En réponse à la tienne Aurélie : Voilà la suite, enjoy !
Bonne lecture.
Partie 9
Je crus avoir mal entendu.
-Tu veux quoi ?
Il me fixa un instant comme il savait si bien le faire.
-Ne m'oblige pas à me répéter et je sais que tu as très bien entendu.
La colère se dissipa pour faire face à de la stupeur puis à de la peur.
-Non mais tu n'es pas sérieux ?
-Je suis très sérieux.
Je me mis à marcher de long en large, la main sur mon front.
-On se connait à peine, qu'est-ce que tu racontes ?
Je continuai de marmonner dans ma barbe un long moment. Finalement, il attrapa mon bras pour cesser mon va et vient.
-Je sais que c'est insensé, moi-même je n'arrive pas à croire ce que je viens de te dire.
-Alors pourquoi le dire ?
Il m'observa avec inquiétude.
-Parce que…
Il hésitait, malhabile dans ses mots. Et puis je percutai avec angoisse.
-Tu crois que tu es amoureux de moi, c'est ça ?
Je le vis faire marche arrière, en secouant la tête devant mon air ahuri. Il lâcha mon bras et recula.
-Tu as raison, c'était stupide.
Il commença à ramasser le pique-nique.
-Alex ?
Je me penchai vers lui, il m'ordonna d'aller dans la voiture.
-Non, il faut qu'on en parle.
-Je te dis d'aller dans cette voiture ! Haussa-t-il le ton.
Je me froissai littéralement. Il s'en rendit compte et se radoucit:
-J'ai besoin de cinq minutes, s'il te plait Norma.
Je voyais bien que je l'avais blessé. Malgré cela, il restait calme et continua de ranger notre bazar. Je finis par obtempérer, désemparée. Comment on en était arrivé là ? Je fixais l'horizon depuis au moins dix minutes quand il se faufila dans la voiture. Nous roulâmes jusqu'à la maison sans un mot. Devant mon bâtiment, il resta encore muet.
-Alex…
Ses mains étaient si serrées sur le volant que ses jointures en étaient blanchies.
-Ne sois pas fâché.
Il soupira, avant de se tourner vers moi.
-Je suis heureux de t'avoir revue Norma.
Cela sonna comme un adieu et je me sentis affolée à cette idée. Mais l'ombre de Caleb planait au-dessus de moi. Et cela me tétanisa.
-Moi aussi, dis-je enfin en ouvrant la portière.
Je le regardai partir avec cette sensation abominable que ma vie était fichue.
-Alex, ne pars pas, murmurai-je en larmes.
Mais il n'était déjà plus qu'un point à l'horizon. Je mis un certain temps à arriver devant la porte de la nounou. Et je me rendis compte que je n'avais pas fait les courses du coup. Je regardai ma montre : quatre heures. J'avais encore trente minutes. Je montai chez moi pour me rafraichir et réfléchir un peu. Affalée dans mon canapé, j'avais envie de me mettre des gifles. J'avais l'impression qu'il n'était pas le seul à croire qu'il était amoureux. Mon cœur me le hurlait à plein poumon et c'était une catastrophe.
L'horloge me rappela à l'ordre. Je descendis chercher Dylan. Comme je le supposai, il était déjà prêt et sourit en me voyant. Comment j'aurais pu lui expliquer l'existence de Dylan ? Je n'aurais pas supporté de voir son estime pour moi diminuer. J'aurais voulu conserver ce regard tendre dont il m'avait gratifié pendant tout le pique-nique. J'aurais voulu lui chanter d'autres chansons, jouer du piano pour lui, lui confectionner des tartes aux pommes et découvrir dans ses bras le plaisir d'un amour physique sain.
-Maman ?
Dylan me tendait les bras. Je revins à la réalité. Mon avenir était devant moi et jamais je n'aurais rien d'autre que cet enfant que je n'aimais pas. Je le soulevai et l'embrassai.
-Merci Nina. A mardi.
J'avais deux jours de repos. Elle me salua et me tendit son sac à langer. Dylan lui fit coucou et nous remontâmes déposer le sac. Je pris un pull dans sa commode et lui enfilai :
-Nous allons en courses tous les deux pour une fois.
