Chapitre 14 : Piégés comme des rats
Le majestueux Titanic n'était plus que l'ombre de lui-même.
Alors qu'ils déambulaient dans le pont C, l'un contre l'autre, le couple frigorifié avait l'impression de naviguer dans un espace fantôme. Des rats suivaient leur course vers les hauteurs en couinant pour fuir l'eau assassine tandis que les lumières clignotaient sans relâche. Toutes les cabines étaient abandonnées. Il traînait là des valises ouvertes, volées ou laissées sur place. Des habits, des papiers, des bibelots et d'autres effets personnels qui traînaient par terre que ce soit dans le couloir où dans les lits défaits.
Par le hublot en face d'eux, l'océan les saluait en claquant contre la vitre comme pour les inviter à la rejoindre. Le bateau qui penchait les força à marcher de travers pour atteindre un nouvel angle dans ce labyrinthe vide. Tout était si calme que cela fit frissonner Raiponce. Elle se cramponna à Jack, écoutant les murmures du navire qui grinçait furieusement.
Si une femme et sa petite fille n'étaient pas passées précipitamment avec une valise en main devant eux, jamais ils n'auraient pu croire que l'endroit avait été habité il y a quelques heures voire quelques minutes à peine.
- Un escalier, enfin ! S'exprima Jack avec délivrance.
- Et de la vie aussi, rajouta Raiponce qui entendait parler plus haut.
Pont B, cette fois il y avait un peu plus de monde. Ceux qui restaient en retrait ou qui attendaient plus loin de la masse s'étaient réfugiés là. Les enfants pleuraient, les parents priaient dieu, la colère grondait.
Les têtes se tournèrent vers le couple trempé jusqu'aux os rajoutant une couche d'horreur dans leurs yeux. L'eau montait donc vraiment, ce n'était pas un mensonge ! En les voyant, une bonne majorité se précipitèrent vers le premier pont pour essayer de forcer le passage. Jack ne comprit pas pourquoi autant de personnes se trouvaient encore à l'intérieur du navire…
- Que se passe-t-il ici ? Pourquoi n'êtes-vous pas dehors ?
Un homme rouge de haine lui répondit.
- Ils ont fermé les grilles anti-pestes des basses classes ! On est bloqué dans les ponts inférieurs ! Les stewards ne veulent pas nous ouvrir !
- Ils ont arrêté les ascenseurs aussi ! Rajouta sa femme en sanglots. Ils veulent nous laisser mourir ici ! Avec des enfants !
- Comment peuvent-ils faire ça ?! Hurla Raiponce, scandalisée.
- Ce sont des monstres ! Beugla Jack. Ca veut dire qu'on est coincé ici ? Il n'y a aucun moyen de rejoindre les canots ?
- Aucun ! Une rumeur prétend même qu'il n'y aurait pas assez d'embarcations pour tout le monde. Alors, ils sauvent les riches et nous laissent crever comme des chiens ! On ne vaut rien pour eux !
Raiponce Corona se recula de deux pas, outrée, sonnée. Comment des humains pouvaient faire ce genre de chose à leur homologue ? Comment ?!
- On ne va pas se laisser faire ! Il y en a marre d'être soumis à ces connards de riches ! répondit un autre qui fonça vers le pont A.
Son compagnon approuva en emmenant sa famille avec lui pour essayer de l'aider. Jack regarda sa petite amie en lui prenant la main.
- Si on veut sortir… On a pas le choix. On va devoir forcer le passage !
La blonde secoua la tête.
- Où est passée l'humanité ? Où allons-nous comme ça, Jack ? Pourquoi une vie aurait forcément plus de valeur qu'une autre… Je ne comprends pas…
Le regard triste, le pauvre la prit dans ses bras et la câlina.
- Mon père n'aurait pas supporté cela…, continua-t-elle. Il ne m'a jamais appris à haïr mon prochain et à le laisser mourir de cette façon !
- Ton papa était un homme bien, il en existe plein à travers le monde tu sais. L'argent peut corrompre les cœurs les plus endurcis, c'est pour ça qu'il y a beaucoup d'ordures parmi la haute classe… Là, c'est la fatigue qui te fait du mal, mais tu ne dois pas encore abandonner. Même si on est au sec pour l'instant, bientôt, l'eau finira par nous rattraper. Ma belle, on doit continuer à se battre ! Viens !
Il la tira par le bras et elle le suivit, pétrie de froid. Une colère sourde remonta en elle qui la fit avancer plus vite et rejoindre la masse des pauvres qui hurlaient, indignés, terrifiés !
- Laissez-nous passer !
- OUVREZ CES PUTAINS DE GRILLE !
- MEURTRIERS !
On frappait, on hurlait, on envoyait des objets. Les grilles étaient solidement attachées tandis que trois matelots les fixaient sans broncher.
