Partie 14
ALEX
J'étais dans les cartons.
J'avais décidé de mettre la maison familiale en vente. Je ne voulais plus y rester. Et maintenant que mon père était enfin en prison, je pouvais en disposer comme je voulais. J'étais passé le voir pour le lui dire en face et bien sûr il m'avait menacé des pires représailles.
-Tu t'es mis toi-même dans la merde ! Fallait pas prendre maman pour une idiote !
Il avait eu la mauvaise idée d'acheter la maison au nom de ma mère pour je ne sais quelle magouille financière et à sa mort elle m'avait laissé tout ce qui lui appartenait et cela comprenait cette baraque. Elle avait anticipé que ce gars qui se prétendait être mon père me laisserait dans la galère et m'avait laissé une porte de sortie. Tant qu'il vivait à la maison, j'étais coincé mais maintenant je pouvais enfin me libérer. J'avais hâte de ne plus en être le propriétaire. Hâte de tourner la page, hâte de ne plus être hanté par le souvenir palpable de ma mère. Je l'aimais, elle me manquait mais je restais englué dans cet instant morbide où je l'avais découverte.
Je regardai ma montre, il était tard mais j'avais encore le temps d'y aller.
C'était l'anniversaire de ma mère.
Le cimetière était vide, il faisait tellement beau que cela me fila le cafard. Je changeai les fleurs et nettoyai un peu autour. Je m'assis en face de sa pierre tombale. Je déchiffrai les inscriptions sans réellement les voir.
Je l'entendis rire.
Elle avait toujours eu un rire contagieux. Je souris sans m'en rendre compte. J'entamai alors une conversation avec elle.
-J'ai fini par la mettre en vente.
J'eus la sensation qu'elle était d'accord avec ça.
-Je ne sais pas encore où je vais aller mais je trouverai bien un petit truc à acheter.
Une brise souffla légèrement.
-Non, je ne retournerai pas voir Norma. Ça ne sert à rien.
Je me sentis contrarié, presque furieux d'un seul coup.
-Tu m'as dit que je trouverai une femme qui m'aimera pour ce que je suis, et je l'ai trouvée, mais à quoi bon ? C'est pire que tout. Je suis prisonnier d'elle comme tu l'étais de mon père.
Un an…
Une longue année à me remettre de cette balle dans le cœur.
Une abominable année à tenter d'oublier cette vision de Norma dans les bras de cet enfoiré de Shelby.
Une interminable année de solitude et sans mes potes.
Je perçus son inquiétude.
-Je vais y arriver ne t'inquiète pas.
Sa présence se fit réconfortante, j'étais redevenu un enfant l'espace d'un instant, j'aurais voulu me blottir contre elle et oublier le reste du monde et sa laideur.
-Au moins je suis débarrassé de lui et c'est grâce à toi. J'ai trouvé les documents que je cherchais pour l'incriminer. C'était une bonne idée de les avoir dupliqués et de les avoir planqués dans ta boite à musique.
Je ne cherchais plus à savoir pourquoi elle ne l'avait pas elle-même fait tomber parce que je connaissais la réponse : elle l'aimait et c'était le pire des pièges.
Un frisson me parcourut comme un mauvais pressentiment.
-Je sais qu'il va me le faire payer mais il ne peut rien, c'est fini avec Norma, il ne peut plus m'atteindre.
OoooO
J'étais plongé dans une affaire de disparition, je rentrais tard, je partais tôt. Parfois je m'absentais du boulot pour faire visiter la maison mais pour l'instant aucune proposition n'avait encore été faite. Finalement, je décidai de confier la vente à une agence immobilière. Et que ne fut pas ma surprise de tomber sur mon ex.
-Ça fait longtemps que tu bosses ici ?
-Bientôt un an.
Il y avait beaucoup de réserve entre nous. Cependant, je ne devinais aucune rancune. Rebecca était une belle jeune femme de vingt-trois ans, pulpeuse, féminine et sexy. Je me rappelai alors pourquoi elle m'avait plu la première fois : elle correspondait bien au type de filles que j'avais l'habitude de fréquenter.
Nous discutâmes de ce qui m'amenait et cela dura une bonne demi-heure.
-Tu as raison de vendre.
