Merci à Aurélie pour le comm !
Partie 15
Il était onze heures quand je me présentai à mon entretien d'embauche au motel de la famille Summers. Je fus accueillie à l'accueil par une jeune fille de mon âge qui me demanda de patienter non sans un regard appuyé sur ma tenue.
J'avais revêtu une robe bleu marine ceinturée à la taille et qui partait en évasé. Elle était stricte et sans fioritures. J'avais mis par-dessus une petite veste grise. J'avais agrémenté le tout d'escarpins à talon carré. Je pris place sur un des trois sièges présents dans la petite salle d'accueil et patientai. Je m'étais à peine maquillée et mes cheveux étaient relevés en une haute queue de cheval.
Je serrai mon sac-à-main, fébrile. Je voulais faire bonne impression et obtenir ce boulot. Quand Shelly m'avait proposé d'y travailler, j'avais été très réticente car je savais que Keith était le gérant mais elle m'avait révélé que leur grand-mère comptait le congédier et cherchait un nouveau gérant et un agent d'accueil.
-J'ai pensé à toi pour le poste d'accueil.
-Mais et toi ?
-Je ne veux pas travailler dans ce motel.
-Mais pourquoi ?
-Je n'aime pas cet endroit et je ne veux pas bosser pour quelqu'un de ma famille.
Cela se défendait.
-Et pour ton cousin ?
-Ecoute, je peux pas le défendre sur ce coup-là. Il n'a pas assuré et je comprends la décision de ma grand-mère.
Je l'avais remerciée chaudement et je lui avais filé mon CV et ma lettre de motivation. Elle voulait les remettre personnellement à sa grand-mère et appuyer ma candidature.
Mon portable sonna.
Et oui, j'avais un portable. Zack me l'avait offert, il y a six mois. Et c'était justement lui qui m'appelait.
-Oui ?
-Salut bébé, je voulais juste te dire merde pour cet entretien.
-C'est gentil, merci.
-Tu me diras comment ça s'est passé ?
-Oui, je t'appelle dès que j'ai fini.
-Je retourne travailler, j'attends ton appel, mon chou.
Il raccrocha et je fixai l'appareil avec colère.
J'avais découvert, il y a bien six mois, qu'il me trompait. Sa réputation de coureur de jupons était arrivée à mes oreilles, je ne voulais pas me fier aux ragots et ce fut une fatale erreur. Ce n'était sûrement pas la première fois qu'il me trompait mais cette fois je l'avais pris en faute et il l'avait mal pris.
-Tu fouilles dans mon portable ?
-Mais non ! Ton téléphone a sonné, tu étais sous la douche, j'ai décroché pour te rendre service.
-Cette fille, je la connais pas, c'est sûrement un faux numéro.
-C'est ce qu'elle a dit.
-Tu vois !
-Mais au lieu de raccrocher, elle a cherché à savoir qui j'étais. Avoue que c'est louche pour quelqu'un qui a fait un faux numéro.
-Je te dis que c'est un faux numéro !
-Je n'y crois pas une seconde.
-Pourquoi tu fous la merde entre nous ?
Il avait attrapé ce qui lui était tombé sous la main et l'avait balancé violemment contre le mur.
-Dylan dort ! M'étais-je emporté.
-Pardon, excuse-moi.
C'était la première fois que je l'avais vu s'énerver de la sorte et comme il avait vraiment eu l'air mal, j'avais passé l'éponge, ce qui ne me ressemblait pas. Après, il avait été très vigilant… jusqu'à la semaine dernière. Mardi soir, en rentrant du travail, je fis un détour dans le centre pour aller à la pharmacie. Je le vis attablé à une terrasse à la vue de tous avec une brune plutôt généreuse. Il rentra tard ce soir-là et prit une douche avant même de venir m'embrasser. Je le confrontai, il démentit avec virulence et colère.
-Arrête de m'espionner !
-Je ne t'espionne pas, je t'ai vu par hasard.
-Ne me mens pas !
-Je ne te mens pas !
Il changea de tactique.
-Je t'aime comme un fou comment peux-tu croire que je te ferais un truc pareil ?
Ah ça oui, il me disait souvent qu'il m'aimait mais cela n'avait aucun sens dans mes oreilles. Cela sonnait faux. Je ne répondis pas.
