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Partie 30


J'étais en pleine sidération.

Plongée dans un enfer permanent.

J'avais passé une nuit blanche à attendre de savoir si j'allais devenir veuve à 27 ans. Finalement, l'opération s'était bien passée, Alex était stabilisé mais son pronostic vital restait engagé. Il était plongé dans un coma artificiel et les prochains jours seraient déterminants.

J'allais devoir appeler un taxi pour me ramener chez moi. Shelly m'avait proposé de dormir chez elle mais j'avais refusé. Elle me faisait penser à Keith dès que je la voyais. Et de toute façon, je voulais être seule, je voulais ne plus rien ressentir. Dylan allait rester avec elle encore quelques jours. Il l'avait très mal pris mais je n'y pouvais rien. Tout cela me dépassait.

Face au miroir dans la salle d'eau de cette horrible chambre d'hôpital, j'étais méconnaissable. Un vrai zombie, le visage marqué, violacé. Je me sentais faible et mal en point, les saignements suite à ma fausse-couche perdurerait un moment.

J'étais au 36ème dessous.

Je voulais mon bébé, je voulais ma fille.

Comment remonter ? Comment vivre à nouveau ? J'avais l'impression d'avoir tout perdue, d'être enterrée vivante.

Je suffoquais.

Le médecin était pour que je reste encore en surveillance suite aux derniers évènements avec Alex mais je ne voulais plus être ici. Quand j'eus fini de m'habiller, j'étais épuisée. Cela m'avait coûté toutes mes forces. Le médecin avait peut-être raison : je n'étais pas encore en état de rentrer, cependant j'étais têtue et j'étais décidée à quitter les lieux.

Une fois tous mes papiers de sortie en main, je me hâtais de rejoindre l'accueil du rez-de -chaussée pour leur demander de contacter un taxi. Je patientai sur un siège bien inconfortable, nauséeuse et migraineuse, maudissant la vie, maudissant Keith Summers.

-Tu vas payer pour tout ce que tu m'as pris.

Je n'étais plus dans la peur, dans l'humiliation, dans le dégoût de moi-même, dans le chagrin. C'était fini tout ça. Fini.

Maintenant j'étais prête.

Je serrai mon sac-à-main contre moi, Shelly me l'avait ramené hier soir avec un bonus à l'intérieur.

Une arme.

-Pour ta protection, m'avait-elle dit.

Je n'avais pas cherché à savoir où elle se l'était procurée. J'avais juste hoché la tête et nous nous étions comprise.

Dans le taxi, je fis en sorte d''ignorer l'attention persistante du chauffeur sur moi. Je fis un arrêt à la pharmacie, toujours sujette aux regards horrifiés des gens que je croisais. Une fois devant le manoir, j'hésitais. Il y avait des policiers devant le motel. Le chauffeur les observa avec un froncement de sourcils.

-Ah oui ! c'est ici que le flic a pris une balle.

Je sursautai devant son manque de compassion et son intérêt morbide.

-Ce flic est mon mari, j'habite ici.

Il se figea, se tourne vers moi, contrit, puis sembla comprendre quelque chose.

-C'est vous la survivante du manoir ? Réalisa-t-il avec étonnement, je comprends mieux…

Il fit un geste circulaire autour de son visage avec le doigt.

-Je suis désolé pour votre bébé.

Mon poil se hérissa. Je sortis de la voiture en trombe :

-Gardez votre pitié !

Je m'en allais d'un pas claudiquant et mal assuré quand il me héla :

-Vous n'avez pas réglé ma course !

Aïe ! mince ! bordel !

Je fis demi-tour, fouillant dans mon sac. Apres lui avoir réglé, je repris mon chemin.

-Vous voulez un coup de main madame ?

-Non ! criai-je en avançant au ralenti.

Plutôt crever !

Malgré tout, un bras vint me soutenir, j'allais crier au scandale quand je reconnus un des collègues d'Alex.

-Permettez-moi de vous aider, Norma.

-Merci John.

Je l'aimais bien John.

-Vous êtes sûre de vouloir rester ici toute seule ?

-Oui.

-De toute façon, nous allons monter la garde quelques jours devant chez vous, en nous alternant.

-Ne perdez pas votre temps, m'opposai-je.

