Résumé: Harry et Lucius ont enfin (!) couché ensemble, mais la venue de Draco au Manoir pour la fin de grossesse de Daphnée a perturbé la suite logique de leur relation. Malgré quelques caresses et autres douceurs, ils n'ont pas encore franchi le pas tous les trois ensemble...
Je crois qu'aujourd'hui, vous allez m'en vouloir... Déjà, parce que le chapitre est très court, mais aussi parce que... vous verrez bien ;)
Harry n'était jamais venu mais le Palais de l'Élysée valait certainement le détour. Le même luxe raffiné que le bureau de Lucius en dix fois plus précieux et mille fois plus grand. Les dorures se disputaient l'attention des invités avec les miroirs, les marbres, les lustres scintillants et les parquets anciens qui avaient vu passer des siècles de personnalités historiques. Le moindre meuble : secrétaire, console, fauteuil ou table, était ciselé, incrusté d'or ou de bois précieux, si étincelant de prestige qu'on osait à peine les toucher. Même les tentures qui encadraient les fenêtres semblaient faites de tissus tous plus soyeux les uns que les autres.
À la suite de Lucius, ils traversèrent salons et pièces de réception jusqu'à la salle aménagée pour la cérémonie, aussi luxueuse que le reste du Palais. Seule la présence de nombreux bouquets de fleurs témoignait du mariage qui allait se tenir en ces lieux. Une centaine d'invités se répartirent sur les fauteuils dorés au brocard rouge qui remplissaient la vaste pièce. Harry et Severus s'installèrent côte à côte à l'extrémité d'une rangée, vers le fond de la salle, plutôt désireux de rester discrets et de ne pas se mêler aux proches du couple ou aux personnalités de premier plan. L'un et l'autre connaissaient à peine les mariés; ils étaient simplement là pour accompagner Lucius qui s'était bien gardé de leur dire qu'il était le témoin de mariage du Ministre.
L'aristocrate était superbe, plus encore qu'au bal qu'il avait donné en son nom un mois auparavant. « Éblouissant » aurait dit Harry si on lui avait demandé son avis. Quand Francis Dorléans était très élégant, et Mandy très chic dans son tailleur blanc crème, Lucius était éblouissant. Autant par sa tenue somptueuse que par son allure générale, mélange de noblesse et de prestance, son port de tête altier et l'assurance presque royale qu'il dégageait. Et quelque part, profondément enfoui en Severus, Harry percevait cette espèce de fierté qui lui faisait toiser les gens de haut avec le sentiment que cet homme-là, vers qui convergeaient tous les regards, davantage que vers les mariés, était le sien. Il était le seul de cette assemblée – avec Harry – qui aurait jamais son oreille, son attention complète, sa confiance, qui le verrait nu, qui ferait l'amour avec lui, et surtout, surtout, qui aurait son amour.
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Après la cérémonie, les privilégiés s'éparpillèrent dans les jardins du Palais pour le vin d'honneur, rejoints par les nombreux autres invités au reste des festivités. Au moins quatre cents personnes avait dit Mandy lors de leur venue au bal... Mais avec l'étendue des jardins et des salles dédiées au buffet, ce n'était pas étouffant; au contraire, Harry et Severus pouvaient déambuler tranquillement dans les allées de buis taillées au cordeau tout en étant à leur aise.
Lucius, lui, était parti remplir ses obligations – et parader un peu, il fallait bien le dire – saluant des personnalités d'un côté comme de l'autre, échangeant quelques mots avec un ministre ou un prince, et discutant rapidement d'un quelconque dossier avec les représentants du Conseil Européen. Ils l'apercevaient de temps en temps, toujours aussi fier et altier, mais plus souriant qu'aux dernières réceptions qu'ils avaient fréquentées avec lui. Était-ce le lieu, loin de l'Angleterre où Lucius avait le plus d'obligations, le contexte du mariage ou bien la journée estivale... mais il apparaissait moins hautain qu'à son habitude, et beaucoup plus abordable. Ils ne pouvaient pas pour autant se comporter avec lui, en paroles ou en gestes, comme ils l'auraient fait au Manoir, mais sa décontraction était plaisante à observer. Ils le virent même adresser un sourire éblouissant à un jeune homme blond avant de disparaître dans la foule avec lui.
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Aussi vite que la décence le leur permettait, Lucius et Mark traversèrent les grappes d'invités qui leur barraient le passage, avant de parvenir enfin à l'intérieur du Palais, s'engouffrant derrière la première porte de service venue pour trouver un endroit plus au calme. Après deux couloirs et trois salons, ils trouvèrent refuge dans un bureau quelconque que Lucius verrouilla d'un sortilège puissant. Et il ne fallut qu'une seconde supplémentaire pour que Mark soit plaqué contre la cloison blanche ornée de moulures dorées, souriant sous ses lèvres avides.
Merlin ! Ça lui avait manqué ! Mark mettait tant de sensualité dans un simple baiser qu'il semblait presque impossible de s'arrêter sans aller plus loin !
Leur étreinte se poursuivit jusqu'à ce que Lucius soit à peu près rassasié de baisers et que son excitation soit légèrement diminuée, puis il se recula en contemplant son mignon, aussi radieux et souriant qu'il l'était systématiquement avec lui.
– C'est toujours aussi bon de te revoir, avoua-t-il avec un sourire amusé.
– Que devrais-je dire ? gloussa Mark en l'attirant contre lui avant de saisir à nouveau ses lèvres pour un long baiser. Quel dommage que nous ne puissions rien faire de plus !
Lucius approuva d'un hochement de tête. Il ne se sentait plus libre de faire quoi que ce soit avec Mark depuis que tout allait mieux avec Severus, et encore davantage depuis que Harry était devenu si important dans sa vie. La nuit qu'ils avaient passée ensemble plus de deux mois auparavant ne se reproduirait sans doute jamais et c'était fort dommage. Mark était un amant adorable.
– Tu es là pour le travail ou à titre personnel ? demanda Lucius en mordillant le lobe d'oreille du jeune homme, ravi de le sentir fondre entre ses bras.
– À titre personnel, si on veut, gémit Mark. J'accompagne Håkon... Il doit me chercher quelque part au milieu des invités...
Sur ses fesses, Lucius sentait les mains du jeune homme, impatientes, qui l'attiraient contre son corps et pressaient son bassin contre le sien. Et le pantalon déformé de Mark soulignait bien son excitation.
– Je ne travaille plus pour l'Agence, confia-t-il. Du moins, je ne prends plus de clients.
– Alors Håkon t'a conquis ? sourit Lucius en caressant lentement l'entrejambe comprimé de Mark.
– Merlin ! Arrête ça ! gémit-il en saisissant son poignet.