Raiponce se fraya un chemin avec Jack avant d'attraper les barreaux.
- Ouvrez, je suis de la haute classe ! Je suis Raiponce de Corona ! Cria-t-elle. Je vous ordonne de laisser ces gens sortir !
On la regarda, d'abord avec haine puis avec soutien. Elle voulait les aider, ils le comprirent tout de suite.
- Ouais, écoutez là !
- Vous allez pas la laisser mourir là ! C'est une riche ! Ouvrez !
Un des stewards s'avança avec un grand sourire. Il les reconnaissait, surtout Jack qui lui avait cassé l'arcade sourcilière. L'argenté aussi s'en souvint, il déglutit.
- Tiens, tiens, tiens, comme on se retrouve. On dirait que le rat est pris au piège cette fois-ci.
Il jubilait, le regard en pleine jouissance sadique à leur égard.
- Vous… Asséna Raiponce. Vous êtes de mèche avec ce Edgard de malheur !
- Exact. Je suis ici pour l'aider à purger ce navire de la racaille. Il va sans dire que le karma fait bien les choses. Vous voir ici tous les deux me remplit d'une satisfaction personnelle sans limite.
Jack serra fort sur les barreaux de la grille.
- Espèce de fumier ! Vous allez tuer des enfants et des jeunes femmes enceintes ! Vous le savez ça ?
- Bien sûr, c'est le but. Que la vermine ne se reproduise pas !
- MONSTRE !
Raiponce sentait la rage lui comprimer le cœur. Elle en oublia sa fatigue et le froid qui l'habitait tant elle était révoltée.
- Et oui, chère Lady Corona, vous avez fait votre choix. Celui de vivre avec un pouilleux. Dans ce cas, votre place est avec eux. Tous les traîtres à leur sang méritent de croupir dans ces eaux froides à jamais.
- Vous ne vous en sortirez pas comme ça ! Si Pitch apprend que vous m'avez laissée mourir il vous détruira ! - Ce qui est bien la seule chose d'utile qu'il pourrait faire de sa vie * marmonne*
- Monsieur Black ? Oh, il n'en saura rien. Il doit déjà être sur un canots avec les autres. Au pire, je dirais que je vous ai vu choisir la mort plutôt que de remonter. Votre fin sera l'apothéose de cette soirée. J'attendais ça avec impatience.
Il ricana avec les deux autres, cela faisant enfler de colère tous les passagers présents. Un mouvement fort se comprima contre la grille sous les rire tonitruants des matelots. Raiponce le fixa avec rage avant de sentir Jack la tirer en arrière pour sortir de cette dangereuse marée humaine.
- Ils ne nous laisseront jamais sortir ! Ils vont nous laisser mourir ici, asséna le jeune pauvre. Edgard a bien joué son coup ! Le salaud !
Il serrait les poings de hargne. Raiponce secouait la tête, incrédule.
- Aster ne laissera pas faire ça ! Ni le capitaine ! Ils viendront nous aider !
- Peut-être, mais… Ils sont sûrement occupés en ce moment. Ca doit être la débandade là-haut… Il faut trouver un autre moyen !
- Lequel ?!
- Je ne sais pas encore je…
Jack se massa l'arrête du nez pour calmer son angoisse qui remontait comme un geyser en lui. L'eau allait les rattraper, ils étaient coincés. Ils allaient se noyer à nouveau et mourir ici. La crise d'angoisse l'empoignait de toutes parts. Il tenta de se calmer quand sa chérie lui lâcha la main.
- Mon soleil… ?
Rouvrant les yeux il la vit fondre vers le fond du couloir et la suivit au pas de course.
- CASSANDRA !
La blonde fonça vers sa sœur de cœur qui marchait au ralenti comme un pantin mécanique. La domestique leva des yeux lourds et sentit un corps l'empoigner avec amour.
- Mon dieu, j'ai eu si peur de te perdre ! Ma Cass' adorée ! Mais que fais-tu donc ici ?
La brunette ne répondit pas à son étreinte, dans un état second. Raiponce le sentit et se desserra pour la regarder. Elle aussi était frigorifiée et trempée.
- Que s'est-il passé …? Ne me dis pas que tu étais dans le Pont E quand tout est arrivé ?
La jeune femme opina lentement et se laissa tomber au sol.
Surpris, Jack vint aussitôt à son niveau pour lui caresser le dos.
- Tout va bien, tu es au sec maintenant, on va…
Il ne termina pas sa phrase. Non ils n'allaient pas pouvoir sortir… Toutes les grilles étaient closes…
- Que faisais-tu là-bas ? Ne me dis pas que tu me cherchais ?!
