Résumé: Entre partie de quidditch et piscine, rires et émotions, Harry a fêté son anniversaire au Manoir avec tous ses amis et, malgré quelques moqueries affectueuses, il a assumé avec bonheur son couple avec Severus. Celui-ci, poussé par l'amertume de Matthieu, a fini par s'excuser de son comportement et lui avouer qu'il avait fait de lui son héritier depuis des années, et les "présentations officielles" à la famille ont enfin eu lieu. Après une nuit à danser, Harry finit au petit matin avec Alicia et lui confie à quel point il est attaché à Severus.

Comme je l'avais dit précédemment, le chapitre qui suit est plus court que d'habitude, en rapport avec le cheminement de l'histoire. N'ayez crainte, le prochain sera d'une longueur "normale", c'est-à-dire une vingtaine de pages! ^^

En attendant la semaine prochaine, bonne lecture


Ce matin-là, Harry n'avait pas trouvé Severus dans la rotonde ou la Bibliothèque. Rompu de fatigue, il monta s'allonger un moment pour finir par s'endormir. Son sommeil fut bref, mais étonnamment serein, loin de ses cauchemars habituels.

En se réveillant sous une douche brûlante, il songea rapidement à cette lettre de Molly qu'il avait glissée dans le secrétaire de sa chambre. Il avait envie de la lire, mais il redoutait en même temps ce qu'elle contenait. Le souvenir de leur dernière confrontation et de la violence de ses paroles était encore ancré en lui de manière indélébile et il appréhendait de revivre la même douleur. Dans quelques heures... quand il serait plus en forme et préparé...

Il avala rapidement un petit-déjeuner avant de transplaner à Sainte-Mangouste. Severus était parti depuis longtemps à la Librairie, Draco et Daphnée étaient sans doute allés récupérer leurs filles, et Lucius semblait absent. Ou enfermé dans son bureau. Les elfes vaquaient à leurs occupations sans se soucier de lui et le silence du Manoir ne lui convenait guère.

.

.

Son bureau à Sainte-Mangouste était tout aussi silencieux, mais au moins, il ne risquait pas d'y rencontrer âme qui vive. Dans le laboratoire, il lança machinalement quelques préparations pour refaire de cet onguent qui soulageait si bien Severus.

Hacher les ingrédients, les écraser, les jeter dans un chaudron, ajouter quelques mesures d'eau, allumer un feu, mélanger un moment, laisser reposer, ajouter les feuilles de ginkgo... C'était comme faire la cuisine : une succession de gestes simples, automatiques, qui ne nécessitaient pas de réfléchir et qui lui vidaient même l'esprit. Rajouter de petites touches de ceci ou cela, mélanger à nouveau, jusqu'à ce que la préparation soit équilibrée, qu'elle ait la bonne couleur et la bonne consistance...

Sa façon de faire était totalement empirique, loin des recettes élaborées et précises des potionnistes occidentaux, un mélange d'intuition et d'observation, guidées par la magie, et surtout de longues heures passées autrefois à écouter ceux qui savaient. Aujourd'hui, il était seul aux commandes, riche d'un savoir durement acquis, et en quelques heures, il brassa assez de litres d'onguent pour soigner les hématomes et les plaies superficielles de tout Sainte-Mangouste pendant quelques mois.

Entre deux chaudrons, Harry avait lu la lettre de Molly, rapidement. Puis une autre fois, un peu plus tard. Et puis encore plusieurs fois, de loin en loin, pour finir par laisser le parchemin déroulé happer son regard quand il passait devant, saisissant un mot ou un autre, s'imprégnant du contenu comme un bain de langage.

Il ne savait qu'en penser. La douleur, la colère et la rancœur étaient là, comme lorsque Molly l'avait jeté hors de chez elle, mais aussi une certaine tendresse, l'évocation douce-amère des jours anciens, et quelque chose comme l'offre d'une trêve, à défaut d'une offre de paix. C'était douloureux, mais c'était mieux que rien.

.

« Harry,

Tu ne recevras de ma part nulle excuse pour ce qui s'est passé le soir où tu es venu au Terrier. Tu n'as vu là qu'une infime partie de la colère et de la douleur que j'ai pu ressentir à ta disparition... J'ai également beaucoup parlé avec Bill et avec Fred ces derniers temps. Ils ont beau tenté de me convaincre, d'expliquer l'injustifiable, mon cœur n'entendra jamais aucun argument raisonnable; je crois que je ne pourrais jamais te pardonner pour ce que tu as fait, et j'aime autant que tu le saches.

Rien ne t'autorisait à partir de la sorte, sans un mot, sans une nouvelle, comme si rien, ni aucun de nous n'avaient jamais compté. Tu as rendu ce deuil impossible à faire. Non seulement tu n'étais plus là, mais à la douleur de l'absence, s'ajoutaient l'inquiétude et l'angoisse de savoir ce qui t'était arrivé et ce que tu vivais. Arthur, Ron et Ginny avaient beau être morts et enterrés, ils ont toujours été là, auprès de moi, à portée de main, des absents que je pouvais fleurir et aller voir quand le besoin s'en faisait sentir. Toi, tu n'étais nulle part. Ni vivant, ni mort. Juste absent. Disparu.

Et cette douleur pleine d'angoisse s'est transformée en colère quand j'ai compris que certains, mais pas nous, recevaient des signes de vie de temps en temps.

Nous t'avons ouvert notre foyer, nos bras, nos vies, nos cœurs, un huitième enfant dans cette marée de têtes rousses, et tu n'es pas revenu vers nous. Il n'y a rien à ajouter à cela.

Mais aujourd'hui, c'est ton anniversaire. Et je garde malgré tout le souvenir ému de ceux que nous avons fêtés autrefois au Terrier. Je veux garder espoir que tout cela n'était pas feint, que cela a compté malgré tout, que ce bonheur éphémère, ces rires, cette amitié avec Ron, ces moments chaleureux dans le jardin, ces repas tous ensemble, cette impression que tu faisais partie de la famille... tout n'était pas que du vent. Et que tu t'en souviens également.

