Merci de me suivre


Partie 36


Alex était parti avec ses collègues. Un avis de recherche avait été émis. Il m'avait questionné sans relâche mais je ne pouvais rien lui avouer. Je savais qui était responsable et cette situation échappait à mon contrôle. Je sentais que je perdais la tête. J'avais tenté de contacter la prison dès le départ d'Alex mais en vain. Il était tard mais je pouvais venir en visite le lendemain. Assise sur le lit de Dylan, je serrai son vieil ours en peluche, les yeux dans le vague. Qui avait-il envoyé ? Quel fils de pute pouvait être d'accord pour enlever un enfant ?

-Dylan…

Il devait avoir peur, il devait avoir froid, avoir faim…

J'étais sous le choc, complètement hagarde. Je m'allongeai sur le lit, mal en point. J'avais mal au ventre, il fallait que je me calme.

OooooO

Je roulais, roulais, roulais, engloutissant les kilomètres. Caleb avait refusé de me parler ce matin. J'étais obligé de me déplacer. Alex n'en savait rien, il ne rentrait pas, m'appelait de temps à autre, je le devinais fâché. Enfin, pas fâché mais plutôt blessé. Il m'en voulait, il avait raison de m'en vouloir. J'étais responsable, j'étais la seule responsable. Mes yeux se voilèrent de larmes. Non, Ce n'était pas le moment.

-Tu vas me dire où est mon fils, enfoiré !

Je mangeais les kilomètres, l'estomac de plus en plus noué. Dylan ne devait pas passer une nuit de plus dehors.

A l'accueil, je patientai devant le guichet, j'avais actionné la sonnette d'une main tremblante, maitrisant mal mon stress. L'agent s'en rendit compte, il se montra tolérant en constatant mon état, et me pria de patienter. J'aperçus mon reflet dans le plexi-glace, j'étais comme un zombie.

Dans la salle de visite, je ruminais. J'étais crispée, j'avais mal partout, je me sentais nauséeuse, je n'avais rien mangé depuis le café de ce matin. Je faisais n'importe quoi.

Je sentis le regard du gardien sur moi, je rabattis des mèches rebelles derrière mes oreilles, mon chignon ne tenait pas en place.

Quand la porte s'ouvrit, je bondis comme un ressort : il apparut impassible dans cette hideuse tenue orange. Je voulais lui sauter à la gorge. Ce fut un exploit de me retenir. Il avança, me voyant statique et s'installa tranquillement en face de moi, peu surpris de ma visite.

Nous nous toisâmes avec défiance.

-Te voilà donc, je sais comment te faire te déplacer maintenant.

La gifle partie sans que je ne puisse rien y faire.

-Oh la ! Madame ! s'écria le gardien en s'avançant brusquement.

-C'est rien Bernie, elle va se reprendre, sourit-il en frottant sa joue.

Je pointai mon doigt vers lui :

-Où est-il ? Sifflai-je.

-Qui donc ?

-Ne te fous pas de moi !

-Je ne vois pas de quoi tu parles.

-Où es mon fils ?

-Tu veux dire notre fils.

Mon regard glissa vers le gardien mais il zieutait son portable.

-Où es mon fils ! Martelai-je dans un sifflement rauque.

-Je ne sais pas, c'est toi sa mère, tu ne sais pas t'occuper de ton enfant ?

Je fermai les yeux pour ne pas le frapper encore. Mon cœur battait fort, un mal de crane pointait, un gout de bile persistait dans ma bouche.

-Je vais te dénoncer.

Il ne se démonta pas.

-Si tu le fais, ton « mari » saura la vérité.

Il croyait avoir la main.

-Tu as détruit ma famille, alors au point où j'en suis…

Il tiqua, moins confiant.

-Comment ça ? J'ai fait ce que tu m'as demandé pour la préserver.

-Alex sait que je lui cache quelque chose, il sait que ça concerne Dylan. Il sait que c'est grave. Il n'a plus confiance en moi. Tu n'as cessé de me harceler et j'ai perdu pied. Je me suis enfoncée dans le mensonge. Je vais devoir tout lui dire et quand ce sera fait, tu auras réussi, je serai à nouveau seule, seule encore pour élever un bébé.

Il devint pâle.

-Quoi ?

Je lui affichai mon profil sans équivoque.

-5 mois.

Il recula, son dos contre le siège, la bouche ouverte.