Nouveau mouvement de tête positif. La comtesse se mit à pleurer. Tout était de sa faute ! Si sa sœur de cœur avait été en bas c'était pour elle. Oh comme elle s'en voulut en cet instant !
- Oh non, Cass', je suis tellement désolée…
Les bras l'une dans l'autre, la brunette se sera à son tour, aucune larme ne pouvant plus sortir de son corps.
- Il est mort, murmura-t-elle. A cause de moi il est mort…
- Qui ça ? Questionna Jack.
- Varian.
- L'ingénieur ?
- … Il m'a sauvé la vie… Mais moi… Moi qui l'ai entraîné là-bas, je l'ai laissé mourir…
Le couple se serra contre la domestique qui se mit à crier à la mort à nouveau. Elle s'accrocha à eux pour essayer de chercher un peu de chaleur mais son cœur était aussi froid que l'eau du Pacifique.
- Raconte-moi ! Ordonna Raiponce. Dis-moi ce qui s'est passé !
- On te racontera aussi, lui sourit Jack en lui caressant la nuque.
Cassandra se replongea un instant en arrière, les mots ayant du mal à sortir avant d'affluer comme un torrent infâme.
* Plus tôt *
Les cloisons hermétiques s'était refermées, Cassandra et Varian étaient coincés dans la salle des machines, condamnés à mourir.
- NON ! NON ! NON ! Hurla Varian en frappant sur le métal. PAS CA !
Cassandra fixa le geyser afflué par la plaie béante du Titanic. Dans quelques secondes c'était terminé ! Elle se mit à crier et à frapper à son tour, terrorisée.
- Ouvrez ! Par pitié ! Quelqu'un ! S'étrangla-t-elle.
- Laisse tomber, ils n'ouvriront jamais ! Ils vont protéger le navire du naufrage, on a eu la malchance d'être en première ligne !
Cassandra fondit en larmes, se laissant complètement submerger par la peur de mourir.
- AU SECOURS !
Elle frappa à nouveau dans le vide.
L'eau grimpait si vite, ils ne tiendraient pas longtemps. Varian se retourna et se mit à réfléchir à tout allure.
- Il y a toujours plusieurs solutions à un même problème ! Suis-moi ! Heureusement, je connais ce navire comme ma poche !
La brunette se fit prendre la main et traîner à la nage vers la morsure du métal. Elle résista en reculant.
- Qu'est-ce que… !
- Fais-moi confiance !
La domestique se laissa guider, tremblante de la tête aux pieds. L'ingénieur sortit un outil de sa poche et se mit à déboulonner un carré dans le plafond avec rapidité tout en se retenant contre une machine. On sentait la maîtrise dans son geste tandis qu'elle se raccrochait à lui, tirée par l'aspiration de l'eau.
- Varian ! VARIAN !
- J'y suis presque !
L'eau les avalait jusqu'aux épaules. Aux portes de la noyade, ses pensées se tournèrent vers sa sœur de cœur et sur Jack qui étaient eux aussi probablement dans la panade. Le destin était décidément bien cruel avec eux… Il voulait leur mort à n'en pas douter. Cassandra hurla quand l'air devint rare. Elle inspira et se retrouva sous l'eau entre deux vagues avant qu'enfin, la porte du plafonnier ne cède.
- Monte !
Varian la souleva et la fit pénétrer dans un dédale de tuyaux brûlants. Elle hurla à leur contact avant que son ami ne la rejoigne tout en prenant soin de refermer la cale avec les mêmes boulons. Transie de frayeur, Cassandra toucha les parois exiguës qu'elle sentait se refermer sur elle par un tour de son esprit.
Quand le calme revint, Varian chercha au hasard, dans le noir, avant de trouver la main de Cassandra qu'il serra dans la sienne. Il haletait lui aussi. Une chaleur monstre les faisait suer contre les tuyaux du four à charbon.
- Est-ce que… ça va ? Demanda-t-il
- Ah, ah,… Ça va… Reprit-elle en cherchant à calmer son cœur. Je… Je croyais que ton navire était le plus sécurisé du monde, bordel !
- … Il est comme n'importe quel autre bateau, Cassandra, il prend l'eau si on perce sa coque.
- JE LE SAIS BIEN mais …! Mais il n'était pas insubmersible ?! Hein ?!
Varian sentit les larmes monter. Ils avaient dû entrer en contact avec quelque chose en mer, probablement un iceberg comme il était courant dans la région.
- Il faut croire que non, sanglota-t-il.
Cassandra stoppa sa colère pour se rapprocher de lui, totalement au pif elle tomba sur son torse et posa sa tête.
- Tout est de ma faute ! Gémit l'ingénieur. Je n'ai pas su faire un navire plus solide et j'ai… j'ai demandé à avancer les moteurs au maximum pour impressionner la galerie. C'est pour ça que l'équipage n'a pas pu éviter l'obstacle, quel qu'il soit !