Rien ne ramènera jamais ces moments qui ne pourront plus jamais exister, mais j'espère que là où tu étais toutes ces années, d'autres repas, d'autres rires, d'autres soirées autour du feu, d'autres anniversaires, t'ont fait penser à nous quelquefois. J'espère que ces souvenirs ne se sont pas effacés avec le temps, et qu'ils comptent, malgré tout, autant pour toi que pour moi.

Tu as quelque chose comme une dizaine de cadeaux d'anniversaire qui t'attendent dans le grenier. Et un de plus cette année. Tu peux venir les chercher quand tu veux.

Joyeux anniversaire. Molly »

.

ooOOoo

.

Avant de rentrer au Manoir, Harry fit un vague détour par la forêt. Il avait besoin de feuilles de bois-coton et de Paraponera pour expérimenter une nouvelle idée et il se perdit quelques heures dans les frondaisons étouffantes à la recherche de ses ingrédients.

– Harry ! s'exclama une voix enfantine quand il ouvrit la porte de son « bureau ».

Depuis la salle de jeux, Minerva bondit vers lui, le serrant dans ses bras.

– T'étais passé où ? Beurk ! fit-elle en apercevant les insectes morts dans le sachet qu'il tenait à la main.

– Travailler et faire des courses, répondit Harry en riant. N'y touche pas. Je vais mettre ça en sécurité au laboratoire.

La fillette le suivit dans l'escalier en colimaçon, trop heureuse de pénétrer à sa suite dans cet endroit interdit et si fascinant.

– Tout le monde se demandait où tu étais passé. Même Sévie est rentré du travail il y a longtemps... Vous êtes pas fâchés au moins ?

– Fâchés ? s'étonna-t-il en versant le contenu de sa moisson dans un bocal qu'il scella hermétiquement. Bien sûr que non ! Pourquoi serait-on fâchés ?

Minerva haussa les épaules en tournant autour d'une paillasse, curieuse des chaudrons et des ustensiles rangés dessous.

– Je sais pas. Personne t'a vu depuis la fin de la fête. T'étais triste parce que tout le monde est parti ?

En souriant, Harry s'employa à rassurer Minerva en quelques mots. Il ne se sentait pas particulièrement triste, alors même que la lettre de Molly aurait pu le bouleverser. Il avait passé une merveilleuse journée la veille, entouré de tous ses proches – du moins ceux encore vivants – et une excellente soirée. C'était peut-être juste la fatigue et une certaine lassitude qui l'avaient tenu éloigné du Manoir aujourd'hui, le besoin de s'isoler un peu après tant de sollicitations et d'émotions. Rien de bien important assurément.

.

.

– Viens. Tout le monde est dans la véranda.

La journée était un peu fraîche, et le ciel avait lâché quelques ondées dans la matinée, ce qui expliquait peut-être pourquoi les Malfoy ne profitaient pas des terrasses extérieures.

– Harry est rentré ! s'enthousiasma Minerva en le traînant par la main au milieu des fauteuils et des plantes vertes.

Harry se pencha pour glisser un baiser sur la joue de Daphnée, puis serra la main de Draco qui lui offrit un large sourire. Lucius, toujours aussi princier, le salua d'un signe de tête et d'un regard où perçait une connivence étonnante. Seul Severus fronçait les sourcils et le retint d'une main alors qu'il passait près de son fauteuil.

– Est-ce que tout va bien ? murmura-t-il.

– Oui, tout va bien, fit Harry en se penchant pour l'embrasser rapidement. Ne t'inquiète pas. Je n'ai juste pas vu l'heure...

Une lueur d'appréhension traversa furtivement le regard de Severus, puis il se reprit instantanément en adoptant une attitude la plus neutre possible. Harry ouvrit la bouche pour le rassurer à nouveau, avant de rencontrer les yeux noirs et furieux d'Iris et une petite main potelée qui le repoussait violemment.

Harry ouvrit de grands yeux paniqués, réalisant brusquement son geste trop spontané pour embrasser Severus et la présence de la fillette sur ses genoux, à laquelle il n'avait même pas prêté attention.

– T'as pas le droit ! gronda la fillette en colère. Si PapiLuce est d'accord pour que tu dormes avec Sévie, moi je m'en fiche. Mais c'est pas l'heure des bisous et des câlins ! Les bisous d'amoureux, c'est le soir, dans le lit. Quand moi je suis couchée. Mais le reste du temps, c'est mon tour avec Sévie ! Pas à toi !

Le silence dura une fraction de seconde trop longtemps pour être anodin, puis la voix de Draco s'éleva, sérieuse et résignée en même temps.

– On ne dit pas « je m'en fiche », Iris. C'est un gros mot. On dit « ça m'est égal » ou « peu importe ».

– « Peu me chaut » est également une tournure possible, quoiqu'un peu pompeuse, fit Lucius avec un sourire ironique avant de s'adresser à Draco. Je crois que deux chambres suffiront, à Torquay...

.

oooooo

.

– On peut dire que tu as joliment mis les pieds dans le plat ! gloussa Severus en s'installant sur le canapé de la chambre de Harry.

– Oh, ça va hein ! fit la voix de son amant depuis la salle de bains. J'ai juste pas fait attention. Tu crois que Lucius m'en veut ?

– Pour ça, non. Je crois qu'il t'en veut davantage pour avoir ricané quand Iris lui a proposé un doudou pour la nuit !

Il n'avait pas fallu beaucoup d'explications après le baiser trop spontané de Harry... Il s'avérait que les filles savaient depuis un moment pour Severus et son amant, et sans doute depuis des années pour sa relation avec Lucius. Leur mascarade et leur discrétion n'avaient été qu'une illusoire perte de temps.

