Résumé: Après son passage au Ministère, Harry fait son retour à la vie publique lors d'un match de quidditch, au cours duquel il retrouve de vieilles connaissances comme Blaise Zabini ou les joueuses des Harpies. Il se rend compte à ce moment-là de l'ampleur de l'amour qu'il porte à Severus, ce qu'il finit par avouer à Matthieu lors d'une conversation difficile où le jeune professeur de potions explique également les liens qui l'attachent à son mentor. De son côté, Severus extorque à Lucius la promesse d'un week-end en Provence tous les trois.
Pour bien commencer en ce premier janvier, voici un nouveau chapitre... Un de mes préférés, au demeurant. Vous me direz ce que vous en avez pensé ;)
Je vous souhaite à tous une merveilleuse année, et en ces temps difficiles, pensez à autre chose, restez optimistes et faites des choses qui vous font du bien...
De son œil encore novice, l'entrée de Sainte-Mangouste était une petite ruche, bourdonnante de mouvements, de voix, de pas pressés et de silhouettes à peine entrevues. Harry entendit bien quelques murmures sur son passage mais refusa de d'y attarder. La jeune femme de l'accueil lui indiqua son chemin avec un sourire fatigué, s'excusa avec embarras lorsqu'elle le reconnut et passa avec résignation à la personne suivante dans la longue file qui patientait devant son comptoir.
Harry frappa à la porte du bureau où on lui avait donné rendez-vous, dans une aile éloignée des bâtiments principaux. Ici se trouvaient tous les services annexes de l'hôpital : les laboratoires de biologie, de recherche, de potion, mais aussi les cuisines, la blanchisserie et certains services administratifs.
Une voix jeune et claire l'invita à entrer et il vit se lever à son arrivée un homme de son âge, petit et presque fluet, avec des lunettes rondes et des cheveux bruns en bataille qui lui donnaient l'air d'un savant fou. Sa blouse blanche restait ouverte sur un tee-shirt informe et à la couleur indéfinissable tombant mollement sur un jean à la mode moldue. Son visage banal s'éclaira d'un franc sourire qui le rendit tout de suite plus attrayant et il serra la main de Harry avec une sympathie qui n'était pas feinte.
– Harry Potter ! Enchanté ! Sam Samson ! Je dirige le laboratoire appliqué de potions et je suis chargé de vous installer dans nos murs. Et je suis aussi un ami de Matt LeBihan et de Neville Londubat.
– Oh, fit Harry, surpris. Je... J'ignorais. Enchanté !
– Venez. Je vous montre votre bureau et votre laboratoire personnel. Et si vous avez des questions à me poser, n'hésitez pas, c'est le moment !
Avec une énergie étonnante, Sam lui fit parcourir tout l'étage, signalant au passage les différents laboratoires et le présentant à quelques personnes dont les noms et les visages se mélangeaient déjà dans sa tête. Au bout de quelques minutes, ils parvinrent dans une vaste pièce richement meublée qui, en plus de l'inévitable bureau – davantage digne d'un ministre que d'un simple assistant –, contenait également deux canapés, des fauteuils, un secrétaire de bois précieux et nombre de bibelots, sculptures et autres tableaux qui lui donnaient l'impression de se retrouver de nouveau au Manoir.
– Hum.
Le grognement désapprobateur lui avait échappé, mais son guide, lui, n'en avait rien perdu.
– Ça ne vous convient pas ? Ils ont fait de leur mieux. La direction a donné ses consignes mais...
– C'est très bien, sourit Harry. Mais je ne sais pas ce que je vais faire de tout ça. J'ai besoin d'un bureau pour travailler, pas d'une pièce de réception. On doit pouvoir asseoir au moins quinze personnes ici !
Sam gloussa avec lui et fit tinter une clochette argentée posée sur le bureau, faisant apparaître une elfe de maison.
– Kitty. Monsieur Harry Potter voudrait changer la décoration...
Le visage de la créature prit un air catastrophé et elle se mit à se triturer les mains nerveusement.
– Oui, Monsieur Harry Potter ? Qu'est-ce qui ne va pas avec la décoration, Monsieur ?
– Rien. Tout va bien, Kitty, mais il y a beaucoup de choses dont je n'ai pas besoin. Je voudrais que tu m'enlèves tout ça et que tu laisses juste un bureau et un ou deux fauteuils... Et si la pièce est plus petite, ça me va très bien.
– Enlever tout, Monsieur ?! s'étrangla l'elfe de maison. Même... même les objets ? Les tableaux ? Les vases ?
Harry pouffa discrètement pour ne pas vexer la créature et confirma :
– Tout sauf un ou deux fauteuils. Et si tu avais même un bureau moins... précieux. Quelque chose qui ne craigne rien si je pose un chaudron brûlant dessus, par exemple... Ah, et je veux bien une bibliothèque par contre. Quelque chose de simple, quelques étagères et c'est tout.
Elle écarquilla encore un peu plus ses yeux globuleux et s'inclina en tremblant légèrement.
– Bien... bien, Monsieur.
– Attendez, intervint Sam visiblement amusé. Venez donc jeter un œil au laboratoire à côté, vous aurez peut-être quelques modifications à effectuer.
Par une porte communicante, ils pénétrèrent dans la partie technique de son bureau, une vaste pièce claire dotée de plusieurs établis de travail et de meubles d'herboristerie pour ranger ses ingrédients. Les paillasses étaient très modernes, en métal chromé, rutilantes comme un sou neuf, et pourvues d'équipements auxquels Harry n'entendait rien. Dans un coin de la salle, une série de chaudrons tout aussi brillants attendaient, sagement alignés, de pouvoir servir, mais les nombreux gadgets dont ils étaient pourvus ne lui disaient rien qui vaille.
– Qu'est-ce que c'est ? fit Harry en désignant les commandes de couleur sur la tranche de la paillasse.
– Établi de potion dernier cri, expliqua Sam en souriant. Foyers escamotables, jusqu'à quatre feux simultanés, auto-nettoyantes et ignifugées. Là-bas, vous avez les chaudrons avec température programmable, ceux à ébullition constante, les anti-débordements, ceux avec filtre ou avec mélangeur intégré. Et dans les placards au fond, vous avez sans doute tout un assortiment de louches et de cuillères enchantées, des séparateurs d'ingrédients, des balances nanogrammiques, etc...
Harry étouffa un fou rire sans doute déplacé mais Sam avait bien compris l'origine de son hilarité et il finit par rire de concert avec lui. À côté de cet endroit, le laboratoire de Severus passait pour un musée des antiquités, mais il préférait ça à cette débauche de gadgets inutiles.
– Kitty, s'il-te-plaît, fit-il à la créature qui se tenait discrètement derrière eux. Pourras-tu enlever tout ça et me mettre deux établis en bois, tout simples, juste des tables de travail en fait, sans enchantements et sans équipements particuliers. Et je voudrais des chaudrons sans... rien du tout. Juste un récipient de métal avec une anse. Une dizaine. Et s'ils sont en cuivre, tu auras toute ma reconnaissance... Est-ce que tu aurais ça ?
– Je... je ne sais pas, Monsieur Harry Potter. Habituellement, nous ne fournissons pas de chaudrons sans artifices, mais je vais chercher, Monsieur. Je vous trouverai des chaudrons en cuivre qui ne sont que des chaudrons, Monsieur.
– Oh, et Kitty... ? Si tu veux quand même redécorer le bureau, tu peux mettre des plantes...
– Des plantes, Monsieur ?! Quelles plantes ?
– Ce que tu veux mais beaucoup. Des plantes, des arbres, des fleurs... tout ce que tu veux. Je te laisse juge de ce qui convient.
Le sourire de l'elfe s'élargit considérablement devant l'honneur et la responsabilité qui lui étaient confiés et elle s'inclina jusqu'au sol en rougissant de bonheur.
– Ce sera fait, Monsieur.
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Une fois l'elfe disparue pour accomplir sa mission, Harry s'aperçut du regard franchement amusé de Sam et de son sourire enchanté.
– Matt et Neville m'avaient parlé un peu de vous mais je dois dire que je ne les croyais qu'à moitié.
– Je ne sais pas ce qu'ils ont pu vous raconter à mon sujet, fit Harry en riant, mais je vous assure que tout est faux ! Je ne suis pas celui que vous croyez !
– C'est on ne peut plus vrai !
Harry ne savait pas au juste à quelle partie de sa phrase Sam acquiesçait mais il n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet. Le responsable du laboratoire avait déjà enchaîné sur des explications rapides indispensables à la survie de Harry au sein du département des Potions : comment se procurer les ingrédients qui lui étaient nécessaires, les autorisations à obtenir pour certaines préparations ou l'usage de certains produits, les personnes à qui s'adresser en cas de besoin, et le plus important : le fonctionnement du self.
– Je ne suis pas sûr de manger souvent ici, confia Harry en songeant à Severus qui rentrait quasiment tous les midis pour déjeuner avec Lucius.
– Comme vous voulez. J'aurai peut-être l'occasion de vous croiser pour un café, alors, proposa Sam en passant sa main dans ses cheveux puis en regardant sa montre. Je ne veux pas vous paraître cavalier, mais je vais devoir vous laisser finir de vous installer seul, maintenant. L'hôpital est en pleine épidémie de dragoncelle et mon service est débordé par les commandes des médicomages.
Depuis quelques minutes, Harry s'était rendu compte qu'il trépignait sur place et paraissait sans cesse sur le départ, inquiet du temps qu'il « perdait » en sa compagnie.
– Je peux peut-être vous aider, si vous avez besoin, proposa-t-il. Mon poste est rattaché au département de Médicomagie, mais également à celui des Potions. Si je peux vous être utile...
– Ce ne serait pas de refus, avoua Sam en se dirigeant déjà vers la porte. Mes deux meilleurs potionnistes ont démissionné il y a un mois et depuis, je cours en permanence après les chaudrons.
En remontant d'un pas rapide vers le laboratoire principal, il prévint Harry :
– Vous savez, ce n'est pas de la grande potion, ce que nous faisons. Je sais bien que ce n'est pas digne de vous, vous êtes là pour faire de la recherche, des potions de grand pouvoir ou ce genre de choses. N'est pas Brian Evans qui veut ! Mais avec cette épidémie et l'hôpital qui est particulièrement rempli en ce moment, nous sommes débordés. Il faut brasser de la pimentine ou des potions antalgiques par dizaines de litres chaque jour, sans parler des commandes spéciales ou des préparations plus rares et délicates. Et les assistants qui me restent ne sont pas à la hauteur de ceux qui sont partis. Qui n'ont pas été remplacés au demeurant. La direction a préféré employer son argent à vous faire un bureau digne du directeur lui-même !
En posant la main sur la poignée de la porte, Sam se rendit compte de ce qu'il venait de dire et lui jeta un regard effaré.
– Désolé.
Harry éclata de rire en pénétrant dans le laboratoire à sa suite.
– Je suis tout à fait d'accord avec vous, vous savez. Et j'en suis vraiment navré. J'irai en toucher un mot au directeur dès que nous aurons fini de brasser une dizaine de litres de pimentine !
Sam eut un rire nerveux, encore mal-à-l'aise et le présenta rapidement aux membres de son équipe dont tous les visages s'étaient tournés vers eux à leur arrivée. Une demie-douzaine de personnes, l'air passablement épuisées et en sueur, surveillaient des dizaines de feux sur lesquels bouillonnaient des chaudrons imposants, tout en préparant les ingrédients nécessaires aux étapes suivantes. Les regards sur Harry étaient ou admiratifs, ou méfiants, mais ils étaient surtout graves, et la fatigue se lisait sur tous les visages.
La taille du laboratoire était impressionnante mais il donnait une impression de décrépitude qui le désola. Contrairement au laboratoire mis à sa disposition, ici les paillasses n'étaient pas automatisées et plusieurs des assistants tenaient une louche dans chaque main, réalisant la prouesse de mélanger un chaudron de chaque côté à un rythme différent tout en surveillant un troisième. Dire qu'ici, dans ces conditions-là, étaient préparées toutes les potions destinées aux patients de Sainte-Mangouste ! Même s'ils faisaient certainement tous de leur mieux, le risque d'erreur ou de mauvaise manipulation était grand et ce n'était tout simplement pas digne d'un hôpital si respecté. Au moins, il savait où allait finir tout ce dont il ne voulait pas dans son propre laboratoire.
– Alors ? Que puis-je faire ? s'enquit Harry en retroussant le bas de ses manches.
– Eh bien..., hésita Sam en parcourant du regard la liste des préparations en cours et en attente. J'ai une commande de Potion Tue-Loup assez urgente et que je ne peux pas leur laisser faire. Ce serait dans vos cordes ?
Son regard glissa vers Harry en quête de sa réponse et, devant son sourire amusé, il réalisa brusquement son erreur.
– Oh ! Je... Désolé. Encore une fois. C'est-à-dire... Je suis idiot, je ne sais plus si je parle à Harry Potter ou à Brian Evans ! fit Sam en ricanant amèrement de honte.
– Ce sera plus simple quand vous parlerez seulement à Harry, répondit-il doucement avant de rire de bon cœur. Mais la potion Tue-Loup devrait être dans mes cordes, oui.
Sam le conduisit vers une paillasse inoccupée dont il repoussa le bazar ambiant d'un grand geste du bras.
– Je ne vous ferai pas l'affront de vous donner la recette, mais vous trouverez les ingrédients dont vous avez besoin...
– Si si, pouffa Harry. Vous pouvez me faire cet affront. Là où j'étais, ce n'était pas une potion que je préparais exactement tous les jours. Et j'avoue ne plus me souvenir de la recette. Mais avec un bon manuel de première année, je vous assure que je m'en sortirai.