À regret malgré tout, Lucius retira sa main, reprenant une étreinte plus tranquille, et embrassa doucement Mark pour se faire pardonner.
– Il ne se serait rien passé, rassure-toi... Mais si un jour, il te vient l'envie d'une partie à quatre...
Pour cela, il faudrait déjà qu'il ait franchi le cap de faire l'amour avec Severus et Harry en même temps, mais cela ne saurait tarder. Et si jamais ses deux amants acceptaient cette idée... il s'en délectait à l'avance.
Mark gloussa, le nez dans son cou, avant de décliner :
– Je ne suis pas sûr que Håkon soit d'accord... Et alors, ce petit Potter ? Ça y est ?
Lucius se contenta d'un large sourire pour toute réponse, aussi heureux de sa propre situation que du bonheur que Mark semblait avoir trouvé avec son ambassadeur.
– Il est comment ? Croquant et craquant à souhait ?
– Autant que toi...
– Je suis jaloux, murmura Mark.
Lucius se recula légèrement et caressa le visage d'ange qui lui faisait face.
– Tu seras toujours le seul et unique mignon capable de me faire tourner la tête.
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En quittant le bureau pour rejoindre la foule des invités, Lucius était surpris de sa propre maîtrise. Mark était une étincelle de plaisir qui ne demandait qu'à être saisie, mais il fallait croire que ses sentiments le dirigeaient désormais davantage vers Severus et Harry que vers le jeune homme, aussi attachant soit-il.
Sur le plateau d'un serveur, Lucius attrapa deux flûtes de champagne tout en cherchant du regard l'ambassadeur de Norvège à travers l'assemblée. Il tendit un des verres à Mark dont il vit le regard et le sourire brusquement s'éclairer. Cet air radieux, profondément amoureux... Sans même tourner la tête, Lucius devinait très bien qui Mark venait d'apercevoir ainsi, et sa joie sincère lui arracha un sourire attendri.
L'ambassadeur conversait justement avec les mariés, et lorsqu'ils rejoignirent le petit groupe, le froncement de sourcils méfiant provenait davantage de Mandy que du compagnon de Mark. Comme au Manoir, Håkon happa simplement Mark par la taille pour le rapprocher de lui et glisser un baiser sur ses lèvres.
– Toujours en galante compagnie ? sourit-il de sa voix si grave et si vibrante.
– Rien ne vaut la tienne...
À l'ombre de leur étreinte, le murmure avait été léger et discret, mais pas assez pour que Lucius ne le perçoive pas.
– Je suis jaloux, affirma-t-il avec un sourire piquant, tandis que Mark rougissait, autant de sa déclaration publique à demi-mot que de la réponse de Lucius.
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Le dîner fut long et lent, surtout pour Harry et Severus qui ne connaissaient pas grand-monde à part Lucius et les mariés. L'aristocrate était trop éloigné d'eux pour leur tenir compagnie pendant le repas, et ils se contentaient de répondre mollement aux conversations qui leur étaient faites, peu désireux de lier connaissance ou de faire des mondanités. L'excuse de la langue était commode pour couper court à toute velléité de discussion.
De toute façon, rester seuls au milieu de cette assemblée ne les dérangeait pas, hormis le fait qu'ils ne pouvaient, comme à leur habitude, avoir un quelconque geste l'un envers l'autre, ni tendresse, ni baiser, ni étreinte d'aucune sorte. Et c'était bien le plus difficile : se passer de cela et se surveiller sans cesse pour ne rien laisser échapper.
Malgré sa fatigue, Harry prenait son mal en patience. Ils avaient traversé la cérémonie à proprement parler, le vin d'honneur, l'essentiel du dîner... Encore quelques heures et ils pourraient enfin rejoindre Lucius et s'échapper de cet enfer qui drainait toute son énergie. Et se retrouver tous les trois. Enfin... sans compter Draco et sa petite famille.
Heureusement, l'ouverture du bal se profila enfin, et Harry et Severus en profitèrent pour quitter la table et se nicher dans un coin discret, au bord de la terrasse, un verre à la main. Il était plutôt fier malgré tout : depuis le début de l'après-midi et en dépit des nombreuses tentations, Severus n'avait pas avalé une seule goutte d'alcool, se contentant de jus de fruits ou d'eau gazeuse. Pourtant le contexte était presque aussi rébarbatif que les réceptions habituelles, mais il ne ressentait visiblement pas la même pression qu'en Angleterre. Ici, il n'était pas vraiment connu et les quelques uns qui savaient qui il était semblaient n'y attacher aucune importance.
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– J'en ai marre, Sev, gémit Harry à mi-voix. Quand est-ce qu'on s'en va ? J'ai mal au dos. Mal aux pieds au point que c'est une torture de garder ces chaussures !... Tu crois que je pourrais me mettre pieds nus ?!
– Dans tes rêves ! ricana Severus avec son air sarcastique des grands jours. Si tu es si fatigué, tu n'as qu'à aller t'asseoir là-bas...
Le « là-bas » désignait un petit salon rouge grenat où quelques dames apprêtées conversaient poliment.
– Oh non ! On va encore me demander de servir de cavalier. J'aime danser mais les danses de salon, merci bien !
Au Manoir ou n'importe où ailleurs, il se serait assis par terre, en dépit des convenances, mais là, ce n'aurait vraiment pas été approprié. Et il en allait sans doute de la réputation de Lucius s'il se tenait mal, comme le lui avait si bien fait remarquer Blaise.
– Tu crois qu'il en a encore pour longtemps ?
– Arrête de geindre ! ricana à nouveau Severus. Crois-moi, pour en avoir subi des dizaines, cette réception est bien moins pénible que ce que j'ai pu connaître ! Tu as juste à prendre ton mal en patience en te promenant dans les jardins... L'endroit pourrait être pire !
– Mais j'ai mal aux pieds et je suis crevé !
Severus se rapprocha légèrement de lui pour parler à mi-voix sans être entendu.
– Trop pour t'envoyer en l'air en rentrant ?
– Du moment que je peux enlever mes chaussures et m'allonger... Vous ferez de moi ce que vous voudrez !
Le rire trop rare de Severus se fit entendre quelques secondes avant que le brouhaha ambiant ne recouvre leur conversation. Et son regard brillait de gourmandise quand il répondit :
– Ne répète pas ce genre de proposition devant Lucius... Tu serais surpris par l'ampleur de son imagination !
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– Je vous offre un verre ?
Harry reconnut immédiatement le jeune homme qui s'adressait à lui, le même à qui Lucius avait offert un sourire radieux plus tôt dans l'après-midi.
– Merci. Je crois que j'ai assez bu pour aujourd'hui...