Quelque part, Severus admirait cette capacité des enfants à deviner ce qui se cachait derrière les cachotteries des adultes, cette intuition fine et parfois si surprenante et cette façon de tout accepter si facilement. Lucius, en revanche, avait moins goûté la proposition pourtant si mignonne d'Iris : avec l'innocence et le franc-parler de son âge, la fillette avait demandé avec qui Severus dormait ce soir, et avait ensuite voulu prêter un doudou à l'aristocrate puisqu'il était celui qui allait rester tout seul.

D'un regard sombre, Severus avait tenté de faire taire le ricanement de Harry, mais il avait peu d'influence sur le caractère parfois trop espiègle de son amant.

– Et Draco, tu crois que ça l'ennuie ?

Severus entendit couler l'eau de la douche et un frisson de désir le parcourut à l'idée du jeune homme nu dans la salle de bains.

Harry avait voulu prendre une douche rapide avant de se coucher, ce qui n'était pas un mal au vu des odeurs de potions dont étaient imprégnés ses vêtements et ses cheveux. Est-ce que le jeune homme s'était rendu compte de son début de migraine tout à l'heure, alors qu'il le tenait simplement dans ses bras sur le canapé du Petit Salon ? Possible... En tout état de cause, Severus n'avait pas rechigné quand Harry s'était éclipsé dans la salle de bains.

Un autre jour, il l'aurait bien rejoint sous la douche pour assouvir son désir lancinant, mais le cadeau de Harry qui patientait sur la table basse, savamment enveloppé de papier argenté, l'en dissuadait. Il voulait d'abord en terminer avec ça, trop soucieux des futures réactions du jeune homme pour avoir la tête au sexe.

– Tu lui demanderas toi-même, mais je ne pense pas... Il n'a jamais fait mystère devant ses filles de la relation de Luna et Padma, et ça s'est toujours bien passé, fit Severus. C'est davantage nous, et surtout Lucius, qui n'avons jamais voulu faire étalage... Je dois avouer que je suis même plutôt soulagé de ne plus devoir faire attention à quoi que ce soit.

Il n'avait jamais été celui qui souhaitait se cacher, celui qui voulait passer sous silence les maigres mots de tendresse, les quelques gestes épars ou les nuits passées ensemble. Le silence lui avait toujours paru honteux et coupable. Il avait au contraire soif de vérité, d'affirmation, mais il n'était pas maître en la demeure. Harry avait tout fait voler en éclat et c'était aussi bien. Même Lucius changeait peu à peu à son contact et se permettait parfois des gestes ou des phrases qu'il ne se serait jamais permis auparavant, même devant Draco.

.

.

À peine essuyé et les cheveux encore imbibés d'eau, Harry sortit de la salle de bains. Il avait revêtu le kimono de soie noire de Severus qui devait y traîner, légèrement trop grand pour lui et qui lui donnait pourtant une allure gracieuse et raffinée.

Harry vint directement s'asseoir et se lover contre lui sur le canapé, puis avisa le paquet brillant sur la table basse.

– Qu'est-ce que c'est ?

– Ton cadeau d'anniversaire, évidemment.

Severus grimaça intérieurement. Il ne voulait pas être trop sec, ni désagréable, mais il se sentait malgré lui paralysé par l'enjeu, et cela l'agaçait encore davantage.

– Je ne sais pas... J'espère que ça te plaira malgré tout.

Harry tourna vers lui un sourire rassurant avant de prendre le paquet sur ses genoux pour en défaire lentement l'emballage.

– Bien sûr que ça me plaira. Si ça vient de toi, c'est évident. Tu me connais mieux que personne...

Malgré les paroles de son amant, Severus se sentait fébrile. Harry ouvrait ce paquet bien trop lentement à son goût. Il voulait en finir, que le jeune homme soit enfin devant le tableau et pouvoir juger de sa réaction. Et agir en conséquence.

Le papier finalement défait laissa apparaître un reflet miroitant, puis l'image se stabilisa pour dévoiler le visage d'un enfant. Des cheveux en bataille noirs de jais. Une peau cuivrée. Des yeux comme deux puits d'encre, pourtant lumineux et rieurs. Et ce sourire immense qui traversait tout le visage, espiègle et malicieux. Axaya.

– Je... Comment c'est possible ? fit Harry, surpris. Tu as... pratiqué la légilimencie sur moi ?

– Non ! Bien sûr que non. Je me suis servi de mes propres souvenirs, de ce que tu m'avais montré... C'est un artiste que connaît Lucius et qui reproduit...

– C'est... terriblement fidèle. C'est magnifique !

Sous leurs yeux, le portrait magique s'était animé et l'enfant rieur parlait sans émettre le moindre son avant de tourner la tête pour regarder quelque chose sur sa droite. Un souffle de vent agita ses cheveux aussi longs que ceux de Harry aujourd'hui, et le regard revint vers eux, semblant les fixer avec insistance.

– Je voulais... Je voulais qu'il reste présent dans ta vie, qu'il continue à exister malgré tout, même au Manoir, et qu'il existe aussi pour nous, même si nous ne l'avons pas connu. Je voulais que tu ne sois pas le seul à porter sa mémoire, que ce ne soit pas un fardeau... Que tout le monde, tout ceux qui verront ce tableau, partagent ça avec toi... Tu peux... l'accrocher où tu veux, tu peux le voiler et n'en faire qu'un simple miroir si tu veux que ce soit plus discret... Tu peux même le remiser au fond d'un placard si tu préfères. Mais... voilà.

Severus avait l'impression de bafouiller et de se justifier inutilement, sans parvenir à expliquer clairement quelle avait été son intention. Et l'absence de réaction de Harry le surprenait. L'inquiétait.

D'habitude, Harry bridait son aura de magie, mais il en filtrait toujours quelque chose de ténu, une sensation floue, brumeuse, que Lucius et lui avaient appris à déchiffrer peu à peu et qui leur indiquait aussi bien qu'une longue conversation, l'état d'esprit du jeune homme.

