Partie 23
Alex se recueillait sur la sépulture de sa mère, complètement ailleurs. Il était tellement triste. J'aurais voulu aimer ma mère autant.
Dylan et moi, nous nous tenions en retrait. Il avait souhaité nous emmener avec lui. Je le sentais perdre pied. Il avait peu dormi. Moi aussi d'ailleurs. L'idée de retourner au poste me prenait la tête. Je ne voulais pas mêler Dylan à tout cela. Je ne voulais pas raviver la haine de mon mari. Et je ne voulais pas repenser aux différents moyens de trucider Rebecca.
Dieu que je la haïssais.
C'était un sentiment que je ne connaissais que trop bien et que je ne voulais plus ressentir.
Dylan lâcha ma main pour rejoindre Alex, et comme j'étais à l'ouest, je n'eus pas le réflexe de l'arrêter. Il se plaça près de son père et tapota son épaule. Alex émergea de sa torpeur mélancolique et lui sourit. Le premier depuis des heures. Quel soulagement. Dylan avait un effet bénéfique sur lui. La nouvelle paternité d'Alex prenait le pas sur tout le reste. Il se leva et attrapa la main de son fils. Une fois à mon niveau, il m'observa avec incertitude.
-Nous allons voir ta mère ?
Je me raidis.
-Non.
-Tu es sûre ?
-Je ne sais même pas où elle a été inhumée.
-Moi je le sais.
J'aurais dû m'en douter.
-Où cela ?
Il m'éclaira.
-Nous n'avons pas le temps pour ça.
Alex n'insista pas et enroula son bras autour de mon épaule.
-Allons régler cette histoire avec Rebecca.
OooooO
En sortant de l'agence immobilière, je me sentis épuisée. Quelle journée ! Il y avait eu tant de choses à régler.
Alex démarra la voiture et s'engagea sur la route du retour.
-Papa j'ai faim.
-Nous prendrons des sandwichs sur le chemin Dylan, le prévint-il.
Après quelques kilomètres, Alex s'arrêta pour acheter notre diner. Il était tard même s'il faisait encore jour, nous allions rouler de nuit. Cela ne m'enchantait pas car Alex et moi manquions cruellement de sommeil. Et j'étais stressée. J'avais beau savoir que Rebecca était en détention, j'avais un poids sur le cœur. Poids qui augmenta sans que je ne comprenne pourquoi. Soudain mon cœur se compressa.
J'agrippai le bras d'Alex :
-Tu as raison, il faut que je me rende au cimetière.
Alex dévia de sa route sans poser de question. Dylan avalait tranquillement son sandwich et n'y prêta pas attention. Revenir dans ma ville natale était une torture. Chaque rue, chaque quartier me rappelait ma vie antérieure. Une demi-heure plus tard, je longeai les allées du cimetière communal à la recherche d'un nom bien précis. J'étais sûre de l'y trouver. Mon instinct ne m'avait pas trompé. Je m'accroupis devant la tombe de John Masset.
Victime de m'avoir connue comme Zack.
-Pardon.
Je pleurais à chaudes larmes de longues minutes avant de retourner à la voiture, vidée. Je n'avais pu me résoudre à me recueillir auprès de ma mère. Encore trop de rancœur au fond de moi pour lui pardonner. Un jour peut-être…
Dylan s'était endormi à l'arrière. Alex caressa ma joue sans un mot avant de reprendre la route de la maison.
OoooO
Le jugement pour la garde de Nathan approchait mais pas moyen de demander à Alex de ne pas s'en mêler. Ça lui tenait à cœur, encore plus maintenant que Dylan faisait partie de sa vie. Comment faire ? Après tout ce qui s'était passé avec Rebecca, je ne pouvais plus prendre aucune menace à la légère. Et Keith était lâche et fourbe. Autant dire une bombe à retardement. Depuis sa sortie de l'hôpital, il n'avait pas repris le travail mais errait comme un fantôme. Je sursautais dès que je l'apercevais. Il se rappelait régulièrement à mon bon souvenir mais il ne disait rien. Et c'était pire.
Que devais-je faire ?
En parler à Alex ?
Non, il réagirait très mal.
Après ma journée de travail, je décidai de rendre visite à Mme Summers. Elle m'ouvrit au bout de quelques minutes. Son aspect blafard me choqua. Elle fut surprise de me voir sur le pas de sa porte.
-Pardon de vous déranger, j'aimerais m'entretenir avec vous d'une chose importante, je n'en aurai que pour quelques minutes.
Elle parvint à me sourire et m'invita à entrer. Elle boitilla jusqu'au salon aidée de sa canne.
-Que vous est-il arrivé ?
-Je suis tombée récemment, m'éclaira-t-elle.
