Résumé: Ayant décidé de revenir à la vie publique, Harry affronte des retrouvailles éprouvantes avec les jumeaux Weasley, et plus difficiles encore avec leur mère. Devant le rejet massif de Molly, il perd le contrôle de sa magie. Severus assiste, impuissant, à cette déferlante et sollicite l'aide de Mayahuel qui emmène Harry dans la forêt.
Il ne se souvenait pas à quel point le cottage pouvait être accueillant et chaleureux. Il l'avait meublé comme il l'aimait : une bibliothèque de bois sombre encombrée de livres et de bibelots comme un cabinet de curiosité, des canapés moelleux et des fauteuils de cuir autour d'une table basse face à la cheminée, de lourdes tentures pour habiller les fenêtres, des photographies d'art encadrées de noir pour couvrir les murs, dans un aspect hétéroclite mais terriblement vivant et humain. Quelque chose de ramassé, un peu sombre et intime, comme un nid, qui délivrait une sensation de chaleur et de protection. Severus se sentait dans cette pièce aussi bien que dans son bureau.
D'un geste de baguette, il alluma un feu vif dans l'âtre et quelques chandelles pour éclairer un peu plus le salon. À travers les fenêtres ne filtrait qu'une lumière faible et morne malgré l'heure matinale. La campagne alentour, qu'il apercevait dans les vitres noyées de pluie, semblait figée dans la grisaille et le mauvais temps. Un temps à rester chez soi, à bouquiner auprès du feu, avec une bonne tasse de thé et les ronronnements satisfaits d'Orion qui regardait la pluie comme s'il la narguait depuis son fauteuil confortable. Mais Orion était resté au Manoir et Severus n'était pas venu ici pour rien.
S'avançant dans la cuisine, il alluma les flammes sous la bouilloire et entreprit de se préparer un thé. Le cottage était toujours aussi impeccable bien qu'il n'y vienne presque plus. Il l'avait acheté bien des années plus tôt, au début de sa vie commune avec Lucius, avec le pécule qu'il avait reçu pour solde de tout compte en quittant Poudlard. En emménageant définitivement au Manoir, Severus savait qu'il n'aurait besoin de rien, et certainement pas de cet argent, mais il refusait viscéralement l'idée de dépendre complètement de son compagnon. Ce pied-à-terre, perdu dans la campagne galloise, lui laissait la douce illusion d'un refuge en cas de besoin, d'un endroit où il serait entièrement chez lui et pas gracieusement hébergé. Il avait beau vivre en couple avec le maître de maison, le Manoir ne serait jamais totalement chez lui.
Au final, Severus était rarement venu ici. Le cottage de Llewellyn (1) lui servait occasionnellement, quand il avait besoin d'un peu de recul, vis à vis de Lucius ou d'autres choses, quand il avait besoin de réfléchir et de ne pas être dérangé. Un lieu de retraite en quelque sorte, privé et paisible, qui n'appartenait qu'à lui.
Lucius connaissait plus ou moins l'existence de cet endroit, mais il n'avait jamais poussé la curiosité jusqu'à s'y intéresser. Il ne l'avait jamais accompagné ici, en tout cas, et c'était aussi bien. Le cottage n'aurait sans doute pas été assez luxueux à son goût, et Severus tenait à garder son jardin secret préservé de toute critique et de toute « intrusion ».
Au fil des années, le cottage avait fini par ressembler à ce qu'il était; ses goûts et sa personnalité étaient ici bien mieux représentés que même dans son bureau au Manoir. C'était comme s'il s'était projeté lui-même sur les murs et le sentiment de familiarité à chaque fois qu'il venait à Llewellyn était chaud et rassurant.
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Severus versa l'eau presque bouillante sur les feuilles de thé qui gonflèrent rapidement et fouilla dans les placards à la recherche de quelque chose à grignoter. Il avait mal dormi, peu mangé et après sa séance épuisante de nage dans la piscine pour tenter de se vider l'esprit, la faim commençait à se faire sentir. Un paquet de scones et un pot de confiture feraient largement l'affaire avec une bonne théière. Ou deux.
Un elfe de Poudlard était chargé de venir régulièrement dans la maison, pour la nettoyer et l'entretenir d'un ou deux sortilèges, et de pourvoir aux produits de première nécessité. Le bois pour la cheminée, le thé et les gâteaux en faisaient certainement partie.
Son semblant de petit-déjeuner rapidement avalé, Severus retourna dans le salon s'asseoir auprès du feu avec sa tasse. Il ne faisait que retarder le moment et sa propre attitude l'agaçait prodigieusement, mais il rechignait malgré tout à s'abaisser à ce qu'il allait faire. Il ne voulait pas paraître quémander des nouvelles ou des informations à cette créature de malheur, mais après la nuit qu'il venait de passer, son cœur et son esprit appelaient à davantage de quiétude, à quelques paroles qui pourraient le rassurer.
En se tournant et se retournant dans son lit pendant de longues heures, il avait repensé en boucle à ce qui s'était passé dans la chambre de Harry, ce débordement de magie incontrôlable et effrayant contre lequel il avait été impuissant. Il en devinait à demi les raisons, mais il lui manquait des explications claires. Et puis, il avait repassé dans son esprit la dispute au sujet de Matthieu qu'ils avaient eue dans le fond de la Librairie, et leur demie-réconciliation quelques instant plus tard.
Severus avait été piqué au vif par les réflexions peu délicates de son amant; d'autant plus parce qu'il sentait le fond de vérité de ses paroles, et par-dessus tout parce que c'était Harry qui venait lui faire la leçon et le mettre en face de ses contradictions. Et Harry était particulièrement mal placé pour lui dire qu'il n'assumait pas certaines parties de sa vie ! Ses propres secrets pesaient entre eux en un silence honteux et trouble.
En étouffant un grognement contrarié, Severus passa son pouce sur le bracelet de cuivre sur son avant-bras comme s'il voulait effacer le sortilège qui avait à nouveau recouvert les inscriptions sur le métal. Cela serait-il suffisant pour faire venir Mayahuel hors de tout contexte d'urgence ? Elle avait assuré que oui, mais il douta longuement jusqu'à deviner sa silhouette qui émergeait lentement des ombres près du mur, aussi surprenante qu'à son habitude, même si elle n'affichait plus le sourire narquois qu'elle arborait la veille en disparaissant avec Harry.
Elle observa longuement la pièce dans laquelle ils se trouvaient, détaillant du regard l'ameublement, les objets nichés dans la bibliothèque et les photos encadrées qui donnaient à la maison son caractère si personnel et révélateur. Severus se sentait mal à l'aise devant cette inspection en règle, ayant l'impression de dévoiler à la créature des éléments trop intimes de sa vie et de ses pensées.
– Où sommes-nous ? fit-elle en croisant enfin son regard.
– Peu importe. Là n'est pas la question.
Mayahuel découvrit ses dents en un sourire carnassier.
– Au contraire, Severus. Là est ma question.
Il grogna de dépit tout en hésitant sur sa réponse. « Chez moi » lui paraissait exagéré et presque inconvenant... Malgré tout, son chez lui restait le Manoir, mais cet endroit comptait tout de même.
– Dans ma maison.
Elle approuva d'un hochement de tête, comme si cela lui convenait. Et pourquoi diable s'était-il senti obligé de lui répondre ?! Honnêtement, qui plus est !
– Mmhh... Cet endroit te ressemble, Severus : sombre et riche.
– Riche ? ricana-t-il. Tu te trompes de –
– On n'est pas riche que d'argent...
Mayahuel sauta un dans des fauteuils de cuir pour s'y installer confortablement, ses courtes jambes bien loin du sol. Ainsi nichée dans le creux du siège, aussi petite et dérisoire qu'un enfant, elle paraissait insignifiante. Et pourtant la puissance et l'assurance qui se dégageaient d'elle en auraient mis plus d'un mal-à-l'aise.
– Assieds-toi, je t'en prie, soupira-t-il. Veux-tu une tasse de thé ?
– Je te remercie de tes politesses, ironisa-t-elle, mais je ne bois pas de thé. Je n'aurais pas rechigné sur un champurrado mais je suppose que tu n'as pas cela ici...
– En effet.
Son sourire sournois en disait long sur ses pensées et elle ne prenait même pas la peine de cacher sa satisfaction à ce petit jeu : cette créature prenait un malin plaisir à le mener par le bout du nez alors qu'elle savait très bien ce pour quoi il l'avait fait venir. Mais Severus n'avait pas le cœur à lutter, ni à tergiverser plus longtemps. Sa nuit inquiète et sa fatigue prenaient le dessus sur sa fierté.
– Comment va-t-il ?
Le sourire de Mayahuel s'effaça aussitôt et son visage se fit plus sérieux et concerné.
– Bien. Très bien. Nous avons parlé une bonne partie de la nuit, et à l'heure qu'il est, il doit encore être en train de dormir...
Severus cacha son soulagement derrière sa tasse de thé. Un instant, il avait craint quelque mauvaise nouvelle mais la vérité était évidente dans les paroles de Mayahuel. Et l'idée de son amant, encore alangui entre des draps froissés et dans la plus parfaite nudité dans laquelle il aimait dormir, le fit doucement sourire.
– Quand reviendra-t-il ? laissa-t-il échapper.
– Je ne sais pas. Cela lui appartient. Mais il ne sera pas absent longtemps, je pense. Quelques heures, un jour ou deux tout au plus... Il n'a pas besoin de rester dans la forêt aussi longtemps que la dernière fois.
Derrière son air innocent et rassurant, Mayahuel l'observait attentivement et son regard aux tons si chauds scrutait son âme directement à travers ses yeux. Puis elle pencha légèrement la tête de côté et esquissa un sourire narquois.
– Pourquoi ? Il te manque ?
Il n'y avait rien à répondre à cela, aussi Severus grogna et se contenta de hausser les épaules. Il n'allait certainement pas avouer à cette créature le fond de ses pensées et de ses sentiments. Même si elle en savait tout aussi certainement bien plus qu'il ne le souhaitait.
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Severus sirota un moment sa tasse de thé en silence, réfléchissant à ce qu'il voulait savoir d'elle. Elle lui avait promis des réponses au sujet de Harry, mais tiendrait-elle sa parole ? Et surtout en échange de quoi ? Il n'était pas dupe de son apparente amabilité et de sa façon d'être serviable; derrière, se cachaient sans doute bien des calculs et des manigances. Ses intérêts réels, hormis celui de protéger Harry, lui apparaissaient obscurs et la seule chose certaine était son attirance et sa curiosité pour la puissance.
Fondamentalement, cela lui importait peu tant qu'elle ne représentait pas une menace. En revanche, ce qu'elle savait l'intéressait au plus haut point et il brûlait de l'interroger. Sans savoir par où commencer, ni comment amener ces réponses promises.
– L'autre nuit, tu as parlé d'un rituel, commença-t-il. Et tu as dit qu'il n'en avait même pas conscience. En quoi... Qu'est-ce que c'était exactement ?
Elle hocha la tête en voyant très bien de quoi il parlait, lui épargnant pour une fois ses sempiternels sourires ironiques.
– La nuit des sept unions, précisa-t-elle. C'est un rituel ancien, presque perdu. Il concernait autrefois les couples séparés pendant une longue période : la femme qui restait au village quand l'homme partait pour une expédition de chasse, à la guerre ou pour un long voyage. Il permet en quelque sorte de se... rassasier l'un de l'autre avant la séparation. Sept unions au cours d'une même nuit, couronnées par la magie... et cela permet de pouvoir prendre un peu de distance.
À mesure des paroles de Mayahuel, l'inquiétude gagnait à nouveau Severus et il fronça les sourcils avec un air sombre.
– En quoi est-ce que cela nous concerne, lui et moi ? fit-il durement. Il compte repartir loin d'ici ?
Pour un peu, il avait failli dire « loin de moi » mais il se réfréna à temps avant de trop se dévoiler.
La créature le regarda longuement, presque pensive, mais son attitude restait dénuée d'ironie.
– Je ne pense pas. Mais je crois en revanche qu'il a du mal à supporter la situation : la présence de Lucius, le fait que tu doives te partager entre eux deux... Le rituel lui permettra de mieux supporter ton absence lorsque tu seras avec ton compagnon. De moins ressentir le manque... Il n'a même pas conscience de ce qui s'est passé; sa magie a choisi pour lui pour pouvoir regagner en stabilité...
Une douce chaleur était lentement née dans le ventre de Severus, grandissant peu à peu jusqu'à réchauffer son corps tout entier. L'implicite dans les mots de Mayahuel dessinait les contours de l'attachement de son amant : ce qu'il n'avait jamais avoué, tout juste admis parfois, mais que Severus avait besoin d'entendre pour se rassurer. Dite par une autre personne, cette confirmation des sentiments de Harry à son égard prenait une autre saveur : celle de quelque chose d'assez certain et d'assez fort pour être confié à un tiers. Il manquait à Harry et le jeune homme supportait mal de devoir le partager avec Lucius...
Severus étouffa ses sentiments pour se concentrer sur la conversation.
– Mais il sait que je ne pourrais jamais...