Mais là, Severus ne percevait rien. Ni chagrin, ni joie, ni une quelconque émotion, qu'elle soit positive ou négative. Harry avait bridé sa magie de manière complètement hermétique, et Severus n'avait aucun indice auquel se raccrocher. Il s'était attendu pourtant à beaucoup de choses : la douleur en premier lieu, la peine, la mélancolie, une tendresse triste, voir Harry bouleversé, ou ému, ou même en colère qu'il se soit ainsi servi des souvenirs qu'il lui avait montrés... mais Severus ne sentait rien et il en était profondément déstabilisé.

– C'est très touchant, fit Harry en posant le cadre sur la table basse et en revenant se lover contre lui. Merci beaucoup.

Severus passa son bras autour des épaules du jeune homme, le serrant un peu plus contre lui, et ils restèrent un long moment à regarder le portrait, silencieux et immobiles. De temps en temps, l'image s'animait, le regard brillait, le sourire se faisait plus malicieux et l'enfant riait dans un grand silence.

.

.

Il ne comprenait pas. Harry réagissait si peu que c'en était improbable. Même lorsque l'enfant leur tira la langue avant de s'enfuir en courant, il resta de marbre. Indifférent. Même ses mots de remerciement, ou ses commentaires appréciateurs avaient semblé vides de toute émotion, presque creux. Cela ne lui ressemblait pas, et cela ne ressemblait surtout pas à la douleur que Harry avait exprimée à chaque fois qu'il avait évoqué l'enfant.

Le bruit d'un tissu froissé tira Severus de ses réflexions et il découvrit Harry brusquement nu tout contre lui, vraisemblablement endormi puisque la magie l'avait déshabillé. Il n'avait pas senti le jeune homme s'alourdir dans ses bras, ni son relâchement progressif, mais le fait était là : Harry dormait.

Soupirant d'agacement et de frustration, Severus se dégagea pour aller défaire le lit, puis revint pour soulever Harry et le porter jusqu'entre les draps. Ce n'était pas encore ce soir qu'il allait pouvoir faire l'amour à son amant ! Brusquement, Severus regretta de ne pas l'avoir rejoint sous la douche.

Il se déshabilla à son tour puis se glissa dans le lit, tout aussi nu que Harry qui vint aussitôt se coller contre lui, posant sa tête dans le creux de son épaule tout en immisçant sa jambe entre les siennes.

.

ooOOoo

.

Penché sur ses dossiers, Lucius n'entendit aucun bruit consciemment, mais il perçut quelque chose, un son étouffé, une sensation de vide, une vibration de douleur, quelque chose d'intangible et pourtant bien réel qui lui fit redresser la tête et froncer les sourcils.

Severus était à la Librairie, Draco au stade, Daphnée et les filles parties voir les chevaux... Il se croyait seul au Manoir à travailler dans son bureau, et pourtant quelque chose l'alertait, appelait son attention.

Il finit par se lever, repoussant le fauteuil de brocard aux accoudoirs ciselés pour faire le tour de son bureau et s'approcher de la porte-fenêtre. Au loin, il apercevait encore Daphnée s'éloigner le long de l'allée, Iris et Minerva gambadant dans l'herbe à ses côtés. Ce n'était donc pas elles.

Traversant son bureau, il se dirigea vers la porte, prêtant l'oreille sans rien entendre. Malgré tout, il n'était pas tranquille et il hésita presque à sortir sa baguette tant un étrange sentiment d'appréhension le tenaillait.

.

Harry était là, dans le couloir, effondré par terre et secoué de sanglots muets.

Lucius resta figé un instant, incapable d'admettre la scène qui se déroulait sous ses yeux. Immobile, comme terrassé par le chagrin, Harry éclatait d'une douleur silencieuse. De ses yeux clos ruisselaient des larmes comme des torrents, intarissables, roulant sur ses joues jusqu'à tomber sur sa chemise. Les traits crispés, la bouche ouverte sur un cri qui semblait même incapable de sortir, la souffrance et la détresse que Lucius pouvait lire sur le visage de Harry lui retournèrent le cœur.

Luttant pour retenir sa propre émotion, il s'agenouilla auprès du jeune homme, répétant son prénom comme une litanie pour le sortir de son état second, et l'enserra dans ses bras avec une force qui confinait à la violence.

– Harry ! Harry ! Qu'est-ce qu'il y a ? Harry ? Tout va bien ! S'il-te-plaît ! Harry ! Écoute-moi ! Dis-moi quelque chose !

Dans ses bras, le corps du jeune homme était aussi mou qu'une poupée de chiffons tout en refusant de s'abandonner, inerte et réticent à la fois, tendu par les sanglots tout en étant avachi sur le sol.

– Harry ! supplia-t-il. S'il-te-plaît ! Harry !

L'infime mouvement qui attira l'œil de Lucius lui fit lever la tête. Là, sur la porte de son « bureau », Harry avait accroché le portrait de l'enfant, qui les observait à présent avec un regard inquiet, presque fautif.

– Viens. Lève-toi. Ne reste pas là...

Tant bien que mal, Lucius parvint à redresser Harry puis à le mettre debout avant de l'emmener vers son bureau dont la porte était restée ouverte. Dans le coin salon, il installa le jeune homme sur le canapé, s'asseyant à ses côtés puisque Harry se raccrochait à lui et refusait de le lâcher.

Ils restèrent longtemps ainsi, dans un silence qui s'apaisait peu à peu. Harry ne bougeait plus, immobile entre ses bras. Sur son visage épuisé de chagrin, les larmes se tarissaient lentement, ne laissant que quelques traces humides qu'il essuyait de temps en temps du bout des doigts. Sa respiration s'était ralentie également, devenant plus profonde et calme.

.

.

Au bout d'un moment, Lucius se réinstalla plus confortablement, glissant un coussin dans son dos pour amortir la dureté de l'accoudoir et Harry vint tout naturellement s'adosser contre lui, posant la tête sur son torse avec un soupir satisfait. Spontanément, le jeune homme avait adopté la même position qu'il avait souvent avec Severus, lové entre ses jambes et appuyé contre lui, la même que Severus avait parfois avec Lucius sur le canapé de la salle de télévision. En réalité, Harry lui faisait penser à son compagnon lors de ses crises de migraine, recherchant un contact rassurant jusqu'à ce que la paix revienne lentement.