Derrière lui, il entendit un ou deux gloussements et le sourire sur le visage de Sam était impayable.
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Au final, Harry ne rentra même pas déjeuner. Il se contenta, avec le reste de l'équipe, de sandwiches et de bièraubeurres que Sam fit venir par un elfe de l'hôpital et ils mangèrent sur le pouce en surveillant les préparations en cours. Au fil de la journée et des bribes de conversation, les assistants de Sam se déridèrent peu à peu et, s'ils n'en disaient encore rien, ils étaient reconnaissants à Harry de ce coup de main inestimable qu'il leur apportait.
Il partit parmi les derniers, fourbu et éreinté de cette journée passée au-dessus des chaudrons, avec en prime une migraine due aux effluves des potions et à la concentration. Cela faisait bien longtemps, peut-être même depuis ses études à Durmstrang et Beaux-Bâtons qu'il n'avait pas travaillé ainsi, des heures d'affilée, sans même prendre le temps d'étirer ses muscles douloureux et courbaturés. Sa nuque lui faisait un mal de chien et il sentait dans ses épaules et ses bras les tensions d'une position trop longtemps maintenue et de gestes répétitifs.
Le Manoir était calme et silencieux à son arrivée et Harry grimpa rapidement dans sa chambre pour prendre une douche. Une fois rafraîchi et débarrassé des odeurs de potion, il descendit à la Salle à Manger où Lucius et Severus venaient de s'installer pour dîner.
– Tu rentres bien tard, fit son amant. Alors, cette première journée ? Elle semble avoir été diablement longue !
– Je suis lessivé, avoua Harry en riant. J'ai mal partout et je donnerai n'importe quoi pour un bon massage !
Un regard suffit entre ses hôtes pour qu'ils se comprennent et Lucius acquiesça très discrètement à la question muette de son compagnon.
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Le thé qu'ils prirent après le dîner ne suffit pas non plus à le réveiller. Harry enchaînait les bâillements à tel point que Severus lui intima l'ordre d'aller se coucher, ce qu'il accepta sans aucune difficulté.
Quelques minutes plus tard, Severus le rejoignit et le trouva nu dans sa chambre. Harry avait juste défait les boutons de sa chemise et l'avait laissée glisser au sol avec son pantalon, sans même les ramasser, et il s'allongea comme une masse sur le lit.
– Massage..., grommela-t-il, le nez dans l'oreiller.
– Tu ne crois pas que tu exagères ?! ricana Severus en venant s'asseoir à côté de lui.
Harry émit un son indistinct qui se transforma en gémissement de bien-être lorsque les mains de son amant se posèrent sur ses épaules. Il se sentit fondre sous le massage, les tensions de ses muscles se dénouèrent peu à peu jusqu'à ce qu'une vague de quiétude ne le parcoure, envahissant l'ensemble de la chambre.
Il perçut bien les doigts de Severus interroger sa peau à l'endroit de sa cicatrice sur son dos, la suivre sur toute sa longueur, guettant la douleur ou la simple réaction, mais Harry se laissa porter par la sérénité plus que par les souvenirs, et il finit par s'endormir sans savoir s'il s'était glissé de lui-même sous les draps ou si Severus les avait tirés sur lui.
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Toute la semaine s'écoula sur le même rythme. Harry travaillait d'arrache-pied dans le laboratoire de Sam et, avec toute son équipe, ils abattirent un travail monstrueux. Les paillasses automatisées qui avaient migré de son bureau vers le laboratoire firent le bonheur des assistants et leur simplifièrent la vie, et le vendredi, ils avaient épuré toutes les commandes en retard et reconstitué les stocks des potions les plus utilisées.
Au fil des jours, l'équipe avait changé d'attitude avec lui. Les visages s'étaient ouverts, les gens souriaient davantage et les plaisanteries fusaient d'un bout à l'autre du laboratoire, déclenchant des fous-rires qui faisaient plaisir à entendre. Certes, il n'avait pas remis un pied dans son bureau et il n'avait encore commencé aucune recherche, ni même eu le temps de se présenter aux médicomages avec qui il était également censé travailler; certes, il était épuisé de ces journées à rallonge passées à Sainte-Mangouste... mais Harry était ravi. Il se sentait utile, motivé et à sa place.
Severus, en revanche, était moins ravi. Harry était devenu un fantôme, qui ne rentrait au Manoir que pour dîner, bâiller dans le Petit Salon et aller se coucher pour dormir comme une pierre. Parfois il se levait tôt le matin pour venir nager avec lui, mais ce n'était même pas systématique, et durant les deux nuits qu'ils passèrent ensemble, ils ne firent que dormir.
Dire que Severus était frustré et agacé était un euphémisme, et même Lucius ressentait le changement de comportement de son compagnon. Sans parler du fait que le Manoir lui semblait bien vide à présent. Il s'était habitué à la présence quasi-constante de Harry, à leurs discussions et à leurs promenades ensemble, comme si cela durait depuis toute une vie et le jeune homme lui manquait. Presque physiquement. Son rire, son regard pétillant de malice et sa magie si particulière. Harry absent, le Manoir était terne et froid.
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Un grand-duc majestueux frappa du bec à la fenêtre du laboratoire de Sam et attendit, tranquillement posé sur le perchoir extérieur, que Harry vienne détacher le parchemin de sa patte. Il mâchouilla gaiement la friandise qu'il lui donna puis s'envola vers l'horizon brumeux avec une aisance et une grâce admirables.
Même sans sa signature, Harry reconnut l'écriture de Draco et un sentiment troublant de gêne et d'appréhension le saisit en lisant le message.
« À partir de dix-huit heures à la maison et sans lui. Blaise, Luna et Padma seront présents, ainsi que Georges et Angelina Weasley. On compte sur toi ».
Dessous, une écriture enfantine avait rajouté « et moi aussi ».
Il avala péniblement sa salive, réfléchissant déjà à la façon dont il allait pouvoir présenter ça à Severus, et aucune bonne excuse ne lui vint à l'esprit.
Un peu plus tôt, Draco l'avait invité à venir dîner chez lui le samedi soir sans autre précision. Et la réponse à son message lui demandant à quelle heure ils devaient venir ne laissait aucun doute. Severus n'était pas convié et il ne s'agissait pas d'un dîner « en famille » avec Lucius.
En temps ordinaire, Harry supposait déjà que Severus aurait grincé des dents à cette invitation entre « jeunes ». Draco était un de ses meilleurs amis mais aussi le filleul de son amant. C'était un des rares cas où la différence d'âge avec Severus se faisait sentir et où le mélange des rôles restait complexe à gérer.
Sans parler du fait qu'il avait été quasiment absent toute la semaine, se contentant de rentrer pour manger et dormir et que l'agacement de Severus n'avait fait que croire au fil des jours. Harry savait que son amant attendait avec impatience le week-end pour passer un peu plus de temps avec lui... Cette invitation tombait comme une douche froide.
Et au vu de la fin du message de Draco, sans même parler du mot de Minerva, il ne pouvait se dérober à ce dîner. Et il ne le souhaitait certainement pas.
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Harry s'attendait à des orages et il ne fut pas déçu. Après avoir aboyé quelques instant sa fureur, Severus se tut, lui lança un regard incendiaire et quitta la Bibliothèque en claquant la porte. La mort dans l'âme et fatigué par avance de la bataille qui l'attendait pour reconquérir son amant, Harry se leva et partit à sa recherche.
– Que se passe-t-il ? fit Lucius en le voyant passer. J'ai entendu Severus... légèrement mécontent.
Niché dans son fauteuil habituel du Petit Salon, l'aristocrate l'observait et son regard ne laissait rien au hasard.
Harry lui expliqua brièvement la raison de la colère de Severus et la réaction virulente qui avait suivie.
– J'imagine que cela devait arriver un jour, répondit posément Lucius. Severus aura toujours du mal avec ce fait-là, je pense. Que tu aies le même âge que mon fils ou que Matthieu ne lui pose aucun problème en privé, quand il est seul avec toi ou au Manoir. Mais quand il y est confronté directement parce que tu sors ou que tu vas dîner avec des gens de ton âge, parce que tu partages d'autres choses avec eux, c'est plus délicat... Dans l'absolu, Severus doit même penser que tu n'as pas besoin de voir d'autres personnes que lui, ajouta-t-il avec un rire moqueur. Mais il s'y fera...
Harry soupira en s'abandonnant dans le fauteuil. Il pouvait comprendre plus ou moins les réactions de Severus mais il refusait de vivre sous cloche pour autant. Quoi qu'il ressente pour son amant, sa liberté était non négociable.
– Et on peut dire que tu choisis mal ton moment ! Après la semaine que tu viens de lui faire vivre, tu seras encore absent une bonne partie du week-end ! Tu voudrais le mettre en rogne, tu ne t'y prendrais pas mieux... Mais Severus n'acceptera pas longtemps d'être relégué au second plan, Harry.
Il se redressa brusquement, voulut protester, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Lucius avait raison. Et l'avertissement qu'il lui donnait, pour menaçant qu'il soit, était sans doute nécessaire.
Harry soupira à nouveau, conscient du chemin qu'il lui restait à faire avec son amant, mais Lucius avait déjà repris :
– J'ai une proposition à te faire... Je me charge de faire revenir Severus dans de bonnes dispositions, mais tu ralentis le rythme à Sainte-Mangouste. Tu fais l'effort de rentrer plus tôt et d'être plus présent au Manoir. Et surtout, tu nous réserves le week-end prochain. J'ai envie de partir un peu, de changer d'air et Severus ne voudra pas partir sans toi. Moi non plus d'ailleurs, ajouta-t-il en souriant alors que Harry s'apprêtait à protester devant cette impression d'être une charge pour lui. On partira le vendredi soir, dès que vous serez revenus de la Librairie et de Sainte-Mangouste, et on rentrera le dimanche soir... Peut-être... Si vous avez été agréables.
Le sentiment de se faire promener par le bout du nez agaça Harry un instant, mais la perspective de cette petite escapade était aussi attrayante que celle du dîner avec Draco. Il le devait bien à Severus, mais il aurait accepté même s'il n'avait rien eu à se faire pardonner.
– Où ça ? demanda-t-il seulement.
– La France, fit Lucius en souriant discrètement de cet accord tacite. En Provence, très certainement. On y possède une maison et ça fait bien longtemps que l'on n'y a pas passé quelques jours... C'est un endroit que Severus aime beaucoup.
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Sans comprendre comment il s'était débrouillé – peut-être parce qu'il avait des scrupules à laisser Severus et qu'il avait tardé à partir – Harry arriva bon dernier chez Draco. Tout le monde était déjà confortablement installé au salon, avec une bière ou un verre de vin à la main. Seule Daphnée sirotait un cocktail de fruits qui lui fit presque envie.
Quand elle se leva pour l'accueillir, il remarqua son ventre qui s'était joliment arrondi et son air radieux. Il l'embrassa chaleureusement en tentant de se dépêtrer de Minerva qui avait sauté dans ses bras et ne voulait plus en descendre.
– Minerva, enfin ! Tu n'es plus un bébé ! gronda Draco. Laisse Harry arriver tranquillement !
Après s'être fait rabrouée, elle consentit enfin à redescendre, non sans rester près de lui, et Harry put saluer correctement chaque invité.
Une conversation animée et joyeuse reprit rapidement après l'interruption de son arrivée et Harry se sentit immédiatement emporté dans cette atmosphère chaleureuse. Il répondit à un mot par-ci, une question par-là, discuta un moment de quidditch avec Angelina assise à côté de lui – et réitéra sa promesse de venir jouer pendant un entraînement de l'équipe –, interrogea Daphnée à demi-mots pour savoir si sa grossesse se passait bien et questionna Draco sur la fin de saison de son équipe.
– Il reste un match le week-end prochain : une simple formalité contre le dixième du classement... Et puis le match final contre les Canons qui sera beaucoup plus ardu, mais que nous devrions gagner ! N'est-ce pas Angie ?!
– Si Katie ne casse pas encore son balai ! ricana-t-elle.
– Je la ferai jouer sur un balai de remplacement pour les entraînements et l'échauffement avant le match !
– Je peux proposer mes services, si vous voulez, fit Georges avec un sourire moqueur. J'ai en stock des balais pour enfant, anti-casse, anti-feu, anti-retournement et même avec une ceinture de sécurité !
– Elle serait ravie !
– Moi, je veux bien un balai comme ça, papa, fit Iris sur les genoux de Blaise. Comme ça, tu me laisseras en faire dans le jardin ?
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– Non, j'ai arrêté de travailler pour l'instant, répondit Daphnée. Ça me tirait trop sur le ventre et j'avais des contractions le soir... Ça m'ennuie pour mes collègues, mais je ne veux pas prendre de risques.
– Tu as raison, dit Padma en hochant la tête. C'est une troisième grossesse, et une grossesse sorcière en prime. Tu fais bien de te ménager. D'autant que tu as déjà bien assez à gérer avec la maison et les filles à t'occuper.
– Oh, de ce côté-là, je n'ai vraiment pas à me plaindre ! Les filles sont adorables et elles font beaucoup d'efforts, et j'ai capitulé auprès de Draco : je lui laisse faire tout le ménage, la vaisselle et le linge à la mode sorcière !
– Qui aurait dit qu'un jour tu deviendrais un professionnel des sortilèges ménagers ?! ricana Blaise en claquant sa main sur la cuisse de Draco. Si Pansy voyait ça !
– Laisse Pansy où elle est ! lâcha Draco en époussetant son pantalon. Et je n'ai aucun problème avec le fait de faire le ménage chez moi.