Sans se formaliser, le jeune homme esquissa un sourire espiègle qui rehaussait la beauté de son visage. Car il était beau, indéniablement; d'une beauté très classique, ancienne, semblable à une statue d'éphèbe qui aurait pris vie. Des traits fins et angéliques, presque féminins, surmontés de magnifiques boucles blondes ou châtains clair suivant l'éclairage, un regard mutin...
– Votre ami vous a abandonné ?
– Il ne va pas tarder à revenir, sourit Harry.
Severus s'était absenté quelques instants pour se rendre aux toilettes, et comme par hasard, cet inconnu venait l'aborder pour lui offrir un verre... Il allait en faire une syncope en revenant !
– Vous parlez très bien français pour un anglais, souligna malicieusement le jeune homme.
Harry n'avait même pas réalisé qu'il avait spontanément répondu dans la langue de Molière, avec une fluidité dont il ne se serait pas cru capable.
– J'ai vécu quelques mois en France, il y a des années de cela. Il faut croire que j'en ai quelques restes...
– C'était à quelle occasion ? tenta le jeune homme avant de réaliser qu'il n'obtiendrait pas de réponse à sa question trop personnelle sans un minimum de réciprocité. Mark Aubin...
Harry serra la main qui lui était tendue en dévisageant longuement le jeune homme. Qu'est-ce qui lui permit de faire le lien et de comprendre enfin ? Le comportement trop libre de ce Mark qui correspondait mal à l'endroit où ils étaient ? Cette impression qu'il en savait bien plus sur lui que ses mots ne le suggéraient ? Ou cette légère brise qui parcourut soudain la terrasse, emportant avec elle bruits, odeurs, fumée de cigarette et quelques pétales de fleurs ?
– Je ne connaissais pas votre nom mais je sais qui vous êtes...
– Vraiment ? fit Mark avec un sourire malicieux.
– Je suis très sensible aux odeurs, et je reconnaîtrais votre parfum entre mille. Pour l'avoir déjà senti sur quelqu'un qui m'est familier...
– Familier, c'est le mot ! gloussa Mark.
Harry esquissa un léger sourire à l'évocation de son intimité avec Lucius, tout en étant saisi d'un frisson dérangeant : Mark aussi avait été – ou était toujours ? – intime avec l'aristocrate. Ils avaient même disparu ensemble tout à l'heure... Allait-il être jaloux comme l'avait été Severus ? Sans savoir réellement quels liens unissaient Lucius et Mark ? Était-ce une simple relation tarifée ? Une liaison occasionnelle et sans conséquences ? Ou bien y avait-il dessous des sentiments qui le menaçaient ? En tout cas, à en croire l'attitude du jeune homme, Lucius ne lui était ni indifférent, ni méconnu.
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Fort à propos sans doute, la voix de l'aristocrate s'interposa entre eux avant que Harry n'ait le temps de répondre.
– Qu'est-ce que... tu fais là ?
Mais ses mots, surpris et quelque peu méfiants, s'adressaient à Mark et non à lui.
– J'étais curieux, gloussa le jeune homme. Nous faisons simplement connaissance...
Le regard circonspect de Lucius oscilla de l'un à l'autre avant de se tourner avec hésitation vers l'homme qui l'accompagnait et dans les bras duquel Mark se réfugia.
– Tout va bien, mon chat. N'est-ce pas qu'il est à croquer ?
L'homme émit un grondement indéfinissable, entre suspicion et assentiment, avant de serrer Mark dans ses bras comme pour souligner sa possession. Ce qui, loin de déplaire au jeune homme, le fit encore davantage glousser de plaisir.
Détournant le regard, Harry observa Lucius qui souriait sincèrement devant leur couple ainsi enlacé en public. Il semblait à la fois ravi pour eux, et légèrement ému, ou jaloux, comme si ce spectacle charmant le touchait personnellement. Et les yeux gris pétillants que Harry croisa une seconde contenaient autant de regrets que de fierté.
Eux, quoi qu'ils soient, ne pouvaient rien se permettre en public. L'intimité, les gestes tendres, les surnoms affectueux ou les paroles trop explicites devraient attendre une sphère privée : le Manoir, la discrétion d'une chambre, ou au pire, d'un environnement familial. Par la volonté de Lucius, rien ne devait filtrer à l'extérieur de ce cocon protecteur, rien ne devait prêter au moindre soupçon. De quoi étaient-ils coupables, d'ailleurs ?
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– Messieurs..., fit Severus en rejoignant leur petit groupe.
Le sourire de Lucius s'élargit un instant, et il se décida à faire les présentations, en anglais pour Severus qui ne comprenait pas grand-chose à la langue qu'ils parlaient jusque là.
– Håkon Sørensen, ambassadeur de Norvège en France... Mark Aubin, son compagnon... Severus Rogue, mon compagnon... et Harry Potter...
L'hésitation de Lucius à lui donner un quelconque qualificatif fit glousser Mark et sourire l'ambassadeur, mais elle ne trompait personne.
Les poignées de mains s'échangèrent durant quelques instants, franches et chaleureuses, mais Harry n'y prêta guère attention, ricanant sur l'attitude figée de Severus. S'il avait été assis, son amant serait sans doute tombé de sa chaise. Là, il était debout, mais l'effort pour se maintenir dans une position digne semblait lui avoir coupé la parole et l'avoir privé de toute capacité de réaction. Un poisson hors de l'eau, cherchant un souffle nouveau... Attitude à laquelle Håkon et Mark eurent l'obligeance de ne pas prêter attention.
Certes, Lucius l'avait dit avec une voix suffisamment mesurée pour ne pas être perçue alentours; certes, il ne l'avait pas dit à n'importe qui... mais il y a quelques mois encore, il avait officiellement présenté Severus à Dorléans comme un ami de longue date...
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– Mais ? s'étonna Harry. Qu'est-ce qu'on fait là ?
Même dans la pénombre de la nuit, même s'il avait eu les yeux fermés, il reconnaissait sans peine la maison en Provence. Quelque chose qui tenait à la densité de l'air, à la façon dont les bruits résonnaient, aux parfums du vieux mas, la terre, la lavande, les lauriers-roses, et cette odeur de léger renfermé des maisons pas assez habitées.
Après avoir encore gémi qu'il était fatigué et qu'il voulait rentrer, Harry avait obtenu gain de cause, et après une dernière danse accordée par Lucius à Mandy, ils avaient rejoint avec Severus les aires de transplanage sécurisées à l'extérieur du palais de l'Élysée. Lucius l'avait pris dans ses bras pour transplaner et Harry s'était laissé faire, éreinté par cette journée trop longue.
