Merci à Alyaaa pour son comm !

Merci de m'avoir encore relancée pour avoir la suite, lol !

Merci de me suivre


Partie 35


SHELLY

-C'est ton frère, annonçai-je à Norma en tenant le combiné du téléphone fixe.

-Je ne veux pas lui parler !

-Elle ne veut pas vous parler, répétai-je à l'homme à l'autre bout du fil.

La voix grave se fit dangereuse :

-Dîtes-lui que je vais tout vous révéler si elle ne vient pas répondre immédiatement.

Je transmis ce curieux message à ma meilleure amie. Norma bondit de son siège pour attraper le combiné. Je ne savais même pas qu'elle avait un frère.

-Va vérifier les draps et les serviettes dans les chambres, m'ordonna-t-elle, en cachant le bas du combiné.

Elle semblait stressée, alors je ne me formalisai pas du ton autoritaire qu'elle avait employé pour me dégager. Je refermai la porte de l'accueil, mon trousseau de clés en main. J'entrai dans la chambre numéro 1 qui était vide, heureusement. Je posai mon oreille contre le mur en face du lit, il y avait une fissure, presqu'un trou, que j'avais camouflé par un tableau. J'avais raté le début de la conversation.

-… je ne peux pas venir…

-…

-Dylan a école, je te l'emmènerai aux vacances d'été.

-…

-C'est comme ça, Caleb ! C'est ça ou rien !

-…

-Non ! Je ne veux pas que tu l'appelles !

-…

-Tu… tu n'oserais pas, s'inquiéta-t-elle, la voix tremblante.

- …

-Je ne te le pardonnerai jamais si tu lui révèles la vérité ! Alex ne doit rien savoir, tu entends !

-…

-Ton vrai visage refait surface, cracha-t-elle, désabusée, et tu dis que tu m'aimes !

-…

-Cause toujours ! Je te déteste, va en enfer !

Elle raccrocha brusquement. Je remis le tableau en place, le cœur battant. Je repris ma tâche et un quart d'heure plus tard, je revins à l'accueil, impassible. Elle parcourait internet sur le pc portable avec frénésie, fixant l'écran comme on fixe une bouée de sauvetage qui s'éloigne.

-Norma ?

Elle replia l'écran d'un geste sec en se tournant vers moi.

-Tu as fini, Shelly ?

-Oui.

Je lui fis le topo, elle me donna de nouvelles instructions comme si j'étais nouvelle ici.

-Je sais ce que j'ai à faire, lui rappelai-je.

-Oh, oui, pardon, s'excusa-t-elle, contrite.

-Je vais prendre le café que j'ai pas eu le temps de prendre et tu vas me parler de ce frère sorti de nulle part qui est en prison.

Elle sursauta, devint pâle comme la mort tandis que je me dirigeai vers la cafetière d'où s'exhalait un fumet des plus agréables. Je me servis une tasse, elle m'en demanda une aussi.

-Dans ton état, ce serait mieux du déca. Je vais t'en préparer. Où sont les dosettes ?

Elle me montra le casier sous le tiroir-caisse. Il y avait un petit panier en osier rempli de dosettes de café, de lait, de sucre, de confiture, de miel…

Deux minutes plus tard, nous nous installâmes là où nous avions déjeuné. Face à face, j'attendis avec excitation de savoir de quoi il en retournait. Depuis 9 ans que je la connaissais, je ne savais rien d'elle, me rendis-je compte.

-Alors ?

-Mon frère ainé, Caleb, est en prison pour homicide…

Je palis.

-Je ne vais rien te dire de plus à ce sujet.

-Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ?

-J'avais honte.

Ben merde ! Je me tus, que répondre à ça ? Je pouvais la comprendre.

-Pourquoi il t'appelle ici, au motel et pas chez toi ?

-Parce qu'il a essayé et que j'ai raccroché plusieurs fois. Je ne voulais pas lui parler.

-C'est quoi ce secret entre vous ?

Elle détourna le regard, but plusieurs gorgées de son déca.

-Ça m'a l'air bien costaud pour que tu bondisses ainsi de ton siège.

-Je ne peux rien te dire.