– Quitter Lucius ? termina Mayahuel. Il serait même incapable de te le demander tant il sait que cela te ferait souffrir...
– Je ne suis pas sûr que cela le retienne, ricana-t-il.
Il se savait injuste et ses paroles tenaient autant de l'autoflagellation que de l'envie de pousser Mayahuel à soutenir le contraire.
– Alors tu le connais bien mal, Severus !
Elle avait parlé sans même prendre la peine de réfléchir, comme un automatisme, et cela en disait encore plus long que sa réponse réelle. D'ailleurs, elle reprit rapidement sans qu'il n'ait dit un seul mot.
– Demande-toi quelle est sa plus grande peur...
Severus prit le temps de peser la question et sa propre réponse, au vu de ce qu'il savait du jeune homme. Celui d'hier qui avait été son élève et celui d'aujourd'hui qui revenait dans le monde comme d'entre les morts, animé d'une puissance qui dépassait l'entendement et d'une fragilité tout aussi grande.
– Perdre ceux qu'il aime ?
Mayahuel hocha la tête de biais, le regard fixé sur les flammes dansant dans l'âtre.
– C'était le cas avant. Ça ne l'est plus maintenant. Leur mort ne ferait souffrir que lui... Il est capable de surmonter cela. Sa plus grande peur est plutôt de faire du mal à ceux qu'il aime. D'en être responsable. De perdre le contrôle de sa magie. De les faire souffrir lui-même. Ou pire...
Elle se tut un instant tandis que le bruit du vent et de la pluie qui fouettaient les vitres du cottage se faisait brusquement plus sonore. Savourant la chaleur qui régnait dans le salon, Severus observait la créature à la dérobée. Il ne voulait pas que son regard paraisse insistant ou déplacé, mais il sentait, à l'attitude pensive et lointaine de Mayahuel, que le temps des confidences et des explications était venu. Et tout en appréciant cet instant, il sentait aussi monter son appréhension face à ce qu'il brûlait de savoir et que Harry avait toujours tu jusqu'ici.
– Pourquoi cette peur ? Qu'est-ce qui l'a brisé ?
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– Je sais que je t'ai promis des réponses, fit Mayahuel au bout d'un long moment. Il est sans doute temps...
Se renfonçant un peu plus confortablement au fond du fauteuil, Mayahuel fit un geste vague de la main dans laquelle apparut brusquement un grand verre d'une boisson laiteuse. Elle avala quelques gorgées du liquide, comme pour se préparer à un long discours, puis laissa le verre à demi vide flotter dans l'air à portée de ses doigts.
– Avant de répondre à tes questions, je vais d'abord t'expliquer ce qu'il te cache depuis le début... Mais dis-toi bien que je ne trahis pas sa confiance en faisant cela. Il m'a demandé lui-même de te le raconter parce qu'il sait en être incapable. Je crois qu'il a cependant besoin que tu le saches pour que les choses soient claires entre vous... Il est encore ambivalent sur ce sujet, et il refusera sans doute d'en parler directement avec toi mais... Peu importe. Cela s'est passé il y a six ans environ. Il vivait dans la forêt, dans un endroit reculé, loin de toute civilisation moderne. Il n'avait de contact qu'avec quelques peuples indigènes, des tribus indiennes aussi isolées que lui et pour qui il était un sage, un guérisseur, presque un shaman... Un jour, une femme lui a confié son enfant. Autour de lui se passaient des choses étranges, anormales et qu'elle ne comprenait pas. Elle le pensait possédé par un démon et elle l'a abandonné au shaman – à Harry – tant elle en avait peur.
– Un sorcier ?
– Oui. Pourtant à peine sorti du sein de sa mère, mais il transpirait la magie. Harry s'est occupé de l'enfant. Il s'y est attaché, l'a élevé, l'a éduqué, dans la vie et dans la magie, pendant plus de trois ans. L'enfant était doué, dans bien des domaines, vif et joyeux, et Harry l'a considéré peu à peu comme... eh bien ! comme son enfant... Un jour, il a dû s'absenter pour aller dans une autre tribu qui avait fait appel à lui pour soigner l'un des leurs. C'était loin, plusieurs jours de marche dans la jungle, et il a confié l'enfant à sa tribu d'origine et à sa mère. Elle l'a vu faire quelque chose, on ne sait pas quoi... Peu importe d'ailleurs. Elle a pris l'enfant et a été le jeter dans un lac.
Severus se sentit blêmir tout en refusant d'entendre les sentiments qui naissaient dans son cœur.
– Il t'a parlé un jour des lieux tabous, je crois, poursuivit Mayahuel. Ces lieux maudits parce que la magie y a été profanée d'une manière ou d'une autre...
Il hocha simplement la tête, incapable d'articuler le moindre son tant sa gorge lui paraissait sèche et gonflée.
– C'était cela. Il a su ce qui se passait, il l'a senti... Lui et l'enfant étaient liés. Il est venu immédiatement mais il n'a rien pu faire. C'était trop tard. Et la douleur l'a rendu fou...
Mayahuel avala pensivement le reste de son verre avant de le faire disparaître aussi simplement qu'il était venu, et son regard fixé sur les flammes semblait perdu dans de lointains et douloureux souvenirs.
– Ce n'est pas une façon de parler, Severus... Le chagrin, la douleur... il a perdu le contrôle de sa magie et la raison l'a quitté. Il n'était plus un homme, il n'était que folie...
– Qui a-t-il tué ? demanda-t-il d'une voix blanche.
Elle jeta vers lui un regard rapide avant de se perdre à nouveau dans la contemplation des flammes et des étincelles qui montaient parfois dans la colonne d'air chaud.
– Ce n'était pas lui. Seulement sa magie qui s'est déchaînée... Il a tué la mère de l'enfant. Et il a oublié en grande partie le reste de ce qu'il a fait... Heureusement ! Sans quoi, je n'aurais jamais pu l'empêcher de se tuer lui-même...
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Une autre tasse de thé paraissait nécessaire et Severus se leva pour aller dans la cuisine faire de nouveau chauffer la bouilloire. Le répit que cela lui offrait n'était pas non plus négligeable.
Tout en laissant ses mains faire les gestes nécessaires de manière machinale, il s'imprégnait de ce que Mayahuel venait de lui confier, tentant d'intégrer tous ces faits nouveaux pour lui, dans ce qu'il savait et ce qu'il ressentait de Harry. Cela... Cela expliquait sans doute bien des choses. Certaines des hésitations de son amant, ses réactions, son comportement avec les filles de Draco, à la fois très facile et très distant, son émotion lorsqu'il avait découvert l'album photo de leur enfance ou lorsqu'il avait vu pour la première fois Iris s'endormir dans ses bras, lorsqu'il avait compris la relation particulière qu'il avait avec elle... Ses cauchemars... Le regard fou et paniqué qu'il avait eu parfois lorsque les filles sautaient dans la piscine. Son silence pudique sur ce qui lui était arrivé dans la forêt. Et cette fêlure que Severus sentait quelquefois en lui. Le sable fragile sur lequel était bâtie sa puissance...
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– Que s'est-il passé après la mort de l'enfant ? Comment est-il revenu à la raison? reprit-il en s'asseyant avec sa tasse à la main.
– Il a erré longtemps dans la forêt, réduit à la simple survie comme un animal... Mais sans l'aide de la magie, même la survie était difficile il n'était pas armé pour lutter contre les jaguars ou les serpents, la faim, le froid. Se nourrir, dormir en sécurité... tout était difficile et seule la folie le conduisait. Il voulait en finir et son chemin l'a conduit en haut d'une montagne. Le reste, il te l'a plus ou moins raconté... L'apparition du quetzal, la façon dont il l'a sauvé, et puis mon intervention...
– Je ne sais pas grand chose de tout cela, l'interrompit Severus en fronçant les sourcils. À part mentionner le quetzal, il ne m'a rien expliqué.
– Sans doute parce qu'il n'y a pas grand chose à en dire. Le quetzal l'a soigné, physiquement, et aussi mentalement, comme le phénix l'a fait pour toi quand tu es mort...
Un frisson glacé traversa l'échine de Severus qui serra un peu plus les dents. Comment même savait-elle cela ?
– … sa présence ne s'explique pas davantage. Ensuite, j'ai pris soin de lui, longtemps, dans sa maison de la forêt. Jusqu'à ce qu'il aille mieux. Et je lui ai appris peu à peu à maîtriser sa magie et à s'apaiser...
Les questions se bousculaient dans sa tête et Severus ne savait par où commencer.
– Pourquoi... Pourquoi sa magie était-elle différente ? Pourquoi est-elle si particulière aujourd'hui ? Et pourquoi n'a-t-elle pas fonctionné lorsque...
– Lorsqu'il avait perdu la raison? fit Mayahuel, et devant son acquiescement, elle poursuivit : Il a... Lorsqu'il s'est rendu compte de ce qu'il avait fait après la mort de l'enfant, de ce que sa magie avait fait, de ceux qu'il avait tués... il a prononcé une malédiction. Damnatio Magicae. Il a maudit sa propre magie, Severus...
Il ne connaissait même pas cette malédiction, mais les mots que Mayahuel avait prononcés étaient sombres, enveloppés d'une aura de magie noire, et le poids et l'écho de cette obscurité résonnaient encore en lui jusqu'au fin fond de sa chair.
– Sa magie n'existe plus qu'à l'état de traces, ou de sursauts ponctuels, lorsque l'instinct primitif reprend le dessus. Il ne peut plus faire appel à elle consciemment, mais de toute façon, il n'en a pas besoin. Celle qui lui a été donnée est bien plus puissante et complète. Elle demande juste plus d'efforts pour être maîtrisée...
Harry lui avait pourtant confié se sentir dépassé par cette magie et parvenir avec peine à la canaliser, même si cela s'améliorait avec le temps. Mais au vu de ce qui s'était passé hier soir, il était encore parfois débordé par cette puissance. Restait à savoir ce qui avait déclenché le phénomène cette fois-ci...
Reposant sa tasse vide sur la table basse, Severus secoua la tête.
– Je ne comprends pas. Cette magie qui lui a été donnée... Par qui ? Et pourquoi ?
Mayahuel sauta brusquement à bas de son fauteuil et se posta devant la cheminée, dos aux flammes. Elle était si près du feu que la chaleur devait lui rôtir les fesses et les mains qu'elle tenait cachées derrière elle. Mais elle ne paraissait pas le moins du monde incommodée et son regard chaud était empli d'une intensité nouvelle.
– Par nous... Mon peuple.
– Et quel est-il ?
La créature haussa les épaules, faisant tinter les bracelets de cuivre à ses bras.
– Nous sommes, c'est tout. Peu nombreux, et bien moins que nous l'étions... Lorsque l'un d'entre nous meurt, sa magie disparaît si elle n'est pas absorbée par un autre. Mais au-delà d'un certain seuil, nous ne pouvons plus être le réceptacle, et la magie est tout simplement perdue... Harry s'est trouvé au bon endroit au bon moment. Il n'avait plus de pouvoirs mais il avait les capacités pour intégrer et gérer cette magie d'une autre sorte. Celle qu'il a reçue venait d'un Très Ancien, très respecté et très puissant... Il en est devenu le dépositaire.
Severus contempla d'un œil nouveau la créature qui lui faisait face. Son apparence si insignifiante semblait finalement n'être qu'un trompe-l'œil minimisant la puissance et l'étrangeté du pouvoir qui se cachait en elle. Un instant, il se demanda si cette apparence était choisie à dessein et si Mayahuel était capable de la modifier par sa seule volonté. Une telle chose ne l'aurait même pas étonné.
– Qu'es-tu ? demanda-t-il tandis qu'il s'attardait sur les ornements travaillés de sa robe, la pierre sombre et luisante qu'elle portait en pendentif, les bracelets gravés de ses bras et les tatouages sur ses mains.
– Je ne saurais le dire. Entre nous, nous nous appelons les Êtres ou les Premiers-Nés. Mais cela ne t'avance pas beaucoup, fit-elle avec un petit rire en s'avançant vers la bibliothèque. Nous étions puissants avant que les premiers Initiés ne découvrent l'usage de la magie, avant même que les Hommes ne sachent lire, écrire ou compter... Mais notre histoire n'est pas très importante. Nous disparaîtrons peu à peu et notre magie se perdra ou bénéficiera à quelques humains choisis entre tous. Harry était prédisposé à la recevoir... Sa puissance personnelle, sa curiosité et ses recherches sur les savoirs premiers, sur les magies primitives... Son attrait pour la forêt...
Mayahuel s'était déplacée sans même qu'il ne s'en rende compte, perdu dans ce qu'elle expliquait et ses propres pensées, et Severus fut diablement surpris de sa présence à quelques centimètres de lui, presque trop proche pour qu'il se sente en sécurité. Et le sourire enjôleur qui ornait ses lèvres l'inquiéta encore davantage.
– Toi aussi, tu es très intéressant, affirma-t-elle d'une voix ensorcelante. Tu es tout aussi puissant, bien plus que ton compagnon Lucius... Fier jusqu'à l'orgueil. Brave. Droit. Et bien moins sournois que tu ne le penses toi-même...