- Ne dis pas ça… On en sait rien pour l'instant…
- Moi je le sais, je ne suis qu'un minable comme on me l'a toujours répété enfant ! J'y ai cru cette fois, vraiment cru… Mon père aurait encore honte de moi ! Je ne suis qu'un raté ! J'ai fait tuer des machinistes ! Et j'ai failli te perdre aussi !
- Arrête !
La brunette se blottit contre lui et se serra. Il sentit son cœur bondir avant de lui caresser les cheveux. Le métal hurlait sous leurs corps. L'eau ne leur laisserait aucun répit.
- On doit fuir, on ne peut pas rester là, déclara l'homme en se soulevant un peu avant de se cogner contre un tuyau.
- On est bloqués…
- Attends… Laisse-moi réfléchir deux secondes.
Cassandra fouilla dans ses poches à la recherche d'une source de lumière, en vain, elle n'avait que ses couteaux. Son compagnon d'infortune se mit à remonter le couloir de tuyaux en lui intimant de le suivre. Il fallait qu'il trouve la trappe suivante, celle qui donnait sur le pont D, utilisée pendant les maintenances.
Alors, le bateau commença à pencher et l'homme buta sur la jeune femme. L'eau s'infiltra à son tour tel un machiavélique prédateur. Varian serra sa damoiselle contre lui avec force, prisonniers à nouveaux dans une cage à lapins.
- Vite, vite !
Varian pressa le pas en frappant au hasard sur les installations supérieures.
- Si seulement il y avait de la lumière !
- Je vais t'aider !
Cassandra frappa avec lui en cherchant des boulons différents des autres au toucher. L'eau s'insinua rapidement, la terreur gonflant en eux. Les larmes au bord des yeux, Cassandra lui prêta un couteau pour qu'il puisse chercher un interstice à ouvrir. Varian était désespéré de pouvoir un jour revoir la lumière du jour quand ses mains de maître se souvinrent d'une rainure connue par ses doigts. Le signe d'une ouverture à répétition.
- LA ! Cassandra ! Aide-moi à l'ouvrir !
Déboulonnant les coins, Varian se pressa, submergé par des vagues d'eaux froides sur les tuyaux bouillant qui créèrent un écran de fumée invivable pour le couple. Crachant leurs poumons, ils se postèrent sous l'ouverture avant d'insérer un couteau chacun et de forcer l'ouverture.
Lorsqu'elle céda, une nouvelle vague d'eau les engloutit de plus belle. Le pont D était aussi immergé que le E. Varian comprit que le Titanic allait alors réellement couler et qu'il n'y avait plus rien à faire pour le sauver.
Avec vigueur, d'un même ensemble, ils s'extirpèrent de là pour remontrer à la surface, se cognant au plafond penché. Le courant était si puissant qu'ils durent forcer pour essayer de remonter le couloir. Varian ne lâchait pas la précieuse main de sa nouvelle amie qu'il poussa en avant pour la faire remonter.
- Le courant est trop fort ! On y arrivera pas ! Hurla-t-elle.
Derrière eux, le courant les attirait vers une salle totalement immergée où tournait des hélices à nu du refroidissement du bateau, toujours en marche, qui augmentait la force d'aspiration. Petit à petit, elles les ramenaient à elles, bien décidées à les manger tous crus. Dans un vain espoir de lutte, les deux jeunes adultes battaient des jambes et des bras, encore et encore et encore ! Toujours plus énergiquement, ils tentaient de gagner contre l'inévitable force de la nature.
Varian n'était pas un sportif né, il sentait qu'il n'allait plus pouvoir y arriver. Cassandra était bien plus robuste. Elle ne devait pas mourir par SA faute. Elle devait vivre à tout prix ! Retrouver sa sœur de cœur et fuir avec ce Jack Frost.
Etrangement, Varian se sentit bien.
Abandonner était plus facile qu'on ne le pensait. Plus agréable. Il entrevit, fugacement, le regard fier de son père lorsqu'il lui avait montré son projet du Titanic et lorsqu'il l'avait emmené à son inauguration officieuse au port. La fierté de ses yeux, la joie d'avoir un fils aussi doué. L'amour quand il l'avait serré contre lui avant de le féliciter. Ce serait là sa dernière image avec celle d'une magnifique jeune femme qui rougissait de plaisir quand on lui prenait la main et qu'on lui parlait combats de couteaux.
Il sourit avant de donner ses dernières forces pour pousser Cassandra le plus loin possible contre un énorme tuyau blanc de refroidissement.
- SOIS HEUREUSE POUR MOI !
