Résumé: Les vacances à Torquay ont amené avec elles le soleil, la chaleur, l'indolence et une sensualité à fleur de peau. Harry réalise peu à peu qu'il est à nouveau capable d'aimer, sans retenue, sans crainte, et qu'il est même capable de se lier... Lors d'un rituel qui grave la magie à même sa peau, Mayahuel consacre cette étape ultime et le libère de son influence. En Provence, Harry et Lucius se cherchent, se rapprochent, se frôlent, mais le moment ne semble jamais opportun pour franchir le pas, même si pour Lucius, le renoncement est de plus en plus difficile... Mais rien ne peut enrayer le cours du temps et la fin des vacances arrive, les ramenant au Manoir et au quotidien.
– Laisse-le, fit Lucius en retenant son compagnon par le bras. Il a besoin d'un peu de temps...
Severus se retourna vers lui avec un regard peu amène tandis que Harry s'éloignait rapidement dans le couloir.
– Parce que tu sais mieux que moi ce dont il a besoin, peut-être ?
Lucius leva les mains en signe de paix. La sérénité de leur étreinte n'avait pas duré bien longtemps... Ils aperçurent Harry lever la tête en arrivant devant le portrait d'Axaya, il resta immobile quelques secondes puis disparut dans son « bureau ».
– Ne te bats pas contre moi, Severus... Laisse-le juste revenir quand il aura besoin de toi.
Derrière eux, l'elfe de maison venait de transplaner dans le Hall d'entrée et il s'affairait avec deux autres créatures à ranger leurs bagages avec le plus de discrétion possible. Severus leur lança malgré tout un regard noir. Lui non plus n'avait pas l'air ravi de revenir au Manoir...
– Je vais... ouvrir mon courrier, fit Lucius en s'éloignant à son tour vers son bureau. Je te retrouve pour le dîner.
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La forêt possédait une odeur, une lumière, une présence qui lui étaient propres et qui lui avaient manqué. Sans parler de cette chaleur humide dont il avait perdu l'habitude. Depuis combien de temps Harry n'était-il pas venu ici, se ressourcer, s'abreuver au cœur de sa magie ? Depuis combien de temps avait-il tourné le dos à ce qui était son fondement même ? Trop, assurément.
Délaissant le hamac ou les coussins de la clairière, il s'aventura sur un sentier qui s'enfonçait dans la forêt, laissant ses pas le guider sans réfléchir. Autour de lui, il sentait les animaux qui s'écartaient sur son passage, insectes minuscules ou reptiles un peu plus gros, des choses volantes, rampantes, grouillantes qui faisaient toute la richesse de cet univers. Ici, la loi de la nature prévalait et celui qui n'était pas assez rapide, pas assez puissant ou pas assez prudent finissait mangé par un autre. Il avait vécu comme cela quelques temps. Des temps qui lui paraissaient si lointains qu'il s'agissait sans doute d'une autre vie. Aujourd'hui, il portait des chaussures, s'habillait avec plus qu'une seule pièce de vêtement et il buvait du thé au moins trois fois par jour. Il mangeait à sa faim, dormait dans un lit et il avait réappris à faire confiance. Et à aimer.
Il songea un instant à Lucius et Severus qu'il avait laissés plantés là, dans le Hall du Manoir, juste après avoir transplané. Comment avaient-ils perçu son échappée soudaine ? Son besoin immédiat de solitude ? Comment percevraient-ils le moment suivant où il reviendrait en ayant besoin de tendresse et de bras comme si de rien n'était ? Il en demandait trop à Severus, il en était bien conscient. Sa patience et son abnégation n'étaient sans doute pas infinies...
Mais ce retour au Manoir lui paraissait d'une violence inouïe. Un coup de tonnerre après ces deux semaines de vacances. Un séisme dans leur relation étrange, pas très bien définie, où ils jouaient les uns avec les autres. Maintenant, les habitudes allaient reprendre le dessus; le travail, la routine, la distance... Et plus rien ne serait comme avant.
Mais la distance, c'était lui qui venait de la mettre, en s'éloignant brusquement. C'était lui qui marquait une différence entre son comportement là-bas et ici. Il ne pouvait pas leur reprocher ce qu'il avait commencé par faire. Et assurément, il avait davantage besoin de tendresse que de solitude. Harry fit soudain demi-tour et rebroussa chemin vers le Manoir. Ici ou ailleurs, ils étaient ensemble, et cela importait plus que tout.
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Cette nuit-là, Severus dormit avec lui. Et comme chaque soir avant de monter se coucher, Lucius vint l'embrasser, sur la joue cette fois-ci, si près de la commissure de ses lèvres que Harry en frémit d'impatience et de frustration.
Cette nuit-là, il fit l'amour à Severus, ce qui n'était pas arrivé depuis une éternité, jusqu'à le sentir se liquéfier sous lui, suppliant et gémissant à en perdre la tête. Puis Severus s'endormit dans ses bras, à demi allongé sur lui et le visage posé sur son torse. Abandonné comme il l'était rarement. Les yeux fixés sur la nuit sombre à travers la fenêtre, Harry savourait cet instant. Paradoxalement, cela lui faisait plus de bien que les heures qu'il aurait pu passer à se rassurer dans les bras de Severus.
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– Alors, ces vacances ? fit Matthieu avec un large sourire.
– Trop courtes ! grimaça Harry. Et je déprime complètement d'être rentré !
Matthieu relâcha son étreinte pour le considérer de haut en bas. Sans doute il avait bonne mine, bronzé, reposé, mais le cœur n'y était pas.
– À ce point ? gloussa le jeune professeur. Allez viens ! Quelques vapeurs de potions te feront le plus grand bien ! Ça ne vaut pas des vapeurs d'alcool mais pas loin ! En tout cas, tu as bien profité : je ne t'ai jamais vu aussi noir de peau ! Tu es d'une couleur qui ferait presque concurrence à Blaise !
Harry se laissa entraîner par l'énergie et la bonne humeur de Matthieu, soulagé d'effacer pour quelques instants sa morosité depuis leur retour de vacances.
Il avait un peu oublié le stage de perfectionnement en potion que Matt animait et auquel il lui avait demandé de participer, mais tout bien réfléchi, c'était la bonne excuse pour côtoyer un peu le jeune homme et se changer les idées.
Harry était retourné à Sainte-Mangouste en début de semaine mais l'hôpital était sur de bons rails. Sam n'avait pas eu besoin de faire appel à lui pendant ses vacances, le service de potions tournait comme un moulin bien rodé et aucun médicomage ne l'avait sollicité depuis son retour. Il aurait pu en profiter pour reprendre ses recherches mais l'isolement dans son laboratoire personnel laissait trop de place à ses pensées pour divaguer sur ses inquiétudes.
Depuis leur retour, Severus avait réouvert la Librairie, sollicité toute la journée par les clients qu'il avait mis en attente le temps de ses vacances, et Lucius avait repris le chemin de son bureau et celui du Ministère, naviguant de réunion en réunion. Il travaillait d'arrache-pied pour rattraper son retard dans la gestion de l'empire Malfoy et dans ses dossiers politiques, et Harry avait l'impression de ne plus voir personne. Le sevrage de leur présence permanente était rude. Violent. Lui il avait besoin de voir du monde pour se sentir occupé. Et pas trop seul.
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– Tiens, regarde, fit Matthieu d'un ton enjoué. Voilà les locaux que Neville nous a attribués pour le stage... tout beau, tout neuf... Avec une dotation d'ingrédients assez savoureuse ! Le stage porte sur les méthodes de recherche en potion expérimentale. Je commencerai de manière assez classique, les recommandations de l'Institut, les bonnes pratiques, etc... mais rapidement je parlerai de recherche empirique, d'intuition, d'instinct, sans oublier les précautions élémentaires. Bien évidemment, tu peux intervenir quand tu veux. Tu connais ma façon de travailler hors domaine scolaire... je préfère le débat et l'expérimentation concrète aux grandes théories ! Et le dernier jour sera entièrement consacré à la pratique !
Matthieu jubilait comme un enfant devant un jouet plein de promesses et son enthousiasme était communicatif. Harry se surprit à sourire en parcourant les nouveaux bâtiments de médicomagie de Poudlard. L'endroit faisait envie et une douce odeur de café les accueillit dans une salle de repos où s'étalaient des tables couvertes de viennoiseries.
– Les participants arrivent dans une petite demi-heure, sourit Matthieu. On fera les présentations autour d'un petit-déjeuner. Ça te laisse le temps de me raconter tes vacances !
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– … D'ailleurs, tu es invité à dîner au Manoir vendredi soir, acheva Harry en souriant.
Le hochement de tête de Matthieu fut instinctif avant qu'il n'affiche une grimace gênée.
– Vendredi, je ne peux pas, s'excusa-t-il. Sortie en amoureux...
Harry ouvrit de grands yeux ronds devant la formule employée.
– Ça a l'air d'aller bien avec ton cher et tendre ! gloussa-t-il.
– Plutôt bien, avoua Matthieu en souriant malgré lui. Mais il faut qu'on en parle... Plus tard. En privé.
Il fronça les sourcils devant l'air brusquement plus sérieux de Matthieu mais ses mots furent interrompus par une voix chantante et lumineuse.
– Saluuut ! J'ai l'art de tomber systématiquement au mauvais moment mais bonjour quand même !
– Deirdre ! s'exclama Harry, surpris. Qu'est-ce que tu fais là ? Salut...
Il se leva un instant pour embrasser la jeune femme qui se tournait déjà vers Matthieu.
– Je me suis inscrite au stage, pardi ! Deirdre..., se présenta-t-elle. On s'est croisés à l'anniversaire de Harry.
– Je me souviens très bien, fit Matt. Ravi de te revoir.
– Mais tu n'as pas besoin d'un stage de perfectionnement ! s'exclama Harry.
