Partie 25


Pendant que nous faisions les cartons, je repensais aux derniers évènements. Suite au décès de Kate, nous avions été surpris de constater que nous étions convoqués à la lecture de son testament. Je ne voulais pas m'y rendre mais Alex avait insisté…

…En nous installant parmi la famille de Kate (Shelly et son mari, une cousine éloignée, et Keith), nous étions mal à l'aise. J'avais remarqué les regards appuyés dès notre entrée et les yeux inquiets de Shelly. Keith nous avait accostés rudement mais Alex l'avait remis rapidement à sa place. Au final, nous fûmes tous atterrés par ce testament. J'avais hérité du manoir et Shelly du motel et de tous les objets de valeur du manoir. La cousine, elle, héritait d'une certaine somme d'argent. Keith, quant à lui, repartit bredouille et il explosa littéralement. La suite n'avait été que cris et pleurs…

…Je frissonnai en me rappelant l'horreur de cette scène.

C'était il y a un mois et depuis nous ne l'avions pas revu. Il avait disparu de la circulation mais cela ne me rassurait en rien car il restait dangereux. Il avait perdu la garde de son fils et il n'avait plus d'endroit où vivre ni de travail. Sa grand-mère l'avait déshérité. Pour qu'elle en arrive à des extrémités pareilles, il avait dû faire quelque chose d'impardonnable… mais nous ne le saurons jamais.

Au départ, j'avais refusé l'héritage à cause de Shelly. Il y avait eu une cassure entre nous, j'avais perdu mon amie et je voulais remédier à cela. Cependant, Alex m'avait rappelé que c'était le choix de Kate et à quel point j'aimais cet endroit.

-Rien ne nous empêche de voir avec le notaire quelles sont les possibilités de partager le bien avec Shelly et ses enfants quand ils seront adultes, tenta-t-il de me rassurer.

-Tu crois ?

-Je ne sais pas mais ça ne coûte rien de demander. Et s'il y a des frais, nous les règlerons.

Il avait eu raison. Encore, repensai-je avec tendresse.

J'étais allée voir Shelly, ensuite nous avions pris rendez-vous avec le notaire et les choses s'étaient arrangées. Ses enfants récupèreraient leur héritage aux vingt-et-un ans de son dernier-né.

-Norma ?

Je revins à la réalité, me raidis en voyant Alex dans l'embrasure de la porte de la chambre de Dylan.

-J'ai trouvé ce portable.

Mince, je l'avais complètement oublié. Je ne m'en étais pas débarrassé, quelle cruche !

-Je connais ce numéro, insista-t-il en remarquant mon mutisme.

Je repris mon empaquetage des affaires de Dylan, il s'approcha et s'agenouilla à mes côtés.

-Pourquoi tu as ça de planqué dans la commode ?

-Je l'ai reçu le jour de mes vingt ans. Quand j'ai compris d'où il provenait, j'ai paniqué. Je croyais que Caleb m'avait retrouvée. Après quelques semaines, ne voyant rien se produire, j'ai pris mon parti de ne plus y penser et j'ai oublié que je l'avais caché dans la commode.

-Comment saurait-il où tu vis ?

-Je n'en ai pas la moindre idée.

Il se perdit en lui-même, les sourcils froncés.

-Laisse tomber, mon chéri.

-Je vais tirer ça au clair…

OooooO

Nous nous garâmes devant le manoir, exaltés et anxieux à la fois. Le camion des déménageurs n'allaient pas tarder à arriver. Dylan gravit les grandes marches menant à la demeure et agita les bras pour nous inciter à arriver plus vite. A l'intérieur, il visitait les pièces encore et encore. Il m'épuisait à courir partout, lui qui était si calme d'habitude.

Une valse de cartons commença alors et adieu tracas, inquiétudes, stress. Il y avait du pain sur la planche.