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– Où en sont les travaux à Poudlard ? demanda Harry à Luna. Neville a lancé le début des projets ou pas encore ?
– Pas encore. Dès que les examens seront passés et que les élèves seront partis... Pour l'instant, il réfléchit à une nouvelle extension des serres et à un programme d'échange avec Ilvermorny.
– Il n'arrêtera jamais d'avoir de nouvelles idées !
– C'est un rêveur, fit Luna tout aussi rêveuse. Il veut rendre à Poudlard tout ce que Poudlard lui a donné...
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– Et Sainte-Mangouste, c'est comment ? lui demanda Draco.
– Harassant ! fit Harry en riant. Toute la semaine, je n'ai fait que travailler, manger et dormir ! Et je n'ai même pas encore commencé mes propres recherches ou mis un pied dans mon bureau.
– J'imagine que ça a grincé des dents...
– Légèrement.
– Et pour ce soir ?
– Je te dirai combien de temps ça me prendra pour l'amadouer à nouveau, répondit-il en riant tandis que Draco grimaçait d'un air désolé.
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– Vous êtes venus sans les enfants ? fit Harry.
– Oui, avoua Angelina. Ils se seraient bien amusés avec Minerva et Iris, mais une soirée de libre de temps en temps, ce n'est pas de refus ! Et puis Roxanne est assez terrible en ce moment. Vivement qu'elle aille à Poudlard et qu'elle fasse subir à d'autres ce qu'elle nous fait subir !
– C'est sympathique pour nous ! fit Padma avec un air faussement outré.
– Elle n'est pas si terrible ! protesta Georges en mettant sa main devant la bouche de sa femme. Elle est juste... maline, ingénieuse et très curieuse.
– Qu'est-ce qu'elle a encore fait comme bêtise ? demanda Luna à Angie.
– Elle expérimente, répondit-elle en dégageant d'une tape la main de Georges. Il ne se passe pas une journée sans qu'elle ne teste un sortilège ou une métamorphose. Avec des résultats plus ou moins heureux. Hier, elle a transformé toutes mes cuillères de bois en serpents. Je ne t'explique pas la peur que j'ai eu en ouvrant le tiroir de la cuisine !
– Elle a de l'idée, hein ! ricana Georges.
– Je sais que tu es fier de ta fille, mais tu pourrais me soutenir un peu plus !
– Elle sent que sa magie augmente à l'approche de son onzième anniversaire, fit Luna. Elle a besoin de s'y confronter et d'apprendre... Dès qu'elle sera à Poudlard, elle sera davantage concentrée sur ses apprentissages et elle sera plus calme à la maison.
– Il suffirait peut-être de lui confisquer sa baguette, sourit Harry.
– Mais elle est confisquée ! Et sous clef, comme toutes nos baguettes de secours. Mais Georges avait laissé traîner la sienne, évidemment.
– Je la soupçonne de toute façon d'avoir une baguette cachée quelque part, se dédouana son mari. Ce n'est pas ton frère qui avait perdu la sienne l'été dernier... ?
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– Tu as des projets pour cet été ? fit Draco à Blaise.
– Non. Rien de précis. Il y a encore deux ventes aux enchères qui m'intéressent à la fin du mois. Et puis je voudrais bien finaliser cette vente avec ton père... Après je ferai une pause jusqu'à la rentrée, je pense.
– Tu viens avec nous à Torquay ? demanda Daphnée en se penchant en avant pour le voir malgré la présence de Draco entre eux.
– Je ne sais pas. Vous partez quand ? En août comme d'habitude ?
– Oui. Après l'anniversaire de Lucius. Ça ferait plaisir aux filles...
– Oh oui ! S'il-te-plaît ! supplia Iris avec un regard implorant. Viens avec nous. On fera du bateau comme l'année dernière !
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– C'est dommage, fit Harry à Georges en riant. J'aurais bien voulu voir à quoi ressemblait ta Terreur ! Qui est en charge de sa surveillance du coup ?!
– Molly. Il n'y a qu'elle qui ait les reins assez solides pour ça ! Son frère ou ses parents se font avoir à chaque fois, se moqua Georges avec un coup de coude à Angelina.
– C'est sûr qu'elle a été à bonne école avec toi et Fred ! répondit-elle vivement.
Dans le brouhaha des conversations qui se croisaient, Harry marqua un léger temps d'arrêt que Georges nota immédiatement.
– Je suis allé la voir, tu sais..., fit-il un ton plus bas.
Tous les deux appuyés au fond du canapé, ils discutaient derrière le dos d'Angelina.
– J'ai su. Elle ne m'en a pas parlé directement mais je l'ai su par Bill et Charlie.
Harry s'efforça de ne pas relever le nom de son ancien amant.
– J'ai su aussi que tu lui avais envoyé une lettre...
– Quand je suis allé la voir, elle ne m'a pas vraiment laissé le temps d'en placer une !
Un rire amer lui échappa.
– J'imagine... Elle t'en veut beaucoup. Mais Bill lui a parlé... Fred aussi. Il faut lui laisser du temps...
Il acquiesça. Que pouvait-il faire d'autre de toute façon ?
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– Neville ne pense pas la même chose, mais moi j'ai hâte d'avoir Roxanne à Poudlard, fit Luna à Angelina. Ça fait bien trop longtemps que le château n'a pas connu de Weasley entre ses murs !
– Et moi, tata Luna ? fit Minerva assise à ses pieds. Tu seras contente que je viendrai ?
Harry remarqua le regard surpris de Georges et Angelina tandis que le visage de Luna s'éclairait d'un vaste sourire.
– Bien sûr, ma chérie ! Je ne rêvais que de ça pour toi!
– Même si je suis pas dans ta maison ? Ou celle de Paddy ?
– Ça n'a aucune importance, ma puce, intervint Padma. Le choixpeau te mettra là où il t'estimera le mieux. Quelle que soit la maison.
– Papa veut que j'aille à Serpentard...
– Et je suppose que tes grands-pères et ton parrain aussi ! ironisa Luna. Mais ce ne sont pas eux qui décident !
– Et on survit très bien à Gryffondor, tu sais, fit Harry en souriant. Georges et Angie peuvent aussi te le dire.
Les deux sorciers acquiescèrent en silence, hésitant à intervenir dans une conversation qu'ils jugeaient sans doute surréaliste. Visiblement, Draco ne leur avait pas encore fait part du changement de Minerva et l'incrédulité s'affichait nettement sur leurs visages.
– D'ailleurs, fit Harry à Luna. Ce dont je t'avais parlé est prêt et je te l'ai apporté...
– Oh ! s'extasia-t-elle. Je peux voir ?
Il jeta un coup d'œil circulaire dans le salon, sous-entendant que l'endroit n'était peut-être pas très approprié.
– Au contraire, fit-elle d'un ton très doux. C'est l'Endroit et le Moment. Offre-lui.
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Désarçonné était le mot. En deux phrases, Luna l'avait déstabilisé de manière surprenante, suggérant presque que l'instant coïncidait avec les étranges « visions » qu'elle avait du futur. Il hésita un instant puis sortit des ombres où il était caché, un petit coffret de bois précieux qu'il lui tendit. Luna secoua la tête et désigna du regard la petite fille curieuse assise en tailleur sur le tapis qui semblait, tout autant que sa marraine, consciente de l'importance de l'instant.
– Je... Minerva, ceci est pour toi, commença Harry tandis que toutes les têtes se tournaient lentement vers eux. Je sais que tu es un peu jeune encore et que normalement, c'est le rôle de tes parrain et marraine... Mais avec l'accord de Luna...
Il quitta un instant le regard grave de la petite fille pour croiser celui, surpris et curieux, de Blaise.
– Je suis désolé, je n'ai pas pensé à...
Blaise secoua la tête à son tour.
– Si Luna a donné son accord, il n'y a aucun problème, Harry. Je lui fais entièrement confiance pour agir dans l'intérêt des filles.
Harry hocha la tête et plongea à nouveau dans les grands yeux sombres de Minerva.
– Ta première baguette, ma puce..., fit-il en lui tendant le coffret.
Elle écarquilla des yeux si vastes qu'ils lui mangeaient le visage et défit d'une main tremblante et incrédule le ruban qui fermait la boîte. Du fond de son fauteuil, Draco couvait sa fille d'un regard fier et attendri à la fois.
La baguette de bois blanc crème frémissait tant entre ses doigts que Harry prit Minerva dans ses bras et enveloppa la main de l'enfant de sa propre main. Aussitôt apaisée par la présence de la magie à laquelle elle était liée, Minerva se détendit et parvint à esquisser un sourire ému.
– Laisse-toi aller, murmura Harry à son oreille. Ferme les yeux et glisse-toi dans la baguette comme si c'était le prolongement de ta main...
Il avait fermé les yeux lui aussi pour mieux ressentir la magie de la fillette et ce furent les exclamations sourdes et les murmures qui lui firent comprendre que l'accord entre Minerva et sa baguette était visible aux yeux de tous.
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Il faisait encore bon dans le petit jardin de Draco bien que le soleil donnât de l'autre côté de la maison à cette heure-là. Entre les massifs de fleurs et les treillages de grimpantes qui habillaient les murs, un espace de pelouse permettait habituellement aux filles de jouer et aujourd'hui à Minerva de jeter quelques sortilèges avec sa toute nouvelle baguette.
– Tu es sûr que ça ne craint rien ? fit Harry en avisant les maison voisines dont les fenêtres de l'étage donnaient sur le jardin.
Il n'avait pas oublié que Draco vivait dans un quartier non-sorcier de Londres et que les Accio et les Wingardium Leviosa de Minerva n'étaient pas des plus discrets.
– Ne t'inquiète pas. Il y a un sortilège permanent de désillusion et de silence sur le jardin, tout comme sur le perron de la maison. C'est ce qui vous permet de transplaner ici sans éveiller de soupçons.
Assistée de Luna et Padma, la fillette s'en donnait à cœur joie, faisant danser dans les airs une ribambelle de jouets et de peluches avec un regard aussi émerveillé que le premier jour où elle avait transformé la porcelaine de Lucius en animaux miniatures.
Ils l'observèrent un moment en silence, émus eux aussi de son émotion et de son bonheur, puis Luna revint vers eux et son regard brillait étrangement.
– Cette baguette lui va comme un gant, Harry ! Merci du fond du cœur !
Elle l'embrassa sur la joue et Harry lui rendit son étreinte en souriant, puis elle s'écarta pour aller discuter avec Blaise. Un peu plus loin, Angelina parlait avec véhémence avec Daphnée, émerveillée pour son amie et surexcitée. Depuis que les premières étincelles de magie étaient sorties de la baguette de la fillette, elle avait dû prendre Daphnée dans ses bras au moins cinq fois et continuait de se récrier de surprise.
– Si ce n'est pas trop indiscret, fit Georges qui se tenait légèrement en retrait entre Draco et Harry, j'aimerais comprendre. Je croyais que... Expliquez-moi.
– Que la baguette choisissait son sorcier ? demanda Harry en se tournant légèrement vers lui.
– Pas seulement. Je croyais que Minerva était... dépourvue de magie. J'ai l'impression que c'est à toi qu'on doit ce changement... ?
Draco souriait paisiblement sans quitter sa fille des yeux, lui laissant le soin de répondre.
– C'est... possible, fit Harry. J'ai une formation de médicomagie assez... inhabituelle et... Voilà. Quant à la baguette, comme nos magies sont en partie liées, je savais ce qui pouvait convenir à Minerva...
– En quoi est-elle faite ? demanda Blaise en se rapprochant avec Luna à son bras. Ce bois presque blanc est assez étonnant.
– Bois de kapokier. Un arbre en particulier que j'ai planté il y a quelques années, expliqua-t-il tout en voyant Draco hocher la tête.
Il n'avait pas souvenir de lui avoir montrer cela mais avec le temps, il se rendait compte que certaines images avaient échappé à son contrôle. Ou Draco avait été assez puissant pour grappiller de lui plus qu'il n'en avait montré.
– Et le cœur ?
– Une tresse faite avec les cheveux de Draco et de Daphnée, et des crins de poulain de licorne de la Forêt Interdite.
– Un mélange surprenant...
Harry sourit doucement, préférant la discrétion aux questions ou aux explications trop longues. Il n'avait pas très envie d'avouer que la tresse comprenait aussi des cheveux de Luna, de Lucius, de Severus et quelques-uns des siens...
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Minerva avait fini par s'endormir sur un des canapés, sa précieuse baguette à la main, et Iris sur les genoux de Blaise, bavant allègrement sur le pantalon sans doute hors de prix de son parrain. Sans s'en soucier le moins du monde, il lui caressait les cheveux d'un geste répétitif et très doux qui correspondait peu avec l'image acide et sarcastique qu'il donnait de lui. Il avait même profité du moment où Draco faisait léviter les corps de ses filles pour les monter dans leurs chambres, pour venir remercier Harry avec une chaleur et une sincérité indéniables. Un peu comme Severus, il semblait se complaire dans un comportement destiné à faire fuir ses semblables, ne se dévoilant réellement qu'à ceux assez fous ou fidèles pour percer les apparences. Harry pouvait comprendre cette attitude, même s'il la trouvait malheureuse et inutile, mais ce simple geste tendre et totalement gratuit envers la petite fille suffisait à racheter les sarcasmes habituels.
Et Blaise ne s'en était pas privé !
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Au final, ils avaient bu, sans doute plus que de raison, puis mangé, et puis bu encore, le tout entrecoupé de discussions et de rires. Le vin rouge était puissant et il lui tournait un peu la tête; assez pour se sentir léger et euphorique, pas assez pour perdre tout contrôle de ses paroles. Du moins, Harry le croyait.
