Merci à Schwips pour son comm.

En réponse à la tienne Aurélie : merci, c'est un compliment que j'apprécie énormément.

Voilà la suite.

Enjoy !


PARTIE 6


Deux ans plus tard

Je me levai à la bourre.

Dans son berceau, Dylan dormait paisiblement. Je n'eus pas le cœur à le réveiller tout de suite. Je pris une douche rapide puis enfilai mon uniforme. Je chauffai son biberon et attrapai son sac préparé la veille pour déposer le tout à l'entrée. Je l'entendis m'appeler. Je traversai le séjour de mon appartement pour aller le chercher dans ma chambre. Il se tenait debout, agrippé aux barreaux. Il me souriait, et mon cœur se retourna. Comme souvent, j'eus envie de pleurer, consciente de la chance que j'avais d'avoir un bébé si joyeux et calme. Il ne pleurait quasiment jamais, il n'était pas difficile, mangeait tous ses légumes, toutes ses compotes, dormait bien. Pourtant il n'y avait rien à faire, je n'arrivais pas à l'aimer. Et cette sensation était abominable.

Il tendit les bras vers moi, je le saisis avec précaution, il pesait son pesant d'or. Il gazouilla, m'embrassa la joue, heureux de vivre.

-Bonjour Dylan. Tu as bien dormi ?

Il parut me répondre. Je lui souris sans conviction, lui indiquant qu'on devait faire vite. Au moment de quitter la chambre, il me montra son doudou resté dans le berceau.

-J'avais oublié, m'excusai-je.

Son doudou sous le bras, nous étions presque prêts.

-On change la couche et on y va. Nina t'attends, elle te lavera.

Nina était ma voisine, elle gardait aussi deux autres enfants du voisinage. Son tarif était raisonnable, et puis je n'avais pas le choix de toute façon. J'avais un peu l'impression de travailler pour la gloire mais j'avais un loyer à payer. Je frappai vivement à sa porte, surveillant ma montre; elle ouvrit presque aussitôt. Elle s'illumina en voyant Dylan. Elle l'aimait c'était une évidence. Il en avait besoin, et c'était un soulagement d'être tombée sur cette femme en qui j'avais eu confiance immédiatement. D'origine hispanique, elle dégageait une maturité et une douceur qui était rassurante. Elle n'avait pas plus de trente ans, était célibataire et n'avait pas d'enfant. Elle avait fait le choix de s'occuper de ceux des autres et leur donnait beaucoup d'amour.

-Dylan ! Mon chéri !

Elle l'attrapa dans ses bras et le câlina à outrance. Il riait, riait, riait. Qu'est-ce qu'il ressemblait à Caleb ! Et c'était bien ça le problème. Il me rappelait constamment son père, et tout ce que je cherchais à oublier. Il était le rappel vivant d'une vie intolérable. Je tendis le biberon encore chaud à Nina et déposai le sac dans son entrée avant de faire demi-tour pour partir.

-Maman !

Je pris sur moi, revins lui faire un bisou, et m'en allai cette fois sans me retourner. Une fois au travail, je me sentis nettement mieux.

J'étais arrivée à White pine bay il y a un an et demi, juste avant d'accoucher de Dylan. J'avais fait escale à Salem, j'y avais trouvé un boulot de femme de ménage mais j'avais pas pu me résoudre à m'y installer car je n'aimais pas cet endroit qui me rappelait là d'où je venais. J'avais pu passer mon permis et j'avais acheté une vieille voiture qui m'avait emmenée jusqu'ici.

Au hasard.

J'avais rapidement trouvé du travail, trouvé un appartement, trouvé une nourrice, bref tout allait bien même si j'étais tout le temps fauchée, que mon appartement était ridiculement petit et que je ne parlais à personne. Je me sentais bien ici.

J'enfilai mon tablier, saluai ma collègue serveuse et passai aux toilettes pour me maquiller vite fait. J'avais coupé mes cheveux, et je les portais raides désormais. J'étais cernée, conséquence de nombreuses nuits sans sommeil malgré une fatigue générale persistante. Etre mère ne me rendait pas heureuse. Etre seule non plus. J'avais eu de nombreuses demandes de mecs plus ou moins sympathiques mais jamais je n'avais voulu franchir le pas.

Forcément, je me mis à penser à Alex.

Je l'avais quitté ce soir-là, quand il m'avait embrassée. J'avais pris mes clics et mes clacs et j'étais partie. La peur de voir ma vie étalée au grand jour m'avait convaincue de m'éloigner de lui, de Caleb, de mon père, de ma mère. J'avais pris la fuite en somme et il ne m'avait pas empêchée de partir.

Je commençai mon service, et la matinée passa rapidement. Je fis une pause-déjeuner rapide et rejoignis Shelly à l'arrière. Elle fumait, assise sur une caisse de livraison vide. Je pris place à ses côtés, elle me tendit sa cigarette.

-Tu veux une taffe ?