S'il se doutait de ce qui avait causé cette angoisse et ce chagrin brutal, Lucius restait surpris de la soudaineté de la réaction de Harry. Un coup de tonnerre dans un ciel serein. Tout comme il était encore décontenancé de la violence de sa propre réaction. La douleur du jeune homme l'avait bouleversé à un point qu'il n'imaginait plus possible, autant que le bouleversait la douleur de Severus pensant ses migraines, autant que l'avait bouleversé autrefois la douleur de son sevrage. L'impuissance à laquelle il était réduit brisait alors quelque chose en lui et il en était anéanti.

Resserrant ses bras autour du corps de Harry, Lucius songea à nouveau à ce portrait que Severus avait offert à son amant. Une œuvre impressionnante de réalisme que l'artiste dont il était le mécène avait réalisée en un temps record. Mais Severus lui-même avait parlé d'un possible « cadeau empoisonné », hésitant longuement à l'offrir au jeune homme quand il avait vu le résultat final. Au vu de la réaction de Harry, il n'avait peut-être pas eu tort, mais ce qui était fait, était fait et Harry allait devoir vivre avec ça.

Lucius esquissa un sourire en s'apercevant que de temps à autre, sa main glissait machinalement dans les cheveux de Harry pour caresser ensuite son visage. En fermant les yeux, il aurait pu croire qu'il s'agissait de Severus entre ses bras, si ce n'était son corps, légèrement plus petit et plus mince, et le parfum de sa peau, qui rappelait à la fois le sucre et le soleil.

.

.

Harry avait pourtant été serein ces derniers jours, depuis que son dernier patient avait été sauvé. Et à partir du moment où Lucius et Severus avaient cessé de le taquiner sur sa frustration, il avait même été particulièrement radieux, ravi de la présence de ses amis pour son anniversaire et éperdument amoureux de Severus. Du moins, c'était l'impression qu'il donnait à Lucius. Severus, lui, n'était pas tout à fait tranquille, en particulier depuis son cadeau d'anniversaire et il guettait son amant avec appréhension.

Harry était même rentré déjeuner à midi, ce qu'il faisait rarement à présent, désireux de profiter de la présence de Draco et sa famille. Sa présence avait surpris tout le monde quand il était arrivé alors qu'ils étaient déjà à table. Harry s'était fait réprimander pour son retard par une Minerva sérieuse au possible et il avait promis en riant maintes séances d'entraînements de magie pour se faire pardonner.

Au moment de repartir à la librairie, Severus avait pris son amant à part pour une brève mais peu discrète conversation dont personne n'avait rien perdu.

– Tu devrais aller dormir une heure ou deux, tu as vraiment une sale tête...

– Merci du compliment, avait gloussé Harry. Ça fait toujours plaisir !

– Je suis sérieux.

– Moi aussi. Je vais bien. Arrête de me surveiller comme le lait sur le feu !

L'incompréhension de Lucius, tout comme celle de Severus, avaient déclenché les rires moqueurs de Draco, Daphnée et des fillettes. Tout en grognant de l'effronterie de Minerva qui leur avait fait la leçon en matière de cuisine, Severus avait glissé un baiser rapide sur les lèvres de son amant, ce qui avait immédiatement fait réagir Iris. La fillette était venue s'interposer, la jalousie se lisant immanquablement dans son regard noir et sa moue boudeuse. Le moindre contact entre Severus et Harry agissait sur elle comme une sonnette d'alarme et la faisait venir s'immiscer physiquement entre eux, encore davantage depuis que la relation entre les deux hommes avait été avouée au grand jour.

Severus avait tenté de la consoler et d'expliquer posément la situation, mais Iris avait brusquement ouvert de grands yeux sidérés, complètement estomaquée.

– Papa ! Harry, il m'a fait une grimace ! Il a pas le droit ! C'est pas juste ! Lui, il le fait et moi j'ai pas le droit !

– Ne t'inquiète pas, je me ferai une joie de le punir s'il le faut, avait susurré Severus devant l'air innocent de son amant.

– Et quoi ? Tu me priveras de sexe ? avait gloussé Harry.

– Pour te priver de ça, il faudrait déjà qu'il se passe quelque chose ! Et que tu ne t'endormes pas à peine posé quelque part !

.

.

Lucius avait été surpris par cet aveu qui ne lui était pas destiné, et à présent que Harry était là, dans ses bras, calmé en apparence, il repensait à cet échange de piques entre Severus et son amant.

Severus aimait le sexe avec Harry, il le savait. Quelle que soit sa position, et c'était bien le plus surprenant. Au départ, Lucius avait cru que Severus allait chercher un corps à prendre, pour se satisfaire de ce que lui-même ne pouvait lui offrir. Mais en réalité, Severus appréciait tout autant que Harry lui fasse l'amour et quelque part, Lucius se posait des questions. Il savait que son compagnon était toujours attiré par lui, mais il était curieux de savoir ce que Harry avait à offrir et cela ne faisait que renforcer l'attrait du jeune homme à ses yeux.

Outre ses charmes physiques par trop évidents, ses yeux à faire se damner un saint, son sourire enjôleur ou espiègle, Lucius restait fasciné par celui qu'était Harry. Le sorcier aux pouvoirs immenses et pourtant capable de se laisser piéger par une ruse d'enfant lors d'un duel. L'homme qui refusait de tricher avec eux ou de leur mentir, au point de mettre son âme à nu et de se livrer pieds et poings liés devant eux. Le jeune homme rieur, enjoué, parfois futile, qui cachait pourtant des douleurs et des deuils qui en auraient fait plier plus d'un, et qui, entre deux éclats de rire, était parfois submergé par les souvenirs.

