Partie 26


Tout allait bien, j'avais juste une entorse de l'épaule droite. J'allais devoir tout gérer du bras gauche. J'avais tout gagné… mais mon soulagement était réel… et inattendu.

Alex n'avait rien dit, pas un mot même quand il avait assisté à l'échographie de vérification. L'émotion avait été là, pour moi en tout cas. Notre bébé (minuscule petit haricot) se reposait bien au chaud dans mon utérus, n'ayant visiblement aucune séquelle suite à ma chute. Je devais néanmoins être vigilante à tout signe durant les prochains jours mais le médecin était confiant.

Il était tard quand je fus autorisée à rentrer à la maison, le bras en écharpe pour au moins deux semaines avec une ordonnance d'antalgique. Je devais voir mon médecin de famille par la suite afin de vérifier si tout était rentré dans l'ordre.

Je terminai de me rhabiller quand Alex entra dans la salle d'examens.

-Où est Dylan ? Le questionnai-je.

-Il est là, derrière la porte, il nous attend.

Le retour se fit dans un silence profond. J'avais mal, mon épaule était gonflée, paradoxalement, je me sentais mieux car je n'avais plus ce poids sur mes épaules. Alex savait pour le bébé. Mais Shelly avait-elle raison ? S'adapterait-il si je voulais le garder ? Et c'était le cas. Il n'y avait plus aucun doute, je voulais cet enfant. Je lui jetai un coup d'œil, il fixait la route, impassible. A l'arrière, Dylan s'était endormi.

-Chéri ?

-Oui.

-Pourquoi tu ne me dis rien ?

-A quel sujet ?

-Tu le sais.

-Il est tard, nous sommes fatigués. Nous verrons ça après.

-Non, parlons-en maintenant, insistai-je.

Il fronça les sourcils.

-Je sais que tu ne voulais pas d'autres enfants.

Il resta silencieux.

-Je n'ai rien prémédité, tu le sais ?

-Je le sais.

Ma main glissa machinalement sur mon abdomen.

-Ne me demande pas de m'en séparer.

Il freina brusquement, se mit sur le bas-côté en warning et éteignit le moteur. Une petite lumière nous éclaira. Mon mari me dévisagea avec colère, ce qui était peu courant. Je compris trop tard que je m'étais mal exprimée. Je me raidis ce qui raviva la douleur de mon épaule.

-Papa on est arrivé ?

Dylan frottait ses yeux, ensommeillé.

-Non, pas encore, rendors-toi, s'adoucit Alex.

Dylan obtempéra, se recala contre son appui-tête. Je pouvais le voir faire à travers ma glace de courtoisie. Alex observa son fils un instant avant de croiser à nouveau mon regard. Quelque chose d'inconnu apparut dans ses yeux noirs qui brillèrent progressivement d'émotion.

-On dirait que tu me connais pas, murmura-t-il.

Et cela le peinait.

-Pourquoi tu dis ça ?

-Depuis combien de temps le sais-tu ?

J'hésitai à lui répondre.

-Combien de temps, Norma ?

-Un mois, soufflai-je, éperdue.

-Et tu ne m'as rien dit.

Le reproche me fit l'effet d'une gifle. Je mis un certain temps à lui répondre.

-J'avais peur.

Son regard se voila.

-De moi ?

-Mais non ! Martelai-je, stupéfaite.

Je m'autorisai à caresser sa joue.

-J'avais peur de ne pas en vouloir… ou au contraire de le vouloir. Je ne savais plus où j'en étais. Je n'étais pas préparée. Je craignais tellement de prendre une décision dans un sens ou dans l'autre et que cela ne nous brise. Nous sommes si heureux après toutes ces années de galère. Je voulais que rien ne change.

-Tu aurais dû m'en parler.

-J'aurais dû, en effet. Je te demande pardon.

Il soupira, cala sa main sur la mienne toujours en faction sur sa joue. Il ferma les yeux un long moment. Puis lentement, un sourire naquit sur ses lèvres :

-Les choses changent mon oiseau. Il faut faire avec. Et dans ce cas précis, je pense que ça va nous apporter plus de bonheur.

-Tu le penses vraiment ?

-Oui.

Il colla son front au mien, mon épaule me lança de plus belle mais je ne voulais pas être ailleurs.

-Vous parlez de quoi ?

La voix de Dylan nous fit sursauter. Alex me jeta un œil interrogateur.

-Autant lui dire, allais-je dans son sens.

Quand nous lui annonçâmes la nouvelle, il haussa les épaules.

-Tant que je garde ma chambre, ça me va.

Nous étions surpris par son manque de réaction.