-Je n'aime que toi, insista-t-il d'un sourire enjôleur en se glissant sous les draps.
Il me sauta littéralement dessus, arracha ma culotte et prit possession de moi sans mon consentement. Je laissai faire pour avoir la paix. Quand il était comme ça mieux valait laisser couler. Il ne pensait qu'à lui, qu'à son plaisir, comme tous les hommes mais ce jour-là, cela me blessa et je n'aurais su dire pourquoi. Et depuis, je voulais qu'il sorte de ma vie. Sauf que je ne savais pas comment me débarrasser de lui. Je ne savais décidément faire que des mauvais choix en matière de relations amoureuses.
J'étais malheureuse.
J'étais à vif.
Cet emploi était la seule chose de positif qui pouvait m'arriver.
-Venez.
La jeune femme était revenue. Je la suivis avec une assurance que je n'avais pas. Quand nous montâmes les marches du manoir, je me délectai de la vue de cette belle demeure. Elle était tellement magnifique. Une dame âgée m'attendait sur le seuil. Elle était élégante et avenante. Elle me sourit en me serrant la main. Je me présentai et elle se présenta à son tour.
Assise dans son salon, sur un fauteuil en velours vert bouteille, je la fixai franchement. Elle me servit du thé et nous conversâmes un moment de tout et de rien avant d'entamer le pourquoi de ma visite. Ce travail, un poste d'assistant au gérant, était vacant. Pour l'instant, il n'y avait qu'une intérimaire car Keith avait fait fuir tous ceux qui s'étaient risqués à bosser avec lui. Cette femme était visiblement déçue par lui et usée par la vie en général. Elle cherchait quelqu'un de dynamique et de jovial capable de composer avec lui quelques jours le temps qu'il soit remplacé. Cette idée ne m'enchantait pas mais si ce n'était que temporaire…
Une fois l'entretien terminé, elle appela quelqu'un avec son téléphone fixe. Je me resservis une tasse de thé, confiante. J'entendis des pas dans l'escalier et tout mon corps se crispa en reconnaissant ce salopard de Keith Summers. Ma main trembla, du thé se renversa sur ma robe.
-Ne bougez pas ma chère, je vais vous chercher une serviette.
Au moment où Mme Summers quitta la pièce, Keith avança rapidement vers moi. Je me redressai, prête à combattre. Il darda sur moi des yeux glacés.
-Toi, dit-il simplement avec rancœur.
-Oui, moi.
-En plus d'avoir pris mon pote, tu prends mon boulot.
Je ne comprenais pas de quoi il me parlait. Il m'éclaira :
-Un an que je n'avais pas vu Alex tout ça par ta faute.
Mon cœur s'emballa. L'avait-il vu récemment ? Peu importait ! Je ne répondis pas.
-Tu l'as bousillé, il est devenu pire qu'avant. T'es vraiment qu'une sale pute, heureusement maintenant il le sait.
Le coup fut rude. Mon sang ne fit qu'un tour mais je me retins de le frapper, je connaissais ses tendances à la violence.
-Je ne vais pas vous remplacer, éludai-je, je ne serai qu'à l'accueil.
Il ne répondit pas car sa grand-mère revenait déjà. Elle m'aida à éponger le liquide sur ma robe et elle me présenta son petit-fils. Nous fîmes comme si nous ne nous connaissions pas. Serrer sa main se révéla éprouvant. Nous prîmes place sur les fauteuils à disposition, formant un triangle parfait.
-Keith va rechercher du travail, il a un mois, le temps de son préavis, m'annonça Mme Summers.
Elle se tourna vers lui.
-Je vais t'aider comme je te l'ai promis mais pendant ce temps j'aimerais que tu formes cette petite à son poste d'assistante.
-L'intérimaire peut le faire !
-Son contrat se termine dans quelques jours, ce sera donc à toi de prendre le relais.
Elle était bien patiente, je trouvais.
-Qui va me remplacer si ce n'est pas elle ?
Il me désignait du doigt.
-J'ai déjà trouvé ton remplaçant, mon chéri.
-Ne m'appelle pas comme ça.
Elle ne se froissa pas, sûrement habituée à son caractère incommodant.
-Ne réagis pas ainsi, tu sais pourquoi je fais ça. Je veux conserver notre patrimoine pour que vous puissiez ensuite le transmettre à vos enfants, ta cousine et toi.