Il ne sut pas à quel moment précis Georges comprit, mais à la fin de la soirée, Harry perçut dans son regard cette lueur satisfaite de connaissance qui disait qu'il avait percé le secret régnant comme une omerta sur l'assemblée.
Était-ce quand Iris lui avait demandé avec son regard innocent, à lui plutôt qu'à son propre père, où était Sévie et qu'il avait paru si gêné pour répondre ?
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Était-ce quand Blaise avait ironisé sur sa présence en lâchant :
– Et le professeur t'a laissé sortir sans chaperon ?
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Ou bien quand le même Blaise avait parlé de sa dernière rencontre féminine dans une soirée mondaine :
– Vous devez la connaître, avait-t-il dit à Luna et Padma. Elle est professeur à Poudlard... Une russe. Irina Sovietskaya... Novietskaya... Quelque chose comme ça.
– Irina Novistkaya, fit Padma. Elle est professeur de métamorphose.
– En tout cas, il n'y a pas grand chose à métamorphoser chez elle ! ricana Blaise d'un air gourmand. Elle est splendide !
– Si tu veux mon avis, intervint Harry en riant, méfie-toi d'elle ! Et surtout, surtout... ne la fais jamais boire. Tu rouleras par terre avant même que sa main ne tremble !
– Comme la tienne en ce moment ? ironisa Blaise légèrement vexé.
– Harry a raison, fit Luna avec des yeux bien trop brillants. Je me souviens encore de la soirée qu'on a passée avec elle où elle a sorti des bouteilles de vodka à tour de bras. Cette fille a une descente incroyable ! Et elle a bu plus que Matt, toi et moi réunis !
– La fameuse soirée où tu as dormi roulée en boule sur le tapis du salon ? railla Padma avec un sourire cruel.
– Tu aurais pu me mettre dans le lit au moins ! protesta Luna. C'était déjà bien que je réussisse à rentrer !
– Moi j'ai réussi à transplaner, fit Harry en riant. Mais j'ai fini à quatre pattes dans le couloir devant Severus !
– Et il n'en a pas profité ? ricana Blaise.
– Même pas. Je l'ai bien supplié, j'ai fini attaché sur le lit mais il ne s'est rien passé ce soir-là !
– Il s'est rattrapé après ! ricana à son tour Draco avant d'ajouter : Les cloisons du Manoir sont fines si on ne met pas de sort de silence !
Harry avait fini par rougir en se mordant la langue. Quoi qu'il dise, une réplique plus cinglante l'attendait au tournant.
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Oui, il avait sans doute poussé le bouchon un peu loin dans ses paroles et le regard surpris de Georges, puis son sourire entendu devant les allusions qui s'abattaient sans pitié sur Harry, montraient qu'il était à présent dans la confidence. Mais Merlin que ça faisait du bien de pouvoir ainsi partager un peu de sa vie privée et de son bonheur. De ne pas être sans cesse obligé de taire et de cacher dans quelles conditions il vivait et qui était son partenaire, comme il l'avait fait toute la semaine à Sainte-Mangouste.
Certes, l'alcool lui avait un peu trop délié la langue et même s'ils savaient tous à présent qu'il était l'amant de Severus, il ne pourrait jamais partager les incertitudes et les questions que faisait naître cette étrange relation bancale entre Lucius, Severus et lui. Il ne pourrait jamais tout dire et tout confier, même à Draco. Surtout à Draco; même s'il était sans doute le plus apte à tout comprendre.
Mais pouvoir parler de Severus à demi-mots, plaisanter sur leur relation ou leur sexualité, était déjà un plaisir indescriptible, une liberté qu'il enviait habituellement aux autres et qu'il goûtait avec ravissement.
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George et Angie partirent les premiers, bien qu'il soit déjà fort tard, et après un tour d'honneur d'embrassades et d'accolades, Harry perçut les quelques mots que Draco leur murmura en les raccompagnant :
– Quoi que vous ayez entendu ce soir, que cela concerne Minerva ou Harry et Severus... gardez-le pour vous. Vraiment. Je ne veux pas entendre de racontars et d'indiscrétions.
Ils avaient tous les deux hoché la tête, assurant sur le même ton de leur silence et Draco les en avait remercié.
Luna et Padma partirent peu après, l'une plus éméchée que l'autre, puis Daphnée déclara forfait à son tour et monta se coucher.
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Resté seul avec Draco et Blaise, Harry servit ce qui serait sans doute leur dernier verre. Dans la cuisine, les cadavres de bouteille s'entassaient, ainsi que la vaisselle sale, mais Draco avoua avec une voix pâteuse :
– Ça attendra demain, je suis trop saoul pour le moindre sortilège. Et si je casse sa précieuse vaisselle, Daphnée m'enverra dormir sur le canapé !
– Impossible, j'y suis déjà ! ricana Blaise qui s'était allongé de tout son long en abandonnant ce qui restait de sa prestance coutumière après le départ des autres invités.
– Tu te laisses aller, Blaise ! Bientôt tu vas t'endormir et ronfler comme un sonneur ! rit Harry.
– Pas impossible ! Dans ce cas-là, réveille-moi et j'irai dormir dans son bureau, fit-il en désignant Draco. J'y ai mon lit habituel après les soirées trop arrosées.
– Ça fait longtemps !
– J'avoue. Ça manquait.
La voix de Blaise avait presque un accent nostalgique.
– Ça te manquera moins demain matin avec la gueule de bois que tu vas avoir ! ricana Draco.
– Quand je pense à ce qui m'attend demain matin, moi ! gloussa Harry. Il n'est pas prêt de décolérer.
Il vit le regard songeur de Blaise se tourner vers lui.
– N'empêche, j'en reviens pas de toi et Severus !
– C'est parce que tu n'as pas fait la dernière année à Poudlard avec nous, fit Draco. Tu n'as pas vu comment Harry était déjà raide dingue de Severus.
– Je ne suis pas raide dingue de Severus ! protesta Harry.
Même à lui, cette défense paraissait pitoyable et les accents de la sincérité n'y étaient certainement pas au vu des regards des deux autres.
– Menteur, lâcha froidement Draco.
– Oui. Bon. Peut-être...
– Et Lucius ? fit Blaise. L'autre jour, il n'avait pas l'air trop malheureux de la situation...
– Lui et moi, on se partage Severus...
– C'est comme ça que ça marche ? ricana-t-il. Chacun sa moitié ? Lui derrière et toi devant ?!
– Meilleure brochette ever ! Quoique... la place du jambon dans le sandwich me va aussi.
– Trop d'images mentales ! grimaça Draco. Merde Harry ! Tu parles de mon père, là !
– Eh bien quoi ? Il est plutôt pas mal pour son âge canonique ! Oh, ça va... J'ai pas couché avec lui, hein.
Pourquoi avait-il failli dire « pas encore » ?
En toute honnêteté, Harry devait bien avouer que la pensée de Lucius, Severus et lui dans le même lit l'émoustillait plus que de raison. En particulier s'ils faisaient plus que simplement dormir... Et la vision suggérée d'eux trois en enfilade, qu'il soit au milieu ou à une extrémité, lui déclenchait déjà des frissons dans les reins.
Il but une gorgée de vin pour se donner une contenance, croisant les jambes pour cacher un début d'érection malvenue.
– Moi qui me trouvais débauché ! gloussa Blaise.
– Je peux t'assurer que question débauche, on est tous loin d'eux ! fit Harry avec un sourire gourmand tandis que passaient dans sa mémoire les souvenirs des scènes de luxure qu'il avait pu voir dans l'esprit de Lucius et ceux, plus récents, des marques pourpres sur le corps de Severus. Quoique... je ne sais pas ce que tu pratiques avec ta poupée russe.
– Pour l'instant, pas grand chose, avoua Blaise. Mais ça devrait vite changer !
– À Draco, on ne lui demande pas, hein... Ses activités nocturnes commencent à se voir comme le nez au milieu de la figure.
C'était sans doute un peu mesquin de se servir du ventre joliment arrondi de sa femme pour parler de sexe, mais Harry eut le bonheur de voir Draco embarrassé, et même légèrement rougir. Il éclata de rire devant cette réaction si attendrissante. Pour Draco, Daphnée était si intouchable que pareille plaisanterie semblait un sacrilège.
– Oh, laissez Daphnée en dehors de ça, hein ! grogna-t-il.
– On ne parle pas de Daphnée là, mais de ce que tu lui as fait !
– Va savoir, fit Harry. C'est peut-être le fils du facteur !
– Le fils de qui ? demanda Blaise sans comprendre.
– Du facteur. Laisse tomber, c'est une expression moldue.
Tandis qu'il essayait désespérément d'expliquer sa plaisanterie à Blaise, Draco le dévisageait avec un regard insistant et inquisiteur qui finit par lui faire tourner la tête.
– Comment tu sais que c'est un garçon ? Parce que tu le sais, n'est-ce pas ? Ce n'est pas juste une parole en l'air...
À son tour Harry rougit, gêné de n'avoir pas assez surveillé ses paroles.
– Maya me l'avait dit... Elle l'avait perçu en examinant Daphnée.
– Et à moi, tu ne m'as rien dit, espèce de bâtard décoloré !
Tout à coup, ils virent Blaise se lever d'un bond, tituber légèrement et s'affaler dans les bras de Draco.
– Oooh, félicitations Draco ! Un nouveau petit blondinet chez les Malfoy ! Je suis si content pour toi ! Pour vous deux !
Renversé au fond de son fauteuil, pris dans une étreinte d'ours, Draco eut un sourire qui respirait le bonheur. Ils restèrent enlacés un moment puis Blaise finit par se redresser, les yeux brillants et visiblement plus ému qu'il ne l'avouerait jamais.
– C'est ça, fit Draco avec un air narquois. Garde tes câlins pour le bébé quand il sera né et pour Daphnée.
– Ça mérite un dernier verre pour fêter ça, émit Blaise d'une voix hachée en regagnant péniblement le canapé où il se laissa tomber. Voire toute la bouteille !
– Tu lui as déjà fait un sort à la bouteille. Et arrête de remuer ton verre comme ça si tu veux que je te serve !
Draco remplit leurs trois verres d'une généreuse rasade et chacun leva le sien pour porter un toast.
– À Malfoy Junior !
– À Junior !
– À mon fils ! gronda Draco devant ce surnom qu'il jugeait déjà ridicule.
– Un nouveau petit filleul, fit Blaise d'un air rêveur. Je vais le pourrir de cadeaux pire que les filles ! À moins que tu préfères que ce soit Harry le parrain ? Ça ne me dérangerait pas si c'était le cas, je te promets...
Harry jeta un œil à Draco et devant son regard interrogateur, il avoua immédiatement :
– Je préférerais ne pas assumer la responsabilité d'un enfant, même s'il n'est que mon filleul.
Draco hocha la tête imperceptiblement, signifiant simplement qu'il comprenait les réticences de Harry et ce qui les motivait. Les souvenirs de la mort d'Axaya étaient trop proches pour qu'il puisse renouer des liens privilégiés avec un enfant.
– Va pour cet irresponsable alors ! Il ne pourra pas faire pire que ce qu'il a fait avec les filles...
– Je croyais que tu me connaissais mieux que ça ! ricana Blaise. Tu vas en voir de toutes les couleurs !
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– Les filles vous ont dit qu'elles songeaient à avoir un enfant ? demanda Draco après un long silence chacun dans ses pensées.
– Les filles ?
– Luna et Padma.
– Non.
– Luna m'en avait touché un mot un jour, fit Harry. C'est Padma qui en a envie plus que Luna je crois...
– Qui se dévoue pour donner son sperme, les gars ? Harry ?
– Non, trancha-t-il. Je ne pourrais pas. Je ne pourrais jamais. Savoir que cet enfant serait le mien...
– C'est normal, fit Draco d'un ton compréhensif. Et personne ne te le demande...
– Draco ? interrogea Blaise.
– Ça me paraît compliqué vis à vis de Minerva et Iris. Ce serait leur demi-frère ou leur demie-sœur... Il ne reste plus que toi, Blaise !
Caché derrière son verre de vin, le jeune homme grimaça.
– Et puis si les bébés t'attirent tellement, il serait peut-être temps d'en faire un !
– C'est davantage la façon de les faire qui m'attire ! ricana-t-il.
– Obsédé !
– C'est la frustration qui parle ! se défendit-il.
– Ça fait combien de temps que t'as pas tiré un coup, Blaise ? ironisa Draco.
– Hey ! Je ne te permets pas de me parler comme ça !
– Un petit coup de main pour Padma..., se moqua Draco en esquissant furtivement un geste de masturbation.
– Je suis gaucher, idiot !
– Quand je pense à tout ce qu'on gâche, nous ! ricana Harry.
– Qui ça nous ?
– Bah Severus et moi !
– Behh ! C'est dégueulasse ! lâcha Blaise avec un air dégoûté.
– Parce que quand c'est toi avec n'importe quelle fille de passage, ça l'est moins ? intervint Draco en fronçant les sourcils.
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– Je vous envie, les gars, fit Blaise après être resté silencieux un long moment.
– Tu nous envie quoi ?
– D'avoir... quelqu'un.
Draco lui jeta un regard soupçonneux puis demanda :
– Tu es vraiment en manque ou tu es dans une de ces périodes où tu regrettes Moira ?
– Qui est Moira ?
– LA femme de toute sa vie. Celle qu'il regrette, bien entendu, et qu'il a perdue comme l'idiot qu'il est !
La voix de Draco grondait, lourde de reproches, tandis que le regard de Blaise se perdait dans le vague.
– Une femme exceptionnelle... Une grande artiste et un esprit brillant. Et somptueuse avec ça ! Un corps magnifique et un regard à tomber par terre, fit-il rêveusement avant de ricaner. Comme quoi on peut concilier un corps bien fait avec une tête bien pleine !