– J'ai pas pu résister, fit-elle avec un sourire pétillant. Tu penses ! Un stage animé par l'inventeur de la potion Animagi et Brian Evans himself ! Ça va me changer des potions antipyrétiques ou anti-nausées qu'on brasse par chaudrons de dix litres ! Sam voulait venir aussi mais il fallait bien quelqu'un pour garder la boutique ! Et je ne lui ai pas laissé le choix ! J'ai hâte de voir ce que ça va donner !
Deirdre savait se tenir mais on voyait bien que pour un peu, elle aurait sautillé sur place de joie et d'excitation. Un peu comme Matthieu tout à l'heure devant le laboratoire flambant neuf qu'on lui avait laissé pour l'occasion. Harry ne put s'empêcher de sourire : toute cette énergie joyeuse lui avait manqué et il se sentait lui-même plus léger.
– Tu vas me mettre une sacrée pression ! rit Matt avant de s'éloigner pour accueillir d'autres participants.
– Tu ne m'as rien dit hier et avant-hier, petite cachottière ! fit Harry en la prenant par le bras pour l'entraîner vers le buffet d'accueil. Tu aurais pu me prévenir !
– Je voulais te faire la surprise ! Qui aurait manqué ça, franchement ? Matt est une légende dans certains milieux, et puis toi... ! Sans parler qu'il est quand même à croquer ! Pour l'avoir vu en maillot de bain, il n'y a franchement rien à jeter !
Harry considéra quelques instants la jeune femme, rayonnante et généreuse, son sourire franc et sa joie de vivre. Deirdre était certainement très attirante. Soit, elle avait peut-être un décolleté plus prononcé que d'habitude mais il ne pouvait pas nier que cela lui allait très bien.
– Je l'ai vu nu et il n'y a rien à jeter, confirma-t-il en aparté. Mais c'est mort pour toi ! Il est déjà pris !
Deirdre esquissa une grimace de dépit avant de rire.
– Tant pis ! On se rabattra sur les potions. Ça fait longtemps que je ne me suis pas dégourdie les mains sur des expériences nouvelles ! Sainte-Mangouste, c'est sympa mais on fait quand même toujours un peu la même chose...
Elle se servit un grand café tandis que Matthieu s'approchait avec deux adolescents tirés à quatre épingles et légèrement impressionnés.
– Tenez. Je vous présente mes deux meilleurs élèves : Lisbeth Finnigan, sixième année à Serpentard et James MacNair, septième année à Serdaigle. J'avais mis en jeu deux places pour le stage pour motiver un peu les élèves et ce sont mes deux lauréats, fit Matt avec un sourire fier. James s'en va à l'Institut de Potions à la rentrée...
– MacNair ? releva Harry en serrant la main des deux adolescents. Ton père est journaliste ?
– Oui, fit le jeune homme, troublé. Vous le connaissez ?
– On s'est rencontrés...
C'était surtout Lucius qui avait semblé connaître ce journaliste avec qui ils étaient restés à discuter après la conférence de presse au Manoir, il y avait plusieurs mois de cela. William MacNair avait semblé très au fait des jeux d'influence auxquels s'adonnait Lucius et semblait lui rendre bien des services. Et son fils semblait promis à un brillant avenir.
– Lisbeth..., fit Harry pour ne pas négliger la jeune fille. Je suis ravi de vous rencontrer tous les deux...
– Je ne vous présente pas Harry Potter, ironisa Matt. Et voici Deirdre, qui travaille au laboratoire de potions de l'hôpital Sainte-Mangouste.
– Vous animez aussi le stage ? demanda Lisbeth.
– Non. Je viens faire ma curieuse, gloussa Deirdre.
– En tout cas, c'est cool de voir une femme qui a réussi à en faire son métier ! C'est un domaine tellement masculin, grimaça la jeune fille avec regret.
Harry éclata de rire devant l'air surpris de Deirdre, et encore davantage lorsqu'elle glissa un bras complice autour des épaules de Lisbeth pour lui murmurer :
– Je crois qu'on va bien s'entendre, toi et moi !
– Je compte sur vous pour vous occuper de mes deux chouchous, leur fit Matt en souriant. Ce sont les plus jeunes participants alors un peu de soutien ne leur fera pas de mal...
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En rentrant au Manoir en fin d'après-midi, Harry se sentait léger, presque euphorique. La journée avait été passionnante et riche, nourrie d'échanges dans tous les sens et même de fous rires, et foisonnante d'idées. Pour la première fois depuis longtemps, il avait envie de se remettre à ses chaudrons et de se lancer dans de nouvelles expériences, aussi enthousiaste qu'à ses débuts, lorsqu'il découvrait des plantes surprenantes dans la jungle tropicale et leurs propriétés inédites.
Harry était peu intervenu aujourd'hui; la partie théorique ne l'intéressait que très modérément. Mais en fin de journée, les discussions sur les interactions entre les ingrédients avaient réveillé son intérêt et il avait surpris même Deirdre et Matthieu par sa capacité à substituer un ingrédient par un ou plusieurs autres afin d'éviter les effets délétères. Après avoir autant voyagé à travers le monde, et surtout dans des sociétés primitives ou anciennes, sa connaissance de la pharmacopée était telle que la plupart des produits qu'il citait leur était inconnue, ou seulement à travers des livres étrangers.
Matthieu, lui, avait été captivant de bout en bout et il avait une façon de transmettre sa passion qui avait drainé l'attention de tous les participants pendant des heures sans aucun problème. Même pendant les pauses ou le déjeuner, tout le monde avait continué à parler de potions inlassablement. Et même chapeauter Lisbeth et James avait été rafraîchissant. Les deux élèves étaient curieux, assidus, sans parler du fait qu'ils étaient brillants et Harry n'avait aucun doute sur le fait qu'ils poursuivent tous les deux une carrière dans ce monde fermé des potionnistes. Il était certain également que Matthieu y veillerait personnellement, aussi soucieux de leur réussite que Severus avait pu l'être pour lui-même. Et si la question financière se posait, il imaginait très bien Matt se démener pour leur obtenir une bourse afin d'étudier à l'Institut ou à l'étranger. Après tout, l'héritage des Lestrange était aussi là pour ce genre de choses...
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Et pour la première fois depuis son retour de vacances, Harry se sentait parfaitement de bonne humeur. Rentrer avait été difficile, quitter ce cocon hors du monde où il avait évolué avec Severus et Lucius pendant une semaine, cette vie commune presque fusionnelle... Quelque part, il avait eu l'impression de s'éloigner d'eux à une vitesse fulgurante, presque de les perdre. Et son humeur s'en était ressentie.
Aujourd'hui, après cette journée merveilleuse, il était enthousiaste et surtout impatient de rentrer et de les retrouver. À peine transplané au Manoir, il avisa l'elfe de maison de faction dans le Hall d'entrée avec un large sourire.
– Où sont-ils ?
– Monsieur Severus n'est pas encore rentré, Monsieur, fit l'elfe en s'inclinant. Et Maître Lucius est dans son bureau.
– Merci !
En s'éloignant rapidement dans le couloir, il aperçut à peine la créature s'incliner à nouveau et rougir. Ces elfes restaient si étonnés et sensibles lorsqu'on leur parlait de manière civilisée !
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La porte de Lucius était restée entrouverte puisqu'il était seul au Manoir jusqu'à présent. Harry y jeta un coup d'œil rapide : l'aristocrate était assis à son bureau, plongé dans ses dossiers, ses longs cheveux blonds ramenés sur une épaule et la tête appuyée sur sa main. Il tourna la page qu'il était en train de lire, un air passablement ennuyé sur le visage. Avant même d'avoir réfléchi à ce qu'il faisait, Harry frappa à la porte tout en la poussant et s'avança joyeusement.
– Bonsoir... Je peux vous déranger un instant ?
Lucius leva vers lui un visage surpris puis se mit à sourire.
– Tu ne me déranges jamais. Qu'est-ce qui t'amène ?
– Rien de particulier, sourit Harry. Je viens de rentrer. J'avais envie de vous voir...
Lucius. Ou Severus. Ou les deux à la fois. Et passer un peu de temps avec eux... Merlin ! À cet instant précis, il avait juste envie de s'asseoir sur les genoux de Lucius et de jouer avec ses cheveux. Et plus encore. Il se contenta de s'appuyer contre le bureau sous le regard amusé de l'aristocrate.
– Vous venez faire un tour avec moi ? Dans les jardins ?
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– Et ce stage, alors ?
– Génial ! Matthieu est fantastique ! Super intéressant et il a mis tous les participants dans sa poche en un quart de seconde. Évidemment, il n'avait absolument pas besoin de moi pour animer le stage, mais je ne regrette pas d'avoir accepté. C'est passionnant, on a abordé plein de sujets, des idées à tester pour la fin du stage... Tout le monde participe, même ses deux chouchous sont hyper motivés. Ah oui, parce qu'il a invité ses deux meilleurs élèves, des gamins brillants entre parenthèses, qu'on a pris sous notre aile, avec Deirdre...
Tout en déambulant au bras de Lucius sous les frondaisons des arbres, Harry racontait sa journée avec un sourire ravi.
– Elle participe au stage, elle aussi, et bien évidemment elle ne m'avait rien dit quand je suis allé au laboratoire de Sainte-Mangouste en début de semaine ! Mais peu importe, Lisbeth et James, les deux élèves de Matthieu, sont adorables en plus d'être doués et je me demandais si je n'allais pas créer une bourse ou un prix pour permettre aux étudiants de situation modeste de poursuivre leurs études supérieures... Ce serait un tel dommage de passer à côté de gens compétents pour de basses raisons financières ! Mais pour en revenir au stage...
Qu'est-ce qui lui mit la puce à l'oreille ? Le regard pétillant de Lucius, ou bien son sourire amusé et discret, presque narquois, qui ne relevait qu'un côté de ses lèvres ?
– Qu'est-ce qui vous fait rire ? fit Harry en s'arrêtant brusquement. Vous vous moquez de moi, n'est-ce pas ?
Face à lui, Lucius peinait à cacher une ironie pleine de tendresse.
– Rien. Je suis surpris, c'est tout. Je ne t'ai pas vu aussi enthousiaste depuis... jamais ?