Severus s'éloigna pour rejoindre la cuisine et ils l'entendirent ouvrir un placard puis le robinet pour se servir un verre d'eau. Depuis cette rencontre improbable avec l'ancien « mignon » de Lucius et son nouveau compagnon, il restait étrangement mutique, encore sous l'effet de surprise – et sans doute l'émotion – de la façon dont il avait été présenté. Il ne l'avouerait probablement jamais, mais cela l'avait particulièrement touché.
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– On vient dormir, sourit Lucius sur son épaule. Je croyais que tu étais fatigué ?
– Mais... Draco ?
Harry savait très bien que Lucius rechignait à laisser Draco seul au Manoir avec Daphnée et les filles, même si les elfes de maison, et en particulier Clay, étaient là pour veiller sur eux. Si l'accouchement se déclenchait en pleine nuit, si Draco devait partir en urgence avec Daphnée... Lucius s'en voudrait de ne pas être là.
– Blaise passe la nuit au Manoir avec eux, répondit Lucius. Et nous, on a bien droit à un peu de temps tranquilles...
Harry esquissa un sourire comblé, se lovant un peu plus dans les bras de l'aristocrate qui ne l'avait pas lâché depuis leur transplanage. L'étreinte était douce, et tendre, et accueillait si bien son émotion contenue qu'il n'avait même plus envie de bouger. Lucius savait à quel point il aimait cette maison, cet endroit, et ce qu'ils y avaient vécu : l'ébauche de leur situation actuelle, et surtout le désir qui avait grandi entre eux. Être là, ce soir, loin du Manoir pour une nuit qui leur appartenait, comptait plus que de raison. Et après cette journée interminable de mariage, Harry avait l'impression de vivre une petite lune de miel.
– Sev ? appela Lucius.
– Montez. Je vous rejoins.
Sans s'attarder davantage dans l'entrée de la maison, Lucius relâcha Harry et le guida vers l'escalier qui montait vers les chambres. Les vieilles marches de bois craquaient sous leur poids dans le silence de la nuit. Ils traversèrent le corridor de l'étage, à peine éclairé par une fenêtre donnant sur le jardin et la pluie d'étoiles qui parsemait le ciel d'encre. Dans la grande chambre qu'occupaient habituellement Lucius et Severus, le lit les attendait, avec ses draps de satin gris et son bois patiné par les années.
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Avec un bonheur non dissimulé, Harry enleva ses chaussures d'un coup de talon, faisant sourire Lucius qui allumait deux chandeliers d'une étincelle de magie. Puis l'aristocrate se rapprocha à nouveau de lui, dans son dos et l'enlaça doucement. Des lèvres fines vinrent parsemer sa nuque de baisers légers tandis que les mains de Lucius faisaient tomber sa veste qu'il jeta négligemment sur un fauteuil.
Un à un, les boutons de la chemise de Harry cédèrent sous les longs doigts graciles, en même temps que cédaient en lui toute faculté de résistance et toute velléité de protestation. Comme il l'avait dit un peu plus tôt à Severus, cette nuit, Lucius pourrait faire de lui ce qu'il voulait, et ce n'était pas seulement en raison de sa fatigue. Harry avait tant attendu ce moment qu'il souhaitait le plus de lenteur possible pour pouvoir le savourer pleinement.
Sa chemise enfin ouverte, les mains de Lucius s'étaient perdues sur son torse et son ventre, lentes et langoureuses, quand ils entendirent enfin Severus monter l'escalier. Il pénétra dans la chambre, sa grande silhouette sombre toute aussi lente et mesurée que les caresses de Lucius, et vint se tenir devant eux, rejoignant enfin la danse des mains qui effleurent, des lèvres qui embrassent et des vêtements qui tombent les uns après les autres.
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Harry était entre eux, pris dans une étreinte délicieuse, serré entre leurs corps qui s'enlaçaient et s'embrassaient par-dessus son épaule, puis il voyait revenir vers lui la bouche de l'un, la langue de l'autre, qui dessinaient son corps, sa peau, ses cicatrices de baisers et de caresses. Et leurs mains éveillaient ses sens, ses sensations, partout sur lui, son cou, ses mamelons, s'agrippant à ses hanches quand Severus se mit à genoux pour le prendre dans sa bouche, pétrissant ses fesses quand Lucius pressa contre elles son désir manifeste.
Il ne sut même pas quand, ni comment, il sentit sous lui la fraîcheur des draps, que réchauffèrent rapidement leurs peaux brûlantes. Et dans une position différente, le lent ballet des corps commença à nouveau.
Les yeux clos sur un univers sombre baigné de sensations, Harry se laissait faire, rendant les caresses, les baisers, les étreintes sans savoir lequel de ses deux amants il touchait, caressait, et cela importait peu. Ils n'étaient qu'un, à lui faire l'amour d'une façon lente et délicieuse, éperdue de tendresse et de sentiments.
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Longtemps après les premiers baisers et les premières caresses, après que l'un comme l'autre l'eut léché des pieds à la tête, et en particulier au milieu de son corps, il sentit un de ses amants lui remonter les jambes et se présenter entre ses fesses. La poussée était lente, si progressive qu'il aurait voulu avoir la force de bouger pour l'accélérer, mais cette longueur était aussi un délice qui lui laissait le temps de savourer l'écartèlement de ses chairs. À sa première grimace d'inconfort, la progression cessa, puis commencèrent les mouvements, longs, lents et amples.
Au parfum, à la taille de ce sexe en lui, et à la façon dont son amant caressait en même temps son visage et ses cheveux, il aurait dit qu'il s'agissait de Lucius. Attentionné, tendre et délicat. Presque trop, et Harry sourit en ayant cette pensée licencieuse. Mais c'était bon. Si délicieusement bon que son ventre fourmillait de décharges de plaisir et qu'il relevait toujours davantage les jambes pour plus de contacts entre eux.
Quand il commença à gémir démesurément, Lucius se retira doucement, l'abandonnant sur le chemin du plaisir. Il laissa échapper un geignement de dépit, rapidement étouffé par des lèvres conquérantes. Et Severus, qui n'avait pas cessé de le caresser tout le temps que Lucius était en lui, le pénétra à son tour, plus gros, plus imposant, et aussi plus virulent. Sous les coups de reins de son amant qui le secouaient sans merci, Harry renversa la tête en arrière, perdu dans des sensations merveilleuses qui confinaient à l'extase.
Peu à peu, son corps se couvrait de sueur, sa respiration devenait saccadée. Dans le silence de la chambre, le claquement sec de leurs bassins l'un contre l'autre était aussi érotique que les gémissements qu'il poussait ou les râles sourds de Severus. Et les mains de Lucius qui le faisaient brûler de mille feux...
