Merci à Aurélie pour son comm et son soutien.

Bonne lecture.


Partie 20


Alex fit un arrêt à mon travail. La vue du manoir me redonna le moral.

J'aimais cet endroit.

-J'aurais aimé avoir une maison comme celle-ci, confiai-je à Alex.

-C'est vrai ? Elle me parait tellement austère.

-Elle a du caractère, elle est différente des autres maisons.

Il l'examina à son tour.

-Tu as raison, je n'y avais jamais fait attention, concéda-t-il.

Il alla donner mon arrêt de travail à la jeune fille de l'accueil, une nouvelle que je ne connaissais pas. Peut-être une intérimaire. J'avais hâte de revenir travailler. Je zieutai les alentours, quelques voitures sur le parking, peu d'aller et venu. Malgré moi, je repensai à mon dernier jour de travail, visionnant cette journée qui allait tourner au cauchemar et soudain un spasme me contracta tous les muscles car le souvenir de la cliente rousse, belle et désagréable me percuta.

Non.

Arrêter ma parano.

Pourtant…

Non.

« Celle qui m'a fait ça me connait personnellement. »

Quelqu'un frappa sur la vitre, je sursautai violemment.

-Je ne voulais pas vous faire peur.

Mme Summers était penchée vers moi. Je descendis la vitre et je lui tendis la main qu'elle serra avec douceur. Elle avait vieilli d'un seul coup.

-Ma pauvre enfant. J'étais si choquée en apprenant ce qui vous est arrivée. Il y a vraiment des malades partout.

Votre petit-fils le premier, eus-je envie de lui répondre.

-Je suis désolée de vous avoir mise dans l'embarras, m'excusai-je.

Elle secoua la main avec désinvolture.

-Aucunement. J'attends votre retour avec impatience.

-Il vous faudra patienter un mois.

-Prenez le temps de vous remettre. Je dois moi-même aller voir Keith, il sort en fin de semaine si tout va bien.

Cette nouvelle me fit l'effet d'un électrochoc. Elle me salua et croisa Alex qui revenait de l'accueil. Ils discutèrent un bref instant mais j'étais ailleurs, en plein cauchemar, revoyant cet enfoiré me malmener sur mon lit d'hôpital.

-Norma, ça va ?

Alex était au volant, figé dans une position de départ.

-Oui, souris-je faiblement. Rentrons.

OoooO

En franchissant le seuil du bâtiment, j'eus un instant d'arrêt devant ma boîte aux lettres. Le nom d'Alex y figurait sous le mien, je l'avais rajouté dès le lendemain de son départ. Je me tournai vers lui et lui souris.

C'était le début d'une nouvelle vie.

Nous grimpâmes lentement les marches, appuyée sur son bras, je progressais avec difficulté. En passant devant la porte de Nina, j'hésitai, consciente que Dylan était peut-être derrière cette porte.

-Nous irons le chercher ce soir, décréta Alex, de toute façon, ils ne sont pas là. Elle devait l'emmener avec ses autres petits au grand parc pour un petit gouter.

-Ok.

Nous ne croisâmes aucun voisin ce qui n'était pas pour me déplaire. Les ragots iraient vite bon train. Devant la porte de chez nous, je fus prise de tournis. Il ouvrit la porte et me souleva pour entrer. Installée dans le canapé, j'observai les alentours. Des choses avaient changé, bougé. Je regardai Alex s'affairer un moment avant de parvenir à me lever pour faire le tour de la maison. Sa présence était palpable, il avait intégré ses affaires aux miennes avec autant de subtilité qu'un éléphant. Cela me fit sourire néanmoins car c'était la preuve concrète de son emménagement.

-J'ai trouvé ton cadeau, interrompit-il mes pensées.

Il tenait le petit paquet cadeau avec les clefs de notre appartement à l'intérieur.

-Mais le porte-clefs en forme de cœur n'était pas utile, répliqua-t-il en souriant, un brin taquin, en suspendant l'objet incriminé du bout des doigts.

-C'est pour que tu te rappelles combien je t'aime, ris-je à mon tour.

Il redevint sérieux et m'enlaça.