La brunette se retourna, choquée, avant de le voir sourire et disparaître dans une vague, englouti par l'eau et les hélices carnassières. Le choc la paralysa tandis qu'une mare de sang rougeâtre remonta à la surface. Elle trembla et soudain, se mit à comprendre ce qu'il venait de se passer.
- VARIANNNNNNNNN ! NOOOOOONNNNN !
Les hélices s'arrêtèrent soudainement. Était-ce à cause du corps déchiqueté dans ses pales ? Cassandra n'en savait rien, ce qu'elle savait en revanche, c'était qu'elle venait d'assister à la mort de celui qui avait réussi à déverrouiller et voler son cœur.
La survie l'avait alors rattrapée. Elle avait fui et profité du courant faible pour remonter le pont D avant de s'effondrer plus loin. Le corps parcouru de spasmes incontrôlable elle ne pouvait enlever la dernière image de son esprit.
Varian englouti, le sang, le froid, la mort.
* Dans le présent *
Raiponce pleurait à chaudes larmes, Jack aussi. Cassandra n'était guère mieux en apprenant la propre histoire du couple coincé dans les profondeurs du pont E et leur rencontre avec les Stabbington.
Le trio avait réussi à survivre mais... à quel prix ?
- Pauvre Varian, il ne méritait pas cela… tout ça parce que j'étais au pont E, je suis tellement désolée… Sanglota Raiponce, ignorant la masse en colère qui frappait toujours sur les grilles.
Cassandra secoua la tête, dans les bras d'un Jack déconfit.
- Tu ne pouvais pas deviner ce qui allait se passer. Personne ne le pouvait ! Var… Lui non plus.
Son nom, elle n'arrivait même plus à le prononcer. C'était trop douloureux, trop frais.
Jack redonna sa sœur à Raiponce, soudain remonté à bloc pour sortir d'ici. Terminés les sacrifices et les souffrances, ils devaient à tout prix rejoindre un canot et se barrer à tout jamais de ce piège à rat.
- On ne pourra pas fuir…, répliqua Cassandra en le fixant. C'est fini Jack.
- Je refuse d'abandonner maintenant, pas après tout ça ! On va trouver un moyen de contourner les grilles et prendre un des derniers canots.
- Des canots… ricana-t-elle amèrement. Il n'y en a pas assez pour la moitié, si ce n'est plus, des passagers. Et de ce que j'ai compris, seuls les riches peuvent embarquer. Alors, nous, on a aucune chance. Une fois dans l'eau on ne survivra pas.
- Rien n'est encore joué ! Déclara la blonde le regard fort. Peu importe que le nombre de canots soit limité ou que l'eau soit mortelle. On se battra, jusqu'au bout. Sinon, à quoi bon avoir lutté pour sortir de l'eau ? A quoi bon avoir choisi de vivre loin de Gothel une bonne fois pour toutes ? Non, on doit le faire ! C'est ce que ton Varian voudrait !
« Sois heureuse pour moi »
Cassandra ravala sa douleur et se fit violence pour se remettre sur ses jambes. Elle tangua un moment sous le coup de l'émotion soudaine puis se retint à sa sœur de cœur.
- Je ne veux pas vous perdre, vous aussi… Par ailleurs, je suis heureuse de vous revoir en vie. Qu'on ce soit finalement retrouvé… Même de cette manière, cela apaise un tout petit peu mon cœur.
Le couple lui sourit tristement en la câlinant.
- Nous aussi, on est heureux de te savoir avec nous et en vie.
- On allait venir te chercher de toute façon, lui dit Jack d'un clin d'œil.
Un fin sourire s'étira sur la bouche de Cassandra avant de disparaître à nouveau. L'eau venait de percer le pont C et d'engloutir les traînards sur son passage, c'est ce qu'ils entendirent d'un passager qui revenait d'en bas.
- On doit se dépêcher ! Reprit l'argenté. Faut qu'on trouve un moyen de remonter !
- Pourquoi ne pas emprunter la tuyauterie à nouveau ? Tenta Raiponce.
Cassandra et Jack secouèrent la tête avec vigueur.
- NON, PLUS JAMAIS !
- NON, PAR PITIE !
- Euh…, Ok. Dans ce cas… Il va falloir qu'on casse ces grilles, déclara la comtesse.
- Mais comment ?! Je n'ai que des couteaux sur moi, répondit sa sœur.
Cassandra fixa son arme numérotée quatre. Une nouvelle vague de douleur la comprima de part en part. Le numéro huit de son set, celui que Varian avait emmené avec lui… Il serait pour toujours à ses côtés, dans les abysses. Ironiquement, le huit avait été celui qu'elle préférait par sa forme en dents de scie…
- Cass' ? Ça va ?
- Je… Oui.
- On va chercher une arme, viens ! Déclara Jack. Tout le monde, venez ! C'est la révolution des petites gens !