– Je parle trop, c'est ça ? gloussa Harry avant de prendre un air faussement outré. Je vous ennuie ?!
– Tu ne m'ennuies jamais, susurra Lucius en le faisant reculer d'un pas jusqu'à ce qu'il soit dos à un arbre. Et si le besoin s'en faisait sentir, je saurai comment te faire taire...
Le regard de l'aristocrate avait tout d'un prédateur qui vient d'acculer sa proie. Gourmand. Jubilant. Et Harry sentit le désir exploser dans son ventre.
– Et comment feriez-vous cela ? murmura-t-il.
– Je te laisse deviner, ronronna Lucius en approchant dangereusement son visage du sien.
Les lèvres de l'aristocrate affleurait sa peau, aériennes, affolantes... et Harry esquissa malgré lui un léger mouvement de recul.
– Tu dis que Severus n'est pas prêt... Mais je crois plutôt que c'est toi qui ne l'es pas.
– Peut-être..., murmura Harry.
Il eut un temps d'arrêt, songeant à ce que Lucius venait de dire, au désir enfiévré qui dansait dans son ventre et à ce sentiment qui le tenaillait que ce n'était pas le moment.
Lucius le provoquait à dessein, cherchant sa réaction et le poussant dans ses retranchements. Et lorsque Harry inversa brusquement leurs positions, il se laissa faire avec un sourire ironique qui ne demandait qu'à être effacé par ses lèvres.
À présent, Harry avait Lucius contre lui, son torse emprisonné entre le sien et le tronc de l'arbre, soulevé par une respiration plus rapide qu'à l'ordinaire, et le parfum de vanille et de santal de l'aristocrate lui tournait délicieusement la tête. Fermant les yeux sous son propre plaisir, il nicha ses lèvres là où il aimait tant le faire, sous l'oreille de Lucius, sur la peau fine de sa gorge, là où les battements de son cœur résonnaient sous sa langue.
Harry ramena lentement ses mains sur le torse de l'aristocrate, déboutonna sa chemise en quelques secondes pour aller ensuite se promener sur sa peau. Il l'avait vu en maillot de bain, même complètement nu, mais il ne l'avait jamais ainsi touché. Là. Cette peau claire aux taches de son si ténues. Les côtes plus saillantes que celles de Severus. Ce ventre plus mince, moins musclé peut-être. Et ces mamelons si petits et si pâles qu'ils en devenaient trop discrets.
Il pouvait le toucher de ses mains, de ses lèvres, découvrir cette peau de sa langue comme il s'en délectait, mais il ne pouvait approcher de sa bouche. Pas encore. Si Harry se laissait aller à embrasser Lucius maintenant, il savait qu'il ne pourrait pas s'arrêter avant d'aller jusqu'au bout de son désir fusionnel. Un baiser était quelque chose de si intime, de si personnel, chargé de symboles, comme une porte ouverte sur son âme.
Le corps était une chose qu'il maîtrisait, les envies animales, primaires, le besoin de soulagement... Avec combien de garçons avait-il couché dans sa jeunesse, combien de peaux avait-il embrassé, sucé, léché sans jamais connaître le goût de leurs lèvres ? Même avec Severus, la première fois s'était faite sans un baiser, sans cette union si particulière de leurs lèvres qui avait pour lui plus de sens que n'importe quelle pénétration.
Embrasser Lucius aurait été le début de la fin et il ne pouvait encore s'y résoudre. Mais parcourir enfin cette peau offerte de ses mains et de ses lèvres était un privilège que Harry s'accordait avec une satisfaction évidente. Et la satisfaction de Lucius était toute aussi évidente, à voir son sourire lascif. Sa posture même : la tête appuyée en arrière contre le tronc de l'arbre et la gorge dévoilée, les yeux mi-clos sur ses lèvres entrouvertes, son attitude docile, toute en attente et en impatience. Lucius goûtait avec ravissement ce plaisir si longtemps refusé et qu'il avait si bien provoqué.
– Vous savez, Lucius, murmura Harry sur la peau pâle. Je crois en cette idée qu'il existe un « moment juste » pour certaines choses... On peut anticiper les événements, les bâcler, les retarder... mais le moment juste est précieux. Presque sacré. Et en ce qui nous concerne, il n'est pas encore arrivé. Parce que Severus est rentré et que nous allons aller l'accueillir...
Harry ne s'attarda pas à savoir si c'était un grondement ou un gémissement qui sortit de la gorge de Lucius et ils transplanèrent dans le Petit Salon, à peine un instant avant que Severus n'y pénètre, surpris puis ravi de les voir.
Harry se jeta dans les bras de son amant et posa sans hésitation ses lèvres sur les siennes pour un baiser rempli d'amour et de la frustration qui geignait dans son ventre.
– C'est la dernière, dernière fois que tu me fais un coup pareil, Harry ! murmura Lucius à son oreille d'une voix si basse qu'il l'entendit à peine.
L'aristocrate était juste dans son dos, légèrement pressé contre lui, et Harry sentait vibrer contre son corps aussi bien la colère rentrée de Lucius que son désir manifeste. Et il embrassait à en perdre haleine un Severus qui ne comprenait pas d'où venaient ces attentions mais qui ne se privait pas d'y répondre.
Mais sur son visage, Harry sentit s'immiscer les longs doigts fins de Lucius qui, le prenant par le menton, l'obligèrent lentement à tourner la tête. Et la bouche de Severus fut ravie par une autre bouche que la sienne.
Tandis que Lucius et Severus s'embrassaient par-dessus son épaule, leurs deux corps pressés contre le sien, Harry ferma les yeux sous les gestes de l'aristocrate. Les doigts de Lucius effleuraient sa bouche, souples, soyeux, glissants d'une façon presque obscène sur ses lèvres. Retardant le moment de le pénétrer. Et lorsque Harry n'en put plus de cette caresse indécente qui soulevait un feu dangereux dans son ventre, il enroula sa langue autour de ces doigts pour les attirer dans sa bouche et les suça goulûment.
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Au grand regret de Lucius, Severus finit par se calmer et rompre le baiser– et par les calmer du même coup – essentiellement parce qu'il rentrait à peine de la Librairie et qu'il avait envie de se détendre tranquillement avant le dîner. Lucius céda gracieusement, avec sans doute dans l'idée de se rattraper un peu plus tard, mais Harry eut plus de mal à redescendre de son petit nuage d'excitation.
Son propre refus d'embrasser Lucius le frustrait au plus haut point et le geste parfaitement érotique de l'aristocrate avait achevé de le faire fondre. Ces doigts dans sa bouche qu'il avait sucés de manière obscène, comme si sa vie en dépendait, préfiguraient d'autres sortes de pénétrations et d'autres plaisirs qui lui tardaient furieusement.
Sur un sourire ironique, Lucius s'éclipsa pour finir de lire le compte-rendu qu'il avait abandonné pour faire un tour dans les jardins. Harry, lui, s'installa tranquillement au Petit Salon avec son amant qui affichait un sourire tout aussi moqueur.
– Et que me valait cet accueil si enthousiaste ? ricana Severus en passant son bras autour de ses épaules. Tu l'as encore frustré ?
Harry haussa simplement les épaules, espérant que sa grimace passerait inaperçue. Merlin ! Il était certainement aussi frustré que Lucius, si ce n'était plus !
– Couchez ensemble, bon sang ! grogna Severus. Je ne tiens pas à faire les frais de sa contrariété et de ses envies inassouvies !
Harry laissa échapper une exclamation étouffée, agacé de la perspicacité de son amant tout autant que de cette injonction saugrenue. Que Severus lui enjoigne à présent de coucher avec Lucius après leur avoir si longtemps reproché leur désir mutuel était complètement absurde ! Et il n'allait certainement pas le faire parce que Severus le lui ordonnait ou l'y autorisait ! Il le ferait quand il en aurait envie, et Merlin savait qu'il en avait envie ! Ce n'était simplement jamais le moment adéquat...
Et il redoutait malgré tout la réaction future de Severus... Sa jalousie, sa possessivité, son regard sur eux. La situation nouvelle qui s'ensuivrait alors qu'ils venaient à peine de trouver un équilibre... Mais si Harry cédait un jour à ses désirs et à Lucius – quand il céderait, puisque cela arriverait inévitablement – les paroles de Severus prendraient tout leur sens. Et malgré tout, la réaffirmation inattendue de son accord était rassurante.
– Et ce stage, alors ? demanda Severus en souriant.
– Ton fils est génial ! Et c'est un enseignant plus que brillant ! gloussa Harry.
Severus pâlit et rougit en même temps. C'était une basse vengeance pour les moqueries de son amant, mais quelque part, cette vérité qui roulait sur sa langue comme une sucrerie était plus que savoureuse.
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Ce soir-là, Lucius s'accapara Severus d'une manière flagrante. Et avec un sourire non moins flagrant. Aussi bien à travers le bras possessif qu'il passa autour de ses épaules, qu'à travers cette main sur sa nuque qui venait régulièrement jouer dans ses cheveux et parfois l'obliger à tourner la tête pour un baiser, ou cette façon de guider fermement Severus vers leur chambre au moment de se coucher.
Lucius voulait rendre Harry jaloux, c'était une évidence. Mais lorsqu'il vint l'embrasser pour lui souhaiter bonne nuit, comme chaque soir, ses lèvres effleurèrent son oreille en murmurant :
– Il ne t'est pas interdit de nous rejoindre...
Harry n'en fit rien et il monta se coucher bien plus tard, après avoir longuement lu dans la bibliothèque.
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Il dormait profondément quand il sentit Severus se glisser dans son lit. Il ouvrit vaguement un œil ensommeillé sans rien distinguer dans la nuit noire avant de reconnaître le parfum épicé de son amant.
– Quelle heure est-il ? marmonna-t-il. Et qu'est-ce que tu fais là ? Tu as une migraine ?
– Non, tout va bien. Il est trois heures du matin, fit Severus d'une voix où perlait un sourire. Et Lucius tenait à ce que je finisse la nuit avec toi...
