Résumé: Harry et Lucius ont enfin franchi le pas et se sont aimés au fin fond de la jungle du Sarawak. Lucius aimerait qu'ils puissent avoir un peu de temps pour construire leur relation tous les trois, mais il est inquiet pour la grossesse de Daphnée, et après l'accord de ses deux amants, il invite sa belle-fille, son fils et leurs enfants à venir séjourner au Manoir jusqu'à l'accouchement. Cependant, Draco n'admet pas sa façon de faire et annule au dernier moment le déjeuner prévu, indiquant qu'ils arriveront plus tard dans la journée.
Bonne lecture :)
Les heures s'écoulèrent lentement, étranges et creuses, comme s'ils devaient profiter de la quiétude avant l'orage sans y parvenir réellement. Lucius était calme et plus serein, encore davantage depuis que Severus était venu l'embrasser tendrement après sa douche, et il travaillait tranquillement sur ses dossiers de politique étrangère sur le secrétaire du Petit Salon. Il avait préféré rester là avec eux plutôt que de s'isoler dans son bureau, et c'était sans doute le seul signe de sa tension sous-jacente.
Allongé sur le canapé, la tête sur les cuisses de Severus, Harry tentait de terminer son roman dont il peinait à comprendre quelques lignes sans les relire plusieurs fois. Au-dessus de lui, Severus souriait sans qu'il s'en aperçoive, amusé et définitivement conquis par ces yeux émeraude qui papillonnaient de sommeil. Severus serait sans doute le premier endormi ce soir, mais pour l'heure, c'était lui qui avait besoin d'une sieste, et ma foi, l'endroit n'était pas si mal choisi !
Le brouhaha soudain dans le Hall du Manoir le tira de son sommeil léger et il se redressa brusquement avec l'esprit encore embrumé. Draco arrivait. Quelle heure était-il ? Harry jeta un coup d'œil sur la pendule de la cheminée : seize heures trente. Ils n'avaient pas pu l'attendre sur le perron du Manoir puisqu'il n'avait pas donné d'heure précise pour leur arrivée. Ce que Lucius avait regretté parce que cela donnerait l'impression de ne pas les accueillir correctement, mais ils n'allaient pas passer l'après-midi à guetter leur venue...
Harry n'avait pas fini de remettre ses pensées en ordre que déjà deux tornades avaient fait irruption dans le Petit Salon, Draco et Daphnée à leur suite. Minerva les embrassa tour à tour tandis qu'Iris, sans autre formalité, sautait sur les cuisses de Severus – où il était allongé quelques minutes auparavant, songea-t-il en grimaçant – pour se serrer contre lui. Lucius s'était levé pour accueillir son fils et sa belle-fille, comme Harry le fit lui-même, mais le malaise fut immédiat.
Daphnée étreignit longuement son beau-père, visiblement mal à l'aise, tandis que Draco se contenta de le saluer d'un signe de tête avant de s'avancer vers Severus. Même avec son parrain, l'étreinte fut brève et les mots rares, autant qu'avec lui, et Draco s'installa rapidement dans un fauteuil sans lever un regard vers qui que ce soit. Harry s'avança pour saluer Daphnée, énorme et empesée, et sans doute plus triste qu'à l'accoutumée, ce qui seyait mal à sa fin de grossesse. Heureusement, les fillettes péroraient comme à leur habitude, racontant avec force détail la fin de leurs vacances à Torquay, la sortie en bateau avec Parrain Blaise, les histoires le soir pour s'endormir, la pêche au crabe où Parrain Blaise était tombé dans l'eau et les mille et une petites aventures de leurs vies, meublant un silence dérangeant.
La vitalité des fillettes, leur bonne humeur inaltérable, peu soucieuse des tourments des adultes, étaient un vrai rafraîchissement, et la conversation s'installa bon gré mal gré autour d'un thé, de leur entrain et de leurs envies pour la fin des vacances. Seul Draco gardait un silence lourd et pesant malgré les regards de Daphnée, à la limite de la politesse. Voire très malpoli si l'on s'en référait aux conventions des Malfoy, et qui finit par agacer profondément Lucius.
– Tu peux monter dans ta chambre. Si tu préfères passer ton temps à bouder comme un gosse, nous pouvons nous passer de ta compagnie.
Harry frémit devant cette première salve. Lucius jouait gros : sur un coup de sang, Draco pouvait aussi bien remballer ses bagages et repartir d'où il venait avec femme et enfants sous le bras. Et cela en dépit de toute son éducation rigoriste, de sa maîtrise de lui-même et de son impassibilité habituelle.
– Je ne suis pas un gosse ! gronda sourdement Draco. Et tu ne me congédieras pas...
– Alors comporte-toi en adulte, bon sang ! s'emporta Lucius. Et respecte un peu les décisions de ta femme !
Harry ferma brièvement les yeux, sidéré par ce coup de tonnerre qui venait de résonner dans la pièce. C'en était physiquement douloureux. Il avait toujours détesté les cris, les disputes et les invectives, mais venant d'eux, c'était plus qu'il ne pouvait supporter.
– Mes problèmes de couple ne te regarde pas, gronda à nouveau Draco.
Harry croisa un instant le regard plein de détresse de Daphnée et il se leva avant même d'avoir compris ce qu'il faisait.
– Excusez-moi...
Sa sortie précipitée jeta un nouveau silence sur le Petit Salon et il s'éloigna rapidement de ce théâtre où chacun jouait bien son rôle, mais où la pièce ressemblait davantage à un drame qu'à une comédie romantique.
Il ne fallut pas longtemps à Severus pour le rejoindre dans la véranda et venir l'enlacer devant la baie vitrée. Sa présence était apaisante, et son corps un rempart contre lequel il pouvait s'appuyer sans réserve.
– Je suis désolé, murmura Harry. Je ne peux pas assister à ça, je ne peux pas les regarder se déchirer. Je les aime bien trop pour ça... Et si j'interviens, ils m'en voudront l'un et l'autre.
Severus le serra un peu plus contre lui et caressa lentement ses bras.
– Tu comprends un peu ce que j'ai ressenti pendant toute cette période où Lucius a refusé qu'il épouse Daphnée... Mais ça va se tasser tout seul. Luce va se calmer, Draco va prendre sur lui et dans deux jours, tout sera redevenu normal.
Harry laissa échapper un soupir puis le silence revint. Il ne voulait pas attendre que les choses se calment avec le temps; il voulait retrouver le Lucius qu'il connaissait, doux et attentionné, aimant, et pas ce despote exigeant, et il voulait retrouver son ami tel qu'il le connaissait, père de famille attentif et capable aussi de rire, d'être futile et léger comme autrefois, et pas cet homme guindé dans ses principes et le refus de l'aide de son père. Et il voulait les retrouver ainsi tout de suite.
– Viens, fit Severus en l'entraînant d'un bras autour des épaules. Je ne veux pas que ça inquiète les filles...
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– Je t'assure, disait Lucius à Daphnée. Ça ne me gêne pas de les emmener toutes les deux. Ça va bien se passer... Je suis un cavalier suffisamment capable, et au cas où tu l'aurais oublié, je suis également un sorcier. Et si j'ai vraiment besoin, j'appellerai Harry...
Le sourire en coin de Lucius lui était adressé, et il hocha brièvement la tête en pénétrant dans le Salon avec Severus. L'aristocrate faisait sans doute allusion au médaillon qui palpitait doucement dans sa poche et dont personne, pas même Severus, ne connaissait visiblement l'existence.
Minerva et Iris, qui anticipaient déjà la promenade à cheval, piaffaient d'impatience, sollicitant désespérément l'autorisation de leur mère tandis que Draco était toujours silencieux et fermé dans son coin. Daphnée finit par céder, désolée de ne pouvoir les suivre, mais même si elle était une cavalière émérite, le risque de chute n'était jamais négligeable, et ce n'était pas le moment de prendre des risques.
D'une manière ou d'une autre, Lucius s'était calmé et il avait trouvé le moyen de désamorcer temporairement la crise entre Draco et lui. Un peu de distance, un temps mort, capter ailleurs l'attention des fillettes qui n'avaient pas besoin de comprendre ce qui se passait, et laisser à son fils le temps de parler à sa femme ou à Severus... Mais il n'avait peut-être pas anticipé ce que devinait Harry : que cette autorisation demandée à Daphnée pour emmener les filles, en sa présence mais sans lui adresser la parole, le mettait encore un peu plus hors de lui. Et il voyait littéralement Draco bouillonner dans son fauteuil, sa magie d'un gris argenté glacial en effervescence à l'intérieur de son corps.
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Quand Lucius fut à peine parti avec les filles, Harry se tourna vers Draco qui fulminait toujours.
– Tu tiens à ta chemise ?
– Pardon ?! fit Draco, interloqué. Oui, je...
– Alors va te changer... Quidditch ?
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– Nous voilà seuls toi et moi, émit piteusement Daphnée. Ça faisait longtemps...
Severus observa longuement la jeune femme : enceinte jusqu'aux yeux, épuisée par la fin de sa grossesse, à fleur de peau et devant gérer à présent un mari furieux de sa décision.
– Longtemps, oui... Depuis l'époque où ils se hurlaient dessus à propos du mariage...
– Je suis désolée, fit-elle précipitamment. Je n'aurais pas dû accepter la proposition de Lucius. Je n'aurais dû lui confier que les filles, ça nous aurait déjà soulagé... Mais Draco est coincé à la maison avec moi et il a plein de choses à faire au stade. Je pensais que ça lui permettrait d'avoir l'esprit plus tranquille et de pouvoir me laisser avec vous pour faire ce qu'il a à faire... Mais...
Le trop-plein d'émotion était clairement visible et menaçait de déborder incessamment sous peu. Merlin ! Il n'était pas équipé pour faire face à ça ! Pourquoi est-ce que Lucius et Harry étaient partis chacun de leur côté ? Eux auraient su quoi dire et quoi faire ! Remonter le moral d'une femme enceinte à bout de nerf n'était pas dans ses compétences !
– On a tous pensé ça, Daphnée, tempéra Severus. Et c'est pour ça que Luce vous l'a proposé... La fierté de Draco n'apprécie pas d'être mise au pied du mur mais il s'en remettra...
– Je sais que c'est de ma faute, gémit-elle en baissant la tête. Je voulais tellement que ça se passe autrement !
Et voilà ! Il aurait sans doute mieux fait de se taire ! Et maintenant qu'elle pleurait à chaudes larmes, était-il censé la prendre dans ses bras et la consoler ?! Il n'y avait qu'avec Harry qu'il arrivait à faire ça... Et encore ! Parce qu'il ne lui laissait pas le choix !
Severus claqua des doigts pour appeler un elfe de maison et à son arrivée, il fut presque soulagé de ne plus être seul avec la jeune femme en pleurs.
– Ramène-moi une potion calmante à base de camomille. Tout de suite.
– Je suis désolée que ça tombe sur toi, Severus, fit-elle d'une voix entrecoupée de sanglots. Je ne voulais pas craquer, mais...
Mais c'était trop tard. Avec une grimace vaguement compatissante, Severus tendit à Daphnée la fiole que l'elfe venait de lui donner.
– Prends ça.