Je l'aidai à s'asseoir, elle grimaça de douleur. Je pris place en face d'elle.
-Je dois me faire opérer, m'annonça-t-elle avec un regard qui laissa percer de l'inquiétude.
-Quand ?
-Je rentre à l'hôpital la semaine prochaine.
Elle m'expliqua les détails d'une voix fatiguée. Elle darda sur moi des yeux tristes.
-Je vais devoir quitter cette maison.
-Mais pourquoi ?
-Trop d'escaliers.
-Ce n'est pas insurmontable.
-Je pourrais faire des travaux mais les coûts seraient énormes sans compter mes frais chirurgicaux et d'hospitalisation. J'ai réglé ceux de Keith après son accident et aussi la rémunération de son avocat. Je dois aussi faire tourner le motel. Mes fonds ont leurs limites Mme Romero.
Elle frotta son front.
-Je n'en ai pas encore parlé à Keith. Il va mal le prendre.
Sa voix tremblait. Aurait-elle peur de lui ? Je me rapprochai d'elle pour lui attraper la main.
-Avez-vous besoin d'une quelconque aide Mme Summers ?
-Voulez-vous bien m'aider à remonter dans ma chambre, je voudrais m'allonger.
Quand elle fut installée sous ses couvertures, elle me dévisagea avec intensité.
-Vous êtes un ange, ma chère.
Une émotion subite me réchauffa le cœur.
-Demain je peux venir plus tôt si vous le souhaitez. Je pourrai m'occuper de vous.
« Puisque votre petit-fils, ce bon à rien, ne le fait pas ! »
Ses yeux brillèrent de larmes. Elle hocha simplement la tête.
-Voulez-vous un thé avant que je ne parte ?
-Non. Je vous remercie. Vous vouliez me parler de quelque chose, non ?
-Rien d'important.
Pas besoin d'alourdir son fardeau.
OoooO
Le diner fut rapidement expédié car Dylan tombait de sommeil (il avait fait une sortie avec l'école) et qu'Alex était encore au boulot. Je dépliais le canapé quand il arriva enfin. Je le rejoignis à l'entrée pour l'aider à ôter son blouson. Il m'enlaça avec affection.
-J'ai pensé à toi toute la journée, murmura-t-il en embrassant ma joue.
Quel bonheur de l'avoir près de moi chaque jour.
-Tu as passé une bonne journée ?
Il soupira :
-Une vraie galère.
-Raconte, dis-je en l'attirant jusque dans la cuisine pour lui servir son diner.
Je lui tins compagnie tandis qu'il me racontait sa journée. La conversation finit par dévier.
-J'ai enfin les fonds pour la maison, m'annonça-t-il. J'ai fait des recherches dans le coin mais rien ne me convient. Il va falloir élargir notre champ d'action.
Cela me rappela…
-Mme Summers vend sa maison.
Il m'observa avec étonnement. Je lui relatai alors ma visite à ma patronne. Il fronça les sourcils.
-Elle est vraiment tombée ou est-ce que c'est Keith qui lui a fait ça ?
J'y avais pensé à vrai dire.
-Ne vois pas le mal partout, temporisai-je.
-On parle de Keith.
Je ne répliquai rien.
-Dans une dizaine de jours je dois témoigner. Mieux vaut que je l'évite pour l'instant sinon je risque de me montrer agressif.
Un frisson me parcourut.
-Oui reste loin de lui.
L'angoisse me noua l'estomac, accentué par un mauvais pressentiment.
-Mais si je découvre qu'il a fait du mal à sa grand-mère…
Il ne termina pas sa phrase mais je compris le sous-entendu. Qu'est-ce qu'il nous emmerdait ce mec ! Il nous pourrissait la vie ! J'aurais dû être heureuse mais je semblais vouée à être entourée de gens malsains.
-Le procès de Rebecca aura lieu dans quatre mois, m'annonça-t-il après quelques minutes de silence.
Une décharge passa à travers toute ma colonne vertébrale.
-Nous sommes obligés d'y aller ?
-Oui.
Je m'assombris, inquiète.
-Les parents de Shelby seront là aussi, m'annonça-t-il.
Je n'étais pas sûre de pouvoir les affronter.
-Ils doivent me haïr.
-Ce n'est pas de ta faute, s'ils doivent haïr quelqu'un c'est Rebecca.
-Bien sûr que si, c'est de ma faute ! Elle s'en est prise à lui pour me faire du mal… et parce que tu lui en as fait.
Nos regards s'accrochèrent. Passé la stupeur, il fronça les sourcils.
-De quoi parles-tu ?
-Tu le sais très bien.
J'espérais qu'il démentirait tout ce que m'avait dit Rebecca. Il se détourna, fixant son assiette.
-Alex, insistai-je.
Silence radio. Autant m'en aller.