– Pourquoi ? marmonna Harry en se glissant dans les draps pour se lover contre le corps de son amant.
– Pour te faire passer un message, peut-être ?... Après tout, normalement, c'était ton tour...
C'était son tour, mais Harry n'avait pas voulu argumenter après le coup bas qu'il avait fait à Lucius. Ce n'était qu'une juste revanche pour la façon dont il l'avait caressé dans les jardins puis avait refusé de se donner à lui.
Il grogna simplement sa fatigue avant de caler sa tête contre le bras de Severus et de passer sa jambe sur ses fesses. Le sommeil lui tendait les bras avec ravissement et il mit un moment à réaliser la chaleur anormale que dégageait Severus. Pour tout dire, sa peau était brûlante et ce brusque constat le réveilla complètement.
Harry passa une main fébrile dans le dos de Severus, mais il avait déjà compris de quoi il s'agissait. Il se redressa d'un bond, éclairant le lit d'une volute de magie, pour découvrir le spectacle qu'il s'attendait à voir. Et son désir ne fit qu'un tour avant de se répandre dans tout son corps.
Allongé sur le ventre avec un sourire discret mais narquois, Severus s'exposait à son regard sans la moindre pudeur. Sur les épaules et l'ensemble du haut de son dos, sur ses fesses fermes contractées par une certaine excitation, sa peau était uniformément écarlate. Par endroits, des traces plus soutenues ou violacées témoignaient des marques qu'il aurait dans quelques heures, mais la rougeur était partout, brûlante, incandescente. Récente. À croire qu'il sortait à peine de l'antichambre...
– Nom d'un chien ! grogna Harry avant de transplaner brusquement dans le laboratoire du Manoir.
Il savait que cela allait arriver. Entre leur séjour à Torquay et celui en Provence, Lucius et Severus avaient été privés de ce genre d'activité depuis près de trois semaines... Si ce n'était plus. Cela devait arriver. Mais pas ce soir. Pas de manière aussi fraîche. Juste avant de venir le rejoindre dans son lit. Lucius ne devait même pas être encore endormi dans sa propre chambre, jubilant sans doute en imaginant sa réaction.
Il se vengeait, sans aucun doute, mais d'une manière qui faisait bouillir Harry d'un désir fébrile qu'il peinait à calmer. Que se serait-il passé s'il les avait rejoints, comme Lucius le lui avait suggéré ? Est-ce qu'il serait tombé sur cette scène au beau milieu de l'antichambre ? Est-ce que Lucius lui aurait demandé de participer, d'une manière ou d'une autre ? Est-ce que voir la peau de Severus rougir sous ses yeux aurait pu l'exciter encore davantage qu'il ne l'était déjà ?!
Harry attrapa un pot d'onguent en se mordant la lèvre pour retenir un gémissement et transplana à nouveau dans sa chambre où Severus n'avait pas bougé d'un centimètre, le même sourire narquois sur les lèvres.
Passer ses mains sur cette peau brûlante était une torture personnelle dont il se serait bien passé mais il devait sans doute boire la coupe jusqu'à la lie. Et il se réservait le droit de torturer un jour Lucius d'une manière aussi cruelle.
Le gémissement de Severus le tira de ses pensées pleines de luxure et de désir. Harry venait de toucher d'une manière peut-être trop appuyée une trace vermeille sur les fesses de son amant.
Il reprit un peu d'onguent pour l'étaler sur cette marque et adoucit ses gestes.
– Un peu plus à droite, marmonna Severus.
Harry s'exécuta de bonne grâce, massant du pouce la courbe si affolante qui s'offrait sous ses mains.
– Encore plus à droite... Encore un peu...
Severus le menait en bateau et Harry fut obligé de passer à la fesse droite pour ne pas verser sur une pente glissante.
– Un peu plus à gauche...
Harry se mordit les lèvres. Merlin ! Severus tenait vraiment à lui donner aussi chaud ?!
– Par là, oui... Un peu plus profond...
Le pouce de Harry traînait dans des creux obscurs, sur une chair lisse et douce, légèrement gonflée par des ébats récents, et qui s'ouvrait négligemment sous la pression pour l'accueillir en son sein. Comme mus par une vie qui leur était propre, humides d'onguent, son index et son majeur glissèrent lentement dans les profondeurs de Severus.
– Là..., haleta-t-il. Je crois qu'il reste des traces de Lucius...
Le gémissement qui s'éleva était partagé. Et le désir ardent de mêler sa semence à la semence de Lucius dans le ventre de leur amant emporta la lucidité de Harry.
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ooOOoo
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– Eh bien ! Tu en as une tête ce matin ! fit Matthieu, goguenard. Tu n'as pas dormi ou quoi ?
Harry grogna de dépit en passant la main sur son visage et dans ses cheveux dans une vaine tentative d'avoir l'air un peu plus frais.
– Severus a fait des siennes ? le taquina Matt.
– Ton beau-père a fait des siennes !
Comme Severus la veille, Matthieu commença par pâlir avant de rougir furieusement, et c'était aussi plaisant que la réaction de son amant ! Les titiller sur ce sujet allait devenir son passe-temps favori !
Puis Matthieu se reprit lentement en ouvrant peu à peu des yeux ronds.
– Tu as couché avec Lucius ?!
– Non !
Pas encore...
Harry dévisagea le jeune homme, s'attardant dans ces yeux bleus qui voyaient encore Severus comme un mentor intouchable, puis secoua la tête. Il ne pouvait décemment pas lui expliquer ce qui l'avait réveillé au beau milieu de la nuit, et en quoi Lucius était fautif...
– Non mais tu ne veux pas savoir. Je t'assure que tu ne veux pas savoir à quel... genre de jeux ils jouent en privé.
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Harry n'avait pas trouvé un moment pour discuter avec Matthieu en privé. Pas qu'il l'ait cherché démesurément d'ailleurs, de peur que le jeune homme n'aborde des questions épineuses sur la sexualité de Severus et de Lucius, mais il se souvenait que Matthieu voulait lui parler de son amoureux pour il ne savait quelle raison. Bah... cela pouvait sans doute attendre la fin du stage.
Pour l'heure, il était plutôt accaparé par Deirdre et les deux protégés de Matthieu, ce qui lui permettait d'oublier quelque peu les souvenirs de sa nuit passée et son envie de rentrer pour assouvir ses désirs.
Le matin même, Harry avait à peine croisé Lucius, auquel il avait lancé un regard noir qui l'avait fait éclater de rire. Mais d'une manière ou d'une autre, Lucius allait payer. Tout comme Severus, trop content de venir se pavaner devant lui à trois heures du matin, à peine après avoir quitté l'antichambre. Il allait rentrer ce soir, prendre le premier qu'il croisait pour le traîner dans un lit, sur un canapé, ou sur la moindre surface plane qu'il trouverait, ou même debout, et...
Harry secoua brusquement la tête pour chasser ces images obsédantes qui menaçaient de faire réagir son corps en public et se concentra sur les paroles de Matthieu.
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Le midi, Harry déjeuna avec Deirdre, Matthieu et ses deux élèves, trop content de trouver une bonne excuse pour ne pas rentrer au Manoir. Deux heures de coupure n'étaient pas suffisantes pour ses projets. D'autant qu'il aurait sans doute besoin d'une bonne sieste après !
Alors qu'il réchauffait son thé trop tiède à l'aide de sa magie, les tatouages sur ses mains devinrent visibles, serpentant en arabesques émeraudes légèrement lumineuses. Il vit tous les yeux converger vers ses doigts serrés autour de la tasse et mit quelques instants à réaliser ce qui motivait leurs regards surpris. Il avait oublié ce léger détail...
– C'est nouveau, ça ?! fit Matthieu interloqué.
Harry reposa sa tasse et fit instinctivement disparaître ses mains sous la table, massant sa peau comme si cela allait pouvoir les faire disparaître.
– Souvenir de vacances, maugréa-t-il.
Le regard dubitatif de Matthieu en disait long sur ce qu'il pensait de cette excuse pitoyable, mais il ne voulut pas épiloguer devant Deirdre et ses deux élèves. Encore un sujet de discussion qu'il allait sans doute aborder plus tard, en privé...
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Depuis cette nuit étrange, Harry ne s'était pas vraiment penché sur ces tatouages... Une fois la douleur disparue, il avait eu d'autres sujets sur lesquels se concentrer, et en premier lieu Lucius et Severus, qui avaient accaparé tout son temps et toutes ses pensées.
Lorsqu'il ne se servait pas de sa magie, les dessins n'étaient pas vraiment apparents, à peine une trace blanc pâle qu'il fallait chercher pour la distinguer. Un peu comme le bracelet que Mayahuel avait posé au bras de Severus : la magie s'était peu à peu fondue dans la peau, ne laissant qu'une marque légère, plus sensible au doigt que réellement visible. Mais à l'usage de la magie, les arabesques réapparaissaient sur ses mains et il ne pouvait rien faire pour les cacher.
En réalité, elles n'étaient que la partie la plus apparente du « tatouage ». Dessous, dans sa chair, étaient gravés d'autres dessins : des signes d'appartenance, des symboles de protection ou de grand pouvoir... Similaires aux tatouages que Mayahuel portait sur ses mains, mais avec des nuances qui lui étaient propres. « Tu es l'un d'entre nous, à présent » avait-elle dit cette nuit-là...
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Les tatouages avaient de nouveau disparu tandis qu'il finissait son thé et que Lisbeth et James continuaient de s'extasier sur le phénomène et la beauté des dessins. Lisbeth était particulièrement enthousiaste, mais James semblait plus embarrassé, hésitant à poser des questions qui lui brûlaient le bout des lèvres et qu'il finit par lâcher peu à peu.
– C'est vrai que vous avez vécu plusieurs années dans la jungle ? Dans des endroits complètement isolés ?
Harry grimaça, peu désireux de s'engager dans une conversation dont il serait le sujet principal.
– Oui.
– C'est là que vous avez eu votre cicatrice sur l'épaule ?