-Bien sûr que si.

-Non ! J'ai de nombreux secrets Shelly, et celui-là pourrait détruire ma famille.

Elle fondit en larmes. Je lui attrapai ses mains posées sur la table.

-Je peux t'aider.

-Non ! Et je ne veux plus jamais qu'on en parle. Ne dis rien à Alex !

-Ne me demande pas de lui faire des cachotteries

-Si tu ne tiens pas ta langue, je retourne voir le notaire concernant le manoir.

Je crus avoir mal entendu. Mon cœur eut un loupé.

-Tu me menaces de garder l'héritage de ma grand-mère ?

-Tu ne sais pas de quoi je suis capable pour protéger ma famille. Ne me sous-estime pas !

Ses traits s'étaient durcis, ses yeux bleu pâle me congelèrent sur place.

-Putain Norma qu'est-ce que t'as fait ? M'affolai-je.

Elle se redressa, posa ses deux mains à plat sur la table entre nous.

-J'ai fait ce que j'avais à faire. Plus jamais je ne laisserai quelqu'un nous faire du mal à Alex, à Dylan, à mon bébé et à moi.

Mon estomac se tordit. J'en eus la nausée. Elle quitta les lieux sans un mot de plus, me laissant en plein désarroi.

OoooO

Je rentrai chez moi, mon fils ainé était rentré de l'école, le cadet était encore malade, son père avait pris deux jours pour le garder.

-Salut, criai-je en rentrant.

-Alors tu as vu avec Norma pour des congés ? Me sauta dessus mon mari, les yeux plein d'espoir.

-Hmmmm…

-Shelly…soupira-t-il, je suis en congés à la fin de la semaine et j'ai réservé le chalet que tu aimes tant pour une petite semaine, nous devons en profiter, j'ai rarement des congés.

-Je sais, promis, je vois ça avec elle demain. Comment va notre petit malade ?

-Il n'a plus de fièvre, il a même déjeuné. Les antibiotiques font effet. Il sera sur pied pour qu'on parte en vacances.

-Tant mieux.

J'ôtai mon manteau que j'accrochai dans la penderie. Je fis pareil avec mes bottines et je pris la direction de la chambre de chacun de mes fils. Après les avoir embrassés, je revins dans le séjour. Tom m'y attendait, un verre de vin pour moi à la main :

-N'oublie pas de lui demander demain pour tes congés, Norma est sympa, vous devriez pouvoir vous organiser.

-Oui, je le pense aussi, abondai-je dans son sens en m'installant dans le canapé.

Elle sera ravie de se débarrasser de moi, pensai-je avec tristesse.

-Qu'est-ce qu'il y a mon chat ?

Devais-je lui en parler ? Il se cala contre l'îlot central de notre cuisine ouverte et croisa ses bras.

-Il y a eu un incident et…

-Quel incident ? S'alarma-t-il.

Depuis que Norma était entrée dans nos vies, nous avions été impactés par tous ses malheurs. Elle jouait de malchance de façon récurrente et cela rejaillissait sur notre famille. Nous nous étions même disputés à ce sujet, Tom supportant de moins en moins l'ampleur de mon amitié pour elle. Une amitié qui me détournait parfois de ma propre famille.

-Tu savais qu'elle avait un frère ?

-Ah bon ?

-Il est en prison pour homicide.

Tom fronça les sourcils.

-La mort rôde autour d'elle, c'est effrayant.

-Ne dis pas de bêtises.

Quoi que…

-Il a appelé, et je l'ai entendu la menacer. Il la fait chanter. J'ai essayé de savoir de quoi il retournait mais elle s'est montrée fermée et …

-Et quoi ? S'enquit-il subitement tendu.

-Elle m'a, à son tour, menacée… de priver nos enfants de leur héritage.

-Mais c'est quoi ce délire ? S'emporta Tom comme je l'avais prévu.

Il commença à monologuer sur cette situation ubuesque jusqu'à ce que je le coupe :

-Ça doit être très grave Tom. Elle ne veut pas que j'en parle à Alex.

