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Partie 27


ALEX

Difficile pour moi de ne pas ruminer en me rendant au travail. J'avais préparé cette journée depuis une semaine, réservant à Norma nombre de surprises. Cette journée en amoureux nous était nécessaire, nous avions besoin de nous retrouver. Quand John (mon binôme) m'avait appelé pour me prévenir que j'avais reçu une lettre d'un avocat, j'avais dû modifier mes plans. A l'évocation du nom dudit avocat, mon cœur s'était vrillé, pas moyen d'attendre. Je devais vérifier si mes craintes étaient fondées.

Je roulais un peu trop vite, stressé. Je me sentais coupable d'avoir laissé Norma en plan.

En déboulant au poste, en civil, certains collègues se marrèrent en me voyant vêtu d'un bermuda et d'espadrilles. Je n'avais pas pris la peine de me changer. J'espérais ne pas faire long feu ici. Il y avait une enveloppe à mon nom posée sur mon bureau. Je l'ouvris sans cérémonie. Je parcourus les quelques feuillets avec attention. Mon père m'avait écrit sous couvert de son avocat. Il s'était arrangé pour que la demande de libération anticipée de Caleb Calhoun soit rejetée.

Je ressentis un mélange de soulagement et d'agacement.

« Tu m'en dois une maintenant ! »

Ces mots me tuaient. Je ne lui avais rien demandé !

« Il veut récupérer sa sœur et son fils, il sait où ils se trouvent. C'est lui qui a fait parvenir un portable à ta femme pour qu'elle l'appelle. Comment ? Par un de ses rares potes qui a fouiné pendant des mois avant de les retrouver. Dans le genre tordu, on n'a rien trouvé de mieux, je n'arrive toujours pas à croire que tu aies pu épouser une femme avec autant de casseroles. Elle ne t'apportera que des problèmes. Enfin, tu fais bien ce que tu veux, tu n'as jamais été très pragmatique comme ta mère. »

J'eus envie de déchirer ce courrier. Comment osait-il encore évoquer ma mère et, par-dessus tout, comment osait-il encore la critiquer ? S'il était en face de moi…

Je devais me ressaisir, mon père savait tout de Norma, en tout cas concernant son passé. Cette constatation me minait depuis toujours. Concernant Caleb, je ne savais comment réagir, alors je préférais ne pas y penser. Ce passé était révolu, hors contexte, Norma m'aimait et Dylan était mon fils. Rien ne changerait cela. Ce frère abusif méritait ce qui lui arrivait, il ne savait pas se taire, se montrait colérique, cela lui avait causé beaucoup d'ennuis en prison et mon père s'en était servi contre lui en le provoquant sciemment. Il était en isolement pour un bout de temps. Ce n'était pas moi qui le plaindrais.

« Passe me voir, mon avocat te donnera la date et l'heure. »

Putain !

Je m'assis un instant, complètement en vrac. Mon portable sonna mais je n'étais pas en état de répondre. Je pris encore le temps de respirer profondément, de réfléchir.

-Mauvaises nouvelles, s'enquit John en passant.

-Pas très bonnes, en effet, je te remercie de m'avoir appelé.

-De rien, j'espère que ça s'arrangera.

Je hochai la tête peu convaincu. John s'éloigna, hélé par l'agent d'accueil.

Je devais trouver un moyen de ne pas me laisser piéger. Je devais réagir. Je pliai les feuilles et les glissai dans la poche de mon bermuda. L'enveloppe termina dans la poubelle. Je me rendis dans le bureau de mon chef pour lui demander son avis sans trop lui en dire mais son bureau était vide, il était sur le terrain. Mon portable sonna de nouveau en franchissant le seuil du poste pour retourner à ma voiture.

C'était Shelly. Elle m'appelait rarement.

-Oui ?

-C'est Norma, viens vite ! Pleurait-elle à travers le téléphone.

Mon cœur tomba au sol.

-Nous sommes en direction de l'hôpital, dépêche-toi !

-Qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle avait déjà raccroché. Je me rendis enfin compte que Norma avait tenté de me joindre.

Difficile de me concentrer sur la route, difficile de ne pas imaginer le pire. Qu'avait-il pu se passer en un laps de temps si court ?

Je ne pus m'empêcher de penser au bébé.

Faites qu'il n'ait rien. Norma serait anéantie.

Et moi aussi…

Qui aurait pu croire que j'aurais voulu être le père d'un autre enfant ? Un enfant qui aurait mes gènes. Pourtant c'était le cas. J'avais mis du temps à l'accepter, à reconnaitre que je pouvais donner la vie à un autre être humain qui ne serait pas forcément comme mon père ou comme moi.

