Bonne lecture !
Chapitre 16 : Derniers instants
Au-delà de la panique et du chaos, l'orchestre, étrangement, continuait de jouer sa sérénade. Les violons, les cordes, vibraient harmonieusement dans cette nuit glacée mortuaire. Ils n'avaient pas eu envie de se séparer, ils voulaient finir leur dernière chanson ensemble. Apporter à ce moment de déchainement quelque chose de spécial qui signifiait beaucoup pour eux. Ils voulaient saluer les défunts, saluer la tragédie, la fin du voyage.
A l'avant du paquebot, le navire touchait la surface, aspiré comme une ventouse. Le capitaine Nicholas observa les survivants se débattre pour les derniers canots dans cette impressionnante débâcle humaine indomptable. Il vit ça et là des personnes se marcher dessus, d'autres tomber comme des masses du navire tandis que la plupart courraient inexorablement vers les dernières embarcations et la poupe, dans l'espoir… L'espoir de vivre encore un peu.
Le spectacle était douloureux mais Nicholas n'en rata pas une miette, encré dans ses yeux hantés. Il descendit la barrière pour rejoindre son second avant de le prendre à part quelques secondes. Entouré d'une anarchie sauvage il lui sourit avec calme.
- Il faut que tu embarques, c'est ton tour mon ami. Je compte sur toi pour prendre soin des survivants et les emmener à bon port.
Bunnimond le regarda, l'air paniqué par tout ce qui se passait autour de lui.
- Venez avec nous capitaine ! C'est votre tour aussi!
- J'ai déjà prévu de partir avec Thiana et Sandy, répliqua ce dernier, toujours avec langueur. En mon absence c'est toi qui dirige, ne l'oublie pas. Je suis sûr que tu feras un très bon capitaine plus tard. Ne laisse pas cette soirée abimer tes rêves !
Nicholas le prit contre lui et lui souhaita bonne chance avant de se diriger vers l'autre côté du Titanic.
Aster regarda sa silhouette se diluer dans la masse, la boule au ventre, avant de reprendre son travail en repoussant ceux qui retournaient l'embarcation malgré eux. L'eau les avaient rejoint, il devait faire vite et couper ces fichus cordages avant qu'il ne soit trop tard. Dévoré par le froid polaire il enfila son gilet de sauvetage et sortit son couteau pour délivrer le dernier canot de son tombeau qui l'entrainerait à coup sûr vers le fond.
Thiana vit son capitaine avec soulagement. Affublée de son gilet avec son ami, elle lui fit de grands signes pour qu'il le rejoigne. Ils se trouvaient plus en hauteur, l'accès était beaucoup moins facile et oblique. Des courageux se lançaient pour attraper la barque qui commençait à descendre et à tanguer dangereusement. Nicholas se posta au pont supérieur et se pencha pour leur parler.
- Thiana ! Sandy ! Eloignez-vous rapidement du Titanic avant qu'il ne coule entièrement ! Prenez bien soin des passagers !
- Capitaine ! Rejoignez-nous ! Lança la domestique avec de grands signes. VITE !
- Ne vous en faites pas, j'ai déjà une place de réservée avec Aster ! On se rejoint plus tard ! Il faudra absolument sauver le plus de monde possible, vous m'entendez !
« Compris ! »
- Oui ! Mais par pitié, ne tardez pas à embarquer ! Nous ne vous en voulons pas pour votre erreur, Nicholas. Nous savons que l'erreur est humaine ! Alors je vous en prie, ne vous en voulez plus !
Les yeux du capitaine se remplirent de larmes d'émotions. Il sentit son cœur se serrer et lui sourit chaleureusement par-delà sa barbe blanche.
- Merci ! Votre pardon est important pour moi. Bonne chance, mes amis. N'oubliez jamais votre passion du voyage !
Sandy l'observa avec profondeur, soudain parcourue d'un frisson. Il hésita à rejoindre les barrières pour retrouver Nicholas mais se ravisa. Ils étaient déjà descendus trop bas et Thiana ne pouvait rester seule dans le canot. Elle ne savait pas comment se diriger en mer.
- Capitaine… laissa échapper la jeune femme avant de se retenir contre les cordes qui tanguaient dangereusement.
Des passagers hurlèrent quand le canot se trouva en biais par la droite, ayant failli faire tomber la steward. Sandy la retint de justesse et se dépêcha de tirer sur la poulie de gauche pour retrouver un équilibre précaire, à mi-parcours entre l'eau et le Titanic.
Nicholas les observa puis s'éclipsa lentement. Il remarqua, du coin de l'œil, trois passagers qu'ils connaissaient bien. Raiponce, Jack et Cassandra semblaient blessés et affaiblis sur le pont inférieur. Ils n'étaient pas arrivés à temps… Le capitaine les scruta en laissant ses larmes rouler et rejoignit l'intérieur de son navire.
