Résumé: Harry commence à travailler à Sainte-Mangouste, mais son absence récurrente, ajoutée à ses sorties pour voir Draco ou Matthieu, commencent à peser sur l'humeur de Severus. Parallèlement, Lucius est de plus en plus attiré par le jeune homme et lui avoue même son désir lors de leur séjour en Provence. L'équilibre entre eux trois s'avère précaire et chacun cherche à ménager les deux autres.
Bonjour à tous. Le site étant légèrement bugué depuis le changement d'année, j'espère que vous avez tous eu la notification pour le chapitre paru le 1er janvier. Si ce n'est pas le cas, vous avez peut-être manqué le chapitre précédent qui se terminait sur leur séjour en Provence...
Bonne lecture
– Comment gérez-vous ce retour sous les feux de la rampe ?
Harry maîtrisa sa grimace de désapprobation. Les questions des journalistes étaient toutes aussi ridicules les unes que les autres et il devait s'efforcer de répondre avec courtoisie, amabilité et un humour mesuré. Tout cela l'ennuyait profondément mais il avait convenu avec Lucius de cette petite interview qui se voulait plus informelle qu'elle ne l'était réellement.
– Durant vos voyages, vous n'avez jamais eu envie de vous établir définitivement quelque part et de fonder une famille ?
Plutôt qu'une grande conférence de presse, Lucius avait invité au Manoir cinq journalistes triés sur le volet qu'ils recevaient tous les deux dans un des Salons de Réception habituellement inusité. Les articles qu'ils publieraient après cet entretien auraient le privilège de l'exclusivité et Harry espérait par ce biais satisfaire la curiosité due à son retour. Et par-dessus tout, il voulait faire comprendre aux potentiels lecteurs et curieux qu'il était quelqu'un d'ordinaire, qui menait une vie ordinaire et que ce battage médiatique n'avait pas lieu d'être.
– J'ai entendu dire que le Ministère vous avait demandé d'orienter vos recherches sur une potion destinée à éviter la transmutation après une morsure de vampire ?
Harry ne cacha pas sa surprise et tourna un regard étonné vers l'homme qui avait posé cette question.
– Je ne sais pas d'où vous tenez vos informations, mais il n'y a rien de vrai là-dedans. Mes recherches actuelles portent sur des potions capables de traiter la migraine et sur des formes galéniques différentes de la potion classique... Et je ne travaille pas pour le Ministère. Je suis simplement employé en tant que potionniste et médicomage par l'hôpital Sainte-Mangouste qui me permet en outre d'effectuer quelques travaux de recherche sur des sujets qui m'intéressent.
Tandis qu'il répondait de manière quelque peu agacée au journaliste, Harry remarqua la tension imperceptible de Lucius et son regard acéré.
– Quels sont vos projets sur du moyen et du long terme ?
Les questions continuaient à s'enchaîner, pathétiques et inutiles. Non, il n'avait pas de projet particulier autre que de simplement faire son travail et vivre sa vie avec ses proches, et non, certainement pas d'entrer en politique ou de prétendre à un poste à responsabilité. Non, il ne comptait pas repartir, mais il ne voyait pas en quoi ça concernait qui que ce soit, hormis lui-même et ses amis.
– Vous êtes aujourd'hui un des plus grands potionnistes de la scène internationale, quel héritage devez-vous à Maître Severus Rogue, le compagnon de longue date de Lord Malfoy ?
La crispation de Lucius avait dû être invisible aux yeux des journalistes, mais pour Harry qui commençait à bien le connaître, elle était flagrante. Sa relation avec Severus était normalement placée sous une omerta que l'ensemble des journalistes respectait scrupuleusement, et celui-ci, le même que pour cette question étrange sur les morsures de vampires, venait de mettre très consciencieusement les pieds dans le plat.
De taille moyenne, brun aux yeux marrons, un visage ordinaire, vêtu d'un costume quelconque et sans attrait, l'homme paraissait anodin, presque trop anodin, comme si cette banalité était le fruit d'une volonté et pas un simple état de fait. Restait ce regard rusé et attentif qui contredisait cette apparence insignifiante.
– Avant de devenir un ami, Severus Rogue a été mon professeur pendant plusieurs années. On connaît son exigence et sa méticulosité légendaires, mais au-delà de cette rigueur nécessaire, il m'a aussi transmis l'amour des potions, du travail bien fait et le désir de comprendre. On ne peut pas entreprendre de recherche en potions si l'on n'a pas des connaissances solides et un minimum de réflexion. C'est grâce à ses années d'enseignement et à la curiosité qu'il m'a transmise que j'ai pu ensuite m'affranchir pour élaborer de nouvelles préparations.
Les autres journalistes l'écoutaient d'une oreille distraite, laissant le soin à leurs plumes enchantées de retranscrire ses mots. Le spectacle principal se jouait dans le Salon, entre Lucius, dont le regard gris orage semblait prêt à exploser, et ce journaliste discourtois, et chacun attendait le coup de tonnerre qui menaçait.
– Bien. Messieurs, je ne vous retiens pas, fit Lucius en croisant les jambes avec une élégance insolente. Votre confrère vient de mettre un terme à cet entretien... Monsieur Potter et moi avons chacun des obligations qui nous réclament.
– Mais. Et les photos ? protesta l'un.
Ils avaient évoqué, pour illustrer les articles, la possibilité de faire quelques photos dans les jardins – Lucius refusant obstinément que soient faites des images de l'intérieur du Manoir – mais cette éventualité venait visiblement de tomber à l'eau.
Discrètement, Lucius avait convoqué un des elfes de maison, le plus grand d'entre tous, pour reconduire les journalistes qui se levèrent dans une certaine confusion et une rumeur de protestation.
Un petit attroupement bruyant se forma autour de Lucius qui finit par se lever à son tour tandis qu'un des journalistes s'apostrophait à voix basse avec son confrère indélicat.
– Monsieur Potter, nous avions encore des questions...
– Lord Malfoy, s'il-vous-plaît...
– Silence ! Clay, ordonna Lucius à l'elfe que Harry reconnut brusquement comme celui qui l'avait surpris un jour au lit avec Severus. Raccompagne cet homme à l'extérieur du domaine.
La sentence avait valeur de bannissement et chacun observa la façon dont l'elfe de maison prit brutalement le bras du journaliste pour l'entraîner dans un transplanage loin du Salon de Réception.
Harry, lui, observait Lucius, le pli dur de sa bouche, le port de tête intransigeant, son regard inflexible... Le mépris cinglant de son attitude. Jamais il n'avait encore entendu ce ton autoritaire et une telle sécheresse dans sa voix. Hormis... pendant des années plus sombres, et lointaines...
En un claquement de doigt, Lucius était redevenu l'homme de pouvoir, hautain et fier, qu'il n'avait jamais cessé d'être. Et Harry se demanda brusquement où était passé l'homme éperdu d'amour pour son compagnon, capable de rougir ou d'avouer des sentiments émouvants.
– William !
Lucius appelait le journaliste qui venait d'invectiver son confrère et ils s'écartèrent de quelques pas pour converser en aparté.
– Qu'est-ce que c'est que ce foutoir ? grondait Lucius. D'où sort cet homme ? Vous vous étiez porté garant !
– Lucius, je suis désolé. Il m'avait été recommandé par plusieurs personnes, mais j'ai visiblement été manipulé. Mais ne vous inquiétez pas, il ne parlera pas. Il n'y aura même pas d'article. À mon avis, ce type n'est même pas un journaliste.
Tandis que Clay était revenu s'occuper des autres journalistes qui s'impatientaient sans savoir quel sort allait leur être réservé, Harry s'approcha des deux hommes qui débattaient à voix basse. Il voyait l'aura de Lucius vibrer de colère, sombre et tumultueuse, bouillonnante d'une fureur inédite.
– Je vais mener mon enquête et je ne lâcherai pas le morceau, Lucius. On s'est servi de moi pour vous tendre un piège... je n'apprécie pas ça plus que vous. Je sais très bien ce que je vous dois et jamais si j'avais su...
– Lucius ? fit Harry. Un problème ?
– Rien d'important, lâcha-t-il sèchement. Va donc faire un tour dans les jardins avec ces journalistes pour faire quelques photos, le temps qu'on termine.
Merlin ! C'est le genre de propos que Lucius avait dû tenir autrefois à Draco quand il voulait se débarrasser de sa présence !
Harry éclata de rire sous leurs regards interloqués.
– Lucius, vraiment, reprocha-t-il doucement, le jour où vous me reparlerez de cette façon n'est pas prêt d'arriver !
L'aristocrate sembla perdre un instant de sa superbe, le reconsidéra pour ce qu'il était et esquissa une grimace navrée.
– Désolé... Excuse-moi Harry. Je ne voulais pas...
– Tout va bien, fit Harry tandis que le journaliste lui tendait la main pour le saluer.
– William MacNair. Enchanté.
– MacNair ? releva Harry à qui ce nom rappelait de sombres souvenirs.
– Un lointain cousin à moi, sourit le journaliste en semblant s'excuser de cette parenté honteuse. Désolé pour ce qui vient de se passer. J'en suis responsable et...
Harry leva la main pour couper court.
– Peu importe. J'aimerais juste comprendre pourquoi vous parlez de piège...
– Allons donc faire un tour dans les jardins pour faire ces maudites photos, proposa Lucius en grimaçant. Ensuite, je renverrai ces gratte-papiers et nous pourrons discuter tranquillement.
.
.
MacNair venait de partir à son tour tandis que Harry et Lucius finissaient leur thé sur la terrasse du Manoir.
– Bien sûr, je ne peux pas tout dire devant lui, fit Lucius, mais tu as compris l'essentiel. Ce pseudo-journaliste est venu pour obtenir des informations et il les a eues. MacNair s'est fait manipulé en toute bonne foi. Il n'a pas pensé une seule seconde...
– Qu'est-ce qu'il voulait savoir exactement ? le coupa Harry.
– En premier lieu, savoir comment tu te positionnais par rapport au Ministère et si tu étais prêt à travailler pour eux... Ta réponse a été on ne peut plus claire. Et puis savoir comment tu te situais par rapport à Severus et moi. La mention de notre relation n'était qu'une provocation ou une menace, je ne sais pas vraiment quoi en penser pour l'instant... Mais il voulait savoir si tu étais plus proche de Severus ou de moi... pour savoir sur quel levier jouer. Ta réponse était trop élogieuse pour être innocente.
– J'aurais dû me taire ? fit Harry en fronçant les sourcils.
– Cela aurait simplement fait pencher ses soupçons de l'autre côté, soupira Lucius. N'importe quelle réponse, ou absence de réponse, est une information. Ce que tu as dit a protégé le silence sur ma relation avec Severus, mais comme ni toi ni moi n'avons formellement démenti ses propos, le soupçon demeurera... Peu importe de toute façon, personne n'en parlera. Mais cet homme est parti en sachant ce qu'il voulait savoir.
Harry secoua la tête, fatigué de ces manipulations et de ces jeux de dupe.
– Et cette question sur les morsures de vampire ? Une idée d'où ça sort ?
– C'est ce qui me dérange le plus, avoua Lucius sans cacher son inquiétude sous-jacente. Ce sont des dossiers sur lesquels je travaille avec quelques conseillers du Ministère et avec Francis. C'est un message qui m'était purement destiné...
Il n'osa pas avouer que solliciter l'aide de Harry pour des recherches sur une telle potion faisait partie de leurs projets à long terme, de peur que le jeune homme se sente manipulé. Mais si ce jour devait advenir, nul doute que Harry se souviendrait de cette conversation... Dans tous les cas, ce pseudo-journaliste avait semé la graine du doute. Pour qui il agissait était un autre problème que Francis se ferait un plaisir de résoudre.
.
oooooo
.
– Vous avez l'air bien soucieux tous les deux, fit Severus en les rejoignant sur la terrasse. Quelque chose s'est mal passé avec les journalistes tout à l'heure ?
Il se pencha pour embrasser Lucius, puis Harry, avant de prendre place sur un fauteuil vacant en fronçant les sourcils.
– Tu viens de rentrer ? demanda Lucius sans répondre.
– Il y a cinq minutes. Je vous cherchais... Qu'est-ce qu'il y a ? insista Severus, pas convaincu par la désinvolture apparente de son compagnon.
Lucius raconta brièvement l'incident du journaliste indélicat, d'une façon que Harry trouva très édulcorée. Il ne voulut pas le contredire devant Severus, mais à présent Lucius minimisait toutes les interrogations et les inquiétudes qu'il venait de lui avouer, tout en passant sous silence le rôle de MacNair et en résumant l'ensemble de la scène à un manque de tact de la part d'un gratte-papier avide de sensationnel.
Ce qui surprit Harry encore davantage fut la réaction de Severus, peu soucieux de la publicité possible autour de sa relation avec lui ou bien avec Lucius, mais surtout intrigué par la mention d'une potion pour contrer les effets d'une morsure de vampire.
– C'est étrange qu'il ait parlé de cette utopie, fit Severus avant d'expliquer devant son regard d'incompréhension. Tu ne le sais peut-être pas, mais cette potion est un Graal des potionnistes des siècles derniers, tout comme la pierre philosophale pour les alchimistes...
– Mais la pierre philosophale a réellement été créée par Nicolas Flamel...
– Certes. Mais la potion contre la transmutation en vampire a été un de mes sujets de mémoire à l'Institut... J'ai démontré qu'elle était, contrairement à la pierre philosophale, irréalisable, parce que l'aubépine qui doit rentrer dans sa composition est toxique chez le sujet mordu et provoque des arrêts cardiaques avant même que la personne n'ait eu le temps de débuter sa mutation...
Harry haussa un sourcil à mi-chemin entre la curiosité et la surprise; il n'avait jamais étudié ce domaine durant ses études, et durant ses voyages, ce n'était pas exactement le genre de choses sur lesquelles ses travaux avaient porté. Mais il se nota mentalement de faire quelques recherches sur l'aubépine dont il connaissait les propriétés en tant que bois de baguette, mais pas en tant qu'ingrédient de potions.
– Je ne m'en souvenais même plus, fit Lucius avant d'ajouter avec un sourire moqueur : Tu auras aussi certainement le plaisir de découvrir demain dans la Gazette le portrait très élogieux que Harry a fait de toi !
Lucius ne fit même pas l'effort d'étouffer son ricanement tandis que Harry prenait quelques couleurs sous le regard de Severus.
– Qu'est-ce que c'est que ça, encore ? fit-il en fronçant les sourcils.
– Une question idiote à laquelle il a bien fallu que je réponde. Mais tu y verras aussi sûrement la façon dont Lucius a tenté de se débarrasser de moi comme un malpropre !
Severus tourna son regard sombre vers son compagnon en répétant:
– Qu'est-ce que c'est que ça, encore ?
– Je t'ai déjà présenté mes excuses, Harry, fit Lucius, hésitant entre ricaner et se sentir gêné. Je suis désolé de t'avoir parlé comme ça...
– Lucius m'a congédié comme un domestique, fit Harry avec un plaisir coupable. Ou comme un gosse. Pendant un instant, j'ai eu l'impression d'être un Draco âgé de cinq ans et qui serait venu jouer dans votre bureau pendant une réunion.
