Merci à Schwips et Aurelie gummel pour leur review.

Changement de point de vue difficile à écrire mais nécessaire à mes yeux.

Bonne lecture.


Partie 7


ALEX

Je roulais comme un dingue pour m'éloigner des lieux, je ne voulais pas être impliqué dans cette histoire et je savais que Keith fermerait sa gueule.

-Ralentis Alex.

Je fis un effort, touché par la voix inquiète de Norma, je voyais bien qu'elle était choquée. Je n'arrivais pas à croire que de tous les endroits sur Terre, ce fut ici, dans ma ville natale, que je tomberais sur elle. Son départ précipité m'avait mis un coup. Et la discussion que j'avais eue avec mon père avait fini de m'achever. Ses révélations m'avaient mis à mal. Je ne savais pas pourquoi il m'avait dit tout ça mais je n'avais pas voulu y croire. Et puis avec le temps, les choses s'étaient tassées, le fils Calhoun avait été condamné suite au décès de Masset et ma vie avait repris son cours.

Je lui jetai de vagues coups d'œil, mon cœur s'était emballé en la reconnaissant tout à heure. Elle était différente, plus adulte, peut-être trop, et ses fringues…

Je soupirai, je ne voulais pas savoir ce qu'elle tramait dans sa vie privée.

Mais putain mon meilleur pote ! De tous les mecs, fallait qu'elle se l'tape lui ! Ma tension monta d'un cran, ça me soulait de l'imaginer avec lui. Et même avec qui que ce soit. Et cela m'emmerdait. Je ne saisissais pas le pourquoi de cette jalousie, encore moins mon intérêt pour une fille que j'avais vu quoi ? Cinq minutes.

-Je te dépose chez toi.

Elle me donna son adresse avec une légère hésitation. Je compris pourquoi en découvrant son quartier délabré dix minutes plus tard. Pas le meilleur d'endroit pour vivre mais bon, je supposai qu'elle n'avait pas eu tellement de choix. Dix longues minutes de trajet sans un seul mot. Devant son bâtiment, je la laissai descendre. Elle s'extirpa du véhicule et elle se dirigea vers l'entrée. Je restai là pour vérifier qu'elle entre bien dans le bâtiment. Je fus surpris de la voir revenir dans ma direction. Je baissai la vitre quand elle se pencha vers moi.

-Merci, me dit-elle.

Je sentais qu'elle voulait me dire autre chose mais elle se retint. Son visage amoché me ravageait. J'avais envie de me défouler encore sur Keith.

-Qu'est-ce que tu vas faire ?

Son inquiétude était réelle. J'aurais aimé descendre et la serrer dans mes bras. Je me morigénai, je ne devais pas me laisser attendrir. Je me sentais à vif, une plaie laissée par la mort de ma mère. Et Norma cherchait à s'engouffrer dans une faille, volontairement ou pas, mais dans tous les cas je ne voulais pas l'autoriser à m'atteindre plus qu'elle ne l'avait déjà fait. Je ne voulais pas augmenter cette plaie. Je devais m'emmurer, ne plus laisser personne me faire du mal.

Je serrai mes mains autour du volant. Mes jointures rougies me faisaient souffrir. Je percevais son regard lourd sur moi, attendant une réponse.

-Rien qui ne te concerne.

-Ok.

Elle se redressa et se hâta de rentrer dans le bâtiment. Je fermai les yeux, regrettant son départ intempestif. Finalement, après une bonne minute, je pus reprendre mes esprits. Je devais régler certaines choses. En me rendant chez Keith, je passai devant mon ancienne maison. Il y avait de nouveaux résidents, différents d'il y a trois ans comme si cette maison ne supportait plus personne depuis notre départ. A chacune de mes visites, il y avait une nouvelle famille. J'y avais passé les meilleures années de ma vie avant que mon père ne soit « muté » ailleurs, nous obligeant à quitter nos amis et notre rare famille. Ma grand-mère était morte depuis. Ma mère avait eu du mal à s'en remettre. Quant au frère de mon père, sa femme et son fils, ils ne vivaient plus ici depuis longtemps, blessés par les commérages dus aux actions malhonnêtes de mon père.

Mon père…

Ce fils de pute.

