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Partie 37


15 mois plus tard

Alex

Pas moyen de fermer l'œil, j'étais stressé à l'idée de la sortie de Caleb de prison. J'avais tout fait pour repousser sa sortie surtout quand Norma m'avait annoncé qu'il devait avoir une permission et qu'il souhaitait voir Dylan. J'avais usé de toutes mes relations, de toutes les ficelles possibles et inimaginables. Caleb avait tenté de la joindre, nous avions changé de numéro de téléphone et de portable. Pendant quelques mois nous avions eu la paix. Norma avait accouché dans de bonnes conditions et Romy était entrée dans nos vies.

Je me levai pour aller voir si mes enfants dormaient bien. Dylan aimait de plus en plus roupiller, l'adolescence pointait le bout de son nez, il avait encore grandi, changé, il était aussi grand que sa mère à douze ans. Il continuait à voir le psy et cela lui faisait du bien. Il était entré au collège, ce changement aussi lui avait fait du bien. Il avait peu d'amis mais il s'en moquait, il adorait rentrer pour s'occuper de sa sœur qu'il aimait plus que tout. Après son enlèvement, il n'avait pas vraiment compris ce qu'il lui était arrivé et nous avions préféré ne pas lui dire la vérité. Il avait accepté nos explications sans sourciller et nous étions passés à autre chose. Je le recouvris correctement, passant mes mains dans ses cheveux de plus en plus épais. Quand je le voyais, je ne voyais pas cette ordure de Caleb, je voyais ma douce Norma. Je voyais un peu de moi aussi dans son comportement, je le voyais lui dans l'évolution de sa maturité. Il était nous tous à la fois et lui-même au final.

-Papa ? Grommela-t-il, ensommeillé, c'est l'heure de me lever ?

-Rendors-toi, le rassurai-je, on est samedi.

-D'accord.

Il se rendormit aussi sec. Je me dirigeai vers la chambre de Romy quand Norma m'interpela :

-Viens te recoucher, Alex !

-Dans une minute, je vais voir si tout va bien.

-Tout va bien, chéri, on a le baby-phone, elle dort.

-Je préfère vérifier.

L'enlèvement de Dylan avait laissé des marques. Elle s'approcha de moi et prit ma main :

-Allons-y !

Nous pénétrâmes dans sa chambre d'un jaune pâle rassurant, les meubles blancs supportaient de nombreuses peluches et autres présents offerts par mes collègues, par Shelly, par nous-même. C'était un endroit paisible, parfait pour notre trésor. J'avais adoré monter les meubles, peindre les murs, choisir ses habits de bébé. Ce fut comme un rêve éveillé. Nous nous approchâmes de son berceau, elle serrait son doudou dans sa main. Dylan lui avait offert ce lapin rose pâle avec son argent de poche et le bonheur qu'il ressentait en la voyant se trimballer partout avec était inestimable.

Nous nous penchâmes doucement au-dessus de son berceau. Romy dormait sur le dos, apaisée. A bientôt un an, elle était un bébé enjoué et solaire. Elle illuminait nos journées, repoussant les tourments de notre vie, elle avait des cheveux aussi sombres que les miens, des yeux aussi foncés que le miens, le teint légèrement mat. Le choc s'était inscrit sur mon visage le jour où j'avais fait sa connaissance.

-Elle te ressemble tellement, avais ri Norma tout en pleurant de joie. Elle est parfaite, n'est-ce pas Dylan ?

-Oh oui, elle est la plus belle du monde…après toi maman, se rattrapa-t-il.

-Non, tu as raison, chéri, elle est la plus belle personne au monde.

Dylan avait vivement approuvé tout en l'embrassant sur le front :

-Je serai toujours là pour toi.

Je ne pouvais être plus heureux, ce bonheur était inespéré.

Donc, j'avais fait en sorte de le préserver quoi qu'il m'en coûte.

-Elle dort, tu vois, tout va bien, murmura Norma.

Elle avait raison, je pouvais aller me coucher. Dans le couloir, cependant, je la retins par la main, soucieux à nouveau.

-Je dois te dire quelque chose.

-Quoi ?

-Caleb va être libéré dans deux mois.

Elle secoua la tête avec détresse :

-Non !

-Si.

-On doit l'en empêcher !

-C'est ce que j'ai fait, Norma, pendant plus d'un an mais là je n'ai plus aucun recours. Il va sortir.

-Qu'est-ce qu'on va faire ?

-On va trouver une solution, je te le promets.

OOOOO

Le shérif Warden prenait sa retraite, nous le savions depuis quelques mois et il y avait plusieurs postulants pour le remplacer. Il me convoqua dans son bureau un matin sans prévenir.