Encensé par la vaillance du couple Jack et Raiponce, une bonne moitié des pauvres suivirent leur embrasement. Il était temps de montrer aux riches qu'ils n'étaient pas leur faire valoir nom de nom !
Plusieurs d'entre eux, furieux, arrachèrent des bancs en bois pour foncer sur la grille principale. Derrière, les Stewards leur demandèrent d'arrêter avant de sortir leurs armes à feu.
- STOP ! PAS UN GESTE DE PLUS !
Mais personne ne s'arrêta. Mourir en hommes libres ou mourir enfermés ? Le choix était vite fait ! Alors les coups de feu retentirent et les cris montèrent en puissance dans la masse. La colère d'une unité fondait sur les grilles devant le type à l'arcade cassée, impuissant.
Il tira de nouvelles fois, faisant des victimes parmi la foule et encore plus de haine. La grille grinçait dans ses gonds, elle souffrait le martyr face au poids de la foule et du banc en bois. Jack et Raiponce les incitèrent à continuer tandis qu'ils trouvèrent une hache de secours en parfait état dans une boite.
En panique, les matelots s'enfuirent en courant comme des couards tandis que la porte grillagée tremblait.
- Elle a bougé ! Encore !
- Attendez ! Poussez-vous !
Jack et Raiponce arrivèrent avec leurs armes, ignorant volontairement les quelques hommes à terre probablement morts, qu'ils brandirent en l'air pour frapper avec toutes leurs maigres forces sur le loquet. Cassandra les observa, reprenant une maigre motivation qui la maintenait debout. Elle évitait de poser son regard sur les cadavres encore frais.
- Un, deux, TROIS !
Nouveau coup de hache, la porte céda dans un grincement strident. Alors, les basses classes se mirent derrière le banc et foncèrent pour la coucher sur le sol en l'arrachant complètement du battant.
- ON EST LIBRE !
- HOURRA !
- ENFIN !
La masse informe fonça vers les escaliers supérieurs pour retrouver l'air libre.
Jack, Raiponce et Cassandra, épuisés, se mirent sur le côté pour attendre que le plus gros soit sorti. Une fois fait ils prirent les dernières marches avant de sentir le vent froid les congeler davantage. Raiponce se crispa en couinant de douleur. La morsure du gel sur sa peau humide la tétanisait. Cassandra n'était guère mieux…
- Venez, on doit se réchauffer avant tout autre chose !
Il les prit par les mains et les emmena sur les ponts supérieurs. En hauteur entre les deux ponts de classe, ils observèrent l'avant du navire, complètement aspiré par l'océan. Il ne restait que le pont B et A en état, ils ne se firent aucune illusion sur la suite…
- C'est un cauchemar, marmonna Jack en fixant le pont inférieur.
Les pauvres se massaient en courant vers les canots, bousculant tout le monde au passage. Une vieille duchesse se retrouva la tête la première au sol avec ses chats en caisse dans les bras. Elle sentit le poids des pieds sur elle, écrasée, avant que Thiana ne vienne à son secours.
- Que se passe-t-il ? D'où sortent-ils ?! Hurla Aster qui descendait un autre canot bien rempli de nobles.
« Ce sont les classes deux et trois !» Constata Sandy.
- Quoi ?! Mais, pourquoi sortent-ils seulement ceux-là ! Je pensais que… Qu'il ne restait plus beaucoup de monde ! Je n'avais pas remarqué…
« Moi non plus. Je ne pensais pas qu'on était autant… »
Les deux hommes se fixèrent tout en reprenant leur travail devenu à présent un cauchemar. Tout le monde voulait son embarcation. La rumeur des canots manquants s'était répandue comme une traînée de poudre !
- Un peu de discipline ! Stop !
- En arrière ! En arrière !
Les stewards étaient débordés. Avec la masse qui arriva ce fut l'anarchie, une véritable cohue sans forme ni visage.
- Les femmes et les enfants d'abord ! Beugla Aster à s'en décrocher la mâchoire !
Les basses classes ne prenaient plus la peine d'écouter les ordres, ils bousculaient les riches et volaient leur place du mieux qu'ils le pouvaient. Ils n'avaient plus confiance en l'équipage. Seule leur survit comptait.
- Là, ici !
Thiana arriva avec la Comtesse, madame de Bonnefamille qui pleurait pour qu'on prenne au moins ses chats.
- Venez, je vous fais une petite place ! Poussez-vous, laissez-la passer ! Hurla Aster en dégageant des hommes entreprenants. Les femmes et les enfants d'abord !