Un salaud fini, un flic ripoux, un mari violent et un père atroce.

J'avais découvert ses trafics à l'adolescence, par hasard, un soir tard alors que je descendais boire un verre d'eau dans la cuisine. Il était dans le salon, avec un de ses potes, discutant « business ». J'avais alors compris à qui j'avais affaire et pourquoi on avait tout perdu à White Pine Bay. Et au lieu d'apprendre de ses erreurs, il avait recommencé ailleurs. Ma mère avait cessé de sourire dès qu'on avait quitté cette ville. Elle avait compris avant moi à quel genre d'homme elle s'était marié, elle avait découvert ses infidélités aussi et de là avait commencé les coups car elle s'était rebellée. Je ne comprenais pas pourquoi on était resté avec lui. Je l'avais questionné une fois :

-Pourquoi on ne part pas maman ?

-Parce qu'on ne peut pas.

Et puis j'avais su la vérité. Elle était restée car il la tenait à cause de moi, la menaçant des pires représailles si elle tentait de m'emmener loin de lui. Il était flic, il la retrouverait toujours. Et elle y avait cru. Je n'arrivais pas à lui en vouloir. Je comprenais le choix de ma mère. Mais j'étais devenu un homme méfiant, dur et intraitable à cause de ce choix. Ma mère s'en était désolée.

-C'est de ma faute si tu es devenu comme lui.

-Je ne suis pas comme lui !

-Tu as raison. Tu as encore du respect pour l'être humain.

Je n'avais pas répondu parce que je n'en étais pas sûr.

-J'espère que tu trouveras quelqu'un qui t'aimeras pour ce que tu es, ne laisse pas ton cœur se fermer.

A quoi bon aimer ? On souffrait toujours au final. Ma mère avait mis fin à ses jours à cause de ça. C'est pour ça que je n'avais pas réussi avec Rebecca. J'étais incapable de l'aimer.

Devant chez Keith, j'eus une hésitation. Je réfléchis à toute allure avant de reprendre la route vers le port. Je pris mon sac à dos et attrapai un chiffon dans la boite à gants pour effacer toute trace de mon passage. Je reçus un appel de Shelly. Stressé, je préférai ne pas répondre et surveillai ma messagerie. En écoutant son message vocal, je me détendis. Keith n'avait rien dit. Je laissai la clef sur le contact et auscultant les alentours déserts, je me décidai à regagner le centre-ville pour attraper un taxi. Il me fallut presque une heure. Le taxi m'emmena jusqu'au centre hospitalier du comté. Je n'eus pas le temps de rentrer à l'intérieur, Shelly fumait non loin du parking visiteur. Je ralentis pour me mettre à sa hauteur. Elle me donna une franche accolade. L'odeur de sa cigarette me gêna, j'avais arrêté de fumer il y a plus d'un an. Je ne voulais plus dépendre de quoi que ce soit.

-Tu es là ! Je suis désolée, j'ai pas vu ton appel. J'étais au boulot. Ça a dû te faire une trotte de la gare jusqu'ici ?

-J'ai trouvé un taxi. Comment il va ?

-Pas fort. Les flics sont avec lui en ce moment. Apparemment, quand il était en route pour aller te chercher, il a subi un car-jacking.

-Merde !

-Comme tu dis. Il manque de chance ces derniers temps. D'abord Carol qui le largue en emmenant son fils, en plus les affaires au motel marchent pas bien et puis là, on lui vole sa voiture.

J'étais revenu ici justement parce que je sentais qu'il n'allait pas bien mais après ce qu'il avait fait à Norma, je n'arrivais pas à le plaindre. Je savais qu'il avait un caractère un peu soupe au lait mais jamais je n'aurais pensé qu'il aurait pu battre une femme. Je devinais maintenant le pourquoi du départ de sa compagne. Peu importe ce qu'elles avaient pu dire ou faire, aucune femme ne méritait d'être frappée.

Je repensai ma mère, à sa vie brisée par un homme autoritaire, dur. Je ne l'avais jamais vu faire, il était malin, mais j'avais vu les traces. Avec les années, ça s'était estompé, j'avais grandi et il ne pouvait plus exercer sa brutalité comme il le souhaitait. Du coup, il était moins là, plus souvent avec des femmes, nous délaissant ma mère et moi à mon plus grand soulagement…

Jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle en souffrait tellement qu'elle avait attenté plusieurs fois à ses jours jusqu'à ce qu'elle parvienne à ses fins et que je la découvre pendu dans le grenier.

