Titre complet du Chap 26 (qui ne passe pas avec la restriction du nombre de caractères): Respecter les convenances, envers et contre tout

Résumé: Harry a fêté son anniversaire au Manoir, en compagnie de tous ses amis, dans une ambiance joyeuse et bon enfant. Mais après avoir été touché par la lettre de Molly, Severus lui offre son cadeau: un portrait magique de "son enfant" disparu. Bouleversé, Harry finit en larmes devant le portrait, puis dans les bras de Lucius qui tente de le réconforter.

Aujourd'hui, c'est le bal des Malfoy, un de mes chapitres préférés de l'histoire. J'espère que vous aimerez :)


Les invités entraient, par grappes, par couples, seuls parfois, guidés par un elfe de maison qui les conduisait avec cérémonie vers la vaste salle de bal. L'élégance était clairement de mise : les toilettes des femmes et les costumes des hommes rivalisaient de bon goût, de tissus précieux et de tous ces subtils détails qui signaient la fortune et la qualité des invités. Peu nombreux étaient ceux qui portaient des robes sorcières, la tradition se perdant peu à peu au profit de la modernité. En revanche, la plupart des femmes s'étaient données le mot pour faire un concours de chapeaux semblait-il à moins que ce ne fût habituel dans la très haute société, Harry n'en savait rien. Il avait vécu si loin si longtemps, que tous ces accoutrements, pour élégants qu'ils soient, lui paraissaient clinquants et bien trop dépourvus de simplicité.

Il avait malgré tout joué le jeu pour faire plaisir à Lucius. Cette soirée avait trop d'importance pour lui pour que Harry apparaisse en simple pantalon et chemise de lin. Pour s'habiller, il avait donc pioché dans les vêtements que Matthieu et Draco lui avaient offerts pour son anniversaire : de la haute couture, même s'ils n'étaient pas faits sur mesure, et des tissus dont la douceur précieuse lui donnait envie de se rouler dedans. Sans prétention aucune, Harry s'était trouvé plutôt chic – voire même sexy – en se regardant dans le miroir de sa salle de bains et il avait même souri à son reflet. Il attendait avec une certaine impatience de voir la réaction de Severus et de Lucius à sa tenue mais les deux hommes étaient accaparés chacun de leur côté.

Dans la salle de bal, Lucius jouait son rôle, paradant comme un prince en son royaume tout en saluant les invités. Severus, lui, devait être encore en train de se préparer dans sa propre chambre, bougonnant à loisir sur cette mascarade burlesque qui envahissait le Manoir. Au fil de l'après-midi, il était devenu de plus en plus sombre et taciturne, à la limite d'être odieux. Lucius avait simplement levé les yeux au ciel sans s'en formaliser. Severus avait besoin d'exprimer son hostilité pour ces mondanités en amont, afin d'être irréprochable ce soir.

La journée avait pourtant bien commencé... Severus avait dormi avec Lucius mais il était venu rejoindre Harry très tôt ce matin, se glissant sous les draps pour se coller contre lui et se rendormir un moment. Quand il s'était réveillé plus tard sous la langue et les caresses de son amant, Harry avait perçu sur lui l'odeur de Lucius, ce parfum subtil et envoûtant avec une touche de vanille qu'il reconnaîtrait entre mille. Et lorsqu'ils avaient fait l'amour, intensément, presque sauvagement après des jours d'abstinence, Harry avait trouvé sur la peau de Severus le goût d'une semence qui n'était pas la sienne et il avait retourné son amant pour le pénétrer jusqu'à la garde.

À présent, il était là, tout en haut de l'escalier monumental dans le Hall d'entrée du Manoir, à regarder passer ces gens que Lucius avait invités et parmi lesquels il ne connaissait sans doute personne ou presque. Accoudé contre la rambarde, invisible aux yeux de tous, Harry avait l'impression d'être au zoo. Depuis son poste d'observation, il détaillait chaque visage, chaque tenue, chaque geste, élégant ou surfait, la façon de tendre sa canne ou son manteau à l'elfe de maison, les premiers regards appréciateurs ou sévères sur le luxe ostentatoire du Hall. Puis, sous la conduite d'un elfe, les invités s'avançaient vers la salle de bal pour y disparaître, rapidement remplacés par d'autres invités, aussi pompeux et apprêtés.

Quelque part dans une chambre sur sa droite, Daphnée finissait de préparer et de coiffer ses filles, agrémentant leurs cheveux de rubans et autres perles. Toute la journée, Iris et Minerva avaient piaffé d'impatience, trop pressées de mettre leurs robes de bal, leurs étoles de soie et leurs chaussures vernies. Elles n'avaient pas tenu en place une seconde, épuisant tout le monde de paroles et de questions, jusqu'à ce que Draco ne les envoie au bain puis au dîner.

Ils avaient mangé un peu plus tôt qu'à l'accoutumée, ce soir, et assez légèrement, la soirée étant allègrement fournie en canapés et petits fours. Mais malgré l'heure précoce, la plupart d'entre eux avaient préféré avaler quelque chose avant le bal afin de ne pas avoir le ventre vide pour les premières coupes de champagne. Seul Severus avait bougonné dans son coin sans rien manger malgré le regard lourd d'avertissements de Lucius.

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Il n'aurait sans doute pas le choix, mais Harry n'avait pas très envie de descendre dans ce qui lui apparaissait comme l'antichambre de l'enfer. Il y avait là beaucoup de parfaits inconnus, mais aussi bon nombre de politiques, des gens du Ministère, dont le Ministre lui-même qui ne manquerait pas de vouloir s'accaparer sa présence et des journalistes dont il entendait crépiter les flashs depuis l'arrivée des premiers invités. Personne dont il ne veuille la compagnie.

Lucius passerait la soirée à faire des mondanités, Draco également, en digne héritier de la famille Malfoy, Daphnée surveillerait ses filles avant de s'éclipser avec elles au bout d'une heure ou deux, Harry serait donc seul au milieu de toute cette foule avec un Severus d'une humeur détestable qu'il devrait empêcher de boire. Et il était tenu de faire bonne figure jusqu'au départ des derniers invités. Un cauchemar en somme...

Au milieu des claquements sonores des talons hauts sur le marbre du sol, Harry entendit un pas rapide traverser le Hall et remonter quatre à quatre les marches de l'escalier.

– Hey ! fit Blaise légèrement essoufflé en s'arrêtant à côté de lui. Qu'est-ce que tu fais là tout seul ?

– Je redoute le moment où je devrais descendre dans l'arène au milieu de cette populace, grimaça Harry.

– Populace ? Allons bon ! Tu as là toute l'aristocratie des Sangs-purs, la grande noblesse de la sorcellerie anglaise, le gratin de la politique, la fine fleur des artistes... toute la haute société du Royaume-Uni et même au-delà !

– Et je n'ai pas grand-chose à faire au milieu de tous ceux-là. Mais peu importe, j'ai promis à Lucius...

Blaise sourit devant sa bonne résolution mêlée de résignation et le prit par le bras pour l'entraîner avec lui vers le couloir des chambres.

– Draco m'a envoyé voir si Daphnée et les filles étaient prêtes... Va voir si Severus l'est également. Mais interdiction de rentrer dans sa chambre ! Habillé comme tu l'es, il risquerait de te sauter dessus et il n'est pas question que vous passiez la soirée à vous envoyer en l'air !

En poussant un Harry gloussant vers le fond du couloir, Blaise éclata de rire sans quitter des yeux le fessier du jeune homme, admirablement mis en valeur par son pantalon de flanelle noir.

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– Invite-moi à danser...

L'orchestre jouait depuis un moment, dominant le brouhaha des conversations d'une musique envolée qui ressemblait à une valse et Harry en avait assez de se morfondre dans une alcôve avec un Severus plus taciturne que jamais.

Dans le coin discret où ils s'étaient retirés, ils étaient presque à l'abri des regards, entre une tenture dissimulant une porte et une sculpture de marbre sur une console. Harry avait bien tenté de naviguer avec Severus dans la foule des invités, mais il était trop souvent alpagué par des gens intéressés pour se sentir à son aise. Sans parler des photos prises à la dérobée par les journalistes et qui feraient les gros titres des journaux demain : « Harry Potter en grande conversation avec le Ministre de la Magie : Une nouvelle collaboration en vue ? » « Harry Potter, Lucius Malfoy et Françis Dorléans : En route vers le pouvoir ? ».

– Certainement pas tant que Lucius n'a pas ouvert le bal, grogna Severus en avalant d'un trait sa coupe de champagne. Ce qui ne saurait tarder...

En effet, une nouvelle musique s'éleva lentement, faisant taire un instant le bruit des voix, et un espace dégagé se dessina peu à peu au centre de la salle. Beau comme un prince, rayonnant de fierté et de noblesse, Lucius se détacha de la foule pour s'approcher d'une jeune fille à qui il tendit élégamment la main. Frissonnante dans sa robe de soie et de mousseline, elle saisit la main qui lui était offerte et se laissa conduire vers la piste de danse sous les regards et les murmures qui reprenaient de plus belle.

