weasley, il avait épuré sa relation avec Matthieu de non-dits qui auraient fini par peser, et son passage chez Ollivander avait porté ses fruits. Mais la journée n'était pas finie, et Harry présageait, comme le ciel porteur de sombres nouvelles, qu'elle se terminerait dans l'obscurité et la tourmente.

Quels avaient été les mots des jumeaux, déjà ? « Ne t'attends pas à ce que Molly soit bien disposée envers toi... » Mais il fallait bien boire la coupe jusqu'à la lie.

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Il y avait quelqu'un, il en était certain au vu des lumières qui s'allumaient alternativement d'une pièce à l'autre. Et cela ne pouvait être que Molly. Elle vivait là, seule désormais, depuis la mort d'Arthur.

Était-il vraiment sûr qu'elle soit seule ? Peut-être que Fred, depuis sa rupture... Mais Fred aurait sans doute mille fois préféré dormir sur un canapé défraîchi dans l'arrière-boutique du magasin plutôt que de retourner vivre dans la chaleur étouffante de sa mère. Charlie peut-être ?... Il voyait cependant mal Charlie renoncer à sa liberté et son indépendance alors qu'il avait été un des premiers à quitter le giron familial. Restait Molly...

Harry se releva lentement, épousseta son pantalon d'un peu de magie pour enlever les traces d'herbe et d'humidité et entreprit de descendre la colline.

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Le chemin de terre était glissant et il se concentra avec application sur ses pas, oubliant un instant ce pour quoi il était venu, jusqu'à ce qu'il sente la pression douce de la barrière anti-transplanage. Sa signature magique s'était modifiée depuis sa vie dans la forêt, mais il devait rester quelque chose malgré tout de son ancienne magie puisque, après un léger moment de flottement, la barrière le laissa passer dans une gerbe d'étincelles bleutées. Il n'était pas un inconnu ici...

Harry s'approchait à pas lents, presque réticents, assaillis de souvenirs de fêtes, de Noëls, de vacances... du mariage de Bill et Fleur, de batailles de boules de neige, de matchs de quidditch avec Ron et les jumeaux, de cris et de rires qui résonnaient dans son esprit avec la même intensité que le roulement du tonnerre là-haut sur la colline, et il s'attendait presque à voir surgir Molly, une cuillère en bois dans une main et sa baguette dans l'autre, houspillant ses fils pour une bêtise oubliée ou un mot de travers.

Mais le jardin était silencieux. Immobile et sombre avant l'orage, figé dans un instantané calme et trompeur.

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La maison avait effectivement changé. Plus basse, plus massive. Elle avait perdu ce charme particulier que lui conféraient autrefois ses agrandissements successifs, alambiqués, posés de guingois et qui semblaient tenir par le seul fait de la magie.

Le Terrier avait souffert pendant la guerre autant que ses habitants. Incendié, reconstruit, détruit à nouveau... Mutilé.

Dans l'année qui avait suivi la mort de leur père, Bill et Charlie étaient revenus, souvent, pour remettre la maison en état et soutenir Molly... Déblayer, réparer, rénover ce qui pouvait l'être et faire renaître un foyer digne de ce nom. Une maison différente, où Harry n'était venu qu'une fois ou deux, et dans laquelle il n'avait plus ces souvenirs et ce sentiment d'appartenance qu'il avait eus au Terrier. Il n'avait pas pu se défaire de la douleur qui naissait de l'étrangeté des lieux, de ce qui ne serait plus jamais pareil. À la place de Molly, il aurait détruit ce qui restait de la maison et serait parti vivre ailleurs. Mais Molly avait choisi de rester chez elle et auprès des siens.

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Le tonnerre craqua à nouveau lorsqu'il frappa à la porte d'une main peu assurée, roulant démesurément dans le silence de la campagne. Son cœur battait la chamade tandis qu'il attendait devant la porte close. À la lueur fugitive d'un éclair, de temps à autre, il devinait la poignée de métal ouvragé, les nœuds du bois massif et la couronne de fleurs qui dégageait encore un parfum léger.

La porte tardait à s'ouvrir et il douta un instant que Molly l'ait entendu frapper au milieu des coups de tonnerre. Pas d'elfes de maison ici, qui auraient pu l'alerter de sa présence. Pas plus de sortilèges de détection ou d'avertissement; le Terrier avait toujours été ouvert, libre d'accès à qui était autorisé à franchir les barrières anti-transplanage et cela n'avait pas changé.