-Tu n'es pas content d'avoir un frère ou une sœur ? Lui demanda son père.

Son regard bleu se fixa longuement sur moi (ce qui provoqua un léger malaise chez moi) puis sur son père.

-Tu t'occuperas de moi pareil quand le bébé sera là ? Interrogea-t-il son père.

-Bien sûr.

-Tu en es sûr ?

-Evidemment, je vous aimerais de la même manière. Je ne privilégierai personne.

-Tu m'aimes vraiment ? S'étonna Dylan.

-C'est quoi cette question ? Pourquoi je ne t'aimerais pas ? S'inquiéta Alex.

-Parce que je suis pas ton vrai fils.

Le choc fut rude.

Il s'en rappelait. Il savait qu'Alex n'était pas son père biologique. Pourtant, au fil des années, j'ai eu l'impression qu'il ne se rappelait plus de son adoption. Nous n'en parlions jamais, nous étions une famille. Alex tentait de reprendre contenance mais il peinait visiblement. Cette situation était atroce.

-Tu es mon fils.

-Non. Je te ressemble pas.

-Ça n'a pas d'importance !

-Si, ça en a. A l'école, les autres se moquent de moi.

-A quel sujet ?

-Que tu ne peux pas être mon père, que je ne te ressemble pas. Tu m'as pris parce que tu n'avais pas le choix, parce que tu aimes maman. Tu es obligé de t'occuper de moi.

Ce que les enfants pouvaient être cruels… et les adultes aussi car si les enfants répètent certaines choses c'est qu'ils les ont entendues quelque part. Alex désemparé, se tourna vers moi.

-Tu étais au courant ?

-Mais non, voyons.

-Tu portes mon nom, Dylan, tu es mon fils, je t'aime. Personne ne m'a obligé à quoi que ce soit.

Il se troubla devant la déclaration de son père.

-Je m'en fiche, même si tu n'as pas le choix, c'est pas grave. Je veux juste quelqu'un qui s'occupe de moi et qui soit gentil avec moi.

Uppercut.

J'étais pâle et Alex complètement dévasté. Qu'avions-nous fait ? Qu'avions-nous raté ?

Je descendis de la voiture pour en faire le tour et grimper à l'arrière. Dylan m'observa avec dureté quand je pris place à ses côtés.

-Pourquoi tu ne nous a rien dit à propos de l'école ?

-Parce que c'était pas important.

-Tu ne dois pas les écouter, ils ne savent rien.

-Ça c'est sûr ! Ils disent souvent que tu es tellement gentille, que j'ai de la chance que tu sois ma maman. Ils ont tout faux ! La seule chose de bien dans ma vie c'est papa.

Silence. J'étais gelée. Je perçus le regard lourd d'Alex. Il m'en voulait aussi, je le ressentais. Dylan avait compris mon désamour pour lui alors il se raccrochait à l'amour de son père qu'il pensait parfois factice.

Je ne pus empêcher mes larmes de couler. Dylan enchaina à son tour, malheureux.

-Je veux pas de frère, ni de sœur sinon tu vas m'abandonner papa et je ne veux plus être seul.

Nous étions un amas de ruines, piétiné par le chagrin.

-Jamais, je ne t'abandonnerai Dylan.

Alex attrapa la main de son fils.

-Jamais, tu entends ?

Dylan fixa son père puis hocha la tête et sécha ses larmes.

-Allez, on rentre, décréta Alex.

OooooO

Quand Dylan fut dans son lit, bordé par son père, il jeta un œil vers moi. J'étais debout dans l'embrasure de la porte, anxieuse, éreintée, remplie de culpabilité.

-C'est qui mon père ?

Sa question nous prit au dépourvu.

-Alex, répondis-je.

-Non, celui avant papa.

-Dis-lui Norma, me conseilla Alex.

Lui parler de Caleb, non, impossible.

-Parle-lui de John.

Oh… je compris enfin ce qu'Alex sous-entendait. Dylan se concentra sur moi :

-C'est qui John ?

-Ton père biologique.

-Il est où ?

-Il est mort...

Ses lèvres tremblèrent. Encore un coup rude pour lui.

-…en essayant de nous protéger tous les deux.

Je perçus le regard d'Alex sur moi.

Dylan voulait en savoir plus.

-C'est tout ce qu'i savoir. C'était quelqu'un de bien, de gentil. Il nous aimait beaucoup tu sais Dylan.

Dylan s'apaisa enfin, comme soulagé.

-Je lui ressemble ?

Lui mentir encore ? Non…

-Non, tu me ressembles ou plutôt tu ressembles à mon frère.

-Tu as un frère ?

-Oui, Caleb. Il est plus âgé que moi.