Tandis que le couple improbable se mettait à valser sous des applaudissements mesurés, Harry tourna un regard surpris vers Severus. Son amant serrait les dents avec un regard dur qu'il ne lui avait jamais vu.

– Qui est-ce ?

– La fille d'Antonius Greengrass. Lucius marque son alliance politique... Au grand déplaisir de certains qui attendaient cet honneur, ricana sombrement Severus. Tu croyais sincèrement qu'il allait m'inviter ? Moi ?

Severus eut un rire acide sans quitter des yeux son compagnon dont les longs cheveux blonds se soulevaient légèrement à chaque volte du couple.

– Lucius est veuf. Il a une position plus que respectable, une fortune considérable et il est libre d'engagements... Pour nombre de familles aristocratiques, il est un parti très convoité. Quel que soit l'âge de la fille à marier d'ailleurs !

Severus se tut un instant, un pli amer autour de la bouche, tandis que Harry tournait son regard vers la piste de danse où d'autres couples étaient venus se joindre au maître des lieux à présent que le bal était ouvert.

– Ils savent tous qui je suis, reprit Severus. Ils savent ce que je suis. Mais ils font comme si je n'étais pas là, comme si je n'existais pas, dans l'espoir qu'un jour Lucius cède à leurs intérêts... Et aux siens.

Et malgré tout, Severus était tenu d'être présent à ce bal et d'y faire bonne figure, irréprochable et silencieux, tenu à distance par tous ces gens qui le méprisaient et ne rêvaient que de l'évincer pour mettre une fille, une sœur, une parente dans le lit du maître des lieux.

– Je ne m'habituerai jamais à ces manières de faire, grommela Harry, lui-même meurtri par l'humiliation publique de son amant.

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Iris et Minerva avaient fait une entrée remarquée et saluée, fières comme des Malfoy dans leurs robes de princesse. Elles s'étaient tenues admirablement bien, dignes filles de leur père qui n'avait sans doute pas manqué de leur faire la leçon en amont. Lucius était fier.

Elles avaient été souriantes, gracieuses et d'une politesse irréprochable, même lorsque Iris s'était oubliée en lui sautant dans les bras comme l'enfant qu'elle était. En redescendant au sol, elle s'était incliné devant le Ministre de la magie et sa femme en s'excusant de les avoir interrompus. Le couple avait souri, charmé à la fois par la maladresse de la fillette, et par son attitude si mature.

Lucius avait même dansé une valse avec Minerva, les joues roses et légèrement échevelée, ravie d'être au centre des regards avec sa robe qui virevoltait autour d'elle. « J'ai la tête qui tourne » avait-elle rit en rejoignant sa mère dont les yeux brillaient d'émotion.

Daphnée avait également attiré bon nombre de regards surpris ou envieux. Son ventre bien rond, qu'elle portait fièrement, avait déchaîné les commentaires. Chacun se demandait quel était le sexe du bébé à venir et les spéculations allaient bon train. Lucius ne ferait jamais d'autre enfant et Draco n'ayant pas encore d'héritier mâle, selon la tradition, la fortune des Malfoy viendrait enrichir les familles des futurs époux des fillettes. En revanche, si le bébé était un garçon, il garderait la mainmise sur l'essentiel de la fortune, le Manoir, le nom et il serait le chef de famille incontesté... En son for intérieur, Lucius ricanait de ces hypothèses hasardeuses. Il connaissait assez son fils pour savoir que Draco ne se plierait pas aux traditions sorcières et qu'il serait équitable envers ses enfants.

Souriante mais fatiguée, Daphnée vint le trouver pour lui signaler qu'elle se retirait et montait coucher les filles, dont le maintien commençait à céder avec l'heure tardive et la lassitude. Lucius l'embrassa sur la joue, la remerciant d'avoir été présente, avant de leur souhaiter une bonne nuit à toutes les trois. Pour lui, la soirée était loin d'être finie, mais il était plutôt satisfait pour le moment.

L'ouverture du bal lui avait permis de trancher sa position politique sans un mot ni une explication, les fillettes avaient été irréprochables, le buffet et la musique ne remportaient que des éloges, les invités se tenaient correctement et aucun incident n'était pour l'instant à signaler. Il pouvait même se permettre de plaisanter un peu plus librement avec certains de ses hôtes, à commencer par Francis et Mandy qu'il avait à peine salués.

Sa seule inquiétude persistante était le comportement de Harry et surtout de Severus. Il les avait aperçus, en début de soirée, dans une alcôve de la salle, discutant un verre à la main. Puis ils s'étaient séparés pour ne pas trop attirer les regards sur leur duo et chacun s'était fondu dans la foule, s'efforçant de paraître courtois et agréable. Depuis un moment, Severus avait disparu, sans doute sorti prendre l'air ou remonté dans sa chambre... Lucius espérait juste qu'il n'ait pas trop bu et ne fasse aucun esclandre. Cela n'était jamais arrivé en plus de dix ans – Severus préférait aller se coucher quand il sentait que l'alcool le dépassait – mais cette éventualité l'inquiétait toujours.

Harry, lui, jouait son rôle à la perfection, présent tout en se tenant à distance, éconduisant avec civilité les journalistes comme les politiques, mais affable avec les parfaits inconnus qui venaient juste le saluer. À l'instant, Lucius l'aperçut en train de parler avec Blaise, puis éclater de rire. Il était trop loin pour l'entendre distinctement, mais il avait la musique du rire du jeune homme ancrée en lui et il sourit malgré tout.

Lucius ne pouvait pas nier que Harry avait fait des efforts, à commencer par sa tenue. Le jeune homme était beau en diable. Des vêtements qui dessinaient son corps sans être trop provocants, d'une coupe parfaite et d'une élégance somptueuse. Harry avait même, comme à Paris, mis une veste de costume dont il avait négligemment remonté les manches, ce qui lui donnait un air à la fois très chic et très décontracté. Et ces fesses rondes moulées par son pantalon noir...

– Arrête de le reluquer, fit une voix souriante à son oreille. Tu n'es pas assez discret !

Lucius se retourna brusquement, furieux de s'être fait surprendre et inquiet de savoir à qui appartenait cette voix.

– Mark ?! s'exclama-t-il à mi-voix.

Devant lui se tenaient les boucles blondes et le sourire charmeur de son ancien « mignon ».

– Qu'est-ce que... ?

– Ne t'inquiète pas, je ne suis pas venu te harceler, gloussa Mark. J'accompagne un de tes invités : l'ambassadeur de Norvège en France.

L'homme qu'il désignait d'un mouvement de tête un peu plus loin était grand, carré d'épaules comme de mâchoire, pas beau à proprement parler mais avec un sourire qui inspirait la confiance.

– Mais je comprends que tu aies envie de te rincer l'œil, murmura Mark. Il est à croquer !

– Mark..., fit Lucius encore sous la surprise, puis il se reprit rapidement et ajouta : Pas ici. Viens avec moi.

– Attends. Je préviens Håkon...

Il ne fallut que quelques instants avant que Mark ne revienne vers lui et qu'ils ne parviennent à s'éclipser de la salle de bal.

– Je lui ai dit que j'allais me chercher un verre, gloussa le jeune homme tandis que Lucius l'entraînait discrètement vers les parties privées du Manoir.

Il jeta un regard en tout sens avant de traverser le Hall puis se dirigea vers son bureau, espérant en son for intérieur que Severus ne soit pas dans les parages. Il n'avait pas l'intention de quoi que ce soit mais il s'agissait de Mark après tout... On ne savait jamais.

Enfin parvenu dans son bureau, Lucius étouffa un soupir de soulagement, ferma la porte à l'aide d'un sortilège avant de plaquer Mark contre le mur pour l'embrasser à pleine bouche. Le jeune homme semblait ravi de se laisser faire, souriant sous ses lèvres.

Ce n'était qu'une façon de se dire bonjour et ça n'impliquait rien du tout. Avec Mark, ce genre de choses étaient de mises, presque naturelles, et cela n'avait certainement rien à voir avec le trouble qu'il ressentait encore après avoir admiré la silhouette alléchante de Harry.

Quand Lucius le relâcha enfin, encore plus fébrile que quelques secondes auparavant, Mark jeta un regard d'ensemble sur la pièce où ils se trouvaient, appréciant le décor et le luxe.

– Tu as toujours eu du goût, Lucius... Joli bureau.

– Viens. Assieds-toi, fit-il en tentant de regagner une certaine contenance. Tu veux boire quelque chose ? Du champagne ?

– Je crois que j'ai assez bu pour ce soir, sourit Mark en venant s'asseoir tranquillement sur le canapé près de la cheminée. Mais j'accepterais volontiers un café.

Lucius sourit à son tour, amusé de retrouver ce penchant du jeune homme qui pouvait boire du café à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. D'un claquement de doigt, il convoqua un elfe de maison qui s'empressa de leur servir un café et du thé pour lui.