Harry leva lentement la main pour toquer à nouveau lorsqu'il se trouva nez à nez avec Molly. Pas tout à fait nez à nez cependant : il dut baisser légèrement la tête pour croiser son regard, apercevant au fil de sa tignasse rousse ramassée en chignon quelques cheveux blancs incongrus. Les coins de ses yeux étaient parsemés de dizaines de petites ridules, autant de sillons laissés par la vie au gré des rires et des larmes, et les plis de son visage semblaient plus alourdis que dans son souvenir. Elle avait maigri cependant, et sa silhouette, généreuse autrefois, paraissait aujourd'hui plus frêle, comme si son corps avait abandonné une partie de son enveloppe pour ne plus refléter qu'une certaine aridité.

Elle resta un moment suspendue dans son geste, la main sur la poignée de la porte, tandis qu'un vent froid s'engouffrait soudain dans la maison, faisant danser quelques mèches folles échappées de son chignon et vaciller les flammes dans l'âtre de la cheminée. La pièce derrière elle paraissait chaleureuse et confortable, ramassant dans un espace accueillant des canapés aux coussins moelleux, des guéridons aux napperons brodés qui voletaient doucement dans le courant d'air et d'innombrables cadres offrant au regard tous les membres de sa vaste tribu.

Le regard de Harry se posa à nouveau sur ces yeux bleus qu'il n'avait pas croisés depuis si longtemps et le craquement du tonnerre brisa le silence qui s'était figé entre eux.

– Toi.

Un seul mot qui tombait presque comme un couperet et qui rompit quelque chose en elle. Les coins de sa bouche s'affaissèrent, dessinant des plis amers entre son nez et ses lèvres. Une expression qui ne lui était pas commune et qui formait presque un rictus méprisant sur son visage. Brusquement, il la reconnaissait à peine. Tout comme il découvrait la dureté infinie de son regard, quelque chose de massif, de rude, d'une rigidité inaltérable animée dans le lointain d'une lueur dansante de colère.

La colère lui faisait peur depuis toujours. La colère était l'irruption de la déraison dans la raison, quelque chose d'irrationnel, de non-maîtrisé qui surgissait brusquement dans la logique et la mesure, qui poussait à dire des choses insensées et à commettre, parfois, des actes regrettables. Une once de folie qui s'échappait soudain de quelqu'un qu'on croyait connaître...

Molly pouvait paraître insignifiante, comme la petite bonne femme replète et joviale à laquelle elle ressemblait. Mais il se souvenait de la façon dont elle s'emportait contre ses fils, des beuglantes qu'elle envoyait se déchaîner à sa place dans la Grande Salle de Poudlard et de son duel contre Bellatrix... Elle n'était pas une femme à prendre à la légère.

– Toi ! fit-elle à nouveau en se reculant d'un pas, et ce fut presque comme si elle venait de cracher à ses pieds.

– Molly... Je.

Elle le dévisagea des pieds à la tête tandis que se creusaient encore les plis de son visage et que dans ses yeux flamboyait une colère formidable.

– Qu'est-ce que tu fais ici ?!

Paradoxalement à la fureur qu'il sentait vibrer en elle, sa voix était froide, glaçante, maintenant entre eux une distance faite de mépris et de rage contenue.

– Je...

– C'est trop tard. Tu n'as rien à faire ici. Tu es mort. J'ai fait mon deuil de toi. Tu n'existes plus dans mon cœur.

Harry resta muet. De surprise et d'effroi. Sans doute, il n'aurait pas eu plus mal si elle lui avait jeté un Doloris et le sol sembla un instant se dérober sous ses pieds.

Dans le salon, les napperons et les rideaux voletaient toujours de manière ridicule dans les bourrasques qui s'engouffraient derrière lui, et le roulement du tonnerre dans la nuit grondait en un rire féroce.

– Molly...

– Tu n'as pas idée de ce que c'est que perdre un enfant. Tu n'as pas idée de la douleur que ça représente, de l'arrachement, de l'abandon. Tu ne sais pas ce que c'est que de perdre son cœur, son âme, sa raison de vivre ! J'ai perdu deux enfants dans cette guerre. Un mari. Et puis toi. Sors d'ici ! Ce n'est plus ta maison, tu n'y es plus chez toi.

Il aurait voulu répondre, crier, hurler, que si, il savait, il connaissait cette perte et cette douleur, il comprenait ce déchirement, ce néant qu'on touche du doigt, cette fin de soi, il savait, bon sang ! il savait... Mais lorsqu'il réalisa soudain ce qu'avait ressenti Molly à sa disparition, Harry ne put que se taire, refermer la bouche et reculer d'un pas en baissant la tête.