-Assied-toi Romero !

Il était las, vraiment éreinté. A bientôt 60 ans, il en paraissait 70 !

-Je m'en vais plus tôt que prévu.

-Comment ça ?

-Je vais poser tous mes congés et partir auprès de ma mère mourante.

-Désolé de l'apprendre.

-C'est dans l'ordre des choses mais je veux être auprès d'elle. Mon père n'étant plus de ce monde depuis longtemps et ma sœur a besoin de mon aide.

-Ok mais…

-Je voudrais que tu prennes ma place.

Surpris, je le détaillai avec des yeux gros comme des soucoupes.

-Je n'ai pas postulé.

-Je sais, tu crois que tu es trop jeune mais ce n'est pas le cas.

-Ce n'est pas pour ça que je n'ai pas postulé.

Il fronça les sourcils.

-Quel en est le motif ?

-Mon père…

Il soupira :

-Tu as fait tes preuves, Romero, tu es un bon adjoint, un bon citoyen de cette ville, un bon père de famille, ta réputation est sans tâche.

-Vraiment ? J'entends pourtant des rumeurs.

-Concernant ?

-La mort de Keith Summers.

Il se pencha vers moi, posant ses bras sur son bureau, joignant ses mains.

-Nous avons classé cette affaire, cet individu est mort d'un arrêt cardiaque, n'est-ce pas ?

Je soutins sous regard sans un mot.

-Bien, revenons-en à ma proposition. Veux-tu reprendre ma place ?

-Il y a une procédure à respecter pour ce recrutement. Je ne suis pas dans les clous.

-J'en fais mon affaire, réponds à ma question ?

-John a postulé, il verra ça d'un mauvais œil.

-Je lui en ai déjà touché un mot, il soutient ta candidature.

-Vraiment ? M'étonnai-je.

-Tu as du soutien dans cette ville, parmi nos concitoyens, les élus, tes collègues.

Sceptique, j'attendis la suite.

-Il faudra, par contre, faire des compromis. Tu devras travailler plus, prendre beaucoup de décisions déplaisantes, aller à certaines mondanités, il y aura pas mal de paperasseries, cependant tu seras mieux payé et tu auras certains avantages non négligeables.

-Comme quoi ?

Il m'en fit la liste, c'était, en effet, non négligeable.

-Ce serait pour commencer quand ?

-Dans une semaine. Je dois te former, j'ai besoin d'une réponse.

-Très bien, je dois en parler à ma femme. Je vous donnerai ma réponse demain.

Le soir même, après diner, Dylan monta coucher sa sœur.

-Je vais lui raconter une histoire, maman, je peux ?

-Vas-y, j'arrive bientôt.

Il monta en serrant sa sœur fort contre lui. Nous l'observâmes dans son ascension et quand il fut en haut, nous nous installâmes dans mon bureau. Elle sirota son thé, assise sur le fauteuil face à mon bureau. Elle patientait, un peu inquiète.

-Warden m'a proposé son poste. Tu en penses quoi ?

Ses yeux s'illuminèrent, elle bondit pour me rejoindre.

-Quelle bonne nouvelle, tu le mérites tellement !

Elle me serra contre elle :

-Je ne savais pas que tu avais postulé !

-Je ne l'avais pas fait. Mais il en a décidé autrement.

Elle se redressa, prit place sur un pan de mon bureau.

-Tu es content ?

-Je ne sais pas.

-Tu devrais…

-Je vous verrai moins.

-Nous ferons avec, je sais que ça te tient à cœur, c'était ton rêve.

-Je le croyais aussi jusqu'à ce que tu me donnes une famille.

Ses yeux brillèrent, elle tenta de refouler ses larmes et caressa ma joue avec affection.

-C'est à toi de voir mais je pense que c'est une bonne chose. Tu es quelqu'un de bien et cette ville en a besoin.

OOOO

Le premier mois en tant que Sherif fut laborieux, le départ de Warden avait été fêté comme il se doit et sans effusion. Les collègues prenaient leurs marques mais je sentais une réticence chez certains d'entre eux.

-Impose-toi ! M'avait conseillé Warden lors de ma formation. Ne leur laisse aucune possibilité de contester ta position. Tu es un chef, montre-le !

Ce que je fis, mon père m'avait laissé au moins ça : je n'avais peur de personne, je ne me laissais jamais marcher sur les pieds.

En fin d'après-midi, la porte de mon bureau s'ouvrit à la volée.

-Papa, Romy elle marche !