Sans se départir de son sourire paisible, Mark observait les marbres, les dorures, les tableaux, attendant qu'ils soient seuls pour reprendre leur conversation. Lucius s'était installé dans un fauteuil plutôt qu'à côté de lui et il avait bien compris que l'aristocrate tenait à conserver une certaine distance. Pour l'instant...

– Alors, ce petit Potter ? Il a déjà fini dans ton lit ?

– Non, sourit Lucius.

– Pas encore ! le taquina Mark. Qu'est-ce que tu attends ?

– J'aimerais que ce ne soit pas qu'un coup d'un soir. Et j'aimerais surtout que Severus l'accepte. Alors je me montre patient...

Le regard de Mark se fit sombre et réprobateur au-dessus de sa tasse.

– Qu'est-ce qu'il y a ? fit Lucius.

Le jeune homme secoua la tête, peu désireux de dévoiler ses pensées, puis céda sous l'insistance autoritaire de l'aristocrate.

– Tu l'as particulièrement négligé ce soir.

– Harry ? fit Lucius surpris.

– Non, Severus.

Malgré lui, Lucius détourna les yeux. Il savait que Mark avait raison. Il n'avait accordé ni un regard, ni une parole à son compagnon pendant toute la soirée alors même qu'il avait aperçu son regard furieux lors de l'ouverture du bal. Et il avait particulièrement honte de s'être échappé quelques minutes avec Mark alors qu'il ne l'aurait pas fait pour Severus.

– Tu sais bien pourquoi... Dans ces circonstances, je ne peux pas...

– Tu peux davantage que ce que tu as fait, fit Mark d'un ton sévère. Puis il reprit en gloussant : Håkon m'aurait ignoré de cette façon, il aurait eu droit à une scène publique !

– Vous êtes... réellement ensemble ? s'étonna à nouveau Lucius.

Mark avala une gorgée de son café pour se donner quelques secondes puis avoua avec un air indécis :

– Disons que... Håkon est avec moi et moi je ne sais pas où j'en suis...

Lucius fronça les sourcils et sur une impulsion subite, se leva pour venir s'asseoir sur le canapé. Mark en profita aussitôt, retira ses chaussures d'un coup de talon pour ensuite s'allonger sans pudeur, la tête sur les cuisses de l'aristocrate.

Le rapprochement avait été instinctif de part et d'autre : leurs conversations privées ne se passaient jamais sans un contact physique, et celui-là était même plutôt chaste. La dernière fois qu'ils avaient eu une discussion de cet ordre, ils étaient nus dans un lit après avoir fait l'amour et Lucius tenait Mark serré contre lui.

– Explique, fit Lucius en baissant le regard sur le visage angélique qui reposait sur ses cuisses.

Mark avait sagement croisé les mains sur son ventre mais celle de Lucius ne pouvait s'empêcher de glisser dans ses cheveux, savourant les boucles blondes un peu longues et si douces qu'il aimait tant.

– Eh bien... Je ne sais pas. Håkon s'est en quelque sorte amouraché de moi. Au départ, c'est l'Agence qui m'a envoyé vers lui, une fois, deux fois... J'ai bien vu que je lui plaisais, mais il ne voulait pas de ce genre de relation tarifée. Il a commencé à m'emmener au restaurant, au théâtre. À me faire sortir dans les vernissages et les cocktails. Il me faisait venir de plus en plus souvent dans ses appartements privés et il m'en laissait la libre disposition quand il allait travailler. Il me propose de venir avec lui quand il est en déplacement professionnel... En ville ou dans les soirées mondaines, il me présente comme « son ami », et personne n'y trouve rien à redire. Personne ne pose de questions. C'est... agréable. Et puis il est adorable avec moi. Gentil et prévenant. Mais... je ne suis pas sûr d'éprouver le même genre d'attachement pour lui. Il me plaît physiquement mais il n'y a pas ce déclic, cette étincelle qu'il y a pu y avoir avec d'autres. Et en particulier avec toi. Alors... je ne sais pas. Je ne veux pas le faire souffrir. Je ne veux pas qu'il s'attache à moi si je ne ressens rien. Je suis bien avec lui mais je ne veux pas être malhonnête et lui faire espérer quelque chose alors que...

Mark se tut, hésitant, et passa une main dans ses cheveux passablement décoiffés. Puis il ricana amèrement.

– La dernière fois qu'on s'est vus toi et moi, je pleurnichais après un homme qui m'apprécie en dehors du « boulot », qui soit doux et gentil... Et maintenant qu'il y en a un qui s'intéresse à moi, c'est moi qui n'ai pas de sentiments pour lui. C'est moche ! Sais-tu qu'il a même versé une sacrée provision à l'Agence pour que je ne sois pas obligé de travailler ? Mais si je veux aller voir certains clients qui me réclament, il me laisse faire... Il ne proteste même pas. Je crois... je crois qu'il m'aime bien. Vraiment.

Lucius esquissa un sourire quand Mark ferma les yeux, savourant les caresses sur son visage et dans ses cheveux, tournant la tête pour se frotter contre son ventre comme un chat qui ronronne. Mark était si jeune ! Encore si innocent. N'importe qui aurait profité de la situation pour se faire entretenir en échange d'un peu de sexe de temps à autre. Mais Mark ne voulait pas tricher il rêvait du grand amour, et ses scrupules à profiter des sentiments de l'ambassadeur l'honoraient.

– Ça dure depuis combien de temps ? murmura Lucius.

– Depuis... quelques semaines. Peu de temps après qu'on se soit vus. Je l'avais déjà rencontré deux ou trois fois avant, et c'est devenu plus sérieux après...

Lucius reprit ses caresses furtives, regrettant presque que Mark ne soit pas dans ses bras.

– C'est encore tout frais, Mark... Laisse-toi le temps de l'apprécier. Donne-lui ce temps... Il saura peut-être te conquérir.

Son pouce passait lentement sur les paupières closes, les pommettes, les lèvres rosées qui s'entrouvrirent sous la caresse.

– Tu espères tant... Tu espères une grande passion, un brasier qui flamberait dans ton cœur... Mais parfois les sentiments commencent doucement pour grandir peu à peu. Il te plaît... Il est gentil. Laisse-toi savourer cela. N'attends rien. Profite. Et si vraiment dans un mois ou deux, tu n'es pas entiché de lui, tu lui expliqueras. Mais pour l'instant, laisse-toi porter...

– C'est ça que tu fais avec le petit Potter ? sourit Mark sans ouvrir les yeux. Tu n'attends rien ? Tu te contentes de profiter ?

– Un peu, gloussa Lucius. Je prends tout ce qui m'est donné... Mais peut-être qu'un jour je finirai par prendre ce que je veux !

Le rire de Mark éclata dans le bureau, aussi lumineux que ses yeux bleus qui pétillaient de malice.

– Ça te ressemble davantage, Lucius ! Tu n'es pas quelqu'un qui attend !

– Mais cette fois, le résultat m'importe plus qu'avant, admit-il. Je ne gâcherai pas ma chance par impatience.

Mark s'attarda un instant dans le regard gris qui le surplombait, pris d'un frisson qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps, puis il se redressa brusquement pour descendre du canapé et finir à genoux entre les jambes de l'aristocrate.

– Et si moi je prends ce que je veux ? fit-il avec un sourire mutin tout en dégrafant la ceinture de Lucius.

– Non. S'il-te-plaît, arrête.

Ses mains sur celles de Mark pour l'empêcher d'aller plus loin, Lucius ferma les yeux une seconde, frustré de devoir refuser les avances du jeune homme et cette gâterie qu'il aurait tant appréciée.

– J'aurais trop l'impression de les tromper, cette fois...

– « Les » ?

– Severus. Et Harry...

– Oh... Tu les aimes à ce point ?

Lucius sentait bien, pourtant, son corps qui s'était réveillé à son insu là où Mark l'avait touché. Mais il ne voulait pas de ce plaisir là. Pas venant de Mark.

– Ce n'est pas ça... Mais je ne peux pas. Pas ici. Pas maintenant. Ce n'est pas correct, fit-il en songeant à cet étrange souci des convenances qui avait habité Harry la veille. Et puis Håkon t'attend... Mais je ne t'interdis pas de venir m'embrasser.

Avec un large sourire, Mark se leva pour venir s'installer à califourchon par dessus les cuisses de Lucius, les fesses sagement posées sur ses genoux. Les bras autour de ses épaules, il posa ses lèvres sur les siennes, mêlant sa langue avec celle de l'aristocrate en un ballet sensuel et langoureux.

Lucius se laissa happer par le plaisir, saisissant le visage de Mark entre ses mains pour l'embrasser encore et encore. Puis lorsque le baiser cessa, il le serra dans ses bras, avec force, glissant sa bouche dans le creux de son cou pour lécher et mordiller la peau parfumée du jeune homme.

Avec Mark, il pouvait exprimer exactement ce qu'il rêvait de faire avec Harry en dehors du sexe : cette tendresse passionnée qui l'habitait, ces baisers aussi naturels que des échanges de regard, ces étreintes et ces caresses qui s'échappaient de ses doigts... Avec Mark, il était libre des contraintes qui retenaient pour l'instant ses rapports avec Harry.

