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Partie 29


ALEX

En quittant Norma, j'étais dans un tel état de rage que je n'arrivais plus à réfléchir. En arrivant devant le manoir, je fus surpris d'être ici, je ne me rappelais même pas le trajet en voiture. Je me rendis compte qu'en effet, la première chose à faire était de fouiller la maison. Je savais que mes collègues avaient fait du bon boulot ce matin mais je devais revérifier, peut-être que quelque chose m'interpellerait. En entrant dans la cuisine, je me sentis nauséeux. Des images empoisonnaient mon cerveau, je les refoulai pour ne pas sombrer dans la folie. Je ne pouvais laisser mes sentiments me rendre vulnérable encore une fois. Je ne pouvais plus tolérer cette douleur, du moins pas tant que je n'aurais pas réglé son compte à Keith. Après avoir fouillé le manoir de fond en comble à la recherche d'indices, je dus me résoudre à accepter qu'il n'y eût rien de pertinent ici.

-Tant pis, je vais te débusquer autrement.

Je pris le temps de repasser au bureau sous le regard étonné de certains collègues :

-Tu devrais pas être à l'hosto ? Entendis-je.

Je ne pris pas la peine de répondre. Je parcourus le rapport concernant l'agression de ma femme sous leur l'œil réprobateur. Je fis ensuite quelques recherches en interne sur Keith avant de partir à sa recherche, parcourant des kilomètres pour aller aux deux seuls endroits où il aurait pu se cacher.

Sans succès.

Comme j'avais trouvé son adresse actuelle, je m'y rendis pour l'attendre. J'attendis dans ce logement miteux , assis sur une chaise, que cet enfoiré débarque. Vers 20h, Dylan me passa un coup de fil. J'avais demandé à Shelly de gérer Dylan, de le garder chez elle quelques jours mais il ne l'entendait pas de cette oreille.

-Oui Dylan, soupirai-je.

-Tu es où ?

-Je travaille.

-Pourquoi je ne peux pas rentrer à la maison ?

-Maman est à l'hôpital tu le sais.

-Non, je sais rien ! S'emporta-t-il. Il s'est passé quoi ?

Devais-je être honnête ? il n'avait que 9 ans pas loin de 10.

-Quelqu'un s'en est pris à maman.

Il y eut un blanc.

-Qui ? Quand ? Pourquoi ? S'affola-t-il.

-Je n'en sais rien, mais je vais trouver qui a fait ça.

-Elle va mourir ?

Sa voix trembla.

-Non, elle est hors de danger.

-Je peux aller la voir ?

-Je ne suis pas sûr…

-S'il te plait papa !

-D'accord, cédai-je, je t'emmènerai demain matin après l'école.

-Je ne veux pas aller à l'école.

-Tu iras Dylan, ta mère ne veut pas que tu rates l'école et moi non plus.

Il rumina dans sa barbe, je ne m'en formalisai pas.

-Viens me chercher maintenant et je t'aiderai à trouver celui qui a fait ça.

Ce ton dur et déterminé me surprit puis me laissa perplexe.

-Non Dylan, c'est dangereux, je veux que tu sois en sécurité.

-Je veux être avec toi, ne me laisse pas ici.

-Je t'ai dit non.

-Vous m'abandonnez encore.

Sa voix trembla de larmes retenues, je n'étais plus dans une colère aveugle, j'étais redevenu un père. Un père très inquiet.

-J'arrive, dis-je simplement. Je serai là dans une heure.

Je quittai à regret la seule piste qu'il me restait, conscient du sacrifice que je faisais pour mon fils. Il méritait d'être entouré par sa famille et c'était moi sa famille. Le trajet me parut durer des heures, j'étais de nouveau rongé par la culpabilité.

Dylan attendait sur le perron quand la maison de Shelly se profila au loin. Il me serra fort dans ses bras, à peine sorti de la voiture.

-On rentre ?

-Non, il est tard et je suis fatigué, on va rester dormir ici, je préfère.

Il hocha la tête, déçu et rentra à ma suite, il me colla au train jusqu'à ce qu'on soit couché. Shelly et son mari furent compréhensifs et ne me posèrent aucune question.

Il s'endormit rapidement, rassuré par ma présence. Je le regardais dormir, l'esprit occupé à deviner où cette pourriture pouvait être. Quand enfin le sommeil s'abattit sur moi, ce fut pour me plonger dans des cauchemars pires que la réalité. Au réveil, je me rappelais des corps sans vie de Norma, Dylan et notre bébé. Je me rappelais une mare de sang. Je me rappelais le manoir…

Et le motel s'imposa à moi de façon claire et distincte.