Lucius aimait cette force et cette fragilité mêlées, cette puissance bâtie tant bien que mal sur des faiblesses. Harry lui faisait penser à du sable, parfois aussi résistant que de la pierre, parfois fluide et glissant entre les doigts, coulant comme de l'eau. Et parfois mouvant, capable d'engloutir l'imprudent qui s'y aventurait. Lucius se figurait parfois être cet imprudent, celui qui s'était écarté du droit chemin, attiré par un bruit, une odeur, une lumière et qui était maintenant incapable de se sortir de ce piège délicieux.

Harry l'attirait au-delà de tout ce qui était raisonnable, et malgré l'aval de Severus, il ne pouvait se départir de cette idée que le jeune homme était un fruit défendu. Encore davantage lorsqu'il était dans l'état de faiblesse où il venait de le trouver.

Et pourtant la tentation était grande de profiter de la situation, de profiter enfin de ce corps qu'il tenait entre ses bras, de le toucher, de le caresser, furtivement, comme cela lui était déjà arrivé quelques fois. Et de lui faire subir pire encore, ce qu'il s'était toujours refusé à faire et qui devenait un désir presque insurmontable : l'embrasser, le déshabiller, le faire sien, lui donner du plaisir et l'aimer...

.

.

– Est-ce que ça va mieux ?

– Ça ne se voit pas ? fit la voix chaude de Harry tandis qu'il frottait doucement sa joue sur la chemise de Lucius.

Il ne voyait qu'à demi le sourire tranquille du jeune homme mais son attitude lui faisait penser à un chat ronronnant pour une caresse.

– Je suis... bien.

Pour le lui montrer, Harry ouvrit très légèrement sa magie, libérant une aura douce, tiède comme une brise d'été, un calme serein qui donnait envie de s'y lover avec bonheur.

– Ça fait du bien de te sentir aussi apaisé, sourit Lucius. Depuis quelques temps, tu tiens ta magie tellement bridée qu'on ne sait plus ce que tu penses et ce que tu ressens.

– C'est un souci ?

– C'est... déstabilisant, confia Lucius. On s'était habitué, je crois, à te deviner à travers ce que tu exprimais. Maintenant, c'est comme si tu étais complètement fermé, on ne sait plus... Mais te sentir comme ça, c'est rassurant.

Lucius resserra ses bras autour du jeune homme, avide de cette étreinte et de partager ce bain de magie si agréable. Quand Harry se mit à caresser ses mains et ses poignets du bout des doigts, sans même y prêter attention, il frissonna longuement. Le geste du jeune homme était instinctif, irréfléchi, une douceur qu'il s'accordait, apaisante, comme toucher un tissu soyeux. Mais ce contact répété, presque obsédant, avait déclenché chez Lucius une intense chair de poule et une furieuse envie d'enfouir son visage dans les cheveux du jeune homme.

Harry dut percevoir son trouble d'une manière ou d'une autre car il commença à se redresser, lui laissant une sensation de froid et de vide bouleversante.

– Reste là encore un peu. S'il-te-plaît.

Lucius avait laissé échapper sa supplique dans un murmure, les yeux clos, sans même avoir réfléchi les mots que sa bouche avait gémi. Il s'en mordit les lèvres aussitôt, mais trop tard; l'envie de tenir encore Harry dans ses bras, tout contre lui, l'avait emporté sur la raison, et lorsque le jeune homme, après une hésitation, se réinstalla contre son torse, il ne résista pas plus longtemps à glisser son nez et ses lèvres dans les cheveux aussi noirs que ceux de Severus autrefois.

.

.

Harry restait aussi silencieux que Lucius l'était lui-même, les baignant tous deux dans un écrin de magie calme qui venait et refluait lentement, au rythme de leurs battements de cœur. Savourait-il ce moment paisible maintenant que son chagrin semblait apaisé ? Ou bien ne le faisait-il que pour répondre à sa demande éperdue ?

Lucius gémissait intérieurement de ce qu'il imaginait être de la pitié chez le jeune homme. Les mots qu'il avait prononcés continuaient à flotter dans le silence et dans son esprit, si impudiques qu'il se sentait nu et désarmé. Comment avait-il pu se dévoiler ainsi ? Avouer cette faiblesse, ce besoin de serrer Harry contre lui, ce déchirement à le laisser s'éloigner alors qu'il avait enfin ce qu'il avait tant désiré...

Cette fois, ce fut lui qui mit longtemps à se calmer, même si Harry n'en devinait sans doute rien, et à apprécier cette étreinte juste pour le plaisir qu'elle lui procurait. Lucius aurait voulu bien plus, d'autres gestes, d'autres formes d'étreinte, plus fusionnelles, mais il apprenait à savourer simplement celle-ci, jusqu'à pouvoir dire comme Harry qu'il était... bien.

.

.

– Merci.

– De quoi ? fit Lucius.

– D'avoir été là. Et d'avoir pris le temps. J'en avais besoin...

Lucius esquissa un soupir et un sourire triste devant ces remerciements. Tout ça était si futile. Harry lui apportait tellement plus qu'il ne pouvait lui donner...

– Je n'aime pas te voir malheureux...

Dans un geste aussi dérisoire que ses remerciements, Harry prit sa main droite entre ses doigts et la porta à ses lèvres. La sensation si douce et si légère sur le dos de sa main fit frissonner Lucius de plus belle, en même temps qu'une intense vague de chaleur le traversait.

Sa main libérée glissa dans les cheveux et sur la joue de Harry, effleurant du pouce le contour de sa pommette, et le jeune homme tourna légèrement la tête pour appuyer davantage la caresse, retenant sa main entre son visage et son épaule.

Cette étreinte étrange dura quelques secondes, puis Harry laissa s'échapper la main qui vint se poser un peu plus bas, dans le creux entre son cou et sa clavicule, en un geste possessif que Lucius ne renierait pour rien au monde.

.

.

– Promettez-moi juste une chose...

– Je t'écoute.

– Ne parlez pas à Severus de ce qui vient de se passer.