-Pas besoin de ça pour que je m'en rappelle. Peu importe tout ce qui s'est passé, je l'ai toujours su.

Notre échange de regard fut intense et troublant. Ses yeux étaient ce que j'aimais le plus. Ils me mettaient à nu, me désarçonnaient, me rendaient folle, me réchauffaient de l'intérieur, me redonnaient confiance en l'humanité.

-Et je t'aime autant, n'en doute jamais, conclut-il en me donnant un léger baiser avant de retourner à ce qu'il faisait.

OoooO

-Maman ?

J'ouvris les yeux, encore ensommeillée. Quelle heure était-il ? Combien de temps avais-je dormi ? Depuis quand étaient-ils rentrés ? Dylan me dévisageait avec inquiétude.

-Tu as mal ?

Il touchait mon visage de ses petits doigts malhabiles.

-Non, ça va, ne t'inquiète pas.

-Alex a dit que tu es tombée. Y faut faire attention quand tu descends les escaliers.

Je manquai de sourire à ce ton paternaliste mais il était très sérieux alors je pris une mine contrite.

-Promis, je serai plus prudente maintenant.

Il hocha la tête, hésita à s'en aller. Il se pencha brusquement pour embrasser mon front. Je restai saisie de stupeur. Gêné, il observait ses pieds.

-Tu t'es bien amusé avec Nina ?

-Oui, c'était bien.

Il n'était jamais très loquace.

-Je vais prendre ma douche.

-J'arrive.

Du moins, j'allais tenter.

-Non, Alex a dit que j'étais assez grand pour me laver tout seul.

Et cela semblait lui plaire.

-Mais il faut ouvrir l'eau, contestai-je, je ne veux pas que tu te brûles.

-Il va le faire pour moi.

- Et bien…, bafouillai-je, vas-y mais laisse la porte ouverte et appelles si tu as besoin. Et ne gaspille pas le savon.

-Oui maman.

Il paraissait grand, plus grand que ses trois ans. L'arrivée d'Alex allait peut-être l'aider à avancer dans la vie avec des repères. Repères que j'avais du mal à lui fournir. Je pris le temps de m'asseoir. J'entendis Alex avec Dylan dans la salle de bain. Il lui avait ouvert l'eau et avait répété mes consignes. La minute suivante il était assis près de moi.

-Comment tu te sens ?

-Patraque.

-C'est normal.

-Tu as dit à Dylan qu'il pouvait se laver seul ?

Il fronça les sourcils.

-Oui. Pourquoi ?

-Comment sais-tu qu'il peut se laver tout seul ?

-Je n'en sais rien, je l'ai supposé. J'aurais sûrement dû te demander avant.

Il se concentra sur ses mains.

-Oui. Tu aurais dû.

-Je voulais juste t'aider.

-Je sais.

-On n'a jamais abordé le sujet de Dylan. Je ne sais pas quelle place j'aurai dans son éducation.

J'y avais pas mal réfléchit en fait.

-Je ne sais pas non plus. Il n'est pas ton fils, je ne peux pas t'obliger à t'occuper de lui.

-Qu'est-ce que tu racontes ? M'obliger ? Nous allons être une famille tous les trois.

Il était plein d'interrogations, soucieux.

-Mais me laisseras-tu une place décisionnaire dans son éducation où devrais-je toujours te demander ton avis ?

Ce que je voulais, c'était flou, fluctuant.

-Pourquoi tu me demandes ça ?

-J'ai pris l'initiative pour la douche et je vois que ça te contrarie.

-Non, c'est une bonne initiative, c'est juste que je ne suis pas habituée, je l'ai toujours géré seule.

Je guettais en même temps, le son de la douche, la voix de Dylan qui chantonnait. Je ne l'avais jamais entendu chantonner.

-Je voudrais que ça change, je suis là pour lui aussi.

Il hésita à me demander quelque chose, encore fixé sur ses mains.

-Vas-y ! Dis-moi.

-Je pourrais le reconnaitre si tu veux.

Choc.

Silence.

Réflexion à fond les méninges.

-Norma ?

Trou noir subit. Panne générale. Mon cerveau avait cessé de fonctionner.