– Misogyne ! grinça Draco.
– Tu sais très bien que je ne le pense pas, sourit Blaise.
– Alors ne laisse pas penser que tu peux être aussi goujat. Tu vaux mieux que ça !
L'irritation de Draco était palpable; sans doute n'était-ce pas la première fois qu'il lui en faisait le reproche. Blaise posa sur lui un regard aux paupières lourdes, désabusé, mais où transparaissait une affection infinie.
– Oh, Draco... Je te dois tellement. Qu'est-ce que je ferais si tu n'étais pas là ?... Tu es comme un frère pour moi.
– Blaise, tu deviens sentimental, fit Draco. Tu as vraiment trop bu, tu ferais mieux d'aller te coucher.
– Mais tu sais que ça, je le pense, n'est-ce pas ?...
La voix était pâteuse mais la démarche plutôt assurée quand Blaise se leva et vint enlacer les épaules de Draco, nichant son visage dans le cou de son ami. Les cheveux blonds sur la peau noire brillaient comme de l'or dans la faible lumière du salon.
De son fauteuil, Harry ne voyait rien de plus que le dos de Blaise et les mains de Draco qui le caressait comme on caresse un enfant qui a besoin d'un câlin, mais il se sentait déjà de trop, spectateur d'une scène privée dont personne n'avait à être témoin.
Blaise finit par se redresser et poser ses lèvres sur le front de Draco qu'il embrassa longuement, puis caressa un instant ses cheveux en le couvrant d'un regard tendre, avant de s'éloigner avec un signe de la main par dessus son épaule.
– Bonne nuit, les gars...
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Harry ne pouvait détourner son regard de la porte du salon par laquelle Blaise était sorti pour aller dormir dans le bureau de Draco. Il n'y voyait qu'un couloir obscur et les premières marches de l'escalier, mais dans son esprit persistaient les gestes doux et bienveillants du jeune homme, cette affection si sincère, presque démesurée et pourtant soigneusement cachée en public, qu'il portait à Draco.
– Tu comptes beaucoup pour lui...
– Comme il compte pour moi, répondit Draco instinctivement.
Mais Draco était plus pudique. Ou plus sobre.
– Tu es sûr de son hétérosexualité ? émit Harry avec un rire hésitant.
– Il a bu !
Le regard de Draco était glacial, presque cinglant, comme s'il lui était nécessaire de défendre la loyauté désintéressée de son ami.
– Mais il est sincère, fit Harry. Touchant, même...
– Et tu sais qu'il te jettera un sort si tu répètes devant lui quand il sera sobre, le moindre mot de ce qui vient d'avoir lieu. Blaise préfère passer pour un cynique que pour un tendre...
– J'en connais d'autres comme ça.
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Draco se détendit peu à peu devant son silence qui s'abstenait de toute moquerie. Même s'il gardait de son héritage Malfoy une retenue et une pudeur insurmontables, l'affection et la tendresse qu'il portait à Blaise étaient transparentes dans son attitude. Ce besoin évident de le protéger, de veiller sur lui, sur sa vie, sur ses états d'âme, sur son bonheur...
Harry esquissa un sourire triste, se demandant si qui que ce soit avait jamais été témoin de ce lien entre eux ainsi mis à nu, exposé en public, et il songea brusquement que leur étreinte l'avait presque bouleversé. Ils étaient l'un à l'autre bien plus que des amis, des compagnons de route ou des « frères » de vie... ils étaient unis par quelque chose de si puissant qu'il lui semblait impudique d'y avoir assisté.
– Qu'est-ce qu'il y a ? fit Draco devant le trouble qui devait transparaître sur son visage et dans sa magie.
– Rien, hésita Harry. C'est juste que... En vous voyant, je mesure mieux le temps qu'on a perdu, toi et moi...
Ce temps passé loin l'un de l'autre, les moments de vie qui avaient filé sans être partagés, ces instants en creux et ces souvenirs qui n'existaient que par les manques qu'ils avaient créés...
– Ne sois pas amer... On a gagné d'autres choses. Une certaine maturité, une expérience de vie qui fait qu'on se comprend encore aujourd'hui. Et que tu comprends mieux certaines choses de moi que Blaise ne le comprendra jamais.
Harry ne sut pas ce qui dans ces paroles le rendit encore plus mélancolique et nostalgique. Peut-être la conscience que les épreuves avaient été nécessaires pour devenir ce qu'il était aujourd'hui. Ou peut-être cet aveu que Draco ne pouvait pas tout partager avec Blaise, et que leur relation, si belle soit-elle, restait incomplète et inachevée.
Il était ému d'il ne savait quoi au juste. Et Severus lui manquait. Le contact humain lui manquait; cette liberté que Blaise s'était octroyée... Et s'il avait été plus ivre ou moins pudique, il aurait eu envie d'un câlin, lui aussi. Pouvoir s'enrouler dans des bras tendres et aimants, dépourvus de jugement et qui l'auraient réconforté avec douceur.
Draco dut sentir son changement d'humeur et ce besoin lancinant d'affection puisqu'il se leva sans un mot et vint s'asseoir à ses côtés, passant son bras autour de ses épaules. Harry se laissa aller quelques instants, lui rendant son étreinte avec une gratitude infinie et redécouvrant la douceur des cheveux de Draco contre sa joue et son parfum musqué.
De tous les moments qu'ils avaient passés ensemble – pas assez nombreux à son goût – une seule fois ils s'étaient ainsi pris dans les bras l'un de l'autre, le jour de leurs retrouvailles dans les jardins du Manoir, chacun hésitant à baisser sa garde devant l'autre et à pardonner. Mais Merlin savait à quel point ce geste plein de tendresse faisait un bien fou !
– Tu devrais aller te coucher toi aussi, fit Draco. Tu es fatigué et tu as trop bu. Va donc rejoindre Severus...
– Severus qui est tranquillement en train de dormir avec ton père ? souligna-t-il, amer.
– Tu peux rester dormir ici si tu veux... Ce serait sans doute même préférable; je ne suis pas sûr que tu sois en état de transplaner.
– Non, tu as raison, je vais rentrer. Et ne t'inquiète pas pour moi... la magie me gardera entier durant le trajet.
Harry se leva, se sentant soudain inconvenant et déplacé, au beau milieu du salon de Draco à une heure indue, alors que dormaient dans les chambres voisines ses enfants et sa femme qu'il aurait dû rejoindre depuis bien longtemps.
Draco l'observait, cherchant à juger de son état, puis posa sur son épaule une main affectueuse dans laquelle Harry puisa du réconfort avant de s'éloigner de quelques pas. Bizarrement, il lui paraissait normal de devoir sortir de la maison avant de transplaner, comme si la bienséance, plus que les sorts anti-transplanages, l'obligeait à quitter l'endroit avec civilité plutôt qu'à disparaître brusquement.
Avant de quitter le salon, il se retourna cependant, croisant le regard de Draco qui ne l'avait pas quitté des yeux.
– Draco ? Qui veille sur toi lorsque tu as besoin de te laisser aller ?
– Je n'ai pas le temps de me laisser aller, fit-il avec un rire assourdi. J'ai une femme et deux enfants, bientôt trois, sur qui je dois veiller. Et puis toute une équipe de quidditch à materner... Mais je vous ai vous deux. Et puis Luna...
Draco haussa les épaules en souriant.
– Ça me suffit. Ça doit suffire.
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ooooooo
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Harry n'entendit pas s'ouvrir la porte de sa chambre, ni lorsqu'elle se referma, pas plus que les pas discrets sur le parquet. Il ne perçut pas le bruit mou et soyeux du tissu quand Severus abandonna son kimono sur le tapis, et sentit à peine le lit s'affaisser lorsqu'il se glissa entre les draps. En revanche, la fraîcheur et l'humidité de la peau qui vint effleurer la sienne lui tira un sourire endormi mais satisfait.
– Viens là, murmura-t-il en prenant le bras de Severus pour l'inciter à venir se serrer contre lui, dans son dos.
La main qui caressait son torse et la ligne de poils frisottés sur son ventre était glacée, signe que Severus avait dû rester longtemps à nager dans la piscine, mais elle se réchauffa rapidement à son contact. De temps en temps, il posait ses lèvres sur son épaule ou sur sa nuque, baiser rapide qui le faisait frissonner.
– Tu m'as manqué, murmura Harry.
– Ce n'est pas l'impression que j'ai eue toute cette semaine...
La voix de Severus n'exprimait aucune colère, c'était juste un constat, teinté d'une légère amertume, qui raviva les regrets de Harry, mais aussi les fourmillements dans son ventre. Dans son cœur et dans son esprit, il sentait grandir cette masse exponentielle d'affection, de sentiments, de tendresse, de besoin... d'amour qui emplissait l'espace et le temps et qui semblait trop grande pour lui.
– Oh si, tu m'as manqué. Je ne t'ai pas assez senti et embrassé et touché... Je n'ai pas eu assez de toi.
– Tu es encore ivre, reprocha doucement Severus.
– Peut-être. Mais je suis sincère.
Harry était rentré depuis deux ou trois heures seulement et n'était sans doute pas complètement sobre, mais bien assez pour savoir ce qu'il disait. Et bien assez pour sentir que les baisers de Severus dans son cou le faisaient fondre.
– J'ai envie de toi...
– Tu as envie de moi comment ? chuchota Severus, les lèvres sur sa peau.
– J'ai envie de toi là, dit Harry en prenant la main de son amant pour la faire glisser sur ses fesses. J'ai envie de toi en moi, quelque part, très profondément, j'ai envie de toi enfoui jusque dans mon ventre...
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ooOOoo
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La semaine suivante à Sainte-Mangouste fut un peu plus calme que la précédente, essentiellement parce que Harry avait bataillé auprès du directeur pour obtenir le remplacement des deux membres de l'équipe de Sam qui manquaient. Les nouvelles recrues étaient pleines de bonne volonté et la main d'œuvre supplémentaire n'était pas de trop.
Peu à peu, Harry prenait ses marques au sein de l'équipe de Sam, au point qu'il n'avait pas encore remis les pieds dans son propre laboratoire. Les personnalités étaient variées, parfois tumultueuses, mais l'ambiance était globalement bon enfant et il prenait plaisir à partager ces moments de travail où se mêlaient plaisanteries et rires.
Il s'attribuait systématiquement les commandes les plus complexes, déchargeant ainsi Sam des potions délicates pour qu'il puisse s'investir davantage auprès de son équipe et surveiller l'avancement de leurs préparations. Dans le laboratoire, chacun respectait son travail et sa présence. Les chuchotements que Harry avait entendus derrière son dos s'étaient rapidement tus et on venait à présent spontanément lui demander un conseil ou de vérifier si la potion avait la couleur requise ou si un ingrédient était préparé correctement.
L'ampleur de ses connaissances surprenait tout autant que celle de son ignorance sur certains sujets. Il découvrait parfois des recettes que les assistants considéraient comme basiques, parce qu'elles étaient apparues pendant sa longue absence, mais il maîtrisait en revanche toutes les potions de Grand Pouvoir et bon nombre d'ingrédients et de préparations dont nul n'avait jamais entendu parler, même Sam qui faisait figure d'expert au sein de l'hôpital. Et sa maîtrise de la magie sans baguette avait agité quelques discussions dans son dos.
Son ignorance de la vie sociale et culturelle des sorciers de son âge étonnait aussi. Il ne connaissait ni les groupes de musique, ni les derniers créateurs à la mode, ni les personnalités du monde sorcier actuel, pas plus que ceux issus de la culture moldue que les métis appréciaient parfois, et en dehors du quidditch, sa conversation sur les sujets de société était limitée.
Parfois cependant, au détour d'une explication sur un ingrédient rare ou une potion particulière, il racontait des anecdotes de ses voyages, de sa vie lointaine, les préparations qu'il avait apprises à l'autre bout du monde et les façons de soigner aussi diverses que les peuples chez qui il avait vécu.
En revanche, sur sa vie actuelle en dehors de l'hôpital, personne ne l'interrogeait, ni ne s'étonnait de son silence. Il régnait dans le laboratoire un accord tacite qui faisait que les raisons de son absence ou de son retour, ses projets et sa vie privée n'étaient jamais abordés. Et lorsque certains racontaient leur week-end en famille, l'anniversaire prochain de leur bébé ou la dernière dispute avec le mari ou la femme, nul ne le mentionnait dans la conversation. Il intervenait s'il le voulait, plaisantait et riait avec eux, mais jamais on ne lui demandait ce qu'il en était pour lui.
Harry se doutait cependant que les rumeurs allaient bon train. Tous savaient par les journaux où il vivait et avec qui, et même s'il n'en parlait pas, on l'avait vu en photo avec Lucius au Ministère, à Gringotts et au match de quidditch... Et il ne cachait pas son homosexualité. Les déductions étaient logiques et les suppositions implicites; ils se trompaient simplement de partenaire.
Si l'équipe de Sam respectait sa discrétion, ce n'était pas le cas en revanche pour les journalistes, comme il le découvrit un midi en descendant, pour une fois, manger au self de l'hôpital en compagnie de Sam et de Deirdre, une des dernières arrivée dans l'équipe et qui brillait par sa personnalité farouche.
Jusque là, il avait toujours transplané directement du Manoir à son bureau dans le Département des Potions et inversement. Il n'apparaissait pas dans le laboratoire pour ne pas soulever trop de questions – transplaner dans les murs de Sainte-Mangouste était en théorie impossible à qui que ce soit – mais il s'épargnait ainsi l'arrivée commune dans le Hall d'entrée de l'hôpital et la traversée des nombreux couloirs et escaliers qui menaient au bâtiment annexe.