Il ouvrit des yeux ronds, tournant la tête vers sa propre épaule en cherchant de quoi pouvait bien parler l'adolescent. Hum... cette fameuse rencontre avec un jaguar qui lui avait laissé quelques traces de griffes bien acérées.
– Et comment sais-tu que j'ai une cicatrice sur l'épaule, je te prie ? dit Harry en fronçant les sourcils.
– Dans Sorcière Hebdo... il y a eu des photos de vous à la plage la semaine dernière, avoua James.
Lisbeth éclata d'un grand rire joyeux et moqueur, rapidement suivie par l'adolescent.
– C'est ma grand-mère qui lit ça ! se défendit-il. Pas moi ! Elle savait que j'allais vous voir au stage, elle a voulu me montrer...
Harry se laissa aller à sourire, amusé par leur désinvolture. Il avait complètement oublié cette cicatrice, noyée au milieu de tant d'autres, mais peut-être un peu plus visible... C'était simplement devenu un endroit que Severus caressait souvent, machinalement. Il devait aimer le contact particulièrement doux de cette peau réparée et ses doigts effleuraient fréquemment cette épaule-là en particulier. Harry n'avait jamais fait le lien avec cette cicatrice, mais maintenant qu'il y pensait, le geste de Severus était flagrant. Pas que cela le gêne mais il avait si peu l'habitude de se regarder dans un miroir qu'il était toujours surpris de trouver autant de traces sur son corps.
Mais de là à voir une photo de lui à demi-nu dans un magazine... Il grimaça à l'idée d'être ainsi exposé au regard de n'importe qui. Et la plage ne pouvait être que celle de Torquay, bien évidemment. Il n'y était descendu qu'une ou deux fois, mais cela avait visiblement suffi à un photographe indélicat.
– Et c'est vrai que vous avez combattu un basilic autrefois ?
Harry haussa les épaules, un air renfrogné sur le visage. La curiosité des adolescents était légitime il n'avait simplement pas envie de remuer ces souvenirs.
– Oui...
– Et c'est vrai que le directeur Londubat a tué le serpent de Voldemort ?
– Nagini ? Oui, sourit Harry en relevant la tête. Avec l'épée de Goddric Gryffondor !
– Et vous l'avez tué ensuite ?
– James..., avertit Matthieu.
– Voldemort ? Oui. Plus tard. Dans le parc de Poudlard...
Étonnamment, ils prononçaient le nom de Voldemort avec une facilité déconcertante, loin des réflexes qui surgissaient encore dans les conversations de Harry avec ceux qui avaient connu la guerre. Quel âge avaient-ils à cette époque ? Trois ou quatre ans ? Trop jeunes pour en avoir de réels souvenirs, hormis à travers les discussions lourdes de sens des adultes... Deirdre était à peine une adolescente, et Matthieu, depuis la France, n'en avait pas eu la même vision...
Harry fut brusquement assailli par l'impression de faire partie d'un autre monde, ancien, révolu, plus différent encore que le simple fait de revenir d'une jungle lointaine.
– Et d'où tiens-tu toutes ces informations ?
James et Lisbeth échangèrent un regard où perçait l'évidence.
– Je me suis renseigné un peu, dit-il, et devant l'incompréhension de Harry, il ajouta : Votre nom est dans toutes les encyclopédies du monde magique ! On apprend la Première et la Deuxième Guerre des Ténèbres en histoire de la magie ! Mais c'est toujours difficile de croire que tout est vrai...
Merlin ! Ces gosses avaient raison et il n'y avait jamais songé ! Il était devenu un putain de nom dans l'histoire de ce pays. Un sujet de leçons et peut-être même d'interrogations écrites. Est-ce qu'il était référencé à H ou à P dans les dictionnaires ? À côté de sa date de naissance et du nom de ses parents, est-ce que figuraient des détails sur sa vie avec les Dursley ? Des détails sur sa vie privée ? Le nom de tous les garçons avec qui il avait couché en dernière année ? La nausée qui l'avait saisi se transforma en un ricanement amer.
– Si ça parle du basilic, du tournoi des trois sorciers, d'une bataille au département des Mystères, d'horcruxes et d'inféri, oui, tout est vrai. Si ça dit en revanche que j'ai tué le monstre du Loch Ness ou que je suis responsable de tous les châteaux hantés d'Écosse, n'en crois pas un mot !
Sa plaisanterie un peu forcée réussit malgré tout à détendre l'atmosphère, même si Matthieu continuait à le regarder avec des yeux circonspects. Est-ce que ces adolescents savaient même ce qu'étaient des inféri ? Un frisson secoua Harry au souvenir de ces créatures et il détourna le regard vers le lac au bord duquel ils déjeunaient. S'il avait pu, il aurait voulu oublier cette époque et tout ce qui s'y rapportait...
– Et c'est vrai que vous avez volé un jour l'œuf d'une mère dragon ?
La curiosité de James semblait inlassable mais Harry n'y voyait aucune malice et il sourit à nouveau en dévisageant le jeune homme.
– Oui. Pendant le tournoi des trois sorciers, c'était une des épreuves... J'ai fait l'idiot sur mon balai jusqu'à détourner son attention, avoua-t-il en plongeant dans ses souvenirs. On était un peu fous à cette époque !
Il gloussa doucement avant de reprendre sans même que James ou Lisbeth l'ait sollicité.
– J'ai toujours eu un contact facile et intuitif avec les créatures magiques. Et les dragons sont fascinants... Quand j'ai quitté Poudlard, à la fin de ma dernière année, je suis parti, un peu sur un coup de tête. J'ai rejoint un copain... un ami, corrigea-t-il, qui travaillait dans une réserve de dragons en Roumanie. Il m'a hébergé et... il m'a fait embaucher. Pendant six mois, j'ai pu les approcher de près, parfois trop... mais c'était fantastique !
C'est comme ça que tout avait commencé avec Charlie... Harry avait fait l'idiot devant un dragon, il s'était cru plus malin que tout le monde alors qu'il était juste inconscient, et Charlie avait payé à sa place. Avec l'expérience que lui n'avait pas, il avait poussé Harry hors de portée du souffle brûlant du dragon, pas assez rapidement cependant pour se mettre lui-même à l'abri du danger. Et les flammes avaient allègrement léché sa jambe.
Harry avait déjà une base sérieuse en médicomagie, sans compter sa pratique assidue des potions, et il s'était personnellement chargé de soigner la brûlure de Charlie, soucieux de racheter sa faute sans doute... Son onguent avait fait des merveilles. Et les moments passés à prendre soin du dragonnier avaient été parmi les plus merveilleux de cette époque. Il se souvenait de Charlie, immobilisé sur son lit avec interdiction de poser le pied par terre, vêtu d'un simple tee-shirt et d'un caleçon tandis que Harry refaisait ses pansements matin et soir. Les conversations malicieuses. Les sourires pleins de connivence. Et rapidement, Charlie n'avait plus réussi à cacher les réactions de son entrejambe lorsque Harry posait ses mains sur lui.
– Ouhhh ! Il n'y a pas que les dragons qui étaient fantastiques, visiblement ! gloussa Deirdre devant son air rêveur.
Souriant lui-même devant la nostalgie douce de ses souvenirs, Harry concéda:
– Il n'y avait pas que les dragons, c'est vrai... Le dragonnier était bien plus attrayant que n'importe quelle créature.
Tandis que la jeune femme éclatait d'un rire franc et spontané, James et Lisbeth échangèrent un regard devant cette confidence surprenante sur son homosexualité puis sourirent à leur tour. Matthieu, quant à lui, détourna le regard vers la salle du stage et, voyant les autres participants se regrouper près de la porte, sonna le rappel de leur petit groupe.
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À la fin de la journée, James s'approcha à nouveau de Harry, mais pour s'excuser cette fois. Avec un peu de recul, ou après une remontrance de Matthieu, il avait dû se rendre compte que son attitude avait été intrusive, ou au moins indiscrète. Harry ne lui en voulait pas – il avait été passablement curieux à une certaine époque – mais il n'appréciait pas particulièrement les souvenirs que l'adolescent avait soulevés. Les jours doux et tranquilles qu'il avait passés avec Charlie étaient agréables, mais ils n'étaient rien par rapport à ceux des combats, de la chasse aux horcruxes et de tous les morts qui avaient conclu cette époque.
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Il rentra au Manoir fatigué et tendu, avec l'envie de se détendre par un bain dans la piscine ou un bon livre qui serait capable de lui changer les idées.
– Où sont-ils ? demanda-t-il rituellement.
– Monsieur Severus n'est pas encore rentré, Monsieur. Et Maître Lucius est sur la terrasse.
Harry se devait au moins d'aller saluer Lucius et il traversa le Hall pour rejoindre les portes qui donnaient sur le jardin.
L'aristocrate était là, assis sur une chaise près de la table qui servait pour leurs dîners à l'extérieur, savourant un thé fumant. Son pantalon blanc portait quelques traces de poussières et il était encore vêtu de ses bottes cavalières et de sa veste d'équitation. Une tenue trop moulante pour laisser Harry indifférent, d'autant plus que Lucius arborait un sourire lumineux.
– D'où venez-vous comme ça ? demanda-t-il.
– J'ai été faire un tour à cheval. Ça faisait longtemps...
Pris d'une impulsion soudaine qu'il ne chercha même pas à maîtriser, Harry vint s'asseoir à califourchon sur les cuisses de Lucius, passant ses bras autour de ses épaules.
– À cheval ?
– Tout à fait, sourit Lucius, amusé par l'analogie de la situation.
Glissant son nez sous les cheveux de l'aristocrate, Harry posa ses lèvres sur la peau fine sous son oreille, savourant son parfum, la douceur d'être là et l'étreinte des bras qui s'étaient refermés dans son dos.
La situation était équivoque, dangereuse, et le sourire, tout comme la position de Lucius, la gorge dévoilée par sa tête légèrement penchée de côté, témoignaient de ses attentes. Sous ses lèvres, Harry sentait la peau frémissante, hérissée par l'excitation et l'impatience. Et dans son dos, les bras le collaient un peu plus contre le torse de l'aristocrate. Mais Lucius semblait faire attention à ne pas le brusquer.