– Tu es sûr que c'est possible ? Avec la grossesse ?
– J'ai été Maître de Potions, autrefois, fit-il en levant les yeux au ciel. Je ne pratique plus, certes, mais je suis certain que c'est compatible avec la grossesse.
– Je suis désolée, fit-elle à nouveau avant d'avaler le contenu de la fiole..
– Tu te répètes...
Daphnée osa un pâle sourire, elle avait senti dans son sarcasme plus de douceur que d'ironie. Il mollissait, visiblement. Ce qui n'était pas le cas de sa migraine qui enflait à vue d'œil. Severus se massa douloureusement le front sous le regard désormais alerte de la jeune femme.
– Je croyais que tu n'avais plus de migraines ?
– Elles sont devenues rares. Et Harry sait les soigner rapidement. Mais ça va passer tout seul...
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– Quidditch ? avait proposé Harry.
Draco avait certainement compris l'allusion à leur dernière partie de quidditch à Torquay, lorsqu'il s'était emporté sans raison après Minerva, et qu'ils étaient allés se défouler dans la prairie sur des balais... La scène était la même, si ce n'était que Draco s'était emporté après son père, qu'ils étaient au Manoir, et que, cette fois, sa colère semblait bien plus explosive et inépuisable.
Même dans sa façon de voler, Harry voyait sa fureur rentrée, les virages secs, les trajectoires tendues, aussi coupantes que Draco, et surtout les risques qu'il prenait. Peu importait la hauteur du sol, la présence des arbres, la vitesse inconsidérée qui l'empêcherait peut-être de freiner ou de virer à temps, Draco était décidé à en découdre, avec lui, avec le vif, mais surtout avec lui-même.
Balle après balle, son visage était toujours aussi fermé, sa bouche pincée, et le peu de fois où Harry croisait son regard, il ne reconnaissait pas ces yeux gris implacables de froideur et de dureté. Il faudrait bien plus qu'une heure ou deux de quidditch pour épuiser Draco. Physiquement, il était sans doute déjà fatigué, et sa chemise trempée de sueur et déchirée par les branches des arbres témoignait de l'âpreté de leur combat. Mais la colère envers son père et bien d'autres sentiments inavoués le tenaient raide de rage et inébranlable.
L'humiliation aussi, puisque Draco n'avait pas encore attrapé une seule fois le vif. Ce n'était pas pour rien que Harry s'était entraîné avec la meilleure équipe du championnat, et les réflexes payaient. Il était plus rapide, plus nerveux, plus habile, et malgré les risques qu'il prenait, Draco ne parvenait pas à mettre la main sur le vif, ce qui augmentait encore sa colère jusqu'à des sommets que Harry n'avait jamais vus. Il allait bien finir par exploser et laisser sortir toute cette rage accumulée en lui !
Trop distrait par ses pensées, Harry n'avait pas suivi des yeux la trajectoire de Draco et elle n'était pas innocente : il avait vu le vif, proche mais fuyant, et assurément bien trop loin de lui. Si Draco l'attrapait maintenant, il allait décréter la fin du match parce que son honneur serait sauf, et rien ne serait pourtant réglé. Et il était hors de question de le laisser repartir ainsi au Manoir, avec toute cette colère non évacuée.
Tentant le tout pour le tout, Harry accéléra, droit sur l'endroit où Draco se trouverait dans quelques secondes. Lorsque leurs trajectoires furent sur le point de se croiser, il redressa brusquement son balai, donnant un grand coup de manche sur celui de Draco, qui partit aussitôt en vrille, bien loin du vif qui était à portée de sa main.
Dès qu'il eut retrouvé son assiette, une vingtaine de mètres plus bas, son hurlement de rage se fit entendre, bien au-delà sans doute de la clairière dans laquelle ils « jouaient ».
– Putain! Putain de connard ! ESPÈCE D'ENCULÉ !
Éclatant de rire, Harry descendit en flèche pour se mettre à la hauteur de Draco, et avec un grand sourire narquois, il se fit un plaisir de lui dire :
– Et tu sais quoi ? J'adore ça !
Draco resta interdit quelques secondes, pâle de colère et vaguement honteux, suffisamment longtemps pour que Harry en profite pour se moquer à nouveau.
– C'est pas assez physique, le quidditch... Que dirais-tu d'un petit duel ? À l'ancienne, comme à Poudlard ? Sortilèges et magie noire... ?
– Ne me tente pas ! gronda sourdement Draco dont la fureur remontait à vue d'œil.
Même en vol, ils étaient assez près pour que Harry les fasse transplaner directement dans la salle de duel du Manoir et Draco sortit aussitôt sa baguette.
– Putain ! Tu pouvais pas supporter que j'attrape le vif, hein ! Il faut toujours que tu sois le meilleur, le plus connu, le plus adulé ! Tu peux pas supporter d'être moins que les autres, hein ?!
Merlin ! Draco semblait mûr à point ! Ses yeux gris brillaient d'une folie meurtrière, son visage était décomposé par la rage et il commençait à tout mélanger.
– Qui de nous deux ne supporte pas d'être moins que les autres, Draco ? susurra Harry en commençant à se déplacer sur le côté. Qui ne supporte d'avoir besoin d'aide, ou de demander quoi que ce soit à ses proches ? Qui ne supporte pas de ne pas être infaillible ?!
Le premier sortilège partit comme une fusée, d'une rapidité animée par sa furie. Peu importait que Harry n'ait pas de baguette, qu'il soit prêt ou non, Draco lâchait sa colère à coups de magie noire. Les sortilèges pleuvaient, inlassables et vicieux, que Harry évitait, esquivait ou absorbait dans sa magie. Et cette incapacité à le toucher énervait encore un peu plus Draco, comme lorsqu'il ne parvenait pas à attraper le vif tout à l'heure.
Si ce n'était pas encore assez pour le faire craquer, Harry décida de l'asticoter un peu. Si Draco ne parvenait pas à le toucher, lui pouvait toucher son adversaire et il entreprit de lancer quelques sortilèges cuisants ou de découpe, comme une mouche qui agace le taureau. Draco n'avait pas besoin de savoir que Harry ne pouvait lancer aucun sortilège d'attaque sans qu'il se retourne contre lui, ni qu'il ressentait donc chaque maléfice en même temps que lui, mais l'effet obtenu était à la hauteur de ce qu'il pensait : Draco était fou de rage et ne retenait plus rien, ni ses coups, ni ses mots, dilapidant sa magie à grands coups de sortilèges.
Aucun ne parvenait à toucher Harry : Draco était bien moins puissant que Severus, et bien moins rusé que son père, et surtout, pas du tout en état psychique de se battre correctement. Mais Harry avait déjà suffisamment à gérer avec la douleur et les blessures causées par ses propres sortilèges envers Draco. Certes, il n'était pas masochiste comme Severus, et il se prendrait sûrement un savon par son amant s'il avait vent de ce qu'il venait de faire, mais le résultat valait bien quelques désagréments, et même une ou deux cicatrices supplémentaires.
Harry mit quelques secondes à réaliser que le déluge de magie émanant de Draco venait de cesser. Le jeune homme était là, les bras ballants, hébété, avant de lâcher sa baguette et de tomber à genoux, le visage entre les mains. Draco sanglotait en silence, les épaules secouées de spasmes. Harry hésita un instant à s'approcher de lui : le jeune homme n'aurait peut-être pas voulu que qui que ce soit le voit ainsi, mais merde ! il avait montré à Draco des souvenirs bien plus humiliants et douloureux !
Harry s'accroupit en face de lui et posa doucement sa main sur son épaule, simple présence amicale... Draco se calma peu à peu, renifla une fois ou deux avant de s'essuyer les yeux d'une main et de redresser la tête sans le regarder pour autant. Merlin ! C'était comme s'ils avaient à nouveau dix-huit ans...
– Je suis désolé...
– Bière ? fit Harry.
– Hein ?
Draco leva enfin vers lui des yeux d'un gris délavé qui le regardaient sans comprendre.
– Est-ce que tu veux une bière ?
Draco hocha vaguement la tête tandis que Harry faisait apparaître deux bières et s'asseyait à côté de lui, ses bras entourant ses genoux pliés. Il leva sa bouteille un instant pour trinquer avant d'en avaler la moitié d'un seul coup. Il avait oublié à quel point le quidditch – et accessoirement un bon duel – pouvait donner soif !
Draco but une gorgée à son tour, puis le regarda longuement. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé au Manoir, Harry avait l'impression qu'il était vraiment calme et réellement lui-même.
– Je suis désolé. Pour ça, fit-il en désignant la salle de duel du goulot de sa bouteille. Pour tout... Et en particulier de t'avoir insulté alors que...
– Ce n'est pas une insulte, Draco, répondit Harry en souriant. C'est une réalité. Ce qui est dégradant, c'est de se servir de ça comme d'une insulte... Quant au reste... ce n'est pas à moi que tu dois des excuses, mais plutôt à Daphnée...
Draco esquissa une grimace qui faisait figure d'acquiescement, et but à nouveau.
– Je ne veux jamais avoir à me battre contre toi. Tu es effrayant... Je ne t'ai pas touché une seule fois, n'est-ce pas ?
Harry haussa les épaules en souriant.
– Est-ce bien important ? En tout cas, on devrait aller prendre une douche avant le dîner, ça sent le fennec !
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Quand Harry redescendit, il croisa les filles qui montaient à la douche sous la surveillance d'un elfe, parsemant l'escalier en colimaçon d'une odeur de cheval et de poussière. Lucius et Daphnée, eux, discutaient tranquillement dans le Petit Salon, seuls et dans une atmosphère bien plus paisible que le reste de la journée. Draco n'était pas encore descendu de sa propre douche; quant à Severus, il n'était visible nulle part.
Ce fut Daphnée qui répondit à son regard interrogateur d'une voix gênée.
– Il est monté tout à l'heure avec un début de migraine... Tu n'étais pas encore rentré...
La surprise non feinte de Lucius qui ne semblait pas au courant fut la seule chose qui tempéra sa brusque fureur. Harry imaginait bien ce que devait être un « début de migraine » avoué par Severus !
– Bon sang ! Mais vous me faites chier, les Malfoy, tous autant que vous êtes ! Tous les mêmes ! Y en a pas un capable de demander de l'aide !
Ils ouvrirent une seconde des yeux sidérés sur son brusque accès de voix et sa vulgarité. Lucius n'osa pas argumenter que techniquement, Severus n'était pas un Malfoy, mais ce que sous-entendait cette généralisation spontanée le fit sourire avec tendresse. Harry, lui, ne souriait pas du tout et transplana dans un craquement sec qui leur vrilla les tympans.
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Rideaux tirés et toute lumière éteinte, la chambre de Severus était plongée dans la pénombre. Harry devina pourtant sans peine la silhouette de son amant, allongé sur le lit et un bras en travers de son visage pour cacher ses yeux. Sans prendre la peine de refermer la porte silencieusement, il s'avança dans la pièce et alla rapidement s'asseoir à la tête du lit. Merde ! Il était trop furieux pour faire attention à ses gestes !
– Viens t'installer.