Lucius bascula peu à peu vers la gêne et Harry éclata de rire devant son désarroi, racontant à Severus en quelques mots ce qui s'était passé.
– Tu n'as pas volé ces remontrances ! fit-il à son compagnon en se moquant allègrement de lui. Et encore, je trouve Harry bien trop gentil !
– Ne l'encourage pas, s'il-te-plaît ! gronda Lucius. Et arrête de t'agiter comme ça, tu me donnes le tournis.
Tournant la tête vers son amant, Harry remarqua soudain l'impatience de son attitude et son énergie latente.
– Hum. J'ai besoin de me défouler. Qui vient nager avec moi ? Ou faire un duel ? Ça fait trop longtemps, j'ai la baguette qui me démange...
Harry s'étouffa en avalant sa gorgée de thé, releva la tête et demanda avec un sourire sardonique :
– De quelle baguette parle-t-on au juste ?!
Il entendit avec plaisir indéfinissable Lucius éclater de rire et son regard pétillant valait tout l'or du monde.
– Allez donc vous défouler, tous les deux, fit l'aristocrate en se levant. Moi j'ai encore des dossiers à terminer.
.
.
À force de côtoyer le côté humain de Severus, ou bien la douceur et l'attention de l'amant, Harry avait complètement oublié une chose : sa puissance en tant que sorcier.
Une puissance brute, impressionnante, sans doute aussi grande que celle de Voldemort ou Dumbledore autrefois. Mais là où celle de Voldemort avait été un puits sans fond de malfaisance et celle de Dumbledore une lumière colorée et pétillante, celle de Severus était sombre comme de l'encre, aussi dense que les ombres dans lesquelles se mouvait Mayahuel pour se déplacer, sans donner pour autant l'impression de quelque chose de néfaste ou de malveillant. La magie de Severus était couleur de nuit, couleur de ses robes de professeur autrefois ou de ses cheveux noirs de jais avant que les années ne fassent leur œuvre.
Ils avaient changé les règles, bien entendu. Plus de vainqueur, plus de vaincu, juste un entraînement aussi loin qu'ils pouvaient pousser leurs possibilités à l'un et à l'autre, et un terme au combat d'un simple mot.
Comme les fois précédentes, Harry devait se contenter de se défendre et d'absorber la puissance magique envoyée contre lui, et Merlin savait que Severus en avait à revendre ! Il doutait même être capable de neutraliser autant de magie sans devoir en déverser une partie à un moment donné, sous peine de saturer.
Mais pour l'heure, Severus ne lui laissait pas le loisir d'y penser, lançant sortilège sur sortilège, dans toutes les directions, devant lui, sur les côtés, par derrière pour l'obliger à ne négliger aucun endroit de son bouclier de défense, parfois des sortilèges combinés ou à retardement, des maléfices sournois, et plus le temps passait, plus Harry avait l'impression que Severus déroulait un catalogue de magie noire digne des pires années, des incantations qu'il n'avait jamais entendues, dont les mots même paraissaient enduits de noirceur et de douleur, et dont il ne voulait surtout pas savoir les effets s'il n'avait pas réussi à les contrer.
Deux ou trois fois, il parvint, par un miroitement de sa magie, à renvoyer un des sortilèges jusqu'à ce que l'un d'eux touche Severus au bras, juste en dessous de l'épaule. Aussitôt, l'odeur lourde du sang et celle, plus âcre, de la chair brûlée, emplirent la pièce, et du coin de l'œil tout en continuant à se défendre parce que Severus continuait de le presser sous un feu nourri de magie noire, Harry aperçut l'éclat blanc de l'os à travers la plaie béante.
Les maléfices s'enchaînaient encore, et entre les promesses de crucifixion, d'ébullition du sang ou de dilacération, il crut même entendre un Endoloris qui crépita en rencontrant le champ de magie qui lui servait de bouclier. Illuminé d'étincelles flamboyantes, son écran de protection se mit à enfler immédiatement jusqu'à englober les avant-bras de Severus qui était trop proche de lui, le faisant grimacer et l'obligeant à lâcher sa baguette.
– Stop. On arrête.
Malgré toute sa bonne volonté, Harry mit un moment avant de parvenir à réabsorber la magie autour de lui et à dissiper les dernières volutes qui flottaient dans la salle de duel, tandis que Severus tenait ses deux bras repliés contre son ventre, les mains inertes comme si elles ne lui répondaient plus.
– Ça c'est un handicap, asséna-t-il d'un ton sévère.
– Quoi donc ? fit Harry en secouant la tête pour éclaircir ses pensées.
– Ce besoin de temps pour reprendre le contrôle de ta magie. Tu n'es pas capable de passer instantanément d'une situation de combat à une situation de trêve... Ce n'est pas une critique, anticipa Severus devant son regard sombre. C'est un fait. C'est important de savoir quels sont tes points faibles, parce que tu en as, comme tout le monde... Ne pas pouvoir lancer de sortilège d'attaque en est un, tout comme ce temps de latence. Comme également cette défense basée sur l'assimilation de la magie de ton adversaire... Tu étais presque à saturation, n'est-ce pas ?
– Pas loin, admit Harry. Merci pour cette leçon de stratégie, mais comment vont tes mains ?
Il s'approcha de Severus toujours immobile, surpris des tiraillements que renvoyaient à chaque pas ses muscles crispés par le combat.
– J'attends que la douleur se dissipe, ricana Severus.
Il n'en montrait rien mais elle devait être intense, comme le suggérait la sueur qui commençait à perler sur ses tempes.
Harry ramassa la baguette de son amant qui traînait par terre et lança sur ses mains un Finite Incantatem qui le fit soupirer de soulagement. Sans un mot, Severus secouait longuement ses mains et ses doigts pour se débarrasser des dernières sensations piquantes.
– Et ton bras ? fit Harry en le prenant par le coude pour le faire tourner sur lui-même.
La plaie était propre, nette, mais largement ouverte et laissait voir la profondeur du muscle et la blancheur nacrée de l'os exposé à l'air libre.
– Ça va, fit Severus en récupérant sa baguette et en jetant négligemment un sort de soin rapide mais efficace.
À l'endroit de la blessure maintenant refermée, la peau était encore tuméfiée, violacée d'un hématome résiduel qui mettrait plusieurs jours à partir.
– J'aurais pu te faire ça plus proprement, bougonna Harry.
– Ça ira très bien comme ça, ricana Severus en secouant à nouveau ses mains. Pour le basique, je sais encore me soigner moi-même. C'est toi qui as amplifié d'un seul coup ton bouclier de magie tout à l'heure ?
Harry secoua la tête en se remémorant le phénomène pour lequel il n'avait pas vraiment d'explication.
– Non. Ou du moins, pas consciemment. Peut-être que j'étais arrivé à saturation justement, et que la magie s'est libérée ainsi..., songea-t-il avant de s'agacer brusquement. Bon sang, Severus ! Tu m'as lancé un Doloris !
Son amant ricana sans paraître gêné le moins du monde.
– Il ne t'a pas fait grand mal !
– Mais à toi, si. Et j'aurais presque envie de dire que tu le méritais.
Severus haussa les épaules en souriant.
– Masochiste ! lâcha Harry, contrarié sans vraiment savoir pourquoi.
– Ce n'est pas une insulte, c'est un fait, fit Severus en ricanant. Et tu le sais très bien.
– C'est à force de fréquenter Voldemort et sa baguette un peu trop leste que tu t'es mis à aimer ça ?!
Le visage de Severus se ferma brusquement.
– Ça n'a rien à voir. Crois-moi, il ne peut exister aucun plaisir à recevoir un Doloris de quelqu'un que tu vomis, au point de te rouler au sol à ses pieds, de perdre conscience ou même le contrôle de tes sphincters. Aucun, je t'assure. Tu demanderas à Lucius le nombre de fois où il m'a ramassé à moitié mort parce je n'avais pas réussi à obtenir certaines informations, le nombre de jours où je suis resté inconscient, le nombre de cours que j'ai dû assurer sous potion antalgique pour pouvoir tenir debout...
Pour lui dévoiler pareille humiliation, Severus avait dû prendre particulièrement mal sa réflexion, et Harry reconnut qu'il avait été trop loin.
– Oublions ça, s'il-te-plaît, c'est de l'histoire ancienne, murmura-t-il en prenant son amant dans ses bras. Je suis désolé, je n'aurais pas dû... Viens, allons prendre une douche : tu es plein de sang et tu as besoin de changer de chemise sinon Lucius va m'étriper d'un sortilège...
Le regard dur de Severus s'adoucit peu à peu et il se laissa aller dans les bras de Harry qui les fit rapidement transplaner dans sa chambre.
.
.
Pour une fois, ils prirent leur douche ensemble, alors même que ni l'un ni l'autre n'avait une quelconque envie de sexe. Mais sans se l'avouer, ils ressentaient confusément le besoin de passer un peu de temps ensemble, en toute intimité, pour effacer ces paroles amères et ce duel troublant.
Harry s'était adossé contre le carrelage de la douche, observant le corps de son amant et surtout son visage tandis que Severus renversait la tête en arrière sous le jet. L'eau ruisselait sur la peau blanche de son cou, les rondeurs de ses épaules, dévalant le torse et le ventre jusqu'à son sexe imberbe dont les proportions, même au repos, laissaient toujours Harry rêveur.
Severus prit un peu de gel douche et se lava rapidement avant de venir savonner le torse de son amant. Les mains qui parcouraient son corps signifiaient pour Harry le pardon de sa maladresse et il ferma les yeux sous la caresse, laissant Severus jouer à loisir dans ses cheveux et dans sa nuque et explorer son dos tout au long de sa cicatrice.
– Pourquoi... pourquoi aimes-tu autant la douleur malgré tout ?
Severus haussa les épaules sans interrompre les gestes doux de ses mains.
– Pourquoi est-ce que cela t'intrigue autant ?
Harry appuya sa tête en arrière contre le mur tandis que les mains de Severus parcouraient son cou et ses épaules.
– Un jour je vous ai vus, toi et Lucius. Il venait de te lancer un Doloris et toi... tu aimais ça.
– Il ne s'agissait que d'une forme mineure du sortilège. Et tout dépend par qui et avec quelle intention il est lancé... Le jour où Voldemort a ordonné à Lucius de me punir, il a tout de même failli me tuer avec un de ses Doloris... Mais ça n'a rien à voir avec ce que lui et moi pouvons faire dans l'intimité et qui te perturbe tant...
– Ça ne me perturbe pas, réagit vivement Harry avant de sourire sous la taquinerie. Je ne comprends pas, c'est tout. Comment tu peux apprécier cela alors que tu as tant souffert autrefois...
Harry referma les yeux alors que son amant l'attirait vers lui sous le jet d'eau pour rincer la mousse étalée sur son corps. Par son rôle ambigu, par son statut particulier, Severus était sans doute celui qui avait le plus enduré physiquement durant cette guerre, payant par la douleur la méfiance qu'inspirait sans cesse sa position.
– Je ne sais pas... Parce que la douleur te fait ressentir des choses, peut-être...
Les mains de Severus étaient sur ses bras, puis dans son dos, enserrant son corps contre le sien, l'enlaçant comme un cadeau précieux.
– L'amour marche tout aussi bien, non ?
Il sentit Severus se tendre un fugace instant avant que ses lèvres ne viennent chercher les siennes.
.
oooooo
.
Ils reparlèrent du duel plus tard, après le dîner, alors qu'ils buvaient un cognac avec Lucius dans le Petit Salon. De la blessure de Severus, de ses mains qui fourmillaient encore au point qu'il avait eu du mal à tenir ses couverts pendant le dîner, ils n'avaient rien dit. Mais Lucius s'était montré curieux, et Harry en avait profité pour interroger son amant sur cette obsession du combat revenue brusquement dans ses préoccupations.
– Ça me rassure. Un peu...
– Tu crois que je ne suis pas capable de me défendre tout seul ? soupira Harry.
– Personne n'est infaillible. En particulier ceux qui se croient plus puissants que les autres et qui s'en remettent purement et simplement à la magie sans même réfléchir...
– Mais je ne me crois pas...
Harry se tut au milieu de sa phrase. Il devait bien reconnaître pourtant qu'il avait une confiance aveugle en sa magie. Savoir qu'il pouvait compter sur elle à tout moment, le privait de bon nombre de réflexes qu'il avait acquis autrefois.
– Pourquoi crois-tu que je tienne à me battre contre toi ? Parce que ça m'exerce, moi. Ça réveille mon attention, mes réflexes, ma capacité à réagir et à m'adapter. Ou pas, d'ailleurs, comme le prouve la blessure de tout à l'heure.
Severus n'était pas en colère, mais d'un sérieux à toute épreuve, tandis que Lucius fronçait les sourcils devant cette information qu'on lui avait visiblement passée sous silence.
– Malheureusement, reprit-il, Luce et moi, on se connaît par cœur. Je sais exactement comment il se bat, comment il se défend, quel sortilège il va lancer par rapport à la situation... Il est trop prévisible autant que je dois l'être pour lui. C'est contre toi qu'il devrait se battre à présent, ça vous ferait du bien à tous les deux !
Harry pouvait comprendre ce raisonnement, tout comme il se rendait brusquement compte de la véracité des propos de Severus, que cela lui plaise ou non. Lorsqu'il avait été sans magie dans la forêt, il avait acquis une attention et une capacité de réflexe qu'il avait complètement perdues aujourd'hui. La seule fois où il avait de nouveau ressenti cette pleine vigilance, c'était lorsqu'il avait volé avec Draco après un vif d'or, pas lors de ses duels avec Severus. En combat, il laissait faire sa magie; elle absorbait les sortilèges et le protégeait sans qu'il n'ait besoin de faire grand chose. En vol, il devait rester attentif à son environnement, concentré sur ce que lui dictaient ses sens et sur la présence du vif, paré à toute éventualité... Plus que les duels avec Lucius ou Severus, c'était peut-être le quidditch qu'il devait reprendre.
.
.
Au moment de monter se coucher, Lucius posa sur l'épaule de Severus une main possessive qui signifiait à elle seule son intention de passer la nuit avec lui. Tous deux remarquèrent le léger recul de Harry, qui avait sans doute espéré la même chose, puis sa résignation lasse, sans un mot. Il aurait la nuit suivante, certainement, mais Lucius voulait celle-ci.
Arrivés dans leur chambre, il ne laissa même pas Severus se déshabiller ou passer dans la salle de bains. Il se chargea lui-même de le débarrasser de l'ensemble de ses vêtements d'un sortilège rapide et avant qu'il n'ait fait trois pas, il se retrouva immobilisé et maintenu face contre la porte.
S'il ne l'avait pas anticipé, Severus n'était pas surpris et il esquissa un léger sourire malgré la contrainte de la position. Outre le fait que ni Harry, ni lui n'avaient dit quoi que ce soit au sujet de sa blessure, il savait que Lucius n'avait pas apprécié ses paroles sur le fait qu'il était trop prévisible, et encore moins qu'il ait pu tenter un Doloris sur Harry. Ajouté à sa tension sous-jacente depuis qu'ils étaient revenus de leur mas provençal, Severus savait que Lucius finirait par en venir à ce genre de séance, et lui-même se sentait particulièrement en demande depuis sa conversation avec Harry.