La vieille femme les remercia du fond du cœur avant de prendre Duchesse, O'malley, Berlioz, Toulouse et Marie, ses chats, pour les sauver du naufrage. Ils miaulaient, terrifiés dans leur cage, tandis que certains chiens se mirent à japper de concert. Par chance la grande dame avait été acceptée ici ! Un horrible bonhomme du nom d'Edgard l'avait refusée là-bas car elle n'avait pas pris son argent avec elle…
- Allez, on en descend un de plus ! STOP ! Arrêtez DE POUSSER !
Ca criait, ça poussait, ça hurlait, ça tombait à l'eau. On écoutait déjà plus la musique de l'orchestre.
Nicholas regarda la scène avec une telle douleur qu'il crut que son corps allait se briser de lui-même. Qu'avait-il fait … ? Les yeux mi-clos, l'homme se rendit compte que les classes inférieures n'avaient pas encore eu leur chance, ce qu'il n'avait même pas remarqué par-delà son état second. Double coup de couteau. Puis un troisième, le plus douloureux peut-être… Un de ses stewards l'informa de la mort de Varian et de plusieurs centaines de pauvres dans les bas-fonds du Titanic. Ils avaient tout entendu pendant que certains retenaient les basses-classes, le désastre ne faisait que se confirmer.
Le capitaine lui demanda de partir tout en regardant la pointe avant du navire commencer à descendre. Tous allait si vite.
- Puissiez-vous me pardonner un jour…
Nicholas retourna dans sa cabine et ôta sa tenue de nuit pour enfiler son plus beau costume de capitaine. Il mit sa casquette et se rendit dans les ponts supérieurs pour intimer tout le monde de fuir le plus vite possible. Certains nobles ne voulaient pas sortir car il faisait trop froid ! Ils ne comprenaient rien à rien et cela désola le barbu qui regarda la plus belle pièce de son navire avec un sourire nostalgique.
Le dôme de verre. Qu'il était beau !
Il vit passer des personnes connues, Raiponce, Jack et Cassandra qui fonçaient vers les cabines. Il n'eut pas le force de les interpeller et préféra prier pour eux avant d'aider aux canots une toute dernière fois.
Son chant du cygne.
Dans la chambre chauffée de Lady Corona, la blonde se précipita sur son lit où traînait ses plus précieux trésors.
- Ils l'ont bel et bien pris.
- De quoi ? Demanda sa sœur de cœur.
- Le cœur de l'océan. Les jumeaux, tu sais, je t'ai raconté.
- Ah, oui… Quels crétins.
- Ca c'est sûr, assura Jack en prenant des couvertures pour s'essuyer dans la salle de bain.
Frigorifiées, les filles allèrent se réchauffer devant la chaudière à eau chaude. Elles regardèrent leurs marques de lutte respective, la mine triste.
- C'est Pitch qui t'as fait cela ? Questionna la blonde.
- Oui… Et toi ?
- Les stewards d'Edgard et lui.
- J'espère qu'ils vont couler avec le navire.
- Penses-tu, ce seront les premiers partis.
Les sœurs soupirèrent de concert. Jack les rejoignit tandis qu'il observait Raiponce ranger sa boite en argent dans son sac où se tenait toujours le carnet d'Arianna, les photos souvenirs ainsi que son carnet à dessin. Il lui sourit en regardant son propre bâton, strié d'éraflures.
- De quel couleur vous voulez notre future maison ? Questionna-t-il.
Surprises, les filles firent les yeux ronds avant de se regarder.
- Moi je veux du mauve, répliqua la blonde d'un rire.
- Moi du noir ou du bleu.
- D'accord, je note.
- Et toi, Jack, que veux-tu pour notre maison en forêt ?
- Hum, du chauffage.
Ils rirent en cœur par-delà quelques sanglots dissimulés.
- Vous croyez qu'on pourra avoir un jardin avec des plantes à cultiver ? Et des fleurs partout ? Reprit la comtesse.
- Bien sûr, tout ce que tu voudras ! On rajoutera une salle remplie de couteaux pour la miss, enchaîna le jeune homme.
Cassandra haussa les lèvres.
- Une salle d'arme, ouais ça me tente bien. Et une cave pour faire de l'alcool aussi !
- Rien que ça, mademoiselle a des goûts de luxe, répliqua la blonde.
- Dit-elle.
Un silence recouvrit la cabine alors que les lumières vacillèrent à nouveau dans un bruit de craquement lointain.
- Si jamais… Si je ne survis pas, s'exprima Jack. Pourriez-vous me promettre de retrouver Emma pour moi et de lui raconter qui j'étais ?
- Jack ! Ne dis pas ça !
- Mon soleil… Varian est mort, je pourrais tout aussi bien y passer, ou vous deux. S'il te plaît, ma chérie, promets-moi que tu feras tout pour la retrouver, je t'en conjure ! Assure-toi qu'elle est heureuse pour moi !
La comtesse se recroquevilla avant d'opiner.