Sans comprendre pourquoi, Harry sentit son amant ralentir ses coups de reins et presque s'immobiliser, en émettant un grondement encore plus rauque. Et lorsqu'il ouvrit les yeux, il tomba directement dans le regard gris de Lucius, indécent de désir.
Lentement, grondant, Severus reprit ses mouvements, accompagné dans ses chairs par le même mouvement de Lucius. Et chaque coup de reins que sentait Harry était un même coup de reins que ressentait Severus. En même temps, ses deux amants poussaient, chacun dans un corps différent. Severus grondait de plus en plus fort, pris par tant de plaisir qu'il semblait parti ailleurs, les yeux clos, en sueur, s'accrochant désespérément à son épaule et aux draps. Ses mouvements se faisaient désespérés, presque anarchiques, et il finit par jouir dans un gémissement intense que Harry ne lui avait encore jamais entendu.
Le corps lourd et tremblant de Severus s'effondra sur lui, trop épuisé pour faire autre chose que reprendre son souffle et ses esprits. Puis délicatement, Lucius se retira et incita Severus à s'écarter pour prendre sa place. Harry croisa à nouveau le regard de son amant qui le pénétrait rapidement en lui remontant encore davantage les jambes. Un regard passionné, brûlant, celui d'un homme que la situation excitait à son comble et qui rêvait à présent de venir jouir là où son compagnon venait de jouir, qui rêvait de les baiser l'un après l'autre et de leur donner tout le plaisir qu'il lui était possible.
Lucius donna quelques coups de reins qui lui arrachèrent de nouveaux gémissements, puis il se mit à genoux en se redressant légèrement, prenant dans sa main le sexe humide de désir de Harry. Lucius était dedans et dehors, partout où le plaisir était le plus intense, dans son cul et sur son sexe, sa main masturbant fermement sa verge tendue en quête de soulagement. Harry gémit à cœur perdu, suppliant pour jouir enfin tandis que les coups de reins secouaient à nouveau son corps. Il saisit les draps, cherchant désespérément la main de Severus qui récupérait à côté d'eux, et lorsqu'il la trouva, il s'y cramponna en croisant leurs doigts tandis qu'un orgasme renversant le faisait crier à son tour.
Caressant son torse luisant de sueur, Lucius se retira doucement, son sexe encore dressé par une érection inassouvie. Son regard tendre, presque triste, les contemplait tous les deux, épuisés, les mains jointes et reprenant peu à peu leur souffle. D'un geste inconscient, il posa sa main sur son propre sexe et se masturba quelques secondes. Il était le seul qui n'avait pas joui et Harry s'en voulut quelque peu d'avoir atteint si vite son plaisir, mais ses deux amants l'un après l'autre ne lui avaient pas laissé grand choix...
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Lucius s'écarta une seconde pour prendre sa baguette et lancer un sort de nettoyage sur leurs corps et sur les draps, puis voulut se rallonger à leurs côtés, négligeant son sexe tendu. La main de Severus sur son poignet l'interrompit dans son élan et l'attira vers lui.
– Viens...
D'abord surpris, Lucius croisa intensément le regard de son compagnon puis s'approcha de lui. Harry le vit se mettre à genoux derrière sa tête et caresser longuement son visage avant de l'embrasser avec dévotion. Le baiser terminé, Severus renversa la tête tout en gardant la bouche ouverte et accueillit entre ses lèvres le sexe de son compagnon.
Lentement, Lucius s'enfonça dans cette bouche et dans cette gorge, de plus en plus loin jusqu'à ce qu'il y soit enfoui de tout son long puis il commença le même va-et-vient que dans leurs corps quelques minutes auparavant. Les yeux écarquillés, Harry observait cette scène étrange et presque choquante, tant Lucius s'enfonçait loin dans la gorge de son compagnon. Il ne s'agissait pas d'une simple fellation, ce n'était pas Severus qui suçait Lucius comme il en avait l'habitude... il s'agissait de Lucius pénétrant la bouche de Severus comme si c'était son cul et lui faisant l'amour de cette façon. Érotique. Obscène. Surprenante et merveilleuse à la fois.
Et sans une plainte, sans même un sursaut involontaire, Severus acceptait cette intrusion pour que Lucius vienne prendre sa jouissance. Il offrait sa gorge comme un organe de plaisir, comme un délicieux fourreau, humide et étroit, si exquis que Lucius gémissait en donnant des coups de reins de plus en plus rapides.
Appuyé sur le torse de Severus, aussi virulent que quand il les avait baisés plus bas, Lucius semblait perdu dans les affres d'un orgasme qui se refusait à lui jusqu'à ce que la jouissance le prenne enfin, crispé, tendu, plongé dans la gorge de Severus au point que Harry ne voyait plus rien de son visage. Il resta ainsi de longues secondes, immobile tandis que Severus déglutissait frénétiquement, puis il bascula sur le côté.
– Merci..., souffla-t-il laborieusement.
Severus reprit lui aussi de grandes inspirations, puis passa sa main sur son visage pour se nettoyer. Harry, tourné sur le côté, les observait l'un et l'autre, épuisés, hagards, la main apaisante que chacun avait posé sur l'autre...
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Au bout d'un long moment, Lucius se redressa pour venir embrasser son compagnon, à quatre pattes au-dessus de lui. Un long baiser reconnaissant et plein de tendresse qu'il jalousa quelque peu, puis Lucius se laissa glisser entre eux tandis que Severus s'écartait légèrement pour qu'il puisse s'allonger sur le dos.
Harry effleura lentement le torse de Lucius, encore humide de tous les efforts qu'il venait de fournir. Il leur avait donné tellement de plaisir... Tellement de caresses, de tendresse, tellement d'attentions jusqu'à être prêt à différer son propre plaisir. Harry se sentait tellement bien là, avec eux, il les aimait tellement...
Il se serra contre Lucius, posant la tête sur son torse tout en continuant à caresser son ventre. C'était la première fois qu'ils faisaient vraiment l'amour tous les trois et il se souviendrait de ce jour sans doute toute sa vie. Pas forcément du plaisir ressenti, même si cela avait compté, mais surtout de cette forme d'union tous les trois, la tendresse et les sentiments qui les liaient, cette sensation d'accomplissement, de plénitude... de justesse.
Lucius avait passé un bras possessif autour de ses épaules, le tenant fermement serré contre lui. Mais Severus était loin...
– C'est ma place, d'habitude, au milieu, murmura Harry en souriant.
– Pas ce soir, marmonna Lucius d'une voix qui respirait déjà le sommeil. Ce soir, je vous veux tous les deux.