Je l'observai avec étonnement.
-Cet endroit te rend malheureux.
Je préférai ne pas répondre.
-Je dois la visiter, changea-t-elle de sujet.
-Tu la connais déjà.
-Peu importe. On doit convenir d'un rendez-vous pour l'état des lieux.
Je n'avais pas vraiment le temps pour ça.
-Ça sera rapide, me rassura-t-elle.
-Très bien. Est-ce qu'en début de soirée c'est possible ?
-Oui, je passerai une fois que j'aurai fermé l'agence.
Je ne savais pas si c'était protocolaire mais je voulais en finir avec cette maison.
-A ce soir alors.
Le reste de la journée fut éreintante, en rentrant, j'avais déjà oublié que Rebecca passerait. Elle faisait le pied de grue devant la porte principale.
Merde.
Heureusement, elle ne semblait pas fâchée.
-Un dossier en cours un peu difficile, m'excusai-je.
Elle fit un signe évasif de la main.
-Pas grave. Ne tardons pas.
Je lui ouvris la porte et j'allumai la lumière principale.
-Je te laisse visiter.
-Tu dois venir avec moi, je dois prendre des notes et valider avec toi chaque pièce.
-J'en ai pas le courage, et je te fais confiance Becky. Elle m'observa avec une subite tristesse.
-Alors pourquoi tu m'as laissée tomber ?
Je me retrouvai à cours de mot, abasourdi par cette question sortie de nulle part. Elle reprit contenance.
-Laisse tomber.
Elle commença sa visite avec professionnalisme et me laissa perplexe. Ses talons claquaient sur le carrelage, sa jupe était suffisamment courte pour que j'admire ses belles jambes. Et je ne parlais pas du magnifique décolleté de son chemisier. Elle était vraiment belle et vraiment désirable. Je la suivis du regard, elle s'en rendit compte mais continua son examen pointilleux du séjour. Quand elle revint vers moi, elle m'interrogea sur certains détails. Je répondis vaguement, j'avais envie de quitter cet endroit.
-Je te laisse faire, je rentre chez moi, passe quand tu as fini, on fera le point.
-Tu m'offriras un verre ?
-Si tu veux.
-A tout de suite alors.
-Les clefs sont sur la serrure.
Elle hocha la tête puis entra dans la cuisine.
J'eus le temps de prendre ma douche et de me changer quand elle frappa à ma porte. Je lui ouvris en souriant.
-J'allais justement nous servir à boire.
-Pas besoin.
Elle se jeta sur moi, m'embrassa furieusement et referma la porte de son pied.
OoooO
Rebecca était allongée à côté de moi, me donnant son dos. Je n'étais pour les câlins post-coïtaux et elle le savait. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. Elle venait de s'endormir, elle avait pleuré longtemps et je n'avais rien pu faire pour soulager sa peine. J'étais si plein de colère qu'elle en avait fait les frais. Pas de tendresse, pas de douceur, juste l'acte dans sa plus pure animalité. Elle avait subi le prix d'une longue frustration. Je finis par m'asseoir sur le rebord du lit, le visage entre les mains, désemparé. J'étais complètement à l'ouest.
Mon portable sonna.
Shelly.
Je pensais qu'elle avait abandonné. Elle insista et insista, ce qui finit par m'alarmer.
-Tu devrais répondre, se manifesta Rebecca.
-Ça t'a réveillée, désolé, je vais le mettre sur silencieux.
-Tu devrais répondre, persista-t-elle.
A la dixième fois, je décrochai, furibond mais Shelly ne me laissa le temps de rien.
-Keith a disparu avec le p'tit. Caroline perd la tête, ça fait vingt-quatre heures déjà.
-C'est quoi ce bordel !
Elle me narra un peu les dissensions entre Keith et son ex-femme et bien sûr c'était le p'tit qui trinquait comme à chaque histoire de couple foireux. J'étais dur, j'étais intolérant, j'étais même intraitable parfois face à ce type de parents inconscients. Les stigmates de mon passé me rendaient ainsi.
-Je ne sais plus quoi lui dire, Alex. J'ai réussi à la convaincre de ne pas porter plainte.
-Tu as appelé Keith ?
-Il ne répond pas.