Lucius jeta un regard appréciateur sur la position de Severus. Elle était très certainement déjà inconfortable, mais il n'allait rien y changer. Les chevilles de Severus étaient maintenues légèrement trop hautes par rapport au sol, ce qui l'obligeait à se tenir sur la pointe des pieds, et ses jambes étaient bien trop écartées pour ne pas tirer sur ses cuisses dont les muscles étaient tendus à ravir. Ses poignets, en revanche, étaient trop proches de son torse pour qu'il puisse se servir de leur tension pour soulager l'effort de ses jambes. Au final, l'ensemble du poids de son corps reposait sur ces cuisses magnifiques maintenues dans une position instable qui les solliciterait rapidement de manière douloureuse.
Les élancements se faisaient déjà vifs dans ses muscles contractés, sans parler des brûlures encore présentes dans ses mains dont il ne voulait rien dire, et Severus sentait la sueur perler sur son corps malgré la fraîcheur de la chambre. Le regard lent de Lucius et son insistance le prévenaient déjà de ce qui allait advenir : la séance serait brève mais intense. Et pour autant, Lucius allait prendre son temps et il aurait mal bien avant qu'il ne commence quoi que ce soit.
– Tu pourrais au moins jeter un sort de silence sur la porte, marmonna-t-il en songeant à l'écho que sa voix devait déjà renvoyer dans le silence du couloir de l'étage.
– Non. Si tu ne veux pas qu'il entende, tu devras te taire.
.
ooOOoo
.
Quand Harry revint de Sainte-Mangouste le lendemain, Severus n'était pas encore rentré, mais Lucius semblait l'attendre avec une idée derrière la tête, et après un thé rapide, ils se retrouvèrent tous les deux dans la salle de duel.
À vrai dire, Harry n'avait pas rechigné; il était plutôt curieux, même, de ce que pouvait donner un combat contre son hôte. Severus avait souligné les différences entre eux, leurs habitudes et leurs préférences, mais sans vraiment les détailler, et Harry était impatient de se faire sa propre idée. S'il savait Lucius globalement moins puissant que Severus – et trop prévisible selon lui – il avait envie de tâter d'une baguette différente... même si cette idée le fit brusquement ricaner.
Lucius était impatient lui aussi, pour sensiblement les mêmes raisons. Bien que ni son compagnon, ni Harry n'en fassent étalage, il avait déjà eu l'occasion de percevoir la différence et surtout la puissance de la magie du jeune homme. Il était curieux de pouvoir la jauger à son tour.
Et puis cette incapacité à lancer des sortilèges d'attaque lui posait question.
.
.
Harry sourit derrière la protection miroitante de son bouclier : là où Severus avait tenté de voir quels sortilèges ou quelle puissance étaient capables de traverser son écran de magie, Lucius agissait bien différemment, essayant d'abord de comprendre comment fonctionnait cet écran et comment il réagissait.
Après avoir éteint toutes les lumières de la salle, ce qui n'avait pas grand effet car la magie de Harry produisait sa propre luminosité verdâtre, l'aristocrate avait ensuite démultiplié son image. Dans chaque direction où il tournait la tête, Harry rencontrait un Lucius dont il ne savait s'il était le vrai ou le faux que lorsqu'un sortilège filait de sa baguette. Et surtout, là où Severus était resté globalement statique, Lucius ne cessait de se déplacer, tournant lentement autour de lui, plus ou moins proche, dans un mouvement circulaire de tous ces sosies qui lui donnait le tournis.
Mais Severus avait raison : au final, Harry en savait peu sur sa magie, se contentant de lui faire une confiance presque aveugle, sans chercher à comprendre comment elle fonctionnait et ce dont elle était capable. Et à chaque combat, il en apprenait davantage sur elle et sur lui-même.
.
.
Lucius était sournois. Et ce trait de caractère ordinairement dissimulé sous des apparences élégantes, voire précieuses, prenait tout son sens à ce moment précis.
Les sortilèges qu'il choisissait de lancer n'étaient pas un simple catalogue qu'il déroulait, il avait toujours un but précis en tête, une idée à vérifier ou à abandonner. Et lorsqu'il parvint à piéger Harry par une ruse toute simple, son sourire victorieux était d'une immodestie qui le fit rire.
Lucius s'approcha du jeune homme immobilisé avec le regard d'un chat qui s'apprête à jouer avec sa proie, presque en se léchant les lèvres. Du bout de sa baguette, il retraça la ligne de l'épaule qui montait vers le cou et l'angle de la mâchoire, savourant son coup d'éclat.
– Je me demande ce que je vais demander comme récompense pour cela..., fit Lucius d'une voix traînante et avec un sourire luxurieux.
Harry ne put s'empêcher de rougir. Il se souvenait parfaitement ce qu'il avait demandé, lui, après sa victoire contre Severus, et cela avait été l'occasion de leur première nuit ensemble. Ajouté à cela le comportement ouvertement provocateur de Lucius et le fait d'être ainsi ligoté à sa merci, il songeait furieusement aux plaisirs coupables auxquels Severus se livrait avec son compagnon.
Il se mordit la lèvre sous le rire moqueur de Lucius et, pour éviter une érection intempestive, se concentra pour libérer sa magie sur les cordes qui le maintenaient et qui disparurent rapidement.
– Peu importe, ironisa Lucius devant sa liberté retrouvée. Toi et moi savons ce que j'ai gagné. Allez, à la douche ! Nous avons de la visite ce soir !
.
oooooo
.
– J'espère que vous me pardonnerez cette intrusion, cher ami, mais pour certaines conversations, il est préférable d'user de lieux tout à fait privés et dépourvus d'oreilles indélicates.
– Vous serez toujours le bienvenu, Francis, fit Lucius en lui serrant la main avec un sourire affable. Et je doute que les oreilles de Harry puissent être qualifiés d'indélicates.
– Je ne l'entendais pas dans ce sens, s'amusa le ministre français en se tournant vers lui pour le saluer à son tour. Et je suis tout à fait charmé de vous rencontrer à nouveau, Monsieur Potter.
– Le plaisir est partagé, Monsieur Dorléans...
– Allons, appelez-moi Francis, fit-il tandis que Lucius l'invitait à s'asseoir dans le Petit Salon. Vous avez tous les deux une mine superbe !
– Nous étions dans le sud de la France le week-end dernier, sourit Lucius. Il a fait très beau, comme toujours, et Harry bronze facilement...
– Vous auriez dû me faire signe, je vous aurais invités à dîner ! Je connais un restaurant dans le quartier sorcier de Marseille qui vaut son pesant d'or !
.
.
En s'asseyant à son tour, Harry étudia l'homme le plus puissant de France, surpris du contraste qu'il renvoyait. Dans un costume d'une élégance rare et sans doute hors de prix, le Ministre parvenait à conserver une allure simple et joviale, presque débonnaire. Un visage rond s'étirait vers un front et un crâne au sommet dégarni, et vers le bas sur un cou de taureau, aussi large que la tête. Sans être ventru, l'homme était corpulent, massif, fait d'un seul bloc, mais ses gestes restaient précis et élégants et cette apparence paisible était rapidement contredite par son regard rusé et alerte.
Une conversation courtoise s'engagea tranquillement en attendant le retour de Severus pour le dîner, et Harry en oublia presque à qui il avait affaire. Il redécouvrait Lucius en homme de la haute société, habitué aux mondanités, mais sous un jour autrement moins formel qu'il n'avait pu le voir au Ministère ou lors de la réception après le match des Harpies. Bien qu'il n'en parlât que rarement, le lien qu'il partageait avec Francis semblait être une réelle amitié, et Harry était d'autant plus surpris de sa présence ce soir que Lucius et Severus ne recevaient jamais personne, hormis la famille de Draco. Du moins, depuis qu'il était là...
Lorsque le retour de Severus se fit entendre dans le Hall d'entrée, Harry eut un instant d'hésitation sur le fait qu'il soit bien informé de cette visite, mais son regard en entrant dans le Salon ne fut pas surpris de les trouver tous les trois.
Pour tout geste affectueux, il posa une main sur l'épaule de son compagnon, que Lucius vint effleurer du bout des doigts, avant de s'avancer encore pour saluer l'invité de marque.
– Monsieur le Ministre...
– Severus, très cher... Pas de formalités entre nous, fit Dorléans en lui serrant chaleureusement la main. Je suis ravi de vous revoir...
Harry n'eut droit de la part de Severus qu'à un regard implicite et un très discret signe de tête, dont il ne s'offusqua pas et auquel il répondit par un léger sourire.
.
.
Dans la Salle à Manger, il dut laisser sa place habituelle à la droite de Lucius au Ministre, et vint s'asseoir à côté de Severus, vers le milieu de la table.
– Les elfes du Manoir ne sont pas au niveau des restaurants gastronomiques que vous fréquentez, mais ils ont fait du mieux qu'ils ont pu, s'excusa par avance Lucius.
– Ne vous inquiétez pas, sourit largement le Ministre. Je suis toujours curieux de ce que je ne connais pas et j'ai pour habitude de faire honneur à la table qui m'invite.
Et de fait, le Ministre avait bon appétit, excellent même, appréciant chaque plat au moins deux fois et ne dédaignant pas le grand vin que Lucius avait fait ouvrir pour l'occasion.
Pour ne négliger aucun de ses hôtes, il faisait l'effort de parler en anglais, avec un accent déplorable, mais un vocabulaire et une grammaire irréprochables qui faisaient vite oublier cette prononciation hasardeuse. Et Harry fut à nouveau surpris par la richesse de sa conversation et l'étendue de sa culture. Il maîtrisait des sujets étonnamment variés, allant de la médecine traditionnelle chinoise aux sortilèges liés aux runes, de la sculpture de l'Antiquité grecque aux arts premiers des peuples de la Ceinture de Corail, au point que même Severus resta étonné à la mention d'un livre connu seulement des puristes parmi les puristes.
La conversation revint lentement sur des sujets plus politiques, s'attardant sur la nomination du dernier Ministre et la façon dont certains usaient d'intimidations et de menaces dans les coulisses.
– Je trouve ces manières de faire à la limite de la civilité, fit Dorléans. Je ne sais pas ce que vous en pensez, très cher, mais tout cela manque de subtilité et de savoir-vivre...
– Il y a longtemps que la contrainte ne fait plus partie de mes habitudes, répondit Lucius.
Un insignifiant raclement de gorge se fit entendre du côté de Severus, juste assez sonore pour être perceptible sans être discourtois. Il sentait encore dans ses cuisses les courbatures dues à la position que Lucius l'avait obligé à tenir la veille au soir, bien trop longtemps avant de le soulager, et il n'allait pas laisser passer cette occasion.
Harry, tout à fait conscient de ce que sous-entendait Severus, esquissa un léger sourire. Ce qu'il n'avait pas vu, il l'avait très bien entendu, et les gémissements étouffés de son amant résonnaient encore dans sa tête et dans son ventre.
Lucius, à son tour, ne put empêcher un sourire amusé d'apparaître sur son visage. Sans même tourner la tête vers eux, il savait parfaitement ce que cachaient leurs regards narquois baissés sur leurs assiettes et leur air malicieux.
Il n'en fallut pas plus pour que Dorléans ne s'arrête de parler au milieu d'une phrase, brusquement conscient d'avoir manqué un détail ou une information sur la raison de la connivence évidente des trois hommes en face de lui.
– Excepté pour gagner un combat ? osa Harry.
Le sourire de Lucius s'élargit tandis que Severus fronçait les sourcils en les regardant tour à tour sans comprendre.
– Harry t'expliquera, fit Lucius à son compagnon.
– Lucius t'expliquera, lui fit Harry au même moment.
Les deux hommes échangèrent un regard complice avant d'éclater de rire, sous le regard courroucé de Severus. Dorléans sourit également, satisfait de voir qu'il n'était pas le seul à avoir manqué une information cette fois-ci. Décidément, ce dîner était un régal à tout point de vue.
.
.
Pour le digestif, ils s'installèrent de manière surprenante dans la véranda où il régnait une chaleur divine après avoir été ensoleillée une bonne partie de l'après-midi.
De faibles lampes sur des guéridons éclairaient la salle, découpant dans une demie-obscurité les silhouettes surprenantes des lianes et des immenses plantes vertes qui la peuplaient. Un verre de cognac à la main, ils profitèrent des couleurs chatoyantes du soleil couchant et du ciel baigné de lueurs orangées.
La scène avait quelque chose de féerique, rappelant à Harry d'autres couchers de soleil sur des plages du bout du monde ou sur des jungles luxuriantes dont les odeurs et les bruits lui manquaient. Comme lui manquait le fait de vivre à l'air libre, dans la lumière, l'humidité, la chaleur. Comme lui manquait le fait de dormir dehors, à la belle étoile, et non pas calfeutré dans une chambre et dans un lit. Comme lui manquaient le souffle de l'air dans les feuilles, la caresse du vent sur sa peau, la lueur de l'aube qui venait chatouiller ses paupières, à moins que ce ne soit un quelconque insecte qui faisait son chemin sur lui... Il aurait bien dormi dans le jardin cette nuit, ou dans le bureau où vivait un morceau de sa forêt, mais il était censé passer la nuit avec Severus, s'ils arrivaient un jour à s'éclipser de ce dîner qui s'éternisait.
.
.
– Tu as le bonjour de Matthieu, lui fit Severus en aparté.
Harry tourna un regard surpris vers lui.
– Tu l'as vu ?
– J'ai déjeuné avec lui ce midi.
Le midi même, Harry avait déjeuné à Sainte-Mangouste avec Sam et Deirdre, et il n'avait pas su que Severus n'était pas rentré au Manoir. Mais cet aveu était étonnant et il brûlait de curiosité de savoir ce qu'ils s'étaient dit.
– Oh. Il va bien ?
– Très bien. Les examens sont presque finis, il va bientôt pouvoir souffler...
– Et avec son chéri ?
– Nous n'avons pas exactement parlé de ça, fit Severus avec un sourire amusé. Et cette histoire de duel entre Lucius et toi ?
– Une sombre histoire de sortilège posé sur le sol et sur lequel il m'a peu à peu amené à me déplacer, sourit Harry en jetant un œil vers le visage concentré de l'aristocrate. Il voulait vérifier si mon bouclier formait une sphère autour de moi, ou juste un dôme qui descend jusqu'au sol... Je dois avouer qu'il est assez doué sur les sortilèges d'encordement.
Severus ricana avec un sourire narquois et le regard complice de celui qui savait très bien de quoi il parlait.
.
Lucius et le Ministre conversaient de leur côté, oscillant de plus en plus vers le français suivant les sujets abordés. Harry ne voulut pas s'immiscer en leur faisant comprendre que ce qu'ils disaient lui était relativement accessible, Lucius le savait très bien... S'en souvenait-il vraiment, en fait ? Mais en tout état de cause, cela marquait le passage vers une conversation plus privée et plus politique et c'était sans doute l'occasion de s'éclipser.