Il avait sans doute bien fait car il apprit ce jour-là en déjeunant que deux ou trois journalistes étaient présents en permanence aux abords de l'hôpital, ou même dans ses murs, parcourant les services et les espaces publics dans l'espoir de l'apercevoir et de glaner une photo ou une interview.
Celui-là tentait de les observer en train de manger tout en essayant de percevoir des bribes de conversation, mais il repartit bien vite après un maléfice cuisant jeté sur sa chaise par Deirdre au moment où il allait s'asseoir.
Pris par le travail, la fatigue, Severus et le reste de ses préoccupations, Harry avait négligé ce petit détail. Tant qu'il n'avait pas eu à sortir en public, l'attention des journalistes ne l'avait pas gêné mais il avait promis qu'il donnerait une conférence de presse ou quelques interviews pour faire taire les curiosités et il allait sans doute devoir s'y plier pour regagner sa liberté.
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Mais ce n'était qu'un petit accroc dans un océan de sérénité. En travaillant à Sainte-Mangouste, Harry avait l'impression d'avoir trouvé sa place, et une certaine légitimité. Et lorsqu'il rentrait en fin de journée au Manoir – raisonnablement tôt comme il l'avait promis à Lucius – il retrouvait ses hôtes avec plaisir.
Severus était revenu dans de très bonnes dispositions à son égard, et Lucius semblait également plus apaisé. Et surtout Harry les sentait fébriles, impatients sans l'avouer de cette petite escapade qui se profilait à la fin de la semaine, presque excités comme des enfants qui savent qu'ils vont partir en vacances et qui comptent les jours.
Chaque soir, il rentrait avec la même impatience qu'il avait à aller travailler chaque matin, pressé de retrouver les deux hommes, leur compagnie, leur présence et il prenait plaisir à les faire rire en racontant la vie de l'hôpital et du laboratoire, les anecdotes croustillantes et les surprises que créaient parfois les potions ratées.
L'équilibre qu'il avait trouvé lui semblait idéal, proche de la perfection, et si cela devait porter un nom, il se serait appelé bonheur.
Oui, songea-t-il un soir dans le Petit Salon, en les observant tous les deux, Severus plongé dans un livre ancien, tandis que Lucius parcourait un rapport politique sur lequel il devait rendre un avis, oui, il était heureux.
Heureux de pas grand chose, d'être là avec eux, de faire partie de leur vie, de les aimer, chacun d'une façon différente, heureux de compter pour eux et d'être aimé en retour. Harry aimait sa vie et il n'en aurait changé pour rien au monde.
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Dans le silence à peine troublé par les ronronnements sourds d'Orion à côté de Severus et le crépitement des flammes, il vit Lucius lever les yeux vers son compagnon en soupirant, sans doute lassé des considérations sur les tractations et les enjeux politiques des Balkans.
Le regard vague qu'il promenait sur Severus se fit peu à peu plus attentif, détaillant les cheveux argentés qui brillaient dans la lumière des flammes, le profil sec et austère qui savait si bien se transformer lorsqu'il souriait ou riait aux éclats, cette bouche qu'il aimait tant embrasser, ces yeux qui pouvaient devenir si profonds et si obsédants, cet homme qu'il aimait depuis tant d'années sans que le temps n'ait rien retiré à son amour et à son désir...
Le mouvement furtif de Harry pour porter sa tasse à ses lèvres attira son attention et Lucius détourna le regard, surpris dans sa contemplation, pour rencontrer le léger sourire qui flottait sur le visage du jeune homme.
Lucius hésita un instant entre se sentir gêné ou offensé d'avoir été pris en flagrant délit de regard énamouré, mais il finit par rougir malgré lui, amplifiant ainsi le sourire amusé qui lui faisait face. Et il prit de plein fouet la vague de tendresse et d'affection qui s'échappa de la magie de Harry.
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Ce fut le hoquet de surprise de Lucius et la façon dont il ferma brusquement les yeux qui lui firent prendre conscience que ce qu'il ressentait s'était échappé hors de lui sans contrôle. Severus, complètement concentré sur son ouvrage, se contenta de grogner sous la sensation sans même lever la tête.
Harry tempéra ses sentiments, adressa un sourire d'excuse à Lucius qui retrouvait peu à peu une couleur normale et ferma les yeux de contentement. Non seulement il était heureux, mais il savourait également la complicité qui l'unissait aux deux hommes. Celle qu'il partageait avec Severus était unique, et sans doute seul Lucius était à même de le comprendre, mais celle qu'il partageait avec l'aristocrate ne l'était pas moins.
Face à tout autre que lui, Lucius serait devenu froid, piquant, voire même glacial, d'avoir été ainsi surpris avec un regard éperdu d'amour. Il aurait instantanément revêtu son masque de mépris qui mettait une distance irrémédiable avec l'autre. Mais face à lui, Lucius était suffisamment en confiance et suffisamment détendu pour ne pas chercher à cacher ses sentiments, et cette honnêteté apparaissait comme un cadeau précieux que Harry chérissait avec bonheur.
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Le bruit des cigales était assourdissant sous ce ciel bleu d'azur et cette chaleur assommante; il emplissait tout l'espace d'un bruissement continu et surprenant que Lucius avait oublié depuis longtemps. Tout comme il avait oublié la beauté simple de la maison, les pierres ocres, les volets bleu pâle tirant sur le parme, les rosiers grimpants sur les murs de pierre sèche, le feuillage gris-vert lumineux des oliviers et celui plus sombre des cyprès jetés de loin en loin comme des sujets pleins de majesté et dont les pointes effilées déchiraient le ciel, solitaires et insolents...
Un bouillonnement de sentiments gronda dans sa poitrine : la douceur, la tendresse, la nostalgie, le souvenir de rires et de visages épanouis... Cela avait été un lieu de vacances, de retrouvailles, d'une mémorable dispute aussi, mais surtout d'instants de bonheur. Ils avaient été heureux ici. Tous les deux avec Severus ou parfois en famille avec Draco et Daphnée. Les filles étaient petites à l'époque... Iris ne devait guère avoir plus de deux ans et elle passait son temps dans les bras de Severus à taper dans l'eau de la piscine pour éclabousser tout le monde en riant aux éclats... Pourquoi n'étaient-ils pas venus dans cette maison depuis si longtemps ?!
Mais le temps des regrets était révolu; ils étaient là à présent, tous les trois, et plus que tout autre, Severus était radieux. Lucius n'avait jamais compris pourquoi, mais son compagnon semblait aimer cette maison plus que le Manoir lui-même. Il y était toujours plus à l'aise, détendu et souriant. L'atmosphère du mas, simple et chaleureuse, y était sans doute pour beaucoup. Une décoration à la française, pleine de charme et de poésie, des couleurs claires, de la lumière, des boiseries élégantes, et cette douceur de vivre ambiante... Et aujourd'hui, la présence de Harry dans ces murs...
Harry qui, depuis qu'ils étaient arrivés, était un outrage permanent aux bonnes mœurs, un attentat à la pudeur ambulant. Ils avaient quitté l'Angleterre sous un ciel de pluie, gris et bas, et ils avaient trouvé en arrivant ce temps magnifique, ce ciel immaculé et surtout une chaleur étouffante, oppressante, qui les avait presque pris à la gorge avec Severus, et qui avait ravi le jeune homme.
Si cette chaleur avait été une substance physique, Harry se serait roulé dedans avec délectation, ronronnant son plaisir comme un chat. Au lieu de cela, il avait décrété qu'il faisait trop chaud pour rester habillé et avait laissé tomber la chemise, ne consentant à la remettre que pour aller dîner au restaurant le soir de leur arrivée.
« Estimez-vous heureux que je garde le pantalon » lui avait-il dit en riant.
Depuis, il se promenait à demi-nu en permanence, au grand dam de Lucius qui avait du mal à quitter des yeux ce torse plus petit que celui de Severus, mais plus massif et plus puissant, comme ramassé sur lui-même, ces muscles épais et cette peau alléchante, brune, ensoleillée, dont les cicatrices pâles le fascinaient.
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Il glissa ses doigts dans l'eau translucide de la piscine, en ramassa une petite quantité dans le creux de sa main et s'approcha du transat sur lequel Harry était allongé de tout son long sur le ventre, la tête posée sur ses bras repliés, offrant la nudité de son corps et de sa peau dorée aux rayons insistants du soleil.
De sa main s'échappèrent les gouttes, lentement, qu'il parsema le long de son dos, depuis les épaules jusqu'aux reins. Il vit la peau frissonner, se hérisser brusquement sous la sensation, tandis que les dernières gouttes hésitaient sur les collines de chair ferme, puis se décidèrent à glisser dans le sillon entre les fesses, là où se nichait le jardin des délices.
Un sourire alangui apparut sur le visage de Harry et il entrouvrit à peine un œil, vite refermé sous la vivacité de la lumière du plein soleil.
– Je rêvassais justement à ce que tu pourrais glisser à cet endroit...
– Rien du tout, je le crains, fit Lucius avec une pointe d'ironie mêlée de regrets. Debout. Le déjeuner est servi...
– Oh ! Désolé, Lucius, s'excusa Harry en riant. J'aurais dû vous reconnaître mais je dormais à moitié...
– Après avoir fait des folies de ton corps la nuit dernière, ce n'est pas étonnant ! se moqua-t-il.
Harry sourit pour toute réponse, un sourire réjoui et licencieux à souhait, et entreprit de se redresser en prenant appui sur ses mains avant de se rendre compte de sa nudité.
– Tournez-vous, Lucius, que je puisse me lever et enfiler mon pantalon...
– Il fallait bronzer en maillot de bains, prit-il plaisir à le taquiner. Tu ne serais pas ennuyé, maintenant.
– Et mon bronzage intégral ? protesta Harry en riant. Je ne suis pas sûr que Severus apprécierait des fesses toutes blanches...
– Je crois que Severus t'apprécierait même si tu avais la peau bleue, rouge ou noire, le crâne rasé, trois bras ou que sais-je encore. De toute façon, je sais très bien ce qui se cache là-dessous. Je t'ai vu nu quelques fois, il me semble.
– Quelques ? Peut-être..., fit Harry d'une voix enjôleuse. Mais moins vous le voyez, moins ça vous fait envie !
Lucius se retourna brusquement, troublé et saisi par la vérité des propos du jeune homme. Était-ce simplement des paroles en l'air de sa part, ou Harry avait-il vraiment conscience du désir qu'il éprouvait pour lui ? Lui-même ne se l'avouait que depuis peu, depuis que Harry avait commencé à travailler à Sainte-Mangouste en réalité, et que, tout autant que Severus, la présence du jeune homme lui manquait.
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Après le déjeuner, ils s'installèrent sous la tonnelle, à l'ombre des vieux murs et des lauriers-roses. Même avec la protection des feuillages, la chaleur était intense, presque insupportable, et sous le regard moqueur de Harry qui étalait sa peau dorée à leurs yeux, Lucius finit par quitter sa veste et rester en chemise, ce qui lui arrivait rarement, poussant même l'inconvenance à en retrousser les manches comme l'avait fait Severus depuis un moment.
Le crissement incessant des cigales les berçait, monocorde et hypnotique, tandis que la chaleur semblait augmenter encore, si cela était possible, appelant à l'indolence, à la paresse, au sommeil...
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Severus fut le premier à se dévêtir et à sauter dans la piscine pour se rafraîchir, rapidement suivi par Harry qui voyait là une nouvelle occasion de se distraire et de faire l'imbécile. Lucius finit par se résoudre et quitta chemise, pantalon et chaussures pour glisser sa peau blanche comme la neige dans la fraîcheur divine de l'eau.
C'était la première fois depuis la nuit à Paris qu'ils se retrouvaient tous les trois ainsi, presque nus, à peine vêtus d'un maillot de bain – même Harry – avec leurs corps si près les uns des autres, et cette proximité était troublante.
Et de fait, ils prirent plaisir à se baigner, libérés et insouciants, chahutant comme des enfants tandis que Harry filait entre deux eaux aussi rapide qu'un poisson, s'amusant à surgir à leurs pieds pour saisir leurs jambes et les renverser dans l'eau comme des fétus de paille.
Ses longs cheveux blonds ruisselants en cascade après une nouvelle chute, Lucius échangea un regard complice avec Severus et ils s'allièrent pour réussir à l'attraper. Ce fut Severus qui se saisit de Harry le premier, peut-être parce qu'il hésitait moins à poser ses mains sur lui, quel que soit l'endroit, et ils finirent par le coincer entre leurs deux corps, Severus devant et Lucius dans le dos du jeune homme qui éclata de rire.
Passant ses deux bras autour des épaules brunes, Severus fondit sur la bouche de Harry, lui volant un baiser exalté que ravivait la proximité des peaux et la sensualité des corps à demi-nus. Lucius se mordit la lèvre devant ce spectacle indécent, outrageusement provocateur et pas tout à fait innocent. Ouvrant les yeux, Severus s'aperçut de son regard réprobateur – et envieux ? – et il délaissa la bouche de Harry pour venir s'emparer de la sienne par-dessus l'épaule du jeune homme.
– Jaloux ! murmura-t-il avant de faire taire toute possibilité de réplique.
Lucius se plaqua davantage contre le corps de Harry pour embrasser Severus, posant ses mains sur ses hanches, un peu trop près de ses fesses sans doute, et il sentit le frisson qui parcourut le jeune homme, tout autant que le mouvement réflexe qui pressa un peu plus le bas de son corps contre son bas-ventre.
– Le premier qui bande est à l'amende ! fit Harry en riant.