Il ne parut pas comprendre mais il s'enthousiasma néanmoins en voyant que nous reprenions le chemin des escaliers. Main dans la main, nous nous rendîmes à l'arrêt de bus. En passant devant ma voiture en panne depuis des mois, je m'agaçai. Etre à pied avec un enfant pour aller faire des courses ce n'était pas l'idéal. Il faudrait que je trouve un moyen de réparer cette voiture.
Nous patientions depuis dix minutes, Dylan assis sur mes genoux, quand une voiture ralentis et stationna sur les zébras de l'arrêt de bus. J'allais lui dire d'aller se garer ailleurs quand je reconnus la voiture d'Alex. Il en sortit alors que je tentai de reprendre mes esprits. Il avait le bouquet de roses dans ses mains.
-Tu as oublié ça, dit-il en approchant.
Son attention dévia sur Dylan. Dans ma tête sonna le glas.
-Tu me présentes ton fils ?
Il ne semblait pas surpris ce qui m'alarma de manière brutale. Il tendit une main vers Dylan qui lui tendit la sienne en retour.
-Salut bonhomme.
Dylan lui marmonna quelque chose qui fit sourire Alex.
-Vous avez les mêmes yeux.
Je ne parvenais pas à réfléchir. Je m'étais mise sur « off » quelques instants.
-Où allez-vous comme ça ?
-Pourquoi toutes ces questions ? Pourquoi tu es revenu ?
-Tu avais oublié ton bouquet.
-Arrête avec ça! Dis-moi pourquoi tu es revenu ?
-Ok. Je suis revenu parce que…
Le bus arrivait, klaxonnant sur le stationnement inapproprié d'Alex.
-Viens avec ton fils, en profita-t-il, je vous emmène là où vous devez aller.
J'hésitai. Il alla déplacer sa voiture un peu plus loin et revint in extremis avant que je ne pose un pied dans le bus. A l'arrière, d'autres personnes descendaient. Il ne dit pas un mot mais ce n'était pas la peine. Je devinais clairement qu'il avait envie que je reste avec lui.
-Vous montez ? S'agaça le chauffeur.
-Non, allez-y.
« Ce serait bien plus pratique pour les courses », tentai-je de me convaincre. Son soulagement était perceptible en ne me voyant pas monter dans le bus.
-Venez.
Il attrapa la main de Dylan et nous marchâmes lentement jusqu'à sa voiture. Nous formions un trio inattendu, presqu'une famille. Cette sensation me remua toute entière aussi fugace soit-elle. Dylan était sociable, pas difficile, confiant et heureux de la vie. Il était difficile de ne pas l'aimer me disait souvent Nina. Il examinait Alex encore et encore tout en lui souriant.
-Tu as un siège-auto ? Lui demandai-je.
Devant la déconfiture d'Alex, je compris que non. Je fouillai dans mon sac à la recherche de mes clefs de voiture.
-J'en ai un dans ma voiture.
-Tu as une voiture ?
-Oui mais elle est en panne depuis des mois.
-Qu'est-ce qu'elle a ?
-J'en sais rien.
-J'y jetterai un œil quand je te redéposerai.
-Je… tu n'es pas obligé.
-Je m'y connais bien.
-D'accord, souris-je pour la première fois depuis son arrivée.
Je ne pouvais décemment pas refuser, j'avais cruellement besoin de cette voiture. Je filai prendre le siège et nous partîmes enfin en direction du supermarché. C'était étrange, il y a une heure j'avais l'impression de brûler en enfer et là nous allions tranquillement au magasin.
Dans les rayons, ce fut rapide, je prenais toujours la même chose, mon budget était serré et il n'y avait pas de place pour le plaisir. Assis dans le caddie Dylan jouait avec la fermeture du perfecto d'Alex. Quand on arriva en caisse, il débarrassa le caddie et Dylan remarqua un ballon dans un bac en promo rempli de jouets. Il esquissa un mouvement vers le ballon. Malheureusement, il coutait trois dollars cinquante et je ne les avais pas. Je lui fis signe que non et il n'insista pas. Je me fis violence pour ne pas vérifier si Alex avait assisté à la scène.