Harry leva un regard interrogateur vers Severus, puis vers le plafond, signifiant son envie de monter se coucher. Severus acquiesça de manière imperceptible et ils se levèrent de concert pour prendre congé.
– Monsieur le Ministre... Il est temps pour nous de vous laisser terminer cette soirée en tête à tête avec Lucius...
– Oh. J'espère que ma présence ne vient pas..., s'excusa Dorléans en se levant.
– Il est tard et la journée a été longue, fit Harry en lui serrant la main. Sainte-Mangouste réclame ma présence à la première heure demain et...
– Bien sûr. Vous me voyez désolé de ne pouvoir profiter plus longtemps de votre compagnie, leur dit-il avant de s'adresser à Severus : Je vous emprunte votre mari un moment pour savourer un dernier verre et je vous le rends rapidement...
Severus salua d'un léger hochement de tête la reconnaissance explicite de sa relation avec Lucius, mais il ne put résister à l'envie d'une petite pique pour se venger de n'avoir pas été mis au courant du combat entre Harry et son compagnon.
– Vous pouvez même le garder pour un verre de plus, sourit-il en posant sa main sur l'épaule de Harry.
Ils s'éloignèrent sous le regard surpris du Ministre tandis que Lucius grimaçait, entre amusement et dépit.
.
– Eh bien ? fit Dorléans en tournant la tête vers Lucius. Il semblerait qu'il me manque un certain nombre d'informations...
– Tes fiches ne sont plus à jour, ricana l'aristocrate. Bon, trêve de plaisanterie. J'ai besoin de tes services de renseignement pour une recherche urgente et nous devons parler du dossier des Carpates...
.
ooOOoo
.
Harry posa sa main sur l'épaule de Severus, se penchant légèrement pour apercevoir ce qu'il lisait : un livret ancien, fatigué et poussiéreux, dont les feuillets ne tenaient plus ensemble que par habitude et couverts de runes dessinées par une main habile et pressée. Juste à côté de l'ouvrage était jetée sur un parchemin la belle écriture enlevée de Severus, en une succession de mots et une ébauche de traduction.
Tandis que Severus venait appuyer sa joue sur sa main, esquissant une caresse furtive, Harry parcourut rapidement les notes de son amant.
– Qu'est-ce que c'est ?
– Un livret que m'a confié un client. Je cherche à comprendre de quel rituel il s'agit. Ça tourne autour de la naissance, la réincarnation de l'âme des ancêtres, les rites de transmission... Il est question de libations en l'honneur de la naissance, de sacrifices d'animaux pour préparer une espèce de potion... « Le liquide vital », je pense que cela fait référence au sang de la naissance, ou au placenta, mais je bute sur ce passage...
Harry se pencha un peu plus pour apercevoir les runes que Severus soulignait du doigt, puis reporta son regard sur les notes de son amant.
– Comment tu as traduit ce mot ? demanda-t-il en désignant un groupe de signes à demi effacés.
– Par « dessin » ou « peinture ». Le sens premier est « image », « représentation », mais je ne saisis pas le rapport avec le mot « plante » juste après...
– Et ce mot-là, c'est « famille » ?
– Ou « ancêtres », suivant comment on l'interprète...
Sa main glissant doucement sur la peau de Severus, Harry relut l'ensemble du parchemin pour se faire une idée globale de la traduction, puis secoua la tête.
– Je me trompe peut-être, mais pour moi, ce que ça décrit tient davantage d'un rituel autour d'un décès que d'un rituel autour d'une naissance. Ça me fait penser aux cérémonies de doubles funérailles comme cela se pratique dans certaines régions du monde. Un certain temps après le décès et les premiers funérailles, on procède à une seconde cérémonie qui permet la séparation définitive d'avec l'âme du mort et qui signe la fin de la période de deuil et de ses interdictions. Tes libations, c'est la consommation d'alcool de riz qui permet une certaine communion entre les morts et les vivants, tout en renforçant l'esprit de communauté...
Harry désigna un passage sur le feuillet ancien.
– Ce mot « image » fait référence à un détail de ces célébrations où l'on coupe symboliquement la plante-image du mort du bouquet que forme la famille, et ce liquide vital que tu assimiles au sang de la naissance peut faire référence aux liquides de décomposition du cadavre que l'on mélange à la bière de riz. Ne fais pas la grimace ! C'est un échange ultime, le dernier instant entre la présence du mort et son départ imminent... Tout ton texte décrit une cérémonie de passage dans l'autre monde.
Severus posa lentement la plume qu'il tenait dans sa main depuis tout à l'heure. Sans bouger, il gardait le regard fixé sur son parchemin et sur les feuillets anciens, perdu dans ses pensées.
– D'où viennent ces textes ? demanda Harry.
– On ne sait pas vraiment. Mon client les a achetés lors d'une vente aux enchères.
Sa voix avait une intonation lointaine, songeuse.
– Parfois... j'oublie que tu es parti si loin... que tu as vécu ailleurs pendant si longtemps...
– Oui, fit Harry en souriant. J'ai participé à certaines de ces cérémonies... J'y ai même officié une ou deux fois.
– Est-ce que... est-ce que tu me parleras de lui, un jour ?
Harry eut un temps d'arrêt, cherchant de qui parlait Severus avant de comprendre le sens de sa question surprenante. Pour lui, cela n'appartenait pas à la même période de sa vie, pas aux mêmes lieux, aux mêmes personnes, ni aux mêmes événements. Mais pour Severus, tout cela était assimilable à un ailleurs lointain dans lequel il avait élevé, puis perdu, un enfant. Et c'était de cet enfant dont Severus aurait voulu parler un jour.
– Je ne sais pas si je pourrais...
.
.
La voix de Harry était résignée et sombre et Severus n'osa pas insister. Dans la pénombre de la bibliothèque, il ne voyait presque plus les runes qui s'alignaient en rangs serrés sur les feuillets anciens, pas plus que sa propre écriture sur le parchemin, mais il sentait en revanche parfaitement la présence de son amant derrière lui et les mains posées sur ses épaules qui se rapprochèrent lentement de sa nuque.
Il sentit Harry placer ses deux pouces à la base de son crâne, en une caresse un peu appuyée, et soudain la lumière se fit dans son esprit, froide et pétrifiante, comme s'il venait de plonger la tête dans un puits d'eau glacée. Un frisson polaire parcourut son crâne et descendit le long de sa colonne vertébrale. Ce n'était pas de la légilimencie, c'était l'inverse; au lieu de venir lire dans ses pensées, Harry y projetait les siennes, se servant de lui comme d'une pensine pour y déverser ses souvenirs.
Et il vit. Il vit un petit garçon aux cheveux longs et broussailleux, aussi noirs que ses yeux pétillants de malice, la peau d'un brun cuivré, allongé par terre au milieu des plantes et des mousses, en train de contempler une longue cohorte de fourmis qui se déplaçaient sur un chemin invisible en transportant des morceaux de feuilles découpés. L'enfant semblait captivé, plongé dans une contemplation muette, de laquelle ne le tiraient ni les appels de Harry, ni les quelques insectes égarés sur sa peau, ni le serpent qui se faufilait entre les lianes près de sa cheville.
Quand il perçut la présence du reptile qui le chatouillait, l'enfant éclata de rire, posa la main dessus dans un éclair de lumière verte et ramassa le serpent devenu aussi inoffensif qu'un vulgaire bout de ficelle. Aussitôt, l'enfant bondit sur ses pieds, envoyant valser dans un tourbillon d'air les fourmis perdues, et se précipita en courant vers une maison de bois érigée sur des pilotis au milieu d'une clairière.
Brandissant le serpent comme un trophée, il grimpa quatre à quatre l'échelle taillée dans un tronc pour surgir dans l'unique pièce de la cabane où Severus reconnut un Harry plus jeune de quelques années, occupé à préparer un repas dans ce qui tenait lieu de cuisine. Tout son visage était illuminé de bonheur, de ses lèvres étirées sur un rire, de ses fossettes dessinées en creux par le sourire, jusqu'à ses yeux plissés et qui brillaient d'une joie complice. À travers les brumes du souvenir, Severus perçut les voix de Harry et de l'enfant échanger des mots dans une langue complexe dont il ne comprit rien, mais il sentit transparaître la fierté de l'enfant et surtout la douceur mêlée de tendresse dans les paroles de son amant.
Le souvenir cessa brusquement tandis qu'apparaissaient de nouvelles images et impressions : une chaleur assommante et cette sensation indéfinissable de torpeur qui précède ou qui suit le sommeil, le plaisir d'une sieste indolente, bercé et contenu par un hamac à peine balancé dans un souffle d'air. Severus perçut la traction des mains de l'enfant sur le tissu et le mouvement du hamac qui penchait légèrement vers le côté où il cherchait à grimper. Il avait dû s'appuyer sur un support quelconque car il parvint bientôt à se hisser dans le cocon de tissu, escaladant le corps de Harry comme il l'aurait fait d'un lit jusqu'à s'allonger sur lui, la tête posée sur son torse.
Severus sentait le poids léger de l'enfant que soulevait sa poitrine à chaque respiration, les cheveux éparpillés sur sa peau qui le chatouillaient, les petits pieds frais de part et d'autre de ses hanches et les petits poings serrés glissés entre leurs deux corps réunis. L'odeur de l'enfant lui emplit les narines, si particulière et si familière, une odeur un peu âcre de transpiration à la base des cheveux qui lui rappelait le vinaigre et tous ces moments de tendresse passés dans ses bras. Il se sentit soulever un bras pour enserrer le petit corps tiède et son autre main vint dégager le visage de l'enfant de cette chevelure indocile qui cachait ses yeux noirs si beaux et si lumineux. Des yeux qui papillonnaient de sommeil et qui se fermèrent sous la caresse tandis que l'un et l'autre se laissaient glisser dans la torpeur chaude et moite de l'assoupissement.
.
.
L'obscurité le surprit. Le jour avait tant baissé que la bibliothèque était plongée dans la pénombre et le froid le saisit tout aussitôt. Le contraste était brutal avec la chaleur humide et étouffante qui régnait dans le souvenir et Severus se rendit compte que les mains de Harry n'étaient plus sur ses épaules et sa nuque, laissant sur sa peau la mémoire d'une tiédeur perdue. Il se retourna brusquement pour ne voir derrière lui que la porte fermée de la pièce et des fauteuils vides de toute présence.
.
.
Il avait cherché Harry dans sa chambre, puis dans le laboratoire du sous-sol, dans la rotonde et même dans la salle de duel. Le Petit Salon était vide également et la seule autre pièce que Harry affectionnait particulièrement était la véranda. En se dirigeant vers le fond du couloir, il aperçut la porte de cette pièce que Lucius avait confiée au jeune homme, laissant libre cours à ses envies, et dans laquelle il n'avait jamais pénétré depuis que Harry l'avait transformée.
Severus frappa à la porte sans obtenir de réponse et il allait passer son chemin quand la curiosité le poussa à ouvrir malgré tout. Derrière le rideau crépitant de magie, il sentit la même chaleur humide que dans le souvenir qu'il venait de quitter, cette moiteur épaisse qui collait à la peau et dont il détestait la sensation. La température était si étouffante qu'il se sentit assailli et oppressé au premier pas, engoncé dans ses vêtements et transpirant sans le moindre effort.
Derrière le rideau des premiers arbres et des fougères, il aperçut un espace dégagé qui ressemblait tant à une version miniature de la clairière du souvenir de Harry qu'il avança de quelques pas pour en avoir le cœur net. Là, il trouva le jeune homme, assis en tailleur sur une natte de coton tressé, perdu dans ses pensées. Harry avait la tête basse, fixant un point vague sur le sol sans paraître cligner des yeux. Peut-être avait-il même les yeux fermés; Severus qui n'apercevait presque que son dos ne pouvait pas en être certain, mais tout dans son attitude, et encore davantage dans la magie qui l'environnait, transpirait la résignation et la tristesse.
Severus s'approcha lentement, hésitant sur sa légitimé à être là et surtout maintenant.
Une fois derrière son amant, il s'accroupit et posa sa main sur son épaule pour signaler sa présence. Harry ne fut pas surpris, il l'avait très certainement entendu ou senti arriver, mais il se crispa légèrement en courbant le dos, et Severus frémit en réalisant que son amant avait la même attitude, entre sacrifice et abandon, que quelqu'un qui attend la réplique assassine ou le coup de grâce.
– Est-ce que ça va ? murmura-t-il.
Harry expira lentement le souffle qu'il avait retenu en attendant le premier mot qui sortirait de sa bouche et secoua doucement la tête.
– Oui, ça va. Mais je ne veux pas... je ne veux pas en parler.
– Tu n'as pas besoin d'en parler si c'est trop douloureux, mais je suis content de savoir à quoi il ressemble.
– Ressemblait.
Harry renversa brusquement la tête en arrière, les yeux clos aveugles vers les frondaisons denses et entremêlées qui cachaient la lumière.
– Oui, c'est douloureux. Et pourtant, ça l'est de moins en moins. Petit à petit, la douleur s'estompe, tout autant que la mémoire de ces moments-là, des petites choses précises qui se délitent... Je sens que le souvenir se perd, qu'il s'affaiblit avec le temps. Je perds la mémoire de la douceur de sa peau, le son de son rire, l'éclat particulier de son regard ou ce crépitement lorsque nos magies se touchaient. La façon qu'il avait de prononcer mon nom ou cet accent chantant lorsqu'il m'appelait Xalli à cause de la couleur de ma peau, si pâle à côté de la sienne... Les étoiles dans ses yeux lorsque je faisais apparaître des patronus et qu'il les regardait danser dans l'obscurité. Son rire lorsqu'il partait en courant se cacher dans la forêt et que je devais faire appel à la magie pour le retrouver, sa moue boudeuse lorsque je lui disais non, son besoin parfois surprenant de se réfugier dans mes bras, les éclats de rire quand je le chatouillais, la façon dont il battait des mains avec un regard gourmand quand je ramenais des paniers de fruits. Il adorait les fruits, il les croquait comme des bonbons : les corossols, les pitayas, les coronilles pourtant si acides, et il pouvait en manger dix, vingt par jour jusqu'à s'en rendre malade...
Harry se tut un instant tandis que Severus passait ses bras autour de son torse et de ses épaules. Sa voix ne tremblait pas, plus solide et assurée qu'il ne l'aurait pensé en pareilles circonstances.
– Il riait beaucoup. Tout le temps, même. Et pourtant, le dernier souvenir que j'ai de lui, c'est la tristesse dans son regard lorsque je l'ai laissé au village et à sa mère pour ce qui ne devait être que quelques jours... Le sentiment d'abandon dans ses yeux.
Harry renversa la tête en arrière, les yeux toujours clos, pour la poser sur l'épaule de Severus.
– Un jour, son image rejoindra tous mes autres fantômes : mes parents, Sirius et Remus, Ron et Hermione... et je suis partagé entre le soulagement que peut apporter l'oubli et le sentiment de perdre jour après jour les souvenirs que j'ai de lui...