-Je veux mon fils Caleb. J'ai déjà perdu un enfant, et d'une manière encore plus ignoble que ce que tu m'as fait subir autrefois. Je ne veux plus ressentir cette douleur, rends-moi mon fils.

Son expression se modifia lentement, une horreur sans nom se répandit sur son visage.

-Qui ?

-Il est mort. Ce fils de pute est mort.

J'étais d'une grossièreté effarante mais plus aucune parole civilisée ne me venait en tête depuis la veille.

-Alex a fait ce qu'il fallait pour ça, murmurai-je avec douleur. Il a été loin pour nous protéger.

Je ne devrais pas lui dire ça mais j'étais déphasée, pas dans mon état normal.

-J'ai fait pareil, je te rappelle, siffla-t-il en jetant un coup d'œil vers le gardien toujours occupé sur son portable.

-Alors pourquoi tu nous fais ça ?

Il détourna le regard un instant.

-Je veux voir mon fils, j'en ai besoin, tu entends.

-On pourra s'arranger, lui mentis-je.

Il se replaça vers moi, les yeux brillants de larmes.

-Tu mens.

Désarçonnée, je ne compris pas son émoi.

-Je t'ai perdue Norma, je ne veux pas le perdre aussi mais tu refusais mes appels, tu refusais de me l'emmener.

-Tu n'as pas été raisonnable. Je t'avais promis de l'emmener aux vacances d'été.

-Tu ne l'aurais pas fait. Je sais quand tu mens.

-Je l'aurais fait, Dylan veut te connaitre, j'ai été forcée de lui parler de toi. Il a vu ta photo, il a vu votre ressemblance et ça le rassure. Il a besoin d'appartenir à quelque chose et il croit que son véritable père, John, est mort. Il veut devenir un grand frère qui protégera sa petite sœur comme il croit que tu l'as fait avec moi. S'il savait…

Ma gorge se noua aussi. Nous étions mélancoliques tous les deux. Le mal nous unissait, le malheur aussi et je devais préserver Dylan de ça. Je le savais maintenant.

-J'ai une photo de lui dans ma piaule. Il me ressemble tellement.

Je fronçai les sourcils.

-Un ami me l'a filée, m'expliqua-t-il.

-Tu veux dire celui qui nous a espionnés ?

Il haussa les épaules comme si ce n'était pas important.

-C'est lui qui a fait le coup ?

Il se raidit.

-C'est quoi son nom ?

Silence.

-Je finirai par le savoir, Alex est flic, il le trouvera et il trouvera notre fils. Merci pour cette information.

Je me relevai, à bout de force, je me sentis tanguer. Il me rattrapa in extremis.

-Norma…

Il était inquiet. Je devais en profiter.

-Dis le moi, dis le mois, je t'en prie !

Je pris son visage entre mes mains, suppliante :

-Pas de contact ! Cria le gardien qui nous surveillait de nouveau.

-Je t'en prie…il doit avoir peur, il a besoin de moi, il a déjà subi tant de malheurs, tu n'as pas idée ! Il ne va pas bien, il est suivi par un professionnel, il ne va pas bien Caleb !

Il se troubla. Le gardien nous sépara, mécontent.

-La visite est terminée.

Caleb fouilla dans sa poche et se tourna vers Bernie à qui il glissa quelque chose dans la main. Il lui murmura quelque chose à l'oreille et celui-ci s'éclipsa non sans marmonner :

-T'as 5 minutes !

Il quitta les lieux sans un regard vers moi.

Je séchai mes larmes, tremblante fixant mon frère avec désespoir. Il finit par s'approcher de moi après quelques secondes d'état statique.

-Raconte-moi.

-Que veux-tu savoir ?

-Que s'est-il passé pour que Dylan ait besoin d'un psy ?

Je lui racontai tout, dans un flot éperdu, saccadé. Il en était impacté, je le voyais. Il aimait Dylan, c'était un fait, à sa manière tordue, à sa manière à lui.

-D'accord, céda-t-il enfin.

-D'accord, quoi ?

-Je te dis où il est mais promets-moi que je pourrai le voir. J'ai une permission dans une semaine, je voudrais le voir.

-Tu comptais le garder prisonnier tout ce temps ! Réalisai-je alors.

-Tu ne m'avais laissé aucun choix, ne revenons pas là-dessus.

-Et que lui aurais-tu dis pour justifier son enlèvement ?

Il détourna les yeux.

-Caleb !