-Je vais faire le diner, se résigna-t-il face à mon silence.

Il se dirigea vers la cuisine. Dylan arriva, une serviette enroulé autour de lui.

-Maman, je suis propre.

-Tu mouilles partout, soupirai-je.

Alex apparut sur le seuil de la cuisine.

-C'est bien Dylan.

Il avança vers lui et tapota le haut de son crâne. Il s'accroupit face à lui, pour être à sa hauteur.

-Maman a raison, tu mouilles partout. Va mettre ton pyjama, tes affaires sont sur ton lit. Ensuite, tu pourras m'aider à préparer le diner.

Le regard de Dylan s'éclaira.

-Je fais vite.

Il disparut en vitesse, et je sus à ce moment-là ce que je voulais.

-Alex ?

Il s'approcha sans conviction.

-Oui ?

-Tu es sûr de vouloir cette responsabilité ?

-C'est un gentil p'tit gars.

-Tu veux vraiment être son père ?

Notre conversation se déroulait à voix basse. Ma voix tremblait, consciente de ce que ça impliquait. Il s'accroupit cette fois devant moi. Je devinais en lui la même émotion.

-Je vais apprendre.

Je caressai sa joue brièvement, très émue.

-S'il m'arrive quoi que ce soit, tu continueras de prendre soin de lui ?

-Il ne t'arrivera rien.

-Réponds, s'il te plait.

-Oui, tu sais bien que oui.

-Et tu réussiras à l'aimer ?

Il parut surpris par cette question.

-Parce que moi je saurai pas te montrer comment faire.

C'était un constat douloureux. Il attrapa ma main.

-Tu l'aimes, crois-moi.

-Je sais que non, chuchotai-je d'une voix cassée.

La culpabilité, la honte. Tout revenait. Je parvins à ne pas pleurer. Je ne voulais pas le heurter. Il ne savait pas quoi me répondre mais son inquiétude était réconfortante.

-J'espère que tu y arriveras, continuai-je, il en a besoin. Il va t'aimer autant que je t'aime, il ne faudra pas le décevoir.

Il accusa le coup. Je le vis douter pour la première fois.

-J'ai confiance, le rassurai-je en lui serrant la main. Et nous serons là aussi pour toi.

Il hocha la tête, exprima quelque chose de nouveau, quelque chose d'inédit.

Il était heureux.

J'entourai son cou de mes bras, heureuse aussi.

-Je suis d'accord pour que tu le reconnaisses. Il est désormais ton fils.

OoooO

Une heure plus tard nous dinions tous les trois. Je pris mes médicaments et avalai sans conviction la mixture préparé par Alex. Même Dylan était sceptique devant son plat.

-Je vais m'améliorer, je vous le promets, s'excusa-t-il.

-Bientôt je reprendrai les rennes de la cuisine ne t'inquiète pas, le rassurai-je.

Nous bavardâmes tranquillement de tout et de rien mais je voyais l'attention accrue que Dylan portait à Alex. Celui-ci lui demanda de débarrasser avec lui, Dylan ne se fit pas prier, fier comme un paon. Je parvins à faire la vaisselle tandis qu'il le mettait au lit. Il mit un certain temps avant de revenir.

-J'ai dû lui raconter deux histoires, m'expliqua Alex.

-Il n'a pas de livres d'histoire.

-J'en ai inventées. Il s'est endormi rapidement.

Nous regardions la télé, main dans la main, détendus. Et puis Alex attrapa la télécommande pour baisser le son.

-Je voulais te parler un instant.

J'étais rincée, mais bon, je ne pouvais rien lui refuser.

-Je t'écoute.

-Je suis en train de prospecter pour une maison.

-C'est encore un peu tôt non ? Tu n'as pas vendu la tienne.

-Je préfère m'y prendre tôt. J'ai envie qu'on ait de la place, un jardin pour Dylan et une chambre pour nous.

-Je comprends.

-Et puis j'ai stocké des choses dans un garde-meuble et j'aimerais ne pas trop tarder et les récupérer.

Je hochai la tête.

-Nous avons rendez-vous en fin de semaine pour ouvrir un compte joint.