– Est-ce qu'au moins ce bellâtre viking t'honore comme il se doit ?

Mark pouffa devant la formule désuète avant d'acquiescer avec un grand sourire.

– Il est attentionné. Et inventif... Même s'il ne sera jamais aussi parfait que toi !

– N'essaie pas de m'amadouer avec tes belles paroles pour avoir le droit de me sucer ! gronda Lucius. Mais si un jour il ne te respecte pas, tu viens me voir !

Le rire du jeune homme s'invita à nouveau, si léger, si frais...

– Embrasse-moi encore ! ordonna Lucius.

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– Où étais-tu passé ? sourit la voix étonnamment grave de l'ambassadeur.

Très spontanément, Håkon passa un bras autour de la taille de Mark pour l'attirer vers lui et et déposa un baiser appuyé sur ses lèvres.

– Mmhh... Tu sens le café !

Légèrement en retrait, Lucius observait les deux hommes. En deux phrases et un regard, il avait parfaitement compris ce qui avait captivé Mark chez l'ambassadeur. Håkon possédait une voix si grave, si basse que les mots semblaient vibrer en sortant de sa gorge, déclenchant la même vibration à l'unisson dans le corps du jeune homme. En souriant, Lucius se demanda comment résonnait cette voix étonnante en plein acte sexuel.

– En effet, fit-il en s'avançant d'un pas. Je l'ai trouvé errant dans les couloirs à la recherche des cuisines et suppliant pour un café. Je lui ai aimablement montré le chemin...

– C'est un peu inconvenant, fit Håkon en tournant la tête vers un Mark rougissant.

Puis, sans lâcher la taille de son « ami », l'ambassadeur tendit la main à Lucius avec un large sourire.

– Enchanté de faire votre connaissance, Lord Malfoy. Håkon Sørensen, ambassadeur du royaume de Norvège en France...

Lucius serra la main qui lui était offerte, réfrénant l'envie de la caresser du pouce pour évaluer sa douceur. En tout état de cause, la poignée de main était ferme et franche.

À part sa voix si vibrante, l'autre chose qui devait attirer Mark chez Håkon était le regard que Lucius venait de croiser : l'homme possédait des yeux d'un bleu très clair, extrêmement lumineux, et qui ressortaient indéniablement au milieu de son visage. Pour tout dire, on ne voyait que cela lorsqu'on le regardait et Lucius en fut un peu jaloux.

– Mark Aubin, mon compagnon. Mais j'imagine que vous avez eu le temps de faire les présentations le temps d'un café...

Avec un pincement au cœur, Lucius hocha simplement la tête. Il ne savait ce qui le chagrinait le plus : la façon de l'ambassadeur d'affirmer sa relation avec Mark comme s'il voulait faire taire la concurrence supposée de Lucius, ou bien la facilité déconcertante avec laquelle il présentait Mark comme son compagnon de manière officielle, à lui qui était un parfait inconnu mais avec un poids politique certain...

En paroles ou en gestes, Håkon assumait son homosexualité à la face du monde sans complexe, peu soucieux de choquer, de surprendre ou de faire parler dans son dos. Brusquement, Lucius l'envia. Sans doute la Norvège était-elle plus tolérante que la vieille Angleterre pudibonde face à cette « particularité »... Sans doute que cela ne gênait même pas sa carrière politique ! Mais il ne pouvait certainement pas se permettre la même chose.

Mark avait souri, ému et troublé par les paroles de son amant, tout en se tenant blotti contre lui avec ravissement. Ils étaient attendrissants en réalité et une jalousie admirative émergea lentement dans le cœur de Lucius. Jusqu'à ce qu'il prête attention à un mot qu'avait prononcé Håkon et qu'il n'avait pas relevé sur l'instant.

– Aubin ? ironisa-t-il. Je suis charmé de l'apprendre...

Mark rougit violemment sous le regard surpris de Håkon. Pour d'obscures raisons, le jeune homme n'avait jamais voulu révéler à Lucius son nom de famille et ce refus persistant était devenu au fil des années un sujet de taquinerie entre eux. Mais l'ambassadeur semblait intime au point de connaître ce détail et il venait de le lui offrir sur un plateau. Mark Aubin... cela lui allait bien, en définitive.

– En réalité, Mark et moi nous connaissons depuis longtemps, sourit Lucius. Au moins une dizaine d'années... Et je n'ai pas oublié son penchant coupable pour le café quelle que soit l'heure.

– Inutile de rentrer dans les détails, gloussa Mark en se serrant un peu plus contre Håkon. Je lui ai dit que j'avais vingt-cinq ans. Tu vas passer pour un pervers !

– Tu auras toujours vingt-cinq ans, Trésor, fit Lucius en riant. Et quelques rides en plus...

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Si Håkon avait été surpris par leur tutoiement et leur familiarité, il en sourit rapidement avec bienveillance. Il devinait sans doute quels avaient été leurs rapports et la façon dont ils s'étaient rencontrés, mais il ne fit aucune réflexion et ne montra aucun ressentiment envers Lucius. Au contraire, il était plutôt affable et la conversation s'engagea facilement.

L'ambassadeur était un homme agréable, simple, qui ne cherchait pas à cacher ses sentiments envers Mark et qui semblait se moquer éperdument des réactions que pouvait susciter sa vie privée. Mais lorsque la conversation glissa sur un terrain plus politique, Lucius sentit aussitôt la prudence surgir dans ses paroles et cette façon toute diplomatique de donner une opinion sans la donner réellement. L'homme était un habitué des arcanes du pouvoir, fin négociateur et habile tacticien, rompu aux congrès interminables et aux traités qui s'éternisaient des années durant. Et malgré son âge relativement jeune pour ce milieu, à peine quelques années de plus que Mark, Lucius percevait son expérience des calculs et de la manipulation.

Mais il ne s'en faisait pas. Mark n'était pas un novice dans les rouages du pouvoir et il saurait parfaitement se dépêtrer et de son amant, et de cette vie dans les coulisses de la politique. Le plus compliqué serait sans doute les ragots sur leur relation et en particulier sur son ancienne vie. Car Lucius n'avait aucun doute sur la poursuite de leur histoire : Mark avait les yeux bien trop brillants lorsqu'il s'adressait à son ami, il vibrait bien trop au son de sa voix pour n'avoir aucun sentiment pour lui. Il n'en avait peut-être pas encore assez pour se l'avouer à lui-même, mais leur relation allait durer.

Même s'il regardait Mark avec une certaine nostalgie, Lucius était heureux pour lui. Il le méritait. Il méritait un homme comme Håkon, quelqu'un qui l'aimerait sans le tenir dans l'ombre, sans considération des jugements, quelqu'un qui assumerait haut et fort son amour pour lui. S'il n'y avait pas eu Severus et Harry, Lucius aurait aimé être cet homme-là, mais il en aurait été incapable. Il n'avait même pas pour son compagnon la plus petite attention publique alors que Håkon ne se gênait pas pour embrasser le jeune homme. Une question de génération sans doute... Et d'éducation.

Lui, il était un Malfoy. Un Malfoy n'était pas homosexuel. Un Malfoy épousait une femme, lui faisait un unique héritier mâle et régentait son monde d'une main de fer. Les sentiments et la faiblesse n'étaient pas de mise. Quelles que soient les circonstances, il fallait rester digne, fier et hautain. Superbe jusqu'à l'arrogance. Même lors des funérailles de son épouse même lors des conflits avec son propre fils même lorsque son compagnon était humilié en public par des commentaires sournois.

Et puis Lucius songea à Draco qui dansait avec la veuve Zabini un peu plus loin, superbe et fier. Draco avait épousé une femme mais une moldue. Il lui avait fait deux enfants mais deux filles. Et bientôt un garçon si tout allait bien, mais qui serait héritier au même rang que ses sœurs. Draco avait bouleversé en une génération toutes les convenances et les traditions des Malfoy, et peu importaient les remarques, les conflits, les regards et les coups dans le dos... il s'était juste battu un peu plus pour obtenir ce qu'il voulait, sans démordre de son but. Peut-être que c'était ça, finalement, être un Malfoy : la volonté et la persévérance...

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– Vous devriez aller faire un tour sur la terrasse ou dans les jardins, sourit Lucius.

Mark rougit à nouveau devant la remarque sous-jacente. C'était étonnant de voir à quel point le jeune homme qu'il connaissait si libre et si dévergondé pouvait se montrer si prude en compagnie de Håkon et rougir à la moindre réflexion. Lucius se souvenait pourtant de ses provocations et de son absence absolue de complexes, de ses mains baladeuses en plein sommet politique, et même d'une visioconférence où Mark s'était glissé sous le bureau, invisible aux yeux de tous hormis la légère transpiration sur les tempes de Lucius et son souffle un peu court.

Et il le connaissait tant qu'il avait bien remarqué sa façon de danser d'un pied sur l'autre, la main trop familière glissée dans la poche arrière du pantalon de Håkon ou sa façon de se mordiller les lèvres... Mark avait envie de sexe, ou tout du moins d'un peu plus d'intimité.