Dans la salle de bain, j'enfilai ma robe de nuit, soucieuse et contrariée. A peine sous les couvertures, j'entendis Alex me rejoindre. Il se déshabilla, s'engouffra près de moi sans pour autant me toucher. Je regardais le mur dans la pénombre, je percevais sa chaleur, j'avais envie de me retourner et de me coller à lui.
-Nous étions séparés, j'étais pas bien, ce n'était pas prémédité…
-Ce n'est pas ce que je te demande Alex.
-Alors quoi ?
-Tu t'es servie d'elle ?
-Je…
Il s'agaça.
-Pourquoi tu me demandes ça ?
-Réponds, c'est tout !
-Non, j'ai rien fait de mal. Elle ne voulait pas comprendre ! C'est quoi le problème ?!
-Elle t'aime, voilà le problème.
-Elle est cinglée, surtout.
Ça je le savais mais ça ne changeait rien.
-Tu l'as blessée.
Il s'allongea sur le dos.
-Je ne le voulais pas, je t'assure, me confia-t-il enfin.
Les imaginer tous les deux me tuait mais j'étais bien mal placée pour lui en vouloir.
-Si j'avais su qu'elle réagirait si mal…, commença-t-il.
Je me raidis.
-… je ne pensais pas qu'elle me suivrait jusqu'ici… et qu'elle ferait du mal à quelqu'un. Je croyais la connaitre.
Mon temps de réaction fut très long. Je finis par m'asseoir sur le rebord du lit, le visage entre les mains. Sa main effleura mon épaule. Je bondis hors du lit comme un ressort.
-Je vais prendre l'air.
J'attrapai mon manteau sur la patère, enfilai mes chaussures et claquai la porte. Je dévalai les escaliers, oppressée. Dehors, le froid était supportable. Pas besoin de lever la tête pour savoir qu'Alex était déjà en poste sur le balcon. Mes pas me guidèrent vers le lieu de l'accident. J'avais toujours évité d'y aller, ce soir j'en avais besoin. Je m'assis sur le bord du trottoir. J'avais envie de hurler. Sa silhouette inerte flottait devant mes yeux.
Il me fallut du temps pour rentrer.
En bas de l'immeuble, je finis par lever la tête. Alex n'avait pas bougé. Pas moyen de savoir ce qu'il pensait.
OoooO
Le lendemain soir, Alex arriva avec un bouquet de fleurs.
Il souriait et me serra contre lui avec tendresse et exaltation.
-Quoi ?
J'étais pleine d'appréhension.
-J'ai proposé à Mme Summers de racheter le manoir et elle est d'accord.
Je le regardai longuement comme une ahurie.
-Je sais que tu aimes cet endroit alors j'ai saisi cette occasion.
Toujours cet air stupide sur ma figure.
-Nous devons faire un prêt pour arriver au prix d'achat mais ce n'est pas excessif, on peut largement se le permettre.
Je me laissai choir sur la chaise la plus proche, complètement hébétée.
-C'est vrai ? Elle a dit oui ?
-Elle semblait même soulagée que ce soit nous les acquéreurs, des gens qu'elle connait et qu'elle apprécie.
Je lui sautai au cou, heureuse comme jamais. Je n'aurais jamais osé espérer y vivre.
-Tu es heureuse ?
-Oui, oui, oui !
Il me fit tournoyer, m'embrassa avec passion. La lumière revenait dans ma vie. Et c'était grâce à lui. Encore. Je lui en avais voulu la nuit dernière, tellement. Pourtant au cours de la journée, j'avais dû admettre que c'était injuste.
Il me relâcha et m'observa avec un air désolé.
-Je t'ai fait de la peine hier soir, je m'en veux tu n'as pas idée.
Je caressai sa joue, désolée à mon tour.
-N'en parlons plus, j'ai été très injuste, je m'en rends compte.
Il me serra encore contre lui.
-Je n'aime pas quand nous sommes fâchés.
Qu'est-ce que je pouvais l'aimer !
-Je vais voir Dylan pour lui annoncer, sourit-il.
Je me mis en quête de préparer le diner, fébrile. Je m'y voyais déjà. Et puis, l'euphorie retomba. Alex revint m'enlacer.
-Dylan est content.
Je me tournai vers lui.
-Mais ses petits-enfants ?
-Quoi ses petits enfants ?
-Ils ne veulent pas acheter la maison ?
-Shelly a déjà sa maison, et Keith n'a pas un rond.
Je secouai la tête, inquiète.
-Keith va mal le prendre.
-Je m'occupe de Keith.
-Non surtout pas !
-Je vais juste lui parler.
-Quand ?
-Demain.
-Ce n'est pas une bonne idée.
-Tout se passera bien.
La suite quand je pourrai.