– Il sera toujours présent quelque part en toi, murmura Severus.
– Mais si loin... Rien de plus qu'une ombre, fit Harry en portant sa main sur la pierre verte qui pendait toujours à son cou. Il n'existe plus que dans mon souvenir, tu comprends ? Le jour où je l'oublierai, il sera mort une deuxième fois. Et à jamais.
Severus resserra un peu plus ses bras autour de son amant sans ajouter un mot. Qu'y avait-il à ajouter à cela ?
– Il me manque.
.
ooOOoo
.
Il ne savait même pas comment tout s'était délié. Il avait peur. Il avait mal. Il avait surtout eu peur d'avoir mal... Et Severus était venu, qui en l'autorisant à se taire avait libéré sa parole. Il avait défait sans le savoir, sans même le comprendre, le nœud gordien qui retenait enfoui en lui tous ses souvenirs, sa douleur, sa mémoire, et parler avait alors été facile, étonnamment facile. Évoquer Axaya, ce qu'il représentait pour lui, l'attachement, l'amour qui les liait, et même ces petites choses insignifiantes du quotidien qui n'avaient de sens pour personne, sauf pour lui.
Malgré cela restaient la douleur et la culpabilité, à nouveau ressurgies au grand jour.
.
– Ça fait deux fois que tu rates cette potion, fit Sam à voix basse en passant derrière lui. Qu'est-ce qui ne va pas ?
Dans le laboratoire, chacun vaquait à ses occupations et aucun membre de l'équipe ne semblait avoir entendu les paroles de leur responsable.
– Rien. Je ne suis pas concentré, c'est tout, fit Harry sur le même ton.
– Ça ne te ressemble pas. Tu saurais la faire les yeux fermés ! Je ne sais même pas comment c'est possible que tu rates cette potion !
– J'ai eu une soirée éprouvante et j'ai mal dormi. Rien de méchant.
Il avait fait des cauchemars toute la nuit à dire vrai, et cela malgré la présence de Severus. Des images d'une eau sombre et froide qui engloutissait jusqu'à la moindre parcelle de lumière et de chaleur.
– Des soucis avec Severus ?
Se retournant brusquement, Harry fusilla Sam du regard. Peu importe comment le jeune homme était au courant – peut-être Matthieu avec qui il était ami avait-il confirmé ses soupçons – mais il ne voulait pas entendre parler de ça ici ! Sa vie privée devait rester loin de Sainte-Mangouste.
– Tu veux aller boire un café ? proposa Sam sans se démonter. Puis devant son refus, il ajouta : Alors, sors de là. Va prendre l'air... Va faire du sport, va danser, boire un coup ou te saouler toute la nuit... mais ça ne sert à rien que tu restes ici. Tu as besoin de te défouler.
Harry observa Sam plus attentivement. Le ton était péremptoire mais le regard soucieux, et de toute évidence, le responsable du laboratoire avait raison : il avait besoin de se vider l'esprit, de purger son cerveau de toutes ces réminiscences qui l'empoisonnaient, et il n'y avait rien de mieux pour cela qu'un bon épuisement physique.
.
.
L'air était frais autour du stade de quidditch et la température baissait rapidement à mesure que le soleil déclinait sur l'horizon. Toute cette journée avait été grise, morne et lente comme le temps qui refuse de s'épuiser alors que l'on voudrait passer à autre chose. Interminable et épuisante.
Harry vint s'appuyer contre la barrière qui ceinturait le terrain, les avant-bras posés sur le bois humide peint en blanc qui luisait doucement en renvoyant la lumière accumulée dans la journée. De part et d'autre, les poteaux surmontés des anneaux des buts luisaient de la même manière, ressemblant à des auréoles étranges dans la pénombre du soir qui tombait. Dans les airs, des balais filaient comme des flèches dont les trajectoires étaient signalées de loin en loin par les jurons, les invectives et les ordres que se donnaient les joueuses. Harry ne voyait pas Draco, même s'il entendait parfois sa voix, encourageant ou critiquant une des filles.
– Il serait peut-être temps qu'ils allument les projecteurs, fit Georges en venant s'accouder à ses côtés, on n'y voit plus rien !
Harry hocha machinalement la tête avant de le reconnaître et de le saluer plus chaleureusement, tandis que tout autour du stade se mettaient à luire des dizaines de lanternes magiques qui baignèrent bientôt le terrain d'une douce lumière jaune-orangée.
– C'est mieux ! fit Georges en cherchant du regard sa femme qui volait avec le reste de l'équipe.
– Qui surveille tes affreux si vous êtes là tous les deux ? sourit Harry. Molly ?
– Non, ils sont quelque part par là, à chercher une bêtise à faire, ricana Georges. Si tu bois ou mange quelque chose ici ce soir, méfie-toi de ce que tu avales...
Harry sourit de plus belle, cherchant dans l'ombre les silhouettes furtives des enfants de Georges et Angie sans en voir aucune trace et il se demanda un instant quel mauvais coup ils étaient en train de fomenter dans les coulisses. Et il ricana encore davantage lorsque la phrase « Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises » résonna instinctivement dans sa tête.
– Comment vas-tu depuis le dîner chez Draco ? Toujours entre le Manoir et Sainte-Mangouste ?
Harry hocha simplement la tête sans vouloir s'étendre.
– Et toi ? Et vous ? corrigea-t-il.
– Tout le monde va bien. Les entraînements d'Angie, le magasin... la routine quoi. On s'ennuierait presque s'il n'y avait pas les enfants pour pimenter tout ça !
Harry ne put qu'acquiescer sans un mot.
– Et Fred ? Comment va-t-il ? Il avait l'air... changé.
Il délaissa un instant le spectacle des balais dans les airs pour reporter son regard sur Georges dont le visage prenait une expression plus sombre.
– Fred traverse une épreuve difficile, et honnêtement, je ne sais pas dans quel état il en sortira, s'il en sort un jour... La culpabilité est un boulet qui le traîne sans cesse vers le fond et qui le ronge de l'intérieur.
– La culpabilité de quoi ?
Georges secoua la tête en signe de dénégation.
– Ce n'est pas à moi qu'il appartient de dévoiler la vie de mon frère. Va le trouver. Il sera certainement content de te voir...
Harry ne voulut pas manifester de manière évidente son scepticisme et tandis qu'il débattait en lui-même de la raison qui le poussait à être si dubitatif, une phrase s'échappa de ses lèvres malgré lui :
– Et... Charlie ?
Cette question qu'il n'avait pas osé poser chez Draco, et sur laquelle il n'avait pas voulu s'étendre lors de leurs retrouvailles au magasin à cause de la présence de Fred et de Matthieu, peut-être pouvait-il l'aborder là, maintenant, pendant ce tête à tête informel avec Georges, peut-être était-elle plus admissible, plus simple dans ce semblant d'intimité.
– Que veux-tu savoir sur Charlie ? fit Georges avec un regard dur.
– Je ne sais pas... Est-ce qu'il va bien ?
Ils entendirent le sifflement des balais qui descendaient rapidement de leur altitude de vol, et avant que Georges n'ait pu répondre à sa question, trois silhouettes se tenaient à leurs côtés, les joues rougies par la vitesse et l'air frais, et légèrement échevelées.
– Alors, beau gosse, tu joues ou tu t'encroûtes avec les pères de famille ?
– Hey ! Doucement en parlant de mon mari, Ali ! gronda Angelina.
– Quelque chose à redire contre les pères de famille ? ironisa Draco en atterrissant à son tour à côté du trio infernal.
– Vous ne valez plus rien, toi et Georges, fit Katie en le narguant. Vous volez comme si les brindilles de vos balais étaient collées ! Je veux voir ce que Harry a dans le ventre ! À Poudlard, il était tellement meilleur que toi !
Harry se sentit vaguement mal-à-l'aise, incapable de savoir ce qui tenait de la provocation, de la plaisanterie ou de la vérité.
– Heu... Je n'ai pas joué depuis des années et la dernière fois que j'ai volé contre Draco, il m'a battu à plate couture !
– Allez ! Grimpe ! fit Alicia en lui jetant un balai. Et montre-nous ce que tu vaux !
Il hésita un instant, contemplant le manche du balai dans sa main et son esprit oscilla longuement entre les images du présent et du passé, les souvenirs d'autres matchs, les encouragement de ces mêmes voix dans les vestiaires avant de rentrer sur le terrain, les acclamations, les bravos, les félicitations alors qu'un vif d'or vibrait encore entre ses mains. Ils étaient presque au complet pour reformer l'équipe mythique de Gryffondor... il ne manquait que Fred. Et Ron...
– Qui joue contre qui ? fit-il en enfourchant le balai.
– Ah ah ! Bien parlé ! s'exclama Katie. Toi et moi pour le vif ?
– Hors de question ! intervint Alicia. On veut jouer nous aussi !
Draco s'approcha, s'interposant presque physiquement entre les filles.
– Tout le monde va jouer, affirma-t-il. Georges, tu joues aussi ?
Et devant le franc sourire de Georges, il ajouta :
– Georges et moi jouons avec l'équipe B en récupérant Kimmy. En équipe A, Katie tu repasses poursuiveuse avec Alicia et Angelina, comme autrefois, et Harry passe attrapeur. Ça vous va ?
– Mais ça fait quatre poursuiveurs et trois batteurs en équipe B, avec Georges et Kimmy ! protesta Alicia.
– Mais vous gardez Katie et Harry, fit Draco avec un sourire machiavélique. Le premier à cent cinquante points ou au vif. Ça va pour tout le monde ?
Il n'y eut que des hochements de tête et quelqu'un tendit un balai à Georges qui se débarrassa de sa veste en ricanant et en échangeant des provocations discrètes avec sa femme.
.
.
Le plaisir de voler était étourdissant, presque brutal, et Harry s'y jeta à corps perdu.
Il était venu pour ça : pour se vider la tête, pour l'adrénaline, pour la bouffée d'angoisse en voyant le cognard se diriger droit sur lui avant d'être dévié par un batteur, pour la sueur qui ruisselait le long de son dos, pour le vent qui sifflait dans ses oreilles, tout autant que le souaffle qui filait vers les buts, pour les cris de joie ou les injures qui fusaient parfois, pour ses cheveux qui fouettaient son visage, pour la vitesse, pour la sensation vertigineuse des descentes en flèche, pour tous ses sens à l'affût du moindre reflet doré, et puis pour oublier.
Et il oublia. Tout sauf ce plaisir-là, voler comme autrefois, et les visages fugitifs qu'il apercevait, rayonnants de bonheur, Katie, Georges, les cheveux blonds de Draco, le poing levé d'Alicia après un but marqué, le doigt d'honneur d'Angie à son mari en esquivant un cognard vicieux, la liberté retrouvée, l'ivresse, l'oubli...
.
.
La sensation du sol était étrange sous ses pieds, trop ferme et trop immobile, mais Harry était aussi trop épuisé pour y porter attention. Il s'était trouvé minable, « grandiose » aux dires des filles... la vérité se situait sans doute quelque part entre les deux. Mais ils avaient perdus, indubitablement. Les filles avaient mené aux points mais Draco avait attrapé le vif, avec une facilité déconcertante et une aisance sur son balai que Harry avait perdues depuis bien longtemps. Et avec un plaisir insolent, il était venu narguer Katie avec toute la suffisance d'un Serpentard et d'un Malfoy.
.
.
– Qui est partant pour une bière ? fit Alicia.
– Pas avant une bonne douche ! ricana Georges.
– Draco ? Harry ?
Draco acquiesça tandis que Harry hésitait. Il avait prévenu au Manoir qu'il rentrerait plus tard, mais il avait aussi envie de passer un peu de temps avec Severus et Lucius. Le calme et la tendresse des deux hommes lui manquaient brusquement.
– Allez, Harry ! fit Alicia en souriant.
– Une bière mais pas plus, concéda-t-il. Après, je rentre.
– Pourquoi faire ? Tu n'es pas un chien qui doit rentrer à la niche ! ironisa Katie. Personne ne t'attend. Une petite soirée à picoler ne te fera pas de mal !
Un pincement au cœur le fit taire. Ce n'était qu'une moquerie inoffensive mais elle faisait mouche à un endroit sensible, bien que Harry ne sache pas déterminer où avec précision. En réalité, quelqu'un l'attendait mais il ne pouvait pas le dire... Enfin. Severus ne l'attendait pas vraiment puisqu'il passerait la nuit avec Lucius. Disons qu'il se sentirait vaguement coupable s'il ne rentrait pas assez tôt pour les voir avant de se coucher...
– Tu oublies que Harry est invité au Manoir et que mon père est très à cheval sur l'étiquette ! fit sèchement Draco en volant à son secours.
– Et toi ? railla Katie. Tu ne devrais pas rentrer ? Tu laisses ta femme enceinte seule à la maison pour garder les enfants pendant que tu vas picoler ?!
– Ça suffit Katie ! intervint Angelina. Ne te mêle pas de la vie des autres. Ce n'est pas parce que tu t'es engueulée avec Karl que tu dois faire suer tout le monde.
Katie finit par s'excuser à reculons tandis qu'ils se dirigeaient vers les vestiaires. Harry la trouva d'autant plus injuste qu'il savait pertinemment que Daphnée et Lucius étaient allés au théâtre la veille au soir et que Draco était resté seul avec ses filles comme cela lui arrivait souvent.
– Elle n'est pas méchante, la défendit Draco alors qu'ils prenaient une douche rapide. Mais la fin de sa carrière lui mine le moral et elle est particulièrement hargneuse et revêche en ce moment.
Harry hocha la tête avec un regard dubitatif, peu enclin à pardonner ces paroles désagréables.
.
oooooo
.
– Les Maîtres sont dans la salle de cinéma, crut bon de l'avertir Sky alors qu'elle lui préparait une tasse de champurrado.
– Ah ? Merci.
Harry les pensait déjà couchés et il avait transplané directement dans les cuisines en rentrant pour se préparer une douceur avant de monter dans sa chambre. Après les remontrances d'Angie, Katie avait fini par se calmer et ils avaient passé une plutôt bonne soirée, arrosée de plus de bière qu'il ne l'avait prévu. Ils avaient ri à en pleurer en découvrant Alicia au sortir des vestiaires, la peau colorée par endroits de vert ou de rouge par les méfaits des enfants Weasley – qui avaient piégé l'eau des douches mais qui manquaient encore un peu d'expérience pour travailler à grande échelle... Ils avaient à peine mangé, mais bu beaucoup, ri encore davantage et même un peu dansé dans le bar branché où Alicia les avait traînés.
Harry les avait laissées au bout d'un moment, fatigué et souriant. Il ne restait plus que Katie, Angie et Alicia et quelques autres filles de l'équipe. Après deux ou trois bières, Georges était parti avec ses enfants en laissant sa femme continuer à faire la bringue, et Draco était rentré rejoindre Daphnée, non sans l'avertir discrètement :
– Méfie-toi ! Elles sont parties pour toute la nuit, et crois-moi, elles ont de l'entraînement !
.
.