- Tu sais bien que jamais je ne la laisserais tomber… Mais, si c'est toi qui survis, Jack, je veux à tout prix que tu protèges Cassandra pour moi.
- Eh ! Je ne suis plus une enfant ! C'est moi qui le protégerais. Il est si faiblard.
Jack sourit.
- Je te le jure.
- Mais ça nous arrivera pas, hein, tu ne vas pas mourir, Jack ? Ni Cass' !
- On ne sait pas, répliqua sa sœur. On ne sait jamais…
Raiponce se blottit contre son astre avec force.
- Et pourtant, la mort vient frapper à votre porte. Toc, Toc, Toc, Il est l'heure de rendre des comptes.
Le trio se releva d'un même ensemble. Gothel et Pitch se tenaient là, avec une arme à feu et un couteau en argent.
- VOUS ! Fulmina la blonde.
Revoir leur visage, victorieux de surcroît, la dégoûtait.
- Vous ne pensiez pas qu'on allait partir sans toi, ma belle, souriait Pitch. On a un bon réseau de stewards avec nous, il fut simple de savoir où vous étiez à partir du moment ou vous avez franchi le pont extérieur. Oh, comme je suis content de te retrouver en vie ma princesse !
Il s'avança pour la caresser, elle sortit sa poêle en le pointant.
- Plaisir non partagé, grommela-t-elle.
- Mais c'est qu'elle a pris de l'ardeur la petite, commenta Astoria. J'ai presque l'impression de me voir avec quelques années de moins.
- Ne me comparez pas à vous, espèce de tortionnaire !
- Et pourtant… Tu devrais en être fière.
Cassandra se posta à ses côtés, couteaux sortis.
- Jamais on ne pourrait être fière d'appartenir à votre sang. Moi je m'en dégoûte.
- Toi… Tu n'es qu'une déception. Cela fait longtemps que je me suis désintéressée de ta personne.
Le trio et le duo se fixèrent en chiens de faïence.
- Raiponce, ma belle, tu sais bien que j'obtiens toujours ce que je désire. Même le destin est de mon côté, c'est pour dire. Tu as beau te débattre, tu seras toujours liée à moi. On se mariera et on aura de beaux enfants. C'est écrit.
- Même pas en rêve, je ne vous la laisserai jamais, cracha Jack.
- Oh, toi, bientôt, tu rejoindras les poissons, je n'ai que faire de ton avis.
Le canon se pointa sur son torse. Raiponce se plaça en face avec sa poêle.
- Vous ne le tuerez pas sans me tuer d'abord !
- Sans NOUS tuer d'abord, reprit Cassandra avec haine.
- Quels casse-pieds ces deux-là. Comme si vous pouviez lutter contre nous.
- Laisse-les rêver, ce sera leur dernière fois, ricana Gothel avec son poignard. Lorsqu'on les aura tué, on sera tranquille.
Raiponce la menaça :
- Vous n'oserez jamais tuer votre fille de sang, je me refuse à croire que vous êtes aussi mauvaise ! Il y a des limites à la cruauté. Vous l'avez enfantée, que diable !
- Et ? J'ai bien tué ma mère, enfin cette putain qui m'a mise au monde. Vous vous attachez trop aux gens, vraiment, c'est votre pire défaut.
- Quoi ?! Votre…Ta mère ?
- Oui. Elle était un obstacle à mon bonheur et puis je l'ai toujours détestée. Il n'y a rien de plus simple que de se débarrasser de quelqu'un de gênant.
Elle souriait malicieusement, Raiponce écarquilla les yeux de stupeur. Elle était pire qu'elle ne l'imaginait, bien pire !
- Allez, assez parlé, un canot nous attend à l'arrière avec Edgard. J'ai déjà tout organisé. Tu n'as plus d'échappatoire. En fait, tu n'en a jamais eu. C'était illusoire, dit Pitch en amorçant le canon. J'espère que tu te souviendras de mon regard lorsque tu passeras dans l'autre monde, Frosty !
Pitch Black tira sur Jack dans un bruit assourdissant d'où la vitre, derrière lui, se brisa. Le jeune homme l'esquiva de justesse grâce à la poêle de Raiponce qui fit ricochet. Celle-ci se retrouva à terre par la force de l'impact.
Alors, Pitch le pointa à nouveau et alluma la poudre pour le descendre. Gothel attrapa sa fille biologique pour la planter tandis qu'au dehors la cohue hurlait de tous côtés.
Le sang se mit à goûter sur le sol…
NDA : La situation s'envenime d'avantage à chaque minute qui passe, pendant que le navire coule et que les ennemis se confrontent dans le sang et la haine... Leur espoir de survit s'amenuise à chaque seconde !
A bientôt pour la suite ;)
