.
– Harry ? murmura Lucius en le retenant dans la Salle à Manger.
Inquiet et surpris, Harry s'immobilisa immédiatement et se tourna vers l'aristocrate. Ils venaient de finir de dîner et Severus était parti dans son bureau chercher un livre avant de les rejoindre dans le Petit Salon.
– Est-ce que... ce soir, tu pourrais venir te coucher un peu plus tard que nous. J'ai besoin de parler à Severus...
Interloqué par la demande de Lucius, Harry fronça les sourcils en cherchant son regard. Mais les yeux gris de l'aristocrate souriaient tranquillement, sereins, bien qu'il soit évident qu'il ne s'expliquerait pas plus avant.
– Je peux... aller dormir dans ma chambre, si tu veux, proposa-t-il. Ou en profiter pour sortir ce soir et vous laisser seuls...
– Non, fit Lucius en secouant la tête. Ce n'est pas nécessaire. Si tu peux juste venir te coucher... dix-quinze minutes après nous ? Rien de grave, je t'assure...
Harry hocha la tête, dubitatif. Le sourire malicieux de l'aristocrate était à croquer, mais il se demandait bien ce que cela cachait.
.
oooooo
.
Severus bâillait depuis déjà un moment quand il céda enfin à l'insistance de Lucius pour monter se coucher. De toute façon, cela faisait un bon moment qu'il lisait le même paragraphe et il ne pouvait toujours pas dire ce que cela racontait.
En se brossant les dents devant le miroir de la salle de bains, il pesta intérieurement contre Harry qui avait encore choisi le moment de se coucher pour descendre aux cuisines se chercher un champurrado. Et après il allait encore les réveiller en se couchant, le temps de venir s'installer au milieu du lit ! Enfin le réveiller surtout lui qui s'endormait en quelques minutes...
Quand il ressortit de la salle de bains, Severus fut surpris de trouver Lucius encore habillé, assis dans un fauteuil en attendant visiblement la place.
– C'est bon, tu peux y aller, grommela-t-il, encore plus agacé par le petit sourire en coin de son compagnon.
Severus se déshabilla rapidement et jeta ses vêtements sur un siège. Il aurait dû se coucher plus tôt... Il détestait cette impression de devoir se réveiller à moitié pour monter et se préparer pour la nuit, alors que, comme chaque soir, il piquait du nez sur son livre en attendant une heure « décente » pour accepter d'aller au lit. Contrairement à Lucius et Harry, il était du matin, mais l'heure à laquelle il se serait volontiers couché ne leur correspondait pas trop !
Il se laissa tomber sur le lit avec lassitude, ravi de pouvoir enfin rejoindre les bras de Morphée et les corps de ses compagnons... Enfin ! Quand Harry déciderait de monter !
L'objet qui sursauta sur l'oreiller quand il s'assit attira son attention et Severus fronça les sourcils. Une petite boîte de bois noir, de l'ébène sans doute, connaissant Lucius, et qui tenait sans peine dans sa main en attendant d'être ouverte. Il jeta un coup d'œil méfiant à son compagnon qui patientait tranquillement dans son fauteuil.
La bague, parce que c'en était une, était magnifique, argentée avec un liséré ciselé plus opaque, en argent ou en platine, et elle brillait de mille feux, sertie dans son écrin de velours noir.
– C'est en quel honneur ? marmonna Severus en levant les yeux vers Lucius. J'ai raté l'anniversaire de nos vingt ans, de nos trente ans ou de la première fois où on s'est vus ?
Lucius s'était levé pour s'approcher et il s'était appuyé de l'épaule contre le montant du baldaquin, le considérant de haut avec son petit sourire en coin. Son regard narquois semblait se délecter de la situation et Severus se rendit brusquement compte qu'il était nu comme un ver avec ce présent entre les mains dont il ne savait même pas la raison.
– C'était le trois septembre mil neuf cent soixante-et-onze à la gare de Pré-au-lard et tu avais onze ans..., fit posément Lucius, amusé. Non. C'est en l'honneur de notre prochain mariage... Si tu veux bien m'épouser.
Severus ferma les yeux une fraction de seconde, le souffle court, voire même paralysé par la surprise, tandis que son ventre se nouait en une intense contraction.
– Pourquoi ?
– Pour devenir Monsieur Severus Rogue-Malfoy. Mon mari, se moqua Lucius avec un sourire indulgent.