C'était l'occasion : ils étaient seuls dans le Manoir désert hormis les elfes de maison, avec le temps qu'ils voulaient devant eux, la position idéale pour glisser ses lèvres vers les lèvres de Lucius et enfin l'embrasser; ce geste plus étrange et plus symbolique que de le toucher, de le caresser, de s'asseoir sur ses genoux ou de le faire jouir à l'aide de la magie. C'était l'occasion de se rapprocher, de connaître enfin ce geste tout à fait privé, si intime et dont Lucius l'avait plusieurs fois prié.
Mais Harry ne pouvait détacher ses lèvres de ce petit creux à l'angle de la mâchoire, si doux, si tendre, si réconfortant. Il aurait dû avoir envie envie d'autre chose, de davantage que son visage simplement niché dans le cou de l'aristocrate, envie de sexe, de jouir, de leurs peaux l'une contre l'autre jusqu'à mêler intimement leurs corps... Mais ce n'était pas le cas.
Les souvenirs de tous les corps qu'il avait connus autrefois se bousculaient dans son esprit, laissant surgir parfois l'image fugace d'un autre corps, mort pendant la dernière bataille, des peaux, des sexes, des ventres qu'il avait embrassés, léchés, sucés, et des corps sanguinolents, torturés, amputés, des épaules sublimes qu'il avait caressées et le regard vide d'un cadavre, les nuits dans le lit de Charlie, ou avec ce garçon qu'il avait fréquenté à Beauxbâtons, et des bouches restées ouvertes sur un cri à jamais muet.
Harry frissonna entre les bras de Lucius, soupira et posa sa tête sur son épaule, caché par les longs cheveux blonds qui semblaient sur son visage aussi doux que de la soie. Il sentit la surprise de l'aristocrate, qui s'attendait à beaucoup, mais pas à ce renoncement. Encore. Et Harry se sentit encore plus coupable vis à vis de Lucius qui n'avait certainement pas mérité cela. Mais il avait besoin d'autre chose que de sexe, il avait besoin de tendresse, de douceur et surtout d'oublier ces souvenirs que James avait réveillés sans y penser.
De lui-même, il se serra un peu plus contre Lucius, mais son attitude n'avait plus rien d'équivoque. Il venait chercher une certaine forme de réassurance que l'aristocrate, après un temps d'arrêt, lui accorda spontanément. Les mains de Lucius cessèrent leurs gestes aguicheurs et vinrent se plaquer, l'une autour de sa taille pour l'enlacer fermement, et l'autre un peu plus haut, caressant ses épaules et son dos avec bienveillance et tendresse. Et Harry ne voulait plus bouger de cet écrin de douceur.
Il ne vit pas, derrière lui, près de la porte du Manoir, les sourcils froncés de Severus qui les découvrait ainsi enlacés. Pas plus qu'il ne le vit repartir rapidement à l'intérieur du Hall, suivi par le regard soucieux de Lucius.
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Harry descendit de sa chambre longtemps après sa douche et juste à temps pour le dîner. L'eau chaude, en plus de chasser les odeurs de potions qui mettaient Severus si mal à l'aise, l'avait considérablement détendu. Il se sentait plus apaisé, même s'il continuait à aspirer à une soirée tranquille et sans enjeux.
En arrivant dans la Salle à Manger, il embrassa fugacement Severus avant d'aller s'asseoir à sa place et après un dîner relativement silencieux, ils s'installèrent dans la salle de cinéma pour regarder un film. Harry hésita un instant à rejoindre les deux hommes sur le canapé du milieu, mais il ne voulut pas rompre avec les habitudes qu'ils avaient prises en Provence. Se lover contre Severus ne signifiait pas forcément qu'il souhaitait quelque chose d'ambigu. Lucius, à l'autre bout du canapé, gardait une attitude neutre, son bras simplement posé sur le dossier du canapé, derrière les épaules de Severus, et caressant la nuque de son compagnon de temps à autre.
Au moment de monter se coucher, Harry s'excusa à mi-voix, prétextant de descendre aux cuisines pour se chercher à boire, assorti d'un vague « Bonne nuit ». Severus avait été légèrement distant toute la soirée, acceptant sa présence contre lui sans vraiment y répondre, et presque indifférent. Harry n'avait pas envie d'épiloguer sur son attitude, il n'était pas d'humeur, et pour une fois, il avait presque envie d'être seul.
Il en profita pour passer dans la Bibliothèque pour se choisir un roman avant de remonter enfin par l'escalier en colimaçon.
Pourquoi n'avait-il pas transplané directement dans sa chambre ? C'était ridicule de s'obliger à monter par l'escalier alors qu'il était si simple d'apparaître à un endroit ou un autre en toute discrétion. Et c'était bien évidemment ce qu'il aurait dû faire mais lorsque Harry entendit les voix de Lucius et Severus dans le couloir de l'étage, il ne put s'empêcher de s'immobiliser dans la pénombre de l'escalier et d'écouter leur conversation.
– Arrête.
Les bras croisés sur son torse, le regard las, Lucius était adossé contre le mur. Juste devant lui, Severus passait ses mains dans les longs cheveux blonds pour les dégager sur les épaules de l'aristocrate et il embrassa délicatement les lèvres fines qui ne répondirent pas à son geste.
Les mains doucement posées autour du visage de son compagnon, Severus renouvela son baiser, une fois, deux fois, une multitude de fois, avec une tendresse que Harry ne lui avait jamais vue, transpirant l'amour qu'il ressentait pour Lucius. Avec un étrange sentiment de jalousie qui naissait dans son ventre, Harry ne pouvait détacher son regard de cette douceur invraisemblable, insupportable, à laquelle Lucius ne répondait pas, et que lui aurait tant voulu connaître.
– J'en ai assez, Sev. Vraiment. J'en ai assez de tout ce cirque. J'en ai assez de dormir seul. Je...
– S'il-te-plaît. Encore un peu de patience. Tout ça sera bientôt fini. Je vais aller lui parler.
– Pas ce soir. Viens avec moi.
– Luce... Ce n'est qu'une question de jours. Bientôt je serai avec toi tous les soirs...
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C'était de la jalousie, sûrement, cette étrange brûlure que Harry ressentait dans la poitrine, une jalousie amère, acérée, explosive. Ce n'était pas de la douleur, ce n'était pas de la souffrance, ni une détresse intolérable, c'était de la simple jalousie qui confinait à l'agonie. Et que pouvait-il faire d'autre que ravaler son désespoir pour en finir le plus vite possible ? Severus allait venir lui parler, qu'il parle ! Qu'il lui dise ce qu'il avait sur le cœur une bonne fois pour toutes et qu'on en finisse !
Harry survola les trois marches qui le séparaient du couloir, jeta à peine un regard aux deux hommes en leur souhaitant à nouveau « Bonne nuit » et rejoignit sa chambre. Le champurrado qu'il avait demandé aux elfes l'attendait déjà sur la table basse de son salon. Au moins, certaines choses étaient immuables ici et Harry se laissa lourdement tomber sur le canapé. Il donnait cinq minutes à Severus pour venir s'expliquer avant de condamner la porte de sa chambre. Sa patience et surtout sa capacité de résilience avaient leur limite. Au-delà, il n'était pas sûr de pouvoir conserver un visage impassible et maîtriser la douleur qui hurlait dans son cœur comme un chien enragé.
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Il ne fallut que deux minutes à Severus pour pénétrer dans sa chambre et refermer soigneusement la porte derrière lui.
– Tu ne viens pas te coucher ? fit-il en s'approchant du canapé où Harry était assis, son livre entrouvert sur une page dont il était incapable de lire le moindre mot.
Severus avait toujours préféré les confidences sur l'oreiller, des conversations à demi-mot dans l'obscurité, plutôt que des vérités sous une lumière trop vive.
– Pas tout de suite. Je voulais lire un peu.
Severus restait là, debout et indécis, les mains dans les poches de son pantalon avant de croiser les bras sur son torse, semblant se donner une contenance qu'il n'avait pas.
– Tu devrais aller dormir avec Lucius, fit Harry sans lever les yeux de son livre.
Severus hésita un instant avant de s'approcher un peu plus.
– Tu as entendu notre conversation, n'est-ce pas ? fit-il d'une voix plus douce.
Harry ne se donna pas la peine de répondre mais il leva la tête pour affronter le regard de son amant. Un regard qui oscillait des regrets à la culpabilité, avec une once de perplexité. Severus n'avait certainement pas besoin de s'expliquer sur quoi que ce soit, son regard parlait de lui-même.
Il vint s'accroupir près de lui, sans doute pour lui parler, mais Harry en avait assez vu pour aujourd'hui.
– Tu devrais aller dormir avec Lucius.
– Une minute ! fit Severus en lui prenant le menton pour croiser à nouveau son regard.
À présent, ses yeux noirs le dévisageaient furieusement, les sourcils froncés et presque en colère.
– Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?! Tu n'es pas assez déraisonnable pour croire... Bien sûr que si tu l'es ! Tu as été t'imaginer que Lucius voulait me récupérer et qu'il ne voulait plus de toi au Manoir ?! Espèce d'idiot ! Bien sûr que Lucius veut de toi ! Il te veut même dans son lit !
Harry détourna brusquement la tête pour faire lâcher prise à Severus, dont les doigts agacés crispés sur son menton allaient finir par lui laisser une trace. Et c'était aussi efficace pour cacher le soulagement troublé mais encore méfiant qui devait hanter son regard.
– Il en a simplement assez de cette mascarade, reprit Severus plus doucement. Tu as envie de lui, il a envie de toi, et moi je vous aime tous les deux...
Merlin ! Harry se mordit la lèvre pour contrer son émotion par une vague douleur. Avec des mots pareils, et cette déclaration si rare, Severus allait finir par le faire craquer...