– À l'amende de quoi ? s'enquit Severus en relâchant la bouche de Lucius.
– Ce sera celui qui dormira seul cette nuit ? gloussa Harry.
– Si c'est moi, fit Severus avec un regard envoûtant, vous serez bien en peine tous les deux !
Contre son sexe, Lucius sentit la pression des fesses de Harry se faire plus insistante, jusqu'à un léger frottement qui menaçait l'intégrité de sa raison. Tandis qu'il luttait de toutes ses forces contre le désir qui l'envahissait, Severus, lui, avait délié ses bras du corps de son amant et du bout des doigts, il pinçait allègrement ses tétons tout en dévorant son cou de ses lèvres et de ses dents.
Lucius sentit le jeune homme vibrer de tout son être, haleter à plusieurs reprises et un long gémissement d'une indécence folle s'échappa de sa gorge.
– Traître ! fit Harry à l'oreille de Severus en se dégageant vivement des étreintes qui le maintenaient.
Puis il se plaqua dans son dos de son amant, pressant son bas-ventre contre lui, en murmurant :
– Je te donne trente secondes pour me rejoindre dans la chambre ou je te baise devant Lucius.
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Severus éclata de rire en tombant dans les bras de Lucius, poussé par la légère déflagration de Harry qui venait de transplaner.
– Je crois que je vais devoir te laisser, fit Severus en l'enlaçant.
– Va remplir ton devoir conjugal !
Severus éclata de rire à nouveau avant de glisser sa main dans l'eau pour confirmer l'impression qu'il sentait contre sa cuisse.
– Mmhh... Tu n'étais pas loin de perdre, toi aussi ! ricana-t-il avant de l'embrasser, puis de quitter ses bras et la piscine.
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Harry redescendit une heure plus tard, seul et l'air repu comme un chat qui vient de dévorer un poisson.
– Qu'as-tu fait de Severus ? fit Lucius en souriant.
Le jeune homme vint s'asseoir non loin de lui, dans un des fauteuils du salon de jardin, aussi peu vêtu qu'à l'accoutumée et pourvu de quelques marques sur le torse qui n'y étaient pas une ou deux heures plus tôt.
– Il dort. Il reprend des forces pour ce soir !
L'elfe de maison qu'ils avaient emmené avec eux apparut brusquement, portant un plateau qu'il posa sur la table basse avec révérence. Harry éclata de rire en voyant la théière de porcelaine fine qui fumait allègrement dans l'air déjà surchauffé.
– Vraiment, Lucius ! Il n'y a que les Anglais pour boire du thé quand il fait déjà quarante degrés à l'ombre !
– Monsieur Harry désire également du thé ? demanda la créature, imperturbable.
– Non. Merci. Mais un jus de fruit si tu as. N'importe lequel, et plus c'est exotique, mieux c'est.
Lucius attendit quelques instants, que l'elfe disparaisse et revienne avec le verre demandé, pour poser la question qui lui tenait à cœur.
– Est-ce à dire que tu ne te considères plus comme Anglais ?
Harry eut un temps d'arrêt, surpris, reconsidérant ce qu'il avait dit.
– En fait... Je crois que non, hésita-t-il. J'ai vécu dans trop d'endroits pour me sentir n'appartenir qu'à un seul...
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– C'est une belle maison, fit Harry après être resté songeur un long moment. Je comprends que Severus l'aime... Vous avez dû y être heureux.
Lucius haussa un sourcil, étonné de cette phrase qui rompait le silence paisible et de cette déclaration si éloignée de leur conversation précédente.
– Pas seulement, avoua-t-il. Mais la plupart sont de bons souvenirs.
– Ça se sent, fit Harry en levant la tête comme s'il humait l'air pour y percevoir des effluves particulières. La magie y est calme et sereine... Pourquoi est-ce que vous n'y veniez plus ?
– Je ne sais pas vraiment, hésita Lucius, surpris de n'avoir rien de tangible à répondre à cette question. Severus n'avait plus très envie de voyager... Et puis... la répétition crée la lassitude peut-être.
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Son verre fini, Harry s'éloigna de quelques pas et revint en tirant un transat qu'il installa au soleil, à la limite de la zone d'ombre créée par la tonnelle et les arbres environnants. Il s'allongea sur le ventre, tourna un visage au sourire satisfait vers Lucius et ferma les yeux, ébloui par la lumière.
Sous le soleil intense, sa peau luisait doucement, satinée et tentatrice. Lucius détaillait à loisir ce corps offert à sa vue, abandonné dans une position qui lui convenait tout à fait. La rondeur des épaules sur lesquelles reposaient des cheveux aux boucles noires, le cou délicat qui avait semblé si sensible aux attentions de Severus et qui portait à présent une ou deux marques rougies, ces hanches où Lucius avait posé ses mains tout à l'heure... À son grand regret, Harry avait gardé son pantalon, sinon il se serait délecté de la vision ces fesses charnues, aussi brunes que le reste de son corps, et qui avaient failli lui faire perdre la tête et sa nuit avec Severus.
Lucius se mordit la lèvre et s'obligea à détourner le regard.
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Il ne tenait plus. Malgré la chaleur, il s'était levé pour aller faire quelques pas dans les jardins, mais en passant près de Harry et en posant à nouveau les yeux sur lui, Lucius s'aperçut que le pantalon du jeune homme avait disparu au profit du bronzage intégral, dévoilant en toute impudeur les fesses et les jambes parsemées de poils bruns, et il abandonna toute résistance.
– Si tu tenais tant à faire rougir certains endroits de ton corps, j'aurais pu te suggérer d'autres moyens...
Harry esquissa un sourire entendu sans même ouvrir les yeux. L'allusion aux pratiques que Lucius pouvait avoir avec Severus était suffisamment claire pour que le jeune homme n'en perde pas une miette.
– C'est une proposition, Lucius ?
– Oh... J'aurais aimé pouvoir t'initier à certains plaisirs, mais je crains que ce ne soit pas mon rôle.
– Ceci, en revanche, est un regret...
Il fit quelques pas pour s'éloigner rapidement quand Harry l'interpella en levant la tête.
– Lucius ? Je suis désolé pour tout à l'heure... C'était inutile et déloyal. Je regrette de vous avoir provoqué...
Il ne savait pas si Harry faisait allusion à la façon dont il s'était outrageusement frotté contre lui dans la piscine, ou à sa nudité provocatrice, mais au final, cela importait peu. Le résultat était le même.
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De manière paradoxale, eu égard à la chaleur infernale qui régnait, sa promenade lui avait rafraîchi les idées. Certes, Lucius éprouvait du désir pour Harry, mais il devait vivre avec et en prendre son parti. Garder pour lui cette attirance sans y céder, ni la manifester, et s'il le fallait, souffrir en silence.
Harry était certainement conscient de son désir, comme le prouvaient ces excuses fugaces, mais Severus ne l'était pas. Et il ne devait pas l'être. Il avait attendu et espéré Harry trop longtemps, cette relation lui était trop précieuse, pour que Severus ne tolère le moindre empiétement sur ce qui lui appartenait. S'il venait à l'apprendre, ou à comprendre cette attirance, Lucius était certain qu'il entrerait dans une colère noire, mais il n'était pas sûr en revanche qu'il finisse par lui pardonner un jour.
Tout reposait sur son silence et sa maîtrise : l'avenir de Harry et de Severus, le sien avec Severus, mais surtout leur avenir commun à tous les trois. S'il voulait continuer à profiter de la présence des deux hommes dans sa vie, Lucius devait maintenir cet équilibre précaire comme un funambule sur une corde raide.
Quand il revint sous la tonnelle, Harry était toujours allongé en plein soleil, sur le dos à présent, mais il avait remis son pantalon et gardait un bras en travers de son visage pour se protéger de la lumière.
– Tu vas vraiment attraper des coups de soleil, fit Lucius négligemment.
– Je serai à peine rose ce soir, et dans deux jours j'aurai retrouvé une couleur normale, répondit Harry en souriant. À force, j'étais devenu tout pâle...
Lucius haussa les épaules. Peu lui importait après tout. Qu'elle soit blanche ou dorée, cette peau ne serait jamais sous ses mains.
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Severus refit son apparition peu après, les yeux encore gonflés de sommeil et les cheveux humides d'une douche rapide. Il s'approcha de Harry et en se penchant, posa ses lèvres sur les siennes, déclenchant un sursaut de surprise qui fit ricaner silencieusement Lucius. Il savait bien ce qu'avait cru le jeune homme et pourquoi son regard ébloui fouillait soudain le ciel au-dessus de lui et l'ombre sous la tonnelle pour savoir qui était où.
– Enfin debout ? gloussa Harry une fois qu'il fut rassuré.
– C'est ça, ricane, fit Severus en venant s'asseoir dans le canapé à côté de Lucius. Tu ne perds rien pour attendre.
Lucius esquissa un sourire douloureux que ni l'un ni l'autre ne remarqua, tandis que Severus passait un bras autour de ses épaules pour venir jouer avec ses cheveux. Il s'empêcha de fermer les yeux sous la caresse, mais la sensation qui naquit dans son ventre était délicieuse.
Severus avait toujours voué une passion particulière à ses cheveux, refusant qu'il les coupe lorsque Lucius en avait émis l'idée, un jour d'agacement contre cette masse enchevêtrée qui s'était prise dans les boutons de sa chemise.
Lui-même aimait particulièrement sentir les mains de son compagnon dans sa chevelure. Cela lui arrachait des frissons dans le dos et dans le cou qui le rendaient irrationnel et c'était la seule circonstance où il concédait à Severus une certaine emprise sur lui.
Il le savait, cet animal, qui lui caressait la nuque avec délectation et enroulait lentement la longue masse de cheveux dénoués autour de son avant-bras, tirant très légèrement pour l'obliger à tendre le cou et incliner la tête vers l'arrière.
En temps normal, Lucius se serait laissé faire. Il aurait cédé à l'insistance de Severus, renversé la tête et laissé son compagnon ravir sa bouche. Severus l'aurait déshabillé, aurait joué un moment avec son corps jusqu'à ce que Lucius ne se ressaisisse et le retourne pour le pénétrer avec force.
Mais pas là, pas avec Harry présent qui les observait avec un sourire furtif, pas après que Lucius lui ait avoué son désir, pas alors qu'il avait baisé Severus quelques heures plus tôt.
Il redressa la tête malgré les élancements dus à la traction en arrière de ses cheveux et lança un regard sombre à Severus qui arborait un sourire sournois. La soirée promettait d'être longue...
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– Harry... Harry, réveille-toi. S'il-te-plaît... J'ai besoin de toi...
Il ouvrit les yeux sur une chambre obscure qu'il ne reconnut pas, une odeur de lavande, une silhouette sombre au bord de son lit et une voix familière qui paraissait pourtant insolite dans cet environnement.
Puis il perçut le contact d'une main fine sur son épaule qui le secouait doucement, la masse plus claire des longs cheveux qui effleurait la peau de son torse et les mots inquiets qui cherchaient à le tirer du sommeil.
– Harry, réveille-toi...
– Lucius ? Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai encore fait un cauchemar ?
Il n'avait pourtant pas la sensation de cette peur panique et des sueurs froides qui l'avaient réveillé à Paris mais la situation était si semblable qu'il était perdu entre les souvenirs et la réalité.
– C'est Severus..., fit Lucius tandis que Harry se redressait brusquement dans son lit en clignant désespérément des yeux dans l'obscurité.
– Quoi, Severus ? Qu'est-ce qu'il a ?
– Une migraine, dit Lucius en s'asseyant sur le bord du lit, l'air soudain épuisé. Une vraie migraine... Au point de finir par vomir... J'ai transplané au Manoir plusieurs fois pour aller lui chercher des potions contre la douleur et contre la migraine, mais ça ne passe pas. Je ne sais plus quoi faire. Il a pris trois fois la dose normale, mais ce n'est même pas efficace et de toute façon, il ne garde rien, même pas la potion anti-émétique... Je... J'ai besoin de toi. Il a besoin de toi...
Harry fronça les sourcils, inquiet de cette situation qui durait vraisemblablement depuis plusieurs heures et en colère que Lucius ne soit pas venu le trouver plus tôt. Mais ce n'était certainement pas le moment de l'accabler alors qu'il semblait plus épuisé et désemparé qu'il ne l'avait jamais vu.
Il se leva, enfila rapidement son pantalon et prit la direction de cette chambre dans laquelle il n'avait encore jamais pénétré.
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La pièce était à peine éclairée par un chandelier sur un guéridon, dévoilant un très beau lit de bois gris patiné par le temps, surmonté d'un dais et de voilages argentés qui luisaient doucement dans la lumière vacillante de la bougie. Des bergères anciennes aux pieds ouvragés, une cheminée de marbre gris, des tableaux aux couleurs pastels, un paravent orné d'une scène bucolique... la chambre était belle, raffinée et pleine de charme.
Mais sur le lit aux draps de satin, Severus était recroquevillé en position fœtale, pâle comme la mort, la tête cachée entre les mains et secoué de frissons.
Cette vision de son amant, réduit à une masse de chair souffrante et fragile, diminué par la douleur, si loin de sa prestance et de son charisme habituel, lui broya le cœur. Harry repensa fugacement à ce que Lucius lui avait raconté du sevrage de Severus, et il sut à cet instant qu'il n'en aurait pas été capable. Jamais il n'aurait pu affronter cette image si dégradée, si amoindrie de l'homme qu'il aimait, et le faire encore davantage souffrir pour un bien hypothétique.