D'un geste, il incita Severus, qui ne se fit pas prier, à venir se lover contre lui, les embrassa tour à tour dans les cheveux avant de s'abandonner à une douce somnolence. Harry ouvrit les yeux pour se perdre dans le regard sombre de son amant, si intense que son cœur semblait sur le point de déborder d'amour. Sur le ventre de Lucius, il sentit la main de Severus rejoindre la sienne, leurs doigts s'entrelacer... Il se souleva légèrement pour venir embrasser les lèvres de son amant, un long baiser chaste et tendre, puis il reprit sa place pour s'endormir. Tous les trois ensemble.
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Les yeux grands ouverts sur la pénombre de la chambre, Severus percevait les deux respirations à côté de lui, l'une à peine plus lente que l'autre, calmes, apaisées. Dans le lit tiède à souhait, leurs corps étaient immobiles, alanguis dans un sommeil profond qu'il ne voulait certainement pas perturber. Harry était fatigué, et Lucius avait tout autant besoin de dormir après cette journée de figuration et de paraître. Et surtout après cette union si forte et si symbolique qu'ils avaient partagée en début de nuit.
Le plus silencieusement possible, Severus se leva et enfila sa chemise à défaut d'un kimono. Ils n'avaient pris aucun bagage, aucune affaire de rechange pour cette escapade impromptue et de dernière minute. Sans doute Lucius y avait-il déjà songé avant, puisque Blaise dormait au Manoir pour pallier à leur absence, mais il ne lui en avait rien dit... La surprise valait pour lui également, et c'était aussi bien.
Du bout de sa baguette, Severus éclaira discrètement la chambre. Lucius était allongé sur le ventre, ses longs cheveux blonds étalés sur une épaule et sur son dos, descendant plus bas que la pointe des omoplates. Rien qu'à le voir ainsi abandonné, Severus avait envie de s'asseoir à côté de lui et de passer sa main dans la douceur soyeuse de cette chevelure...
Au milieu du lit où il avait regagné sa place habituelle, tout aussi endormi, Harry était tourné vers ce côté vide du lit d'où Severus venait de se lever. Sa main, un instant, chercha le contact rassurant de la chaleur d'une peau, d'un corps, pour ne rien trouver. Instinctivement, il se retourna vers Lucius et se lova contre lui, glissant une jambe entre ses jambes écartées, et un bras sur son dos. Un vague grognement satisfait en frottant son visage sur l'épaule de son compagnon, et Harry se rendormit tout à fait, sa peau si brune près des cheveux dorés de Lucius. Harry n'était plus dépendant de lui seul, et il ne savait qu'en penser...
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Severus jeta un sortilège de silence sur la chambre et descendit l'escalier trop bruyant à son goût. La maison était vieille, craquante, grinçante, pleine d'une vie qui lui était propre, mais c'était aussi ce qui faisait son charme. Et si Harry aimait cet endroit autant qu'il l'aimait lui-même, ce qui semblait être le cas comme Lucius l'avait compris, nul doute qu'ils allaient y revenir souvent.
De pièce en pièce, Severus erra quelques minutes, indécis sur ce qui l'avait poussé à se lever et ce qu'il allait faire maintenant. Pour la première fois depuis longtemps, il appréciait le calme de la maison, sa décoration raffinée, tendre, les bergères de lin gris clair ou crème, les bois patinés, le charme des meubles anciens. Cette maison avait une âme qui lui correspondait bien; complètement différente de celle du cottage de Llewellyn, mais l'une autant que l'autre étaient une partie de sa personnalité.
Sans savoir pourquoi, il avait senti confusément le besoin de s'isoler, pour réfléchir, pour jouir d'un moment de solitude et tenter de démêler ses sentiments. Suffisait-il vraiment d'un simple mot pour le bouleverser autant et l'empêcher de dormir ? Pour quelle raison Lucius avait-il fait cela ? Maintenant ? Après tant d'années de silence et de résignation ? Et pourquoi cela lui laissait-il un tel arrière-goût amer dans la bouche ?
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Dans le salon principal, Severus ouvrit le buffet et se servit un verre de whisky avant de sortir sur la terrasse. Cette journée étrange, cette première fois à faire réellement l'amour tous les trois, et surtout ce mot singulier échappé de la bouche de Lucius, valaient bien un verre d'alcool. Même solitaire. Même au beau milieu de la nuit. Comme s'il trinquait avec lui-même pour célébrer l'inespéré.
Il ne craignait plus l'alcool comme autrefois, ni de retomber dans ses dépendances anciennes. Il n'avait jamais apprécié l'alcool pour ce qu'il était, et surtout pas dans les quantités dans lesquelles il le consommait. L'alcool n'avait été qu'un moyen de soulager les douleurs de ses migraines, quelque chose qui l'anesthésiait bien mieux que les potions les plus puissantes. Ce qui n'avait plus lieu d'être aujourd'hui. Harry était là, bien plus efficace que n'importe quel produit qu'il aurait pu prendre, et l'alcool était redevenu un simple plaisir. Excepté pendant les réceptions officielles où il lui servait à digérer tant bien que mal les humiliations et son invisibilité.
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La nuit était fraîche et lui arrachait de temps à autre de longs frissons, avivés par le vent, si commun dans cette région qu'il sculptait la nature. Qu'importe qu'il ait froid, il allait rester là, il avait besoin d'air et d'espace, besoin de respirer tout son soûl et de savourer sa solitude. Et puis dans quelques minutes, l'alcool allait le réchauffer.
« Mon compagnon »... Pourquoi Lucius avait-il fait cela ? Severus n'arrivait toujours pas à le comprendre... Il ne se souvenait même pas avoir déjà entendu ce mot dans la bouche de Lucius. Ni pour le présenter, ni dans une conversation banale, ni même quand ils parlaient entre eux de leur relation... Ce qui n'arrivait pour ainsi dire jamais. Lucius ne parlait pas de ces choses-là; il se contentait de les vivre comme une évidence. Il n'y avait jamais eu de mots posés sur ce qu'ils étaient l'un à l'autre, ni statut, ni titre, ni affirmation d'aucune sorte. Est-ce que Lucius avait même jamais employé le mot « couple » en parlant d'eux ? Severus était simplement présent là, aussi évident qu'un elfe de maison ou que le Monet accroché dans son bureau, et pourtant jamais nommé. Jusqu'à ce soir...
Ils n'étaient pourtant pas les seuls dans leur situation, Severus le savait. Même dans les plus hautes sphères du pouvoir, même à l'époque où Lucius, en tant que Ministre, fréquentait assidûment les sommets et les congrès européens, Severus avait aperçu d'autres couples comme le leur, plus ou moins transparents, plus ou moins « avoués ». Jouant sur les mots et les nuances, discrets la plupart du temps, sacrifiant parfois leur relation à la bienséance, ces hommes répétaient sans cesse la même histoire de discrimination et de marginalisation. Par facilité, par honte, par peur...