– Tu nous fais les honneurs ?

Naviguant à travers la foule des invités, Lucius les conduisit vers les nombreuses porte-fenêtres grandes ouvertes sur la douceur de la nuit. La journée avait été estivale et la pierre renvoyait la chaleur accumulée alors même que le soleil avait disparu depuis longtemps. Des lumignons flottaient tout autour des terrasses, baignant les invités qui s'y promenaient d'une lueur rouge-orangée. Loin au-dessus d'eux, une multitude d'étoiles parsemaient le ciel, leurs lumières légèrement éclipsées par celle de la lune, ronde et pleine, qui dessinait les jardins en camaïeu de noir et de blanc.

La nuit était belle, assurément, et Lucius laissa Mark et Håkon savourer sa sérénité après les avoir conduits dans le salon de jardin près de la piscine.

– L'eau est chaude... Vous pouvez en profiter si vous voulez.

Le regard de Mark était éloquent d'envie et de sensualité mais l'ambassadeur semblait plus réservé.

– Allez ! Un bain de minuit ! fit Mark d'un ton presque suppliant.

– Au beau milieu d'une réception officielle ? As-tu perdu la tête ?

D'un geste de baguette, Lucius lança un sortilège d'intimité et de dissimulation sur la piscine et le salon où ils se trouvaient.

– Profitez.

Il s'approcha rapidement de Mark et le saisit d'une main par la nuque pour déposer un baiser sur son front, puis les quitta sur un sourire. « Embrasse-moi ou tu tombes tout habillé dans l'eau » entendit-il tandis qu'il s'éloignait. « Tu lui fais confiance ? » vibra la voix grave de Håkon. « Plus qu'à n'importe qui ! Même à toi... »

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Lucius remonta lentement les escaliers vers la terrasse principale. Rejoindre la réception lui coûtait. Il n'avait plus envie de rien, si ce n'était d'être tranquille chez lui et de retrouver son compagnon, un peu d'intimité et de tendresse...

Sur un plateau porté par un elfe de maison, il saisit une coupe de champagne, prétexte à s'attarder sur la terrasse quelques instants. Son regard erra sur les jardins, le bois sombre à l'horizon qui abritait le pavillon chinois, et la terrasse inférieure où la piscine paraissait vide de tout occupant. Il savait pourtant que Mark et Håkon devaient s'y trouver, probablement à demi dévêtus, et probablement occupés. Un puissant frisson traversa Lucius à l'idée de ce qu'ils étaient en train de faire et il ferma les yeux en soupirant.

– Tout va bien, Lucius ?

Il sourit en reconnaissant la voix sans même avoir besoin d'ouvrir les yeux.

– Oui. Tout va bien. Juste un peu fatigué. Et toi ? Pas trop ennuyé par les politiques et les curieux, ce soir ?

Harry haussa les épaules en souriant fugacement et prit à son tour une coupe de champagne que lui proposait un elfe.

– Il faut bien s'y faire... Je dois encore quelques danses à je ne sais même plus qui, quelques mots à un journaliste, une photo à un autre... Je vais devenir expert en relations publiques à ce rythme !

– Prêt à entrer en politique comme ils le pensent tous ?

– Je vous laisse ce rôle-là, fit Harry en riant et en lui tendant sa coupe pour trinquer. Très peu pour moi !

Le bruit du cristal étincela dans la nuit et Lucius sourit en avalant une gorgée de champagne.

– Où est Severus ?

– Monté dans sa chambre il y a un moment...

– Dans quel état ?

Sa question était sèche et Harry fronça les sourcils devant ce qu'elle sous-entendait.

– Il n'était pas saoul, si c'est là votre question.

Lucius éluda d'un geste de la main.

– Fatigué ou agacé ?

– Plus blessé qu'agacé, à mon avis, fit Harry en soutenant son regard. Mais ce n'est pas ce qu'il vous dira...

Lucius soupira. Cette réception traînait en longueur à son goût mais il ne pouvait chasser les invités qui semblaient apprécier un peu trop le buffet, le champagne et la musique.

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oooooo

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– Entre.

Lucius ouvrit lentement la porte et pénétra dans la chambre, attirant sur lui le regard sombre et surpris de Severus.

– Depuis quand as-tu besoin de frapper pour entrer ici ?

Cette phrase lui disait quelque chose et il méritait sans doute cette petite vengeance.

– Je ne savais pas si tu dormais...

Severus était assis dans son lit, son kimono noir simplement passé sur les épaules et entrouvert sur son torse, le bas de son corps caché par les draps. Sur ses cuisses, un épais livre moldu, calé entre ses mains, attendait son attention.

Lucius fit le tour du lit lentement, comme il l'aurait fait avec un animal menaçant de mordre, et il vint s'asseoir doucement à côté de Severus.

– Est-ce que ça va ?

– Rassure-toi, je n'ai pas fait d'esclandre, ni aucun scandale. Tu ne trouveras ni article dans la presse demain matin, ni photo compromettante...

Severus fronça les sourcils en plissant le nez, fermant les yeux une fraction de seconde et brusquement pâle.

– Tu as bu ?

– Oui, mais certainement pas assez pour oublier cette fichue soirée.

Lucius posa une main trop hésitante à son goût sur le bras de son compagnon. Merlin ! Il restait toujours aussi désemparé quand Severus était froid et distant comme ça !

– Je te promets que ça ne se passera pas comme ça l'année prochaine, murmura-t-il.

– Je t'en prie ! fit sèchement Severus. Ne fais pas de promesses que tu ne tiendras pas ! Ne dis rien, ça vaut mieux.

Lucius hésita un instant puis murmura à nouveau :

– Je ne veux pas que ce genre de réception t'incite à boire et à t'enfermer dans ta chambre pour te cacher.

– Je ne suis pas monté pour me « cacher » parce que j'étais saoul mais parce que j'ai un début de migraine. Je pensais qu'avec un peu de silence, ça allait passer tout seul... Je n'avais qu'à pas boire, tu me diras...

Severus pencha légèrement la tête en fermant les yeux et se pinça l'arrête du nez.

– Mais pourquoi n'as-tu pas demandé à Harry ?

– Je pensais que ça allait passer, marmonna Severus. Et Harry et moi ne pouvions décemment pas disparaître de la soirée en même temps. Ça aurait été trop suspect...

– Oh, fit Lucius décontenancé. Je... Je vais t'envoyer Harry. Je l'excuserai auprès de ses obligations...

Il se leva rapidement et déposa un baiser sur la tempe trop moite de son compagnon.

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oooooo

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Lucius posa son verre de cognac à côté de lui, sur le marbre de la terrasse. C'était tout aussi bon que le champagne ! L'année prochaine, il ferait le bal des Malfoy au cognac ! Quoique... il ne pourrait certainement pas en boire les mêmes quantités sans être passablement saoul et malade.

Les derniers invités étaient partis dans un bel ensemble, une vingtaine de minutes auparavant, et le Manoir était à présent silencieux. La salle de bal, dans son dos, était déserte, si ce n'était les buffets dévalisés, quelques chaises abandonnées et l'estrade des musiciens où traînaient des partitions oubliées. Sur les consoles et le manteau des cheminées, quelques flûtes vides et esseulées renvoyaient un éclat de lune sur le parquet poli par les pas des danseurs.

Lucius avait envoyé tout le monde se coucher : Blaise et Draco, épuisés et qui étaient restés jusqu'au bout, et même les elfes de maison. Le rangement et le ménage pouvaient bien attendre quelques heures de plus !

Il était satisfait. Épuisé lui aussi mais satisfait. Cette soirée était enfin finie et le Manoir allait retrouver sa tranquillité. Il avait bougé quelques pièces, avancé ses pions en politique, marqué une alliance claire avec Greengrass, fait des affaires profitables et Blaise lui avait enfin obtenu ce tableau qu'il convoitait depuis longtemps. Il avait même revu Mark et fait la connaissance de son ambassadeur favori...

La seule ombre au tableau, et de taille, était Severus.

Lucius n'arrivait pas à déterminer si son compagnon lui avait menti. Était-ce vraiment une migraine qui l'avait incité à quitter la réception ? Ou bien s'était-il retiré, blessé de son indifférence et de son invisibilité aux yeux de tous, comme l'avait suggéré Harry ? Le bal des Malfoy avait toujours été un sujet de discorde entre eux, mais Lucius estimait que sur ce sujet, Severus n'avait pas son mot à dire. Le bal se tenait chaque année, quelle que soit son opinion là-dessus, et Severus devait s'y tenir et y faire bonne figure. Mais l'humiliation subie lui était chaque année plus difficile.

Lucius avala la dernière gorgée de son verre et le garda entre ses mains, dérisoire et inutile. La nuit était douce et agréable. Et à présent que les lumignons étaient tous éteints, le ciel resplendissait d'étoiles et de la lumière de la lune. Il comprenait Harry qui aimait parfois passer une nuit dehors sur la terrasse ou dans sa forêt plutôt que seul dans son lit. Cette obscurité pleine de vie était apaisante. Étrangement apaisante. Et si ce n'était la fatigue et l'humidité fraîche qui finissait par remonter des pierres, il aurait pu rester là encore une heure ou deux à attendre que le soleil se lève.