- Pardonnez-moi, mes amis, pardonnez-moi tous… Votre fardeau sera le mien. S'il y a un fautif à tout ça, ce sera moi.
Calmement, le vieil homme marcha vers sa cabine, passant entre des fuyards qui hurlaient et cherchaient à survivre. L'océan mangeait l'avant de son navire, ses pieds trempés par un froid mordant. Une inspiration et il glissa dans l'habitacle de commandement où il retrouva son beau gouvernail en bois. Voilà des années qu'il tenait la barre. Des années de bons et loyaux services pour les compagnies maritimes anglaises et américaines.
Ses mains glissèrent longuement sur le tableau de bord avant que ses yeux n'accrochent l'eau miroitante qui reflétait une lune sans nuages. D'un mouvement solennel il leva sa main et salua le Titanic, derrière sa roue de guidage. Puis il attendit quelques minutes, écoutant le métal geindre de douleur et l'eau frapper sur les vitres. Il ne fallut que peu de temps avant que Nicholas n'aperçoive le gouffre de l'océan. Il posa ses yeux sur le fond noir abyssal et se demanda, l'espace de quelques dernières secondes, ce qui pouvait se cacher dans les profondeurs inconnues de leur planète.
Alors, les vitres rendirent leur dernier soupir. Elles éclatèrent en mille morceaux, remplissant l'espace aussi rapidement qu'un clignement de cil. Les mains sur le gouvernail, Nicholas se laissa couler avec son navire, sa dernière pensée filtrant pour ses amis.
- Cassandra ! Je t'en supplie ! Reste avec moi !
Raiponce martelait sa sœur de gifles et la retenait dans ses bras. Les larmes aux yeux elle comprimait sa blessure en appuyant sur la compresse rouge. Elle avait perdu tellement de sang durant leur fuite… Elle avait tellement forcé sur sa plaie remplie de sel…
Jack regarda la scène, impuissant, avant de frapper du poing sur les planches en bois. Il se releva en une grimace de douleur et fixa l'avant sombrer tout près d'eux. Ses yeux se retournèrent vers les hauteurs où deux canots descendaient encore. L'un était proche mais rempli d'une foule compacte essayant d'attraper sa place tandis que l'autre était presque hors d'atteinte, dirigé vers le ciel. Il hésita, pesa le pour et le contre de leur chance de survie puis opina.
- ON Y VA ! On a encore une chance ! ALLEZ !
- JACK !
L'argenté prit Cassandra comme un poids mort et la souleva de toutes ses dernière forces contre son bras valide. Puis il poussa Raiponce pour qu'elle court vers la pente infernale. Les yeux émeraudes de la comtesse se posèrent sur l'autre embarcation qui semblait plus accessible mais décida de faire confiance à son astre. Moins de monde signifiait plus de chances de réussir. Elle le comprit et le suivit alors qu'il tirait son bras en grimaçant.
Il leur fallut faire un effort démentiel, surhumain, pour gravir cette côte avoisinant les cent pour cent de dénivelé.
- Encore… un … effort… ! Déclara Jack en se tenant contre les barrières pour grimper.
Raiponce glissa et se rattrapa à un poteau pour éviter la chute vers les profondeurs.
- Raiponce !
- Avance ! Continue ! Je reste derrière toi !
Jack secoua la tête et attendit qu'elle remonte en attrapant sa main pour la ramener à lui.
- Je ne te quitte pas des yeux ! Déclara l'argenté. Je ne veux plus perdre personne !
Pas après pas, le trio se retrouva à mi-parcours, regardant le canot qui descendait par à-coups. Jack avait les yeux rivés sur l'embarcation, en transe. Il utilisa son bras valide pour faire avancer Cassandra et cria de toutes ses forces en tirant que la blonde. Alors il poussa, encore et encore pour que son amie avance, se resserrant contre les barreaux. Main dans la main avec la blonde il la hissa et la retint de dévaler la pente alors qu'elle usait de ses maigres forces pour se raccrocher aux piliers et aux cordages. Son genou la lançait affreusement. Elle se demandait comment il pouvait encore être en état de marche vu sa couleur violacée !
- Laissez-moi… Je vous ralentis, Haleta Cassandra. Laissez-moi rejoindre Varian. Vous n'avez pas besoin de moi…
- Tais-toi ! Hurla la blonde. Moi j'ai besoin de toi ma sœur ! Je ne veux pas te perdre par ma faute ! Tu es ma dernière famille !
- Je te laisserai pas, répondit Jack catégorique. Tu vivras ! Tu le mérites plus que quiconque !