En remontant l'escalier en colimaçon avec sa tasse à la main, Harry songeait à cette promesse d'ivrogne : revenir rapidement pour voler avec elles et même participer aux entraînements... Mais il devait reconnaître que cette séance de quidditch lui avait fait un bien fou. Ses pensées moroses s'étaient estompées et la fatigue physique avait apaisé son corps; il se sentait fourbu mais repu, prêt à une bonne nuit de sommeil.
Il entra dans la salle de cinéma en même temps que défilait le générique de fin sur l'écran et trouva les deux hommes dans leur position habituelle : Lucius à demi allongé en travers du canapé, ses pieds reposants sur les cuisses de Severus dont la main, glissée sous le tissu du pantalon, caressait la jambe de son compagnon. Et comme à chaque fois qu'il les trouvait ainsi, il eut l'impression d'être de trop et de les déranger.
Harry s'approcha pour leur dire bonsoir et s'excuser de son absence au dîner, et se pencha vers son amant pour l'embrasser rapidement. Pris dans un geste irréfléchi, il s'interrompit à l'ébauche du même mouvement envers Lucius, confus et surpris de sa propre confusion, ne sachant plus comment le saluer. Si les deux hommes remarquèrent son hésitation, aucun ne la releva et il se redressa, vaguement embarrassé, tandis que Severus remarquait :
– Tu sens l'alcool.
– À peine quelques bières, protesta-t-il. Je ne te savais pas si pointilleux.
Severus fronça les sourcils. Sa remarque avait été dite avec le sourire et sur le ton de la plaisanterie, mais Harry ne l'avait pas perçue ainsi, et réagissait comme si une épine l'avait piqué. À vif, à fleur de peau. Il tendit la main pour saisir celle du jeune homme et le retenir vers lui, mais Harry s'esquiva en reculant avant de leur souhaiter une bonne nuit.
Lucius n'avait rien perdu de ce qui venait de se jouer et lorsque Severus tourna la tête vers lui, il rencontra son regard circonspect, presque inquiet. Il n'eut pas besoin de dire un seul mot, de formuler la question pour que Lucius acquiesce en haussant les épaules, le visage tout de même crispé. Sans lire dans ses pensées, Severus savait exactement ce qui traversait l'esprit de son compagnon : la lassitude, un sentiment de sacrifice et de la contrariété. Lucius cédait parce qu'il le lui demandait mais ce n'était pas de gaieté de cœur.
Il retira ses pieds de ses cuisses, signe ultime qu'il se résignait à le laisser partir, et Severus se leva. Il tenta un geste tendre envers son compagnon, qui resta sans réponse aucune, et quitta la pièce avec regret.
.
.
Ce ne fut qu'en sortant de sa salle de bains que Harry remarqua une masse sombre posée sur son lit, et reconnut en s'approchant la fourrure noire et brune d'Orion, lové en boule près des oreillers, si enroulé sur lui-même que ne dépassaient que la pointe d'une oreille et les moustaches frémissantes. En souriant, il observa la respiration saccadée qui secouait le corps endormi et les babines retroussées pour mordre une proie imaginaire issue d'un profond sommeil.
Orion s'étira mollement lorsqu'il s'assit à ses côtés sur le lit, déployant une patte aux griffes acérées et bâillant d'un air très distingué. Avec ravissement, Harry plongea sa main dans la fourrure soyeuse, plus douce et aérienne que le plus doux des tissus. Orion se roula avec bonheur sur le dos, offrant son cou aux caresses et ronronnant comme un chaton en manque d'affection.
– Qu'est-ce que tu fais là ? murmura Harry. Tu sais que ce n'est pas le lit de ton maître, ici ? Ce n'est que le mien...
À voir son attitude, Orion se moquait éperdument de ses paroles, mais brutalement, Harry prit conscience de ce qu'il venait de dire. Ce lit n'était pas le lit de Severus, pas plus que ce n'était sa place.
.
– Eh bien ? Tu es à ce point désespéré que tu fais la conversation à mon chat, maintenant ?
Harry se retourna pour voir Severus, juste vêtu de son kimono, qui refermait derrière lui la porte de sa chambre.
– Qu'est-ce que tu fais là ? murmura-t-il à nouveau. Tu as déjà dormi avec moi hier soir, c'est au tour de Lucius normalement.
– Il n'y a pas de « normalement » qui tienne. C'est encore moi qui décide avec qui je dors, il me semble, fit Severus en s'avançant vers le lit.
Harry secoua la tête. Il aurait voulu ne pas bouder son plaisir mais cette situation ne lui disait rien qui vaille.
– Tais-toi et viens te coucher, fit Severus en laissant glisser de ses épaules le kimono qu'il posa au pied du lit.
.
.
Réticent au début, Harry était rapidement venu se lover entre ses bras, collant son dos contre son torse et il s'était endormi sans un mot de plus. Severus, lui, avait du mal à trouver le sommeil. Il ne savait pas vraiment ce qui tourmentait Harry, bien qu'il se doutât que cela eût un rapport avec ses souvenirs concernant son... « fils » ? mais il sentait indistinctement que le jeune homme avait besoin de lui. Et il était venu.
Abandonnant pour cela Lucius à son triste sort, et de ce geste-là, il ressentait une culpabilité immense. Severus ne voulait pas privilégier l'un par rapport à l'autre, il ne voulait surtout pas donner l'impression qu'il négligeait l'un ou l'autre de ses partenaires, mais à travers leurs sensibilités individuelles, l'équilibre était difficile à trouver et tout cela lui demandait une attention permanente. Il avait nettement perçu la contrariété et l'amertume de Lucius, et malgré tout, son compagnon l'avait laissé partir... parce qu'il avait également perçu le trouble de Harry et son mal-être latent. Mais il s'était senti floué, et Severus n'était pas certain que ce ne soit pas le cas. Il accordait deux nuits d'affilée à Harry, parce que cela s'imposait, mais si le jeune homme continuait à être ainsi tourmenté, pourrait-il se libérer pour accorder autant d'attention à Lucius ?
.
oooooo
.
L'aube éclairait à peine l'horizon quand Harry entrouvrit les yeux, les refermant aussitôt pour se concentrer sur la sensation du corps de Severus collé contre son dos. Avec le sourire en plus, il se réveillait dans la même position que celle dans laquelle il s'était endormi, lové entre ses bras et son souffle sur son épaule.
Mais appuyée contre ses fesses, il sentait aussi une présence imposante et parfaitement réveillée.
– Tu as envie de sexe, murmura-t-il en souriant.
Et de fait, ils n'avaient pas fait l'amour depuis plusieurs jours; depuis la visite de Dorléans en réalité, et c'était surprenant. Inédit.
Severus pouvait profiter de Lucius à loisirs, mais avec son compagnon, il ne pouvait pas tout faire... et certaines choses devaient lui manquer.
– Je n'ai pas envie de sexe, j'ai envie de toi... Et ce n'est pas du tout la même chose, murmura la voix de Severus. Rendors-toi, il est encore l'heure de dormir...
.
.
Quand Harry ouvrit à nouveau les yeux, la lumière était plus vive et son regard plongea directement dans les yeux sombres de Severus, allongé sur le côté, la tête appuyée sur la main, et qui l'observait émerger de son sommeil. Un sourire naquit sur ses lèvres sous le regard de son amant et il s'étira langoureusement avant de reprendre sa position première, sur le ventre et les deux bras nichés sous son oreiller.
Il referma les yeux pour savourer la main de Severus qui passait sur son dos, caressait ses épaules et le creux de ses reins, et allait parfois jusqu'à s'égarer sur ses fesses. Bientôt ce furent des lèvres fraîches qui vinrent papillonner sur sa peau, déposant de légères traces humides qui le firent frissonner de plaisir et d'attente. Mais Severus ne semblait pas disposé à pousser plus loin que ces quelques caresses et Harry finit par gémir de frustration dans son demi-sommeil.
– Fais-moi l'amour, Severus...
– Chuuttt, murmura-t-il d'une voix amusée. Tu n'es même pas réveillé...
– Assez pour savoir que j'en ai envie, murmura Harry sans ouvrir les yeux. Aime-moi, Severus...
Sa voix avait presque le ton de la supplique et s'il éprouvait un désir manifeste pour le jeune homme, Severus faillit perdre de sa superbe aux mots même qu'avait employés Harry. Cette demande d'amour semblait insatiable, dépassant le simple plaisir charnel, c'était une prière, une supplique, un manque.
Harry, qui avait été si sauvage et si fuyant au début de leur relation, si méfiant avant de s'entrouvrir, laissait peu à peu transparaître un besoin d'amour impressionnant, que Severus n'était pas sûr de pouvoir combler.
D'une main hésitante, il reprit ses caresses tandis que Harry cambrait légèrement les reins dans l'espoir de quelque chose de plus.
– Je ne veux pas te faire mal..., murmura Severus.
Il n'était pas certain de ne parler que de sexe mais Harry se mit à sourire de manière surprenante.
– Je t'ai connu moins précautionneux, fit-il en offrant simultanément son cou et ses fesses à la bouche et au sexe de Severus.
.
ooOOoo
.
Lucius les rejoignit dans la Salle à Manger alors qu'ils avaient quasiment terminé leur petit-déjeuner. Il se contenta d'un « Bonjour » général, s'assit à sa place et se servit une généreuse tasse de thé en se plongeant dans la lecture des journaux du matin.
Ils se regardèrent mutuellement et Harry vit dans les yeux de son amant une tristesse et un découragement qui lui firent mal au ventre. Severus semblait d'un seul coup immensément fatigué et il se repoussa au fond de son siège en retenant un soupir abattu que Harry perçut aussi distinctement qu'un coup de tonnerre.
Chacun muré dans son silence, la scène était aussi insupportable que la pire des disputes et Severus se dévoua malgré tout pour rompre cette ambiance pesante.
– Tu as quelque chose de prévu ce week-end ou tu restes ici ? fit-il à Harry.
Il se doutait que Lucius prendrait mal cette question adressée à son amant, mais quoi que Severus dise ou ne dise pas, son compagnon semblait enclin à l'agacement et au reproche.
– J'ai invité Matthieu à déjeuner ce midi... à Pré-au-lard ou à Londres. J'attends sa réponse. Ça fait un moment que je ne l'ai pas vu...
– Il doit être en plein dans les corrections des examens, signala Severus.
– Justement. Ça lui fera du bien de changer un peu d'air et de sortir de Poudlard.
– Tu peux l'inviter à déjeuner au Manoir, si tu veux, fit Lucius sans même lever la tête de son journal.
La voix de Lucius était neutre, sans aucune animosité, mais Harry ne put s'empêcher de frémir car c'était un coup bas porté à Severus. Lui-même n'avait encore jamais osé proposer à son amant un rendez-vous à trois, de peur de le mettre mal-à-l'aise. Sa relation avec Matthieu semblait trop privée, trop pudique pour que Severus souhaite l'afficher en public, même devant Harry ou Lucius. Cela faisait partie de ses jardins secrets, qu'il mentionnait peu et partageait encore moins.
Et cette proposition de Lucius, si elle signifiait beaucoup pour Harry qui se sentait un peu plus libre de vivre au Manoir et d'y inviter du monde, était aussi une façon de se servir de lui pour mettre Severus en porte-à-faux. Et celui-ci ne l'appréciait visiblement pas.
– Tu peux même l'inviter à dîner, si vous préférez vous passer de ma présence : je ne serai pas là ce soir.
– Où vas-tu ? fit Severus en fronçant les sourcils.
– À Paris. Je dîne avec Francis et Mandy.
Le regard de Severus était sombre à l'évocation de ce nom que Harry avait déjà entendu mais qui semblait si lointain. Il dut faire un effort de mémoire pour se souvenir qu'il s'agissait de l'ancienne secrétaire de Lucius du temps de son passage au Ministère.
– Mandy ? insista Severus.
– Oui, Mandy. D'ailleurs nous sommes invités à leur mariage au mois d'août, fit Lucius en récupérant une enveloppe de dessous sa pile de journaux qu'il poussa négligemment du bout du doigt vers l'assiette de Severus.
L'enveloppe était encore cachetée mais Lucius savait de toute évidence ce qu'elle contenait. Severus défit le sceau et sortit en fronçant les sourcils un carton d'invitation personnalisé qui s'adressait à Lord Lucius Malefoy, Maître Severus Rogue et Monsieur Harry Potter.
Dorléans avait pris la peine de les inviter tous les trois, au dîner et à la réception qui suivrait, comme s'il était une évidence même que Severus accompagne Lucius et que Harry accompagne Severus.
– Bien, fit-il en tendant le carton d'invitation à Harry.
Harry y jeta un regard rapide, surpris d'y trouver son nom, mais encore davantage surpris de voir Severus se pincer l'arête du nez en soupirant, comme il ne l'avait pas vu faire depuis des années. Il avait complètement perdu ce tic si fréquent autrefois, alors qu'il était professeur, et sa résurgence ne signifiait rien de bon.
– Tu te souviens que j'ai le salon de New-York la semaine prochaine ? fit Severus à son compagnon en se massant les tempes.
– Oui. Quand pars-tu ?
– Lundi après-midi...
En réalité, c'était lui qui avait complètement oublié ce salon, dont il ne s'était souvenu qu'en trouvant dans son bureau tout à l'heure les billets pour le portoloin international qu'il avait réservés depuis l'année précédente. Et Severus était aussi certain que Lucius s'en souvenait parfaitement, tout comme il savait sans doute depuis plusieurs jours qu'il allait dîner à Paris le soir même.
Ce qui rendait d'autant plus douloureuse son abnégation de la veille lorsqu'il l'avait laissé rejoindre Harry pour la nuit. Pour une deuxième nuit de suite. Et Lucius n'était pas là ce soir. Et lui ne serait pas là pour les trois premières nuits de la semaine. Et il s'était fait une telle promesse de ne négliger aucun de ses amants, d'être équitable et juste entre les deux... il avait tout raté.
Sans compter que le comportement de Lucius ne lui disait rien qui vaille. Cette espèce de fierté malsaine à se complaire dans le silence, cet esprit de sacrifice qui ressurgissait brusquement, le même qui l'avait conduit dans le coma à Sainte-Mangouste plusieurs mois auparavant... Lucius ne réclamerait jamais rien et préférerait s'effacer plutôt que de quémander quoi que ce soit. Cette situation était à s'arracher les cheveux !
– Je vous laisse, j'ai du travail... Bonne journée.
En blêmissant, Harry regarda Lucius se lever et se retirer dans son bureau. Lui aussi avait suivi le même raisonnement que son amant et venait de comprendre qu'en l'espace d'une semaine, Lucius n'aurait qu'une seule nuit avec son compagnon; si tant est qu'il lui laisse l'accès à son lit, ce qui semblait compliqué au vu de son humeur.
– C'est quoi ce salon ? fit Harry à mi-voix.
– Un salon du livre ancien, qui se tient tous les ans à New-York, avoua Severus en soupirant. Que j'avais complètement oublié, tu t'en doutes... Et que je ne peux pas annuler. Je me suis engagé pour une conférence et j'ai des obligations envers certains clients...