Lucius hésita une seconde. Cet infime geste de tendresse était certes plus symbolique que bien des paroles qu'ils avaient pu avoir l'un envers l'autre, mais ce n'était que peu de choses au final. Et rien en comparaison à ce qu'il aurait eu envie de faire dans d'autres circonstances.

– Que je t'ai pris ainsi dans mes bras ? Il ne dira rien, tu sais. Severus accepte ce qui se passe entre nous...

Severus lui avait littéralement donné son aval, quoi qu'il se passe avec Harry, et Lucius savait qu'il avait dit la même chose au jeune homme dans le pavillon chinois.

Harry eut un grognement peu convaincu qui lui fit redresser la tête.

– Tu ne le crois pas sincère quand il a dit ça ? Je peux t'assurer que...

– Oh si, je le crois sincère ! Mais pas pour les bonnes raisons. Severus n'accepte pas le désir qu'il peut y avoir entre nous. Il le tolère parce qu'il a peur de me perdre, peur de vous perdre. Il préfère céder que d'être dépassé par la situation...

Lucius prit un instant pour réfléchir aux paroles de Harry, puis, esquissant une caresse sur son cou et son épaule, il répondit :

– Je crois que tu as tort. Et que tu sous-estimes Severus. Il est capable de bien plus de générosité que tu ne le crois. Sa jalousie était motivée par la colère, par une certaine rancœur quand il a compris que j'étais moi aussi attiré par toi, mais au fond, il ne se sent pas menacé par ce qui pourrait se passer. Il a confiance en toi autant qu'il a confiance en moi. Et je suis certain qu'il va continuer à mûrir sur ce sujet. Nos chamailleries l'amusent et il en est de plus en plus friand... Ne crois pas qu'il ne prenne aucun plaisir à la situation...

Pas autant que lui, c'était certain, mais Severus s'amusait à les voir se taquiner et la tension érotique qui emplissaient parfois leurs échanges l'excitait également.

Harry étouffa un grognement peu convaincu qui n'étonna guère Lucius. Le jeune homme avait trop peur de blesser son amant pour se permettre plus que des paroles pour l'instant, mais Lucius espérait que cela changerait rapidement.

Quant à lui, le désarroi de Harry et sa tendresse tranquille avaient pour l'instant éteint son désir, au point de pouvoir le tenir dans ses bras et contre lui sans que son corps ne réagisse, à son grand étonnement. Mais il suffisait de peu, une caresse plus appuyée, un mot, un regard, le frottement du corps de Harry contre son entrejambe, pour que l'envie le reprenne, puissante et insatiable.

.

.

– Ce que..., reprit Harry au bout d'un moment, ce que je voudrais que vous gardiez pour vous, c'est ce qui s'est passé tout à l'heure. Que vous m'avez trouvé en larmes dans le couloir... Devant le tableau.

Au souvenir de la douleur et la détresse du jeune homme, Lucius frémit et raffermit son étreinte sur le corps chaud allongé contre lui.

– Je ne veux pas qu'il le sache. Je ne veux pas qu'il regrette son cadeau... J'ai déjà passé une nuit plus qu'agitée et je sais qu'il se pose des questions. Je ne veux pas qu'il se sente coupable...

Harry laissa filer un silence, son aura trahissant un léger sentiment de malaise, avant de reprendre d'une voix plus sourde :

– Ça va aller, je vais m'y faire. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour m'habituer à croiser à nouveau son visage... Et surtout pour comprendre que ce n'est pas réel. Tout à l'heure, j'ai... L'espace d'une seconde, j'ai cru qu'Axaya était vraiment là, qu'il me parlait, je pouvais lire les mots sur ses lèvres, j'entendais presque son rire et... je m'attendais presque à ce qu'il me saute dans les bras... Dans quelques jours, mon esprit aura compris que ce n'est qu'une illusion.

Harry avait fini sur un murmure, tendu et sa magie se faisant plus sombre. D'une main caressante, Lucius entreprit de le réconforter.

– Je ne dirai rien à Severus... Si tu promets de venir me voir si ça ne va pas.

.

.

Sous les mains qui passaient et repassaient lentement sur ses bras et son épaule, Harry se détendit peu à peu. Lucius aurait presque juré qu'il avait fermé les yeux, s'abandonnant avec confiance dans son étreinte. Fermant les yeux à son tour, il plongea à nouveau son visage dans les cheveux de Harry. Le parfum qu'il respirait lui donnait l'envie de le goûter. La peau du jeune homme, à portée de ses lèvres, était une tentation à laquelle il ne désirait que succomber.

Le souvenir de ce soir-là, dans sa chambre, quand il avait plaqué Harry contre le mur pour embrasser, lécher, sucer la peau si fine et si douce de son cou lui tira un nouveau frisson qu'il cacha tant bien que mal, sans y parvenir réellement.

Conscient de son désir qui remontait lentement, Lucius s'empressa de chasser cette image de son esprit avant que son corps ne réagisse à son tour.

– Laissez-moi me lever, maintenant, Lucius... Ce n'est pas convenable.

– C'est toi qui te soucies des convenances à présent ? fit Lucius d'un ton moqueur pour cacher son appréhension à la perspective de voir Harry s'éloigner.

– N'est-ce pas ce que vous n'avez de cesse de me rappeler à propos du bal de demain soir ? sourit le jeune homme.

Lucius étouffa son soupir. Ce fichu bal à venir était une obligation dont il se serait bien passé dans la situation actuelle. Il ne s'agissait que d'une soirée, mais il allait devoir jouer les mondains et l'hôte exemplaire, alors que pour une fois, il ne rêvait que d'une soirée tranquille en famille, ou mieux encore, d'une nuit avec Severus et Harry.

La perspective des courbettes à faire, des faux-semblants à entretenir, des amis politiques à ménager lui donnait des sueurs froides. Ce qui était ordinairement un plaisir, une façon de jouir de son pouvoir et de son influence, une seconde nature qui revenait en force, était cette année un sacrifice auquel il consentait avec réticence.