Ce fut lui qui se leva finalement, et qui rentra dans la salle de bal, refermant d'un geste de baguette les portes-fenêtres béantes sur la nuit. Sur le marbre du Hall d'entrée, ses pas résonnaient dans le silence et l'obscurité et Lucius fut tenté d'enlever ses chaussures avant que les tapis de l'escalier ne viennent étouffer le bruit trop présent. Il voulait surtout ne réveiller personne.

À l'étage, tout était silencieux. Il hésita un instant, puis finit par entrouvrir légèrement la porte de la chambre de Severus. Il aurait bien été se glisser dans le lit de son compagnon pour dormir avec lui, mais la place était déjà prise. À travers la fenêtre, dont Severus avait oublié de fermer les rideaux, s'insinuait la lumière blême de la lune qui dessinait dans les draps les corps endormis de son compagnon et de Harry. Un instant, Lucius s'étonna de leur distance, puis Harry, peut-être dérangé par le bruissement léger de la porte, s'agita, chercha dans les draps pour finir par se retourner et se lover contre son amant. Severus grogna et son bras se replia instinctivement autour du corps du jeune homme, le serrant contre lui.

Dans les rayons de lune, la peau d'albâtre de Severus semblait presque luire doucement, en partie dissimulée par celle plus sombre de Harry. Ils étaient beaux ainsi. Comme avaient été beaux tout à l'heure Mark et Håkon...

Lucius soupira longuement. Peut-être qu'il pourrait les rejoindre, prétextant la fatigue pour n'avoir pas vraiment réalisé qui dormait dans le lit... Habituellement, Harry ne dormait jamais dans la chambre de son amant; c'était toujours Severus qui naviguait d'une chambre à l'autre... Si Lucius venait s'y aventurer en pensant rejoindre son compagnon, son explication bancale convaincrait-elle qui que ce soit ? Il n'en était pas certain, et il ne voulait pas prendre le risque, surtout après cette soirée qui avait tant blessé Severus. Résigné, il recula d'un pas et referma la porte sur le sommeil des deux amants.

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oooooo

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Au final, ce fut davantage une sieste qu'une nuit et il était encore tôt lorsque Lucius s'éveilla après trois heures de sommeil. Il se leva sans traîner et prit une douche rapide qui n'effaça ni les cernes sombres sous ses yeux, ni les stigmates que le temps laissait peu à peu sur son visage.

En croisant son regard fatigué dans le miroir, il s'observa sans concession. Severus avait été marqué par les rides d'expression bien plus tôt que lui, à force de froncements de sourcils et de visage sévère envers ses élèves, mais avec le temps, cela lui avait donné plus de charisme et de personnalité. Et son corps puissant et sportif effaçait rapidement cette impression d'âge. Lui, il était resté le même pendant des années, avec le visage de ses vingt ans, indéniablement beau. Les traits à peine un peu plus lourds et relâchés au fil du temps. Mais aujourd'hui, Lucius avait l'impression de voir son propre père dans le miroir, il reconnaissait les mêmes rides qui se creusaient lentement, irrémédiablement, le regard qui s'affadissait, l'éclat de ses yeux plus terne... Il vieillissait, indéniablement.

Il approchait de ses soixante ans... ce n'était pas vieux pour un sorcier, mais c'était bien plus qu'il n'aurait voulu avoir. Et il sentait régulièrement tout ce qui allait avec : le manque d'énergie, la récupération moins bonne face au manque de sommeil, la fatigue qui s'accumulait, une certaine lassitude... Peut-être... peut-être qu'il était simplement épuisé et qu'il avait besoin de vacances.

Depuis qu'il était sorti de Sainte-Mangouste après son coma, il n'avait pas levé le pied une seconde. Il avait repris immédiatement la conduite de ses affaires, trop longtemps négligées malgré la supervision lointaine de Draco et Blaise. Il s'était refait une place en politique, regagnant l'influence perdue en quelques semaines. Il avait manœuvré, comploté, repris son monde d'une poigne de fer, sans s'épargner lui-même. Finalement, il avait peut-être repris trop tôt, sans s'accorder le temps de se rétablir correctement. Et aujourd'hui, il en payait le prix.

Oui, il avait besoin de vacances. Et de distance. Loin du monde politique et financier qui faisait son quotidien. Et il avait besoin de retrouver Severus aussi, et de passer du temps avec lui. Il ne restait que deux ou trois jours avant de pouvoir relâcher la pression : quelques dossiers à boucler, quelques lettres à écrire, un dîner demain soir avec Blaise et Matthieu, et ils partiraient à Torquay rejoindre Draco... Dimanche. Peut-être même samedi...

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Dans la salle à manger, Lucius trouva Severus et Mandy, côte à côte, en grande conversation. Tout comme Blaise, Francis et sa future épouse avaient dormi au Manoir. C'était aussi simple et puis, il devait discuter de certains dossiers avec eux ce matin... Mais la soudaine sympathie de son compagnon envers son ancienne secrétaire le surprit.

Severus s'était toujours méfié d'elle, il la regardait autrefois comme le diable en personne, celle qui savait tout, son homme de confiance, voire son homme de main. Celle qui n'avait aucun scrupule à déranger Lucius le dimanche, la nuit, quelle que soit l'heure, et même capable de faire irruption dans leur chambre d'hôtel pendant les congrès pour faire viser un discours alors qu'ils étaient en plein ébat, et parfois dans des positions plus que compromettantes. Il n'y avait qu'au Manoir que Mandy n'avait jamais eu droit de cité, mais elle usait et abusait des appels de cheminette. Et puis de toute façon, Lucius n'y était pas souvent...

– Je suis ravi d'avoir trouvé quelqu'un d'aussi matinal que moi ! pérorait Severus. Tous ces lèves-tard perdent leur temps à dormir...

Sans prêter plus d'attention à ses paroles, Lucius s'approcha de Mandy et lui fit la bise sur les deux joues, comme il se faisait en France, comme ils l'avaient toujours fait... Un simple salut matinal suivi d'un « bonjour » général avant de gagner sa place.

Un instant... un instant, en passant derrière Severus, il avait failli poser sa main sur l'épaule de son compagnon, et il avait failli se pencher pour l'embrasser. Mais sous le regard de Mandy, il n'avait pas osé. C'était ridicule. Il était chez lui. Mais sa main hésitante s'était posée sur le dossier de la chaise de Severus, au lieu de son épaule, et Lucius était parti s'asseoir, contrarié et les lèvres pincées.

Il avait touché Mandy, il l'avait embrassée sur la joue, mais il n'avait pas osé toucher son propre compagnon ! Severus ne s'en était pas formalisé et il continuait à badiner sans que Lucius n'en comprenne rien. Severus était tellement habitué à cette distance qu'il ne remarquait même plus ce genre de choses, mais Mandy avait vu. Elle avait vu, elle, cette infime hésitation, ce renoncement, et surtout elle lisait sur son visage, comme dans un livre ouvert, sa contrariété, son agacement et son mépris envers lui-même.

Lucius serra les dents et se servit un café. Il avait bien besoin de quelque chose de fort pour tenir le coup et aller au bout de cette journée.

– Mandy avait besoin de travailler un peu, lui fit Severus. Je l'ai installée dans la Bibliothèque; tu n'y vois pas d'inconvénient ?

Lucius éluda d'un geste vague, et devant son silence manifeste, Severus continua de faire la conversation à la future première dame de France. C'était le monde à l'envers ! Et qu'il se donne cette peine après la soirée humiliante de la veille crispa encore un peu plus Lucius. Sans compter le regard affûté de Mandy qu'il sentait toujours peser sur lui.

– Comment se passent les préparatifs du mariage ? demandait Severus de manière surprenante. Tout est fin prêt ?

– Oh, vous savez, c'est un peu rébarbatif, fit Mandy avec un soupir blasé. C'est davantage une réception au Palais qu'un mariage. La politique l'emporte toujours sur le commun. Francis a invité pas moins de quatre cents personnes et il s'en rajoute tous les jours ! D'ailleurs, viendrez-vous ? Lucius a confirmé sa présence dès l'annonce, mais il a réservé votre réponse...

Lucius vit le regard de Severus glisser vers lui, circonspect. Mandy disait vrai. Il y avait eu le carton d'invitation, puis des tensions, des disputes, des silences et puis ils n'en avaient plus jamais reparlé.

– Je viendrai, répondit Severus en hochant la tête.

– Bien. Et Harry ?

– Je ne peux pas répondre pour lui, hésita-t-il. Mais si nous y allons, je pense qu'il viendra également...

Mandy lui offrit un sourire satisfait que Lucius interrompit en s'adressant à Severus.

– Daphnée et les filles sont déjà descendues ?

– Oui. Elles ont déjeuné il y a un moment. Les filles sont dans la salle de jeu et Daphnée partie s'allonger dans la véranda. Elle avait un peu mal au ventre...