-Je l'ai déjà vu ?

-Non, il est parti… en voyage avant ta naissance.

-Tu as une photo ?

-De qui ? John ?

-Oui et de ton frère aussi.

-Oui, je dois avoir ça quelque part.

Encore le regard lourd d'Alex. J'étais gênée, je ne pouvais décemment pas le regarder.

-Je peux les voir ?

-Oui, je vais aller te chercher ça.

Je pris le chemin de la cave, je devais fouiller dans un carton. Alex m'emboita le pas sans un mot. Il souleva le carton que je lui désignai du doigt et entreprit de l'ouvrir. Il y avait un album et des photos en vrac. Il les examina une à une sans rien me demander. Il y avait de tout : Dylan bébé, mes parents, Caleb, ma tante paternelle, ma cousine, mon grand-père maternel, le chien de mes parents, la maison, les copains, les photos de classe, les vacances à la mer (une seule et unique fois)…

Il rangea les photos en une pile et attrapa l'album.

Dylan nous attendait avec impatience. Il se redressa et je m'assis à ses côtés. Je lui montrai l'album en premier. Il n'y avait que Caleb et moi, bébé, enfant, ado. Notre complicité était visible sur la plupart de photos.

-C'est vrai que je lui ressemble, sourit Dylan.

-Oui, beaucoup.

-Tu l'aimes beaucoup, ça se voit.

Nouvel uppercut. Allais-je pouvoir me relever ?

-Je le verrai un jour ?

Jamais.

-Peut-être.

-J'espère.

Il regarda les dernières photos, fronça les sourcils.

-Tu as l'air triste.

Mes boyaux se tordirent. Les réminiscences de ce passé sordide me terrassaient.

-Maman, ça va ?

-J'ai un peu envie de vomir mais ça va passer, quand j'étais enceinte de toi c'était pareil.

Je déposai la pile de photos sur sa table de chevet.

-Nous regarderons le reste demain. Tu dois dormir, et je vais m'allonger un peu.

-Tu as mal ?

-Oui.

-Je vais te préparer une tisane et te ramener une poche de glace, me proposa Alex. Ne tarde pas à aller te coucher.

Il embrassa son fils, le serra fort contre lui puis il nous laissa seuls.

Je bordai Dylan de nouveau, comme je pus. Je le faisais rarement, il s'en étonna mais ne pipa mot. A la place, il se contenta de me sourire. Quand j'eus terminé, je m'assis un instant, essoufflée.

-Merci maman.

Je tressaillis. Dylan m'observait franchement et sans ce reproche permanent au fond des yeux. Je tentai de lui sourire en retour puis je me redressai pour éteindre sa lampe.

-Tu peux rester avec moi encore un peu ?

-D'accord.

Je me rassis sur le bord du lit. Il attrapa ma main. Mon cœur eut un loupé.

-J'espère que j'aurai une sœur, me confia-t-il.

Je ne savais que penser, ni comment réagir quand il me témoignait de l'affection et se confiait à moi.

-Une sœur ?

-Je m'occuperai d'elle, je prendrai soin d'elle comme tonton Caleb avec toi.

Il ferma les yeux, sans se rendre compte qu'il avait déclenché un raz-de-marée émotionnel dans mon cœur.

OooooO

Je grimaçai en enfilant ma chemise de nuit. Me déshabiller fut tout aussi laborieux. J'entendis les pas d'Alex qui progressait dans les escaliers. Assise face à ma coiffeuse (ou plutôt celle de Kate, l'une des nombreuses choses laissées par Shelly), j'entrepris de brosser mes cheveux.

-Laisse, je vais le faire.

Alex déposa la tasse fumante devant moi et plaça la poche de glace sur mon épaule. Le contact glacé fut douloureux au départ puis me soulagea lentement. Il se positionna derrière moi et s'appliqua à la tâche. Il était concentré mais je voyais bien qu'il était préoccupé. Je cherchais son regard à travers la glace, en vain. La tisane était un vrai régal, me réchauffant rapidement.

-Voilà.

-Merci, mon chéri.

-Termine de boire tranquillement, je vais me changer.

Il revint cinq minutes plus tard, avec uniquement un bas de pyjama. Il ouvrit l'armoire pour préparer ses affaires pour le lendemain sous mes yeux fatigués. J'avais tellement de choses encore à lui dire mais j'étais épuisée. Tout le stress retombait et je ne rêvais que du moelleux de mon lit. Je quittai la coiffeuse, pressée de regagner mon lit et je manquai de m'affaler. C'était sans compter les réflexes de mon mari. Il restait toujours en alerte même à la maison.