-Tu devrais lui en parler. Les secrets finissent toujours par se savoir et si ça dégénère et qu'Alex découvre qui tu lui as caché des trucs…

-Je pensais que tu me dirais de ne pas me mêler de tout ça.

-Oui, en temps normal mais là… chantage avec un gars en prison, ça pue.

-Surtout qu'elle est enceinte. Tout ça pourrait être néfaste pour sa santé.

-Enceinte ? Déjà ?

-Nous n'avons pas à juger Tom.

-Ils ont perdu leur fille il y a quelques mois, continua-t-il en commençant à préparer le diner. C'est prématuré, tu ne trouves pas ? Le deuil est un long processus.

La mère de Tom était psychiatre. Cela laissait des marques. Je ne répondis pas. Toute cette histoire m'avait mise à mal. J'en avais souffert à un point que Tom ne pouvait comprendre. Je m'étais sentie fautive…

…car je savais qui était responsable de son horrible agression.

Keith avait tenté de reprendre contact avec moi un peu avant ce jour maudit. Je l'avais rembarré. Je lui avais tourné le dos. Je lui en voulais de ce qu'il avait fait à sa femme et surtout à grand-mère. Elle avait fini par se confier à moi à demi-mot mais c'est bien plus tard que j'avais réalisé ce qu'elle avait tenté de me révéler quand Keith avait laissé échapper quelque chose lors d'une conversation sur l'héritage qui m'avait bouleversée. Il n'y avait pas prêté attention mais moi j'avais fait le lien. En lui tournant le dos, je savais que je détruisais le dernier lien qu'il avait avec quelqu'un mais je ne savais pas que cela le mènerait sur cette voie. Je le savais violent et alcoolique, des faits que j'avais mis du temps à intégrer mais … Je ne pouvais pas imaginer à quel point il était devenu un être abject.

Pourquoi, lui avait-il fait une chose pareille ? Je savais qu'il la haïssait, qu'il lui reprochait tout ce qui clochait dans sa vie mais cela ne suffisait pas à expliquer son geste.

Je fermai les yeux, au bord de la nausée.

J'étais aveugle ? Ou conne ? Ou les deux ?

-Ma chérie ? Ça va ?

Tom voyait tout. C'était chiant des fois.

-Oui. Je vais prendre une douche.

-D'accord, on dine dans une heure.

Sous le jet d'eau brûlant, je finis par craquer. La mort de mon cousin était un soulagement, mon cœur se délitait de désespoir malgré cela. Je n'arrivais à en parler à personne. Quand Tom avait fait les comptes et qu'il m'avait demandé pourquoi je ne lui avais pas dit que j'avais été à l'hôpital, je n'avais pas compris. Il m'avait montré les relevés de ma carte sur notre compte joint. Je lui avais alors expliqué que j'avais perdu ma carte de crédit mais que je ne m'en étais pas rendu compte tout de suite.

-J'ai fait opposition dès que je m'en suis aperçue. On va être remboursée dans quelques jours.

Il n'avait rien demandé de plus, nous avions vérifié le reste du compte ensemble et nous en étions restés là. Du moins lui, car moi j'avais fait ma petite enquête. J'étais tombée de haut en réalisant que Keith était venu au motel le jour de l'agression, qu'il m'avait volée moi ! Sa famille !

Je me mis encore à pleurer. Je me laissais aller que dans ma douche. Là où on ne pouvait me voir. Le reste du temps je donnais le change.

Norma disait avoir des secrets mais elle n'était pas la seule. Je ne pouvais décemment pas lui dire que mon cousin lui avait fait subir une telle ignominie, tuant son enfant tant désiré au passage. Ce secret me rongeait de l'intérieur. Tom s'en était rendu compte. Alors pour compenser cette distance entre nous, il essayait de travailler moins, de prendre du temps pour sa famille, pour moi. J'appréciais ce qu'il tentait de faire. Je l'en aimais que plus.

Je n'aurais pas à me rendre au travail finalement, Norma m'avait laissé un message vocal me notifiant que j'étais en congés dès ce soir pendant tout le mois. Cela me mina encore plus au lieu de me soulager. J'en fis part à Tom pendant le diner. Il fronça les sourcils comme à son habitude puis finit par sourire :

-Les enfants, à la fin de la semaine on part en vacances !