J'avais retrouvé espoir en l'humanité grâce à ma famille.

Une fois sur place, je fis le tour des différents accueils pour la trouver. Elle était en soins intensifs. J'aperçus Shelly assise sur un siège dans une salle d'attente sommaire. Elle était pâle à faire peur, il y avait du sang sur ses mains, sur son chemisier.

Garder mon calme.

Je me dirigeai vers elle en trombe, elle se releva en me voyant. Je l'agrippai aux épaules sans ménagement :

-Dis-moi ce qui se passe !

Elle ferma les yeux. Je la secouai avec virulence. Elle me répondit :

-Elle a été agressée chez vous, elle a essayé de t'appeler mais comme tu ne répondais pas elle m'a appelée, je l'ai trouvée sur sol de la cuisine.

Je palis.

-Agressée ? Ça n'a pas de sens !

Je tournai en rond :

-Par qui ?

-J'en sais rien !

-Tu n'as rien vu en arrivant ?

-Non !

Je nageai en plein cauchemar :

-Qu'est-ce qu'on lui a fait ? Pourquoi tout ce sang ? Elle est blessée … ou c'est le bébé ?

Je m'étais figé, conscient d'un malheur imminent.

-Elle… je crois qu'elle fait une fausse couche.

Un gout de bile imprégna ma bouche tandis que Shelly se détourna.

-Elle a été battue et violée.

Shelly vacilla, je la rattrapai in extremis, m'obligeant à me contrôler face à cette effroyable révélation. Je la fis s'asseoir, je m'assis à ses côtés, sous le choc. Elle posa la tête sur mon épaule, son contact m'empêcha de péter les plombs.

-Pourquoi… ? Murmura-t-elle.

Elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Je l'entendis vaguement, plongé au cœur de l'enfer. J'aurais dû être là, j'aurais dû empêcher ça !

« Tiens bon Norma. Dylan a besoin de toi, j'ai besoin de toi. »

Une heure passa avant de voir arriver un chirurgien. Il ôta son masque, se présenta et me demanda si j'étais son époux. Après confirmation, et mon autorisation pour que Shelly reste, il m'annonça qu'il avait pu stopper l'hémorragie.

-Votre femme restera en soins intensifs mais son pronostic vital n'est plus engagé.

Soulagement.

-Et le bébé ?

Il secoua la tête par la négative. Je m'assis pour encaisser la nouvelle.

-Nous avons pu sauver son utérus, elle pourra avoir d'autres enfants, tenta-t-il de me rassurer.

C'était le cadet de mes soucis.

-Tant mieux, intervint Shelly.

-Je peux la voir ?

-Malheureusement non. Il faudra attendre encore.

-Merci Docteur Moore, balbutiai-je.

Il retourna à l'intérieur, nous laissant en plein marasme.

OoooO

Les collègues étaient prévenus, une enquête a été ouverte en urgence. Je ne pouvais pas enquêter, forcément. Cela ne m'empêcha pas de trouver un moyen d'obtenir des informations.

Quelque chose déjà les avait interpellés : il n'y avait pas eu d'effraction, Norma avait ouvert à son agresseur, donc elle le connaissait. Du moins, c'était ce qu'ils en concluaient mais rien n'était moins sûr. Après avoir interrogé le chirurgien (et renoncé à obtenir un échantillon de sperme étant donné l'ampleur de l'hémorragie), ils en avaient déduit que cette personne en voulait personnellement à Norma, un tel acharnement ne pouvait qu'être personnel.

Personnel ? Cette assertion avait fait le tour maintes et maintes fois dans mon cerveau jusqu'à ce qu'une idée inconcevable germe dedans. Et quand j'avais enfin eu accès aux détails des blessures de Norma, il n'y avait plus eu aucun doute…

Et j'étais devenu fou.

OoooO

Shelly avait proposé de récupérer Dylan et de s'occuper de lui cette nuit. Je l'avais remerciée, l'œil hagard, conscient d'une chose : la douleur de Shelly n'avait pas encore atteint son paroxysme. Cependant, je renonçai à la questionner, refusant la possibilité qu'elle ait pu me mentir. A l'évidence, elle ignorait qui était responsable de cette ignominie.

Mais moi je le savais.

Nous étions en fin d'après-midi quand je fus autorisé à voir Norma. Une fois devant la porte de sa chambre, j'eus une hésitation. La main posée sur la poignée, mon corps tout entier se mit à trembler. J'étais toujours maitre de moi-même en toute circonstance sauf quand cela concernait ma famille.