Le mot fit frémir Severus; cette fois bien davantage que les autres, où il n'était utilisé qu'en guise de plaisanterie ou de provocation. Mais ce n'était pas ce qu'il voulait savoir. Et Lucius le savait pertinemment.
– Pourquoi ?
Le sourire de Lucius se fit moins ironique, presque triste, avant qu'il ne réponde avec une voix pleine de regrets :
– Parce que j'aurais dû le faire après la guerre, à la mort de Narcissa, et que je veux réparer cette erreur...
La tête baissée, Severus déglutit difficilement, inexplicablement gêné par une grosseur insidieuse dans sa gorge. Un instant, il lui sembla que sa main tremblait mais ce n'était sans doute qu'un frisson dû au froid.
Lentement, Lucius vint s'asseoir auprès de lui, prit la petite boîte en ébène et fit tourner la bague dans son écrin de velours. La partie à présent visible portait les armoiries des Malfoy, le grand M stylisé sur un blason, encadré de deux dragons. Le même emblème que celui de la chevalière que Lucius portait parfois pour les réceptions officielles et les grandes occasions.
Severus n'avait pas vraiment réalisé lorsque Lucius avait mentionné son futur nom, mais le mariage que son compagnon lui proposait n'était pas une union privée et discrète. Il s'agissait d'un mariage public, officiel, après lequel il appartiendrait à la famille Malfoy et pourrait porter ses armoiries. Et son nom. Merlin...
Le souffle toujours rare et difficile, Severus contemplait la bague, si dérisoire par sa taille et immense par son symbolisme. Si inespérée... et par-là même, si douloureuse.
Brusquement, il tourna la tête vers son compagnon.
– Et Harry ?
– Harry se fout de tout ça, fit Lucius en souriant. Il se fout du nom, du titre, de la réputation...
– Ça n'a jamais été pour ces raisons-là que j'ai voulu être ton mari.
Le ton était peut-être plus sec qu'il ne l'aurait voulu, mais Lucius ne s'en formalisa pas.
– Non. Mais ça compte. Tu n'as jamais supporté d'être transparent aux yeux de la société et de ne pas exister comme étant mon compagnon de manière officielle. Harry se fout de tout ça. Il préférerait même être transparent aux yeux de tous et que personne ne le remarque.
– Je ne veux pas... qu'il se sente lésé.
– Il ne le sera pas, assura Lucius. Mais Harry ne voudrait pas quelque chose de public. Il n'appartient qu'à nous...
.
.
– Acceptes-tu ? demanda Lucius après un long silence.
Severus sursauta, le regard perdu sur cette bague et le changement qu'elle impliquait. Un mariage. Public. En grandes pompes sans doute, vu la position de Lucius. Des dîners interminables qu'il serait obligé d'honorer, et de manière bien plus sobre qu'avant. Des photos officielles. Des mains à serrer par centaines et des sourires hypocrites par milliers. Un contrat à signer qui changerait son nom, sa vie, et si peu de choses à la fois. Une nuit de noces... L'idée le fit sourire une seconde.
Mais des contraintes, des restrictions publiques, du paraître... Une liberté entravée par un nouveau statut. La réputation de Lucius à privilégier avant tout. Le poids du nom et les obligations qui y incombaient... Sortir de l'ombre pour aller en pleine lumière. Lui qui détestait presque autant que Harry être sous les feux de la rampe...
Mais un tel pied de nez à tous ceux qui l'avaient ignoré, voire rabaissé pendant des années ! Une telle reconnaissance de ce qu'il était... le compagnon de Lucius, officiellement. Son mari. La fin de toutes ces simagrées où les femmes à marier venaient tourner autour de lui... Et puis cet aveu public implicite : admettre et assumer aux yeux de tous que Lucius aimait les hommes et qu'il en épousait un...
– Évidemment que j'accepte ! marmonna Severus.
Il n'allait pas lever les yeux pour voir le sourire rayonnant de Lucius... Ni montrer à quel point ses yeux à lui étaient inutilement brillants tandis que son futur mari sortait la bague de son écrin pour la passer à son annulaire. Quelle stupidité d'être ému pour un simple bijou ! Enfin... Merlin merci ! Harry n'était pas là pour assister à ça !
– Tout de même ! marmonna Severus en appréciant la bague à son doigt. Tu aurais pu faire ça quand j'étais encore habillé ! Ça manque un peu de tenue !