Le bonheur s'inscrivit sur le visage de nos bébés. Cela me fit du bien. Cet intermède allait peut-être m'aider à y voir clair et à décompresser.

ALEX

Norma travaillait d'arrache-pied au motel, elle y passait beaucoup de temps depuis que Shelly avait pris des congés. J'étais inquiet, je la voyais peu comme si elle m'évitait. Malgré cela, je faisais le maximum pour être plus présent, je voulais profiter de ce bonheur fragile et inespéré qui s'offrait de nouveau à nous.

Un soir je descendis à l'accueil du motel pour lui donner un coup de main (ou disons plutôt pour lui demander de rentrer, la nuit allait bientôt tomber). Elle n'était pas dans la loge, elle tirait le chariot de ménage, les cheveux relevés en un chignon haut, des gants de ménage roses enfilés sur ses mains.

-Norma, tu fais quoi ?

Elle sursauta, elle ne m'avait pas vu arriver, elle était complètement ailleurs.

-Les clients viennent de partir de la 8, je vais nettoyer la chambre.

-Chérie, il est tard.

-Mais non, il est que …

Elle regarda sa montre

- 19 heures, soupira-t-elle, déconfite.

-Tu bosses depuis ce matin, tu as mangé au moins ?

-Bien sûr, je fais attention tu sais.

-Toutes ces tâches, est-ce bien raisonnable dans ton état ?

-Je suis enceinte, pas malade.

-Je sais mais tu peux tomber ou te faire mal en te baissant.

-Ne dis pas de bêtises.

Elle reprit son chemin en m'ignorant royalement.

-Qu'est-ce que je t'ai fait Norma ?

Elle eut un instant d'arrêt :

-Mais rien, voyons.

-Pourquoi tu m'ignores comme ça, alors ?

-Je t'ignore pas, Alex. Arrête tes enfantillages.

Vexé, je me tus. Elle entra dans la chambre concernée sans un regard. Je fis demi-tour, mécontent. Cependant, le temps d'arriver devant la porte du manoir, je m'étais déjà calmé. Je repris le chemin du motel, à nouveau soucieux. Je pénétrai dans la chambre 8, elle n'était pas là.

-Norma ?

-Dans la salle de bain, m'informa-t-elle.

J'ôtai ma veste en cuir et je relevai les manches de ma chemise pour attraper l'aspirateur et le brancher.

-Tu fais quoi ? Surgit-elle subitement en entendant le boucan de cette machine infernale.

-Je m'occupe de la chambre, on ira plus vite à deux.

-Tu n'as pas mieux à faire ? Cria-t-elle pour se faire entendre.

Je secouai la tête par la négative.

-Tu as fait le diner ?

Non, j'avais autre chose en tête. Je secouai encore la tête.

-Alex, tu vois bien que je n'ai pas le temps, tu pourrais au moins faire ça, me reprocha-t-elle, les sourcils en V.

Elle s'agaçait facilement ces temps-ci. J'éteignis ce maudit aspirateur pour lui faire face.

-On pourrait aller manger dehors ce soir ? Lui proposai-je.

-Je me sens pas d'attaque…

-Tu as la force de travailler mais pas d'aller manger dehors ?

Elle ne répondit pas.

-Norma, allez…Dylan est en vacances ce soir, on n'a pas de contraintes.

-Bon d'accord mais pas longtemps. Demain je commence tôt.

-Demain, c'est samedi, tu pourras te reposer, j'ouvrirai l'accueil, tu pourras faire la grasse mat.

Elle s'adossa sur l'encadrement de la porte de la salle de bain.

-Vraiment ?

-Oui.

Elle eut enfin un sourire.

-D'accord.

Une heure plus tard, nous roulions vers le centre-ville. Je lui ouvris la porte du restaurant français qu'elle aimait tant. Elle était sublime dans cette robe jaune pâle à fleurs qui semblait venir d'une autre époque. Un gilet noir recouvrait ses épaules. Ses belles jambes ne semblaient pas souffrir du froid. Dylan, en polo jean basket comme son père, était impatient. Il avait faim, on dirait.