La sécheresse de son ordre n'empêcha pas Severus d'obéir en silence et de venir poser sa tête sur ses jambes croisées en tailleur.
– Ne compte pas sur moi pour prendre des gants, on nous attend pour dîner !
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Severus avait grogné contre sa façon de faire, mais ils étaient arrivés à l'heure pour le dîner. Le seul qui manquait était Draco, que Lucius envoya chercher par un elfe.
– Le jeune maître dort, Maître...
– Il dort ?! s'exclama Lucius, surpris.
– Tout habillé sur son lit, mais il dort, Maître.
Lucius échangea un regard avec Daphnée, tout aussi surprise que lui, puis se tourna vers Harry qui était le dernier à l'avoir vu.
– Je suppose qu'il est épuisé... Il n'avait déjà pas l'air très en forme en arrivant, et... la partie de quidditch a été... intense.
Ce n'était sans doute pas le moment de parler du duel, ni du « craquage » de Draco.
– C'est vrai qu'il ne dort pas bien ces temps-ci, intervint Daphnée. Il est bien trop préoccupé par la naissance, la saison qui reprend...
– Bon, bon, fit Lucius avec un geste de la main pour couper court aux explications. Qu'il dorme... Quant à nous, mangeons.
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Draco ne reparut pas de la soirée, au demeurant fort brève, puisque Iris, fatiguée par la promenade à cheval, s'endormit rapidement sur les genoux de Severus. Daphnée prit alors congé pour aller mettre ses filles au lit et se coucher elle-même. La journée avait été riche en émotions pour tout le monde...
Quand Severus redescendit après avoir bordé la fillette, ils restèrent un moment dans le Petit Salon enfin calme, à boire un verre en silence. Lucius restait songeur avec son cognac, son bras sur le dossier du canapé et ses doigts jouant avec les cheveux de Harry sans même s'en apercevoir. Son geste machinal n'était en revanche pas perdu pour tout le monde, et au moment de monter se coucher, Harry n'avait plus du tout sommeil.
Arrivés en haut de l'escalier, l'hésitation de Lucius et de Severus fut de courte durée puisque Harry se dirigea directement vers sa propre chambre.
– Harry, murmura Severus en le retenant par le bras.
– Ne t'inquiète pas, je vous rejoins, répondit-il en souriant.
Avaient-ils vraiment l'intention de lui proposer de dormir avec eux, ou simplement de lui dire bonne nuit ? Il n'en savait rien, mais ce soir, c'était lui qui était demandeur d'une nuit partagée.
Severus jeta un regard hésitant à son compagnon.
– Je n'ai rien contre, mais je ne veux pas que Draco et Daphnée soient au courant pour l'instant, fit Lucius. Ils ont assez à gérer comme ça, et moi aussi !
– C'est un des avantages de pouvoir transplaner où bon me semble ! ricana doucement Harry.
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– Ah non, pas ce soir, s'il-te-plaît, marmonna Lucius en chassant la main trop entreprenante du jeune homme pour la poser tranquillement sur son torse.
Harry gémit de dépit et se tourna vers Severus, pas plus disposé à répondre à ses avances.
– Purée, j'ai passé dix ans sans avoir un orgasme et maintenant que j'ai deux amants, deux amants, y en a pas un pour me satisfaire ! geignit-il d'une voix désespérée pour les provoquer.
La moquerie n'atteignit pas son but, et il eut beau s'agiter, gémir, tenter de les faire réagir de ses paroles, ses lèvres, ses mains ou en se collant contre leur corps, Harry n'obtint pas gain de cause. Il finit par s'endormir sur sa frustration, fermement serré dans les bras de Severus, et gémissant encore de temps à autre.
Quand il fut vraiment calmé et profondément endormi, Lucius se décala légèrement pour faire une place à son compagnon.
– Viens là.
Sans réveiller Harry entre eux, Severus se glissa de l'autre côté du lit.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Rien, murmura Lucius. J'avais juste très envie de t'avoir dans mes bras...
Severus caressa le visage de son compagnon avant de l'embrasser longuement.
– Tu me manques, murmura-t-il. Et ça fait trop longtemps que je n'ai pas fait l'amour avec toi...
– Il fallait profiter de lui, sourit Lucius. Il ne demandait que ça !
– Pas ce soir. Pas comme ça. Harry n'était pas dans son état normal...
Lucius redressa instinctivement la tête pour croiser le regard de Severus, même si l'obscurité l'empêchait de voir quoi que ce soit.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Tu as bien vu son comportement... Harry n'avait pas envie de faire l'amour, il voulait juste se faire baiser.
– Sev !...
– C'est vrai. Je commence à le connaître. Je t'ai déjà dis qu'il avait parfois un rapport particulier au sexe. Le même genre de rapport que je peux avoir avec la douleur... Un besoin de sensations accrues qui permet de défouler une certaine tension...
– Et pourquoi ne pas l'avoir fait alors, si tu en avais envie également ?
Severus grogna puis finit par répondre :
– Parce que je ne voulais pas que notre première fois à trois ressemble à ça.
Lucius sourit dans l'obscurité et serra un peu plus son compagnon dans ses bras.
– J'aime bien, finalement, quand tu es aussi romantique que lui...
– Ce soir, il n'aurait pas été romantique, crois-moi !
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Severus laissa filer un silence avant de reprendre. Il avait certaines choses sur le cœur depuis trop longtemps pour ne pas profiter de l'instant particulier pour les confier à Lucius.
– Il aurait pu nous obliger s'il l'avait voulu, tu sais... Sa magie est même capable de ça ! Il l'a fait une fois ou deux avec moi, jusqu'à ce que je le baise comme un chien. Je me suis rarement senti aussi coupable...
Lucius le caressa tendrement avant de poser un baiser sur son visage.
– Si c'est lui qui le souhaitait...
– Tu n'imagines pas ce que c'est que d'émerger de ce brouillard dans lequel te plonge sa magie pour te voir en train de le baiser et lui en train de pleurer... Et le pire c'est que j'ai quand même joui !
Lucius resta silencieux en caressant distraitement Severus. Il n'imaginait pas ce que c'était, non. Il n'imaginait pas non plus Harry sous ce jour-là, et il ne comprenait surtout pas pourquoi il pouvait avoir ce genre de comportement. La souffrance de Severus était clairement lisible dans la dureté de sa voix, mais quelle était la souffrance de Harry pour mener à ce genre de choses ? Qu'avait-il vécu, loin, là-bas, sans eux, pour aboutir à ça ?...
– Pourquoi faut-il qu'il ait été si malheureux ? murmura-t-il.
– Comme Maya me l'a dit un jour : il ne serait pas celui que tu aimes s'il n'avait pas vécu ce qu'il a vécu...
Lucius maugréa pour toute réponse, et encore davantage quand Severus s'éloigna brusquement pour regagner sa place dans le lit, de l'autre côté du corps tranquille du jeune homme.
– Il dormira mieux entre nous, se justifia Severus. Et tu devrais en faire autant tant qu'il est encore calme. La nuit risque d'être agitée...
– Pourquoi ?
– Parce que ni toi ni moi n'avons voulu le baiser et qu'il s'est endormi avec toute la tension qu'il avait besoin d'évacuer, soupira Severus. Il va certainement s'agiter et faire des cauchemars...
– Je croyais que c'était passé, ça ?!
– Il en fait moins, beaucoup moins... Mais ça arrive encore. Et à mon avis, cette nuit n'y échappera pas.
Lucius soupira à son tour. Severus avait pris sur lui tout ce temps, sans lui dire le dixième de ce qui se passait avec Harry. Il avait cru que tout allait bien, que tout allait mieux, que Harry n'était que le jeune homme souriant et malicieux qu'il voyait la journée, et ce n'était visiblement pas toujours le cas. La nuit, les mauvais rêves et les expériences passées le rattrapaient dans l'inconscience du sommeil... Il comprenait d'autant plus que Severus ait parfois besoin de souffler et de venir s'appuyer sur lui.
– Tu préfères que je l'emmène dormir ailleurs ?
– Non ! Bien sûr que non ! sursauta Lucius. J'ai signé pour ça aussi...
Le mot était peut-être malheureux et il n'échappa pas à Severus.
– Tu n'as rien signé du tout, bougonna-t-il. Et tu n'es pas obligé...
– Ça suffit, l'interrompit Lucius. Harry a sa place ici, tout autant que toi. Et si tu dis qu'il dormira mieux avec nous deux, c'est une raison supplémentaire pour qu'il soit là.
Lucius n'osa pas lui proposer de dormir ailleurs pour qu'il puisse se reposer, de peur qu'il le prenne mal, mais il tendit la main pour prendre celle de Severus et entrelacer ses doigts avec lui par-dessus le corps du jeune homme. Merlin ! Il allait devenir romantique et mièvre lui aussi !
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Severus dormait depuis une heure ou deux quand Harry commença à s'agiter et à gémir, sursautant dans son sommeil, se retournant brusquement comme pris par surprise et se débattant contre les draps. Il voyait bien que Lucius s'était réveillé lui aussi et assistait au spectacle de ce tumulte nocturne d'un regard dépassé.
Malgré les caresses et les paroles apaisantes, Harry geignait de plus en plus fort, marmonnant de temps à autre des mots en nahuatl. Severus attrapa sa baguette sur la table de nuit et jeta un sort de silence sur la chambre; il n'était pas question de réveiller l'ensemble de la maisonnée si Harry faisait trop de bruit. Bien lui en avait pris puisque Harry poussa soudain un cri de douleur aiguë avant de se mettre à pleurer, à genoux dans le lit et recroquevillé sur lui-même.
Tant bien que mal, Severus le fit basculer sur le côté pour le prendre dans ses bras, secoué malgré lui par les sanglots du jeune homme. Perdu dans son cauchemar, Harry paraissait inconsolable, poussant régulièrement des gémissements qui tenaient presque de cris. Mais par rapport à d'autres fois où sa douleur avait semblé davantage morale et issue de ses souvenirs, là il s'agissait d'une douleur physique et ses pleurs étaient ceux, anarchiques et suppliants, d'un trop-plein de souffrance. Mais dans un cas comme dans l'autre, il n'y avait pas grand-chose à y faire.
– Il faut le réveiller ! fit Lucius d'un ton aussi implorant que les cris de Harry.
– Tu n'y arriveras pas, marmonna Severus. Pas plus qu'à le stupéfixer. Sa magie s'en défendra.
À vrai dire, il n'y avait qu'une seule chose qui marchait parfois, et c'est ce qu'il fit : s'allonger sur le jeune homme de tout son long jusqu'à ce que son poids finisse par l'immobiliser malgré ses mouvements et ses sursauts. Le nez enfoui dans les draps au point de presque suffoquer, les bras maintenus de force le long du corps, Harry finit par se calmer peu à peu, geignit encore une fois ou deux avant de tourner le visage sur le côté et de se rendormir profondément.
Severus attendit quelques minutes d'être certain que le jeune homme soit désormais tranquille avant de se détendre en soupirant. Il relâcha lentement ses poignets; Harry aurait peut-être des marques demain mais il n'avait pas pu faire autrement. Il tourna enfin la tête vers Lucius dont il devinait les yeux écarquillés dans l'obscurité, et posa sa joue sur la peau moite du dos de Harry.