Et puis le temps passait, les mœurs évoluaient et surgissaient d'autres couples comme Mark et son ambassadeur, fiers, libres, affirmant haut et fort ce qui se taisait autrefois, et refusant de détourner le regard face aux critiques. Cela semblait si facile, si évident... Ça ne l'était pas, sans doute; du moins pas toujours, mais c'était beau. Est-ce qu'un jour ils parviendraient à cela ?
Il avait fallu du temps à Lucius pour aboutir à ce mot... Combien d'années au juste ? Severus avait cinquante-et-un ans, il couchait avec Lucius depuis quoi ?... ses seize, dix-sept ans... Trente-cinq ans d'attente pour devenir son « compagnon ». Trente-cinq ans et la présence de Harry dans leur vie, sans qui, certainement, rien ne se serait produit. Lucius avait tant changé depuis son réveil de Sainte-Mangouste qu'il en devenait presque un autre homme, plus simple, plus sincère, plus humain... Tellement plus... Severus n'allait certainement pas se plaindre de ce changement, mais tout ce temps perdu était un tel gâchis !
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Que ce serait-il passé si Lucius avait assumé autrement leur couple ? S'il avait accepté de l'affirmer ? Il n'y aurait peut-être pas eu Narcissa, ni Voldemort... ni Draco, ni Harry aujourd'hui... Et il ne pouvait certainement pas regretter la présence de Harry avec eux...
Et si Severus avait su retenir leur amant cette année-là ? L'empêcher de partir à l'autre bout du monde, profiter de son amour et de son corps, sans attendre toutes ces années perdues ? Est-ce que ça aurait fonctionné comme aujourd'hui ? Est-ce qu'à un moment, Harry, ou même Lucius, ne lui aurait pas demandé de choisir ? Est-ce qu'ils auraient pu être tous les trois, comme cette nuit ?...
Severus avala d'un trait le reste de son whisky. Il ne voulait pas verser dans l'amertume. Pas ce soir, pas cette nuit. Cela comptait trop pour le noircir d'un seul regret. Il voulait au contraire savourer la douceur incommensurable d'eux trois, enfin réunis, savourer ce bonheur d'être en même temps avec les deux hommes qu'il aimait, sans devoir choisir, sans devoir se partager et léser l'un pour contenter l'autre.
Tout n'était pas encore clairement défini, c'était certain. Il y avait encore tant de choses à s'avouer, à se montrer, à accepter... Est-ce que Severus allait supporter le regard de Harry pendant leurs séances dans l'antichambre ? Est-ce qu'il allait supporter celui de Lucius quand Harry le prendrait, de manière si véhémente et insatiable ? Est-ce que leur relation était viable, tout simplement ? Est-ce que l'amour ou l'attachement qu'ils se portaient les uns aux autres allaient suffire à les unir ?
Toutes ces questions n'allaient pas se résoudre en un jour. Ni même à lui seul. Il faudrait du temps, du recul... Sans doute même des disputes et des incompréhensions avant de parvenir à quelque chose d'aussi stable que la relation qu'il avait avec Lucius depuis tant d'années. Et qui perdurait malgré les silences qu'il pouvait reprocher à son compagnon.
Compagnon... Le mot était presque doux sous sa langue maintenant que Lucius l'avait utilisé à son propos. Doux, suave, précieux... Comme une récompense durement acquise. Une juste reconnaissance après trente-cinq ans de relation. Trente-cinq ans. Toute une vie avec cet homme que Severus aimait au-delà de tout, et au-delà de tout ce qu'il avait à lui reprocher. Et il allait profiter de chaque jour à venir, jusqu'à ce que ça fasse un jour trente-cinq ans qu'il partageait sa vie avec Lucius et Harry.
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Dans la chambre obscure, Severus ôta sa chemise et resta un instant nu et immobile, contemplant les corps endormis de ses compagnons dans la pâle clarté de l'aube. Ils avaient bougé pendant son absence. Lucius dormait à présent sur le côté, tourné vers Harry dont la position, alangui sur le dos, laissait entrevoir un début d'érection matinale qui fit sourire Severus. Et entre leurs corps, quelque part dans les draps, leurs mains étaient jointes, posées l'une sur l'autre comme si Harry avait toujours besoin de toucher un petit peu d'eux pour dormir paisiblement.
Mais la magie qui effleura Severus signifiait que Harry ne dormait pas complètement et rapidement, des paupières s'ouvrirent sur des yeux verts ensommeillés.
– Qu'est-ce que tu fais ? Viens...
Accompagnant sa supplique comme un geste, la magie enlaça Severus pour l'inciter à se rapprocher du lit, puis à se glisser dans les draps. Et dès qu'il fut assez près, ce furent les bras et le corps de Harry qui vinrent l'enlacer réellement, réchauffant sa peau trop fraîche.
– Pourquoi tu ne dors pas ?
– Je ne sais pas. J'avais besoin... de prendre l'air, murmura Severus en se laissant câliner et caresser par le jeune homme.
– C'est ce qu'a dit Lucius qui t'a perturbé, ou bien ce que nous avons fait ?
Severus ferma les yeux et sourit à la question trop perspicace de son amant. Harry le devinait si facilement que c'en était déstabilisant.
– Certainement pas ce que nous avons fait, avoua-t-il. J'aurais plutôt envie de recommencer...
Mais Harry n'allait pas se laisser prendre aussi facilement à ses provocations pour fuir le sujet qu'il voulait éviter. Et il avait d'autres façons de parler que simplement avec des mots.
Severus sentit la magie l'entourer comme un cocon moelleux. Ni provocante, ni excessive, elle était simplement une étreinte qui l'aurait enveloppé de toute part, tendre, rassurante, pleine d'une confiance qu'il n'avait pas lui-même. La même sensation d'apaisement que si ses deux amants l'avaient câliné en même temps, chacun de part et d'autre de lui pour mieux l'enserrer. Un bain d'amour et de tendresse incroyablement réconfortant, et Severus comprit brusquement pourquoi Harry était si demandeur de leur présence et de leur tendresse.
Severus embrassa doucement son amant qui semblait déjà se rendormir.
– Je t'aime, murmura-t-il avant de reposer sa tête sur l'oreiller et de croiser le regard gris lumineux de Lucius.
Un jour, peut-être, ils devraient parler en tête-à-tête de ce qui s'était passé la veille au mariage, et de ce mot, si étrange dans sa bouche, et pourtant si doux... Ou ils n'en parleraient pas; comme souvent, comme toujours... Ils se contenteraient de continuer à vivre, comme une évidence, et Severus se contenterait de grappiller ce qui arrivait.