– Est-ce que... tu ne peux pas rentrer tous les soirs ? fit Harry en voyant de nouveau Severus se pincer l'arête du nez en fermant les yeux de contrariété.
– Tout le monde ne peut pas transplaner à l'autre bout du monde en un clin d'œil comme tu le fais, fit-il sèchement. Je pars avec un portoloin et je ne peux pas rentrer avant jeudi.
– Tu veux que je vienne te chercher tous les soirs et que je te ramène là-bas le matin ? proposa Harry. Ça ne me pose pas de problème. Je crois que Lucius a besoin...
– Non. Je crois que j'ai aussi besoin d'air.
Harry se mordit la lèvre, dépité par cette situation inextinguible qu'il avait créée.
– Je suis désolé. Je...
– Ce n'est pas de ta faute, fit Severus. J'aurais dû être plus attentif.
– Je vais aller lui parler, dit Harry en se levant, et devant les dénégations de Severus, il ajouta : C'est moi qui suis à l'origine de tout ça, c'est à moi d'aller le trouver.
.
oooooo
.
Il savait Lucius dans son bureau et pourtant Harry n'obtint pas de réponse en frappant à sa porte. Il finit par ouvrir malgré tout, sans savoir même ce qu'il allait dire à Lucius, mais il ne pouvait pas rester sur cette situation bloquée dont il était grandement responsable.
L'aristocrate travaillait à son bureau, penché sur la lecture d'un rapport qu'il annotait au fur et à mesure. Sa magnifique plume blanche continuait à tracer des lignes régulières sur le parchemin quand il lui demanda sans même tourner la tête :
– Qu'est-ce que tu veux ?
– M'excuser..., fit Harry.
– Tu n'as pas à t'excuser, répliqua aussitôt Lucius. Tu n'es pas responsable de ce qui se passe entre Severus et moi, ni de quoi que ce soit d'autre.
Harry s'approcha doucement tandis que le grattement de la plume sur le papier troublait à peine le silence entre eux.
– Je crois que si, au contraire, fit-il en s'appuyant contre le bois précieux du bureau. J'ai eu... j'ai eu besoin de Severus ces jours-ci, de sa présence et de pouvoir parler avec lui... Il a eu conscience que j'étais troublé et c'est à cause de moi s'il a été moins disponible pour vous, en particulier cette nuit. Il ne l'a pas fait de gaieté de cœur pourtant, et je sais qu'il s'en veut de ne pas pouvoir être juste et équitable entre nous. Cette situation n'est facile ni pour vous, ni pour moi, mais encore moins pour lui...
– Si Severus a quelque chose à me dire, il viendra me le dire lui-même, dit Lucius d'une voix fermée.
La plume grattait toujours, entêtée, agaçante dans ce silence amer. Et l'attitude inflexible de Lucius ne laissait pas la moindre place à un espoir de l'adoucir ou de le faire changer d'avis.
– Est-ce que... Est-ce que vous préférez que je quitte le Manoir pendant l'absence de Severus ?
La plume crissa soudain sur le papier et pour la première fois depuis qu'il était entré dans son bureau, Lucius leva la tête vers lui.
– Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? lâcha-t-il avec une grossièreté surprenante. Pourquoi est-ce que tu ne pourrais pas rester ici pendant l'absence de Severus ?!
Lucius se redressa complètement et s'appuya contre le dossier de son fauteuil, son regard incisif rivé sur ses yeux. Ce que Harry venait de dire était à l'évidence une provocation, mais derrière les apparences, il était malgré tout sérieux.
– Bien entendu, tu fais ce que tu veux. Tu peux même rejoindre Severus à New-York si tu le souhaites... Mais tu es ici chez toi, tout autant que lui.
– Jamais je n'ai eu l'intention de le rejoindre là-bas, Lucius, fit doucement Harry en secouant la tête. Je travaille à Sainte-Mangouste...
Lucius hocha la tête en reposant lentement sa plume sur le bord de l'encrier. Harry disait vrai, de toute évidence; il n'avait même pas eu l'intention de quitter le Manoir. Mais ses paroles tenaient autant à le faire réagir et à le sortir de son indifférence apparente qu'à souligner l'absurdité de sa réaction vis à vis de Severus.
Lucius esquissa un sourire fugace. Severus avait certainement ses torts, et en particulier celui d'avoir oublié l'imminence de ce salon à New-York, mais il n'était pas responsable de la simultanéité entre ce salon et ces moments où Harry avait eu besoin de lui. Pas plus que de ce dîner à Paris. Il ne s'agissait après tout que de quelques jours de patience alors qu'il avait Severus pour lui seul depuis des années...
– Tout ira bien, fit-il à Harry.
Était-ce lui-même qu'il voulait rassurer en disant cela ou était-ce une promesse que la situation s'apaiserait ?
– Vraiment ?
Lucius hésita. Il restait cette épineuse question de rester seul avec Harry pendant trois jours en sachant le désir qu'il éprouvait parfois pour lui. Mais il était encore trop contrarié pour que cela lui semble un obstacle à quoi que ce soit, et il était de toute façon hors de question que le jeune homme se sente chassé du Manoir pour un problème qui ne concernait que lui. Il finit par hocher la tête assez sèchement. Trop pour que Harry ne le remarque pas.
Celui-ci fit un pas vers lui, conscient par il ne savait quel moyen de ses interrogations, et posa la main sur son épaule. À travers ce contact léger, Lucius sentait vibrer la magie, un condensé des sentiments de Harry à son égard, une affection bienveillante offerte comme un réconfort dans lequel il pouvait venir puiser, un petit cocon de douceur et de tendresse, sucré, tiède et accueillant.
Si Harry avait été complètement libre de ses gestes vis à vis de lui, s'ils n'avaient pas été ce qu'ils étaient l'un à l'autre, et Severus entre eux deux... Harry l'aurait pris dans ses bras peut-être, il aurait caressé son visage et glissé un baiser sur son front. Et Lucius n'était pas certain qu'il aurait refusé pareille démonstration de tendresse; mais pour tout un tas de raisons qui ne tenaient qu'à des conventions sociales, ce genre de comportement resterait prohibé entre eux et il devrait s'y faire.
Il se contenta d'effleurer de ses doigts la main du jeune homme, comme il le faisait avec Severus lorsqu'il avait ce même geste envers lui, et quelque chose de doux glissa malgré tout à travers sa peau, réchauffant son cœur tourmenté tandis que Harry s'éloignait déjà vers la porte.
– Tout ira bien, Lucius.
.
ooOOoo
.
– Alors, ces corrections, ça avance ? fit Harry tandis que le serveur déposait leurs assiettes fumantes devant chacun d'eux.
Finalement, ils avaient choisi Pré-au-lard, une table discrète dans le restaurant où ils étaient venus dîner avec Luna un jour, et retrouver Matt était toujours autant un plaisir !
– Ça avance, sourit Matthieu. Et c'est moins pire que ce que j'aurais cru... Il reste encore deux jours d'examens pratiques la semaine prochaine, et ensuite fini !
– Ça va te faire du bien ! Qu'est-ce que tu as prévu pour ces vacances ? Tu vas rentrer chez toi ?
Si Matthieu était radieux, il avait aussi l'air fatigué, de larges cernes ornant son visage aux traits tirés et il n'avait sans doute pas volé ces vacances.
– Qu'est-ce que tu entends par « chez moi » ? fit-il en riant.
– Eh bien, je ne sais pas, fit Harry, surpris par la question. J'imagine que tu as une maison ou un appartement en dehors de Poudlard... et que tu vas quitter le château pour les vacances.
En souriant toujours, Matthieu remplit leurs verres qu'ils avaient déjà bien attaqués en attendant leurs plats et avala quelques gorgées de vin.
– Je n'ai pas d'autre domicile que Poudlard, Harry. C'est pour ça que mes appartements sont aussi personnalisés peut-être... mais je vis au château toute l'année. Je vais sans doute partir « chez moi » en Bretagne quelques jours, voir ma famille et de vieux amis, mais je passe l'essentiel de l'été ici.
– Oh, fit Harry, étonné de cette révélation. J'ai toujours cru que tu avais une maison ou quelque chose... Tu avais dit que tu détestais vivre au Château...
Matt mangea un moment en silence en le dévisageant d'un air amusé avant de s'expliquer.
– Je ne déteste pas vivre au Château... mais quand je suis fatigué, je trouve ça pesant. C'est surtout le manque de liberté qui l'est : la charge de Directeur de Maison m'oblige à être présent quasiment en permanence, sans parler des repas dans la Grande Salle, des rondes de nuit, des fois où tu joues le bureau des pleurs pour les élèves... Ça me laisse peu de temps pour sortir, voir du monde et faire la fête. Mais les périodes de vacances, c'est différent. C'est même plutôt sympa à vrai dire. Poudlard ne ferme plus l'été, comme c'était le cas avant. Il y a toujours un peu de monde, des étudiants étrangers, des universités d'été, des stages, et moi, je n'ai plus la responsabilité des élèves ! Enfin si, j'anime encore un stage de perfectionnement en potion au mois d'août mais ce sont des étudiants majeurs, ils sont responsables de leurs bêtises ! Tu es le bienvenu d'ailleurs, si tu veux.
Harry gloussa sur sa gorgée de vin.
– Tu crois que j'ai besoin d'un stage de perfectionnement ?
– Peut-être... Sam m'a dit que tu ratais beaucoup de potions en ce moment ! répliqua Matt avec un air malin.
– Hum, grogna Harry. Il ne s'agit que d'une pauvre et malheureuse potion, et je ne vois même pas pourquoi il a été te rapporter ça !
Il finit par sourire devant l'amusement de Matthieu. Nul doute que l'indiscrétion du responsable du laboratoire se paierait cher le lundi suivant s'il avait le temps de passer par le magasin des frères Weasley !
– Ceci dit, reprit Matt, si tu veux venir une journée pour animer un atelier, ce serait avec plaisir...
– J'y réfléchirai, fit Harry avec un sourire pincé. Je ne voudrais pas mettre tes étudiants en danger avec mes potions ratées !
Matthieu ricana en se penchant sur son assiette, finissant sa tourte en quelques coups de fourchette, alors que Harry avait à peine entamé la sienne. Il n'avait pas vraiment faim; en réalité depuis son retour il mangeait trop, beaucoup trop pour sa ligne et pour sa frugalité habituelle. Il allait devoir revenir à des plaisirs plus rationnels...
– Et vous ? Qu'est-ce que vous avez prévu pour les vacances ?
La question paraissait presque saugrenue. Il n'avait pas vraiment l'impression de travailler et n'aurait pas plus le sentiment d'être en vacances si cela se produisait. L'été suivrait simplement son cours entre Sainte-Mangouste, les dossiers de Lucius et la Librairie de Severus...
– En fait... rien, fit Harry surpris dans ses pensées. Ce n'est pas vraiment quelque chose que l'on a évoqué... Je ne sais même pas ce qu'ils font habituellement.
– Eh bien, réfléchit Matthieu en se redressant contre le dossier de sa chaise. Il y a eu une époque où ils voyageaient beaucoup, quand Lucius a quitté le Ministère... Ils le font moins depuis quelques années; je crois que Severus avait plus fréquemment des migraines quand ils partaient ainsi : le changement d'air, de nourriture... Mais tous les ans, ils passent quelques jours en France et en famille à Torquay. Et puis chaque année, il y a le Bal des Malfoy début août, que Lucius donne pour son anniversaire. Une grosse réception mondaine comme Severus les aime et qui draine tout le beau monde de la haute société et de la politique.
Harry fit tourner lentement le vin dans son verre, incertain des sentiments que faisaient naître en lui les paroles de Matthieu.
– Je ne sais pas comment je dois prendre le fait que tu sois tellement mieux renseigné que moi, ironisa-t-il avec un brin d'amertume.
– Ne le prends pas mal, je t'en prie, sourit Matt en posant sa main sur son bras dans un geste amical. C'est juste que je les vois vivre depuis un certain nombre d'années...
– Je ne suis pas certain de toute façon...
– Arrête ! l'interrompit Matt en riant. Tu crois vraiment encore qu'ils ont des projets dont tu ne fasses pas partie ?!
Était-il à ce point un livre ouvert pour que Matthieu puisse ainsi lire en lui ? Harry leva les yeux vers le jeune homme, hésitant entre surprise et agacement. Puis ce sentiment désagréable d'être transparent pour lui se transforma en reconnaissance pour cette amitié si précieuse et il finit par soupirer.
– Est-ce que tu es sûr que tout va bien avec Severus ? demanda Matt, brusquement sérieux.
– Avec Severus ? Oui, ça va, fit Harry. La semaine a été un peu compliquée pour moi, mais ça va. C'est entre eux deux que c'est un peu plus tendu...
– Ohh... Et tu te sens responsable ?
– Je le suis, fit Harry en repoussant définitivement son assiette. Les journées n'ont que vingt-quatre heures et Severus ne peut pas se partager plus qu'il ne le fait déjà. Seulement au final, tout le monde est insatisfait...
– Tu leur en as parlé, j'imagine...
– J'ai abordé le sujet avec Lucius... Mais Lucius n'est pas n'importe qui, et il refusera toujours d'avouer certaines choses.
Alors que Harry se sentait si perplexe et presque soucieux, le sourire qui s'affichait sur le visage de Matthieu restait rassurant et plein de chaleur, comme s'il savait mieux que lui ce qu'allait donner leur situation.
– Harry... ça fait des années qu'ils vivent ensemble et plus de quarante ans qu'ils se côtoient ! Leurs habitudes sont bien ancrées ! Laisse-leur du temps... Et laisse-toi du temps à toi aussi. Ce n'est pas une petite tension qui va tout remettre en cause.
.
.
La certitude de Matthieu était si réconfortante que Harry préféra se lover dedans plutôt que se vautrer dans ses inquiétudes stériles. Il disait ce qu'il avait besoin d'entendre avec une franchise déconcertante et une bonne humeur qui faisait plaisir à voir. En réalité et malgré sa fatigue, Matt semblait radieux, plus enjoué et souriant que Harry ne l'avait vu depuis longtemps et il en était ravi.
– Et avec ton cher et tendre ? glissa-t-il avec douceur. Comment vont les choses ?
– Ça va... ça avance doucement, sourit Matthieu. On passe beaucoup de temps ensemble... Il a même dormi dans mon lit.
– Ah ?! Enfin du sexe ?!
Matthieu éclata de rire devant son regard gourmand.
– Non ! J'ai dit « dormi » ! Il revenait de l'étranger, et avec le décalage horaire et la fatigue, il s'est endormi devant la télé sur mon canapé. Je n'allais pas le réveiller pour le renvoyer dans ses appartements ! Alors, je l'ai installé dans mon lit pour qu'il puisse finir sa nuit...
– Et il ne s'est rien passé ? gémit Harry, dépité.
– Je n'ai pas dormi sur le canapé pour autant, avoua Matthieu. Mais je suis resté sage. Et j'ai eu droit à un câlin dans ses bras le matin au réveil, ce qui est bien plus que je n'espérais.
Harry soupira en observant le regard complice et amusé du jeune homme.