– Ne t'inquiète pas. Demain, il ne se souviendra de rien. Comme à chaque fois.
– Merlin ! fit Lucius en passant sa main sur le dos de Severus. Et tout ça parce que je me suis disputé avec Draco ?!
– Ce n'est pas que ça... Mais il a clairement du mal avec le fait que vous vous déchiriez...
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Il fallut deux jours à Draco pour retrouver son naturel et son attitude habituelle – et cela après une longue discussion dans le bureau de son père dont ils sortirent plus proches qu'avant – mais à peine quelques heures à Harry. Le lendemain matin, il se réveilla frais comme un gardon, sous le regard surpris et circonspect de Lucius, savoura un moment l'étreinte de ses amants avant de transplaner dans sa chambre comme s'il avait dormi là toute la nuit.
L'irruption indélicate de Minerva donna raison à sa prudence et il s'en félicita en ricanant. La tendresse et l'amour seraient pour plus tard; il ne restait plus qu'à espérer que Daphnée accouche rapidement.
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La journée fut sereine et tranquille, comme devaient l'être les dernières journées chaudes de l'été, celles que l'on savoure avant la reprise de l'école ou du travail, celles qui précèdent le retour de l'automne et des tempêtes.
Les fillettes vaquèrent à leurs occupations habituelles au Manoir : la piscine, la salle de jeux, jouer les robinson dans les jardins... Severus, qui n'avait pas été nager le matin pour rester avec Harry et se reposer de leur mauvaise nuit, profita de la piscine extérieure pendant l'après-midi, tandis que Daphnée, Lucius et Harry paressaient sur la terrasse. Draco, lui, partit au stade pour préparer la nouvelle saison, rassuré par le fait que Daphnée ne restait pas seule. Somme toute, la journée telle qu'elle aurait dû se passer la veille.
Les jours suivants s'écoulèrent sur le même modèle, si ce n'était que Harry allait travailler le matin à Sainte-Mangouste, et que Severus allait ouvrir la Librairie. Leurs horaires étaient suffisamment souples et malléables pour qu'ils puissent être présents pour Daphnée si Draco et Lucius devaient s'absenter en même temps, et finalement, chacun y trouvait son compte.
De ce qui s'était passé lors de leur combat dans la salle de duel, ni Harry ni Draco ne souhaitèrent en reparler. La nécessité ne s'en faisait pas sentir, pas plus qu'ils n'avaient reparlé quelques mois auparavant des souvenirs que Harry lui avait montrés. Il comprenait la difficulté de la période que traversait son ami, la naissance imminente qui lui laissait des inquiétudes qui ne seraient résolues que lorsque tout le monde irait bien, la pression – peut-être excessive – que Draco mettait sur ses propres épaules, sa difficulté à reconnaître en son père quelqu'un qui puisse l'aider... Mais craquer lui avait fait du bien, ne serait-ce que pour se vider une bonne fois pour toutes de ses tensions, et paradoxalement, il en était ressorti plus proche de son père.
Et puis Daphnée allait mieux, elle aussi, et cela contribuait grandement à la sérénité de leur couple et de la fin de sa grossesse. Même si elle avait toujours des contractions douloureuses qui la figeaient, immobile, pendant une ou deux minutes, à chaque fois qu'elle se levait ou faisait un mouvement qui tirait sur son ventre, elle en plaisantait de nouveau, et puis surtout, elle prenait le temps de vraiment s'économiser et s'écouter. Elle semblait confiante, pressée d'accoucher pour retrouver enfin une certaine légèreté et pouvoir se déplacer plus librement mais elle savourait aussi les derniers jours de ce qui serait sa dernière grossesse, les mouvements du bébé dans son ventre que bientôt elle ne sentirait plus, cette communion particulière avec son enfant qu'elle vivait avec une forme de nostalgie douce-amère, une mélancolie tendre de ce qui touche à sa fin...
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Leur présence s'était fondue dans la vie du Manoir, l'habitude tranquille des petits-déjeuners pleins du babillage des filles, du verre de vin qu'ils prenaient le soir avant le dîner pendant qu'elles étaient au bain et des soirées dans la Salle de Cinéma ou le Petit Salon, où les genoux de Severus étaient systématiquement occupés par Iris, et où Harry ne pouvait décemment pas s'approcher de Lucius.
Au final, la seule faille dans tout cela était la distance entre eux et le manque de sexe. Lorsque Severus rentrait de la Librairie, il était immédiatement accaparé par Iris, qui ne le lâchait pas jusqu'à ce qu'elle aille se coucher. Elle était sans doute inconsciemment inquiète de l'imminence de la naissance, et du coup, passait son temps à se raccrocher à la présence rassurante de son grand-père. Ce qui ne laissait pas vraiment de place pour Harry. Encore moins qu'à Torquay, il ne parvenait pas à s'approcher de son amant. Ni baiser, ni tendresse, sans même parler de câlin le soir sur le canapé.
Et avec Lucius, la distance était encore plus grande puisqu'il ne souhaitait pas que Draco et Daphnée soient au courant pour l'instant, et encore moins les filles. L'éloignement était tel que le vouvoiement paraissait à Harry bien plus naturel et spontané que le tutoiement qui lui avait échappé une fois ou deux dans l'intimité.
C'est bien simple, s'il n'y avait pas eu les nuits qu'ils passaient ensemble – du moment où tout le monde était couché jusqu'au petit matin où Severus se levait pour aller nager et Harry regagnait sa chambre pour prendre sa douche – il aurait eu l'impression d'être un simple invité. Et encore, ces nuits étaient désespérément chastes ! Est-ce que Lucius et Severus trouvaient de leur côté des moments à passer ensemble où ils puissent se satisfaire ? Il n'en savait rien, mais il sentait sa frustration personnelle monter en flèche et le rendre irascible. Même à Torquay, il avait davantage fait l'amour avec Severus ! Même au Manoir, lors des précédents séjours de Draco et sa famille, ils avaient trouvé le temps de s'envoyer en l'air avec un bon sortilège de silence ! Certes, il y avait la présence de Draco, Severus avait repris le travail, Lucius ses réunions et ils étaient fatigués, mais cela devenait de la torture. Harry en était au point de songer parfois à se soulager lui-même sous la douche, mais il savait que ce n'aurait été qu'un pis-aller. Ce qu'il voulait, c'était que Severus, ou Lucius, lui fasse l'amour et Merlin ! Ils ne seraient pas trop de deux pour ça !
Ce qu'il ne comprenait pas, c'était pourquoi les deux hommes refusaient même les fellations, les caresses, les baisers qui menaçaient de dégénérer en autre chose. Ils se contentaient de quelques gestes tendres le soir en se couchant et le matin au réveil, et il fallait à nouveau s'ignorer pour le reste de la journée! Finalement, c'était pire que de faire chambre à part ! Au moins, il n'aurait pas eu cette tentation permanente sous les yeux et sous la main !
En y réfléchissant bien, ça ne faisait que trois ou quatre jours depuis que Lucius et Severus s'étaient amusés à le sucer chacun leur tour, jusqu'à ce qu'il se mette à pleurnicher en jouissant dans une bouche dont il n'avait même pas su à qui elle appartenait... mais cela lui paraissait une éternité. Et puis il avait envie de plus. Il avait vaguement envie de faire l'amour à Severus, mais il avait surtout envie de se faire sauter. De les sentir l'un et l'autre à l'intérieur de lui jusqu'à ce qu'ils se vident dans ses entrailles. Peu importait qui d'abord, comment, dans quelle position... il voulait les sentir en lui et leur appartenir.
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– Hey ! Salut, beau gosse !
– Blaise ?! s'exclama Harry. Qu'est-ce que tu fais là ?
– Je viens rendre visite à mon futur filleul et accessoirement à ses parents !
Le jeune homme lui claqua un baiser sonore sur la joue et se laissa tomber sans façon dans un des fauteuils du salon de jardin.
– Ton futur filleul est encore bien au chaud, grand bien lui fasse ! Et sa mère se repose en prévision du grand jour !
– Houlà ! Toi tu as mauvaise mine et tu as l'air de bien mauvaise humeur !
– Blaise ! Ça fait plaisir de te voir ! s'exclama Draco en le rejoignant pour l'étreindre. Comment vas-tu ? Tu as l'air radieux !
Achevant de nouer sa serviette de bain autour de ses hanches, Draco s'assit à son tour, passant sa main dans ses cheveux humides pour se recoiffer. Plus loin, Minerva et Iris jouaient dans la piscine sans avoir encore aperçu leur parrain.
– Le sexe, très cher, le sexe... Ça me va bien au teint, rit-il en caressant sa joue dont la peau noire semblait lumineuse. Harry devrait essayer !
Il se contenta de bougonner une réponse indistincte, la seule qui lui venait clairement à l'esprit étant d'inviter le jeune homme à aller faire ce dont il rêvait lui-même.
– Eh bien ? ricana encore Blaise. Severus a une petite défaillance ? Il ne parvient plus à te satisfaire ?
– Blaise..., tempéra Draco qui voyait bien que le sujet était réellement épineux. Et toi, toujours avec ta poupée russe ?
– Oh, elle n'a rien d'une poupée, crois-moi ! gloussa Blaise en claquant des doigts pour appeler un elfe de maison. Mis à part de pouvoir lui faire prendre des positions étonnantes ! La danse, ça a du bon ! Et tu pourras dire à ton ami Matthieu, ajouta-t-il en se tournant vers Harry, que le coup du grand écart, c'est vraiment impressionnant. Pas sur un lit, c'est trop mou, mais quand tu es allongé sur un tapis et que tu la vois descendre comme ça, directement...
– Blaise ! fit à nouveau Draco avec un sourire indulgent.
– Une bière, ordonna Blaise à l'elfe de maison qui attendait sa commande. Et mon filleul, alors ? On sait comment tu l'as fait, celui-là, mais on aimerait bien voir sa frimousse !
– D'un jour à l'autre, fit Draco avec un geste vague. Ou la semaine prochaine...
– Vous l'appellerez Désiré !
Brusquement plus sérieux, Blaise se figea un instant pour observer Draco.
– En tout cas, tu as bien fait de venir au Manoir. Tu es plus détendu que la semaine dernière.
Draco haussa les épaules avec un sourire fugitif tandis que s'élevaient les cris de joie d'Iris et Minerva. Elles sortirent de la piscine en trombe pour se jeter, ruisselantes, dans les bras de leur parrain.
– Et mes princesses ? Comment elles vont ? s'émerveilla Blaise.
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– Et où sont les patriarches ? gloussa-t-il en rangeant sa baguette après avoir séché ses vêtements.
– Comme d'habitude, répondit Draco. À la Librairie et au Ministère...
– Lucius est à Paris, précisa Harry.
Il bougonnait toujours, vaguement agacé pour il ne savait quelle raison, et s'était senti obligé de faire remarquer son erreur à Draco. C'était mesquin, sans doute, et d'ailleurs, Draco le regarda d'un drôle d'air.
– C'est possible, éluda-t-il. Il a toujours des réunions à droite, à gauche, et en ce moment il est souvent à Paris...