-J'espère qu'on va bien manger, j'ai envie d'un bon steak frites !

Norma leva les yeux au ciel. Je lui glissai une main sur la taille, tandis que le serveur nous invita à nous asseoir dans un coin bien tranquille près de la baie vitrée. Dylan se positionna à ses côtés comme je l'avais pressenti. En face d'elle, je ne voyais plus qu'elle. J'avais une furieuse envie d'elle depuis la nuit de nos retrouvailles, c'était effrayant. Je brûlais de lui faire des choses, elle le savait, alors elle détourna le regard pour observer les passants, le ciel, la lune. Ses cheveux mi-long ondulaient, rabattus en arrière par deux petits peignes noirs. Je mourrais d'envie d'y plonger mes mains. Je voulais qu'elle plonge ses yeux dans les miens, qu'elle m'administre une dose massive d'amour à travers son regard d'ange. Je voulais…

-Ben alors ? Ils font quoi ? S'impatienta Dylan.

-Ça vient mon chéri, calme-toi, lui sourit-elle en lui caressant les cheveux.

C'était un spectacle qui me retourna le cœur de bonheur.

-Papa, tu pleures ?

-Hein ?

-Tes yeux brillent.

-Non j'ai juste un truc dans l'œil.

Le serveur interrompit cet instant gênant, prit nos commandes et nous servit un apéritif que Norma commanda sans alcool. Dylan buvait son soda, grapillant dans les olives.

-Trop de sucre, râla Norma.

-Détends toi, on sort pas souvent, profitons-en.

La soirée se passa tranquillement, nous discutions de tout et de rien jusqu'à ce que Dylan baille aux corneilles. Il posa sa tête sur l'épaule de sa mère qui l'accueillit contre elle. Il somnola un peu, elle lui embrassa le front, fixant un point au loin, soudain tourmentée.

-Dis-moi ce qui ne va pas, murmurai-je.

Elle ferma les yeux, une larme roula sur sa joue.

-Norma…

-Rentrons.

Dylan au lit, je fis l'effort de ne pas remettre l'incident du restaurant sur le tapis. Elle regagna notre lit après s'être brossée les dents.

-Je t'ai mis une tisane sur ta table de chevet.

Elle s'assit sur le rebord du lit, dos à moi, enveloppée d'une chemise de nuit blanche et ample dont le col se fermait par un bouton. Je la laissais déguster sa tisane, émoustillé par cette tenue des plus austères. Avais-je un problème ? Me questionnai-je vaguement, déjà près d'elle pour embrasser sa joue. Elle s'écarta brusquement :

-Pas ce soir.

Douche froide, non carrément glacée. Je repris ma place et lui tournai le dos, le cœur battant d'un stress qui n'arrivait de nulle part. j'éteignis ma lampe et je me mis à compter les moutons. J'étais à quarante moutons quand le téléphone fixe sonna, apposé sur ma table de chevet. Je me redressai pour répondre.

-Ne réponds pas !

-C'est peut être le boulot Norma. Surtout à une heure si tardive.

-Si c'est le boulot, ils t'appelleront sur ton portable.

Elle n'avait pas tort. Je saisis mon portable, fronça les sourcils.

-Il est éteint. Pourtant, je l'ai mis en charge en rentrant.

Je reposai mon portable pour saisir le combiné mais Norma avait bondi du lit, elle m'arracha le combiné des mains, attrapa le socle et arracha le fil.

-Je t'ai dit de ne pas répondre à ce foutu téléphone !

Elle se précipita vers la fenêtre sous mes yeux ahuris et avant que je n'intervienne elle avait balancé le tout par la fenêtre. Je m'approchai d'elle, effaré :

-Tu es complètement folle !

Elle ouvrit les yeux si grands qu'ils mangèrent son visage pâle. Elle me sauta dessus, me frappa de ses poings sur mon torse :

-Je ne suis pas folle ! Comment oses-tu ! Comment oses-tu me comparer à eux ! Hurla-t-elle.