- Jack… Raip'…
Cassandra remarqua des larmes dévorer ses joues tandis qu'elle sentait le corps de Jack la maintenir avec force et amour. Bientôt ce fut le bras de Raiponce qui la conduisit vers les hauteurs. Ils étaient tous deux d'une grande chaleur pour elle.
- Je vous aime tellement, balança la brunette quand, enfin, elle atteignit les poulies du canot.
Jack lui sourit et regarda Raiponce se retenir au bastingage vernis. Les deux filles s'accrochèrent comme des moules à un rocher tout en regardant, plus bas, l'embarcation faire de lents mouvements pour rejoindre l'océan.
- THIANA !
La steward releva aussitôt ses prunelles colorées pour les poser sur ses amis. Un cri de stupeur et des larmes explosèrent sur son visage avant de stopper la poulie et de crier à Sandy de faire de même. Remonter serait impossible à cause des cordages abimés.
- Sautez ! Vite ! Ça va bientôt lâcher !
« Venez ! »
Cassandra ne s'en sentait pas la force. Elle regarda le gouffre entre leur position et le but d'arrivée. Impossible, elle allait rater son coup. Soudain, un choc arrière la fit se soulever par-dessus bord et pousser puissamment vers l'océan. Le regard incrédule, elle vit Jack la renverser vers le canot tandis qu'il souriait. Elle crut revoir Varian l'espace d'un instant et sentit son cœur rater un battement. Elle hurla pendant la chute et se fit attraper par les deux matelots qui s'étalèrent ensemble.
Le canot tangua dangereusement, menaçant de se rompre et se fracassant contre la coque du Titanic. Les passagers hurlèrent de frayeur tandis que Sandy tentait de stabiliser la barque du mieux qu'il le put. Thiana, à côté, tenait son amie dans ses bras avec force comme pour la protéger de tout.
« A vous ! » Mima Sandy en tendant les bras.
- Ca ne tiendra pas, Jack. On n'y arrivera pas…
- Ca ira, ne t'en fais pas. Tout ira bien, rassura le jeune homme en lui baisant le front.
D'un sourire il la prit dans ses bras en humant avec ferveur son odeur de fleur qui s'était accompagné de sel et d'algues. Elle sentait comme une sirène… Puis, il l'attrapa par les bras et la poussa à son tour.
- NON ! JACK ! NOOOOON !
Raiponce se retint aux cordages mais il lui fit lâcher prise en frappant du bâton sur sa main.
- JAAAAAAAAAACK !
* Paf *
Raiponce était dans les bras de Sandy, ayant perdu son étreinte pour une autre. Le canot hurla, couina, se rompant vers la gauche. Quelques passagers s'étalèrent tandis que d'autres tombèrent dans l'eau. Thiana serra fort Cassandra avant de chercher la poulie pour la débloquer et reprendre pied. Raiponce se releva aussitôt, les yeux humides.
- JAAACK ! VIENS ! JE T'EN SUPPLIE !
Il secoua la tête.
- Si je le fais, vous coulerez. Mon cœur, tu dois survivre. Avec Cassandra. Vous méritez d'être heureuses. Vous en faites pas pour moi. Je ne suis qu'un passager dans votre vie. Mon but était peut-être de vous sauver. Voilà pourquoi j'ai survécu tout ce temps ! Ah, n'oubliez pas Emma ! Je vous en supplie !
Il pleurait. Raiponce secoua frénétiquement la tête, retenue par Sandy, hurlant qu'elle ne voulait pas le quitter, qu'elle voulait rester avec lui. Elle sentit ses jambes se dérober et trembla. Elle regarda Jack devenir de plus en plus petit, le cœur en miettes. Cassandra posa sa main sur elle et pleura avec sa sœur.
- Cass'….
La comtesse la fixa puis regarda Jack à plusieurs reprises. Elle fronça alors les sourcils et enleva son sac pour le confier à sa sœur de cœur.
- Prends en soin comme s'il faisait partie de toi.
- Quoi… ?
- Prends soin de mes trésors. Ma sœur, je t'aime tellement. Tu trouveras le bonheur, je n'en doute pas.
- Raip'… RAIPONCE !
La blonde se souleva faisant balancer le canot qui se rompit. Alors, elle poussa Sandy qui voulut la tenir et sauta vers le Titanic penché. Elle hurla, appuya de toutes ses forces sur son genou blessé et se lança vers la barrière.
- RAIPONCE ! NON ! NE FAIS PAS CA !
Jack sentit son ventre faire un moulinet avant de foncer droit vers une ouverture pour redescendre dans le navire.
Raiponce s'accrocha au bastingage avec la force d'une sportive olympique et se hissa à l'intérieur. Plus bas, elle vit le canot frapper la surface de l'Atlantique, Cassandra à son bord. Elle vit Thiana la regarder et Sandy rattraper ceux qui étaient à l'eau pour les remonter.