– Et on a ce fichu mariage samedi ! gémit Harry pour lui-même en passant sa main sur son visage.
Pris par les vacances et bien d'autres choses, il avait longtemps oublié le mariage de Francis et Mandy à Paris. Lucius s'était chargé de le lui rappeler la veille au soir et cela lui apparaissait maintenant comme la pire des corvées.
– Vous êtes de mariage samedi ?! fit Draco, interloqué.
Visiblement, les oublis étaient partagés : Lucius ne semblait pas avoir prévenu son fils de leur absence.
– Oui. Le Ministre de la Magie français... J'avais dit que j'irai, grimaça-t-il.
– Ouh ! Tu commences à fréquenter trop de beau monde, toi ! gloussa Blaise. Je vais bientôt devoir te donner du « Monsieur » ou du « Lord » ! Ne t'inquiète pas, fit-il à Draco, je viendrai te tenir compagnie pendant l'absence de ces Messieurs !
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Le dîner fut particulièrement enjoué ce soir-là, dû à la présence effervescente de Blaise, et il sembla à Harry que cela faisait bien longtemps qu'il n'y avait pas eu autant de rires au Manoir. Depuis son anniversaire peut-être... Draco était complètement détendu depuis que le parrain de ses filles était arrivé, chose que Harry n'avait pas réussi à obtenir de lui en plusieurs jours, et même Daphnée avait réclamé un peu de calme sous peine d'accoucher sur le canapé à force de rire.
La seule anicroche fut une conversation amenée bien malgré lui par Blaise. Il s'enthousiasmait auprès des fillettes de leur chance d'être bien entourées, d'avoir des grands-parents du côté de Daphnée, mais aussi Lucius et Severus, ainsi qu'une marraine et un parrain fabuleux... Le sous-entendu s'étonnait avec admiration de la facilité avec laquelle elles étaient passées de l'image de PapiLuce et son ami Sévie, à celle de leurs deux grands-pères qui s'aimaient et vivaient ensemble. Et chacun sourit en silence de cette évidence qui aurait dû avoir lieu bien avant.
Mais Minerva, dont la curiosité semblait toujours surgir mal à propos, se tourna brusquement vers Harry pour une de ces questions piquantes dont elle avait le secret.
– Et toi, si tu veux pas être le parrain du bébé, t'es quoi pour nous ?
– Moi ? Je ne suis rien, ma puce. Juste un ami de ton père...
La question, autant que sa réponse, firent tiquer, mais il s'en fichait. Que la vérité nue soit dérangeante n'était pas son problème. Et d'ailleurs, elle ne dérangeait que les adultes présents. Minerva et Iris, elles, trouvaient cette vérité-là très évidente.
– Et quand t'étais petit, t'avais des grands-parents, toi aussi, qui te prenaient en vacances ? Pour faire des ballades à cheval et des gâteaux dans la cuisine ?
– Heu, non, hésita Harry. Pas vraiment...
– Ils te prenaient pas en vacances ?
– Non. J'ai pas eu de grands-parents, en fait...
– Aucun ?
– Non, aucun.
– Et tes parents, ils faisaient comment quand ils travaillaient et que toi tu étais en vacances ?
– Minerva, intervint Lucius. Laisse Harry tranquille.
Que ce soit Lucius qui se manifeste pour interrompre la conversation le surprit, mais Harry haussa les épaules. Il pouvait répondre sans problème, ces choses-là étaient trop anciennes pour l'atteindre encore.
– Pourquoi ? fit la fillette avec aplomb. Il ne faut pas parler de la famille de Harry ?
De son regard gris métallique, elle toisait son grand-père avec un peu trop d'aplomb pour son âge, tout en ayant bien conscience d'avoir mis les adultes au pied du mur. Mais sa présence d'esprit était piquante et Harry éclata de rire malgré lui devant l'attitude figée de Lucius et Severus.
– On en parlera tous les deux si tu veux, ma puce. Il n'y a rien de secret ou de honteux, ce n'est juste pas une histoire très drôle...
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Quand il fut vraiment tard et que Daphnée et les filles furent montées depuis longtemps, il devint évident que Blaise n'avait pas réellement envie de partir. De toute façon, il était ici presque comme chez lui – malgré l'agacement certain de Severus – et devant son enracinement sur le canapé et avec son verre de cognac, les maîtres de maison finirent par prendre congé et monter eux aussi se coucher.
Harry n'avait pas fait un mouvement pour se lever et il perçut leur regard hésitant. Il n'avait pas l'intention de monter maintenant, même s'il travaillait le lendemain matin, et de toute façon, il avait décidé de ne pas dormir avec eux cette nuit. Sa frustration était bien assez élevée pour ne pas en rajouter. Comme à l'époque où Lucius distillait les nuits qu'il pouvait passer avec Severus et où il en était venu à préférer ne pas le croiser le matin à la piscine. Ces moments-là, comme les nuits actuellement, avaient un goût de trop peu, et Harry préférait rien du tout que cette aumône insuffisante.
Il leur souhaita simplement bonne nuit, les vit hésiter à s'approcher pour un dernier baiser, particulièrement Lucius, mais le mouvement soudain de Blaise pour les saluer coupa court à leur incertitude et ils finirent par se retirer sans un mot ou un geste de plus envers lui. Sans doute comptaient-ils que Harry les rejoigne un peu plus tard pour pouvoir se rattraper...
La scène n'avait cependant pas échappé à Blaise et à Draco qui le regardèrent d'un œil circonspect.
– Vous êtes bien distants...
Harry haussa les épaules en avalant une gorgée de cognac et Blaise reprit sa conversation tranquille avec Draco.
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Perdu dans ses pensées sans vraiment écouter ce qu'ils disaient, Harry songeait à la curiosité de Minerva qui avait mis tout le monde si mal à l'aise. Sauf lui et les fillettes. Bon, lui aussi à vrai dire; pas que parler de cette époque, de son simulacre d'enfance et de famille le gêne, mais il sentait bien la gêne des autres à l'évocation de sa vie misérable.
Et brusquement, Harry repensa aux confidences rapides de Severus l'autre matin... Il avait mis ces informations de côté, plus perturbé par le fait de connaître si peu de choses sur Lucius par rapport à son amant, mais il y songeait maintenant sous un autre jour. Lucius avait perdu sa mère avant ses deux ans. À peu près au même âge que lui. Il avait donc grandi avec son seul père – dont le peu de choses que Harry savait par Draco ne donnait vraiment pas envie – et des elfes de maison, dont cette créature étrange à qui il vouait une pleine confiance.
L'enfance qui avait façonné Lucius ne semblait pas avoir été plus facile que la sienne. Pas plus que celle de Severus, entre maltraitance et misère. Ni celle de Draco, marquée par la guerre, l'ombre de Voldemort et la mort de sa mère. Il ne connaissait pas assez Blaise pour savoir ce qu'avait été sa vie, mais en tant que Sang-Pur qui avait préservé sa neutralité sous Voldemort, tout n'avait pas dû être simple non plus. Au final, ils représentaient tous ensemble les deux générations perdues pendant les deux guerres : la leur, marquée par la réapparition de Voldemort et la Terreur, et celle de Lucius, de Severus, de ses parents et de son parrain, qui avaient pris la première guerre de plein fouet à l'entrée dans l'âge adulte, sans toujours faire les bons choix. Minerva, Iris et ce bébé qui n'avait pas encore de nom, seraient en revanche une génération épargnée et cela n'avait pas de prix. Mais Merlin ! que c'était moche de se dire que Lucius et Severus faisaient partie de la génération de ses parents !
– Bon sang, Harry ! Monte et va tirer un coup si tu es si grognon, gloussa Blaise. Tu fais une de ces têtes d'enterrement !
– Il est couché, grogna-t-il. Et de toutes façons...
Il n'allait pas dire que de toutes façons, Severus ne voudrait pas, ni même suggérer que Blaise avait raison au sujet de sa frustration... il ne dirait rien, ça vaudrait mieux.
– Eh bien, sors ! Trouve-toi un mec dans un sauna ou une backroom, comme avant, et envoie-toi en l'air ! Vous ne vous êtes pas juré fidélité, non ?!
Tromper Severus ? Quelle idée !... D'autant que maintenant, il y avait Lucius et qu'il n'avait aucune envie d'aller voir ailleurs. Les deux hommes lui suffisaient largement ! Enfin, pas sur tous les plans, mais bon.
– Humpf. Ça ne me viendrait même pas à l'idée !
– Il couche bien avec Lucius, lui !
– Et alors ? Moi...
Se mordre la langue ne fut pas suffisant pour rattraper le mot de trop. Même s'il n'avait pas été au bout de sa pensée, sa façon de parler, légèrement désabusée, son intonation qui soulignait le mot manquant, signifiaient trop ce qu'il n'avait pas dit. Et Draco et Blaise avaient parfaitement saisi le sens profond de son silence.
– Alors, ça y est ? T'as couché avec mon père ?!
Et merde ! Lucius allait le tuer, c'était certain ! À moins que Draco ne le fasse avant, lentement, à petits feux... En tout cas, son regard n'augurait rien de bon, entre colère, lassitude et mépris. Merlin ! Il pouvait supporter beaucoup de choses venant de Draco, mais pas son mépris ! Lucius avait été plus que consentant, à ce qu'il sache !
– On peut le comprendre, avança Blaise avec un sourire amusé.
– Parce que toi aussi, t'as couché avec mon père ?! gronda Draco à mi-voix.
L'intervention de Blaise était inattendue et Harry l'observa un instant tandis que le jeune homme prenait de plein fouet le courroux de Draco. Il faisait preuve d'une assurance paisible qui semblait cacher bien des informations.
– Non, je n'ai jamais couché avec ton père, assura-t-il tranquillement. Mais il faut avouer que dans son genre, il est assez... fascinant. Le pouvoir, l'aplomb, la prestance... Et j'ai cru comprendre qu'il avait, pour certaines pratiques différentes, une connaissance et une expérience approfondies.
Harry ne savait pas si l'allusion de Blaise concernait bien ce qu'il pensait, mais son trouble fut sans doute révélateur et Blaise afficha un sourire jubilatoire.
– Je ne savais pas que tu étais adepte de ce genre de choses, insinua-t-il.
– Je... Non. Pas moi. Merde, tu fais chier ! Je ne sais même pas de quoi tu parles !
Blaise ricana avec délectation de son embarras tandis que Draco les fusillait du regard.
– J'ai le souvenir d'avoir organisé une exposition de photographie, il y a quelques années, dont le thème était le sado-masochisme et le shibari... Attention, que des grands noms, hein ! Mapplethorpe (1), Nobuyoshi Araki, etc... Rien de vulgaire !... Lucius était particulièrement « taquin » ce soir-là... Il avait l'air très familier de cet univers et presque... prêt à me le faire découvrir.
– Merlin ! Je vais vomir ! lâcha Draco en se cachant le visage entre les mains.
– Trop de cognac, mon Drake chéri ? ironisa Blaise.