On faisait toujours ça, j'étais trop pauvre pour m'acheter des cigarettes et je me contentais de vapoter, histoire de. Je tirai dessus deux ou trois fois et la lui rendis. Elle observa son portable, fronça les sourcils. Je l'enviais d'en avoir un.

-Un souci, Shelly ?

-Mon fils est malade. Il faudrait que je rentre plus tôt ce soir, tu pourrais enchainer sur le service de ce soir ?

-Bien sûr.

-Je te revaudrai ça.

Je savais qu'elle tiendrait parole, je la connaissais bien maintenant. Ça faisait un an qu'on bossait ensemble et elle était réglo. Des fois on sortait ensemble boire un verre mais ça restait très occasionnel. Elle vivait avec un mec, et c'était compliqué de sortir le soir.

-Ta nounou va pas faire la gueule pour Dylan ?

-Non, elle est sympa, ne t'inquiète pas.

Et puis je n'étais pas pressée de récupérer mon fils pour rentrer dans cet appart oppressant.

Nous discutâmes encore quelques minutes, et ce fut l'heure de reprendre le boulot.

OooooO

-J'ai mon cousin qui est de nouveau célibataire, je peux vous arranger un plan ? Me proposa Shelly quelques jours plus tard.

Nous étions en pause, au même endroit, les yeux dans le vague.

-Non, tu sais bien que ça m'intéresse pas.

-Il est cool, je t'assure, et puis ça te fera du bien, et ça t'engage pas. Lui aussi ne recherche rien pour l'instant. C'est juste histoire de sortir. Tu fais jamais rien.

Elle avait raison, j'étais trop cloitrée chez moi. Je ruminais trop, cherchant désespérément une réplique d'Alex que je ne parvenais pas à trouver. Je devais passer à autre chose, réapprendre à vivre.

-Ok. Juste un rendez-vous.

Elle me sourit, pleine de gratitude. Elle aimait son cousin, ça se voyait, et s'inquiétait pour lui.

-Ça me manque d'avoir une famille, lui confiai-je sans réfléchir.

-Tu as Dylan.

Je ne répondis pas.

-Alors ? T'es partante ?

-Ok, mais on va juste boire un café, je veux pas rentrer tard.

Elle n'émit aucune objection.

-Demain je peux te remplacer, comme ça tu pars plus tôt et vous vous rejoignez chez Marty's pour quatre heures.

-Ok, soupirai-je. Viens, le travail nous appelle.

OoooO

Ce fut de mauvais poil que je me rendis à ce fameux rendez-vous. J'avais peu dormi cette nuit car Dylan faisait ses dents. Je reconnus immédiatement le cousin de Shelly grâce à la description qu'elle m'en avait faite. Il se leva, me fit signe de venir à sa table. J'attrapai la main qu'il me tendit, tenta de sourire mais en vain.

-Bonjour Norma, je suis Keith, le cousin de Shelly. Asseyez-vous.

Je m'installai en face de lui, stressée. Il n'était pas du tout à mon goût, je ne saurai dire pourquoi, et cela m'énerva encore plus. De taille moyenne, un peu grassouillet, il avait une barbe mal taillée qui ne l'avantageait pas, sans parler de sa tenue trop ajustée. Il avait fait un effort vestimentaire, je devais lui reconnaitre ça.

-Vous êtes magnifique.

-Merci.

Je portais une robe noire cintrée arrivant jusqu'au genou et au décolletée carré. Cette tenue me vieillissait un peu mais je n'avais que celle-là pour sortir. Je l'avais trouvée dans une friperie et j'avais eu un coup de cœur pour elle. Il louchait vers mon décolleté un peu trop souvent.

-Qu'est-ce que je vous offre à boire ?

-Un café, j'en ai besoin après la nuit que j'ai passé.

Il passa commande et me demanda ce qui avait contrarié mon sommeil.

-Mon fils. Il fait ses dents.

-J'ai un fils aussi, il a cinq ans.

-Ah oui ?

Mais je n'en avais rien à faire. Il commença un monologue qui me soula rapidement. Il me parla de son ex, de son fils, de son travail de gérant de motel. Je le trouvais bien jeune pour être gérant mais après tout, il en avait hérité de sa famille alors…

Je sirotai mon café, c'était la seule chose agréable de ce foutu rendez-vous. Lui, il s'était déjà enfilé deux bières, et je ne savais pas ce qu'il avait bu avant que j'arrive. Je le trouvai trop volubile pour ne pas être un peu alcoolisé. Une heure passa, elle dura une éternité jusqu'à ce que son portable sonne. Il décrocha sans plus me prêter attention, un sourire jusqu'aux dents.

-Hey mon pote !

-…

-Ouais ça fait un bail !

-…

-Tu es où ?

-…

-Je passe te chercher.

-…

-Rien d'important.