En fait, j'étais soulagée.

-C'est pour Alex que nous le faisons, et c'est notre boulot.

-Du nouveau sur l'agression de mon mari ?

-C'est en cours.

Il n'en dit pas plus et me quitta sur le perron.

En entrant dans la maison, je fus happée par les souvenirs : Keith à la porte, Keith dans le couloir, Keith dans la cuisine. Je m'y rendis en premier et décortiquai la pièce de mon œil de lynx. Il y avait des sacs de courses sur la table hormis cela, tout était à sa place.

Comme si rien ne s'était passé.

Qui avait rangé ? Shelly ? Sûrement. Alex était trop obnubilé par Keith pour penser à autre chose. Comment avait-il su où le trouver ? comment avait-il compris qu'il serait assez bête pour se planquer ici ? son instinct quoi d'autre. Et c'est comme ça qu'il l'avait retrouvé et il allait peut-être en mourir.

Je posai le sac de médicament sur la table, l'âme en peine.

Alex.

Je lui en voulais tellement.

Il allait encore m'abandonner, je le sentais mais cette fois ce serait définitif et cette idée était insupportable. Je pris une chaise et m'assis quelques minutes pour me reprendre mais je ne parvenais pas à me calmer et je finis par revivre mon calvaire. J'avais vécu l'enfer ici. Cette ordure avait souillé mon foyer de la pire manière mais je ne lui donnerai pas satisfaction. C'était ma maison, personne ne me forcerait à partir. Hors de question de fuir encore. Il avait abimé mon âme, mon corps, mon fils, mon mari, j'allais lui rendre coup pour coup.

Je ne serai plus jamais la victime de quelqu'un.

Je rangeai les courses et je finis par monter m'allonger un peu, je n'avais pas faim et j'étais éreintée. Une infirmière allait passer tous les jours pendant une semaine. Je devais reconnaitre que toutes ces précautions me rassuraient et me contrariaient en même temps.

OoooO

En ouvrant les yeux, il faisait déjà sombre. Je fis un saut aux wc, jetant un œil au passage par la fenêtre. Effectivement, il y avait une voiture de patrouille devant chez moi. Elle était visible de loin et pourrait peut-être dissuader Keith de passer ces prochains jours. Cela me laisserait le temps de me remettre et de l'accueillir comme il se doit car je ne doutais pas de sa stupidité ou de son côté présomptueux. C'était pareil, en fait. Il allait revenir contempler son œuvre et m'achever. Il n'avait plus rien à perdre. Et moi non plus.

Il n'y aura pas de Police, juste lui et moi…et mon arme.

OoooO

Dix jours passèrent, Alex ne s'était toujours pas réveillé. Bob m'avait appelée, me demandant si j'avais besoin de quoi que ce soit. Bien sûr, je répondis non tout en le remerciant pour sa sollicitude.

-Je te ferai encore livrer quelques courses.

-C'était toi ? M'étonnai-je.

Il ne prit pas la peine de répondre et me promit de passer dès son retour de séminaire.

Shelly avait rouvert le motel et passait me voir tous les soirs après la fermeture. Étonnamment, le motel tournait à plein régime.

-Les gens ont un côté voyeur, soupira Shelly.

-Tu as raison, c'est vraiment effrayant.

Je frissonnai : de dégout ? de froid ? de peur ? Non je n'avais plus peur. C'était un sentiment qui avait disparu de ma vie et c'était quelque peu inquiétant. Même quand je pensais à Alex, je ne ressentais qu'un grand vide.

-Dylan veut rentrer.

Je sursautai, revenant au monde présent.

-Non, je ne suis pas prête.

-Appelle-le au moins.

-Non.

Shelly n'insista pas, laissant sa place à l'infirmière, Holly, qui venait d'arriver. Elle m'embrassa sur le front :

-Je passerai demain.

-D'accord.

Elle s'en alla d'un pas trainant. Il était temps que je reprenne le travail pour lui permettre de prendre un peu de repos. Holly entama les soins avec dextérité. En dix minutes c'était réglé.

-Votre tension est bonne, les plaies guérissent bien.

Elle me prépara un pilulier hebdomadaire qu'elle m'avait dégoté.