-J'en sais rien, avoua-t-il. Je voulais juste le voir, c'est tout ! Vous me manquez à en crever ! Je vous aime tellement ! Je voulais le serrer contre moi, entendre sa voix, connaitre son odeur, la texture de ses cheveux, voir l'éclat de ses yeux si similaires aux nôtres. Tu te rends pas compte de ce que tu m'as fait en me privant de lui, en me privant de toi.

-Ne me culpabilise pas !

-Ce n'est pas ce que je cherche à faire, je veux juste…

Il tenta de m'enlacer, de m'embrasser soudain enfiévré. Je le repoussai de toute mes forces mais j'en manquais et il était fort.

-Non ! Ne m'oblige pas ! criai-je en détournant ma bouche de la sienne.

Je ne voulais plus jamais de ce contact.

-Norma…

-Non, non, non !

Je me perdis dans des flashs du passé, confondant présent et passé. Je ressentais les mains de Keith, son haleine, son odeur immonde. Je me débattis avec une rage sortie de nulle part.

-Tu es un gros porc puant, tu m'as salie, enfoiré de violeur ! Je te maudis et je vais te tuer comme tu as tué mon enfant !

Je fus secouée brutalement, je revins à moi. Caleb me lâcha, recula, bouleversé.

-Pardonne-moi.

Il fondit en larmes.

-T'as intérêt à te reprendre ! Si quelqu'un doit pleurer ici, c'est moi !

Il obtempéra, le gardien entra, il se dirigea vers lui.

-Tu n'oublies rien ? Lui rappelai-je.

-Le chalet, balança-t-il avant de franchir le seuil.

Mon cœur fit un bond. J'attrapai mon sac et je contournai la table pour m'en aller.

En arrivant devant ma voiture, les jambes flageolantes, je fus prise de nausée. Je cherchai des yeux un endroit pour aller vomir quand je l'aperçus.

Alex, debout près d'une voiture que je ne connaissais pas. Il me dévisageait, impassible. Ma nausée amplifia, je courus vers les fourrées les plus proches pour vider mon estomac déjà bien vide. Il se posta à mes côtés, m'observant d'un œil dur.

-Alex…mais… qu'est-ce que tu fais là ? Finis-je par le questionner en m'essuyant la bouche.

-Je suis flic, rappelle-toi, un de mes collègues veillait à ta sécurité. Quand il t'a vue partir de bonne heure, il m'a prévenu. J'ai eu une méchante intuition alors j'ai appelé la prison. Tu étais planifiée pour une visite ce matin. J'ai loué une voiture et pris la route sans réfléchir.

Il était pâle, fatigué, consterné et… furieux.

-Tu pensais à quoi sérieux ? Pourquoi tu n'as pas allumé ton portable ?

-J'ai oublié. J'étais pas en état de réfléchir.

Je pris la direction de la voiture, d'un pas vif.

-Alors ? Tu sais maintenant où est Dylan ?

-Oui.

-C'est pour ça que tu es venue ? Ton frère est impliqué dans tout ça

Que lui dire ?

-Dis-moi juste la vérité, n'essaie plus de me mentir.

Il m'accula contre la portière.

-Je ne t'ai jamais menti.

-Tu ne m'as juste pas dit la vérité.

Mes lèvres se serrèrent.

-C'est pas le moment Norma, ne sois pas bornée !

-Je ne suis pas bornée, rétorquai-je, outrée.

-Viens, on prend ma voiture, m'ignora-t-il. Je ferai rapatrier la tienne. Tu n'es pas en état de conduire.

-Je peux très bien…

Il fit volte-face. Je me tus instantanément. Ses yeux noirs exprimaient mille choses et cela me fit peur.

-On y va.

OoooO

Nous roulions en direction du chalet de notre enfance. L'un des rares endroit où nous avions été heureux quand nous étions petits. Nous y allions parfois en vacances. C'était à plus de trois cents bornes. Alex roulait sans un mot, après un quart d'heure, il fouilla de son bras le siège arrière, attrapa un paquet :

-Mange.

Il y avait des choses diverses et variées et une bouteille de jus d'orange que j'avalai d'une traite.

-Mange sinon tu auras mal à l'estomac.

Il avait raison, mais j'avais déjà mal à l'estomac. Je fis un effort cependant. J'avalai une madeleine, un croissant, une banane. J'avais soudainement faim. Je me détendais à mesure qu'on approchait de notre destination. Je m'installai sur le côté, me raccrochant à son profil fermé comme on s'accroche à une bouée.