Trop surpris pour réagir, Harry ne savait pas s'il devait remercier Blaise d'avoir détourner l'attention de Draco ou le maudire pour avoir mis ce genre de choses en lumière. Ce que pratiquaient Severus et Lucius, auquel il assisterait peut-être un jour, leur appartenait et ne regardait qu'eux. Et lui, éventuellement. Cela le fascinait bien trop pour qu'il reste longtemps en retrait à ce sujet. La grande interrogation sous-jacente était de savoir ce qu'il répondrait si Lucius lui proposait la place de Severus... S'il s'agissait de regarder, voire même de participer dans une certaine mesure, il connaissait déjà sa réponse. Quant à subir... ?
Harry secoua la tête pour chasser ses pensées licencieuses. Ce n'était sans doute pas le moment ! Il devait... clarifier cette situation auprès de Draco. Encourir sa colère s'il le fallait, mais il ne pouvait pas simplement rester sur cette révélation comme une bombe posée sur la table et dont chacun détournerait les yeux.
– Draco, je...
– Oh, ça va ! N'en rajoute pas hein ! Je crois que tu en as assez dit et assez fait !
– Draco, intervint Blaise encore une fois. Arrête cette comédie puérile ! Ton père est assez grand pour faire ce qu'il veut et avec qui il veut. Que je sache, il n'a pas besoin de ton consentement. Et Harry non plus. Tu étais bien prêt à te passer du sien pour épouser Daphnée !
Bon. Un jour, dans le futur, il discuterait avec Blaise de cette soirée et il lui offrirait un bon verre, voire une bouteille entière, pour avoir autant pris sa défense ce soir. Et pour lui tirer les vers du nez aussi, pour savoir pourquoi il avait tant fait en sa faveur.
– Severus ne te suffisait pas, bon sang ?! Il te fallait aussi mon père ?!
– J'ai comme l'impression que Severus est parfaitement au courant de tout cela, fit Blaise avec un sourire discret. Et même qu'il le valide... Je me trompe ?
– Non. Tu as raison, répondit lentement Harry en se tournant vers Draco. Il n'y a rien de caché entre ton père, Severus et moi. Même si tout est très frais, et pas encore bien défini, nous sommes tous les trois... je ne sais pas encore quoi, mais nous le sommes ensemble. Je suis désolé si c'est inconfortable pour toi, si ça te met mal à l'aise ou que tu réprouves ce qui se passe, mais... j'apprécie ton père autant que j'apprécie Severus. Et je n'ai aucune intention de lui faire du mal, ou de les séparer ou de je ne sais quoi d'autre. Je te demande juste un peu de temps... pour nous laisser construire ce que nous avons à construire.
Harry avait rarement été aussi mal à l'aise face à Draco... Peut-être le jour lointain où il lui avait avoué son attirance pour son parrain, et encore ! Et c'était d'autant plus compliqué de défendre cette relation qu'ils n'avaient pas encore eu le temps de la mettre en place, en raison de la venue de Draco et de sa famille. Severus était son amant depuis longtemps, mais Harry n'avait pas partagé beaucoup de moments avec Lucius depuis qu'ils avaient couché ensemble, et encore moins de moments à trois. Rien de suffisant pour savoir comment se définir, se positionner les uns par rapport aux autres et présenter ce qu'ils étaient à l'extérieur.
Il voulait du temps, ils avaient besoin de temps. Pour faire l'amour tous les trois, pour parler, pour dormir ensemble chaque nuit, pour prendre de nouvelles habitudes : des repas, des soirées sur le canapé, des réveils dans le même lit, une certaine intimité qu'ils n'avaient pas encore, épuiser toutes les premières fois qu'ils n'avaient pas encore vécues, entretenir presque un début de routine qui permette d'affirmer haut et fort la réalité de leur quotidien et de leur relation. Quelque chose de stable et de solide. De pérenne.
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– Est-ce que... est-ce que je peux te poser une question ? hésita Harry.
L'expression de surprise sur le visage de Draco valait le détour et le fit sourire. Il n'était sans doute pas habitué de sa part à tant de circonvolutions pour une simple question.
– Évidemment ! fit Draco en haussant les épaules. Je ne suis plus à ça près.
La pique était volontaire, soulignant que rien ne pouvait être pire que d'apprendre qu'il couchait avec son père, mais Harry devait bien s'attendre à ce genre de réflexions.
– Je... Tu parlais rarement de tes grands-parents quand on était gosses... Particulièrement des parents de Lucius...
Draco lui jeta un regard torve. Cet intérêt soudain pour la vie de son père n'était pas innocent, et Draco était sans doute bien conscient des raisons qui le motivaient, mais il bougonna malgré tout :
– Parce qu'il n'y a pas grand-chose à en dire. J'ai toujours connu Abraxas à moitié fou, reclus dans un vieux manoir isolé. Même mon père n'allait plus le voir, et sa mort ne l'a pas ému plus que ça. Quant à ma grand-mère, je ne l'ai jamais connue et il n'en parle jamais. Tout ce que je sais, c'est qu'elle était française et qu'elle est morte très tôt.
– C'est pour ça qu'il parle français couramment et qu'il aime autant ce pays ?
– J'en doute. Elle n'a pas eu le temps de lui apprendre quoi que ce soit et Abraxas a tout de suite coupé les ponts avec la famille de sa femme. Mon père n'a jamais fréquenté le reste de ses parents français. Je n'en sais pas plus.
Le léger raclement de gorge de Blaise vint les faire sursauter et sa façon de rouler légèrement des yeux devant l'air renfrogné de Draco était significatif. Peut-être pas d'un mensonge, mais au moins d'une omission volontaire.
– Quoi encore ? grogna Draco.
– Tu en sais plus que tu ne veux bien le dire, avança doucement Blaise.
– Ce ne sont que des rumeurs, se défendit Draco.
Harry détestait ces conversations qui se déroulaient devant lui sans qu'il n'en comprenne rien, mais ce soir, Blaise semblait désireux de venir à son secours et il allait gentiment le laisser faire et attendre de recueillir les informations qu'il souhaitait.
– J'estime que Harry a le droit de savoir, Drake. S'il doit un jour défendre l'honneur de ton père, il doit savoir ce qui se cache derrière les paroles...
– Défendre l'honneur de mon père ?! s'étouffa Draco avec son cognac. Merlin ! On aura tout entendu ! Ou est-ce que, par hasard, tu sais des choses que je ne sais pas ?
– Non, mais je regarde un peu plus loin que le bout de mon nez. Je me projette dans l'avenir, dans leur avenir, et je pense que les attaques viendront tôt ou tard. D'ailleurs, fit Blaise en se tournant vers Harry, tu ferais bien de te méfier, toi aussi. Je ne serais pas étonné que des histoires sur ta sexualité un peu trop « libre » à Poudlard ne refassent surface un jour.
Il avait eu sa période de débauche, comme tout le monde à cet âge-là... Certes, peut-être un peu plus accentuée par son mal-être après la guerre et ses sentiments non-partagés pour Severus... mais il n'y avait là rien dont il ait honte.
– S'ils pensent m'atteindre avec ça, c'est le cadet de mes soucis, marmonna Harry. Le pire, ils ne pourront pas le trouver.
– Mais ce n'est pas toi qu'ils chercheront à atteindre, rectifia Blaise. C'est Lucius. Et ta réputation est sa réputation. Quant au pire, méfies-toi de ce que les gens sont capables de déterrer.
Renfoncé au fond de son fauteuil, le visage fermé et le regard sombre, Draco ne semblait pas disposé à expliquer quoi que ce soit, et Harry n'était même pas sûr de vouloir entendre ces rumeurs. Mais Blaise avait sans doute raison sur l'essentiel : être préparé aux attaques permettait de mieux se défendre le moment venu. Pour un duel comme pour une altercation verbale.
– Qu'est-ce que je suis censé savoir ? grogna-t-il.
À côté de lui, Blaise et Draco échangèrent un regard qui valait sans doute une longue conversation avant que le futur Lord Malfoy ne finisse par se décider :
– La rumeur dit qu'Abraxas a tué sa femme...
– Tué ?! s'exclama Harry à mi-voix. La mère de Lucius ?
– Ce n'est qu'une rumeur, répéta Draco comme pour s'en convaincre lui-même. C'est vrai qu'Abraxas n'était pas un tendre, mais de là à...
– Il y a de nombreuses rumeurs qui circulent sur les Malfoy, que tu le veuilles ou non, intervint à nouveau Blaise. La plupart sont clairement fausses ou sans fondement, mais j'ai de bonnes raisons de croire que celle-ci est vraie.
– Qu'est-ce que tu en sais ? Ni toi ni moi n'étions nés à cette époque et même mon père n'en sait rien. Il était trop petit pour s'en souvenir.
– Je côtoie pas mal de monde, Drake. Ici et à l'étranger. Et ma mère en a côtoyé plus qu'à son tour... Je sais qu'elle se servait de certains documents pour faire chanter Abraxas. Dont un certificat médical de Sainte-Mangouste...
Draco secoua la tête pour chasser ces paroles qu'il avait du mal à admettre. À en croire leur attitude, c'était la première fois que les deux hommes parlaient de ça. Quant à Harry, il n'en revenait toujours pas. Le peu qu'il avait entendu concernant Abraxas le dépeignait comme un homme tyrannique, à moitié fou, fanatique de Voldemort et en permanence sur ses gardes de peur d'être trahi. Mais de là à tuer la mère de son enfant ?
– Pourquoi ? fit-il simplement.
– Pourquoi il l'a tuée ? demanda Blaise avant de hausser les épaules. Parce qu'il n'avait plus besoin d'elle. Parce que c'était un homme violent et colérique. Parce qu'elle n'avait plus d'importance... Ce n'était même pas forcément volontaire, mais ça n'avait pas plus d'importance que s'il avait tué un elfe de maison. Officiellement, elle est décédée d'une chute dans les escaliers. Commode pour excuser des marques éventuelles...
Harry avala le reste de son verre mais bizarrement, le cognac l'écœurait plus qu'autre chose. Ce n'était même pas le cognac; il était écœuré tout simplement par ce qu'il venait d'entendre. Comment un enfant pouvait se construire avec une histoire familiale pareille ?!
– Quelles sont les autres rumeurs que je suis susceptible d'entendre ? fit-il d'un ton amer.
Autant boire la coupe jusqu'à la lie maintenant et ne pas être pris au dépourvu plus tard.
Blaise jeta un œil à Draco pour guetter son assentiment et lorsqu'il le vit hausser nonchalamment les épaules, il insista :
– Tu es sûr de vouloir l'entendre aussi ?
– Il n'y a rien que je ne sache déjà.
– Je n'en suis pas certain, fit prudemment Blaise. Tu n'as jamais trop fréquenté le monde des Sangs-Purs, à part moi et les Parkinson... Ou du moins, ton père t'a protégé de pas mal de choses...
– Vas-y, crache le morceau, qu'on en finisse.
Blaise se tourna finalement vers Harry tout en surveillant Draco du coin de l'œil et commença :
– Je passe sur les rumeurs les plus aberrantes, qui prêtent plus à rire qu'autre chose... Mais si tu continues à fréquenter Lucius, et quand votre liaison se saura – parce que ce genre de choses se sait toujours – tu risques d'en entendre certaines qui sont plus... « douloureuses »... Il se dit que la folie est un gène transmissible chez les Malfoy, et qu'il deviendra fou à son tour, comme son père et son grand-père avant lui... Que les aînés ne sont jamais des garçons mais que les pères s'arrangent pour les faire disparaître... Que Lucius a été la putain de Voldemort... Que son père l'a torturé parce qu'il était homosexuel...