Lucius fronça les sourcils, alarmé, mais Severus reprit aussitôt.

– Draco est avec elle...

– Et Harry ?

– Aux dernières nouvelles, il dormait encore...

Lucius hocha la tête, sans doute un peu sèchement, juste avant de percevoir des voix dans le couloir.

– Entrez, je vous en prie, disait justement Harry en s'écartant pour laisser Francis pénétrer dans la salle à manger.

– Messieurs-dames, fit le ministre avec un large sourire.

Il serra rapidement la main de Lucius et de Severus avant de se pencher vers Mandy pour déposer un baiser sur ses lèvres, puis fit le tour de la table pour s'asseoir à une place libre, juste en face de sa future femme.

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Plus le temps passait, et moins Lucius savait ce qu'étaient ces deux-là. Au départ, leur mariage était présenté comme de pure complaisance, garantissant une certaine respectabilité à Francis que son célibat à la tête du monde sorcier français handicapait parfois. Concernant Mandy, il n'avait jamais vraiment su ce qu'elle y gagnait, mais Lucius ne se faisait aucune illusion : elle n'aurait jamais accepté cette mascarade si elle n'en tirait pas quelque profit. Seulement au fil du temps, cela ressemblait de moins en moins à une mascarade, au point qu'ils avaient décliné son offre lorsqu'il leur avait proposé à chacun une chambre individuelle plutôt que commune. Au point qu'ils s'embrassaient pour se dire bonjour, alors qu'il n'osait même pas le faire envers Severus !

Harry n'eut pas ces scrupules, et tandis que Lucius ressassait encore ses pensées, il se pencha pour embrasser rapidement son amant, appuyant son baiser d'une main sur sa nuque.

Lucius reposa dans son assiette le morceau de toast qu'il grignotait machinalement et se resservit plutôt un café. Il n'avait plus faim et il s'était rarement senti aussi humilié. Pas par ce geste de Harry, aussi habituel et innocent qu'il l'était le reste du temps, mais par ses propres insuffisances et par l'observation persistante de Mandy. Si son regard était tourné vers Francis avec qui elle plaisantait joyeusement, Lucius savait qu'elle avait deviné chacune de ses humeurs et de ses pensées.

– Bien dormi, très chère ? fit Francis.

– Tu as ronflé toute la nuit, c'était charmant ! osa Mandy tandis que Harry et Severus souriaient.

– Que veux-tu ! Le champagne était trop fameux pour le laisser perdre ! Mais l'alcool et l'âge ne font pas bon ménage !

– Vous tenez là un bon slogan pour une campagne de prévention, monsieur le Ministre, gloussa Harry en reposant sa tasse de champurrado.

– Harry ! Allez-vous un jour faire comme tout le monde et m'appeler Francis ?!

– Je crains de ne pas souvent faire les choses comme tout le monde, ricana Harry. Et j'avoue avoir du mal...

– Mais enfin, c'est ridicule ! Vous appelez bien Lucius par son prénom !

– Mais c'est Lucius... Et vous êtes Ministre.

– Et vous êtes Harry Potter ! Et Brian Evans ! Sans doute l'un des plus grands sorciers et des plus grands potionnistes de tous les temps. Cela vaut bien plus que d'être ministre pendant quelques années !

Lucius remarqua sans y prêter attention la pente glissante sur laquelle s'engageait la conversation que s'empressèrent de dévier Severus et Mandy. « Je ne suis rien du tout » protestait encore Harry quand la silhouette de Draco, l'air sombre et sévère, apparut dans l'encadrement de la porte.

– Harry ? Tu peux venir, s'il-te-plaît ?

Le jeune homme leva un regard étonné, suivi par ceux de Lucius et de Severus, reposa sa tasse et se leva rapidement.

– Daphnée ? murmura Lucius.

Draco hocha simplement la tête avant de disparaître avec Harry.

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Puisqu'il était peu enclin à parler, et à présent que Harry était parti, Severus sembla se résoudre à faire la conversation, ce qu'il ne faisait pas si mal a priori puisque Lucius ne perçut aucun silence jusqu'au retour du jeune homme, une vingtaine de minutes plus tard.

– Tout va bien, fit immédiatement Harry en entrant dans la pièce.

Il rayonnait encore de magie, auréolé d'un halo vert et mouvant qui s'apaisait peu à peu. En passant derrière lui, Harry posa une main réconfortante sur son épaule, et Lucius sentit, à travers la magie qui s'infiltrait en lui, assez de certitudes et de force de conviction pour l'assurer de la vérité de ses paroles.

– Elle a dû forcer un peu hier soir, mais ça va aller. Je lui ai donné une potion pour se détendre et avec un peu de repos, tout va rentrer dans l'ordre.

Une couche de culpabilité supplémentaire sur sa culpabilité déjà bien épaisse... « Elle a forcé hier soir »... Le bal des Malfoy. Où il n'aurait jamais dû demander à Daphnée de faire une apparition. Pour lui, pour lui faire plaisir, elle avait insisté plus que de raison.

Lucius baissa la tête et se massa le front d'une main. Il avait hâte que ce petit-déjeuner, l'entrevue avec Mandy et Francis, et l'ensemble de la journée, passent au plus vite. Harry, lui, se rassit à sa place, inconscient de la portée de ses mots, son aura de magie déjà disparue, et la conversation reprit comme si de rien n'était.

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Dès qu'il put le faire avec un semblant de courtoisie, Lucius traîna Mandy et Francis dans son bureau sans se soucier des regards appréciateurs sur la décoration et le luxe de la pièce.

– Tu fais concurrence à l'Élysée ? gloussa Francis avant de recevoir un regard noir de son épouse.

– Avant qu'on commence à parler boutique, ôte-moi d'un doute, fit Mandy. C'est bien Mark que j'ai aperçu hier soir à la réception ?

Lucius se pinça l'arête du nez en soupirant. Il aurait bien évidemment préféré commencer la réunion tout de suite, mais Mandy voulait bien évidemment des réponses à ses questions.

– Oui, c'était lui. Mais pas pour moi. Il accompagnait l'ambassadeur norvégien en France. Un type que je ne connais même pas. Invité sur recommandation... C'est toi qui me l'avais recommandé ?

Mandy secoua la tête, dubitative, et Lucius soupira à nouveau. Il n'arrivait même plus à se rappeler qui avait glissé ce nom dans les listes des personnes à inviter.

– Mais je vais bien, ajouta-t-il devant le regard insistant de Mandy. Mark va bien et tout va bien.

– Qui est Mark au juste ?

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oooooo

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Un torse élégamment moulé dans une chemise vert sombre apporta à Lucius une ombre salutaire. Le soleil avait légèrement tourné en l'espace d'une heure et le visage commençait à lui chauffer dangereusement.

Ébloui par la luminosité sur les pierres blanches et la surface de l'eau, Lucius ne distinguait pas le visage baissé vers lui et plongé dans l'ombre, mais il aurait su reconnaître Severus entre mille.

– Un cognac ? À trois heures de l'après-midi ?! On peut savoir ce qui t'arrive ?

Lucius grimaça un sourire fatigué et reposa la tête sur le dossier de la chaise longue. Francis et Mandy étaient partis. Blaise était parti également, le visage encore chiffonné de son manque de sommeil. Ils avaient déjeuné, encore. Combien de fois par jour devait-on manger ici et supporter la compagnie des autres ?! Il n'avait pas mangé grand-chose, lui : les trois cafés du matin lui restaient sur l'estomac. Il avait oublié à quel point il ne supportait plus le café. Un autre effet de l'âge, sans doute...

Puis Draco et Daphnée étaient partis à Torquay avec les filles, enfin en vacances et libres de tout engagement. Daphnée avait même accepté d'emmener un elfe avec eux pour préparer la maison à leur venue et faire la cuisine, maintenant qu'elle était contrainte à se reposer encore davantage.

Et Lucius était là, lui, avec un cognac en plein après-midi, à cuire doucement au soleil.

– Qu'est-ce qui ne va pas ? fit Severus en s'asseyant brusquement sur un siège à côté de lui. Tu es bizarre depuis ce matin...

– Où est Harry ?

– À Sainte-Mangouste.

Lucius hocha la tête, indécis. Severus était-il venu parce que son amant était absent et qu'il était désœuvré, ou était-il venu pour le voir lui ? Mais quelle qu'en soit la raison, il était là malgré tout. Même après la soirée d'hier, Severus était capable de passer outre son humiliation publique et redevenait celui qu'il était tous les jours, habitué à sa distance mais tout de même attentif, lointain tout en restant disponible.

Et Severus avait réellement pensé à lui, puisque Lucius avait trouvé sur son bureau ce matin le petit livre rouge. Il avait été surpris que Severus utilise ce moyen de communication qui n'avait plus servi depuis que Harry vivait au Manoir. Est-ce que c'était une façon de signifier son pardon et son envie de passer à autre chose ?

Mais à l'heure actuelle, Lucius n'avait pas très envie d'honorer cette invitation. Il avait envie de tendresse, pas de sexe. Et encore moins d'aller faire un tour dans l'antichambre.