-Tu as raison, je t'ai menti, consentis-je enfin à avouer.

Il continua de conduire sans rien exprimer.

-Je me suis enfoncée dans le mensonge car je savais que si tu connaissais la vérité, tu me quitterais.

-Je ne te quitterai jamais.

C'était un fait avéré pour lui.

-Tu l'as déjà fait.

Il fronça les sourcils.

-Tu sais pourquoi. Et cela m'a tué jour après jour.

Emue, je fermai les yeux pour ne pas pleurer car cette douleur, je l'avais aussi ressentie.

-Quoi qu'il se soit passé, Norma, je ne te quitterai jamais plus. Tu sais à quel point je vous aime, tu sais jusqu'où je suis allé pour vous deux. Vous êtes ma famille.

-Mais tu ne sais pas jusqu'où je suis allée, moi.

Je le détaillai, à la recherche d'une réaction qui me pousserait à tout lui révéler. Il se troubla, respira plusieurs fois longuement.

-Est-ce que ça concerne mon père ?

Je clignai des yeux, consternée. Mon cœur se déchainait dans ma poitrine. J'allais le perdre…

-Oui, soufflai-je en cachant mon visage entre mes mains. Comment as-tu su?

-Je viens seulement de le comprendre. Et tout coïncide.

Il n'était pas flic pour rien.

-Ne pleure pas, Norma.

-Tu dois me haïr ?

-Je t'aime.

-Mais…

-Tu m'as libéré, Norma.

Je le dévisageai comme une ahurie, dans l'incompréhension.

-Je me trouve monstrueuse pourtant.

-Alors nous sommes tous les deux des monstres.

Je ne répondis pas. Encore sous le choc. Il posa sa main sur mon ventre et ne prononça plus un mot.

OoooO

Je m'étais assoupie. Il me réveilla doucement.

-Nous sommes proches, peux-tu m'indiquer le chemin ?

-Oui, dis-je en me frottant les yeux. J'espère que je vais m'en rappeler.

C'était le cas. Après une dizaine de minutes, nous arrivâmes à destination. Une voiture stationnait devant le chalet d'où sortait de la fumée par la cheminée. Nous étions à quelques dizaines de mètres. La nuit tombait, il n'y avait pas de lumière à l'intérieur hormis le halo du feu de cheminée.

-Reste-là, j'y vais.

-Mais…

- Ne discute pas !

-Il y a une entrée par l'arrière, lui précisai-je.

Il sortit son arme de service et sortit doucement du véhicule. Il contourna la maison et puis plus rien. J'allais sortir de la voiture quand il réapparut, Dylan dans ses bras. Je descendis pour ouvrir la portière arrière. Il allongea notre fils endormi et l'attacha comme il put.

-Dylan, l'embrassai-je, Dylan chéri.

Rien, il ne réagissait pas.

-Mais qu'est-ce qu'il a ?

-Drogué, je pense.

Horrifiée, je commençai à paniquer mais Alex me ramena vite à la raison.

-On y va, il y avait un mec qui roupillait dans le canapé, sûrement alcoolisé car il a pas bronché quand je me suis approché de lui. J'ai eu envie de lui faire la peau.

Un frisson me parcourut.

-On doit l'arrêter.

-Non ! Sinon, il balancera ton frère qui te dénoncera à son tour.

Je m'assis à l'arrière, la tête de Dylan sur mes cuisses. Alex démarra en trombe pour nous éloigner de cet endroit tandis que je réalisais l'horreur de la situation. Je croisai le regard d'Alex dans le rétroviseur.

-Ils paieront pour ça, tous les deux, ne t'inquiète pas pour ça.

C'était bien ce qui me faisait peur.

Nous nous arrêtâmes à l'hôpital le plus proche. Alex expliqua le problème au médecin de garde. Dylan y passa la nuit, sous nos yeux inquiets. Un lit d'appoint fut installé pour moi, je m'allongeai un peu, éreintée et soulagée. Alex était là, il veillerait sur nous.

Au réveil, Dylan était allongé à mes côtés. J'embrassai son front, le cœur moins lourd. Je jetai un œil aux alentours, Alex était assoupi, la tête dodelinant, sur le fauteuil adjacent le lit médicalisé. Je refermai les yeux, remerciant le ciel d'avoir mis cet homme hors du commun sur ma route.