Partie 22
Nous avions pris la route.
Dylan était tellement heureux de cette escapade.
Nous étions partis tôt pour pouvoir prendre notre temps sur la route. Après quatre heures de trajet, nous décidâmes de nous arrêter pour déjeuner. J'étais pleine d'appréhension. Retourner là-bas me fichait la trouille. Je percevais le regard d'Alex qui pesait régulièrement sur moi mais il ne disait rien. Il s'occupait de son fils, je pouvais ruminer en paix. Alex me proposa de conduire mais je ne voulais pas.
-Après si tu es fatigué, je prendrai le relais, proposai-je sans conviction.
Le reste du trajet me parut être trop court tellement je ne voulais pas arriver à destination. La première halte se fit directement à l'agence immobilière. Malheureusement la personne qu'il cherchait était déjà partie. Je ne pouvais que constater sa contrariété. Il savait où elle habitait, il voulut faire un détour par chez elle. Cela me parut louche.
-Comment sais-tu où elle habite ?
Il hésita à me répondre.
-Alex ?
-C'est mon ex.
Mes yeux s'exorbitèrent. Je me raisonnai de manière violente afin de ne pas partir en vrille, je n'avais aucune raison d'être jalouse.
-Hum, répliquai-je finalement.
Il démarra sans un mot. Sur le trajet, il montra à Dylan la maison familiale.
-On peut y aller dedans, papa ?
La surprise fut de taille autant pour moi que pour Alex. Je pensais que Dylan mettrait du temps à s'adapter et à le considérer comme son père. Il y a deux jours en apprenant la nouvelle, il n'avait rien exprimé face à la réalité de son changement de nom et de ce que cela impliquait. Alex s'arrêta, visiblement troublé et se gara non loin de son ancienne maison.
-Allons-y.
Il était réticent, je le devinais mais il ne savait rien refuser à Dylan. Et cela finirait par lui porter préjudice. Et à Dylan aussi. Je les laissais entre homme, cela concernait Alex. Quand ils disparurent à l'intérieur, je me plongeai dans mes souvenirs. Je pensais à notre rencontre. Il s'en était passé des choses depuis.
Je sursautai quand Alex ouvrit la portière arrière pour attacher Dylan.
-Vous avez déjà fini ?
-Nous sommes partis une demi-heure Norma.
-Ah bon ?
J'étais partie loin dans mes souvenirs.
-Toi tu rêvassais, me taquina-t-il.
-Oui, je pensais à toi.
Il démarra, le sourire aux lèvres.
-J'aime que tu penses à moi.
Cette visite avec Dylan lui avait fait du bien apparemment. Il ne se passa que dix minutes avant d'arriver devant chez son ex. Il sonna à sa porte et patienta. Un homme sortit sur le perron, un homme d'un certain âge, plutôt large et grand. Il paraissait peu ravi de le voir.
Le ton monta.
Sans savoir pourquoi, mon regard dévia vers le premier étage de la maison. Mon cœur se compressa violemment. Je clignai des yeux, persuadée d'avoir une hallucination… Jusqu'à ce que la femme en faction devant la fenêtre m'aperçoive et recule brusquement derrière son rideau. Je sortis de la voiture sans m'en rendre compte, dépassai Alex et l'homme avec qui il se disputait pour entrer dans la maison. L'homme tenta de m'en empêcher, surpris par mon audace. Je voulus forcer le passage.
-Ne la touchez pas ! Grogna Alex contre le propriétaire des lieux.
Il me retint à son tour :
-Norma tu fais quoi ?
-Elle est là !
-Qui ?
-Celle qui m'a fait du mal !
Il fronça les sourcils.
-Je sais que je n'ai pas de preuve mais je sais que c'est elle !
-Laissez ma fille tranquille ! Nous rembarra le père, inquiet. Sortez de ma maison !
Alex me tira en arrière, me fit face :
-Je ne comprends pas ce que tu me dis.
-Je l'ai vue au premier, elle t'observait par la fenêtre.
J'étais en train de perdre la tête, complètement bouleversée.
-Je sais que c'est elle, elle était à White Pine Bay le jour de mon agression, elle est venue au motel, elle était agressive, elle est rousse, elle … elle… c'est ton ex !
Je montais dans les aigus.
-Ça se tient ! Je dois aller lui parler ! Je dois lui demander ! Je…
Alex était sous le choc. Il m'attrapa aux épaules, me secoua un peu pour me calmer.
-Il faut que je lui parle ! Je veux savoir ce que je lui ai fait, pourquoi elle a fait ça, pourquoi elle voulait me tuer !
Il me serra contre lui avec précaution, jetant un œil vers le premier étage.
-Retourne à la voiture, décréta-t-il calmement.
Mon hystérie se calma net. Le ton de sa voix ne présageait rien de bon. Il me ramena vers la voiture contre mon gré. L'homme en profita pour refermer la porte. Quand je fus installée dans la voiture, il se pencha vers la vitre :
-Je reviens.
-Papa ! S'angoissa Dylan. Pourquoi on part pas ?
Il se pencha vers sa vitre :
-Je dois régler quelque chose, ensuite nous pourrons aller manger un morceau au McDo.
Dylan aimait cet endroit maudit. Alex le savait et s'en servit pour le rassurer.
-Chouette, sourit-il. Fait vite !
Alex ne prit pas la peine de frapper et contourna la maison. Il connaissait bien les lieux apparemment, m'agaçai-je. Je guettais de nouveau la fenêtre de premier mais n'y décelai aucun mouvement. Où était-elle ? Avait-elle fuit ? Cette idée était insupportable. J'ouvris la portière pour aller enquêter quand Dylan se rappela à mon bon souvenir.