Puisqu'il n'avait pas de réponse à apporter, Lucius se contenta de finir son cognac et posa le verre sur le sol, sous son transat. Severus l'observait, impassible, et maintenant que ses yeux étaient de nouveau habitués à une lumière normale, Lucius distinguait mieux les traits de son visage et en particulier ses sourcils froncés et son regard dur. Pas dur; concerné, soucieux...

Harry lui avait dit un jour à quel point il restait fasciné par les yeux de Severus, si sombres, si chauds, si profonds... « un regard où on peut se perdre longtemps ». Lucius s'y perdit. Avec bonheur.

Si quelque chose n'avait jamais varié chez Severus, c'était bien son regard. Les cheveux avaient blanchi par endroits, le visage s'était marqué, son corps s'était musclé, mais le regard était le même qu'au premier jour. Un regard acéré, perçant, capable de vous mettre à nu en quelques secondes, parfois dur au point de paraître insensible.

C'était ce qui l'avait frappé la première fois qu'ils s'étaient vraiment vus, dans la salle commune des Serpentards. Severus lui tournait le dos, plus intéressé par les livres de la petite bibliothèque que par son discours de préfet-en-chef, alors que l'ensemble des premières années tremblaient sous ses paroles d'avertissement. Lucius avait fait une remarque, acide et méprisante, et Severus s'était retourné, avec un regard aussi dédaigneux qu'il était possible, il l'avait toisé droit dans les yeux, puis était allé s'asseoir sans un mot avec un livre entre les mains. Lucius n'oublierait jamais ce regard, cette âme sombre et solitaire qui lui avait fait face sans ciller et sans céder. Et qui n'avait que onze ans.

Et puis parfois, Severus souriait. Voire même, plus rarement encore, il riait. Et alors, son regard si dur devenait dense et lumineux, profond comme des ténèbres accueillantes, riche et si intensément vivant. Et ce regard qu'il avait pendant l'amour, quand la jouissance venait le saisir : éperdu, roulant des yeux dans l'extase... Severus perdait le contrôle et Lucius s'en délectait autant que de son propre orgasme.

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Aujourd'hui, le regard qui lui faisait face lui paraissait plus insondable que jamais, mais Lucius ne cherchait pas à comprendre; il se souvenait... Depuis cette première confrontation dans la salle commune, Severus avait été incontournable dans sa vie. Ensemble, ils avaient tout traversé, à commencer par le temps. Plus de quarante années à s'observer de loin en loin, à se tourner autour, puis amants occasionnels, serviteurs du même maître, puis compagnons de vie... Jusqu'à aujourd'hui.

Il se souvenait d'avoir rapidement entendu parler de Severus à Poudlard : celui qui traînait avec une Gryffondor, au mépris des règles, celui qui ne voulait pas se plier aux traditions des Serpentards, celui qui en trois jours s'était mis la moitié de sa maison à dos et qui s'en fichait, du moment qu'on le laissait tranquille dans son coin, étrange, solitaire et énigmatique. Severus avait attiré sa curiosité. Avant la fin de l'année, il était devenu évident que l'adolescent finirait un jour dans son lit. Mais pas encore. Pas tout de suite. Severus était trop jeune. Et Lucius avait pris son temps avant de tisser ses filets.

Il se souvenait de leur première fois. Au Manoir, déjà. Severus ne l'aimait pas encore mais il avait cédé à ses avances. Comme un remerciement pour un service rendu. Mais il avait aimé le sexe, la jouissance, le fait de s'abandonner, même si au réveil, Severus avait fui cette perte de contrôle si effrayante à ses yeux. Lucius avait pu, toute la nuit, caresser le corps de son amant contre lui.

Il invitait Severus de temps en temps. Les vacances où il ne voulait pas rentrer chez lui... Toutes les vacances, au final. Severus dévorait la bibliothèque familiale de l'aube au crépuscule, sous l'œil circonspect d'Abraxas. Puis Lucius s'était marié et Abraxas avait quitté le Manoir. Severus avait déjà sa chambre personnelle, tout comme Narcissa.

Sa plus grande erreur avait été d'emmener Severus devant Voldemort. La fascination, l'attrait du pouvoir avait renversé celui qui n'était encore qu'un adolescent. L'initiation avait détruit le peu d'innocence qui lui restait. Lucius se souvenait des larmes de Severus; la douleur du sortilège de marquage était incommensurable. C'était la seule fois de sa vie où il l'avait vu pleurer. Même secoué de spasmes sous les Doloris, gémissant, à moitié mort, Severus n'avait plus jamais versé une larme. Ni supplié.

Et puis un étrange bébé aux yeux verts avait défait Voldemort. La paix avait surgi, surprenante, impromptue. Mais la culpabilité de la mort de Lily avait abattu Severus et il lui avait fallu bien du temps pour se reconstruire. Malgré tout, cela avait été des années heureuses pour Lucius, entre Narcissa et son amant, l'enfance de Draco entre eux trois, le Manoir...

Severus s'était éloigné à Poudlard, mais le lien demeurait. Jamais exclusif, même si Severus était le seul homme qui persistait dans sa vie. Ils se voyaient souvent, ici ou là, peu importait.

Le retour de Voldemort avait sonné le glas d'une période sereine. Il y avait eu la guerre, la peur, le double jeu de Severus qui avait dansé sur le fil du rasoir des années durant... Et le bébé qui avait bien grandi était revenu. Potter... Voldemort était mort; Severus aussi pendant quelques minutes. Et Narcissa. Tout le monde avait dû se reconstruire à nouveau, un peu plus difficilement...

Ils étaient restés, eux deux, envers et contre tout, malgré les addictions de Severus, malgré la mort de la seule femme que Lucius eut jamais aimé de quelque manière que ce soit. Et puis Potter encore avait fait des siennes... Et Severus avait encore dû se reconstruire après sa disparition.

Si l'on regardait vraiment les signes, Severus et Harry étaient liés. Depuis toujours. Depuis que Harry n'était qu'un bébé et jusqu'à aujourd'hui, et Lucius leur était lié parce qu'il était lié à Severus. Leur histoire traversait le temps. Harry aurait pu être l'enfant de Severus, s'il avait eu une liaison avec Lily; il était son amant... C'était aussi bien; Lucius aurait eu davantage de scrupules à coucher avec le jeune homme dans le premier cas que dans le second. Il sourit vaguement à cette idée et à la sensation étrangement réconfortante que rien ne pouvait le séparer de Severus : leurs destins étaient tracés côte à côte depuis toujours, leurs routes se suivaient, inexorablement, ensemble, et aujourd'hui avec Harry qui les avait rejoints.

– Je ne sais pas à quoi tu penses, mais tu as l'air bien mélancolique, fit la voix dont il n'avait pas quitté le regard.

– Mélancolique ? Non... Mais je pensais à toi... à nous.

– À nous ?

Et dans ces deux mots, il n'y avait pas une once de sarcasme. Malgré la soirée du bal où Lucius l'avait si superbement ignoré, Severus ne cherchait même pas à souligner l'ironie de ce « nous » qui n'existait qu'en privé, mais certainement pas en public. Severus était capable d'une telle résilience...

– Et le petit livre rouge alors ?

– Une envie matinale, avoua Severus.

Un sourire léger flottait sur les lèvres de son compagnon, et son regard sembla brusquement plus lumineux. Lucius sourit à son tour, amusé de la confidence et au fond, ravi de cette envie alors que Severus avait dû faire l'amour avec Harry hier soir ou tôt ce matin...

– Qui n'est plus d'actualité ?

– Je ne dirais pas ça...

Lucius tendit la main vers Severus et l'attira brusquement vers lui.

– Embrasse-moi.

Severus se leva lentement et s'approcha pour enjamber la chaise longue, venant s'asseoir directement sur ses hanches. Puis il se pencha, les deux mains appuyées de chaque côté de sa tête, avant de venir poser ses lèvres déjà entrouvertes sur sa bouche, offrant sa langue à la caresse de la sienne.

Parfois... Parfois Lucius regrettait de ne pouvoir faire comme Harry et transplaner instantanément dans une chambre... Quoique. Ils avaient rarement fait l'amour en plein air, au vu et au su de tout le monde, même s'il n'y avait personne au Manoir. Harry pouvait revenir n'importe quand, et il serait sûrement friand du spectacle.

Et puis la sensation du soleil sur leurs peaux nues. Le souffle d'air chaud qui les caresserait aussi voluptueusement qu'une plume. Il connaissait un bon sortilège pour transformer cette chaise longue en un lit de repos. Et Severus était dans une parfaite position pour venir s'empaler sur lui...

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Merci à tous de suivre cette histoire et de l'apprécier. N'hésitez pas à me laisser votre avis :)

J'aime beaucoup Lucius dans ce chapitre; il fait face à ses propres insuffisances et ce n'est jamais facile...

La semaine prochaine, Harry fait un petit cadeau à Lucius et Matthieu vient dîner au Manoir pour la première fois.

Au plaisir

La vieille aux chats