Quel culot ! Mais au final, cet inconnu me sauvait la mise. Je l'en remerciai mentalement. Il raccrocha, toujours le sourire aux lèvres et demanda l'addition à la serveuse.

-Mon meilleur ami arrive, on a grandi ensemble ici avant qu'il ne déménage brusquement il y a dix ans. Je suis tellement content de le revoir ! Ça fait bien trois ans qu'il est pas venu !

-Vous pouvez me ramener avant ?

Je ne me sentais pas de marcher, et je n'avais pas envie d'attendre le bus. Et il pouvait bien faire ça, c'était le minimum pour un rendez-vous aussi pourrave.

Sa voiture, une belle Mercedes noire, me redonna le sourire. Elle était magnifique. Il me coupa dans mon trip quand de la musique style punk résonna dans l'enceinte de l'habitacle. Un pur gâchis, me désolai-je. Je regardai le paysage urbain défiler, et me rendis compte que nous n'allions pas vers le centre ville.

-Pourquoi on sort de la ville ?

-Faut que je récupère mon pote, il attend déjà depuis un moment, il a pas réussi à joindre Shelly. On est presque arrivés.

-Vous n'auriez perdu que dix, quinze minutes à me ramener, votre ami pouvait attendre. Je dois récupérer mon fils chez la nourrice. Plus je rentre tard plus je paie.

-Si ce n'est que ça…

Il fouilla dans sa poche, me lança quelques billets qui atterrirent sur ma robe. Je vis rouge et le frappai au visage, colérique. Il dévia de la route, se rattrapa in extremis et freina d'un coup sec pour se garer sur le bas-côté. Il descendit, fit le tour et me força à descendre en m'insultant. Sa poigne autour de mon bras me fit souffrir. J'eus le temps de saisir mon sac-à-main avant qu'il ne me pousse loin de lui.

-T'as de la chance d'être la copine de ma cousine, grogna-t-il. Tu feras la route à pied. Ça t'apprendra à être moins casse-couilles.

-Faudrait-il encore que t'en aies des couilles, espèce de bâtard !

J'étais éreintée, j'avais mal aux pieds avec ces talons, et il commençait à pleuvoir. Il fit un bond vers moi, je sursautai. Son visage était trop proche, il sentait l'alcool.

-Ne m'oblige pas à te montrer si j'en ai.

Mon poil se hérissa, impossible que ce gars soit de la famille de Shelly.

-Pas étonnant que votre copine vous ait quitté, un gros lard alcoolo comme vous qui n'a aucun respect pour les femmes.

Mon nez explosa, la gifle avait été d'une rare violence. Je tombai au sol, il me laissa là et remonta dans sa voiture. Par fierté, je me relevai mais j'étais complètement sonnée. Si quelqu'un avait vu la scène, personne ne prit la peine de s'arrêter. Je tanguai, mal placée sur mes jambes tellement ma tête me tournait. Je le regardai partir avec haine.

J'avais la haine. Une haine féroce contre les hommes. Je ne voulais plus être une victime. J'étais partie de ma ville natale pour ça et au final…

Je repris tant bien que mal mon chemin en sens inverse. Je voulus faire du stop mais j'avais ma dose avec les mauvaises rencontres. Je pataugeai tant bien que mal dans l'herbe imbibée du bas-côté de la route, soulagée que l'averse soit terminée quand j'entendis quelqu'un freiner brutalement. Je reconnus la Mercedes de Keith en warning de l'autre côté de la route.

Oh non !

Je commençai à courir, la peur au ventre.

-Mademoiselle !

Mon imagination me jouait des tours.

-Mademoiselle, attendez !

Je me mis à hurler quand une main attrapa mon bras pour me freiner dans ma course. Une main m'entrava la bouche.

-Calmez-vous, je suis de la police, je ne vous…

Ce fut comme un étrange retour en arrière pour moi.

Alex.

Je ressentis un mélange de soulagement, de stupeur, de bonheur en me noyant dans son regard décontenancé. Il ôta rapidement sa main de ma bouche, elle était maculée de sang.

-Norma… Mais qu'est-ce… ?

Mes yeux s'écarquillèrent de peur en voyant Keith débouler derrière Alex.

-Mais qu'est-ce tu fous Alex ? Pourquoi tu la laisses pas se démerder ?

Je voulus lui cracher à la gueule.

-Enfoiré !

Alex fit volte-face et le saisit par le col de son blouson.

-Tu l'as frappée ?

-Elle le méritait !

-Tu l'as frappée ! Hurla-t-il, enragé.

Alex le jeta au sol et le matraqua de coups de poings sous mes yeux effarés. Quand il perdit connaissance, je retrouvais l'usage de la parole :

-Arrête ! Tu vas le tuer !

Il se redressa d'un seul coup, observa les alentours, remarqua lui aussi les automobilistes qui s'étaient arrêtés et téléphonaient sûrement aux flics.

-On doit partir.

Il attrapa ma main et m'entraina vers la voiture de Keith.


La suite quand je pourrai