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Il s'enfonça dans la nuit d'un pas rapide, presque en courant, s'enfuyant de cet endroit tant aimé et aujourd'hui étranger, s'arrachant aux mots acérés de Molly qui le poursuivaient malgré tout comme des sortilèges destructeurs et qui prolongeaient leur œuvre mortifère en lacérant son âme et son cœur. La tempête déversait sur son visage et ses épaules des seaux de larmes qu'il ne sentait même pas et qui ne parvenaient pas, cette fois, à laver les souillures en lui. Dans ses oreilles, résonnaient encore la fureur froide de Molly, les sifflements du vent et le tonnerre qui se moquait éternellement de sa douleur. Brusquement, il trébucha sur une racine et s'effondra à genoux, les deux poings serrés plantés dans la boue, offrant son dos à la colère et à la vindicte des éléments.

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oooooo

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– Harry ?

Severus poussa légèrement la porte entrebâillée, surpris du courant d'air qui s'échappait de la chambre.

La pièce était sombre et étrangement silencieuse, comme assourdie, alors que la tempête y faisait rage. Des bourrasques puissantes de magie d'un vert émeraude tourbillonnaient en tous sens, emportant livres, parchemins et bibelots dans une sarabande forcenée. Dans la lueur intermittente des éclairs au-dehors, des vêtements envolés dessinaient des formes fantomatiques devant les fenêtres, jetant au sol des ombres grotesques. Les tentures du lit claquaient dans le vent sans émettre le moindre son et il lui sembla sentir les meubles se mettre à vibrer et se soulever.

Au centre de ce maelstrom, une forme plus claire était ramassée sur elle-même, trempée, ruisselante d'eau et maculée de boue.

– Harry ?! fit Severus d'une voix étranglée. Qu'est-ce que ?

Il voulut se précipiter mais les remous de la magie formaient des vagues toujours plus puissantes qui le repoussaient sans cesse. Pris d'une étrange panique qui ne lui ressemblait pas, il sortit précipitamment sa baguette et usa de tous les sortilèges qui lui venaient à l'esprit, allant même jusqu'à tenter de stupéfixer le jeune homme, mais rien ne franchissait ce déchaînement de magie qui semblait se nourrir de ses tentatives et enfler démesurément dans la pièce.

Harry était immobile, à genoux sur le tapis précieux de Lucius, recroquevillé, le visage caché entre ses mains, insensible à ses appels et comme absent à lui-même.

Une onde glaciale de désespoir traversa Severus. Il savait ne pas pouvoir lutter contre la puissance de la magie de Harry et ne voyait aucune solution pour enrayer ce déferlement menaçant. Impossible d'approcher, impossible d'interrompre quoi que ce soit et sa propre magie lui semblait soudain si dérisoire et inutile...

Un reflet de lumière scintilla brusquement le long de son avant-bras et son regard surpris rencontra le large bracelet de cuivre mordoré que lui avait laissé Mayahuel. « Un moyen de me contacter » avait-elle dit, « si jamais un jour tu as besoin de moi pour lui... ». Elle n'avait rien expliqué de plus et Severus ne savait même pas comment l'utiliser. Il l'avait même presque oublié tant il était incrusté dans sa peau au point de n'en sentir qu'un très léger relief, ses reflets rouge-brun cachés sous les manches de ses chemises ou de ses pulls.

En portant son poignet devant ses yeux, il aperçut de nombreux symboles et lettres issus d'un alphabet inconnu qui en parsemaient le pourtour et dont il aurait pu jurer qu'ils n'étaient pas visibles auparavant. Il avait suffisamment examiné ce bracelet et tenté de s'en défaire pour savoir qu'il était complètement lisse et vierge de toute trace en temps ordinaire. Le touchant de son autre main, il passa longuement son pouce sur les inscriptions avec un sentiment d'urgence augmenté par le grondement sourd qui s'échappait à présent de la poitrine de Harry.

Pendant une ou deux minutes dont les secondes lui parurent interminables, il ne se passa rien. Hormis une vague sensation d'étouffement qui lui rappela soudain qu'il retenait son souffle depuis trop longtemps.

– C'est toi qui as fait ça ? gronda brusquement la voix rauque de Mayahuel.

Elle avança d'un pas dans sa direction, surgissant d'entre les ombres près de la cheminée éteinte. Autour d'elle, l'air semblait onduler et miroiter en une menace inconsistante, comme si les ténèbres qui l'environnaient pouvaient l'engloutir et le faire disparaître.

Severus émit un grognement agacé pour toute réponse tandis que le regard de la créature jaugeait la situation et s'attardait sur la silhouette de Harry immobile au milieu des tournoiements vert émeraude. Malgré le tumulte des objets qui volaient en tous sens, le silence autour d'eux était assourdissant, le moindre bruit semblant absorbé par la magie.

– Je ne peux pas l'approcher, marmonna-t-il. Je ne sais même pas ce qu'il a, il ne m'entend pas...