Elle tournait lentement autour de son fauteuil, comme un prédateur autour de sa proie, et son aura qui enflait autour d'eux avait des reflets mordorés presque métalliques. Elle n'usait pas de légilimancie, mais Severus sentait une présence magique imposante qui s'infiltrait en lui et dans son esprit, et qui aurait pu lui faire faire n'importe quoi, de la même manière que Harry lui avait imposé de le suivre au fond de la Librairie pour lui parler, ou bien le submergeait de désir pour le faire craquer.
Mais il avait été un bon occlumens; peut-être le meilleur d'entre tous pour parvenir à cacher ses pensées à Voldemort autrefois, et réussir à le duper. La peur qui régnait alors – de mourir, de souffrir, d'être dévoilé... – était chez lui un bon moteur pour se dépasser, et non pas quelque chose qui le paralysait. Aujourd'hui, étrangement, il n'avait pas peur de Mayahuel, mais il retrouva ses réflexes anciens pour fermer son esprit et combattre sa présence impérieuse.
Quelque chose comme un combat de volonté s'engagea entre eux, immatériel et invisible, une confrontation inattendue dont l'enjeu n'était que de démontrer qu'il ne se laisserait pas faire. Il sentait que, si elle l'avait voulu, la créature l'aurait renversé comme un fétu de paille, mais il n'allait pas baisser les bras pour autant.
Quand l'esprit de Mayahuel s'évanouit brusquement du sien, Severus ne put s'empêcher de chanceler, bien qu'il soit assis, et son corps bascula légèrement en avant, comme happé par le vide d'où toute résistance avait disparu. Et tout aussitôt, il sentit monter la migraine qu'avait fait naître la confrontation et il passa une main lasse sur son front, tandis qu'un rire puissant et grave résonnait dans la pièce.
– Tu es encore plus intéressant que je ne le pensais, Severus !... J'aurais aimé que tu sois mien si Harry ne t'avait pas mis la main dessus ! Oh oui ! J'aurais eu de grands projets pour toi !... Je t'aurais possédé et tu aurais été ô combien puissant !
Le même rire grave résonna à nouveau tandis que passait une bourrasque de magie brute chargée d'émotions. Severus perçut dans la confusion de sentiments de l'envie, voire même de la concupiscence, une puissance phénoménale, de la jalousie, de l'amusement, des regrets, de la satisfaction et même une pointe de curiosité indiscrète. Et tout fut brusquement fini.
Mayahuel était de nouveau assise dans son fauteuil, exactement dans la même position qu'avant, comme si elle n'en avait jamais bougé, son regard fixé sur les flammes mourantes aussi pensif et lointain que tout à l'heure. La magie et la puissance autour d'elle avaient disparu aussi soudainement qu'elles étaient venues et Severus se demanda un instant s'il n'avait pas rêvé. Ce qui venait de se passer semblait ne pas avoir existé ailleurs que dans son esprit; peut-être un effet secondaire de la migraine qui le tenaillait à présent de manière intense...
Mais le rougeoiement intriguant des bracelets de cuivre au bras de la créature, comme s'ils avaient été passés au feu pour être refondus, montrait bien que quelque chose s'était produit. Peut-être simplement projeté dans son esprit plus que réel, mais la magie de la créature avait agi d'une manière ou d'une autre. Elle semblait cependant encline à poursuivre les confidences et Severus se garda bien de la détourner de cette idée.
– Harry... Harry est sur le chemin de la sagesse. L'équilibre qu'il a malgré tout trouvé avec toi, la vie tranquille, presque « familiale » que vous menez tous les trois avec Lucius, la rencontre avec les enfants de son ami et ce qu'il a fait pour sa fille... tout cela finit de l'apaiser et de panser ses plaies. Bientôt... bientôt il sera complètement maître de sa magie et il n'aura plus besoin de moi. Et j'ai confiance en toi pour t'occuper de lui.
Avec un pincement au cœur, Severus se souvint qu'il avait pensé la même chose d'elle quelques heures auparavant, presque dans les mêmes termes, et quelque part, sa confiance l'honorait plus qu'il ne l'aurait pensé. Et dans sa voix, lointaine mais vibrante, il sentait quelque chose comme une passation de pouvoir.
– Vas-tu partir ?
– Un jour... très certainement, fit-elle avec un petit rire. Mais je vais déjà me faire moins présente. D'autres... préoccupations m'appellent, et je sais maintenant que tu es présent. Ce que j'ai vu dans ton cœur et dans ton esprit ne fait que confirmer ce que je pensais. Tu es capable de prendre soin de lui, et plus que tout, tu le désires...
Pour un peu, il aurait rougi sous son regard presque absent; autant de ce que la créature avait deviné de lui que de la certitude qu'elle exprimait sur sa fiabilité inaltérable. Étrangement, ces mots à propos de Harry venaient panser de lointaines plaies : la méfiance qu'il suscitait chez les gens, qu'il avait toujours suscitée, la suspicion à l'égard du rôle qu'il avait joué autrefois, le trouble prudent ou la crainte dans leurs yeux et leur attitude.
Harry avait un jour exprimé sa confiance en lui également, d'une manière qui lui avait paru sur le moment saugrenue, grandiloquente et presque déplacée. Il n'avait compris qu'avec le temps que cela avait été comme une profession de foi, une affirmation réitérée de son importance et de sa place centrale dans la vie de son amant, un aveu plus que sincère...
– Bien... Si tu n'as pas d'autres questions...
Severus grogna de dépit en s'empressant de protester avant de se rendre compte que Mayahuel se moquait gentiment de lui. Il essaya de dresser mentalement la liste des questions et des précisions qu'il voulait obtenir avant qu'elle ne s'échappe; quelque chose lui disait que l'occasion ne se représenterait sans doute jamais.
– Rapidement, cependant, fit-elle en riant. Je n'ai pas toute la journée.
– La magie sans baguette... c'est dû à la magie qui lui a été donnée ?
– Oui et non. Lorsqu'il a prononcé la malédiction sur sa magie, il a également brisé sa baguette et il l'a brûlée. Après, il a dû apprendre à faire sans, et c'est d'autant plus facile avec notre magie. Il est le propre catalyseur de pouvoirs qui viennent des éléments, de la terre, de l'énergie qui l'environne... Il n'en a aujourd'hui plus besoin.
– L'importance de la forêt pour lui ?
– Notre magie est liée de manière préférentielle à un élément, un lieu ou une forme de vie... Cela agit comme une source, un endroit-mère, qui est l'essence même de la magie, et qui permet également de l'apaiser, de la purifier lorsque c'est nécessaire. Ma magie par exemple est liée à ce qui constitue la terre, les pierres, les matières organiques qui y vivent et qui y prennent racine, les minéraux...
– D'où les bracelets de cuivre ? fit Severus en soulevant légèrement son poignet où brillait un éclat rougeâtre.
– Certainement ! rit-elle. Mais je peux te l'enlever si tu préfères...
– Je préfère autant garder ce moyen de faire appel à toi, grommela-t-il devant cette faiblesse avouée.
Elle ricana un instant, fit tourner ses propres bracelets autour de son bras et reprit sa pensée initiale.
– La magie de Harry est liée à la forêt tropicale, cette espèce de jungle hostile où la vie est présente en toute chose, plus foisonnante que des grains de sable sur une plage. La sève des arbres, la résistance et la puissance des troncs, cette volonté inaltérable de gagner la lumière pour grandir et de grandir pour gagner la lumière... C'est ce qui le porte et ce dont il a besoin. C'est pour cela qu'il doit y retourner régulièrement, pour équilibrer sa puissance. C'est pour cela aussi qu'il l'a recréée dans la pièce que lui a dévolue ton compagnon... Plus que recréée même : il a fait venir la forêt à lui...
Severus n'avait jamais pénétré dans cette pièce, juste entraperçu une verdure luxuriante qui l'avait à peine surpris. Il savait que Harry appréciait par-dessus tout les deux vérandas du Manoir, et sachant ce qu'il avait accompli dans le Hall d'Entrée de Poudlard et dans la chambre de Lucius à Sainte-Mangouste, il n'était pas étonné que la végétation règne en maître dans ce que Lucius lui avait attribué comme étant un bureau. Mais à entendre les propos de Mayahuel, le jeune homme n'avait pas reconstitué une simple serre de plantes tropicales et la curiosité d'y jeter un regard piqua soudain Severus.
– La cicatrice qu'il a dans le dos ? interrogea-t-il cependant, conscient du peu de temps qui lui était imparti.
– Celle-là entre toutes ? fit Mayahuel avec un sourire entendu.
– Sa... dimension en fait une marque volontaire et pas accidentelle...
La créature grimaça sans souci d'être vue et son hésitation était palpable.
– Je ne suis pas sûre qu'il voulait que je te parle de ça, commença-t-elle. Mais compte tenu de ce qui s'est passé pendant votre dernier combat de magie, je pense que tu dois savoir...
Severus se remémora rapidement les deux fois où il avait blessé Harry lors de leurs duels, les deux fois dans le dos, et la deuxième fois sur cette cicatrice étrange l'avait laissé paralysé quelques instants jusqu'à l'intervention opportune de Mayahuel.
– Lorsqu'il a perdu la raison après la mort de l'enfant... La tribu dont il venait, lui et sa mère, l'ont cru à son tour possédé par un esprit. Un démon même, au vu des dégâts qu'il avait faits et des morts qu'il avait causés... Mais les shamans sont sacrés dans ces cultures, protégés malgré leurs erreurs, et pour le purger du démon, ils l'ont capturé et soumis à un rituel d'exorcisme. La cicatrice est l'incision qu'ils ont faite et maintenue ouverte plusieurs jours pour permettre au démon de s'échapper de son corps...
Severus frémit à l'image qui s'imposa à son esprit tandis que Mayahuel poursuivait.
– Les traces de la magie qui restait en lui malgré la malédiction lui ont permis de survivre au rituel, de s'échapper, et de guérir par la suite. Mais cet endroit reste un point faible, son talon d'Achille en quelque sorte. C'est pourquoi lorsque tu l'as touché, c'est à cet endroit que tu l'as atteint, et c'est pour cela que ça a eu de telles conséquences... Il pourrait guérir davantage, mais cela reste le symbole de sa culpabilité...
– De la mort de l'enfant ?
– Et des autres.
– Mais il n'était pas responsable !
– Il estime que si, soupira-t-elle. Tu ne pourras pas aller contre ça, Severus. Et de toute façon, il ne voudra pas en parler avec toi. Tu sais ce que signifie « tuer » autant que lui mais il ne vit pas aussi facilement que toi avec cela...
– Ne crois pas..., gronda-t-il brusquement.
Mayahuel leva une main apaisante devant sa soudaine colère.
– Je sais. Et je sais aussi ce qu'implique de faire des choix et d'en assumer les conséquences. Mais il n'est pas comme nous. Son âme est plus pure, très certainement. Plus... inaltérée.
Severus grogna et détourna le regard vers la fenêtre humide. Dehors, la pluie s'était calmée mais le ciel restait gris et bas, noyant la campagne sous des nuages effilochés qui hésitaient à devenir du brouillard ou des brumes surnaturelles.
La façon qu'elle avait eue de dire « comme nous » sonnait étrangement à ses oreilles. Il savait, et elle aussi, que Harry était plus pur et plus naturel qu'eux, plus innocent, et c'était un fait. Eux étaient... faux, retors et manipulateurs. Amoraux.
– C'est pour cela qu'il est incapable d'user de sa magie pour attaquer ou blesser un adversaire ?
– Oui, sourit-elle. Il n'en est pas incapable de part sa magie. Elle vient de la forêt et les plantes ne sont pas les plus innocentes qui soient pour survivre et se répandre. Elles usent de tous les stratagèmes et les poisons et le parasitisme ne leur font pas peur... C'est juste que... cette façon de se servir de la magie ne lui correspond pas. Il estime que la magie qui lui a été donnée n'a pu l'être que pour protéger, soigner, guérir et défendre... Celui qui la possédait auparavant était ce que vous appelleriez un médicomage. Ce n'est pas qu'il ne peut pas se servir ainsi de la magie, c'est juste qu'il ne le sait pas. Et ne t'avise pas d'essayer de lui inculquer ce pour quoi il n'est pas fait, Severus, prévint-elle, brusquement plus tendue. Cela le blesserait autrement que physiquement et il n'a pas besoin de ça !
– Ce n'est pas dans mes intentions, assura-t-il en levant les mains devant lui. Mais cela peut être un handicap et je veux en revanche qu'il soit capable d'utiliser d'autres stratagèmes pour se défendre.
Le sourire ironique de Mayahuel en disait long sur ce qu'elle pensait de ce besoin d'apprentissage. Pour elle, la simple puissance brute de la magie de Harry était une défense bien suffisante face à n'importe lequel de ces sorciers mais elle n'allait certainement pas dire les choses aussi crûment.