En quelques jours, nous fûmes installés dans notre nouvelle maison. Nous y fêtâmes le mois suivant les cinq ans de Dylan en invitant ses copains de classe. Tout fut réalisé en grande pompe, Alex ne lésina pas sur la déco et les animations. Quand les enfants arrivèrent les uns après les autres, déposés par des parents souriants mais curieux concernant ma demeure (tout se savait ici), je ne ressentis aucune gêne, j'étais en paix avec moi-même.

Je virevoltais entre les enfants, servant boisson et autres confiseries. Il faisait beau, il faisait doux. C'était étrange cette atmosphère légère et criarde à la fois. Dylan riait et jouait dans les structures aménagées par son père. Il l'appelait sans arrêt et lui sautait dans les bras.

Il était heureux.

Alex aussi.

Cette image s'imprima sur mes rétines, trace indélébile de l'amour qu'ils se portaient l'un l'autre. Leur regard se porta sur moi au même instant. Ils me sourirent et la seconde suivante je les rejoignis pour profiter de cette liesse.

Le soir, je rangeais le bazar laissé par la fête, le sourire aux lèvres, quand Alex me rejoignit et m'enlaça, dos à moi, embrassant ma joue.

-Il s'est endormi comme une masse, il est tellement heureux d'avoir eu cette fête.

-Tu le gâtes beaucoup, lui reprochai-je.

-Rien n'est trop beau pour lui et pour toi, mon oiseau.

Je fis volte-face pour le serrer contre moi.

-Merci… pour tout.

OoooO

Je travaillais désormais avec Shelly. Elle avait fait de moi son associée. J'étais co-gérante. Les semaines passaient, un nouveau rythme s'imposait, organisant ma vie autour de mes proches de manière régulière. J'avais retrouvé un meilleur sommeil, je ne faisais plus de cauchemars, seul l'absence de Kate me pesait. Je ne comprenais pas comment elle avait pu prendre si rapidement autant de place dans ma vie.

Enfin, après toute une vie de malheurs, tout allait bien… jusqu'à ce qu'un courrier du tribunal arrive chez nous.

Rebecca.

-Je n'ai pas envie d'y aller, martelai-je, assise sur le canapé du salon.

-On n'a pas le choix, Norma.

-Et comment allons-nous faire avec Dylan ?

-Nous allons en discuter avec lui, il serait préférable qu'il reste ici, avec Shelly.

-Il ne voudra pas être séparé de nous.

-Je le sais, rumina Alex, mais nous ne pouvons pas l'emmener au procès avec nous.

Après réflexion, j'en parlai à Shelly qui fut réactive. Le lendemain, elle avait une idée pour convaincre Dylan de rester avec elle sans que nous ayons à lui parler de notre voyage. Elle voulait l'emmener à Disneyland en Californie avec ses enfants. Elle irait le chercher à l'école, il dormirait chez elle et ils partiraient tôt le lendemain. Ils y resteraient deux jours afin de bien profiter du parc et dormiraient à l'hôtel sur le retour.

-Oh Shelly, tu es un génie !

Ça nous laissait quatre jours.

-On fermera le motel le temps nécessaire, c'est cool d'être son propre patron ! S'amusa-t-elle.

-ça ne te dérange vraiment pas ?

-Je devais emmener les miens, depuis le temps qu'ils me le demandent.

J'ai proposé de largement participer aux frais et c'est le cœur plus léger que j'ai annoncé la nouvelle à Dylan en allant le récupérer à l'arrêt de bus. Il sauta de joie pendant au moins dix minutes.

-J'aurais aimé que vous veniez, se refroidit-il subitement.

-Je travaille et papa aussi.

Il baissa la tête, triste soudainement.

-Nous t'y emmènerons aussi cet été si tu le souhaites.

Il haussa les épaules. Je ne comprenais pas sa réaction. Je fis un effort pour ne pas m'agacer.

-Dis-moi ce qui ne va pas.