Dylan somnola sur le trajet du retour.
-Merci, dis-je simplement à Alex.
-Je suis désolé, répondit-il contre toute attente.
-Pourquoi ?
-Pour notre embrouille tout à l'heure près du lac.
-Ne revenons pas là-dessus.
-Il faut que tu saches que je te forcerai pas à dire quoi que ce soit sur ton passé si tu n'en as pas envie, jamais. Je n'aurais pas dû aborder le sujet de ton frère.
Je le dévisageai avec angoisse mais il était sincère… en fait il l'avait toujours été. Et j'aimais cela chez lui même si cela me renvoyait une image de moi peu flatteuse car j'étais loin d'être un modèle dans le genre.
-Tu sais si y'a des trucs que tu veux pas m'dire, tant pis, je veux juste que ça se mette pas entre nous. Et puis peut-être qu'un jour t'auras assez confiance pour m'en parler. Je ne te jugerai pas.
-Vraiment ?
-Moi aussi j'ai des secrets. Des choses que je ne veux pas que les gens sachent. Et ça concerne aussi ma famille. Je sais que c'est dur de se confier.
-Oui, approuvai-je avec soulagement.
Je me demandai bien quel secret il pouvait avoir. Cela le tourmentait aussi apparemment.
-J'espère aussi qu'un jour tu parviendras à m'en parler.
Ma main se posa sur la sienne en faction sur sa cuisse. Je perçus une ébauche de sourire au coin de sa bouche.
-Ça veut dire que tu acceptes de m'épouser ?
-Ça veut dire que j'accepte de sortir avec toi.
-Si tu m'épouses je pourrais m'installer ici.
-Les relations à distance ça fonctionne tu sais.
-Je suis du genre jaloux et être à distance ça va tout compliquer.
-Moi aussi je suis du genre jaloux mais j'ai confiance en toi.
Il caressa ma main, fixant la route.
-Tu es têtue.
-Ça c'est vrai. Et j'aime pas qu'on me marche sur les pieds et qu'on me dise ce que je dois faire.
-Je l'avais déjà remarqué ça aussi.
Il se gara en double file devant le bâtiment.
-Je pourrais revenir te voir demain ?
-Tu n'oublies pas quelque chose ?
-Quoi ?
-Ma voiture.
-Oui, c'est vrai.
-Et je t'invite à diner pour la peine.
-Vendu. Prends Dylan, je monte les courses. Tu es à quel étage ?
-Dernier.
-Génial, râla-t-il pour la forme.
J'avais rangé les courses et je préparais tranquillement le diner, plus détendue. Je ne croyais pas à ma chance. Je jetai un œil par la fenêtre pour le voir travailler sur ma vieille Mercedes mais il n'était plus là. Ni sa voiture d'ailleurs. Je repris mon gratin de pomme de terre. Dylan avait diné, et je l'avais baigné et changé. Il jouait dans son parc. Après une heure, je finis réellement par m'inquiéter. Dylan m'appela en chouinant un peu. Il avait sommeil. Je lui enfilai sa gigoteuse et l'allongeai sur le ventre. Il attrapa son doudou et ferma les yeux.
-Bonne nuit, fais de beaux rêves.
Je me rappelai le jour de sa naissance, il n'avait même pas pleuré. Quand l'infirmière m'avait interrogée sur son prénom, chose à laquelle j'avais refusé de réfléchir auparavant, j'avais spontanément répondu Dylan. Je pense que j'avais déjà fais le choix de lui donner le prénom que son père avait choisi.
L'interphone interrompit mes pensées.
-Oui ?
-C'est moi.
-Où étais-tu ?
-Je t'expliquerai, ouvre s'il te plait.
Il arriva rapidement au quatrième, cependant des gouttes de sueur perlèrent à son front et je remarquai les tonnes de sacs de courses dans ses mains.
-Mais c'est quoi tout ça ?
-Quelques babioles.
Il avait au moins six paquets de nourriture dans ses bras.
-Laisse-moi entrer, me pressa-t-il.