– Qu'est-ce qui ne va pas ? Si tu n'avais pas déjà été troublé, tu n'aurais jamais interprété nos paroles de cette façon... Parce que tu aurais su que jamais, ni Lucius, ni moi, ne pourrions nous passer de toi. Je commence à te connaître, Harry... Et je vous ai vu, tout à l'heure, sur la terrasse... Je n'ai simplement pas voulu vous déranger, mais je sais reconnaître ces moments où tu as besoin... de te rassurer. Qu'est-ce qui ne va pas ?
En parlant, Severus s'était assis sur le canapé, à côté de lui, sans forcer cependant le contact entre eux, et ce fut Harry qui vint, une fois encore, se glisser dans les bras de son amant. Et Severus l'accueillit avec la même tendresse qu'il avait montrée envers Lucius tout à l'heure. Doux et serein. Parsemant son visage de baisers furtifs qui lui firent fermer les yeux. Et Harry se rendit brutalement compte qu'il n'était pas allé embrasser Lucius pour lui souhaiter bonne nuit.
– Je ne sais pas. Je suis fatigué, je crois. Le retour des vacances est difficile. Et puis discuter avec les élèves de Matthieu...
– Explique-moi...
– Il n'y a rien à en dire. Ils sont curieux, c'est tout. Et c'est bien normal. Mais je n'avais jamais réalisé que les élèves d'aujourd'hui apprennent la Guerre en histoire de la magie... Je devais déjà assumer d'être célèbre vis à vis de ceux qui l'avait vécue... Je n'imaginais pas être devenu... un personnage historique ?
Harry grimaça à cette idée dérangeante avant d'ajouter :
– Et puis ça a remué plein de souvenirs... C'est bizarre, avant, je n'y pensais jamais. Pendant des années, quand je vivais loin d'ici, je n'ai pas pensé une seule fois à la guerre, à ce que j'avais fait, à ceux qui étaient morts... Tout ça était loin de moi. Mais depuis mon retour...
Quand donc ces souvenirs allaient-ils cesser de le hanter et quand pourrait-il avoir enfin une vie normale, sans avoir l'impression d'être en permanence gouverné par des réminiscences du passé et les humeurs changeantes qui allaient avec ?
– C'est normal, fit Severus. Là-bas, rien ne te confrontait à ces souvenirs. Rien ne te les rappelait... Ici, ce passé-là reste présent. Les gens y pensent encore car ce n'est pas si loin. Et toi, tu dois réapprendre à être confronté à ce qui, pour nous, est commun. Même si tout le monde oublie peu à peu, nous nous promenons tous avec une étiquette qui stipule qui nous avons été pendant la guerre. Nous sommes tous devenus des personnages historiques dont les enfants apprennent l'histoire à Poudlard... Même Minerva y sera confrontée dans quelques années, quand elle découvrira le rôle ambigu qu'ont eu son père et son grand-père sous Voldemort. Lucius et Draco devront l'y préparer, et ils en sont bien conscients... Lui expliquer la vérité, aussi peu reluisante soit-elle, et la préparer à faire face aux questions et aux moqueries...
Harry serra les dents en s'enfouissant un peu plus dans les bras de Severus. Il n'avait jamais songé qu'en allant à Poudlard, la fillette devrait assumer un passé qu'elle ne connaissait même pas, et dont elle n'était absolument pas responsable. Son père n'avait eu qu'un rôle mineur, mais dans l'esprit des gens, il était celui qui avait tué Dumbledore et fait rentrer les mangemorts dans Poudlard. Et Lucius avait eu beau œuvrer sur les deux tableaux, tout comme Severus, il avait été le bras droit de Voldemort pendant des années, et il avait tué et sans doute torturé plus qu'à son tour.
– Merde ! gémit-il. On peut pas partir tous ensemble et aller vivre très loin dans la jungle, là où tout ça n'existerait pas ?
– Je veux bien aller faire un tour dans la jungle avec toi, sourit Severus en le serrant contre lui. Mais on n'y vivra pas. Ni moi, ni Lucius, et encore moins Draco et sa famille... Notre vie est ici. Aussi douloureux que soient les souvenirs et ce qui vient nous y confronter. Le temps passe, les gens oublient, nous y compris... Et pour le reste, il faut juste assumer ce que nous avons été.
Harry se pencha un instant pour attraper sa tasse et revint se lover entre les bras de son amant. Il but son champurrado lentement, plongé dans ses bras et dans le silence, étonné de la facilité avec laquelle Severus arrivait à dénouer ce qui le nouait. Parler était une chose qu'il faisait peu mais si bien. Loin des sarcasmes et des moqueries, il était capable de poser des mots justes et rassurants sur des sentiments complexes, comme Lucius le faisait aussi.
Lui, il se faisait l'impression d'être un paysan mal dégrossi, avec ses paroles brouillonnes et noyées dans l'émotion, ses sentiments à fleur de peau dignes d'une adolescente régie par ses hormones. Il maîtrisait à présent sa magie, sans se laisser déborder de quelque manière que ce soit, mais il était loin de maîtriser son caractère et ses états d'âme ! Il avait encore bien des progrès à faire !
Souriant à ces pensées, Harry posa sa tasse vide sur la table basse et se retourna pour glisser un baiser sur les lèvres de Severus.
– Va te mettre au lit. Je te rejoins dans un instant.
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Son reflet dans le miroir de la salle de bains avait les traits tirés et un regard fatigué. Une sale tête en somme. Tout en se brossant les dents, Harry transplana rapidement dans le laboratoire du sous-sol et attrapa une potion de sommeil sans rêves. Au diable les vœux pieux, cette nuit il avait besoin de dormir, sans être dérangé par les inévitables cauchemars qui allaient venir.
Quand il se glissa dans le lit, Severus l'attendait et Harry retrouva instinctivement les bras de son amant et le creux de sa cuisse où caler sa jambe. Et avant de sombrer dans l'inconscience, il eut une brève pensée pour Lucius, encore une fois seul dans son lit.
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ooOOoo
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– Eh bien ! Tu as meilleur mine aujourd'hui ! fit Matthieu en l'accueillant le lendemain matin à Poudlard. Hier, tu avais l'air au bout du rouleau...
– Severus t'a laissé dormir cette fois ? gloussa Deirdre avec son éternel sourire malicieux.
– Deirdre ! protesta Harry en s'assurant que James et Lisbeth, un peu plus loin, n'avaient rien entendu.
Il ne cachait rien de sa vie privée à ses proches, mais de là à laisser deviner à d'autres que le compagnon de Lucius Malfoy était son amant... D'autant qu'il n'oubliait pas que le père de James était journaliste. Dans les petits papiers de Lucius, mais journaliste tout de même. Et ce que Harry avait confié la veille sur Charlie lui avait posé question après coup. Mais quand James était venu s'excuser de sa curiosité, il avait été certain de son silence à ce sujet. Bien qu'il ne faille sans doute pas pousser le vice trop loin.
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La matinée passa à toute vitesse, entre des préparations diverses et variées et des discussions autour des expériences de chacun. Matthieu slalomait entre les chaudrons, attentif, conseillant, distribuant un encouragement ou une recommandation. Harry et Deirdre, d'un accord muet, restèrent avec les élèves de Matthieu pour les guider dans leurs premiers pas en complète autonomie.
Lisbeth s'était lancée dans une expérience sur une potion de contraception longue durée, que les femmes ne soient pas obligées de prendre tous les soirs – préoccupation de son âge, sans doute – tandis que James travaillait sur un philtre de régénération de la peau humaine. Dans son enfance, sa mère avait été gravement brûlée en faisant la cuisine et elle en conservait d'importantes cicatrices. Sa motivation était à l'aune de la douleur de son histoire personnelle...
– C'est intéressant l'idée de Lisbeth, fit Harry en aparté en surveillant la façon dont la jeune fille découpait ses racines de mandragore.
– Oui, répondit Deirdre sur le même ton. Je dois avouer que ces deux gamins m'impressionnent. À leur âge, je ne leur arrivais pas à la cheville et j'ai pourtant réussi l'Institut de Potions. Je suis curieuse de voir ce qu'ils vont donner dans quelques années...
– Moi aussi... Mais j'ai l'impression que là, elle prend le problème à l'envers. Elle cherche à empêcher un œuf de croître au lieu d'empêcher la fécondation. Et sur le principe complètement inverse, en ajoutant des écailles de dragon et du sang de salamandre à sa préparation de base, elle obtiendrait au contraire une potion qui aiderait les grossesses fragiles...
Le regard que Deirdre lui jeta valait tout un discours et elle bougonna rapidement :
– Quand est-ce que tu te remets à la recherche, toi ?! Quel temps perdu !
Harry gloussa doucement devant la remontrance.
– J'ai d'autres préoccupations pour le moment, mais je vais m'y remettre, c'est promis. J'ai juste besoin d'une bonne motivation...
En silence, ils observèrent longuement les deux adolescents aux gestes déjà sûrs, puis Harry lâcha une question issue de ses pensées :
– Qu'est-ce que tu utiliserais, toi, pour réussir à accoupler deux cellules reproductrices venant de personnes du même sexe ? Qu'est ce qui permettrait de faire fusionner deux ovules ou deux spermatozoïdes et créer un œuf viable ?
Deirdre se tourna brusquement vers lui avec un regard interloqué avant de ricaner discrètement.
– Tu veux faire un enfant avec ton chéri ?
Harry sursauta, tant la question le prit au dépourvu. Il n'était pas question de lui, ni d'avoir un enfant, ni de Severus, même s'il savait avec certitude que Severus aurait fait un très bon père. Il aurait même aimé le connaître dans cette situation, mais il n'était pas question de ça !
– Non ! s'offusqua-t-il. Je pensais à une amie.
– Je suis certaine que tu ferais un très bon père, pourtant, regretta Deirdre en reprenant mot pour mot ses propres pensées au sujet de Severus. L'écueil si tu parviens à obtenir un œuf à partir de deux ovules, c'est que tu n'auras que des fœtus féminins...
– Je sais bien, mais c'est toujours mieux que rien...