Et pour la première fois, il avait même le sentiment d'être envahi dans son espace personnel. Si les invités allaient rester cantonnés dans l'aile nord du Manoir qui ne servait qu'aux réceptions, et dans une moindre mesure, sur les terrasses et dans les jardins, il y avait chaque année de petits malins ou de sombres idiots qui finissaient dans les pièces privées, voire même dans le couloir des chambres. Les elfes veillaient au grain mais ils ne pouvaient être partout. Et l'idée même que n'importe qui puisse s'immiscer dans la Bibliothèque et dans le Petit Salon où il avait si souvent discuté avec Harry, ou dans les vérandas que le jeune homme aimait tant, lui apparaissait comme un sacrilège.

Mais l'instant n'était pas encore à ces considérations trop prosaïques. L'instant, c'était Harry dans ses bras, son corps à demi-allongé contre lui, son parfum enivrant qui lui tournait la tête. L'instant, c'était Harry qui voulait se lever et s'éloigner de lui, quitter son étreinte par souci des convenances, ce dont Lucius n'avait aucune, mais absolument aucune envie.

– Nous ne sommes pas au bal pour l'instant. Et avec moi, il n'y a pas de convenances qui tiennent, fit-il d'une voix qui lui parut douloureuse. Tu es libre d'être, de penser et de faire ce que tu veux. Avec moi, je veux que tu ne sois rien d'autre que toi-même, quelles que soient tes envies et ton humeur... Tu as dit un jour qu'avec nous, tu ne trichais pas. Je ne veux rien de plus...

Lucius ne savait même pas d'où sortaient ces paroles, il ne savait même pas au juste le message qu'il voulait transmettre, il savait seulement l'intense vérité de ce qu'il venait de dire et l'angoisse sourde qu'il ressentait à l'idée de Harry quittant ses bras. Peut-être espérait-il qu'en chassant ce souci étrange des convenances chez le jeune homme, celui-ci se laisserait aller à des gestes qu'il réfrénait...

Mais devant le silence de Harry, Lucius se résolut à ouvrir ses bras et à le libérer. À contre-cœur.

Harry prit le temps de s'attarder un instant. Il leva brièvement la tête, offrant son front à la caresse du visage de Lucius et à la douceur de ses lèvres, puis il se redressa lentement pour aller s'asseoir dans le fauteuil le plus proche.

Maintenant que sa position n'avait plus lieu d'être, Lucius se réinstalla à son tour, s'asseyant plus convenablement, et il croisa les jambes, saisit par une sensation de froid intérieur et de vacuité qu'il ne savait comment combler. Ou plutôt si, il le savait très bien, mais Harry ne le souhaitait pas.

– Maintenant, tu peux apparaître, Sky... Je sais que tu as besoin de parler à Lucius.

Aussitôt, l'elfe de maison apparut, le visage soucieux, et sans même accorder un regard à l'aristocrate, elle dévisagea longuement le jeune homme.

– C'est vous, monsieur Harry, qui m'avez empêché de transplaner dans le bureau de Maître Lucius ?

– C'est possible, admit Harry.

– Je ne pouvais même pas passer par la porte, fit encore la créature presque méfiante. Je ne savais même pas qu'un sorcier pouvait nous empêcher de transplaner comme ça. En particulier, dans la maison où nous sommes liés...

Lucius s'efforça de ne pas laisser transparaître sa surprise. Plus que les pouvoirs inhabituels dont était pourvu Harry, il était étonné de la réaction de l'elfe : Sky était complètement dévouée à Harry, elle gérait son linge, son courrier, lui préparait les plats qu'il aimait, son champurrado à chaque fois qu'il le souhaitait, parfois devinant ses envies sans même qu'il n'ait besoin de les formuler, elle veillait sur lui comme le faisait Mayahuel auparavant, mais là, elle semblait dépassée. Les pouvoirs de Harry échappaient à sa compréhension et la rendaient méfiante, même si Lucius, lui, savait très bien pourquoi le jeune homme avait bloqué le transplanage de la créature.

– Que voulais-tu ? fit-il sèchement pour couper court à leur échange.

L'elfe rappelée à l'ordre s'inclina longuement devant lui et entreprit de lui exposer ses problèmes d'approvisionnement, les menus à changer à la dernière minute, les invités qui avaient annulé ou ceux qui s'étaient rajoutés inopinément...

Ce n'était que des broutilles, et Lucius y répondit rapidement mais avec un agacement certain. Il savait qu'il n'était pas juste et qu'en réalité, il avait laissé l'entière charge de l'organisation du buffet sur les frêles épaules de l'elfe de maison. Mais avoir été dérangé dans ce tête-à-tête précieux avec Harry pour si peu le mettait en rogne.

Devant l'irritation de son maître, Sky disparut rapidement, les laissant seuls dans un climat bien plus tendu qu'à son apparition.

Lucius s'en voulait de sa réaction, et plus encore de gâcher ainsi par sa colère le temps qu'il lui restait à passer avec Harry, car il ne doutait pas que le jeune homme allait s'éloigner encore davantage.

Il ne fut donc pas surpris lorsque Harry se leva, mais il en fut tout de même meurtri. Le temps de cette étreinte si douce et si agréable semblait révolu et le jeune homme avait de nouveau bridé sa magie. Mais contrairement à ce qu'il pensait, Harry ne s'éloigna pas sans un regard ou sans un geste. Au contraire, il vint se placer devant lui, et prenant appui sur l'accoudoir du canapé, il se pencha lentement.

– Je viendrais vous voir, Lucius... Si le besoin s'en fait sentir...

Écartant ses cheveux longs du bout du nez, Harry enfouit son visage et vint l'embrasser juste sous l'oreille, dans ce petit creux si sensible à l'angle de la mâchoire. Les lèvres humides sur sa peau, le souffle délicat dans ses cheveux... Lucius ferma les yeux et soupira de contentement.

.


Merci à tous de votre fidélité et bienvenue à ceux qui nous rejoignent en cours de route ;)

La semaine prochaine, le bal des Malfoy et les états d'âme de Lucius...

Au plaisir

La vieille aux chats