Je découvris des choses dont je n'osais rêver : de la viande fraiche, du poisson des légumes et des fruits en quantité, des chocolats, des gâteaux, des sucreries de toutes sortes.
-Mais…
Il était déjà reparti. Il revint avec encore deux sacs et le fameux ballon.
-J'ai pas pu résister, ne m'en veux pas. Je pourrai jouer avec lui comme ça. Il est où ?
-Il dort déjà.
Je ne sais pourquoi mes yeux se voilèrent de larmes. Il se hâta de rentrer et de tout déposer avant de me prendre dans ses bras. Il ne me posa pas de questions, ému lui aussi.
-Je vais prendre soin de vous si tu m'y autorises.
J'acquiesçai, la gorge plein de sanglots, le serrant fort en retour. Nous restâmes ainsi longuement. Très longuement.
-Allons diner, me repris-je avec effort.
Je serai bien restée dans ses bras toute l'éternité. Je lui ôtai son perfecto et lui montrai la cuisine. Je le servis copieusement alors qu'il se lavait les mains.
-Ça sent bon. Ça me rappelle la cuisine de ma mère.
Je devinai le compliment et l'appréciai largement.
-Assied-toi.
Je l'observai du coin de l'œil savourer son assiette et cela me fit très plaisir.
-J'ai appelé Pete, il a un petit garage près de mon travail. Il va s'occuper de ta voiture dès lundi.
Je m'exaspérai.
-Je croyais que tu t'y connaissais, je n'ai pas les moyens de payer un garagiste.
-Il y a trop de trucs à faire dessus. J'ai pu la redémarrer mais je préfère laisser ça à un professionnel et il me fera un prix, on se connait bien, je suis sortie avec sa sœur pas mal de temps quand on était au lycée.
Je voulais polémiquer sur le « il me fera un prix » mais cette histoire d'amourette de lycée m'intéressait beaucoup.
-Ah oui ? Comment elle était ? Et pourquoi tu l'as laissée tomber ?
-Premièrement c'est elle qui m'a largué et deuxièmement je ne vois pas en quoi son apparence physique peut t'intéresser. Bref, ajouta-t-il en voyant que j'allais insister. Je partirai avec lundi et je te la ramènerai comme neuf le prochain week-end.
-Elle n'est pas très fiable, m'inquiétai-je. Je ne suis pas sûre qu'elle tiendra la route.
-Ne t'inquiète pas. Faudra juste que tu m'accompagnes déposer la voiture de location avant que je reparte.
Je n'étais pas convaincue mais après tout il savait ce qu'il faisait.
-Très bien.
Quand il eut l'estomac bien rempli, il s'étira et je constatai qu'il était bien fatigué.
-Je n'ai pas beaucoup dormi la nuit dernière. Les bancs publics, ça ne me réussit pas.
Choquée, je restai muette un instant.
-Tu as dormi dehors !
-Pas le choix, j'allais pas dormir chez Keith et mon pote Bob est resté sur le campus de son université. J'aurais pu aller à son motel mais ça m'a vite soulé cette idée.
Je pouvais le comprendre.
-J'ai posé mes valises au motel de l'autre côté de la rocade ce midi. D'ailleurs, je vais y retourner, j'ai besoin de récupérer. Merci pour le diner, dit-il en se levant. C'était délicieux.
Je le raccompagnai à la porte, déçue par son départ si rapide. Sur le seuil, il me fit face.
-Je viendrai demain. S'il fait aussi beau qu'aujourd'hui, on pourra aller se promener avec Dylan.
-Oui ce serait super.
-Vers quelle heure je peux venir ?
-Je me lève tôt, tu peux prendre le petit-déjeuner avec nous si tu veux.
J'aurai préféré qu'il reste mais mieux valait ne pas aller trop vite.
-Je serai là, me sourit-il.
Il hésita une fraction de seconde avant de se pencher vers moi. Je fermai les yeux et accueillis son baiser avec délectation. Le contact fut très doux et très tendre. Il s'en allait déjà et moi j'étais en transe.
-Alex !
Il s'arrêta dans son élan.
-Oui ?
-Bonne nuit.
-Bonne nuit Norma.
La suite quand je pourrai.