Severus se renfonça un peu plus profondément dans son fauteuil, étalant ses jambes croisées loin devant lui, dans cette attitude qui avait le don d'agacer Lucius. Un fin sourire apparut sur ses lèvres à la pensée de son compagnon, si autoritaire et si tendre à la fois un mélange subtil de distance et d'abandon, de paraître et d'authenticité. À cet instant précis, il n'aurait su dire lequel, de Harry ou de Lucius, lui manquait le plus. Les deux hommes lui étaient devenus indispensables, chacun à sa manière.
– Il n'a... jamais eu d'enfant qui soit de lui ?
La surprise de Mayahuel à sa question n'était pas feinte mais elle ne protesta pas pour répondre.
– Non. Mais ne crois pas qu'il considérait cet enfant autrement.
– Je me doute...
Severus ne pouvait qu'essayer d'imaginer ce que pouvait être cette relation particulière... Il n'avait pas d'enfant lui-même et ne le regrettait pas vraiment. En revanche, imaginer ce que pouvait être ce deuil lui était plus accessible, même si sans doute hors de proportion. Il tenta de se représenter ce qu'aurait pu être la perte d'Iris à la période où ils étaient les plus fusionnels, et de se souvenir des angoisses qui l'avaient si longtemps tenaillé lorsque Lucius était à l'hôpital, et la somme de tout cela lui sembla insurmontable. Qu'est-ce qui pouvait être assez fort pour tirer quelqu'un hors de l'eau dans des circonstances pareilles ?
– Il n'a jamais eu non plus de compagnon... ou quelqu'un qui partage sa vie ?
– C'est à lui qu'il faut poser cette question, ricana-t-elle avec un sourire mauvais.
– Je l'ai déjà fait. Mais c'est ta réponse qui m'intéresse.
– Pas dans le sens où tu l'entends, fit-elle après un long silence. Il n'a jamais voulu se lier de cette façon. Pour lui, l'attachement et l'amour sont des pièges dont il est difficile de se défaire et qui ne conduisent qu'à la douleur de la perte. Il n'y a que pour cet enfant qu'il a ouvert la porte de son cœur, et la leçon a été amère !
– Pourquoi moi alors.
Ce n'était pas même une question. Une simple constatation ironique et désabusée que les choses n'étaient pas logiques, ni cohérentes, et que sans doute alors, elles n'étaient même pas vraies.
Mayahuel ricana à nouveau devant son désenchantement.
– Encore une fois, c'est à lui que tu dois poser cette question, mais je doute qu'il sache même te répondre. Ce que je peux te dire en revanche, c'est que d'une façon ou d'une autre, vous êtes liés depuis toujours. Vos histoires sont liées, vos magies sont liées, vous-mêmes en tant qu'humains... Et cela, depuis qu'il n'est qu'un bébé. Avant, même... tu étais déjà lié à sa mère. Ce qui faisait obstacle entre vous : la différence d'âge, de statut social, d'obédience, le fait que tu étais son professeur... tout cela s'est effacé avec le temps. Ça ne compte plus. Aujourd'hui, c'est son cœur d'homme qui t'a choisi, toi entre tous, et cela, bien que tu sois déjà lié par ailleurs à Lucius... Il est prêt à beaucoup pour pouvoir t'aimer. Ne le rejette pas une seconde fois...
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– Une dernière chose, Severus, fit Mayahuel en se retournant depuis l'angle de la cheminée où elle allait se fondre dans les ombres. Ne le mets jamais dans une position où il sera susceptible de te faire souffrir. Tu comprends ce que je veux dire ? Si c'est toi qui le fais souffrir, il pourra le surmonter. Mais si lui te fait souffrir, s'il est responsable de ta souffrance, il en perdra la raison, et je ne suis pas sûre de pouvoir le ramener une deuxième fois...
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oooooo
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Quelques heures plus tard, Severus se tenait à nouveau au même endroit, devant la fenêtre pâle et glacée du cottage de Llewellyn, une tasse de thé brûlante entre les mains. Le ciel s'était légèrement éclairci depuis le matin et la lumière semblait un peu plus vive, sans que l'on puisse pour autant parler de rayon de soleil. L'humidité était palpable jusque dans l'air et les flaques d'eau et de boue maculaient les chemins et les bas-côtés des routes qui desservaient les champs alentour. L'atmosphère dans la maison était agréable cependant et il se retourna se lover dans le canapé devant la cheminée avec bonheur.
Après le départ de Mayahuel, il avait transplané à Londres presque sans réfléchir, mû par une curiosité soudaine et impérieuse. Draco n'était pas chez lui mais il avait fini par le trouver aux abords du terrain d'entraînement de quidditch où il peaufinait ses tactiques de match avec les filles de son équipe.
Comme Severus s'y attendait, Draco avait refusé de lui montrer ce qu'il avait vu des souvenirs de Harry. Mais il avait en revanche confirmé ce que Severus avait deviné après sa conversation avec Mayahuel : Harry ne s'était pas confié mais il lui avait bel et bien montré directement ce qu'il avait vécu dans la forêt. Draco possédait des images et les propres sensations et sentiments de Harry quand lui n'avait que les mots de Mayahuel. Mais Severus savait bien que sa curiosité avait quelque chose de malsain et il n'insista pas plus longuement.
Draco avait acquiescé cependant à chaque élément qu'il avait cité : l'enfant, sa mort, la réaction destructrice de Harry et sa folie, le quetzal et Mayahuel... Il avait même confirmé qu'il savait pour le rituel d'exorcisme et il avait lâché quelques bribes insignifiantes sur l'après : Harry qui s'était plongé dans le travail, la publication des livres, le succès et les conférences... Mais cela n'intéressait que peu Severus; il avait suivi la carrière naissante de Brian Evans et cela ne lui était pas étranger.
Ce qui l'avait surpris en revanche était que Draco avait catégoriquement refusé de s'étendre sur les raisons pour lesquelles Harry lui avait montré ses souvenirs. Et cela démontrait d'autant plus qu'il y avait une raison, et que ce n'était pas seulement des confidences au décours d'une conversation amicale.
Ce qui l'avait surpris également était la réaction de Draco. À l'évocation de cette matinée bouleversante entre les deux jeunes hommes, il avait blêmi, et il était resté pâle et tendu tout au long de sa discussion avec Severus. À plusieurs reprises, il avait même secoué la tête comme pour se défaire d'images dérangeantes qui refaisaient surface dans son esprit avec insistance. Et dans son regard, Severus avait lu bien des interrogations sur ce que cela risquait de modifier dans leurs rapports.
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Et il se posait à présent les mêmes questions.
Il n'était pas repassé au Manoir après son entrevue avec Draco, préférant venir directement à Llewellyn pour prendre un peu de temps, un peu de distance et de recul pour réfléchir à tout cela. Lucius ne savait sans doute pas où il était, mais cela n'avait pas beaucoup d'importance. Harry était peut-être rentré, lui; Severus n'en savait rien, mais il ne se sentait pas encore prêt à revoir son amant.
Il avait besoin de s'imprégner de ce qu'il savait à présent, de digérer toutes ces informations pour les intégrer pleinement. Et quelque part, il appréhendait peut-être aussi leurs réactions mutuelles : la sienne, quand il verrait à nouveau Harry en connaissant son passé mais aussi celle du jeune homme quand il comprendrait qu'il était au courant. Severus avait peur d'une forme de rejet de sa part, instinctif, devant cette mise à nu et cette exposition d'événements plus qu'intimes. Et son propre regard ne serait sans doute pas dénué de curiosité et de jugement.
Comme pour toute chose, c'était le premier contact qui compterait, cette nouvelle première rencontre en toute connaissance de cause... Il faudrait passer outre cette différence dans le regard, la recherche systématique des réactions qui évoqueraient son passé, oublier de faire attention lorsqu'il parlerait d'Iris ou agirait avec elle, ne pas s'attarder outre mesure sur cette cicatrice... Ne pas chercher dans le fond de ses yeux cette douleur d'un enfant disparu... Severus allait surtout devoir s'autodiscipliner en tout état de cause ! Et Harry l'y aiderait certainement !
Jamais son amant ne supporterait la moindre pitié, le moindre regard condescendant ou la moindre attention qui ne soit pas dictée par leur relation habituelle. Mayahuel agissait avec Harry comme une mère poule, sans doute conditionnée elle aussi par ce qu'il avait été dans le passé. Mais jamais le jeune homme ne tolérerait cela de lui, aujourd'hui encore moins qu'hier. Il avait traversé ce deuil et ses conséquences seul, sans son aide, et il n'allait certainement pas avoir besoin de lui pour cela après coup ! Ce n'était de toute façon pas le rôle de Severus, ni son envie. Il serait présent, disponible pour l'épauler en cas de besoin, mais il n'allait en aucun cas materner son amant.
Il serait son compagnon, son partenaire, son amant; ils partageraient une certaine connivence, une forme de vie commune, des sentiments, du sexe, des conversations futiles ou sérieuses, des confidences si l'occasion s'y prêtait, une complicité particulière, mais il ne prendrait pas « soin de lui » comme l'y avait exhorté Mayahuel.
Les recommandations de la créature le firent sourire après coup. Elle considérait encore Harry comme une petite chose fragile, un oisillon tombé du nid sur lequel elle devait veiller, son protégé... Mais Mayahuel avait une vision biaisée de la réalité. C'était peut-être quelque chose dont Harry avait eu besoin à une époque, mais aujourd'hui il était tout autre, et Severus était même plutôt surpris par sa force et sa constance, l'humeur égale et joyeuse dont il faisait toujours preuve et sa capacité de résilience. Malgré les disputes et les tensions qui avaient existé au début de leur relation, malgré leur passé et malgré son propre comportement non dénué de reproches, Harry avait toujours su revenir à son espièglerie légère habituelle... sa douceur étrange... son appétit féroce de tendresse et de sexe.
En souriant un peu plus pour lui-même, Severus se rendit compte que son amant lui manquait. Plus encore maintenant que les secrets qui formaient une ombre entre eux s'étaient dissipés. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas plongé dans son regard émeraude, qu'il n'avait pas goûté ses lèvres ou touché sa peau brunie par les tropiques. Il avait hâte de retrouver son sourire, son ironie joyeuse et sa désinvolture apparente. Son corps, aussi, et la fièvre de ses désirs... Il était impatient de le revoir !
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ooOOoo
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Lucius sortit de son bureau en fronçant les sourcils, il avait cru entendre un bruit mais il n'en était pas sûr. Ce pouvait tout aussi bien être un elfe qui avait fait tomber un quelconque objet en jetant des sorts de ménage et qui guettait à présent son courroux, ou bien le fichu chat de Severus qui persévérait à s'installer où bon lui semblait, même s'il n'avait pas la place d'y poser sa carcasse...
Il fit quelques pas dans le couloir et tomba nez à nez avec une porte qui s'ouvrait juste devant lui et une silhouette fort reconnaissable qui surgit du bureau de Harry. En fait de bureau, cela n'y ressemblait en rien et Lucius fut à nouveau surpris de la chaleur et de l'humidité qui s'échappaient de la pièce malgré le filtre de magie qui en barrait l'entrée. Tandis qu'il apercevait du coin de l'œil des plantes à foison qui formaient quasiment un rideau opaque, le jeune homme lui tomba presque dans les bras, surpris et ravi tout à la fois.
– Harry !
Lucius saisit l'occasion pour saluer le jeune homme d'une étreinte chaleureuse. Il sentait bon, une odeur assez exotique, mélange de soleil, d'orchidée, de karité et de coco. Le sourire radieux qui illuminait son visage faisait plaisir à voir et Lucius se sentit gagné par cette bonne humeur simple et légère.
– Enfin de retour ! s'amusa-t-il à le taquiner. Puis il se recula légèrement et fit d'un ton plus concerné : Est-ce que tout va bien ? Severus m'a dit que tu avais dû partir hier soir, et que tu n'avais pas dormi au Manoir...
– Eh bien ?! Je suis surveillé et je n'ai plus le droit de découcher ?!
Une lueur espiègle dansait dans ses yeux émeraude et Lucius ne put s'empêcher de rire devant l'impertinence et l'effronterie dont Harry se plaisait à jouer avec lui. Le son de son propre rire le surprit, un éclat joyeux aussi précieux qu'il était rare. Et qui redevenait plus fréquent depuis que le jeune homme vivait au Manoir...
– C'est Severus qui s'en plaignait ! rit-il. Et c'est tout à mon avantage : j'ai pu profiter de lui toute la nuit ! Quoique... « profiter » est un bien grand mot, il était un peu trop préoccupé pour quelque envie que ce soit !
L'impudeur de Lucius était rafraîchissante mais Harry avait été témoin de tellement de choses entre les deux hommes qu'elle ne le choquait même pas. Après avoir été un spectateur privilégié de la scène de masturbation la plus érotique qui soit, il s'était tout de même réveillé dans les bras de l'aristocrate avec son érection tout contre ses fesses ! Quelques mots suggestifs n'étaient plus capables de le mettre mal-à-l'aise.
– Je ne peux pas dire que j'ai passé une bonne soirée, confessa-t-il. Mais tout va bien oui.
Le souvenir de sa confrontation avec Molly assombrit un instant son visage. Harry se reprit rapidement mais l'ombre de sa tristesse n'avait pas échappé à l'aristocrate.