-Alors ne le mets pas entre les mains d'étrangers !
-Tu es responsable de tout ça. Shelly ne veut pas prendre la relève pour ne pas te contrarier.
Voilà la vraie raison du refus de Shelly. Quel égoïste ce mec ! Un vrai connard ! Il perçut mon regard désapprobateur et me lança un regard assassin.
-Fais ce que tu veux, je m'en fiche ! J'me casse !
Il se leva et s'en alla sans un mot.
-Bon débarras, murmurai-je.
Il m'avait entendue et revint vers moi :
-Vous avez dit quoi ?
-Rien.
-Ne me cherchez pas Norma Calhoun ou vous le regretterez.
-C'est une menace ?
-C'est une promesse.
-Nous verrons, répliquai-je sans me laisser atteindre.
Quand il quitta la maison, je me détendis.
-Veuillez l'excuser.
-Certainement pas, répliquai-je malgré moi.
La stupeur s'imprima sur son visage flétri.
-Vous avez raison.
Mme Summers me raccompagna à l'entrée.
-Vous êtes engagée.
Surprise, je souris à pleine dents.
-Quand pouvez-vous être disponible ?
-J'ai un mois de préavis à donner mais je vais voir si je peux le réduire en posant mes congés. Je vous tiendrai rapidement informée madame Summers.
OoooO
Je me rendis à mon travail sans passer par la case « appeler Zack ». J'avais décalé mes horaires pour avoir mon entretien. Avant de prendre mon poste, je m'entretins avec mon chef et parvins à un accord. La ville ne manquait pas de jeunes filles qui cherchaient un petit boulot. Ma collègue me salua et continua son service, elle terminait dans une heure. Après son départ, je fus submergée par le travail. Shelly entra vers seize heures, je fus étonnée de la voir.
-Je venais aux nouvelles, se justifia-t-elle.
-Tu pouvais pas attendre que je t'appelle ?
-Non.
Elle s'agitait, impatiente de connaitre les détails. Elle me suivait à la trace et je lui racontai en gros mon entretien. Je lui épargnai les détails concernant son cousin.
-Génial ! Tu commences quand ?
-Dans deux semaines.
Elle me serra dans ses bras, heureuse pour moi.
-Tu vas me manquer.
-Dis pas d'âneries, on se verra dehors.
-Je sais mais quand même.
Son portable sonna. Elle décrocha, fronça les sourcils, devint pâle et quitta les lieux en trombe.
Ce fut au tour de Zack de débarquer vers dix-huit heures après son boulot. Il quittait tôt pour un samedi. Il alla s'installer au bar et attendit patiemment que je prenne sa commande.
-Ça va, bébé ?
-Oui, merci.
-Et cet entretien ?
-Ça s'est bien passé. Je commence dans deux semaines.
-Tant mieux.
Il était sincèrement content pour moi. Ce n'était pas un mauvais bougre mais je ne pouvais pas lui faire confiance.
Et je lui en voulais à cause de ça.
Il aurait dû me libérer d'Alex mais il n'avait fait que renforcer ma conviction profonde. Une conviction contre laquelle je luttais avec acharnement. Une conviction qui me consumait.
J'aimais Alex.
Je l'aimais plus que jamais.
Je l'aimais à en crever.
Je rêvais de lui quasiment chaque nuit depuis un an.
-Norma, ça va ?
-Oui, revins-je vers lui.
Je le dévisageai franchement et remarquai sa bouche enflée et fissurée.
-Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Rien, ça va .
-Dure journée ?
-Oui, on peut le dire, soupira-t-il.
-Tu veux diner ici ?
-Non, je vais t'attendre à la voiture.
-Je termine pas avant vingt et une heures, je vais manger un casse-croute à ma pause.
Il soupira, réfléchit et me sourit :
-Je vais récupérer Dylan chez la nourrice et on revient manger avec toi à ta pause.
-Si tu veux.
Cette idée ne m'emballait pas mais bon.
A l'heure de ma pause, ils n'étaient toujours pas là. Inquiète, j'appelai Zack, puis la maison, puis Nina mais personne ne répondit. A la fin de mon service, j'étais stressée. Je retentai un appel sans succès. Je fis un effort pour garder mon calme. Je devais rentrer à la maison, il avait peut-être finalement décidé de rester à la maison. En arrivant en bas de mon immeuble, je découvris la voiture du Shérif. Je montai les escaliers quatre à quatre.