-Quand vous aurez vu le gynéco demain, prévenez-moi s'il faut continuer les soins.

C'était son dernier jour. J'aurais aimé qu'elle vienne encore me voir. Elle déposa une enveloppe sur la table :

-Les résultats de la prise de sang sont plutôt bons. Il faudra les lui remettre demain.

-Je le ferai.

-Qui vous emmène ?

-Un taxi.

-Vous allez rendre visite à votre mari par la même occasion ?

J'avais envie de lui répondre non.

-Évidemment.

Elle me sourit avec compassion avant de s'en aller.

-Vous ne m'avez pas donné votre facture, la hélai-je.

-Pas la peine, M. Paris a tout réglé.

OoooO

En arrivant à l'hôpital, je fus prise de nausée. Le stress probablement. Mon rendez-vous se passa bien, tout se remettait en place, pas de signe d'infection, je pourrai de nouveau tenter d'avoir un enfant. Cette idée était au-dessus de mes forces.

-Vous avez vu un thérapeute pour vous aider à surmonter votre traumatisme ?

Voilà comment il appelait l'assassinat de ma fille : un traumatisme !

-Non, je vais bien, merci de vous en soucier.

Je mis fin au rendez-vous et me rendis directement dans le service intensif où se trouvait Alex. Les nouvelles étaient les mêmes, rien de nouveau depuis qu'ils avaient cessé le coma artificiel, il ne se réveillait pas, ce qui semblait particulièrement inquiéter le médecin de garde. En entrant dans sa chambre, je m'étais résignée.

Je l'avais perdu.

Je m'installai sur une chaise et m'approchai de lui, lui tenant la main, caressant son visage rugueux d'une barbe naissante, observant sa poitrine se soulever et se baisser.

-Pardonne-moi de ne pas être venue avant. C'était trop dur de t'imaginer ici.

Je m'efforçai de ne pas craquer, les yeux remplis de larmes contenues.

-Ne m'abandonne pas.

Je m'étais fourvoyée, je n'étais pas résignée, je n'étais pas dépourvue de peur.

-Reviens-moi. Je t'aime, j'ai besoin de toi.

OoooO

Je n'avais pas rappelé Holly. Je n'avais plus besoin d'elle. Quand Shelly passa après le travail, je voulus mettre les choses au clair avec elle.

-Je vais reprendre le travail demain.

Elle commença à protester, je mis le holà.

-Tu vas prendre quelques jours de congés avec effet immédiat et je ne veux rien entendre.

Elle lutta intérieurement avant de céder.

-Il y a des choses en attente.

-Allons à l'accueil et tu me feras un topo.

OoooO

Reprendre le travail fut bénéfique. Nous étions mercredi, un jour plutôt chargé. Ce fut salutaire, je réalisai que je pouvais m'épanouir dans mon travail et que je devais trouver un moyen de m'en contenter et de reprendre ma vie en main.

Seulement…

L'ombre de Keith planait sur moi.

Les jours passaient et il n'était pas venu, je m'étais lourdement trompée. Les patrouilles devant chez moi s'espaçaient mais étaient toujours présentes ce qui ne me rassurait plus autant qu'avant. Je voulais retrouver ma vie et leur présence me rappelait que j'étais toujours en danger.

Vendredi matin, je petit-déjeunais tranquillement quand le téléphone de la maison résonna, cassant ma quiétude.

Alex ! Pensai-je.

Je courus, arrachant presque le combiné de son support, le cœur battant.

-Allô !

-Bonjour Mme Romero.

C'était la conseillère d'éducation de l'école qui voulait savoir la raison de l'absence de Dylan ce matin.

-Je n'en sais rien, il vit chez une de mes amis depuis mon hospitalisation.

-Je suis au courant Mme Romero mais ce n'est pas la première fois et cette fois-ci je n'arrive à joindre personne. Je suis inquiète, il avait fait des progrès mais depuis l'agression de son père tout est redevenu compliqué. Il a besoin d'aide et je voudrais vous rencontrer pour mettre en place un protocole pour lui.

Pas la première fois ? Pourquoi Shelly ne m'avait rien dit ?

-Je vais aller voir ce qui se passe et je vous rappelle pour vous tenir informée. Je pourrai ensuite passer vous voir avec Dylan en fin d'après-midi si vous pouvez nous recevoir.