– Un souci ? s'enquit Lucius avec un air concerné.
– Rien d'insurmontable. Et rien que vous ne puissiez faire, si telle était la question...
Lucius hésita quelques secondes entre l'envie d'insister et celle de ne pas être trop intrusif et finit par choisir presque à regret la deuxième option.
– Bien... Tu as déjeuné ?
– Ce qui s'apparenterait plutôt à un petit déjeuner pour vous, mais j'ai mangé oui.
Le sourire spontané de Harry était revenu et Lucius glissa gracieusement son bras autour de la taille du jeune homme pour l'entraîner vers la véranda.
– Alors tu m'accompagneras bien pour un thé. J'ai deux ou trois choses à voir avec toi...
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– Quelque chose requiert ma présence ? s'enquit Harry une fois qu'ils furent installés devant des tasses fumantes qui sentaient bon la bergamote.
– À part Severus ? s'amusa-t-il en croisant les jambes avant de reprendre plus sérieusement. En réalité, je souhaitais voir avec toi quelques points de détail avant... demain. Tu n'as pas oublié que nous avions rendez-vous demain matin au Ministère et à Gringotts, n'est-ce pas... ?
Le visage de Harry n'avait pas frémi, au grand soulagement de Lucius; le jeune homme avait visiblement gardé en mémoire cette pénible obligation.
– Quelle heure ? demanda-t-il simplement.
– Huit heures au Ministère. Et à Gringotts quand nous voudrons, une fois que les documents officiels seront réglés...
– À l'aube ?! s'exclama Harry en riant. Vous voulez ma mort !
– Il me semble que tu te lèves souvent bien plus tôt pour aller nager avec Severus, susurra Lucius d'un ton fielleux. Ou aller faire tout autre chose dont je n'ai pas à avoir connaissance...
Harry éclata de rire, reposant en hâte sa tasse de thé avant de la faire déborder et de se brûler, et une fois calmé, marmonna une vague excuse à base d'insomnies et de mauvaises nuits.
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– Tu es sûr de toi ? Tu veux toujours aller jusqu'au bout? interrogea Lucius après un silence.
– Je ne suis pas sûr d'avoir grand choix...
– Il pourrait y avoir d'autres moyens, concéda-t-il à mi-voix. Entre autres celui de faire cela ici, au Manoir... Mais les soupçons persisteraient; en particulier que je te manipule pour obtenir l'héritage.
– Celui-là même que vous avez refusé il y a quelques années ?! fit Harry en riant.
– Les esprits chagrins ne se souviennent que de ce qui les intéresse... Faire cela de manière officielle au Ministère nous apportera une garantie de probité, et ils seront obligés de se porter garant en cas de contestation...
– Comment cela va se passer au juste ? Ils vont me soumettre au véritaserum ?
– Je ne pense pas, bien que cela reste une possibilité. D'après mes sources, ils ont fait appel à un Briseur de Sorts particulier qui va répondre de ton identité sur ton sang et ta magie...
Lucius vit Harry grimacer et un soupçon d'inquiétude le traversa. Qu'est-ce que le jeune homme ne lui avait pas dit qui risquait de compromettre la procédure ?!
– Mon sang ne posera pas de problème, fit-il d'un air ennuyé. Mais je ne suis pas sûr pour ma magie... Quoique.
Quoique sa magie persistait tout de même à l'état de traces latentes. Quoique, même si sa signature magique s'était modifiée, les défenses du Terrier l'avaient malgré tout reconnu et laissé passer. Il y avait une chance pour que cela fonctionne.
– Quoique ? insista Lucius déconfit.
– Non, rien. Ça devrait aller. Et puis sinon, ils se garderont cet héritage, après tout ! fit Harry en riant. Moi je me passerais bien de tous ces tracas !
Lucius soupira discrètement tout en savourant sa tasse de thé. Harry ne lui disait certainement pas tout mais il ne pouvait rien y faire. Il espérait seulement que tout se passe bien le lendemain au risque de les mettre tous les deux dans une situation délicate. Il se voyait mal rentrer seul le soir au Manoir en disant à Severus que son amant avait été arrêté pour usurpation d'identité parce que ce fichu briseur de sorts ne l'avait pas reconnu !
Si tous deux, ils étaient bien certains de l'identité du jeune homme, ils pouvaient en revanche difficilement le prouver. Et si cela venait d'eux, rien ne ferait jamais taire les rumeurs et la suspicion...
– Je pense, reprit Lucius presque pour lui-même, que nous aurons au départ affaire à un sous-fifre : un quelconque délégué ou sous-directeur... Mais une fois que ton identité sera confirmée – ce dont je ne doute pas –, fit-il en appuyant un regard insistant vers Harry, nous n'échapperons certainement pas à une visite dans le bureau du Ministre.
– Celui-là même que vous traitez de pantin et d'incompétent toute la journée ?! s'amusa Harry.
– Celui-là, oui. Mais garde-toi bien de le lui faire comprendre. Il est incompétent, pas idiot.
Lucius atténua ses propos d'un sourire mais Harry ne semblait pas particulièrement inquiet. Bien moins en tout cas qu'il ne l'aurait supposé au vu de leurs dernières conversations au sujet de cette visite au Ministère. C'en était presque surprenant; l'état d'esprit du jeune homme avait changé sans qu'il ne s'en rende compte. À la suite de quel événement, c'était un autre mystère...
– Il ne devrait pas y avoir de journalistes à notre arrivée, poursuivit-il. J'ai mes accès privés au Ministère et nous devrions être tranquilles. Nous aurons tout au plus affaire à quelques curieux parmi les employés qui sont au courant du rendez-vous... À la sortie, en revanche, cela risque d'être différent : l'information fuitera dès la confirmation par le briseur de sorts et le temps d'être reçus par le Ministre, une petite armada de journalistes nous attendra dans le Hall. Est-ce que tu préfères contourner ce problème ? Nous pouvons demander à rejoindre Gringotts par la cheminée du Ministre...
– Peu importe. Les journalistes sont sans doute déjà au courant après mon passage sur le Chemin de Traverse hier... J'ai au moins été reconnu par l'apothicaire et le gérant de la boutique de chaudrons, je serais étonné qu'au moins l'un des deux ne contacte pas les médias...
– C'était inévitable, sourit délicatement Lucius. L'un des deux a effectivement vendu l'information à la Gazette des Sorciers. J'ai pris la liberté de leur conseiller d'attendre vingt-quatre heures afin de vérifier la véracité de leur source... Une telle information sur la base d'un simple témoignage, c'est un peu léger !
Un éclat de rire franc et spontané salua ses paroles.
– Et depuis quand les journalistes se soucient de la vérité et de recouper leurs informations ?! se moqua Harry. Une simple rumeur leur suffit; j'en ai assez fait les frais autrefois pour le savoir !
– Depuis qu'ils me doivent de nombreux services, répondit-il sournoisement. Et depuis que je leur en rends parfois...
Délaissant sa tasse de thé vide, le jeune homme le regarda de manière intense, comme s'il le redécouvrait sous un jour méconnu.
– Vous êtes un vil Serpentard, Lucius ! Contre quoi avez-vous échangé ces vingt-quatre heures de délai ? Et surtout pourquoi ?
– Pourquoi ? répéta-t-il lentement. Pour avoir un peu les mains libres demain matin : je ne voulais pas qu'en plus des journalistes, une horde de curieux nous attende à notre arrivée. L'information de ton escapade sur le Chemin de Traverse paraîtra demain matin, à peu près à l'heure où nous serons déjà au Ministère. Et je ne voulais pas que le Ministre ait trop l'impression que nous lui forcions la main. Si la nouvelle avait été publiée aujourd'hui, il aurait été dans l'obligation de confirmer ton identité sous la pression médiatique. Alors que là, tout se fera de manière concomitante, et il donnera l'impression d'avoir été au courant depuis longtemps et d'avoir fait ce qu'il fallait pour établir une vérité irréfutable.
Le sourire malin de Harry devint sarcastique.
– Et contre quoi, Lucius ?
– Eh bien, contre ce que tu voudras bien leur donner : une interview exclusive la semaine prochaine, comme nous en avions parlé... une photo unique à notre arrivée demain, qui serait la première photo officielle depuis ton retour... ou toute autre information valable. Il faut aussi faire attention à ne pas les froisser : nous aurons également besoin de leur coopération pour les jeter sur un autre sujet intéressant et détourner leur attention de toi dès que nous le souhaiterons...
Le silence lui répondit et Lucius tourna brièvement la tête vers Harry qui restait songeur. Ses cheveux mi-longs encadraient son visage de manière libre, formant quelques boucles soyeuses au niveau des épaules. Le contraste entre la noirceur de ses cheveux et sa chemise blanche était saisissant et dégageait une impression de pureté étonnante.
Après sa déclaration, Lucius s'attendait à une réaction plutôt vive de sa part, éclat de rire si le versant manipulation des journalistes l'emportait, ou au contraire éclat de colère s'il considérait que c'était lui qui était manipulé. En retour, Lucius n'avait rien, hormis un silence surprenant et prolongé.
– Je vous laisse juge de ce qu'il convient de leur donner comme récompense, fit enfin le jeune homme. Mais pour ce qui est de votre question initiale, nous ne fuirons pas par la cheminée du Ministre. Je n'ai rien à cacher, et encore moins mon identité et ma présence.
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– Maintenant que tu sais à peu près comment les choses vont se dérouler demain et dans les jours à venir, je repose ma question : est-ce que tu te sens prêt et est-ce que tu veux toujours le faire ? Il n'est pas simplement question de ne pas avoir le choix... Il s'agit de mesurer toutes les implications, de savoir si tu es prêt à les assumer et surtout de savoir si tu le souhaites.
– Pourquoi cette question, Lucius ? Est-ce que vous me prenez pour un lâche ?
– Absolument pas ! affirma-t-il d'un ton presque tranchant. Mais... Nous redoutons les conséquences. Severus a peur... nous avons peur de ta réaction et de la réaction de ta magie si la pression se fait trop intense. Que ce soit trop difficile, insupportable. Les journalistes, les gens, la surveillance permanente de la presse... Et par-dessus tout, nous avons peur que cela ne te pousse à quitter de nouveau le pays et à disparaître dans la nature.
– « Nous avons peur »... ? pointa Harry.
– Tu rends Severus heureux. Tu me rends heureux d'une autre manière. Tu rends tout le monde heureux depuis que tu es revenu. Draco est ravi de t'avoir retrouvé, les filles n'arrêtent pas de parler de toi... Je ne tiens pas à ce que tu disparaisses.
– Je... Vraiment ? murmura Harry, sidéré et mal-à-l'aise. J'ai l'impression de m'imposer ici et... je ne veux pas être si important dans vos vies. Ce n'est pas possible.
Sa voix était troublée, tout autant que son regard et une émotion délicate était palpable dans l'air et dans sa magie qui enflait doucement autour de lui. Exactement le genre de réaction qu'ils craignaient en public. Mais le jeune homme sembla s'en rendre compte et l'atmosphère se fit rapidement plus claire.
– Tu ne t'imposes pas, Harry. Je ne t'aurais pas invité à vivre au Manoir si je n'étais pas certain de désirer ta présence parmi nous, et Severus encore davantage... Et c'est trop tard, tu es plus qu'important dans nos vies. Tu es devenu essentiel, que tu le veuilles ou non.
Lucius se leva brusquement et s'avança de quelques pas pour se poster devant la baie vitrée qui plongeait sur le jardin, fermement campé sur ses pieds et les bras croisés. Il ne tenait plus en place sur son fauteuil et il lui fallait mettre un peu de distance entre Harry et lui, sous peine de mollir devant tant de sentimentalisme.
Il détestait cette situation, il détestait devoir se dévoiler autant, même si le moindre traître mot qu'il avait dit était la stricte vérité. Et encore bien loin du compte.
Derrière lui, Harry restait silencieux. Il devait l'observer, debout dans toute sa nervosité, exposé au grand jour et presque mis à nu devant lui.
– Je veux que tu saches que, quoique tu décides de faire demain, tu pourras toujours trouver refuge au Manoir si tu le souhaites. Si tu préfères ne pas t'exposer face aux journalistes, si tu préfères te préserver et vivre tranquillement loin du monde, nous serons plus qu'heureux de t'avoir à nos côtés. Mais nous ne voulons pas te perdre...
Lucius se tut, presque effrayé de ses confessions, quand une main affectueuse et tendre se posa sur son épaule avec légèreté. Il ne l'avait pas entendu se lever et le rejoindre, mais Harry était là, juste derrière lui, enveloppé d'un parfum sucré et ensoleillé.
– Quoiqu'il advienne, je ne vais pas partir Lucius. Je ne viens pas d'accepter un poste à Sainte-Mangouste pour décider de quitter le pays sur un coup de tête...
Il se retourna d'un coup pour faire face au jeune homme qui souriait tranquillement d'un air serein et rassurant. Avec douceur, la main sur son épaule avait glissé pour suivre son mouvement et se trouvait à présent posée sur son bras.
– Ah ?! J'ignorais..., avoua-t-il un peu confus.