Luna et Padma avec une petite fille issue d'elles deux... Cela le laissait doucement rêveur. Est-ce que... est-ce que Matthieu voudrait des enfants avec son chéri si leur histoire durait ? Est-ce que lui et Severus auraient voulu des enfants si son histoire personnelle avait été différente ? Sans doute... Il avait toujours voulu fonder une famille – et pas seulement un couple – avoir des enfants, plusieurs même, des petits diablotins qui seraient venus lui sauter sur le ventre le matin au réveil, qu'il aurait embrassés le soir avant de se coucher, qu'il aurait bercés dans ses bras pour les endormir... comme Severus l'avait fait avec Iris il y a quelques années.
Au souvenir des photos de cette époque que Harry avait vues au Manoir, son cœur se serra étrangement. Il aurait tant voulu être déjà revenu à cette époque et partager ces moments de tendresse avec Severus. Le voir si doux, si attentionné, devoir murmurer leurs conversations pour ne pas réveiller le bébé, caresser les cheveux si fins éparpillés sur le torse de son amant, sourire devant cette image si charmante d'un enfant minuscule dans ses bras puissants... Un enfant avec Severus...
Merde ! Il ne voulait pas, il ne voulait plus d'enfant !
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James et Lisbeth se tenaient devant eux, dansant presque d'un pied sur l'autre, avec cet air indécis et embarrassé de quelqu'un qui a quelque chose à dire mais qui ne sait pas par quel bout le prendre.
– Il faut... il faut se dépêcher un peu si on veut avoir le temps...
– Le temps de quoi ? fit Deirdre.
Lisbeth jeta un regard sombre à son camarade qui hésitait trop à son goût.
– On voulait vous inviter à déjeuner à Pré-au-lard, dit-elle en levant les yeux au ciel. Mais le temps de rejoindre les grilles pour transplaner, il ne faut pas traîner...
– Nous inviter à quoi ? s'exclama Harry interloqué. Et... mais pourquoi donc ?!
– Pour vous remercier de nous avoir invités pour le stage, expliqua Lisbeth en regardant Matthieu. Et à vous, de vous être occupés de nous... Ç'aurait été vachement plus intéressant pour vous d'aller avec les autres stagiaires, mais vous êtes restés avec nous. Et... vous avez été supers. Alors voilà...
Harry croisa un instant le regard de Deirdre et de Matthieu, aussi surpris que lui.
– Vous aviez amplement mérité votre place, assura le jeune professeur. Et ce stage n'a fait que le confirmer. Mais j'ai autant apprécié l'expérience que vous, et je pense que je vais créer des Master Class pour continuer sur cette voie... Deux ou trois fois par an. Vous serez évidemment les bienvenus ! Quant à cette invitation...
Lisbeth et James ne purent dissimuler leur engouement à la proposition de Matthieu tandis que Deirdre, toujours sidérée, demandait encore :
– Mais avec quel argent vous comptiez faire ça ?
– On n'est pas idiots, répondit Lisbeth d'un ton un peu vexé. Ni malhonnêtes. James et moi, on a tous les deux de l'argent de poche et...
– C'est hors de question, assura doucement Harry. On va effectivement aller déjeuner quelque part pour fêter le dernier jour du stage, mais c'est moi qui vous invite. Et ce n'est pas négociable. Votre proposition est très généreuse et elle me touche personnellement beaucoup, mais je refuse que vous ayez à sortir le moindre gallion de votre poche ou de vos économies...
Il fit le tour des visages autour de lui en souriant avant d'ajouter :
– Où avez-vous envie d'aller ?
– On pensait aller chez Mme Abbott, avoua James. Ce n'est pas très...
– Soyez plus ambitieux, tous les deux, gloussa Harry. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? Londres, Paris ? Ou complètement ailleurs ?
– Paris ? releva Matthieu avec un sourire. La petite Bretagne, ça vous dit ? Je vous emmène chez moi ? Je connais un restau qui paye pas de mine mais les poissons sont excellents !
– Allez ! fit Harry en passant son bras autour de la taille de James et de Lisbeth tout en tendant sa main à Matthieu et Deirdre. Montre-moi où c'est, je nous fais transplaner...
– Ici ?! s'étonna Matthieu. Dans l'enceinte de Poudlard ?!
Harry se contenta d'un clin d'œil avant de saisir les mains tendues.
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En attendant qu'on leur serve leurs plats, Deirdre et les deux adolescents s'étaient éloignés sur les rochers, incapables de résister à l'envie de tremper leurs pieds dans les trous d'eau. Depuis la terrasse où Harry et Matthieu prenaient le soleil, le panorama était superbe : une côte déchiquetée, hésitant entre le gris et l'ocre, battue par des flots encore calmes, mais qui devait être magnifique en pleine tempête. Aujourd'hui, seul un ciel clair et lumineux les surplombait et sans un sortilège de protection, les adolescents et Deirdre allaient sans doute prendre un sacré coup de soleil.
– Alors, quand est-ce que tu viens dîner à la maison ? fit Harry. Tu t'es arrangé avec Lucius ?
– « À la maison » ? gloussa Matthieu. Dire qu'à une époque, tu hésitais même à y passer quelques jours sur invitation de Lucius !
À entendre l'éclat de rire soudain de Matthieu, une légère rougeur avait dû s'installer sur ses joues, mais Harry ne pouvait que reconnaître la justesse de la moquerie. Ses mots spontanés révélaient si bien le changement opéré en quelques mois.
Quand il avait connu Matthieu, Severus était un souvenir lointain et douloureux qui semblait reprendre vie dans son présent. Un fantôme issu du passé qu'il craignait de revoir. Aujourd'hui, il pensait avec une tendresse sans nom aux deux hommes qui partageaient sa vie et dont il ne pouvait plus se passer. Il avait vraiment bien fait d'écouter les recommandations de Luna !
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Après le déjeuner, ils firent quelques pas le long du bord de mer, tandis que Lisbeth et James s'extasiaient sur les paysages. Harry restait songeur, avec encore en mémoire les mots qu'il avait employés tout à l'heure. « À la maison »... C'était si surprenant qu'il n'en revenait pas lui-même. Il secoua brusquement la tête pour chasser ses idées avant de s'adresser à Matthieu.
– Alors c'est ici « chez toi » ? sourit-il.
Des rochers de granit polis par l'âge, un vent iodé qui balayait leurs visages d'embruns et de petites maisons blanches aux toits d'ardoise...
Matthieu inspira profondément en tournant son regard vers l'océan immense, semblant soudain plus grand et plus fragile à la fois.
– Oui, je suis d'ici... Cette impression d'avoir des racines aux pieds qui te tiennent debout... elle vient de là.
Quelque chose que Harry ne connaissait pas... Il n'avait pas de sentiment d'appartenance, n'en avait jamais eu. Ni envers une famille, ni envers un lieu. Il n'était de nulle part, ni de personne. Les Dursley n'avaient été qu'une erreur de parcours. Les Weasley presque une famille mais il était parti et il les avait perdus. Et trois des leurs étaient morts à cause de lui. La forêt avait longtemps été « chez lui », mais ce n'était qu'un leurre. Elle n'était que la source de sa magie, son écrin, un lieu qui lui était familier et dans lequel elle était en paix. Mais il n'appartenait pas à la forêt. Et il avait vécu dans tellement de lieux différents qu'il n'avait de sentiment d'appartenance pour aucun...
Il avait pourtant dit « à la maison »...
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Ils transplanèrent juste à l'heure pour la reprise du stage, sous les regards surpris par leur apparition inopinée.
– Faudra que tu m'expliques comment tu fais ! fit Matthieu en ouvrant la porte de la salle. Ça m'arrangerait drôlement de ne pas aller jusqu'aux grilles à chaque fois que je veux transplaner pour quitter Poudlard !
Chacun regagna sa paillasse, ralluma ses feux et reprit ses préparations en cours, dans une effervescence joyeuse et bon enfant. À croire que personne n'avait très envie que ce stage se termine !
Lorsque la magie s'agita, Harry était près de la table de travail de James, en train d'expliquer à Deirdre et un autre stagiaire les différents usages du poisson-ciguë. La sensation était hésitante, floue, et il mit un instant à la reconnaître, s'interrompant bouche bée au milieu d'une phrase pour se concentrer... Le médaillon qu'il avait confié à Lucius ! Que se passait-il ?
Cette impression de caresse dans son corps même, l'appel qu'il sentait, cette nécessité de rejoindre ce morceau de sa magie, enfermé si loin de lui... Ce ne pouvait être que Lucius. Il avait récupéré l'autre médaillon qu'il avait confié à Sam pendant ses vacances.
– Deirdre, je dois... je dois partir. Surveille... les gamins.
Harry se tendit vers la sensation, vers cette partie de lui, mais elle était loin, si loin... Comment était-il même possible qu'elle soit si loin ? Par delà un océan... et même si loin du monde magique ordinaire... Une bouffée d'angoisse l'étreignit violemment. Que se passait-il pour que Lucius ait besoin de lui, si loin de tout qu'il peinait à le localiser de manière précise ?!
Harry perçut vaguement les murmures autour de lui. Sans doute son image devait être en train de se dédoubler ou d'onduler, mais il se fichait de ce qui se passait là. Il voulait atteindre Lucius, où qu'il soit, Lucius qui l'appelait, qui avait besoin de lui. Pour lui-même ? Pour Severus ? Pour quel problème ?
Tandis que la sensation se faisait lentement plus précise, Harry se surprit à trembler. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas connu la peur. Et aujourd'hui, il frissonnait d'appréhension, de crainte à l'idée de ce qu'il allait trouver et d'une inquiétude épouvantée pour Lucius et Severus. Pourquoi avait-il tant de mal à rejoindre le médaillon ? Ce n'était pas logique. Ce n'était pas normal. Bon sang ! où était Lucius ?!
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Merci à tous de votre fidélité et un remerciement supplémentaire à ceux qui commentent...
Désolée pour ce petit suspense. La semaine prochaine, le dénouement ;)
Au plaisir
La vieille aux chats