Elle acquiesça et je raccrochai, le cerveau noyé par le stress. Je devais fermer l'accueil du motel. Je pris mon trench suspendu à la patère de l'entrée, pris mon sac et ouvris la porte d'entrée à la volée. Dylan se tenait debout là, son cartable sur le dos. Depuis combien de temps était-il là, Dieu seul le savait. Il fixait le sol, sans un mot.

-Tu as des explications à me donner, le sermonnai-je, mécontente, en reculant pour qu'il entre.

-Toi aussi, marmonna-t-il en entrant.

Estomaquée, je le regardais sévèrement, les lèvres serrées pour ne pas dire quelque chose que je pourrais regretter. Il finit par me prêter attention avec le même regard sévère. Déstabilisée, je fronçai les sourcils :

-Alors ? Pourquoi n'es-tu pas à l'école ?

-Alors ? Pourquoi tu veux pas que je rentre à la maison ?

Je n'en menais pas large, il faisait remonter une culpabilité que je ne voulais plus ressentir.

-Réponds à ma question.

-Réponds à la mienne ! S'emporta-t-il.

-Je n'ai pas à te répondre, je suis ta mère, tu dois faire ce que je te dis.

Je ne savais, en fait, pas quoi lui répondre.

-Tu n'es pas ma mère ! M'assena-t-il avec violence. Ma mère n'aurait pas oublié mon anniversaire !

Je sentis le sol se dérober sous mes pieds, quel jour était-on ? Horrifiée, je me rendis compte qu'il avait raison. Il avait eu dix ans hier.

Avant que je ne puisse réagir face aux larmes de mon fils, un rire moqueur se fit entendre provenant de la cuisine. Mon poil se hérissa en découvrant Keith qui se matérialisa devant nous en applaudissant.

-Quelle mère indigne tu fais. Tu bats tous les records.

Dylan se rapprocha de moi vivement, se postant devant moi. Comme s'il pouvait me protéger ! Je serrai mon sac contre moi, effrayée à l'idée d'utiliser une arme devant Dylan.

-Vous êtes qui ?

-C'est moi Keith, je suis un ami de ton père. Enfin « père » est un bien grand mot, tu sais qu'il n'est pas ton vrai père ? Hein ?

-Je sais qui est mon vrai père ! Siffla Dylan. Mais Alex est mon papa et vous je ne vous connais pas !

-Tu sais qui est ton père ? Vraiment ?

-Stop ! Criai-je. Je t'interdis de parler à mon fils.

-Allons Norma, ne fais pas comme si tu te préoccupais de cet enfant. Nous savons bien que tu n'en as rien à foutre, susurra-t-il, hilare.

Avant que je ne réagisse, Dylan s'était précipité sur lui, le repoussant de toutes ses forces.

-Sortez de chez nous !

Keith le repoussa d'un seul bras, l'envoyant valdinguer violemment contre le mur sous mes yeux impuissants. Il heurta la desserte et s'effondra au sol, assommé. Il n'en fallut pas plus pour me décider à le mettre en joue. Son sourire s'effaça de son visage. C'était à lui d'avoir peur maintenant et cette idée me réjouissait.

J'entendis Dylan marmonner, il revenait à lui, je fis l'erreur de jeter un œil vers lui, Keith en profita pour tenter de me désarmer, un coup de feu retentit, la balle se logeant dans le plafond, s'ensuivit alors une lutte acharnée pour cette arme. Il m'accula contre la rampe d'escalier, broyant ma gorge de son bras , grimaçant de douleur mais ne lâchant pas prise sur mon poignet, maintenant le révolver en hauteur. J'écumai de rage, consciente que je cédais du terrain et qu'il aurait le dessus. J'avais les yeux exorbités, la respiration coupée, une sensation de vertige et des points noirs sur mes rétines.

Et puis tout cessa.

Keith s'effondra au sol, je battis des paupières pour retrouver la vue, tentant d'aspirer de l'air pour réoxygéner mon corps, le cœur déchainé. Dylan se jeta dans mes bras, en larme tandis que je découvrais, effarée, le couteau de cuisine planté en plein milieu du dos de Keith, son pull rougissant de plus en plus.