En emmenant Dylan à l'école ce matin, je me rendis dans le bureau de la directrice pour la prévenir que Dylan ne sera pas présent cet après-midi. Je fus laconique dans mes explications mais cela sembla suffire.

-Avec tous les progrès de sociabilisation que Dylan avait fait, je crains que tout cela soit de nouveau réduit à néant avec le malheur qui vous frappe.

Je savais qu'elle avait raison.

-Je serai présent pour lui, je l'aiderai à surmonter cela.

Elle hocha la tête, impassible. Hochement de tête que je lui rendis avant de quitter la pièce.

Je fis ensuite un saut au poste. Les collègues étaient au taquet, se démenant pour moi, je fis semblant de les laisser faire, de lâcher prise et de suivre la procédure tout en les remerciant. Mon chef me convoqua dans son bureau et me demanda de prendre quelques jours de congés. Je le pris comme une punition.

-Tu as besoin de temps pour t'occuper de ta famille.

Il soupira, très las.

-Ils auront besoin de toi.

Je ne répondis pas.

-On a peut-être une piste.

Mon cœur eut un loupé. Je voulais gérer seul le cas de Keith.

-Laquelle ?

-Tu en sauras plus en temps voulu.

Il me congédia sans cérémonie. Contrarié, je m'éclipsai du poste sans un mot. Je me rendis au motel, fermé pour quelques jours, j'avais récupéré les clés de la salle d'accueil du motel à la maison (Norma avait un double). Je jetai un œil circulaire autour de moi mais il n'y avait personne. Une fois devant la boîte de rangement des clés, j'eus un instant de doute. En regardant ma montre, je m'aperçus qu'il était bientôt l'heure d'aller chercher Dylan.

Il fut soulagé en me voyant arriver. Il grimpa dans ma voiture sous l'œil vigilant d'un surveillant de l'école. J'observais son profil, anxieux.

-Ça va ?

Il ne répondit pas.

-Dis-moi ce qui ne va pas.

Silence radio. Cela ne présageait rien de bon. Les enfants pouvaient se montrer cruels entre eux et je craignais une énième attaque contre lui. Il était la cible de certains camarades qui, malgré mon intervention, ne semblaient pas vouloir le laisser tranquille.

-Allons manger.

-J'ai pas faim, marmonna-t-il.

-Allons manger, réitérai-je d'un ton qui me parut trop dur.

Il ne répliqua pas cette fois.

Assis l'un en face de l'autre au MCdo, je fus soulagé de le voir engloutir son menu préféré.

-Je vais t'apprendre à te défendre.

Dylan stoppa net son burger pour me dévisager.

-En vrai ?

-Oui. Et à maman aussi.

Il me sourit, un vrai sourire qui me réchauffa le cœur. Il paraissait soulagé. Plus personne ne leur fera de mal, ni à lui, ni à Norma. Je ne pouvais pas toujours être là alors ils devaient être en capacité de se défendre.

-Dépêche-toi de finir, on va voir maman.

Dans l'ascenseur, ma tension monta d'un cran, j'avais de l'appréhension vu la manière dont nous nous étions quittés la veille. Je prévins mon fils que sa mère était un peu marquée physiquement mais que cela guérirait vite. Dylan attrapa ma main, stressé lui aussi. Nous croisâmes le médecin de garde qui m'apporta des éclaircissements sur l'état de santé de ma femme. Le scanner ne révélait rien au niveau cérébral et son bilan sanguin était bon, elle avait besoin de repos. Ils la garderaient encore cette nuit en surveillance mais elle pourrait rentrer le lendemain. Il me conseilla une aide psychologique pour toute la famille et un éloignement de la maison de quelques jours si c'était possible. Je le remerciai pour tous ces renseignements et Dylan et moi, nous nous dirigeâmes vers le couloir du service obstétrique.

La porte de sa chambre était entrouverte. Elle était allongée, dos à nous. Nous avançâmes prudemment, la contournant pour lui faire face.

Elle dormait.

Dylan eut un sursaut en découvrant son visage violacé. Il caressa sa joue doucement, plusieurs fois d'affilé. Elle ouvrit enfin les yeux.

-Ne pleure pas Dylan, murmura-t-elle.

Il sécha vite ses larmes, ses épaules se voûtèrent.

-Viens me faire un câlin.