Merlin ! Il allait vraiment vomir, cette fois-ci ! Harry détourna la tête et prit une grande inspiration, se forçant à se décontracter et à laisser passer la nausée. Malgré tout, il avait bien fait de vouloir savoir : entendre ce genre de racontars de la bouche de quelqu'un d'autre lui aurait donné des envies de meurtres immédiates qui auraient été de mauvais goût en société. Mais bon sang ! Il espérait du fond du cœur que ces rumeurs soient sans fondement ! Lucius servir de putain à Voldemort ? Torturé par son propre père pour ce qu'il était ?! Vue l'intolérance de certaines familles de Sang-Purs vis à vis de l'homosexualité, c'était atrocement possible, et cela peut-être, plus que le reste, lui broyait le cœur.
Il avait assez connu l'étroitesse d'esprit des Dursley pour savoir que rien que leurs propos sur sa supposée « maladie » et sa « perversité » pouvaient être humiliants et destructeurs. Mais les Dursley ne représentaient rien pour lui, ils n'étaient pas son père ; et on parlait là de « torture » ?! C'était peut-être ridicule mais la seule chose dont Harry avait envie à l'instant, c'était de prendre Lucius dans ses bras et de promettre de le protéger jusqu'à sa mort. Personne ne devrait avoir à vivre ce genre de choses !
Lucius avait fini par épouser Narcissa, peut-être pour avoir la paix... Mais il avait conservé Severus et d'autres amants dans sa vie, tout en écartant son père. Il avait continué à vivre ses amours différentes, mais uniquement dans le privé, utilisant la présence de Narcissa pour conserver une façade respectable. La situation leur avait plus ou moins convenu à tous les trois, et ils avaient élevé Draco dans ce cocon familial particulier. Mais après la mort de sa femme, Lucius était resté « dans le placard », refusant aujourd'hui encore d'en sortir. Et il n'avait jamais voulu épouser Severus. Est-ce que ce sentiment d'anormalité était si ancré en lui – jusque dans sa chair – qu'il n'ait jamais pu l'assumer à la face du monde ? Pourquoi est-ce que cela devait être si douloureux ? Pourquoi les choses n'étaient-elles pas plus faciles ?!
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– Je refuse de croire toutes ces ignominies, fit Draco au bout d'un long moment.
– Il y en a quelques unes aussi qui circulent à ton sujet, admit Blaise. On ne peut pas être un Malfoy sans encourir bon nombre de regards et de jalousies...
– Je suppose qu'on me considère comme un bâtard, parce que mon aînée est une fille, parce qu'elle était Cracmol et que c'était une punition pour avoir épouser une moldue ?
Harry les entendait d'une oreille distraite, ressassant inlassablement ce qu'avait dit Blaise, écœuré et juste désireux de monter rejoindre Lucius et Severus. Peu importait sa frustration, ses envies ou quoi que ce soit d'autre, il voulait juste être avec eux, les toucher, les sentir vivants, les tenir dans ses bras et les protéger. Rien ne comptait plus que leur présence auprès de lui et qu'ils soient en bonne santé. Le reste n'était rien : les disputes, la jalousie, les attentes déçues n'étaient que des détails sans importance. Tant qu'ils étaient là, tout irait bien. Il irait bien, et il s'assurerait que rien ne les atteigne plus.
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À présent, Blaise et Draco s'étaient tus, eux aussi silencieux et graves. Harry se leva lentement et les regarda tour à tour, désolé de les quitter sur une note aussi sombre.
– Je...
– Tu veux monter les rejoindre, je suppose ? fit Draco d'une voix un peu amère.
– Oui. Ne m'en veux pas, s'il-te-plaît... Je suis désolé d'avoir parlé de ça. Et du reste...
– Je ne t'en veux pas, bougonna Draco de manière peu convaincante. Il va me falloir un peu de temps pour m'habituer et...
Il se tut un instant, renfrogné au fond de son fauteuil, les yeux rivés sur l'âtre éteint de la cheminée, avant d'avouer :
– Je ne sais pas si je t'en veux. Je n'arrive même pas à savoir ce que je pense ! C'est mon père, bordel ! Et il est avec Severus depuis que je suis gosse. Et toi, tu arrives, et... putain ! Je ne sais pas quoi en penser ! Je n'ai sans doute même rien à en penser. Ce ne sont pas mes affaires, comme il me l'a si bien fait remarquer un jour... Mais je ne veux pas les voir souffrir, fit-il en levant un doigt menaçant. Aucun de vous trois ! Parce que sinon, je...
Souriant devant l'attitude plus inquiète que vindicative de Draco, Harry s'avança pour poser une main sur son épaule et se pencha pour murmurer à son oreille :
– Ton père serait très attendri que tu te fasses autant de souci pour lui... Severus aussi. Et je m'en vais de ce pas le leur dire!
L'air embarrassé et légèrement rougissant de Draco le fit rire et, adressant un regard complice à Blaise, Harry s'esquiva sous les protestations de son ami.
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Il grimpa rapidement l'escalier en colimaçon, gagna sa chambre pour se préparer pour la nuit avant de transplaner dans celle de ses amants. À la lueur d'une volute de magie, il s'approcha du lit où Lucius et Severus dormaient profondément, tournés l'un vers l'autre et presque collés. Sans même se toucher, ils étaient si proches que leur présence semblait les rassurer mutuellement. Et leurs visages si paisibles dans le sommeil lui donnaient encore plus envie de les protéger. Ils avaient assez souffert, ils avaient assez donné. Personne n'avait plus le droit de leur faire du mal ou de troubler la quiétude de leur union.
Le plus doucement qu'il le pouvait, Harry s'allongea dans le lit dans le dos de Lucius et glissa un bras autour de sa taille. Le corps de son amant était chaud, soyeux et son odeur retrouvée lui sembla le plus envoûtant des parfums. Sans parvenir à s'en empêcher, il posa délicatement ses lèvres sur la peau de Lucius, résistant à l'envie de faire bien plus et savourant sa douceur. Béni soit le jour où ses deux amants avaient pris, chacun leur tour, l'habitude de dormir nus ! Jamais il n'aurait pu se passer du contact de leurs corps, cette impression de fusion lorsqu'il pouvait les toucher à loisirs durant la nuit... Ou bien sa magie s'en serait mêlée et elle aurait déshabillé tout ce petit monde dans leur sommeil, comme elle le faisait pour lui !
– Mmh. Quelle heure il est ?
– Je ne sais pas, murmura Harry. Un peu plus de deux heures du matin...
Malgré ses efforts, il n'avait pas été assez discret et il sentit le mouvement de Severus qui relevait la tête en grognant pour l'apercevoir par-dessus le corps de Lucius.
– Alors, ça y est ? À peine une semaine que tu couches avec lui et tu préfères déjà dormir de son côté !
– Sev...
Severus se décala légèrement pour lui laisser une place entre eux et marmonna :
– Viens là.
Harry obtempéra sans rechigner.
D'habitude, c'était lui qui dormait au milieu, pour son plus grand bonheur. Les avoir à portée de main tous les deux, avoir toujours un corps à enlacer, quel que soit le côté vers lequel il se tournait, se sentir entouré par la tendresse de ses amants, était un plaisir dont il avait du mal à se passer et qui soulageait souvent son sommeil agité. Mais aujourd'hui, après cette difficile conversation avec Blaise et Draco, il avait tout autant envie de les protéger que de se sentir protégé.
– Ne sois pas jaloux, Sev, fit Harry en passant doucement sa main sur son bras. Il y avait simplement plus de place de son côté du lit.
Ce qui, par bonheur, correspondait exactement à ce qu'il désirait. Le besoin de toucher Lucius et de le sentir vivant avait été presque irrépressible. Torturé par son père... Parce que ce qu'il aimait n'était pas convenable. Merlin ! Il espérait vraiment que ce ne soit qu'une rumeur sans fondement !
– Je vous aime tous les deux, répondit Harry au grognement dubitatif de Severus. Ni plus ni moins.
Lentement, il caressa le visage de son amant avant de poser ses lèvres sur les siennes. Severus réagit rapidement à son baiser, plus fougueux que ce dont Harry avait envie, comme pour se prouver qu'il comptait encore.
– Mmh. Tout ce que tu veux, c'est du sexe, marmonna Severus. Parce que tu as été frustré depuis le week-end dernier.
– Non, fit Harry en souriant dans l'obscurité. Tout ce que je veux, c'est être avec vous. Tout ce qui compte, c'est que vous soyez là, et que vous alliez bien.
Sa frustration avait été réelle, mais elle avait disparue. Il y avait bien plus important qu'une partie de jambe en l'air, et la simple présence de ses amants à ses côtés suffisait à son bonheur. Harry glissa à nouveau un baiser sur les lèvres de Severus avant de le serrer dans ses bras, savourant son parfum épicé qu'il avait tant de plaisir à retrouver chaque jour. Chaque jour... Et jour après jour, il allait également retrouver Lucius, son parfum, ses bras et son regard. Et jour après jour, il allait les aimer, les chérir, les protéger, et jour après jour, il allait rentrer chez lui où l'attendaient ses amants, et Merlin ! C'était plus de bonheur qu'il n'en pouvait supporter !
– Qu'est-ce qui t'arrive, pour que tu sois si ému et... amoureux ? ironisa Severus. Même ta magie est agitée.
– Rien. On a eu une discussion compliquée avec Draco, confia Harry. De celles qui te rappellent les priorités... Et, au fait ! Il faudra trouver le moyen de dire à Lucius qu'il est au courant...
– Draco est au courant ? s'alarma brutalement Severus en relevant la tête. Pour nous trois ? Bon sang ! Tu ne pouvais tenir ta langue ?! Luce va être furieux !
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– Tu as l'air bien fatigué, ce matin, nota Draco avec un demi-sourire. Mal dormi ?
À la table du petit-déjeuner qui retrouvait un peu de calme maintenant que les filles étaient installées, ses mots s'adressaient à Severus, l'air plus sombre et renfrogné que d'habitude, un pli soucieux barrant son front.
– Tu boudes, Sévie ? renchérit la voix fluette et innocente d'Iris.
Draco, lui, semblait en pleine forme malgré son heure de coucher plus tardive encore que Harry, et la malice pétillait dans son regard.
– Mmh. Il se trouve qu'un certain énergumène a trouvé le moyen de se coucher à une heure indue, de venir faire la causette et ensuite de s'endormir comme un loir en me laissant avec le cerveau en ébullition. La prochaine fois, tu iras dormir dans ton « bureau », ajouta Severus en tournant la tête vers Harry. Et la conversation attendra le matin !
Harry éclata de rire tandis que Lucius feignait admirablement bien l'indifférence la plus complète. À juste titre ceci dit, puisque lui, rien ne l'avait réveillé et qu'il ne se sentait pas concerné par cette « dispute ».