Mayahuel resta silencieuse quelques instants, les yeux fixés sur le jeune homme assez longtemps pour que Severus observe attentivement son allure trapue, sa longue tresse de cheveux d'un noir de jais aux reflets bleutés, ses vêtements chamarrés et la litanie de larges bracelets de cuivre qui ornaient ses avant-bras et tintaient continuellement les uns contre les autres.

Inexplicablement, malgré son apparence insignifiante, il se sentait rassuré par sa présence. Mayahuel connaissait la magie de Harry mieux que personne, mieux que Harry lui-même sans doute, et la propre puissance de la créature dépassait certainement ce que Severus voulait bien en imaginer. Elle saurait ce qu'il fallait faire, et plus que cela, elle en était capable, alors que le moindre de ses sortilèges ne parvenait même pas à franchir la barrière que formaient les bourrasques de magie.

– Il est en train de maîtriser ça, affirma-t-elle avec un soupçon de fierté dans la voix. Mais il lui faut un peu de temps. En attendant, il essaie de te protéger...

Severus grogna à nouveau de dépit. Il n'avait besoin de personne pour le protéger, il était bien assez grand pour le faire lui-même. Celui qui semblait avoir besoin d'aide était plutôt Harry !

– Que s'est-il passé ? Pourquoi est-il ainsi ? maugréa-t-il.

– Je ne sais pas. Il te le dira en temps voulu... Pour l'instant, je vais m'occuper de lui, fit Mayahuel d'un ton définitif en s'approchant à la lisière du tourbillon émeraude.

– Où l'emmènes-tu ?

– Dans la forêt... Il s'y sentira mieux. Toi, contentes-toi de réparer les dégâts...

La créature le regarda avec un sourire sarcastique avant de se retourner vers le jeune homme toujours prostré devant la fenêtre. Harry avait à présent les deux mains posées à plat sur le tapis mais Severus ne pouvait pour autant voir son regard tourné vers le sol, ni l'expression de son visage.

Mayahuel joignit les mains devant elle, pénétra d'un pas dans la sphère tournoyante puis les écarta violemment. La bulle de magie se scinda en deux puis éclata brusquement dans un vacarme d'autant plus assourdissant que les sons étaient enfin revenus. Elle s'approcha de Harry, lui toucha l'épaule et ils disparurent dans la lumière d'un éclair au-dehors tandis que le bruit du verre brisé se poursuivait de loin en loin, à mesure que se propageait la déflagration de magie.

Une bourrasque d'air humide fit voler les cheveux de Severus, apportant avec elle une fraîcheur soudaine et une odeur de pétrichor. Les vitres de la fenêtres achevaient de s'effondrer en milliers de petits éclats de lumière qui parsemaient à présent l'endroit où Harry était agenouillé quelques instants auparavant. De lui, ne persistaient plus que cette tache d'eau et de boue sur le tapis précieux et des volutes de magie émeraude abandonnées dans la pièce.

Le silence se fit peu à peu dans le Manoir et Severus soupira sans même s'en apercevoir en passant une main dans ses cheveux pour se recoiffer. Harry avait disparu il ne savait où et reviendrait il ne savait quand. Et même s'il avait toute confiance en Mayahuel pour prendre soin du jeune homme – et seulement pour cela – une pointe d'inquiétude subsistait en lui. S'il osait se l'avouer, il redoutait surtout que Harry reste absent plusieurs jours, comme la fois précédente, voire qu'il ne revienne pas du tout. L'angoisse de sa disparition, qu'il traînait comme une crainte muette mais pourtant bien présente, ne le quitterait sans doute pas de sitôt.

Mais pour l'heure, il était condamné à une attente résignée et douloureuse, comme toujours, et il ne pouvait que réparer les dégâts, comme l'avait si bien dit Mayahuel avec son sourire narquois. Severus soupira à nouveau et lança vers la fenêtre le premier Reparo d'une longue série. Si toutes les vitres du Manoir avaient été brisées comme il le pensait, un long travail l'attendait avant le retour de Lucius.


Fin du 15è chapitre, près de 250.000 mots... J'espère que vous tenez le coup?!

Toujours un grand merci à ceux qui lisent, qui commentent ou qui mettent en favori.

N'en voulez pas trop à Molly, elle réagit avec ce qu'elle est, avec sa douleur, sa déception, son incompréhension... C'est une femme qui a perdu beaucoup dans sa vie et elle en veut à Harry de sa disparition, de l'avoir cru mort et de cette douleur inutile...

Dans le prochain chapitre, une petite confrontation Severus/ Mayahuel et il recevra enfin quelques réponses qu'il attend depuis longtemps.

Au plaisir

La vieille aux chats