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Harry s'assit sur le bord du lit et toucha la peau moite mais fraîche de Severus. La main posée sur son bras, il déploya sa magie en fermant les yeux. Le corps était intact, hormis une légère déchirure interne due à un rapport trop vigoureux. Il n'y avait pas de fièvre, pas de maladie en cours, pas d'intoxication due à un aliment ou un produit quelconque, mais pas de traces non plus dans son organisme de toutes les potions que Lucius lui avait fait prendre et que Severus avait dû vomir aussitôt.
Il n'y avait qu'une migraine, mais une migraine infernale et Harry sentait bien que l'esprit de Severus était saturé d'une pesanteur indescriptible, de battements insoutenables et d'une douleur à lui faire perdre conscience. Mais cela, il savait le soulager.
Severus semblait si mal que Harry ne voulut pas lui demander de bouger, et il préféra aller s'asseoir en haut du lit, le dos calé contre les oreillers moelleux. Il souleva délicatement la tête de Severus et la reposa sur ses jambes repliées en tailleur, caressant les cheveux et le front humides de sueur.
– Laisse-toi aller, murmura-t-il. Je vais entrer dans ton esprit pour calmer ta douleur, mais je te promets de ne pas aller plus loin que nécessaire et de ne pas pénétrer dans tes pensées. Je vais juste faire en sorte de te soulager. Fais-moi confiance. Ça va aller...
Severus ne répondit pas, mais Harry n'était même pas sûr qu'il soit capable de parler ou de simplement hocher la tête sans que cela ne lui déclenche de nouvelles nausées. Il adressa un regard rassurant à Lucius, posa ses mains sur la nuque et sur le front de son amant et ferma les yeux, laissant sa magie se déployer dans l'espace, le temps et la matière.
La douleur était partout, pulsatile, insolente et démesurée. Du sommet de son crâne aux poings serrés de Severus, dans ses épaules contractées par les tensions, dans sa gorge brûlée par les vomissements répétés, derrière ses yeux aux paupières crispées pour fuir la lumière... Harry éteignit la chandelle d'un léger courant d'air et laissa la chambre simplement baignée par la lueur verte qui émanait de sa magie traversant le corps de Severus.
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Rapidement, les tremblements s'estompèrent tandis que Lucius, assis sur le bord du lit derrière son compagnon, lui caressait le dos et l'épaule d'un geste dérisoire. Puis, peu à peu, ils virent les traits de Severus se détendre, les plis marqués par la souffrance sur le front et autour de la bouche s'effacèrent et sa respiration devint plus régulière, plus apaisée. Sous ses mains, Harry sentait le calme revenir, la douleur refluait lentement, le corps se relâchait.
Severus vint chercher la main de Lucius pour la ramener sur son ventre et leurs doigts s'entrelacèrent spontanément. Puis avec un semblant de sourire sur le visage, il s'endormit paisiblement.
– Il dort..., murmura doucement Harry.
Lucius hocha la tête, les sourcils toujours froncés et le regard douloureux.
Sans quitter l'oreiller que formaient ses jambes en tailleur, Severus se tourna tranquillement sur le dos et fourragea un instant des pieds dans les draps pour s'installer de manière plus confortable. Cela le fit sourire, Severus avait toujours ce genre de geste instinctif dans son sommeil et s'ensuivait souvent un grognement de satisfaction qu'il trouvait particulièrement attendrissant.
Harry caressa doucement le visage de son amant, découvrant le front des cheveux épars que la sueur avait collés et massant les tempes tout en promenant son regard sur son corps. Avec surprise, il constata que Severus portait un pyjama de soie sombre qu'il n'avait pas remarqué; il avait tellement l'habitude de dormir nu, et de voir son amant tout aussi nu lorsqu'il dormait avec lui, qu'il avait oublié cette étrange manie de se vêtir pour se glisser sous une couette.
Lucius était encore habillé, lui, sans doute en raison des allers-retours qu'il avait faits au Manoir pour chercher des potions, et dans la lueur verte qui continuait à baigner la pièce, il vit un visage soucieux, presque abattu.
– Qu'y a-t-il, Lucius ? fit Harry à mi-voix. Vous avez l'air... triste.
– Triste ? Non, répondit-il en gardant le regard baissé sur ses doigts entrelacés avec ceux de Severus. Mais je suis toujours inquiet quand il fait de très fortes migraines. J'ai l'impression de revenir tellement loin en arrière... Et je suis tellement impuissant. Le prendre dans mes bras n'a jamais soulagé sa douleur.
– Vous faites erreur. Cela aide malgré tout. Il sent votre présence, votre soutien. C'est lui qui est venu chercher votre main...
Lucius détourna le regard vers la fenêtre noire de nuit pour cacher ses yeux brusquement trop brillants.
– Tout va bien, Lucius. Je suis là, maintenant. Et il va bien...
Abandonnant toute pudeur devant Harry, il caressa doucement la main de son compagnon, la porta à ses lèvres pour y perdre un baiser et la reposa sur son ventre.
– Tu es là, murmura Lucius. Et je ne sais pas ce que nous ferions sans toi. Severus t'aime tellement...
La phrase de Lucius resta suspendue dans les airs, inachevée, et Harry préféra ne pas y répondre, lui laissant le soin de la compléter s'il le désirait. Mais Lucius resta silencieux, le regard vague perdu sur le visage de son compagnon, si immobile et vulnérable que Harry eut l'impression que le moindre courant d'air briserait cette fragile statue de cristal.
Et puis l'impression s'évanouit, Lucius frissonna à son tour sous la fatigue et la fraîcheur de la nuit et il passa sa main dans ses cheveux qui le gênaient pour les rassembler sur son épaule.
– Vous devriez dormir, maintenant, fit Harry. Vous allez être épuisé demain...
– Je ne trouverai pas le sommeil.
– Laissez-moi vous aider, proposa-t-il. Comme pour Severus. Si vous me permettez de pénétrer dans votre esprit...
– Tant que ce n'est pas ailleurs ! fit amèrement Lucius. Et profites-en pour y effacer certaines choses.
– Lucius, enfin ! murmura Harry en riant doucement. Je suis sérieux.
– Moi aussi. Je n'ai pas les excuses de Severus. Je suis désolé que ce soit venu gâcher ce week-end.
– Ce n'est pas de votre faute, Lucius. Ni de la sienne. Et ça n'a rien gâché du tout, je suis heureux d'être là.
Harry avait répondu rapidement, surpris de cette culpabilité latente, avant de se rendre compte que Lucius ne parlait plus de la migraine de Severus mais de son désir coupable envers lui. Ceci dit, sa réponse était tout aussi valable.
– Allongez-vous, Lucius. Laissez-moi faire...
D'un sortilège, Lucius transforma ses vêtements en pyjama, posa sa baguette sur la table de nuit et consentit enfin à s'allonger malgré ses réticences.
– Toi aussi, tu devrais dormir. Tu peux même rester là si tu veux, je peux aller dormir dans une autre chambre.
– Je vais rester un peu, acquiesça Harry en dissociant à l'aide de la magie les draps sur lesquels ils étaient installés pour les reconstituer en recouvrant Severus et Lucius. Le temps de purger son corps de toutes les toxines de stress que la migraine a laissées derrière elle... Mais vous, vous ne bougez pas d'ici ! ajouta-t-il en souriant. Comment ferais-je pour vous aider à dormir sinon ?
Harry tira soigneusement les draps sur les épaules de Severus avant de tendre sa main à Lucius qui ne put s'empêcher de la caresser en la prenant dans la sienne. Sa magie se glissa rapidement dans le corps de l'aristocrate, reconnaissant comme apparenté cet esprit dans lequel elle avait déjà œuvré quelques mois auparavant pour le sortir de son coma magique. Que Lucius le veuille ou non, ils étaient liés.
– Je ne voulais pas venir, tu sais, murmura Lucius à demi endormi. Je le lui ai dit plusieurs fois. Je voulais que vous veniez ici tous les deux, sans moi, que vous soyez tranquilles... mais il n'a pas voulu.
– Je ne l'aurais pas souhaité non plus, Lucius. Je suis heureux que vous soyez là.
– Moi aussi, marmonna sa voix presque inaudible. Mais c'est difficile...
– Qu'est-ce qui est difficile ?
Mais Lucius dormait déjà, ses longs cheveux sur l'oreiller formant une corolle dorée qui lui donnait l'air d'un saint et dans son esprit, Harry aperçut les dernières images qui hantaient ses pensées : des images de lui embrassant Severus ou de son corps entièrement nu allongé sous le soleil pour brunir sa peau.
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oooooo
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Les oliviers s'étendaient à perte de vue dans la vallée. Sur les versants des collines, la végétation était plus sèche, clairsemée, aussi ocre que les pierres des maisons qu'il apercevait ça et là. Le vol solitaire d'un rapace troublait la sérénité d'un ciel immaculé, et Harry se demanda fugitivement s'il était la proie que l'oiseau avait repérée.
La magie vibrait autour de lui, plongeant ses racines dans la terre, dans les fondements des arbres, dans l'eau qui ruisselait loin dans la profondeur du sol. Cela n'avait pas la richesse et la vitalité de sa forêt, mais ici, la vie était coriace, laborieuse, et sa force était tout aussi présente.
Derrière lui, il perçut la présence de Severus qui approchait et qui s'installa à même le sol, adossé à un arbre, attendant qu'il finisse de méditer et de rappeler sa magie.
– Je ne voulais pas te déranger, fit-il quand Harry vint s'asseoir entre ses jambes, appuyé contre son torse.
– Tu ne me déranges jamais...
Severus passa ses bras autour de son amant qui offrit son cou à la caresse de ses lèvres avec un sourire ravi.
– Fatigué? fit Severus.
– Mieux maintenant. Les fauteuils de votre chambre sont très élégants mais pas des plus confortables pour dormir...
– Il fallait rester dans le lit.
– Ce n'est pas ma place.
Harry avait hésité, mais au bout d'un moment, il s'était installé dans une des jolies bergères pour veiller sur les deux hommes le restant de la nuit. Il en avait tiré quelques courbatures qu'il avait chassées en venant ressourcer sa magie au fond du jardin.
– Ça ne t'a pourtant pas gêné à Paris de dormir tous les trois...
Il haussa les épaules. Le contexte n'était pas le même : il avait eu besoin de Severus pour apaiser ses cauchemars; cette nuit, Severus avait eu besoin de lui mais rester à son contact pour veiller sur lui n'était pas une nécessité.
– Et toi, comment vas-tu ce matin ? demanda-t-il.
– Parfaitement bien. Grâce à toi. Merci...
Harry haussa à nouveau les épaules. Accueillir un remerciement semblait toujours étrange, comme hors de propos. Il faisait ce pour quoi il était fait, ni plus ni moins.
– Lucius dort encore ?
– Non. Il prend son petit-déjeuner. J'étais venu te chercher... Je suppose que tu n'as pas mangé ?
– Pas encore, dit Harry avant de se sentir obligé de se justifier. En fait, je ne voulais même pas rester là cette nuit, mais je voulais être sûr que tout aille bien, que la migraine ne revienne pas...
– Tu aurais pu rester dans le lit, répéta simplement Severus.
Harry pouffa avant de tourner à demi la tête vers son amant pour demander :
– Et si vous aviez eu envie de faire l'amour ce matin, avec Lucius ?
Étrangement, faire l'amour semblait moins difficile à dire quand il s'agissait de Lucius...
– Et bien, songea Severus avec un sourire rêveur, tu aurais fermé les yeux. Et tu te serais bouché les oreilles...
– Ou j'aurais profité du spectacle !
Severus éclata d'un rire frais qui fit taire un instant le bruissement des cigales.
– Ainsi donc, Monsieur aurait envie de jouer les voyeurs ?!
– Ce ne serait pas pour me déplaire, susurra Harry avec un sourire gourmand.
– Pervers ! fit Severus en riant. Je ne suis pas sûr que moi, en revanche, j'aurais apprécié.
Mais la lueur d'envie qui passa dans son regard démentait ses propos.
– Pourquoi donc ? ricana Harry. Qu'est-ce qui t'aurait gêné ? Tu oublies que moi aussi, il m'arrive de faire l'amour avec toi !
Cette fois, le mot amour glissa tout seul hors de sa bouche et lui déclencha des frissons dans les reins et dans le ventre.
– … Et que je t'ai déjà vu les jambes écartées, à quatre pattes ou dans toutes les positions que vous pratiquez tous les deux !
– Hum, gloussa Severus en songeant parmi d'autres à la dernière fois que Lucius avait pénétré sa bouche. Là en revanche, je suis tout à fait certain du contraire.
Harry se redressa brusquement, piqué au vif.
– Comment ça ?! fit-il d'un ton faussement réprobateur. Tu pousses ma curiosité ! Et ma jalousie !
– Tu ne penses vraiment qu'à ça ! ricana Severus en resserrant ses bras autour du jeune homme pour le ramener contre lui.
– Tu n'as pas l'air de t'en plaindre habituellement !
– C'est vrai...
Severus glissa son visage dans le cou tendre à portée de ses lèvres, ajoutant une trace vermeille à celles qui y figuraient déjà. Cette peau douce et délicate était une tentation permanente et Harry si sensible à cet endroit que ses gémissements étaient pure luxure.
– Et si c'était avec toi que j'avais eu envie de faire l'amour, murmura Severus, crois-tu que Lucius aurait eu envie de regarder ?
Harry frémit, sans savoir si c'était sous les lèvres de son amant, ou devant l'image excitante qu'il venait de suggérer.
– Je crois que Lucius aurait eu envie de participer...
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Merci à ceux qui sont encore là, à ceux qui commentent ou qui mettent en favori.
La situation commence à devenir un peu délicate pour Lucius et dans le prochain chapitre, ça ne va pas aller en s'améliorant...
Au plaisir
La vieille aux chats