– Ah ? s'étonna Draco. Il me semblait pourtant que tout à l'heure, tu ricanais avec Iris en disant que Père t'avait empêché de t'endormir hier soir... parce qu'il a les pieds aussi glacés qu'elle qui passe son temps à marcher pieds nus.
Harry manqua de s'étrangler avec son champurrado tandis que Lucius blêmissait à vue d'œil, jusqu'à atteindre une pâleur rarement observée jusque là. Son visage décomposé n'échappa à personne, hormis aux fillettes, plus concentrées sur leurs tartines que sur la conversation des adultes.
– Voilà ! C'est malin ! bougonna rageusement Severus. J'ai pas assez dormi et vous me faites dire n'importe quoi ! Et ça va encore être de ma faute si certains ne savent pas tenir leur langue !
Son regard incendiaire se porta vers Harry qui restait figé, guettant la réaction de Lucius tout aussi figé, puis vers Draco. Le sourire sarcastique de son filleul voulait tout dire : d'une manière ou d'une autre, Draco l'aurait taquiné jusqu'à ce qu'il fasse un faux pas, confirmant malgré lui qu'ils partageaient tous les trois le même lit. Il ne restait plus maintenant qu'à attendre l'orage qui ne saurait tarder.
– Par les couilles de Merlin ! s'exclama Lucius en tapant du plat de la main sur la table et en se levant soudainement. Est-ce que c'est impossible de garder quoi que ce soit de privé dans cette famille ?!
Même Iris et Minerva avaient sursauté sur leurs chaises, surprises par le brusque accès de voix et surtout par la menace sourde dans le ton de Lucius. Leurs regards restaient rivés sur la tasse de thé que leur grand-père avait renversée dans son geste de colère, et sur la tache qui s'étendait lentement sur la nappe immaculée.
– Oh, ça va, fit Draco avec nonchalance. On aurait fini par le savoir... Et les filles se posaient déjà la question depuis que vous êtes venus à Torquay...
Lucius jeta un regard assassin à son fils.
– Toi, je t'interdis le moindre commentaire. Quant à vous deux, nous aurons des comptes à régler !
Severus leva les yeux au ciel devant la menace d'opérette, tandis que Harry regardait fixement Draco. Son détachement et son amusement traduisaient son accord tacite vis à vis de leur nouvelle situation, mais il aurait pu éviter de mettre ainsi les pieds dans le plat ! Certes, Harry n'avait plus à trouver la « meilleure » solution pour présenter cela à Lucius, mais la colère de l'aristocrate n'en était pas moins grande. Comme le prouvait à l'instant la façon dont il jetait sa serviette sur la table en quittant furieusement la Salle à Manger.
– Tu aurais pu t'abstenir ! fit Harry d'un air dépité avant de s'échapper à la suite de Lucius.
L'impair était de sa faute, c'était à lui de le réparer...
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Harry traversa le couloir à grands pas pour rejoindre Lucius qui n'avait visiblement aucune intention de l'attendre.
– Luce, s'il-te-plaît, attends... S'il-te-plaît.
L'aristocrate ouvrit la porte de son bureau, se dérobant à la main que Harry posa sur son bras pour le retenir, et pénétra dans la pièce.
– S'il-te-plaît. C'est de ma faute...
Harry insista pour l'arrêter dans son élan, claquant la porte derrière lui d'un geste de magie, et parvint enfin à obliger Lucius à se tourner vers lui.
– C'est de ma faute, répéta-t-il. On discutait hier soir, avec Blaise, et... ça m'a échappé. Enfin... ils ont vite compris... Je suis désolé. Je sais que tu voulais garder ça secret, mais... Je suis désolé.
Le visage impassible de Lucius ne laissait filtrer aucun sentiment, ni même l'ombre d'un sourire. Au contraire, ses sourcils froncés et son regard froid semblaient loin du moindre pardon. Il se dégagea sèchement de la main de Harry, avant d'aller s'asseoir derrière son bureau, attrapant une pile de dossier qu'il ouvrit au hasard.
Harry s'approcha doucement dans son dos et l'enlaça par-dessus le dossier du fauteuil. Ses mains croisées sur le torse de l'aristocrate, il vint l'embrasser tendrement sur la tempe avant de nicher son visage dans son cou. Les cheveux noués de Lucius, formant une longue tresse entre ses épaules, lui laissaient un large accès à la peau soyeuse de sa gorge et de sa nuque qu'il effleura de ses lèvres et de baisers légers entrecoupés d'excuses contrites.
– Je suis désolé. Ne m'en veux pas... Je ne vais pas supporter que tu sois fâché contre moi... Luce, s'il-te-plaît. Ce n'était pas volontaire...
Étonnant comme le tutoiement semblait facile, presque évident, quand il s'agissait de supplier Lucius en privé plutôt que de lui parler en public. Même l'appeler par le diminutif qu'employait Severus dans l'intimité, coulait de source. Harry s'en délectait, émerveillé d'avoir à son tour cette relation privilégiée avec Lucius, tout comme ces gestes qu'il pouvait enfin se permettre et dont il ne se privait pas, caressant, choyant, embrassant l'aristocrate pour mieux se faire pardonner.
– S'il-te-plaît... Dis-moi quelque chose...
Même sa magie devait refléter son état d'esprit si particulier, à la fois inquiet et blessé du silence de son amant, et en même temps, si heureux de pouvoir le toucher et le câliner. Si attaché que le moindre contact avec Lucius était un vrai bonheur, poignant, renversant, malgré la colère larvée de l'aristocrate.
Dans la nuit, en se couchant, il avait dit à Severus qu'il les aimait tous les deux, de manière tout à fait spontanée. C'était vrai; il ne les aimait pas de la même façon, ni avec la même intensité, mais il ne pouvait pas nier que ses sentiments vis à vis de Lucius étaient plus que de l'amitié et du désir. Et simplement le tenir dans ses bras, particulièrement après la conversation qu'il avait eue avec Draco la veille au soir, le comblait autant que s'ils avaient passé des heures à faire l'amour.
– S'il-te-plaît, murmura Harry en embrassant encore ce petit creux sous l'oreille qu'il aimait tant.
– N'essaie pas de me prendre par les sentiments, soupira enfin Lucius.
Harry sourit brusquement à ces premiers mots dépourvus de colère, mordillant la peau fine qu'il avait sous les lèvres avec ravissement.
– Quels sentiments ? gloussa-t-il.
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Lucius soupira à nouveau avec un sourire dépité, bien conscient que son agacement avait disparu sous les baisers et les caresses de Harry. Sans même le savoir, le jeune homme aurait pu faire de lui ce qu'il voulait, le mener par le bout du nez, tant Lucius était incapable de rester fâché contre lui. À vrai dire, il était plus contrarié que fâché, mais tout avait fondu comme neige au soleil sous la tendresse et l'amour qui émanaient de Harry.
À présent assis à califourchon sur ses genoux comme il aimait à le faire, ses bras autour de son cou, le jeune homme minaudait avec une moue charmante pour tenter de le dérider. Par ses manières délurées et impertinentes, son sans-gêne et sa liberté, Harry lui rappelait souvent Mark. Aussi impudique, aussi charmeur, aussi sensible... Mais Harry était aussi plus fragile, tout en étant bien plus puissant. Étonnant mélange de force et de faiblesse.
– Pourquoi... Pourquoi tu ne voulais pas que Draco soit au courant ? Je crois... Il n'a rien contre, je pense. Il est juste inquiet...
– Justement, soupira Lucius en glissant ses bras autour de la taille du jeune homme. C'est pour ça que je ne voulais pas qu'il sache. Pas maintenant. Il a bien assez de sujets d'inquiétude avec Daphnée et la naissance qui approche pour se soucier d'autre chose... J'aurais aimé... avoir plus de temps. À vous consacrer, à toi et à Severus... et à consacrer à Draco. Tout survient en même temps... j'aurais aimé plus de tranquillité.
Les deux mains de Harry vinrent caresser son visage, douces, si tendres...
– Fais-lui confiance. Fais-nous confiance... Je sais que tout ira bien.
Les yeux émeraude plongés dans les siens respiraient une certitude tranquille qui le fit sourire, sincèrement cette fois, et il avait rarement perçu une telle sérénité émanant de la magie de Harry. Tant qu'il était certain d'être accepté et aimé, rien ne semblait pouvoir l'atteindre.
– Merlin... comment faisait-on sans toi avant ? soupira Lucius en attirant un peu plus Harry contre lui. Embrasse-moi.
– Plutôt deux fois qu'une ! gloussa Harry avant de se pencher pour saisir ses lèvres.
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– Tsss... Bas les pattes ! protesta Lucius. Tu es prêt à aller au travail, et moi je suis prêt à aller au Ministère ! Hors de question de commencer quoi que ce soit maintenant !
– Juste un peu, suggéra Harry avec un sourire aguicheur.
Les mains aventurières du jeune homme se promenaient sur son corps, furetant sous sa veste, tentant de s'immiscer sous sa chemise ou d'en défaire les boutons, tandis que sa langue oscillait de ses lèvres à son cou.
– Ni un peu, ni rien du tout. J'ai une réunion dans quinze minutes et j'aimerais bien finir mon thé avant.
– Tu as beaucoup de réunions en ce moment, fit Harry plus sérieux. Je préférais quand tu travaillais davantage au Manoir.
Lucius attrapa d'une main le menton du jeune homme pour l'embrasser rapidement et le chassa ensuite de ses genoux d'une tape sur les fesses.
– Allez, ouste ! Et ne t'occupe pas de ça. Je serai plus présent dans quelques temps...
Harry finit par se lever et ils quittèrent le bureau de Lucius pour retourner dans la Salle à Manger, à une distance respectable l'un de l'autre. Ce n'était pas le moment de rajouter de l'eau au moulin de Draco, et certainement pas de se montrer trop intimes devant Iris et Minerva.
À leur entrée, Draco les dévisagea l'un après l'autre, légèrement narquois, tandis que Severus paraissait soulagé de l'attitude plus détendue de son compagnon.
Lucius s'assit à sa place et se servit rapidement une tasse de thé, sans prêter plus d'attention à Harry qui rejoignait la conversation en cours autour de la table. Au bout de quelques instants, le regard insistant de Draco lui fit tourner la tête dans sa direction et affronter son sourire étincelant.
– Si tu dois aller au Ministère, tu devrais... détacher tes cheveux. Ou mettre un glamour...
Tous les regards se tournèrent vers lui, en particulier celui de Harry qui dériva rapidement vers son cou.
– Oups ! À ce soir ! gloussa-t-il avec un sourire gêné avant de transplaner.
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(1) Si vous vous intéressez un tant soit peu à la photographie, je ne peux que vous conseiller d'aller regarder les photos de Mapplethorpe qui est sans doute mon photographe préféré; pas tant ses photos autour du bdsm, même si la sexualité traverse l'ensemble de son oeuvre, mais surtout ses photos de nus masculins, ses compositions de fleurs, et tout son travail autour du contraste entre la pureté des blancs et la profondeur des noirs.
Merci aux fidèles d'être encore et toujours là ;)
La semaine prochaine, un chapitre un peu plus court et un mariage à Paris.
N'oubliez pas de profiter des belles journées qui commencent...
Au plaisir
La vieille aux chats