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La rentrée avait eu lieu deux jours auparavant et les élèves de Poudlard reprenaient peu à peu leurs marques. Par petits groupes ou solitaires, ils se promenaient dans le parc en ce premier jour de week-end, observant d'un œil critique le nouveau bâtiment de médicomagie, visitant les enclos rénovés de l'élevage d'hippogriffes ou les serres que Neville avait fait agrandir. Certains faisaient simplement leurs premiers devoirs en profitant des derniers jours de tiédeur avant l'automne... D'autres avaient déjà réinvesti le terrain de quidditch, et d'où il était assis, près du lac, Harry apercevait les Serdaigles voler avec une envie rageuse de se défouler.
Les premières années, eux, avaient ce trait commun d'être partout hésitants, circonspects, ouvrant des yeux ronds devant chaque manifestation de magie pour les né-Moldus, et malgré tout émerveillés, même pour les métis ou les Sangs-Purs. Poudlard avait retrouvé son entrain habituel, jeune, joyeux et bruyant. Un foisonnement de mouvements et de brouhaha qui rappelait à Harry la vie foisonnante de la forêt, sans cesse grouillante et infatigable.
Il attendait Matthieu, sans doute occupé à régler quelque problème des nouveaux élèves ou à sévir sur les septièmes années, toujours prompts à faire les malins. Une fois encore, son ami avait accepté la charge de directeur des Serpentards, en plus des cours de Potions pour toutes les années. Jurant une fois encore qu'on ne l'y reprendrait plus... Alors qu'il venait de caler les dates des premières Master Class qu'il avait décidé d'organiser, juste avant Halloween... Harry ne donnait pas quinze jours à Matthieu avant de l'entendre dire qu'il n'avait le temps de rien, qu'il était débordé et épuisé. Mais aussi, passionné par ce qu'il faisait.
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Derrière le bosquet d'arbres qui lui faisait de l'ombre, Harry entendit des bruits de voix, des rires étouffés et des gloussements si frivoles qu'ils le firent sourire à son tour. L'éternel recommencement des amoureux qui se retrouvent, des baisers volés et des amours discrètes.
Le couple d'élèves s'assit dans l'herbe, de l'autre côté des arbres, sans doute enlacés ou côte à côte. De toute évidence, ils ne l'avaient pas vu, caché par les fougères et les buissons, sans quoi ils se seraient éloignés. Peu désireux de bouger de là où il était tout en préservant leur tête à tête, Harry lança un sortilège d'intimité pour continuer à profiter du soleil qui le chauffait doucement. Quand il voudrait partir ou quand il apercevrait Matthieu à sa recherche, il pourrait toujours transplaner pour ne pas signaler sa présence.
– Alors, ta rentrée ? fit une voix masculine qui ne lui était pas étrangère.
– Bah, la routine... Le train, le discours, le choixpeau et le dîner... Mais cette année, la soirée de rentrée dans la salle commune était particulièrement réussie ! Matt avait visiblement d'autres chats à fouetter, ricana la voix de Lisbeth. Il a fait son petit laïus et il a laissé les préfets gérer le reste. Autant te dire qu'ils ont envoyé les premières, deuxièmes et troisièmes années se coucher, et que tous les autres ont fait la fête jusqu'au petit matin !
Étouffant une exclamation, Harry fit la grimace. De son temps, ils avaient attendu la dernière année pour être un peu délurés, mais plus le temps passait, plus la jeunesse était précoce !
– Parce que tu l'appelles par son prénom, maintenant ?!
– Oh, sois pas jaloux, James ! Ça ne te va pas ! C'est parce qu'on en parle comme ça... Devant lui, j'oserais jamais ! De toute façon, il est casé !
Malgré lui, Harry écoutait la conversation de Lisbeth et James, amusé de leur insouciance et curieux de ce qu'ils pouvaient dire et penser de Matthieu. Et curieux également de cette relation qu'il n'avait même pas soupçonnée pendant le stage de potions.
– Avec Novitskaya ? Je croyais qu'ils étaient plus ensemble.
– Pas avec elle, non, fit Lisbeth d'un ton navré. Ils sont séparés depuis février ou mars, par là... Non, là il est avec le prof de soins aux créatures magiques.
Harry écarquilla les yeux en retenant son souffle.
– Lovegood ? Je croyais qu'elle était gouine ?!
Un bruit de rire étouffé traversa le rideau d'arbre, suivi par le son humide d'un baiser.
– Parfois, t'es vraiment à la ramasse, mon pauvre James ! Pas elle. L'autre prof de SCM...
– J'en sais rien moi ! J'ai pas pris cette option l'année dernière... C'est celui qui est tout le temps en voyage, là ? Le grand roux qui s'occupe des élevages ?
– Charlie Weasley, fit Lisbeth d'un ton suave. Le dragonnier le plus célèbre d'Europe et beau à tomber le cul par terre !
Un rire clair s'éleva dans le parc tandis que James poussait un grognement outré et Harry un cri étranglé.
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Charlie Weasley était professeur à Poudlard.
Inlassablement, Harry répétait cette phrase dans sa tête comme une litanie amère. Charlie était prof à Poudlard. Charlie. Son Charlie. Le Weasley, le roux, le dragonnier. Il n'y avait aucun doute possible.
Charlie était l'amoureux de Matthieu, qu'il rechignait tant à nommer et à lui présenter depuis des semaines.
Charlie était professeur à Poudlard, collègue de travail de Luna, de Padma, de Neville, d'Irina... Et pas une fois son nom n'avait été mentionné devant lui.
En rentrant en Angleterre, Harry avait vécu à Poudlard quelques temps, dans les anciens appartements de Severus. Il avait vécu dans le château, parcouru ses couloirs, pris ses repas dans la Grande Salle, il s'était promené dans le parc, et pas une fois il n'avait aperçu Charlie.
Il avait parlé de lui à Fred, à Georges, à Molly et aucun n'avait avoué où il travaillait.
Le silence était plus qu'intentionnel, il était collectif. Tout le monde lui avait menti. Charlie n'avait pas voulu le revoir, et tout le monde lui avait menti. Et dès qu'ils avaient pu, ils l'avaient évincé de Poudlard pour plus de sûreté.
Avant de perdre le contrôle de sa magie qui s'emballait, Harry transplana. Loin.
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Merci à tous de votre fidélité et mille pardons pour cette fin qui vous laisse sur votre faim. Et bravo à celles et ceux qui avaient deviné l'identité du cher et tendre de Matthieu!
La suite samedi prochain et ce sera déjà l'avant-dernier chapitre... :(
Au plaisir
La vieille aux chats.