Dylan portait sa sœur et la déposa au sol pour me montrer cet exploit. Il la soutint jusqu'à ce qu'elle soit stable et recula de quelques pas pour qu'elle vienne vers lui. Il s'accroupit et lui tendit les bras.

-Viens Romy.

Elle lui sourit et tendit les bras vers lui en avançant d'un premier pas chancelant. Je ne fis aucun mouvement pour ne pas la déconcentrer. Norma assistait à tout cela en retrait, émerveillée aussi. Quand elle s'engouffra dans les bras de son frère, elle rit aux éclats. J'étais si bouleversé et tellement fier.

Il y eut quelques applaudissements, les deux collègues présents partageaient notre bonheur.

-Le bébé qui marche, s'écria Jones.

Je pris Romy dans mes bras. Quelle belle journée !

OOOOO

J'attendais dans la salle de visite de la prison. Je n'étais pas le seul. Nous étions trois. Deux femmes parlaient avec deux prisonniers. Une femme âgée, peut être la mère. Une femme plus jeune, peut-être une petite-amie.

Caleb arriva, se crispa en me découvrant.

-Je ne veux pas le voir !

Il fit demi-tour, le gardien l'obligea à venir me voir.

-Tu ne peux pas refuser la visite du shérif.

Il posa sur moi des yeux stupéfait. Je m'étais habillé en civil pour ne pas attirer l'attention.

-Shérif ? Vraiment ? Il y a eu de la promotion dans l'air ! Je comprends mieux pourquoi je suis coincée ici ! Siffla-t-il, furibond.

Je ne répondis pas. J'avais du mal à me contenir, du mal à oublier ce qu'il avait fait subir à mon fils, à ma femme.

-J'vous écoute « Shérif ».

Le mépris dans sa voix était palpable. Il prit place face à moi, méfiant, dans une position défensive. Je croisai son regard bleu, nullement impacté malgré la similitude avec le regard de Norma.

-Vous sortez dans deux semaines.

-En voilà un scoop, railla-t-il. Ça au moins vous pouvez pas l'empêcher.

-Ne venez pas chez moi.

Un air farouche envahit son visage.

-J'vais me gêner.

Nous nous toisâmes avec rancune.

-C'est pas parce que vous êtes shérif que ça va me dissuader de voir mon fils.

Comment osait-il ?

-Et je sais certaines choses vous concernant.

Je plissai les yeux, en alerte.

-Norma m'a parlé de ce fils de pute qui lui a fait du mal.

-Vous parlez de qui ? de vous ?

Il pâlit, serra les dents, les poings.

« Oh vas-y mon gars, je n'attends que ça ! »

Il reprit contenance :

-Je sais que vous êtes un meurtrier, chuchota-t-il

Un coup de massue n'aurait pas été pire.

-Non, ça c'est vous, mon père en sait quelque chose.

Lui aussi avait reçu un coup de massue. Nous étions dans une impasse. Je croyais pourtant avoir la main.

-Au fait, comment va votre ami Chick ? Il boîte toujours ?

Je l'avais mis K.O. ! Caleb 0 – Alex 1.

-Il m'a dit que c'était un accident de voiture.

-Ce sont des choses qui arrivent. Sa convalescence a été longue, m'a-t-on dit ?

Il bondit de son siège, tapa du poing sur la table, furieux :

-Il sera estropié à vie !

Les conversations autour de nous cessèrent. Le gardien venait à notre rencontre mais je lui fis signe de retourner à sa place.

-Tu sais ce qui t'attend si tu t'approches de ma famille.

-Tu ne me fais pas peur. Je suis prêt à tout pour eux, tu l'as bien vu.

-Si tu t'en prends à moi, tu pourriras en prison.

-Si j'me fais prendre mais dans le cas contraire…

-Norma te haïra à tel point qu'elle partira avec Dylan loin de toi et tu ne les retrouveras jamais. Mon ami Bob est avocat, il a des relations et il saura les faire disparaitre et mes adjoints sauront faire le nécessaire, ils te connaissent ainsi que ton pote Chick et ils ont des instructions vous concernant.

Il se rassit, complètement sonné.

-Je ne te tuerai pas car Norma ne te souhaite pas du mal, je sais que ça la blesserait et je ne veux pas lui infliger ça mais je te préviens…

-C'est bon, j'ai compris.

OOOO

Les jours, les semaines passaient, pas de nouvelles de Caleb.

Romy fêta ses un an, Norma son trentième anniversaire, moi, mes 34 ans, Dylan ses 13 ans et ainsi de suite…

Nous étions enfin en paix avec nous-même.

Les malheurs étaient derrière nous.

Le meilleur restait à venir.


Epilogue dans quelques jours.