Il n'eut aucune hésitation à s'engouffrer dans les bras ouverts de sa mère. Elle caressa ses cheveux et jeta enfin un regard dans ma direction. Cette confrontation me replongea en plein abîme. J'étais face à l'immense perte du bonheur qui nous avait été enlevé. Ses yeux brillants laissèrent échapper des larmes en tendant la main vers moi. Je m'agenouillai près de Dylan, collant mon front contre celui de Norma. Elle nous entourait de ses bras, malgré la perfusion, laissant libre court à son chagrin. J'eus un douloureux soupir qui remplit toute la pièce, j'avais du mal à respirer. Norma tenta de me calmer en caressant mes cheveux, en effleurant mon front de ses lèvres. C'était un réconfort que je ne méritais pas. Je leur demandai de me pardonner avant de quitter la pièce brusquement.

Je marchais de long en large dans le long couloir, oppressé. Dylan me rattrapa, me força à lui faire face.

-Maman veut que tu reviennes.

-Je peux pas.

-Viens s'il te plait.

-Je peux pas.

Il exprima beaucoup de colère.

-Tant pis, je m'occuperai moi-même de maman et de ma sœur.

Il se détourna pour repartir quand je le pris par le bras pour le retenir, mortifié.

-Je dois te dire quelque chose.

Son regard se fit de nouveau inquiet.

-Quoi ?

-Allons-nous asseoir quelque part.

Il se laissa conduire sans contester et attendit que je trouve mes mots pour lui parler une fois installés en salle d'attente.

-Ta petite sœur est partie rejoindre les anges, elle n'a pas survécu.

J'aurais préféré m'immoler vivant que d'assister à l'ampleur de la désolation qui se répandit dans ses yeux.

-Non…

Je posai ma main sur sa nuque et l'attirai contre moi, anéanti.

De retour dans la chambre, Norma s'était redressée, elle nous attendait. Dylan courut vers elle en pleurant.

-Je veux ma sœur, sanglota-t-il.

Elle parut réaliser quelque chose et l'aida à grimper sur le lit, elle le consola comme elle put jusqu'à ce qu'il se calme et s'endorme dans ses bras. Assis sur le fauteuil adjacent, je veillais sur eux, le cœur à nouveau remplit de rage.

En fin d'après-midi, nous nous rendîmes au travail de Shelly pour récupérer les clefs de la maison. Elle terminait dans une heure et son mari travaillait tard aujourd'hui.

-Comment va Norma ? Je n'arrive pas à la joindre. Elle ne répond pas à son portable, me demanda-t-elle entre deux commandes.

Curieux en effet, je n'avais pas vu l'ombre d'un téléphone près d'elle.

-Elle est fatiguée, elle dort beaucoup avec les médicaments qu'ils lui donnent. Elle sort demain de toute façon.

-Vous voulez rester à la maison encore quelques jours ?

-Non, nous allons prendre quelques jours de congés et partir un peu.

-Bonne idée.

Je lui fis un signe de la main en quittant le café et je rejoignis Dylan dans la voiture. Une fois chez Shelly, il rentra dans la maison sans rien dire et je le suivis, le cœur lourd. Je préparai le diner tandis qu'il prenait sa douche et quand Shelly arriva enfin avec les petits, je le pris à part pour le prévenir que j'avais une course à faire et que je revenais dans la soirée.

OoooO

Je sortis de la huitième chambre, agacé. S'il était bien ici, il avait dû se rendre compte que j'étais là. Je n'étais pas discret. Je devais me maitriser, reprendre le contrôle. Je serrai mon glock d'une main encore plus ferme. Il restait encore quatre chambres. Je repris mon inspection avec minutie et finalement une fois derrière la porte de la dernière chambre, j'eus un instant d'arrêt. Et s'il n'était pas là ? Si j'avais tout faux ? Et si mon instinct m'avait encore trahi ?

Il y eut un bruit de détonation, une horrible douleur au niveau de mon abdomen. Stupéfait, je vacillai tout en pointant mon arme vers la porte. Le coup partit sans précision car une autre balle m'avait atteint de nouveau. Je m'effondrai de tout mon long, la vue brouillée, proche de l'inconscience quand quelqu'un se pencha au-dessus de moi.

-J'espère que tu vas crever dans d'atroces souffrances, entendis-je.

Je reconnus la voix de Keith :

- Un lâche reste un lâche, crachai avec dégoût.

-Ferme-la !

Il me frappa avec son arme en pleine tempe et ce fut le néant.