Dire que j'étais resté dans cette maison de malheur, j'en faisais des cauchemars toutes les nuits.

-Il y a des témoins ? La questionnai-je, revenant à mes préoccupations actuelles.

-Pas beaucoup, et comme il faisait nuit, on a peu de détails. Un homme et une femme seraient dans le coup. Et Keith est un peu confus sur le sujet.

-Je vais monter le voir.

-D'accord. J'arrive dans cinq minutes.

En arrivant devant sa porte, je vis deux adjoints en sortir, un bloc-note dans leur main qu'ils refermèrent tout en se dirigeant vers les ascenseurs. Je franchis le seuil de la porte de sa chambre, respirant calmement pour ne pas monter en pression et lui remettre une dérouillée. Il était assis sur un lit, en tenue d'hôpital, c'était une chambre double mais l'autre patient n'était pas là pour l'instant. Il avait le visage tuméfié, je n'y avais pas été de main morte. Il se figea en me voyant débarquer.

J'attrapai une chaise et me plaça presque face à lui. Mon sac au sol, je croisai mes mains pour éviter tout geste brusque. Je le regardai bien en face, sans aucun remords. Ses yeux rougit de sang me fixèrent avec prudence.

-Je t'ai pas dénoncé, débita-t-il avec une vitesse effarante.

-T'avais plutôt intérêt, lui répondis-je calmement.

Il fronça les sourcils, grimaça. Il avait mal, ça se voyait.

-Putain ! T'y as pas été de main morte !

-Si tu frappes encore une femme, je te pète les deux bras, énonçai-je avec froideur.

-Je suis pas comme ça, elle m'avait cherché ! Se défendit-il.

-Je m'en fiche.

Mon sang bouillonnait de nouveau. Je pressai mes mains l'une contre l'autre. Keith s'en rendit compte, préféra se taire.

-J'ai laissé ta voiture dans un endroit calme, et j'ai passé un appel anonyme en venant. Je savais que tu inventerais une excuse qui ne te mettrait pas en défaut.

Cela sonnait comme un reproche et c'en était un. C'était mon pote mais je le connaissais.

-Tu vas vite la récupérer. Shelly va te ramener. Je vais voir si Bob peut me crécher un peu, je me sens pas de repartir cette nuit. Je suis fatigué.

-Tu peux dormir à la maison.

-Non. J'ai plus envie de te voir.

-Alex, sérieux…

-Je pensais pas que t'étais ce genre de gars. Tu connais ma vie, tu connais mon père. Tu sais que je déteste ce genre d'individu.

-On s'est déjà bagarré pour des filles mais là, je ne comprends pas. Tu la connais même pas.

-Je la connais. Et ce n'est pas ça le problème.

Je me levai, prêt à partir car sa vue m'insupportait.

-Tu la connais ? Mais d'où ?

-Je t'ai prévenu Keith, maintenant fais gaffe à ce que tu fais. Et ne pose plus jamais les mains sur Norma ou sur qui que ce soit d'autre, sinon je te le ferai regretter.

Shelly entra à ce moment-là. Je lui souris, attrapai mon sac et contournai le lit pour quitter cet endroit.

-Tu pars déjà Alex ?

-Oui, je suis fatigué.

Je l'embrassai sur la joue, elle me retint de sa main sur mon bras.

-Tu veux que je te dépose chez Keith ?

-Non, je vais aller chez Bob.

-Il n'est pas en ville, il est resté sur le campus ce weekend.

Il faisait des études de Droit. C'était un bosseur ambitieux et déterminé.

-Merde, râlai-je, dépité.

-Pourquoi tu restes pas chez Keith ? Il sort demain, ça le gênera pas que tu restes chez lui. Hein Keith ?

Elle se tourna vers lui, remarqua son air sombre.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-J'ai très mal au crâne.

Elle s'approcha de lui précipitamment.

-Rallonge-toi.

Ils étaient très liés, presque comme un frère et une sœur. Ils avaient peu de famille et se soutenaient dans les coups durs. J'en profitai pour m'éclipser.