– Tout autant que Severus. Ce n'est pas très vieux et je n'ai pas encore eu l'occasion de lui en parler...
Il restait, il resterait... Il n'en fallait pas plus pour qu'un contentement et un bonheur léger ne parcourent Lucius.
– Je n'en dirai rien, rassura-t-il Harry. Il mérite la primeur de cette bonne nouvelle et je ne veux pas lui gâcher son plaisir.
Le sourire devant lui s'élargit un peu plus et il lut de la satisfaction et de la reconnaissance dans ces yeux verts si envoûtants.
– Vous êtes un homme précieux, Lucius. Je comprends pourquoi Severus vous aime.
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Un mouvement près de la porte attira son attention et Lucius relâcha enfin le souffle qui s'était bloqué dans sa poitrine. Il s'était senti blêmir ou rougir, il n'en savait même rien, tant la confusion régnait en lui. Mais maintenant Severus était là, à point nommé, et le soulagement l'emporta sur ses autres sentiments.
Harry, cependant, n'avait pas encore conscience de l'apparition de son amant dans son dos et le cri de surprise qu'il poussa lorsque Severus l'enlaça était délicieux à leurs oreilles. Le jeune homme se retourna promptement entre les bras qui l'enserraient, un immense sourire sur le visage, et les lèvres de Severus fondirent sur les siennes avec une passion affamée.
Lucius avait déjà été témoin de marques d'affection entre les deux hommes. Même en sa présence, Severus avait parfois des gestes tendres vis à vis de Harry : une caresse, un bras léger glissé autour de la taille ou des épaules, un baiser... mais ces gestes restaient furtifs. Discrets et mesurés. Là, Severus dévorait à pleine bouche la bouche de Harry, exigeant et impétueux, et Lucius eut l'impression de voir son compagnon à l'œuvre comme autrefois, avec un de leurs amants d'une nuit. Sans pudeur, Severus prenait son plaisir avec un autre, devant lui, alors qu'il se contentait de regarder et de réclamer le corps de son compagnon une fois qu'il était rassasié. Et nul doute que ce baiser enflammé allait se terminer de façon bien plus dénudée dans quelques moments.
– J'ai à faire. Je vous retrouve au dîner tout à l'heure, marmonna-t-il.
Il ne savait même pas si les deux hommes l'avaient entendu, tout entier tournés l'un vers l'autre, aussi bien physiquement que mentalement, et il s'éloigna à regret.
Au fin fond de lui-même, Lucius devait bien s'avouer qu'il était jaloux. Mais il n'aurait su dire duquel...
Il aurait voulu être à la place de Harry pour être ainsi l'objet des attentions et le centre du désir de Severus. Cela faisait bien trop longtemps que son compagnon ne l'avait pas embrassé avec une telle passion. Mais il aurait aussi voulu être celui qui embrassait ainsi le jeune homme; avoir pour lui, dans ses bras, ce corps musclé et ce sourire mutin.
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Après le départ de Lucius, le baiser s'apaisa peu à peu et Severus relâcha légèrement son étreinte en venant poser son front contre le front de son amant.
– Où étais-tu, bon sang ?! J'étais mort d'inquiétude, avoua-t-il. Et qu'est-ce qui s'est passé hier soir ? C'est à cause des Weasley ?
Il n'avait pas oublié la visite prévue la veille aux jumeaux, puis à Molly, que Harry redoutait bien plus qu'il ne voulait bien le reconnaître. Heureusement que Mayahuel lui avait donné des nouvelles rassurantes – et c'était en grande partie pour cela qu'il l'avait appelée – sans quoi, il aurait été davantage qu'inquiet.
– En quelque sorte, admit Harry. Ça s'est relativement bien passé avec Fred et Georges, mais Molly m'a jeté hors de chez elle avec pertes et fracas !
– Molly ? fit-il surpris en se redressant brusquement.
– Oui, Molly, confirma Harry avec un sourire amusé devant sa réaction. Oh, elle n'a pas eu besoin de m'y jeter physiquement... ses mots étaient largement suffisants !
Severus sentit une colère sourde gronder peu à peu en lui.
– Molly ?! Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a dit ?... Je vais...
Face à lui, Harry éclata d'un grand rire frais.
– Tu ne vas rien du tout, Severus ! Et certainement pas te mêler de ça ! Est-ce que tu comptes défendre mon honneur ? Ou bien régler mes problèmes ?! Tu n'es pas mon père. Je n'en ai jamais eu et je n'en ai pas besoin !
Ils se toisèrent du regard, assez longtemps pour que les paroles de Harry le pénètrent et résonnent en lui. Severus faisait exactement ce qu'il s'était promis de ne pas faire : agir avec son amant comme une mère poule plutôt que comme un compagnon. Il n'avait certainement pas à faire les choses à sa place, mais plutôt à le soutenir quoi qu'il advienne.
Il se mordit la lèvre de contrariété comme cela lui arrivait rarement. Harry souriait mais il arborait un air décidé et un regard fier qui en disaient long sur le sérieux de ses propos.
– En parlant de père...
Le sourire de son amant s'était fait plus malicieux et il pointa vers sa poitrine un doigt accusateur.
– … parlons un peu de Matthieu !
Le sang de Severus ne fit qu'un tour. Il refusait de remettre sur le tapis ce sujet stupide qui n'avait pas lieu d'être.
– En effet. Parlons un peu des enfants qui ne sont pas les nôtres.
Sur un ton glacial et presque vindicatif, les mots étaient sortis plus vite que ne réfléchissait son cerveau, un énième sarcasme dont l'acidité sembla geler l'atmosphère. Mais au regard de Harry, il sut tout de suite qu'il avait franchi une limite. Son amant s'était reculé de ses bras en une fraction de seconde, tendu, acéré, se contenant avec peine tellement le point de rupture semblait proche.
– Je ne veux pas parler de ça avec toi ! asséna-t-il de manière définitive avant de tourner les talons et de quitter la véranda.
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Lucius aperçut dans le couloir une grande forme sombre qui suivait à quelques secondes d'écart Harry qui venait de s'échapper vers le sous-sol par l'escalier en colimaçon.
– Severus ?!
Un visage las apparut dans l'encadrement de la porte du Petit Salon. Son compagnon avait les traits tirés et une ombre de résignation et d'abattement voilait son regard.
– Où est-il ? soupira Severus.
– Il est descendu. Que s'est-il passé encore ?!
– Une parole malheureuse...
– De ta part, je suppose ?! s'agaça Lucius. Mais enfin ! Comment arrives-tu... ?! Il y a deux minutes, il riait et...
Il ne comprenait même pas pourquoi cela l'énervait autant, mais Severus semblait avoir le chic pour se brouiller avec Harry en une fraction de seconde. Il les avait laissés s'embrassant, pleins de désir et de passion, il s'était retiré pour leur laisser toute l'intimité qui leur était nécessaire, et en un tour de main, ils arrivaient à se disputer pour très certainement rien de plus que des broutilles !
– Un jour, j'apprendrai à me taire, soupira à nouveau Severus. C'était quoi déjà le sort de mutisme que tu utilisais sur Draco quand il était enfant ?
– Mimblewimble.
– Mmhh... Crois-tu que je pourrais... ? Non, laisse tomber.
Severus secoua doucement la tête et fit un pas en arrière, se retournant pour emprunter l'escalier.
– Severus !
– Mmhh ? fit-il en tournant lentement la tête vers lui.
– Ne fais pas l'idiot !
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Lucius avait raison : il n'était qu'un idiot. Il n'avait pas tout à fait dit cela, mais le mot était là, plus vrai que tout un discours. Il était un idiot, vindicatif et mesquin, capable de ruiner en quelques secondes ce qu'il avait mis des semaines à construire et ce qu'il s'était promis avec tant de force.
Pourquoi ? Pourquoi était-il ainsi, incapable de se taire, aussi amer et aigri dans ses paroles qu'un vieux marin solitaire ou qu'un ermite qui aurait fui ses contemporains ? Il n'avait à la bouche que sarcasmes et moqueries, propos méprisants et humiliations qui sortaient plus spontanément que le moindre compliment ou mot d'estime.
D'où cela venait-il ? De ses années d'enseignant, quand il n'avait eu que mépris pour ses élèves ? De sa période de Mangemort, où il avait fait preuve de cruauté et de haine envers ceux qui n'en valaient pas la peine ?... Plus loin encore. Lui-même élève à Poudlard, il était déjà ainsi, dédaignant par principe tout ce qui n'était pas Serpentard; au mieux indifférent, même avec Lily, au pire plein de morgue et d'arrogance. Ses camarades lui avaient bien appris la suffisance et le dédain, mais ils n'avaient sans doute fait que renforcer ces traits de caractère qui existaient déjà chez l'enfant qu'il était, vaguement cachés derrière son caractère solitaire et taciturne.
Du plus loin que lui venaient ses souvenirs, il avait toujours traité par le mépris ce qui lui était étrange parce qu'étranger, ou ce qui remuait trop de sentiments en lui : les moqueries de ses camarades de classe sur ses vêtements, son allure, sa misère... mais aussi le dédain de sa mère et la méfiance haineuse de son père, leurs affrontements et les hurlements dans la maison, la cave sordide dans laquelle il vivait, mais qui lui avait apporté son seul compagnon d'enfance : une petite souris qu'il avait fini par apprivoiser et qui lui donnait plus d'affection que ses deux parents réunis.
Pourquoi pensait-il à tout cela maintenant ? Il n'avait de toute façon pas d'excuses pour l'attitude qu'il venait d'avoir avec Harry, remuant sciemment le couteau dans la plaie pour une réflexion qui ne lui avait pas plu et qui était pourtant pleine de vérité. Depuis que son amant lui en avait parlé la première fois, il y avait longuement réfléchi et il ne pouvait que reconnaître qu'il avait placé en Matthieu de grands espoirs, beaucoup de fierté et comme un sentiment ambigu d'appartenance. Il considérait le jeune Maître de Potions de la même manière qu'il l'aurait fait d'un fils, certes pas tout à fait le sien, mais avec autant de sentiments et de force que Harry en avait eus vis-à-vis de l'enfant qu'il avait élevé et perdu.
Certes, il n'avait connu Matthieu qu'à son adolescence, tardivement, et après une vie déjà riche de bouleversements, mais l'attachement avait été là. Il avait été un socle de stabilité pour son jeune apprenti, celui qui l'avait pris en main, avec patience et persévérance, qui l'avait aidé à grandir et à traverser bien des épreuves, à commencer par le deuil de son père et la poursuite de ses études. La filiation affective et symbolique s'était faite petit à petit, à demi-mots et dans une économie de gestes presque frustrante. Et toutes les années qui s'étaient écoulées depuis avaient été du même acabit : trop de distance parce que trop de pudeur, trop de silences et de non-dits. Matthieu méritait mieux que ça, et en premier lieu d'appartenir réellement à sa vie, et pas seulement en filigrane et dans l'ombre.
Et cette prise de conscience, Severus la devait à Harry, dont il avait méprisé à l'instant les sentiments et l'attachement...
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Il l'avait très certainement entendu descendre l'escalier et entrer dans le laboratoire, mais le jeune homme n'avait pas levé la tête, concentré sur les ingrédients qu'il découpait ou refusant simplement de lui prêter attention. Un modeste châtiment pour son attitude.
Severus s'approcha lentement et vint se poster à côté de son amant, dos à la paillasse et juste appuyé contre le rebord de pierre sombre. Il ne voulait pas le toucher – pas encore –, conservant une distance respectueuse qui permettait la parole sans envahir son espace.
D'un geste précis et méthodique, Harry hachait finement des feuilles de belladone qu'il jetait aussitôt dans un petit chaudron devant lui. Son regard ne variait pas, pas plus que sa main, ni son couteau qui découpait, puis hachait, puis écartait du plat de la lame les débris de feuilles un peu plus loin pour couper à nouveau d'autres feuilles. La scène se répéta plusieurs fois, jusqu'à ce qu'il ait réduit en miettes assez de feuilles pour plusieurs litres de potion et que cela ne devienne ridicule.
Harry posa son couteau, puis ses deux mains à plat sur la paillasse, se redressa légèrement et tourna un regard dur vers lui.
– Qu'est-ce que tu veux ?
– M'excuser, avoua-t-il. Je suis désolé...
Harry le détailla avec attention pendant quelques interminables secondes, puis se détourna pour saisir un bocal sous l'établi et y mettre toute la belladone qu'il venait de préparer. Il rangea le bocal dans un coin, nettoya le chaudron et la paillasse d'un geste de magie et entreprit de sortir un nouvel ingrédient sur lequel passer ses nerfs.
Sans réfléchir, Severus l'arrêta en posant sa main sur son bras et répéta :
– Harry, je suis désolé. On n'en parlera pas si tu ne le souhaites pas, et je regrette la façon... Je voulais juste que tu saches ce que Maya m'avait dit.
C'était maladroit, assurément, et confus, mais comme entrée en matière, il ne pouvait guère faire mieux. Le reste viendrait au fur et à mesure.