-Je m'en occupe.
-Qu'est-ce que tu vas faire ?
-Je m'en occupe, j'te dis.
Je raccrochai et appelai Keith, je tombai sur la messagerie :
-Tu as intérêt à me rappeler rapidement sinon je viendrai te mettre la branlé de ta vie Keith.
Je raccrochai, les nerfs à vif.
-Un problème ? Ton pote fait encore des siennes ?
Elle en avait entendu parler de Keith, les deux ans où on était sorti ensemble, il se mettait souvent dans le pétrin.
-C'est grave cette fois, il a enlevé Nathan.
Elle se redressa d'un coup, sûrement choquée. Je ne la voyais pas, j'étais dos à elle.
-Il a un problème ce gars !
-Je pense aussi. Parfois le chagrin nous fait disjoncter, on dit ou on fait des choses qu'on ne ferait pas ou ne dirait pas en temps normal.
Elle resta silencieuse.
-Je suis désolé, Becky. Je voulais pas te blesser, je… j'ai… c'est pas évident pour moi depuis quelques temps.
Elle se cala dans mon dos, embrassa mon épaule, m'encerclant de ses bras. Sa peau nue se colla à la mienne.
-Je ne t'en veux pas, tu sais ce que je ressens pour toi. Je serai toujours là pour toi, mon amour.
Il ne se passa rien, absolument rien… comme auparavant. Notre couple sonnait vide dans mon cœur. Je desserrai ses bras autour de moi :
-Je ne t'ai rien demandé, je ne veux rien, Rebecca. Tu n'auras pas dû réessayer. Je n'ai rien à t'offrir, je te l'ai déjà dit. Nous deux, ça ira nulle part. Je ne t'aime pas.
Je me levai pour me rhabiller. Elle se recouvrit avec le drap :
-C'est encore à cause d'elle ?
Je me raidis. Quelque chose dans le son de sa voix ne me disait rien qui vaille. Je ne répondis pas.
-Réponds !
Je lui fis face. Son regard était bouleversé. Elle se faisait du mal.
-Il vaut mieux que tu partes.
-C'est comme ça que tu me traites après tout ce qu'on a vécu ensemble ?
Je la sentais au bord des larmes et je ne le voulais pas. Je ne saurai pas le gérer.
-Je te respecte, je t'ai toujours respectée, c'est pour ça que j'ai mis fin à cette mascarade.
-Tu as dit que tu étais incapable de d'aimer, que tu ne pouvais rien construire avec personne.
-Je sais ce que je t'ai dit.
-Mais tu l'aimes elle, n'est-ce pas ?
C'était plus une assertion qu'une question. Je n'avais pas besoin de répondre. Sa voix tremblait de douleur, c'était insupportable.
-Je te raccompagne à ta voiture. Je te laisse te rhabiller.
Je sortis de ma chambre en claquant la porte. Il fallait que je me calme. Ce fut ce moment-là que choisit Keith pour me rappeler.
-Où tu es ?
-Peu importe, je vais bien, Nathan aussi.
-C'est quoi ton problème ?
-Elle ne voulait pas que je le prenne ce weekend.
-Et alors ?
-J'ai le droit de voir mon fils !
-Le voir oui, pas le kidnapper.
-Je l'ai pas kidnappé, je suis son père, s'offusqua-t-il.
-Il y a un jugement, des règles à respecter, aux yeux de la loi, tu es coupable. Dis-moi où tu es ?
Il raccrocha.
Pas grave, je savais très bien où le trouver. Il avait peu d'endroits où se planquer. Et je connaissais les deux.
Après avoir raccompagné Rebecca à sa voiture, je pris la mienne, déjà loin d'elle et de sa douleur.. Je roulais depuis deux heures quand la faim me tarauda. Je fis une escale dans un Mcdo et repris ma route. Vers une heure du matin, je dus me résoudre à faire une pause sur une aire de repos.
Je repris la route vers six heures du matin et débarquai dans l'ancienne maison du beau-père de Keith, vers neuf heures. Il croyait que personne ne viendrait le chercher ici, il détestait son beau-père, il haïssait chaque vacances passées ici. Il nous avait dit que la maison avait été rasée mais je savais qu'il avait menti parce que sa grand-mère, une vieille amie de ma défunte grand-mère, me l'avait dit lors d'une petite visite de courtoisie il y a quelques années. Elle aurait voulu racheter la propriété suite au décès du dit beau-père mais Keith s'y était farouchement opposé. A l'époque, ce mensonge m'avait paru sans conséquence.