Il ne répondit pas, se contenta de remonter dans sa chambre sous mes yeux perplexes. J'attendis le retour d'Alex avec fébrilité, j'avais besoin de ses conseils. Je ne l'attendais pas avant le diner mais il rentra étonnamment tôt comme s'il savait que j'avais besoin de lui. Dès qu'il franchit le seuil, je lui sautais dessus avec un flot de paroles incessant et alarmant. Par la suite, il monta voir Dylan. Il revint quinze minutes plus tard, plus détendu.

-C'est réglé.

-C'était quoi le problème ? Lui demandai-je avec soulagement.

-Il s'inquiète de nous laisser seuls, il a peur qu'il nous arrive quelque chose.

-Oh…

-J'ai réussi à le rassurer. Alors qu'est-ce qu'on mange ?

OoooO

Le procès fut pénible au possible. Nous devions témoigner et j'en avais mal au ventre. Nous avions trois jours à supporter cela. Les parents de Zack étaient là.

L'enfer, quoi.

Ils me détestaient autant que cette criminelle de Rebecca et si Alex s'en offusquait moi je comprenais leur rancune. C'était insupportable de revivre tout cela à cause d'elle. Je la haïssais d'une force et cela se perçut dans mon témoignage. Et je n'étais pas la seule à témoigner à charge pour le meurtre de Zack. Bob était là, lui aussi, et sa présence était un véritable soutien. Cette horrible femme avait commis beaucoup d'erreurs et les jurés finirent par conclure à sa culpabilité. Concernant mon agression, les éléments relevés à l'hôpital lors de mon arrivée aux urgences avaient permis de la soumettre à un test ADN qui se révéla aussi concluant. Elle écopa de beaucoup d'années de prison et je quittai les lieux en trombe, entouré de mon ami et de mon mari, désireuse d'en finir avec tout cela.

OoooO

Quatre ans plus tard.

Assise sur la cuvette des toilettes, je restai choquée. Je tenais à la main un test de grossesse.

Positif.

Mon cœur se vrilla puis redémarra à vive allure. Au départ, j'avais pris ma fatigue pour les séquelles de la grippe que j'avais eue. Et puis, j'avais enfin capté que je n'avais pas eu mes règles entre mes deux prises de pilules et j'avais fini par m'affoler secouée par un mauvais pressentiment.

J'étais dévastée. Comment j'allais annoncer cela à Alex ? Qu'est-ce que j'avais foutu, bon sang !

Cela me ramena dix ans en arrière avec la même sensation d'être ensevelie vivante. Je devais réfléchir, réfléchir vite et bien. Si je calculais correctement, j'avais déjà un mois de grossesse peut-être plus mais j'avais encore des options. Je respirais à grande goulées afin de retrouver un rythme cardiaque normal.

-Maman, on va être en retard pour l'école !

-J'arrive Dylan.

Je sortis en trombe, réajustant ma robe fleurie et mon gilet jaune. Dylan passa devant moi, son cartable sur le dos. Il avait neuf ans, déjà. Il était grand, ressemblait de plus en plus à Caleb. Son ombre planait dès que je posais les yeux sur cet enfant comme un rappel des erreurs passées que je ne pourrais jamais réparer.

-Ah quand même, râla-t-il.

Il était habitué à ce que ce soit son père qui l'emmène. Il descendit les marches, je le suivis de près. Son déjeuner en main, je le conduisis à l'arrêt de bus. Je l'observai du coin de l'œil tandis qu'il shootait dans les cailloux, ne sachant trop quoi me dire. Je détaillai ses cheveux drus, son profil net, ses yeux perdus au loin.

Un autre enfant…

Je fermai les yeux. Ne pas paniquer, le contexte n'était pas le même.

-Papa rentre à quelle heure ?

Alex était en déplacement pour le travail. C'était rare et cela impactait peu notre vie familiale.

-Vers vingt heures.

-C'est loin.

-ça va passer vite, tu verras.