OoooO

Finalement, je passai la nuit sur un banc comme un SDF. Au petit jour, je me rendis dans le café le plus proche qui se révéla être celui où bossait Shelly, pour prendre un petit déjeuner. J'avais la dalle, je n'avais pas mangé depuis des lustres. Je m'installai à une table, espérant peut-être la voir. J'observai le menu quand un café fumant apparut devant moi.

-Tu as l'air d'en avoir bien besoin.

Norma.

La dernière personne que j'avais envie de voir… car j'avais pensé à elle toute la nuit.

La vie nous faisait des coups de putes avec trop de délectation.

-Merci.

Je croisai son regard impassible avec froideur. Cependant, il était dur de rester insensible à son visage marqué même si elle avait tenté de le camoufler avec du maquillage.

-Ça va ?

Elle hocha la tête. Elle avait l'air bien fatiguée pourtant.

-Tu bosses ici ?

-Oui ça fait bien un an.

-Tu connais Shelly alors ?

Son visage s'éclaira :

-Oui, elle est gentille pas comme son bon à rien de cousin. Elle aurait mieux fait de ne pas m'arranger ce rendez-vous foireux. Je n'aurais pas l'air d'une femme battue.

Alors, ce n'était pas son mec. Cela me soulagea. Et cela m'agaça par la même occasion.

-Tu la connais aussi ?

-Oui, j'ai grandi ici. Keith et elle sont des amis à moi.

Elle ouvrit de grands yeux étonnés.

-Le monde est petit.

-Oui, en effet.

Mais pas assez.

-Mais tu devrais changer de potes, en tout cas en ce qui concerne ce mec.

-J'ai les amis qu'je veux.

Elle retrouva son air neutre et me demanda ce que je voulais commander. Elle revint cinq minutes plus tard avec ma commande et me proposa le journal. J'avalai mon déjeuner en un temps record tout en parcourant les infos de la ville. Je fus attiré par une annonce en particulier. Le shérif recherchait un adjoint.

En quoi cette annonce pouvait m'intéresser ?

Mon regard dévia vers Norma qui prenait une autre commande.

« Alex ! Nan mais sérieux, quoi ! »

Je devais m'occuper de mettre fin aux agissements de mon père. D'un autre côté, je pouvais aussi travailler ici pour réhabiliter mon nom.

Je restai longuement face à cette annonce, anxieux par la tournure que prenais mes réflexions.

-Tu as fini ?

Encore ses yeux bleus qui me dévisageaient.

-Oui.

Elle débarrassa sans un mot. Au lieu de partir, je campai là encore au moins une heure, l'observant travailler bien malgré moi. Le patron remarqua ma présence et la renvoya vers moi. L'endroit n'était pas bondé. Shelly était peut-être de repos ou commençait plus tard.

-Tu veux commander autre chose ?

-Un autre café merci.

J'en avais besoin, j'étais claqué et courbaturé. Elle me le ramena dans la minute.

-Tu termines à quelle heure ? Lui demandai-je précipitamment avant qu'elle ne reparte bosser.

Elle eut un instant d'arrêt, indécise sur le fait de me répondre ou pas.

-Quatorze heures.

-Bien, on pourrait déjeuner ensemble ?

-Et bien…

Son hésitation me blessa.

-C'est pas grave.

Je pris l'anse de ma tasse, me brulait presque la bouche avec ce café bouillant. Je voulais être détaché. Je m'en fichais après tout. Et puis autant reprendre la route. A quoi bon rester ici ? Fallait arrêter mes conneries.

-D'accord entendis-je. Je te dois bien ça.

Mon sang ne fit qu'un tour. De la pitié !

-Tu me dois rien !

Elle jeta un bref coup d'œil derrière elle, puis se pencha vers moi, effleura ma joue de ses lèvres tellement douces.

-Je te dois beaucoup, murmura-t-elle. Grace à toi j'ai pu refaire ma vie ailleurs. Tu es quelqu'un de bien Alex et j'accepte ton invitation.

Elle était retournée à son travail.

Et moi j'étais terrassé, comme un boxeur mis ko.

J'étais amoureux.


Hâte d'avoir votre avis.

La suite quand je pourrai.