-Il va falloir te reposer, Norma. Sinon, je ne pourrai pas partir au travail l'esprit tranquille.

Je lui promis de me reposer.

-Demain, tu restes au lit, j'emmènerai Dylan à l'école.

Il remonta la couverture jusque mon menton et embrassa mon front.

-Dors bien.

Il éteignit toutes les lumières et s'allongea de son côté. Je me sentis happée par le sommeil quand il se retourna brusquement vers moi. Collé contre mon dos, il glissa sa main sur mon ventre. Cette sensation m'apaisa et je souris.

Je me sentis heureuse comme jamais.

OoooO

Les semaines passaient, les choses rentraient dans l'ordre. Et mon entorse aussi.

Non, en fait, c'était bien plus flagrant, notre vie s'était améliorée de façon exponentielle. Nous formions tous les trois un bloc plus compact qu'avant, plus soudé. Dylan s'était rapproché de moi sans que je ne comprenne comment, et j'avais accepté cet état de fait. Alex avait fini par ne plus m'en vouloir au sujet de Dylan, conscient que notre famille avait su recréer des liens plus forts qu'avant. Nous avancions sans craintes, tous heureux de l'arrivée de cet enfant. J'entamais mon quatrième mois quand Alex commença à l'annoncer à son entourage. Dylan l'avait déjà crié sur tous les toits à l'école, se moquant bien de certaines réflexions de ses camarades.

-Je serai son grand frère, je vais bien m'occuper d'elle.

-On ne sait pas encore si c'est une fille, lui rappelai-je.

-Je le sais. J'en suis sûr !

A l'aube de ce nouveau trimestre entamé, tout semblait parfait. Je n'avais plus de nausées, j'avais retrouvé la forme. Nous déjeunions tous avec entrain, discutant du prochain retour de Bob. Il voulait ouvrir une annexe de son cabinet d'avocats, ici. Cela, lui permettrait de revenir plus souvent selon lui car il voulait être proche de son futur filleul. Nous avions confiance en lui, nous pouvions sans crainte, lui confier l'avenir de notre enfant si nous venions à disparaitre.

Alex demanda à son fils de monter se préparer pour l'école. Il était de repos aujourd'hui et traina dans mon sillon, heureux de passer du temps seul avec moi. Il prépara des sandwichs, et d'autres petites choses, dans un panier. Il m'avait promis un pique-nique près du lac de son enfance. Et, peut-être, ferions-nous trempette.

J'en profitai pour préparer un déjeuner à emporter pour Dylan, tout en chantonnant. J'emballai soigneusement les en-cas quand Alex apparut non loin de moi, m'enlaça, embrassant mon cou, caressant mon ventre.

-Je t'aime tellement.

Un frisson me parcourut, enflamma mes ardeurs, je vis volte-face, avide de sa bouche, de sa chaleur, de sa force. Un raclement de gorge nous ramena à la réalité. Dylan, gêné, montra son cartable du genre « je suis prêt ! ». Alex me quitta avec regret.

-Je reviens vite.

Il attrapa le repas de Dylan et ils se volatilisèrent. Je leur fis coucou jusqu'à ce qu'ils disparaissent pour rejoindre l'arrêt de bus.

Dans la salle de bain, après ma douche, face au miroir, je me mis de profil, mon ventre sortait enfin. Ce bonheur était sans limite. J'entendis le téléphone de la maison sonner au loin, me tirant de mes rêveries. Je revêtis mon peignoir de bain et je répondis.

-C'est moi, mon amour.

-Pourquoi m'appelles-tu ?

-J'ai essayé de te joindre sur le portable.

-J'étais sous la douche, je n'ai rien entendu, où es-tu ?

-Je dois faire un saut au travail.

-Nonnnn….

-Je n'en ai pas pour longtemps, promis. Je serai là à midi et nous irons pique-niquer.

Je soupirai, contrariée.

-Tu es vraiment obligé ?

-Oui, des éléments sur une affaire en cours viennent de tomber.

-O.K.

-Ne m'en veux pas, je me rattraperai.

-Oui, oui, nous verrons. Tu ne rentres pas te changer ?

-Non, j'ai ce qu'il faut au travail. A tout à l'heure. Je t'aime.

Il raccrocha.

Dépitée, je retournai dans ma chambre quand la sonnette de l'entrée retentit avec insistance. C'était peut-être Shelly. Je pris mon portable en passant, effectivement, elle avait tenté de m'appeler deux fois.

Décidément.

Je souriais déjà en m'excusant quand j'ouvris la porte. Sourire qui se fana en découvrant Keith sur le seuil de ma porte.


La suite quand je pourrai.