En réalité, j'avais peur. Peur de ce que j'allais voir. J'avais déjà vécu ça il y a quelques années quand Rebecca lui avait fait du mal mais c'était comme si c'était la veille. Je pris mon courage à deux mains. Elle ouvrit les yeux dès que je fus dans la pièce. Des yeux éteints au centre d'un visage martyrisé. Mes yeux furent remplis de larmes instantanément. Je m'étais immobilisé, figé dans l'horreur. Elle essaya de se retourner, ne voulant peut-être plus me voir. Elle gémit, mais y parvint. Je fis alors le tour, elle avait les yeux clos. Je pris une chaise et me positionna en face d'elle. J'avais chassé mes larmes, je la dévisageais avec angoisse, détaillant son arcade recousu, son œil violacé, les bleus épars.

-Mon oiseau…

Que dire d'autre ?

Elle ne réagit pas, elle était éreintée, il fallait qu'elle se repose. J'effleurai son épaule, elle eut un violent mouvement de recul qui lui tira un autre gémissement. Je ne savais pas quoi faire.

-Norma ? Norma ? Parle-moi.

Elle ouvrit enfin les yeux. Ils brillaient de colère et de douleur.

-Tu n'étais pas là.

C'était dit, clairement, sans aucun doute possible. Elle me reprochait mon absence. Je baissai les yeux, incapable de supporter son regard accusateur.

-J'ai perdu ma fille.

Sa voix s'était brisée.

Une fille…

Sa fille. Elle ne m'incluait pas dans ce malheur. Je gardais les yeux baissés. Je luttais entre culpabilité et rage. Une rage sourde qui me rongeait depuis que j'avais compris que Keith était l'auteur de la destruction de notre vie. Je n'avais aucune preuve mais mon instinct me trompait rarement. J'avais déjà loupé le coche avec Rebecca, pas question que Keith s'en sorte. Mon ex et mon ami, deux proches, j'avais eu de l'affection pour eux et ils avaient volontairement blessé ma femme. De la pire façon qu'il soit et à chaque fois pour m'atteindre moi. J'avais promis à Norma qu'elle serait en sécurité auprès de moi, et voilà que ça recommençait. Cette fois serait la dernière, j'allais m'en assurer.

-Alex ?

Le ton de la voix de Norma avait changé, je percevais de l'inquiétude.

-Regarde-moi.

Non. Je n'en avais pas la force.

-Rentre t'occuper de ton fils.

Silence.

-Alex ?

Je devais le retrouver, ce ne serait pas compliqué, j'avais des contacts et même s'il était en fuite, je le trouverai coûte que coûte et je lui ferai la peau.

J'avais des flashs horribles dans ma tête, je le voyais la frapper, baisser son pantalon et…

Je pris ma tête entre mes mains, à l'agonie. J'allais le tuer et c'était une certitude.

-Alex !

Je me levai pour m'éloigner, j'étais en transe, dans un état second. Je me postai vers la fenêtre, je ne voyais pas mon reflet, je ne voyais que Keith. Des bips résonnèrent dans la chambre, Norma avait voulu se lever. Une aide-soignante entra et l'obligea à se rallonger.

-Vous ne devez pas vous lever, si vous voulez faire pipi, prévenez-nous avec la sonnette, la sermonna l'aide-soignante.

-Alex ! Continua Norma.

L'aide-soignante arriva vers moi :

-Monsieur, il faut être vigilant, elle ne doit pas se lever.

Je lui jetai un bref coup d'œil, elle eut un mouvement de recul puis quitta la pièce à la hâte car les bips persistaient.

-Alex !

Je l'entendis enfin, au travers du brouillard, elle était paniquée malgré les effets calmants des médicaments.

-Qui t'a fait ça ? La questionnai-je, toujours fixé sur l'extérieur du bâtiment.

Elle ne répondit pas immédiatement.

-Je ne l'ai pas vu, il avait une cagoule.

Je dus me résoudre à lui faire face.

-Pourquoi tu me mens ?

-Je ne te mens pas !

Quel aplomb !

Je fis quelques pas vers elle, furieux. Nous nous toisâmes un instant : un mélange de rancune, de peur, de colère, de déception dans nos yeux. Le médecin de garde entra au même moment. Il me pria de sortir. Je ne me fis pas prier.

-Alex, reviens ! Alex ! Alex !

Mais j'étais loin, immergé dans la préparation de ma vengeance.


La suite quand je pourrai.