– Je sais ce qu'elle t'a dit, soupira Harry en baissant légèrement la tête. C'est moi qui lui ai demandé de le faire, parce que j'en suis incapable. À Draco, je n'ai pu que montrer certaines choses. Pas en parler... Mais ça ne devait pas être maintenant. Pas en même temps que tout le reste... Je ne veux pas voir ça dans tes yeux.
Severus s'était rapproché de Harry tandis qu'il parlait, passant ses bras autour de la taille de son amant et se collant contre son dos. Il n'avait pas protesté, mais ne s'était pas non plus abandonné dans ses bras comme il le faisait souvent, restant appuyé de ses deux bras tendus sur l'établi, comme sur un point d'ancrage solide.
– Je ne veux pas voir ça dans tes yeux. Je ne veux pas de ta pitié, de ta condescendance, de ta compassion ou quoi que ce soit d'autre !
Severus ricana doucement à l'oreille de son amant, l'attirant un peu plus contre lui.
– J'ignorais même que c'était des qualités dont j'étais pourvu...
Un gloussement discret s'échappa de la gorge de Harry et il se détendit légèrement entre ses bras.
– Harry... je ne te promets pas d'y arriver tout le temps, mais je ferai de mon mieux. Ce qui, venant de moi, est certainement déjà beaucoup !
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Ils passèrent une soirée tranquille, agréable, où pas un mot ne fut dit au sujet de ce qui venait de se passer ou ce qui se passerait le lendemain matin. Chacun était serein à sa manière, et quand vint le moment d'aller se coucher, Harry se leva doucement et salua les deux hommes.
– Bonne nuit. À demain à l'aube, fit-il avec un clin d'œil à Lucius.
L'aristocrate le gratifia d'un sourire complice et chaleureux.
– Je dois dire un mot à Lucius et je te rejoins.
Harry haussa un sourcil surpris il n'avait pas été convenu que Severus passe la nuit avec lui, mais il n'allait pas ergoter sur ce genre de choses. Il se contenta d'un hochement de tête et se retira du Petit Salon avec un dernier regard pour Lucius. Celui-ci n'avait pas l'air contrarié, ni même surpris à vrai dire; cela devait être entendu entre les deux hommes depuis un moment...
La veille, Lucius avait été de sortie pour la fin de soirée, et Harry aurait dû en théorie profiter de son amant toute la nuit... mais il avait été absent. Peut-être son hôte considérait-il cela comme un simple rattrapage de cette nuit manquante... ?
Il ne poussa pas plus loin la réflexion, plutôt heureux de ce revirement de situation, et regagna sa chambre le cœur léger.
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Les elfes avaient tout rangé. Remis à leur place les bibelots, replié et redisposé dans l'armoire ses vêtements, réordonné les livres dans la petite bibliothèque... La chambre était impeccable.
Il passa rapidement dans la salle de bains et revint s'asseoir sur son lit en attendant Severus. Dire qu'il frémissait d'impatience n'était pas loin de la vérité et il gloussa devant cette réaction adolescente. Il désirait soudain ardemment ce moment qu'il n'avait même pas songé avoir, il lui tardait de retrouver son amant, ses lèvres, son corps, le plaisir qu'ils se donnaient mutuellement et effacer enfin toute trace de leur dernière dispute.
Mais Severus tardait et il pouvait tout aussi bien l'attendre sous la couette, disponible et... nu.
Harry se releva et entreprit de défaire un à un les boutons qui retenaient sa chemise. Tout à ses pensées et son désir, il n'entendit pas dans son dos la porte restée entrouverte pour son amant se refermer. Il ne sentit que les deux mains qui se posèrent sur ses épaules pour faire glisser sa chemise jusqu'au sol et lui arrachèrent un frémissement d'excitation.
– Eh bien ? fit-il en souriant, sans se retourner. À présent tu pénètres dans ma chambre sans frapper, sans même t'annoncer ? Sans aucun respect pour mon intimité ?!
– Il est vrai que j'avais très très envie de pénétrer ton intimité, susurra une voix suave à son oreille. J'ignorais que tu avais des réserves à ce sujet...
Les mains de Severus étaient déjà partout sur lui, insidieuses, frôlant sans jamais s'attarder, éveillant son désir qui n'avait pas grand besoin de stimulation.
– Je ne peux pas... vraiment dire ça, avoua-t-il de manière hachée. Mais... il faut un peu de délicatesse... Il y a l'art et la manière...
– Est-ce que tu as des critiques sur ma façon de faire ? ronronna Severus.
D'un geste rapide, il venait de défaire le nœud qui retenait le pantalon de Harry et le laissa glisser sur ses chevilles, dévoilant en toute impudeur le sexe tendu qu'il empoigna soudain en lui arrachant un glapissement de surprise.
– Eh bien... pas vraiment, mais...
Tout allait trop vite, trop fort, Severus collé contre lui, son odeur, la chaleur de son corps, le désir aigu de son propre corps, son cœur qui battait la chamade, le besoin impérieux de soulagement, la pression qu'il exerçait sur son sexe...
Harry renversa la tête en arrière sur l'épaule de son amant et sentit dans son dos les vêtements de Severus disparaître d'un sort informulé. La peau qui toucha soudain la sienne était brûlante, enflammant ses sens et ses envies. Et contre ses fesses se plaqua un désir impérieux et vibrant qui le fit gémir.
– J'ai donc toute autorisation, ronronna à nouveau Severus en écartant ses fesses de ses mains fermes et en posant l'extrémité de son sexe contre son intimité, pour pénétrer ici quand je veux et de la manière que je veux... ?
La pression pour entrer en lui se fit un peu plus insistante tandis qu'une main retournait empoigner son sexe, et la sensation par devant et par derrière le fit haleter et frissonner de fébrilité.
– Oui..., abandonna-t-il en attirant vers lui le visage de Severus pour l'embrasser passionnément.
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Severus plaqua un bras en travers de sa taille pour le retenir et s'insinua peu à peu en lui, tout en dévorant sa bouche, avide et impérieux. Harry étouffa un gémissement désespéré. C'était divin. Cette lenteur, cette douleur qui soulageait son désir, cette épaisseur toute entière en lui, qui écartait, écartelait son intimité jusqu'aux confins de la souffrance et du plaisir. Il se sentait possédé avec bonheur jusqu'au fin fond de son corps et ses mains insatiables vinrent se poser sur les fesses de Severus pour l'attirer encore un peu plus en lui.
Mais Severus ne l'entendait sans doute pas ainsi et il vint prendre ses mains une à une pour les poser loin au-dessus de sa tête, sur le baldaquin du lit. S'appuyant – ou s'agrippant – au montant de bois et de tissu, Harry creusa son corps et cambra ses reins pour venir plus profondément à la rencontre de Severus, comme s'il n'en avait jamais assez. Il devait être parfaitement indécent dans cette position obscène, offrant honteusement son corps et son cul à la pénétration, mais se sentir ainsi exposé sans pudeur augmenta encore son excitation.
Le sexe en lui se mit à bouger, lentement, tandis que les mains de Severus se posaient sur ses hanches, puis remontaient le long de sa taille, de ses côtes, de son torse, des mains puissantes qui bouleversaient sa peau et ses sensations. Harry gémit outrageusement lorsque les doigts s'attaquèrent à ses tétons et tenta de s'en défendre. Mais Severus saisit son poignet et repositionna sa main au-dessus de sa tête, posée sur le baldaquin du lit, comme si elle n'avait pas le droit d'en bouger tant qu'il menait la danse. Après une pression insistante, il le relâcha et les doigts retournèrent malmener ses tétons, lui arrachant des gémissement étouffés, qui devinrent rapidement éhontés, presque des cris tandis qu'il était condamné à se laisser faire.
Severus prenait un malin plaisir à torturer son désir et son impatience, à soumettre son corps aux tourments d'une faim qu'il refusait d'assouvir. Il avait tellement envie de jouir, tellement envie d'être soulagé, d'être pris, d'être rempli, tellement envie de se donner. Presque suspendu au montant du lit tant il était incapable de tenir debout sans appui, arc-bouté en arrière pour s'empaler toujours plus profondément sur le sexe de Severus qui allait et venait en lui de plus en plus rapidement, Harry criait un plaisir qui se refusait encore, qui tardait tant qu'il allait en perdre la raison.
Puis l'orgasme vint, des profondeurs de son corps, dévastateur et renversant tout sur son passage, comme un millier d'étoiles qui explosaient dans sa chair.
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Ils étaient tombés comme des masses quand l'orgasme ne les avait plus soutenus de toute sa tension, s'effondrant sur le lit qui avait énergiquement protesté contre ce traitement inhumain. Leurs corps s'étaient brusquement relâchés, soudain mous, amorphes. Épuisés.
Harry avait mis longtemps à redescendre; son cœur avait mis longtemps à retrouver un rythme calme et régulier, et sa respiration erratique à s'apaiser. Longtemps aussi, il était resté immobile malgré une position qui en d'autres temps aurait pu être inconfortable, une main simplement posée sur le dos de son amant pour prolonger le contact. Leurs corps humides de sueur avaient séché peu à peu, à mesure que la vie leur revenait, ainsi que de larges sourires de contentement.
Il ne savait pas si ça avait été aussi puissant et aussi bon pour Severus, mais pour sa part, il était prêt à remettre ça tous les jours. Jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Il n'avait pas à se plaindre. Severus était un très bon amant, bien au-delà de tout ce qu'il avait connu dans sa jeunesse. La plupart de ceux qu'il avait rencontrés alors étaient à peine plus vieux que lui, et pas beaucoup plus expérimentés. Et même les autres ne lui arrivaient pas à la cheville. Il y avait entre eux cette espèce de connexion qui décuplait les sensations, qui libérait le corps et qui les enivrait. Il n'aurait su dire exactement ce que c'était, mais cette reconnaissance mutuelle, ce qui les liait, rendait tout plus fort, plus intense, plus entier.
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À présent, il était là, étendu sur le dos, et Severus, allongé sur le flanc à ses côtés, la tête appuyée sur la main, l'observait tranquillement à la lueur des braises rougeoyant dans la cheminée. Ils n'avaient pas sommeil, ni l'un ni l'autre, malgré l'épuisement des corps, et le moment semblait appeler la tendresse et la parole. Ils s'étaient rassasiés physiquement l'un de l'autre, mais leurs âmes n'étaient pas comblées ils avaient besoin d'échanger, de partager du temps, de la présence, des mots pour réparer le manque et les manquements que les disputes avaient fait surgir entre eux.
La main de Severus parcourait distraitement le ventre de Harry et son torse, effleurant la peau tout en douceur sans chercher à éveiller son désir, sans doute même pas conscient des arabesques complexes qu'il dessinait sur lui du bout des doigts.
Dans l'obscurité à peine troublée par la lueur orangée des braises, Harry contemplait son amant. Severus était beau. Il était magnifique même, sa peau pâle presque lumineuse dans la pénombre, nu dans toute sa splendeur. Le reflet de lumière qui brillait dans ses yeux sombres semblait y mettre une étincelle de vie ensorcelante. À regarder ainsi son amant, il sentait gonfler dans son cœur et dans son ventre la force de ses sentiments, de son désir et de son attachement, et c'était tout aussi excitant qu'effrayant.
La main de Severus avait glissé vers le bas de son ventre, jouant avec la ligne de poils qui descendait jusqu'à son sexe. Ses doigts s'entremêlaient dans sa toison noire et crépue, entortillant autour de son index des bouclettes serrées qui reprenaient leurs formes initiales comme des ressorts dès qu'il les déroulait.
– Ça t'ennuie ?
Severus tressaillit, comme sorti d'un rêve par le son de sa voix.
– Mmh ? Quoi donc ? fit-il en haussant un sourcil.
– Les poils.
– Ah. Ça..., ricana-t-il. Non. Ça m'amuse... J'ai perdu l'habitude.
Sa main toute entière, maintenant, effleurait sa toison comme un tapis doux et agréable.
– Ah ? Parce que Lucius aussi est... comme toi ?
– Ça s'appelle « glabre », Potter, ricana à nouveau son amant. Et pour répondre à ta question, bien qu'elle soit totalement indiscrète, oui Lucius est comme moi.
Harry se sentit idiot, et c'était très certainement l'intention de Severus, mais il n'allait pas se laisser démonter pour si peu.
– Et si ce n'est pas trop indiscret..., grimaça-t-il. Pourquoi ?
– Par confort, essentiellement. C'est plus agréable pour... certaines pratiques. Et puis c'est devenu une habitude.
C'était sans doute totalement idiot de se sentir mal-à-l'aise de cette conversation étant donné ce qu'ils venaient de faire, mais c'était la première fois qu'ils parlaient de sexualité ouvertement et l'effet était plutôt... déroutant.
– Et tu préférerais que je... ?
Peut-être au final était-ce une bonne chose. Cette question l'avait taraudé depuis leur première fois au Manoir et il n'était pas mécontent d'en avoir le cœur net.
– Je ne préfère rien du tout, Harry, dit Severus avec un regard intense. Tu fais ce que tu veux et je ne vais certainement pas te dire quoi faire avec ton corps. Mais ça ne me dérange pas, si telle est ta question...