Je ne savais pas de qui elle parlait mais je ne supportais pas l'état de furie dans lequel elle se trouvait. Elle devait se calmer, je lui agrippai les poignets fermement.

-Arrête Norma !

-Lâche-moi ! Mais lâche-moi !

Je dus raffermir ma poigne car elle gesticulait avec fureur.

-Papa ! Tu fais quoi à maman ! S'écria Dylan paniqué, en courant vers nous. Lâche-la !

Ce que je fis. En sentant son fils l'étreindre, Norma se calma.

-Maman, pleura-t-il. Pourquoi vous criez ?

Elle parut recouvrer ses esprits.

-Rien de grave, mon chéri, parfois les couples se disputent.

Elle le serra contre elle, retenant ses larmes, esquivant ma tentative de capter son attention.

-Allez, viens, je vais te border.

-Je suis trop grand pour ça, dit-il en la suivant.

-Tu es mon bébé, tu ne seras jamais assez grand pour que je te borde.

-Je suis pas un bébé, l'entendis-je dans le couloir.

Norma se chamailla avec lui en riant comme si rien ne s'était passé.

Et moi… J'étais face à la fenêtre, ma poitrine se soulevait encore avec frénésie.

J'étais anéanti.

OoooO

Norma entamait son cinquième mois de grossesse. Nous avions rendez-vous le lendemain chez l'obstétricien pour connaitre le sexe du bébé. Nous avions hâte. Dylan et moi en tout cas car Norma s'éloignait de plus en plus. Depuis cette soirée au restaurant, il y a trois semaines, elle s'était refermée comme une huitre. Quelque chose la rongeait mais elle restait murée dans un silence oppressant et destructeur. Je savais que cela concernait Dylan, je l'avais compris en la découvrant plusieurs nuits d'affilées dans sa chambre, le veillant comme une sentinelle. J'avais tenté une réconciliation, en vain. Elle me refusait tout contact, tout signe d'affection.

Je terminai le diner quand Dylan apparut :

-Maman est encore au motel ?

-Oui, tu peux aller la chercher, on dine dans dix minutes.

Cela m'éviterait de me heurter à un mur en allant la chercher.

-Ok, j'aime pas trop les haricots verts, râla-t-il en partant.

Je souris, j'avais une surprise pour lui pour compenser les haricots qu'il détestait. J'avais acheté chez le pâtissier des cookies aux éclats de noix de pécan. Il n'était pas friand de sucré mais les pancakes et les cookies lui remontaient toujours le moral. Norma pâtissait en général mais là, elle n'avait pas cuisiné depuis le départ de Shelly. Je lui avais conseillé de prendre un intérimaire pour le motel, sans succès.

La table installée (dans la cuisine car les travaux étaient terminés), je me servis un verre de vin en patientant le temps qu'ils arrivent. Quand Norma déboula dans la pièce d'un pas militaire cinq minutes plus tard, je m'étais resservi un deuxième verre. Elle observa mon verre avec une certaine envie puis se lava les mains.

-Où est Dylan, la questionnai-je.

-Comment ça ? Il n'est pas là-haut ?

-Je l'ai envoyé te chercher il y a un quart d'heure ! M'affolai-je brusquement.

Elle devint aussi gris que du papier mâché.

-Nonnnnnn, gémit-elle en courant vers la porte d'entrée qu'elle ouvrit à la volée.

Je la suivis de près dans la nuit, je ne voulais pas qu'elle chute dans sa précipitation.

-Dylan !

Nous l'appelions sans relâche, fouillant le motel de fond en comble.

-Dylan ! Ce n'est pas le moment de faire des blagues ! Tentai-je de me rassurer.

Mais la terreur de Norma me nouait l'estomac, j'avais un mauvais pressentiment.

-Norma, dis-moi ce qui se passe !

Elle sembla vouloir me dire quelque chose mais se retint. Elle retourna vers le manoir, le fouilla de la même manière que le motel. Quelque chose d'horrible s'insinua dans mon cœur en voyant Norma se déliter sur place, s'agenouillant devant la porte de la chambre du petit, s'arrachant les cheveux tout en hurlant son prénom.