– Tu n'avais qu'à voir la boîte sur ton oreiller avant de te déshabiller ! gloussa Lucius en l'incitant à se lever. Je t'ai déjà vu nu, tu sais ? Ce n'est pas comme si tu étais une jeune promise...
Severus passa ses bras autour de la taille de son compagnon, aussi nu que Lucius était élégant et distingué dans son costume.
– Merci de souligner mon âge ! Et la nuit de noces, on peut la consommer avant ? ricana-t-il.
– Ce n'est pas plutôt abstinence jusqu'au mariage ?
– Embrasse-moi au lieu de dire des bêtises !
Un long moment, ils se perdirent dans un baiser plein de tendresse plus que d'envie, avant de se retrouver simplement enlacés, front contre front.
– Je t'avais dit que le prochain bal des Malfoy ne se passerait pas de la même manière, murmura Lucius. Ce n'était pas une parole en l'air... C'était une promesse.
Severus serra un peu plus le corps de son compagnon contre lui, sans répondre à ses paroles. Il n'avait jamais espéré quoi que ce soit, ou du moins, il avait pris l'habitude depuis des années de ne plus rien espérer. Mais Lucius avait apparemment pris sa décision plusieurs semaines auparavant et rien que cela le rassurait sur le fait qu'il n'allait pas changer d'avis à la dernière minute.
Merde ! Il allait se marier ! À son âge ! Devoir choisir un costume, faire des dizaines d'essayage avec le tailleur de Lucius, choisir les fleurs, le menu, le plan de table... Lucius ne comptait pas vraiment sur lui pour ce genre de choses, n'est-ce pas ? Et est-ce qu'il allait exiger de lui une espèce d'échange de vœux ou quelque chose du même acabit ?! C'est ça, il allait lui promettre sa virginité, et puis fidélité tant qu'on y était, alors qu'ils couchaient tous les deux avec Harry !
.
.
Le bruit du jeune homme qui frappait à la porte le tira de ses pensées pleines d'ironie. Severus fronça les sourcils tandis que Harry entrait dans la chambre avec une hésitation étrange.
– Parce que tu étais de mèche avec lui, toi ?! marmonna-t-il.
– De mèche pour quoi ? fit Harry.
L'innocence était finement jouée... ou réelle. Le sourire espiègle de Lucius, en revanche, était tout à fait réel.
– Pour frapper ainsi à la porte, c'est que tu étais au courant !
– Luce m'a dit qu'il devait te parler, mais je peux repartir si vous n'avez pas fini...
L'aristocrate leva les yeux au ciel devant si peu de collaboration à tenir un secret et ricana :
– Viens te coucher, il est juste grognon.
Harry s'avança vers eux, curieux et dubitatif.
– Je peux savoir ce qui se passe ?
– Il paraît que je vais me marier, marmonna Severus.
Harry ouvrit des yeux ronds et son regard surpris passa rapidement de l'un à l'autre.
– Oh ! Je... Ooohh...
Il resta quelques secondes interdit avant qu'un large sourire ne vienne illuminer son visage, si sincère que c'en était presque perturbant. Merlin ! Lui-même n'avait pas souri autant à Lucius !
– Je ne sais pas même plus qui je dois féliciter en premier ! lança Harry en riant avant de tomber dans les bras de Lucius pour l'enlacer. Et je suis le témoin de qui ?
– Personne, fit l'aristocrate en déposant un baiser sur ses lèvres. Toi tu es le troisième marié, celui qui attend discrètement les deux autres sous la couette...
– Ça me va très bien ! gloussa Harry. Et comme je suis nu, c'est moi qui porte la jarretière ? Je rappelle que dans la tradition, c'est avec les dents qu'on doit l'enlever !
Severus secoua la tête avec désespoir, Harry serait toujours incorrigible ! Adorable, délicieux et surprenant, mais incorrigible.
.
.
Lentement, le jeune homme relâcha Lucius et s'approcha de lui, glissant ses bras autour de sa taille. Les yeux verts qui plongeaient dans ceux de Severus étaient lumineux, rayonnants d'un bonheur qui n'était pourtant pas le sien, mais Harry savait parfaitement ce qu'un mariage pouvait représenter pour lui.
Une main tendre vint caresser ses cheveux et redresser une mèche blanche que son étreinte avec Lucius avait malmenée, puis Harry l'embrassa passionnément.
– Je suis si heureux pour toi, murmura-t-il. Tu l'as tellement mérité...
.