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Harry avait perçu quelque chose dans les paroles de Severus, il n'aurait su dire quoi, d'assez sentencieux, presque moralisateur. Un sens caché qui le remettait d'aplomb, droit sur ses pieds, une sorte de considération qui le laissait libre d'exister et de choisir indépendamment de son amant. Il s'était toujours senti ainsi, mais entendre ce libre choix de la bouche de Severus était précieux.
Ses pensées dérivaient; il songeait à eux, à leur relation, aussi complexe et étonnante que la façon dont ils la vivaient, jamais tout à fait seuls, jamais tout à fait chez eux, jamais tout à fait ensemble, et pourtant tout était si vrai et si intense, si douloureux même parfois.
– Pourquoi m'as-tu baisé de cette façon ? La première fois ?
Il n'avait pas eu conscience de son cheminement de pensée et la question était sortie sans l'avoir voulue ou réfléchie, mais c'était trop tard. Severus avait très bien entendu et savait très bien de quoi il parlait. Cette fois-là avait été bestiale et pleine de douleur, sale et honteuse. Honteuse parce que Severus n'avait cherché que son propre plaisir, sans souci de celui de Harry, ou même de son simple confort. Honteuse parce qu'ils avaient eu l'un et l'autre l'impression de trahir Lucius et les promesses qu'ils s'étaient faites à eux-mêmes. Honteuse parce que l'un et l'autre avaient tant attendu et espéré cette première fois alors qu'elle n'avait été qu'un immense gâchis et qu'ils valaient sans doute mieux que ça.
Severus réfléchissait à une réponse honnête; la question ne tolérait pas de demie-vérité et cet « incident » restait comme une ombre entre eux qui avait besoin d'être un jour éclaircie.
– Je ne sais pas... Il y avait autant de colère que d'envie. Je ne voulais pas céder à ce qui me poussait vers toi. Je voulais... détruire dans l'œuf la possibilité que ça puisse recommencer, que tu puisses t'accrocher... Je voulais te faire payer l'attirance que j'avais pour toi, te faire peur, te faire fuir. Salir le désir qu'il y avait entre nous. Détruire ce qui nous unissait.
Harry resta songeur un moment avant d'avouer :
– Tu y as presque réussi... à me faire partir...
– Crois bien... crois bien que je regrette ce qui s'est passé... Mais on ne peut plus rien y changer. Des autres fois, en revanche, je ne regrette rien du tout, ajouta Severus avec un sourire dans la voix.
Harry non plus ne regrettait rien, hormis cette première fois, mais entendre les remords de son amant lui faisait du bien, effaçant la blessure discrète du mépris qu'il avait ressenti alors.
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Il posa sa main sur celle de son amant, un court instant, comme un assentiment fugace, puis la passa sur son propre ventre, là où Severus s'attardait il y a quelques instants. La courbe douce de sa peau effaçait le dessin des muscles nichés dessous, ceux-là même qui étaient si apparents chez Severus, creusés par des heures de natation.
– J'ai grossis..., avoua Harry en souriant.
– Où ça ? ricana son amant. On t'a greffé un os ?
– Oh, je le sais bien. Je le sens, fit-il en caressant à nouveau le léger renflement de son ventre. Je ne mangeais pas autant dans la forêt... Et je faisais sans doute plus d'exercice.
Il le sentait en effet, cette impression permanente de trop-plein et d'être vaguement engoncé dans ses vêtements. Un embarras insidieux qui ne le gênait pas encore trop mais qui ne devait pas prendre de plus grandes proportions.
– Si je comprends bien, je ne te ferais pas faire assez d'exercice ? ronronna Severus.
Un regard dangereux s'était allumé dans les prunelles sombres qui lui faisaient face et Harry ne put s'empêcher de rire devant la menace délicieuse.
– Il faut croire !
– Très bien, répliqua aussitôt son amant avec un sourire jubilatoire. Je te réveille demain matin pour venir nager avec moi, et je te prends demain après-midi pour une séance de duel !
– Tu pourrais plutôt me prendre autrement... ? hasarda Harry avec appréhension face à ce programme corsé.
– Ou tu peux aussi bien rester comme tu es... Qui ça dérange ?
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Le silence s'était installé doucement entre deux morceaux de conversation, présent sans être pesant. Severus n'avait pas bougé, allongé près de lui, son visage posé sur sa main, il l'observait pensivement, presque lointain, et dans son regard passaient des ombres fugaces pleines de gravité et d'émotion.
– Je sais à quoi tu penses, fit brusquement Harry d'un ton plus dur. Je ne veux pas parler de ça.
Severus secoua doucement la tête.
– Je ne pensais pas à ton passé, assura-t-il. Je pensais à demain... Comment est-ce que tu te sens ?
Harry haussa les épaules avec un air sombre.
– Comment ? J'ai l'impression que je vais être crucifié nu en place publique, et que chacun va vouloir venir m'examiner sous toutes les coutures, me disséquer du regard pour comprendre ce que j'étais, ce que j'ai fait, où j'ai disparu toutes ces années, et surtout pourquoi... et que je vais encore devoir me justifier sur tout. Mais bon. Quoiqu'en dise Lucius, ce n'est pas comme si j'avais le choix. Si je veux pouvoir travailler et sortir librement... je dois en passer par là. J'ai survécu à cette inquisition quand je n'étais qu'un adolescent, ça ne va pas m'atteindre aujourd'hui !
– Pourtant avec Molly, tu as fini par perdre le contrôle de ta magie...
– Pas complètement. Et puis, c'était différent. C'était violent parce que c'était elle... elle entre tous. Et sans doute encore plus parce que j'estime qu'elle a raison. Elle a tant fait pour moi... Mais à eux, je n'ai pas de compte à rendre. Ils ne sont rien, ils ne comptent pas. Ni leurs mots, ni leurs jugements. C'est davantage le harcèlement continuel qui est usant. Mais si ça devient trop pénible, je pourrais toujours me réfugier entre les quatre murs du Manoir, comme me l'a proposé Lucius !
Severus fronça légèrement les sourcils avant de ricaner.
– De toute façon, tu y serais tout aussi bien !
– Tu comptes me garder enfermé comme une princesse ? s'amusa Harry.
– J'aimerais pouvoir limiter les tentations, grommela Severus. Une fois que tout le monde sera au courant de ton retour...
Harry émit à son tour un ricanement moqueur envers son amant.
– Jaloux, Severus ?
Dans la pénombre de la chambre, il haussa simplement les épaules sans répondre.
– Pourtant avec Lucius, tu ne l'étais pas ! ajouta Harry. Il a eu des amants en dehors de toi !
Il s'attira un regard sévère, bien plus qu'il ne l'aurait cru en évoquant cette réalité ancienne.
– Que sais-tu de ce que je ressentais ?! gronda Severus avant de s'adoucir. Au début, avec Lucius, nous étions partenaires sans vraiment être un couple. Malgré les sentiments, ou plutôt à côté des sentiments, la liberté était de mise. Cela faisait partie du contrat en quelque sorte. Ce n'est qu'avec le temps que la « fidélité » est devenue plus évidente.
– Pourtant toi, tu n'allais pas voir ailleurs. Seulement lui...
– Je n'ai jamais été quelqu'un qui apprécie particulièrement les relations avec ses semblables, fit Severus en haussant à nouveau les épaules. Pour cela comme pour le reste. Je n'ai jamais eu besoin de plus que lui.
– Pourquoi moi alors ?
Le silence se fit alors que Severus souriait intérieurement : il avait posé la même question quelques heures auparavant à l'âme damnée de Harry. Et Mayahuel avait souri tout autant devant l'évidence de la réponse. Parce que c'était lui, tout simplement.
– Toi c'est différent, murmura-t-il enfin. Tu es une promesse devenue réalité, un espoir que le temps a concrétisé... Et j'ai trop attendu pour vouloir te partager !
– Avec qui que ce soit ? le taquina Harry.
– Avec qui que ce soit !
.
.
Les yeux de Severus ne s'étaient pas détachés de lui malgré l'obscurité grandissante. Il semblait vouloir s'abreuver de son image jusqu'à la dernière once de clarté et la graver dans son esprit jusqu'au moindre détail insignifiant. Sous ce regard pénétrant, Harry se sentait légèrement mal-à-l'aise et surtout profondément pas à sa place.
– Pourquoi est-ce que tu me dévisages ainsi ? railla-t-il. On croirait que tu as oublié ce à quoi je ressemble !
– C'est un peu le cas. J'ai l'impression de ne pas t'avoir vu depuis qu'on est rentrés de Paris... Et même avant.
– C'était il y a deux jours ! protesta Harry en riant.
– Ou une éternité..., fit Severus à mi-voix.
– Est-ce une façon de dire que je t'ai manqué ?...
– Est-ce une honte que de l'avouer ?
.
.
Une main douce s'était glissée dans ses cheveux et avait légèrement tourné son visage pour que Severus puisse venir déposer un baiser délicat sur ses lèvres.
Et puis, toujours incapable de trop longtemps s'épancher et se laisser aller, il s'était levé pour aller se servir un verre d'eau et se rendre dans la salle de bains.
Seul dans le lit, Harry leva les yeux vers le ciel de lit du baldaquin qu'il ne devinait même plus dans l'obscurité de la chambre. Les braises de la cheminée avaient fini par mourir doucement et la seule clarté provenait de la nuit dehors, à travers la fenêtre dont les rideaux étaient restés ouverts. Des étoiles pâles ponctuaient un ciel d'encre et un mince croissant de lune jetait quelques lueurs au gré des nuages qui s'amoncelaient à nouveau et camouflaient sa courbe étroite.
Il ne savait que penser. Severus était étrange : trop ouvert, trop sincère. Il avait baissé des barrières qui étaient pour lui comme une seconde peau, une seconde nature et les aveux qui se cachaient derrière ses paroles, s'ils ne laissaient aucun doute, restaient surprenants. Severus était authentique comme rarement; comme cette fois à Poudlard où il s'était confié sur son métier d'enseignant et ses regrets... Un moment à cœur ouvert, aussi fugace qu'exceptionnel, et cette irréalité avait donné à Harry le même sentiment d'intrusion dans un endroit où il n'avait pas à être, ce sentiment de pénétrer trop avant dans l'intimité de son amant, une intimité morale bien plus précieuse qu'une intimité physique.
Interrompant ses pensées, Severus revint s'allonger dans le lit, sur le dos et légèrement trop loin de lui, comme s'il voulait à présent remettre une distance salutaire entre eux. Mais pour Harry, qu'étreignait un besoin de tendresse après ces confidences précieuses, il n'était pas question de distance physique et il se lova contre son amant, se glissant contre son flanc et dans le creux de son épaule et c'était lui qui caressait à présent pensivement le torse et le ventre de Severus, sa peau si lisse et si douce, si étrangement douce et imberbe.
Et puis le bras de Severus vint s'enrouler autour lui, le ramenant un peu plus près encore de son corps et le serrant avec une force pleine d'émotion. Harry sentit dans ses cheveux le visage de son amant et son inspiration brutale, comme pour se remplir de son odeur.
– Merci...
Le souffle qui s'échappa lentement de Severus ressemblait à un soupir de soulagement et de gratitude mêlés. Harry leva la tête vers son amant, intrigué.
– De quoi ?
Dans ses cheveux, un sourire s'élargit peu à peu et l'étreinte puissante de Severus était chargée d'une émotion qu'il comprenait mal.
– Peu importe, murmura-t-il d'une voix étranglée. Juste « merci »...
Harry releva franchement la tête, fouillant l'obscurité du regard pour tenter de discerner son amant.
– Severus, est-ce que tu vas bien ? interrogea-t-il d'un ton faussement compassé. Tu as déjà dit « je suis désolé » aujourd'hui ! Deux fois, même ! « Je suis désolé » et « merci » dans la même journée, c'est trop pour un seul homme ! Toi, en particulier !
– Tais-toi donc, petit insolent effronté ! sourit Severus en le serrant un peu plus contre lui tandis que Harry ricanait bassement.
Peut-être après tout n'était-il pas le seul à avoir du mal à s'abandonner complètement à des moments de trop grande émotion...
Il resserra encore sa prise sur le corps de Harry, glissa un baiser dans ses cheveux parfumés de soleil et ils restèrent ainsi enlacés jusqu'à ce que le sommeil les prenne l'un après l'autre.
(1) Un petit hommage discret à l'un de mes auteurs favoris: Roger Zelazny (dont l'un des personnages mineurs s'appelle Llewella et parce que le nom m'éclate!). Si vous ne connaissez pas, je vous encourage à aller lire le cycle des Princes d'Ambre, à la lisière entre monde réel et fantasy, et bon nombre de ses autres oeuvres qui tournent autour de l'immortalité et des mythologies du monde.
Toujours un grand merci à ceux qui commentent ou qui mettent en favori. Je vous souhaite à tous de joyeuses fêtes pour ceux qui les apprécient et bon courage à ceux qui ne les portent pas dans leur coeur.
Dans le prochain chapitre, un match de quidditch, une plongée dans le passé de Matthieu et Severus qui agit comme un Serpentard pour parvenir à ses fins.
Au plaisir
La vieille aux chats