-J'espère que je serai d'attaque.

-Pour notre mariage…

Il s'interrompit.

-Qu'y-a-t-il ? M'alarmai-je.

-J'ai pris rendez-vous à la mairie pour dans un mois. Ça te convient ?

-Je pense oui. Je devrais être présentable d'ici là.

-Tu veux toujours faire cela en toute intimité ou veux-tu inviter quelqu'un ?

-Non, juste nous trois, c'est bien.

-Bien, tout est réglé alors. Je prends mon poste samedi, je serai d'astreinte mais joignable. Pour tes rendez-vous à l'hôpital et chez le psy, je m'organiserai pour t'emmener.

-Non, ça ira.

-J'insiste.

-J'irai, si c'est ce qui t'inquiète mais je me débrouillerai pour y aller. C'est quand d'ailleurs ?

Il me donna les dates et j'en pris note dans mon agenda.

-On regarde la suite du film ? Lui proposai-je en m'installant contre lui, ma main près de son cœur.

-J'ai encore un truc à te dire mais je ne sais pas comment procéder.

Son cœur s'était accéléré et je me raidis.

-Cela peut attendre demain ?

-Non.

Je lui fis face, anxieuse. Ses traits se firent graves et mon estomac se noua. Il frotta ses mains l'une contre l'autre.

-Alex ? Insistai-je

-C'est au sujet de ta mère.

J'écarquillai les yeux, que pouvait-il savoir sur ma mère ?

-Elle… elle est morte.

OoooO

Nous arrivions à l'hôtel de ville en fin de matinée, exaltés et impatients.

Je ne pensais plus à ces nuits remplies de cauchemars. Je ne pensais plus à ma défunte mère, à Keith et ses menaces, à la femme rousse du motel que j'associais à mon agression sans savoir pourquoi. Je ne pensais plus aux ragots qui s'étaient vite propagés ni à la rencontre désagréable avec les parents de Zack qui n'avaient pas été tendres avec moi depuis qu'ils savaient que je vivais avec Alex. Je ne pensais plus à certains silences d'Alex quand il rentrait du travail, contrarié. Je ne pensais plus à mes angoisses confiées au psy. Il m'avait conseillé des méthodes pour pouvoir vivre ce jour pleinement en mettant temporairement mes tracas de côté.

Ce que je fis.

Debout tous les trois face au Maire, nous fûmes solennels devant lui. Alex serrait ma taille, ce qui m'arrangeait car perchée sur des talons, je n'étais pas stable. Dylan, devant nous, portait les alliances. Nous étions beaux tout en sobriété. J'avais encore raccourci mes cheveux formant un carré plongeant, J'avais l'air plus âgé que mes vingt et un an avec ce maquillage un peu plus appuyé que d'habitude pour camoufler les derniers stigmates de mon agression. Je m'étais bien remise et j'allais même reprendre le travail. Dylan avait coupé ses cheveux, portait un costume crème et des chaussures de ville. Il avait râlé pour pouvoir mettre des baskets mais je n'avais pas cédé. Ma robe était crème aussi, cintrée, avec un décolleté carré et ne dépassant pas les genoux. Son coté rétro avait plu à Alex. Il avait, lui-même, une allure folle dans ce costume noir taillé sur mesure. Le noir de la veste faisait ressortir le noir de ses cheveux et de ses yeux.

Nous échangeâmes nos alliances, je reconnus la bague de sa mère, je la voyais tous les jours sur l'unique photo d'elle qui trônait sur le buffet dans notre appartement. C'était un bijou magnifique et l'émotion fut vive quand il me la passa au doigt. Nous nous promîmes de nous aimer et de nous protéger quelles que soient les difficultés de la vie. Nous avions conscience que ces promesses étaient cruciales pour nous, fortes en signification. Il m'embrassa ensuite avec tendresse et tout mon corps s'embrasa de désir pour lui. Il s'en rendit compte et m'embrassa encore.

-Je t'aime tellement, murmura-t-il contre mon oreille.

Le bonheur éclatait dans nos yeux.

Nous étions enfin mariés.


La suite quand je pourrai.