Dylan.
Mon cœur se serra étrangement.
La porte de Nina était ouverte, elle m'alpagua au vol.
-Dylan est là, il va bien.
Je respirai déjà mieux.
-Où est Zack ?
-Là-haut, avec le Shérif.
-Mais pourquoi ?
-Vous avez été cambriolée.
Sous le choc, je repris mon avancée. Sur le seuil de mon appartement, je crus perdre la raison. Ma maison était sens dessus-dessous. Elle avait été retournée, mes affaires broyées, abimées, déchirées. Zack s'aperçut de ma présence et vint à ma rencontre. Je lui attrapai les bras.
-Mais qui a pu faire ça ? Et pourquoi ?
Mes jambes flageolaient. Je me sentis sur le point de vomir. Je me sentais souillée, violée. C'était intolérable. Il hésitait à me répondre.
-Tu sais qui a fait ça !
Il continua d'hésiter.
-Réponds !
Le shérif nous interrompit et me questionna, son adjoint sur ses pas. Zack n'était pas en service, il était le témoin, il était celui qui avait découvert le cambriolage. Je répondis machinalement, sans réellement comprendre où il en venait. Pourquoi me parlait-il d'Alex ? Zack leur demanda de nous laisser un instant. Quand nous fûmes seuls, il posa sur moi des yeux inquiets.
-Il a essayé de t'appeler, Norma ?
-Qui ?
-Romero, voyons !
-Il n'a pas mon numéro.
-Shelly lui a peut-être donné.
-Je ne vois pas pourquoi tu me parles d'Alex. Je viens d'être cambriolée !
-La personne qui a fait ça t'en voulait personnellement, mon chou.
-Et forcément tu penses à Alex qui est à des centaines de kilomètres d'ici.
-Il est ici, Norma depuis ce matin.
Il fallait que je m'asseye.
-Il n'est pas comme ça, il n'aurait aucune raison de faire ça.
-Tu n'en sais rien.
-Ça fait un an qu'on est plus ensemble, ne dis pas de bêtises.
-Il t'aime toujours.
-Arrête maintenant Zack ! Tu racontes n'importe quoi !
-On s'est vus, on a eu un échange assez houleux et je sais ce que je dis, s'énerva-t-il. Il n'accepte pas notre relation.
Je secouai la tête complètement perdue.
-Non, il aurait jamais fait ça.
-Tu n'en sais rien.
-Je le sais !
-Pourquoi tu le défends ?
-Parce que je ne comprends pas ce que tu essaies de faire. Cherche le vrai coupable au lieu de chercher à le mettre hors-jeu. Tu ne crains rien, c'est avec toi que je suis. Je ne suis pas une fille volage moi.
Il se figea, se tourna légèrement pour vérifier si ses collègues pouvaient entendre mais ils étaient descendus d'un étage et interrogeaient les voisins. Il se focalisa de nouveau sur moi, furieux.
-Tu ne vas pas recommencer à m'accuser, c'est vraiment pas le moment.
-Je suis d'accord.
Il se détendit.
-Tu sais que c'est lui, avoue qu'il t'a appelée. Tu avais l'air bizarre à ton travail.
-J'étais juste contrariée.
-Parce qu'il t'a appelée, insista-t-il.
-Parce que tu m'emmerdes, que je ne te supporte plus et que je ne savais pas comment te le dire ! Criai-je.
Il devint blême.
-Je sais que tu m'aimes, Norma. Tu es juste fâchée.
-Je ne t'aime pas Zack, et oui je suis fâchée que tu m'ais prise pour une quiche depuis tout ce temps ! Je veux que tu partes !
-Norma…
-Dégage de chez moi !
Je n'en pouvais plus, ça sortait tout seul. Mes nerfs lâchaient. Il recula lentement puis quitta les lieux non sans un dernier regard blessé. J'aurais dû éprouver du remord mais rien ne vint. Je fis le tour du salon, anéantie par le chaos qui régnait chez moi. J'entendis soudainement un grand choc provenant de l'extérieur, des hurlements et des pneus qui crissèrent dans une sonorité décroissante.
Je me précipitai sur le balcon pour y découvrir à plusieurs mètres une silhouette allongée sur le sol.
La suite quand je pourrai.