-Tu vas où maman ?
Il avait peur de rester seul.
-Nulle part, me résignai-je, je prends juste l'air, j'ai un peu chaud à l'intérieur.
-Tu peux ouvrir la vitre tu sais.
-Je sais mais je veux me dégourdir les jambes.
Je surveillais les alentours, aux aguets.
Cinq minutes.
Rien.
Dix minutes.
Toujours rien.
Je m'approchai de la fenêtre la plus proche. Alex tournait en rond comme un lion en cage, seul avec elle dans leur salon. Subitement, il bondit sur elle, la saisit par le cou, la plaquant sur le mur derrière elle. Je fis diligence pour le ramener à la raison, j'entrais donc sans permission dans la demeure et courus jusque dans le salon.
-Alex non !
Il ne parut pas m'entendre. Ses veines explosaient sur son front, sur son cou.
-Elle ne t'avait rien fait, bordel !
Son ex tentait d'ôter ses doigts autour de sa gorge sans succès, affolée et toute rouge.
-Papa, arrête !
Il sursauta, tout comme moi. Dylan le dévisageait avec horreur figé sur le seuil de la pièce. Il se mit à pleurer alors Alex relâcha son ex et récupéra son fils dans ses bras. Il lui demanda pardon, terriblement désolé. La rousse les fixait avec des yeux ahuris et plein de haine. Je me mis dans sa ligne de mire. Elle se focalisa sur moi, se raidit, serra ses poings. Malgré mon cœur tambourinant, je m'approchai d'elle, évitant de regarder son cou rougeâtre.
-Pourquoi ?
Elle ne répondit pas, se contenta de me toiser avec mépris… et douleur.
-Je ne vous avais rien fait.
-Vous m'avez tout pris, cracha-t-elle d'une voix rauque.
-Je… je croyais que vous étiez séparés.
Alex était sorti avec Dylan. Je l'entendis parler avec quelqu'un dans l'entrée. La police était là.
-ll m'a quittée à cause de vous.
-C'est faux, je suis partie, on ne s'est pas vu pendant deux ans.
-Il m'a quand même abandonnée, parce qu'il vous aimait déjà. Lui qui se disait incapable d'aimer, il m'a menti tout ce temps! Je lui ai donné mon amour, mon corps. Quand vous l'avez rejeté, je suis revenue vers lui. Et qu'est-ce qu'il a fait ? Il s'est servie de moi et m'a jetée ensuite comme de la merde.
Elle se brisa. Et moi aussi.
-Alex ne ferait jamais ça, le défendis-je.
Elle me fixa avec rancœur. Un adjoint entra dans la pièce suivit du père qui gesticulait dans tous les sens. Il m'était familier. Il me jeta un coup d'œil appuyé avant de lire ses droits à mon agresseur et de l'embarquer.
OoooO
Après notre déposition au poste, nous nous rendîmes au McDo. L'humeur était morose. Nous dinâmes sans entrain avant de regagner notre chambre dans le motel le plus proche. Nous devions rester une journée de plus pour retourner au poste et à l'agence. J'avais prévu quelques affaires de rechange heureusement. J'étais toujours prévoyante.
Après son bain, Dylan s'endormit comme une masse. Alex le posa dans son lit en parallèle au nôtre et il se faufila dans la salle de bain. Je me changeai et m'allongeai à mon tour, exténuée. J'avais compris que Rebecca Hamilton était aussi à l'origine du décès de Zack. C'était une culpabilité supplémentaire que je devais porter et je n'étais pas sûre d'y arriver.
Après vingt minutes, je m'inquiétai de ne pas voir revenir Alex. Je frappai à la porte, il n'y eut aucune réponse. Je pénétrai dans la petite pièce. Il était sous la douche, assis. Il n'y avait pas de buée, l'eau devait être tiède. Il fixait le carrelage en face de lui, complètement perdu. J'ouvris la porte coulissante, fus saisie par le froid qui se dégagea. Ses lèvres viraient au bleu.
-Alex !
Je fermai les robinets et attrapai une serviette pour le frictionner. Il était gelé. Ses yeux brillaient de larmes mais il les retenait.
-Parle-moi.
Silence.
Je pris une autre serviette pour le recouvrir et je mis le sèche-serviette en route pour sécher l'autre.
Je le serrai dans mes bras pour le réchauffer.
-J'ai envie de la tuer Norma.
Mon cœur se vrilla.
-Ne dis pas ça.
Il le répéta encore.
-C'est parce que tu es en colère mais ça va passer.
-Non, je veux qu'elle souffre, je veux qu'elle paie.
-Elle va payer.
-Je veux lui faire mal.
-Ne dis pas ça, ne dis pas ça.
-Je suis comme mon père.
-Non !
-Je ne suis pas un bon père, ni un bon mari. Je ne mérite pas de vous avoir.
Il avait soufflé ses mots dans un murmure douloureux.
-Tu es la plus belle chose qui nous soit arrivée, ne redis plus jamais ça.
Son front se posa sur mon épaule. Il grelotait, claquait des dents. Il s'était infligé cette douche glacée pour se contenir. Mon cœur se gonfla d'une substance inconnue. A mon tour, j'eus une violente envie de faire du mal. Cette femme avait brisé ma famille. Elle avait tué un homme, m'avait battue presqu'à mort, avait saccagé mon lieu de vie. Elle avait insufflé la peur dans ma vie, la haine dans le cœur de mon mari et la tristesse dans celui de notre garçon.
Je le serrai encore plus fort.
Si quelqu'un devait la tuer, ce serait moi.
Et j'avais déjà une idée de ce que je lui ferai subir.
La suite quand je pourrai.