Je remarquai la voiture au loin, j'avais tapé dans le mille. Je me garai en amont et fis le reste à pied. Keith m'aperçut à travers la fenêtre de ce que je supposai être la cuisine et la stupeur qui s'afficha sur ses traits aurait pu paraitre risible si la situation n'avait pas été si catastrophique. Il se hâta d'aller verrouiller la porte d'entrée mais je l'enfonçai d'un coup d'épaule, cela aidait les entrainements pour devenir flic.
Je l'attrapai par le col de sa chemise, il leva les mains en signe de reddition.
-C'est bon ! Lâche-moi ! Lâche-moi !
Nathan arriva en criant :
-Tonton Alex, arrête ! Tu lui fais mal !
Je pris sur moi de le lâcher et l'assassinai du regard.
-Comment tu m'as trouvé ?
Mon regard dévia vers ce petit bonhomme accroché à son père.
-Nathan, prends tes affaires, tu rentres chez maman, dis-je
L'enfant était perdu. Je me penchai à sa hauteur.
-Je ne voulais pas crier, j'étais un peu fâché avec ton papa mais ça va déjà mieux, on s'était mal compris.
J'attrapai Keith par l'épaule et lui souris de toutes mes dents. Keith tenta de faire pareil, déconcerté.
-Tu vois, on est des potes à nouveau. Allez prépare-toi, maman t'attend. Elle a hâte te de voir, tu lui as manqué.
-Moi aussi elle m'a manqué, nous confia-t-il.
Tu haut de ses sept ans, Nathan était un enfant vraiment gentil et sociable.
-Papa ?
-Oui ?
-Je peux rentrer ? On pourra la refaire une autre fois cette randonnée.
-Tu as raison, va te préparer.
Il courut vers sa chambre.
-Je vais le ramener, décréta Keith une fois le gamin hors de vue.
-Non.
-Allez ! Insista-t-il. Fais pas le relou !
-Non, je n'ai pas confiance.
-Je viens avec vous alors.
-Si tu veux.
Le trajet fut court, à peine trente-cinq minutes. J'étais fatigué mais l'adrénaline et la colère me tenait éveillé. Une fois devant chez Caroline, Keith prit son fils et l'emmena à sa mère qui ouvrit à la volée, soulagée. Je trouvais qu'elle le prenait plutôt bien et je m'en réjouis. Elle me fit signe, je descendis à sa rencontre mais Keith les repoussait déjà à l'intérieur et referma la porte d'entrée. Perplexe, je l'observai avec méfiance.
-Pourquoi tu ne veux pas que je lui dise bonjour ?
Il ne sut quoi répondre et me barra la route quand je voulus frapper à sa porte.
-Sort de mon chemin, Keith.
Il refusa. Il devait en avoir gros sur la conscience pour me tenir tête comme ça. Cependant, j'étais trop fatigué pour chercher à comprendre.
-Viens, allons chez moi, me proposa-t-il.
OoooO
Après avoir bu un café, je me sentis mieux. L'envie de fumer me prit soudainement mais je résistai à la tentation.
- Je vais au Motel, ma grand-mère veut me voir, grommela Keith.
Je savais que c'était pénible pour lui de dépendre des bonnes grâces de sa grand-mère. Je n'arrivais pas à le plaindre pour autant. Il n'avait jamais rien eu à faire de sa vie, tout lui avait été servi sur un plateau. Et quand il avait obtenu la gérance du motel, son inexpérience et sa fainéantise avaient provoqué le déclin financier de sa famille.
-Fais comme chez toi. Je reviens dans une heure ou deux.
Je m'endormis sur son canapé et ce fut la sonnerie de mon portable qui me réveilla.
-Allô ?
-Alex, c'est Caroline.
Cela me réveilla d'un coup.
-Comment tu as eu ce numéro ?
-Il faut que je te parle. Rejoins-moi au poste de police.
La suite quand je pourrai.