– Matthieu, tu me désespères ! Tu l'avais sous la main et il ne s'est rien passé ?! C'était pas toi qui disais il y a quelques semaines « le sexe, c'est la vie ! » en collectionnant les amours sans lendemain ?!
Matthieu jeta un coup d'œil rapide dans le restaurant pour être sûr que personne ne perçoive leur conversation indiscrète et jeta une bulle de silence autour d'eux pour plus de sûreté.
– Et aujourd'hui, je n'ai pas envie de sexe avec qui que soit d'autre que lui, sourit-il. Il sait ce que je ressens pour lui... Alors, je lui laisse le temps et je le laisse venir.
– Et tu vas supporter de rester abstinent jusqu'à ce que tu l'aies apprivoisé ? gloussa Harry. Je ne sais même pas comment tu as fait pour te retenir !
– Il faut croire que toi et moi avons inversé les rôles et que je ne suis plus celui qui saute sur tout ce qui bouge !
– Hey ! protesta Harry. Je ne saute pas sur tout ce qui bouge !
– Seulement sur Severus, ricana Matthieu. Et ça va ? Il n'est pas trop fatigué ? Ça existe les infarctus chez les sorciers ? Parce que j'aimerais bien le garder encore quelques années !
– Et moi donc ! Je ne suis pas encore rassasié ! gloussa Harry avant de se taire, surpris par l'aveu d'attachement de Matthieu qui ne put s'empêcher de rougir sous son regard.
– Obsédé ! bougonna-t-il pour se défendre.
– Je rattrape mes années d'abstinence ! ricana Harry. Et il y a du boulot ! Et toi, quand est-ce que tu vas sauter sur ton chéri ?! Ou le sauter tout court ?!
Matthieu sirota lentement son verre avant d'avouer avec un sourire malicieux.
– En l'occurrence, je ne suis pas sûr que ce soit moi qui le saute...
– Ah ? sourit Harry piqué par la curiosité tandis que Matthieu éclatait de rire. On en apprend tous les jours !
.
ooOOoo
.
– Sur quoi tu travailles ? fit Harry en passant sa main sur les épaules de son amant.
– Une traduction, mais j'en ai plein la tête et je sens la migraine qui pointe...
Severus posa sa plume et ses parchemins sur la table de travail et repoussa son siège pour que Harry puisse s'approcher.
– Tu veux que je te fasse quelque chose ?
Severus enlaça la taille de son amant pour l'attirer plus près de lui.
– J'aurais plein d'idées en tête mais aucune qui soit en lien avec la migraine ! Quoique... Les endorphines...
– Obsédé ! ricana Harry en passant ses mains dans les cheveux de Severus et en l'embrassant.
– C'est un reproche ?
– Loin de là ! Lucius est sorti de son bureau ? fit Harry en revenant à des choses plus sérieuses.
– Pas depuis ce matin, répondit Severus en relâchant son étreinte.
Harry fronça les sourcils, autant devant ce qu'avouait Severus que devant sa réaction. Mais il avait confiance en lui et en Lucius pour que les choses s'arrangent.
– Même pas pour déjeuner ? hasarda-t-il malgré tout.
– Non. Et ton déjeuner avec Matthieu ?
– Bien, très bien, sourit Harry. Nous avons parlé de vacances, de voyages... et de toi, bien évidemment !
Severus grimaça tandis que Harry se glissait derrière son fauteuil en laissant ses mains traîner sur sa nuque et dans l'encolure de sa chemise. Quand il allait bien, ce gamin était d'une sensualité à toute épreuve, avide de contact et aussi généreux qu'il était demandeur. Si différent de Lucius, qui avait toujours été beaucoup moins tactile et surtout moins démonstratif, prisonnier des carcans dus à une éducation rigoriste et à sa position sociale. Dans le monde de Lucius, apprécier une caresse était presque une faiblesse.
Harry, lui, s'en fichait. Il se fichait de la présence des autres, se fichait des regards et laissait de plus en plus libre cours à ses envies et à ses mains audacieuses.
– Pour dire quoi ?
– Qu'il espérait que je ne t'épuise pas trop..., murmura Harry à son oreille en glissant ses doigts toujours plus bas sous sa chemise.
Severus ferma les yeux et se laissa aller sous la caresse.
– Tu es sûr que ça va à propos de Lucius ? insista Harry doucement en revenant sur ses épaules nouées.
– Oui, je le connais, ça va aller, fit Severus en étirant sa nuque. Je suis juste un peu tendu et j'aurais besoin d'un bon massage...
– De quelle partie du corps parle-t-on au juste ? susurra Harry en souriant.
Severus sentait des lèvres tièdes s'égarer sur la peau fine sous son oreille et la suggestion de Harry le fit frémir encore davantage. N'y tenant plus, il finit par bondir sur ses pieds, attrapa la taille de son amant et le coinça entre son corps et le bureau.
– Est-ce que je t'ai déjà pris sur le coin d'une table ?
– Pas encore... C'est aujourd'hui qu'on inaugure ?
Le corps chaud contre le sien frémissait d'impatience et les mains de Harry couraient dans son dos en dégageant lentement sa chemise de son pantalon.
– Ne me tente pas, murmura Severus en attrapant sa baguette pour fermer la porte de la Bibliothèque.
– Attends, je n'ai pas bien vu à quel endroit tu étais si tendu...
La ceinture de son pantalon céda rapidement sous les mains expertes du jeune homme et les boutons s'ouvrirent un à un comme par magie, libérant son sexe durci par le désir.
– Tu es bien sûr de toi... ?
Harry se mordilla les lèvres avec un tel regard de luxure que Severus se recula juste assez pour faire le pivoter sur lui-même et d'une pression dans le dos, l'obligea à s'allonger à plat ventre sur le bord du bureau.
.
oooooo
.
– Lucius ? fit Harry en le voyant entrer dans le Petit Salon. Est-ce que ça va ?
L'aristocrate avait les yeux fatigués d'avoir passé trop de temps sur ses dossiers et le front barré d'un pli soucieux.
– Oui, oui, ça va, un peu épuisé... Je vais me changer et je vais bientôt y aller, je venais vous dire bonsoir... Où est Severus ?
– Heu... Il dort, fit Harry un peu gêné. Il s'est endormi après notre séance de piscine...
Après les tensions de ce matin, il n'allait pas avouer qu'avant la piscine, ils avaient fait l'amour dans la Bibliothèque, et qu'après, Severus s'était assoupi sous ses mains à la suite du massage qu'il avait réclamé.
– Il dort où ? insista Lucius, crispé. Dans sa chambre ?
– Non, dans la mienne, admit Harry. Mais vous pouvez y aller, si vous voulez...
– Je vais voir. Je vais prendre une douche, et je verrai après s'il est réveillé.
Lucius tourna les talons et s'apprêtait à sortir du salon lorsque Harry l'interrompit dans son élan :
– Si je ne vous revois pas... passez une bonne soirée.
– Oui. Merci... Bonne soirée à vous aussi. Oh, et... Harry ?
– Oui ?
– Ce n'est pas tout de fermer la porte de la Bibliothèque. La prochaine fois que vous prenez du bon temps tous les deux, pensez à mettre un sort de silence pour ceux qui travaillent...
Harry se sentit blêmir et rougir en même temps, pétrifié par la honte.
– Lucius, je suis désolé... Ce n'était vraiment pas respectueux, mais il n'y avait rien de prémédité, je vous assure...
C'était d'autant moins respectueux que Lucius et Severus ne s'étaient pas reparlés depuis le matin et que Lucius n'avait pas profité de son compagnon depuis plusieurs jours.
Il continuait à s'empêtrer dans des excuses maladroites quand Lucius tourna la tête avec un sourire goguenard.
– Tout va bien, Harry. Mais que ça te serve de leçon.
.
.
– Je pensais justement à toi...
Un sourire tranquille apparut sur le visage de Severus dont les traits reposés et détendus appelaient à la même somnolence que celle dont il s'éveillait. Ses yeux clos ne l'avaient pas vu, en revanche lui pouvait à loisir se délecter de la vision de ce corps alangui aux épaules sculptées, de cette peau de marbre qu'il savait si douce, et de la courbe affriolante de ses fesses à peine dévoilées par la transparence du drap.
– Tu te trompes de personne...
– Au contraire. Je pensais à toi, fit Severus avec une voix rêveuse.
– Et que pensais-tu ? demanda Lucius en venant s'asseoir sur le bord du lit.
– À des choses qui feraient rougir Harry...
– Tu n'as pas eu ton compte ? soupira Lucius.
– En l'occurrence, je crois que c'est Harry qui a eu son compte.
– C'est ce que j'ai cru entendre, oui...
– Arrête de ronchonner, sourit Severus. J'ai envie de toi.
Il se retourna dans le lit, attrapant Lucius par le col de sa veste pour l'attirer vers lui.
– Severus... Je suis habillé et prêt à partir...
– Et moi je suis nu et prêt à te recevoir.
Un sourire échappa à Lucius qui se pencha pour un baiser rapide avant de se redresser.
– Ça suffit. Tu en as eu assez pour aujourd'hui.
– Mon envie n'est pas convaincante ? ironisa Severus en prenant la main de son compagnon pour la poser sur le drap à l'endroit où son sexe gonflé de désir formait un relief tentateur. Si mon cul ne te suffit pas, tu préfères peut-être ma bouche ?
Lucius ferma brutalement les yeux pour lutter contre l'envie qui montait en lui, impérieuse et impossible à arrêter.
– C'est bas d'utiliser des arguments pareils, gronda-t-il.
– Mais ça porte ses fruits, fit Severus en glissant sa main sur le relief du pantalon de Lucius. Allez... laisse-toi tenter.
Incapable de lutter contre les bras et le corps qui l'attiraient tant, Lucius était déjà à demi allongé sur son compagnon, prêt à perdre la tête et un peu de son temps pour satisfaire son désir.
– Severus, non. C'est la chambre de Harry, c'est son lit, ce n'est pas correct...
– Et c'est ça qui va t'arrêter ? railla Severus. Tu es chez toi partout, il me semble... Même dans mon corps !
.
.
– Luce ? fit Severus tandis que son compagnon se rhabillait décemment et jetait un sort pour défroisser ses vêtements.
– Mmhh ?
– N'oublie pas de te recoiffer, ricana-t-il.
.
oooooo
.
Il était tard lorsqu'ils montèrent se coucher. Le film avait duré longtemps mais Harry aurait pu resté plusieurs heures de plus tant il avait apprécié la séance à défaut de l'histoire. Pour une fois, il avait pu profiter de la place de Lucius, seul en tête à tête avec son amant, à partager le même canapé et une étreinte tendre tout au long du film.
Pour lui, pas question de se tenir à distance, à simplement poser ses pieds sur les cuisses de Severus; au contraire, il en avait profité pour se rapprocher de lui et savourer la douceur de ses bras avec un sourire qui aurait pu passer pour béat si Severus s'en était aperçu. Un instant, il pensa à Matthieu et son amour qui restait platonique pour l'instant et il comprit mieux comment cela pouvait lui suffire.
Mais en montant dans sa chambre, le souvenir de la façon dont Severus l'avait baisé, à plat ventre sur la table de la Bibliothèque, vint l'émoustiller à nouveau et, à peine allongés dans le lit, il grimpa sur son amant de manière suggestive.
– Ah non. Non, non, fit Severus d'un air épuisé en le repoussant. Vous m'avez tué aujourd'hui ! Ça suffit !
– Comment ça « vous » ? s'offusqua Harry.
– Lucius a sa façon bien à lui de dire au revoir, ricana Severus.
Sidéré, Harry s'assit en tailleur dans les draps froissés, un regard incrédule fixé sur son amant.
– Tu veux dire qu'il t'a sauté ici, dans mon lit ?!
– Ne sois pas vulgaire, fit Severus en continuant à ricaner. Toi qui avouais l'autre jour que tu aurais aimé profiter du spectacle si tu nous avais surpris lui et moi... dis-toi que ces murs et ces draps ont vu ce que tu ne verras jamais... Tu étais déjà énervé, tu vas me dire que ça ne t'excite pas un peu plus ?
D'un mouvement du bassin, Harry se défila devant la main qui s'approchait de son bas-ventre. Severus n'avait rien perdu en revanche de la couleur qui lui était montée aux joues.
– Et bien entendu, tu vas me laisser en plan ?! Sadique !
– Je pourrais, menaça Severus en se redressant à demi. Mais je ne suis pas cruel à ce point...
D'une poussée de la main, il le renversa sur le lit, vint s'allonger en travers de son corps et glissa ses doigts dans les poils frisottés à la base de son sexe.
– Mmh, grogna-t-il avec un regard appréciateur. J'ignorais que nous imaginer Lucius et moi pouvait te rendre si « tendu »...
Il prit à pleine main l'érection de Harry qui frémissait d'impatience et caressa de sa langue le gland découvert. Un gémissement s'éleva, qui contenait autant de frustration que de plaisir et de contrariété devant ses moqueries.
– Silence. On ne parle pas la bouche pleine, fit Harry en appuyant sur sa tête pour l'obliger à prendre son sexe à pleine bouche.
Severus ricana en s'exécutant de bonne grâce.
.
.
Sentir Harry sur le fil de l'orgasme simplement grâce à sa bouche et à sa langue était un pur délice. Le jeune homme était tremblant, prêt à exploser, torturé de ne pas être délivré plus rapidement et trempé de sueur. Des paroles sans queue ni tête et des gémissement outranciers s'échappaient de ses lèvres jusqu'à ce que cela devienne des suppliques plus délectables les unes que les autres. Severus jouait, comme un chat avec une souris, ravi de voir Harry aussi volubile et libéré. Le jeune homme ne cachait jamais son plaisir et Lucius s'en était assez plaint, mais cette fois-ci était particulière tant il suppliait pour que Severus ne l'abandonne pas et pour sa délivrance, jusqu'à ce qu'il finisse par déverser son plaisir dans sa bouche sans aucune retenue.
En revenant embrasser son amant épuisé et en le prenant dans ses bras, Severus pensa à Lucius et au plaisir qu'il aurait pris lui aussi en assistant à ce spectacle, comme autrefois lorsqu'ils prenaient des amants pour la nuit et que Lucius le regardait baiser ces corps fugitifs.
– Plus jamais, maugréa Harry à demi endormi. Plus jamais tu me suces si c'est pour me faire languir comme ça ! J'ai cru que j'allais crever !
– Il paraît que je suis assez doué à ce petit jeu, ricana Severus. Mais je n'ai pas le talent de Lucius !
Harry sombra rapidement dans le sommeil tandis que Severus resta longtemps à contempler les cheveux noirs éparpillés sur l'oreiller et le visage doux de son amant à la lueur vacillante de la dernière bougie.
Merci à tous d'être encore là :)
Dans le prochain chapitre, Lucius et Harry vont se rapprocher encore, quitte à jouer un jeu trouble et dangereux, ce qui va éveiller la jalousie de Severus... Et on rencontrera un nouveau personnage OC que j'apprécie beaucoup :)
Au plaisir
La vieille aux chats