Le car scolaire arriva et ouvrit ses portes devant nous. Dylan y grimpa, me fit un vague signe de la main et alla s'asseoir près de son amie Emma. Une gamine enjouée, un peu envahissante mais très gentille. Elle était une des rares à supporter son côté renfermé… qu'il perdait quand son père était là.

Je me hâtai de rentrer, j'avais beaucoup de travail. Le motel tournait bien et mon entente avec Shelly était intacte. Nous étions comme deux sœurs et j'avais besoin de ses conseils…

-Enfin ! S'exclama-t-elle avec enthousiasme en bondissant du siège du bureau.

Devant ma mine déconfite face à sa réaction, elle se temporisa.

-Pourquoi tu pleures ?

-Je ne veux pas d'autres enfants.

-Ne dis pas ça.

-Alex non plus, il sera furieux.

-Tu sais bien que non.

Elle avait raison, il ferait avec mais moi je ne voulais pas faire avec. Je voulais garder ma vie comme elle était.

-Je ne vais pas y arriver.

-Ne dis pas de sottises.

Elle me serra contre elle, heureuse.

-Tu verras, c'est la plus belle chose qui puisse arriver dans un couple.

-Je suis trop vieille pour ça.

Elle éclata de rires.

-Tu n'as que vingt-sept ans.

Je ne voulais pas entendre raison. Le cliquetis de la porte de l'accueil se fit entendre.

-On a du boulot, reprends-toi et parle-en ce soir à Alex.

OoooO

Les jours passaient, je ne disais rien à Alex. Une distance s'était installée entre nous car je refusai toute relation intime et il ne comprenait pas pourquoi. Je me sentais tellement fatiguée, je commençais à avoir des nausées, l'idée même du sexe me stressait. Je fis au mieux pour le cacher, angoissée à l'idée qu'Alex comprenne et se fâche. J'étais stupide, je le savais. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus, et je finis par faire un malaise en descendant l'escalier. Alex heureusement était là ce soir-là. Il s'affola en remarquant mes larmes.

-Tu as mal ?

-Oui.

-Où ça ?

Je fis une tentative pour lui montrer mais la douleur dans mon bras droit m'empêcha de continuer.

-Je vais appeler une ambulance.

Dylan se pencha au-dessus de moi, effrayé.

-Je t'ai déjà dit de faire attention dans les escaliers, maman !

Son regard se remplit de larmes et cela me fit mal.

-Tu as mal ?

Je n'eus pas le temps de lui répondre, Alex raccrochait avec les Urgences.

-Ils seront là dans cinq minutes.

Il caressa mes cheveux, ma joue humide.

-Dylan va mettre ton blouson et tes baskets, lui ordonna Alex.

Il ne se fit pas prier. Alex me couvait des yeux, soucieux.

-Comment tu as fait ton compte, mon oiseau ? Tu as raté une marche ?

-J'ai eu un étourdissement.

Cette réponse accentua le pli au milieu de son front.

-J'ai bien vu que tu n'étais pas en forme ces derniers temps.

Il caressa mes cheveux encore et encore jusqu'à ce qu'on entende l'ambulance arriver au loin.

Une fois sur le brancard, recouverte d'une couverture, je réalisai que je risquais de perdre le bébé.

Et cette idée me remplit d'effroi.

Un des ambulanciers me posa plein de questions sur d'éventuelles allergies, opérations récentes ou mes antécédents familiaux.

-Rien d'autre à signaler ?

-Je suis enceinte.

Alex se figea, croisa mon regard inquiet, cligna des yeux un instant sous le choc.

-Combien de semaines, Madame ?

-Huit semaines environ, peut-être plus.

La stupeur s'accentua sur les traits d'Alex.

-Très bien, nous allons vous examiner dans l'ambulance. Nous y allons.

-Nous vous suivons, décréta Alex en se redressant.

Il était ailleurs, perdu dans je ne sais quel marasme.

-Dylan ! On y va !


La suite quand je pourrai.