- Bonne chance ma sœur… Pardon… Pardon.
Des larmes s'enfuirent de ses yeux jusqu'à l'océan avant que la blonde ne rentre à son tour dans le Titanic. Ses couloirs, ses murs, ses lumières vacillantes, encore. Elle avait l'impression de le connaitre par cœur à force d'avoir couru à travers lui pendant des jours, des heures durant. Mais peu lui importait l'eau qui courrait sur ses chevilles. Peu lui importait les cadavres qu'elle dépassa. Peu lui importait sa propre vie. Elle ne voulait pas se séparer de Jack.
Elle refusait de vivre sans lui. C'était son âme sœur, sa moitié, sa raison de vivre !
De l'autre côté, Aster réussit à retourner le dernier canot dont l'eau s'exfiltrait de l'intérieur. Il avait réussi à couper les cordes et poussait l'embarcation pour la faire dériver sur la surface. A son bord, une femme hystérique repoussait tous les nouveaux venus à grands coups de couteau argenté. Du sang se répandait sur les lattes de bois et sur sa tunique, bien décidée à survivre quoi qu'il arrive.
Tout à coup, un bruit métallique chouina tout près d'eux. Un grincement sonore et bruyant s'éleva dans les airs par-delà les cris de centaines de passagers en détresse. Les liens qui retenaient les cheminées venaient de lâcher, les uns après les autres, poussés par la force du courant. L'une d'elles, dans un bruit assourdissant, s'effondra vers des centaines de fourmis humaines.
Parmi la foule, des Stewards retardataires dont celui à l'arcade brisé nageait vers l'arrière du navire penché avec toute sa hargne. Il entendit la cheminée plus qu'il ne la vit tomber. De terreur, il poussa des pauvres pour gagner du terrain et se dépêcher de fuir. Le colosse de fer, imperturbable à l'agitation, s'effondra sur l'eau en un giclement salé, écrasant une centaine de personnes au passage. Du sang se répandit partout autour et des corps qui se mirent à remonter à la surface avec leur gilet de sauvetage. Personne n'en avait réchappé.
Une vague se souleva par l'impact et le canot d'Astoria Gothel se retourna à nouveau. Elle hurla, se retrouvant sous l'eau, butant contre d'autres bras, d'autres jambes en panique. S'agrippant au premier venu et son gilet de sauvetage elle le poignarda à plusieurs reprises et remonta à la surface avec lui. Respirant l'air à grandes goulées, presque tétanisée par le froid, Astoria usa de son adrénaline pour retirer le gilet rouge de sang du mort avant de l'enfiler.
Puis elle observa Bunnimond tenter de retourner la barque en lui apportant son aide. Plusieurs personnes poussèrent, résistant à l'aspiration du navire qui voulaient les emmener voir les abysses. Les sans gilet disparurent sous l'eau en une fraction de seconde. Les muscles tendus par l'effort et la peur, la marâtre décrocha un long cri avant de réussir, avec les autres, à repousser la barque dans le bon sens.
Aussitôt, une multitude de mains de toutes les couleurs s'agrippèrent pour monter à bord dans une frénésie de survie. Repoussant avec sa lame, écorchant les peaux et les visages, la veuve noire se fraya un chemin jusqu'au bord du canot avant de monter sur deux corps pour atteindre son but. Elle valsa dans la barque et attaqua ceux qui la faisait tanguer par leur poids. D'autres réussirent à monter et bientôt, Aster fut le suivant tout en aidant certains à le rejoindre. Il voulut arrêter Gothel dans sa folie, en vain. D'autres qu'elle la rejoignirent et frappèrent pour empêcher les noyés de rejoindre leur radeau de survie.
Circonspect et impuissant, Aster Bunnimond se dit que l'humanité cachait une bien horrible laideur que certaines circonstances pouvaient révéler. La moitié des passagers du canot repoussaient leurs homologues sans vergogne, quitte à les blesser voir les tuer. Un massacre qui allait hanter ses nuits pendant des années, il le savait.
S'éloignant de la masse à coups de rame, le dernier des canots prit le large le plus loin possible du Titanic, rejoignant plus loin des quinzaine d'autres qui attendaient, leurs occupants recroquevillés les uns contre les autres, à attendre que les secours viennent les sauver… A attendre une lueur d'espoir dans ce chaos.
La plupart savaient ce qu'ils avaient fait. Riches ou pauvres , ils avaient laissés d'autres mourir à leur place. Ils seraient condamnés à vivre avec ce poids toute leur vie.
Le paquebot se souleva davantage, atteignant presque la verticale. Les dernières cheminées lâchèrent prise, s'étalant de tout leur poids dans la mer qui se souleva par vagues pour engloutir les plus démunis.
A l'intérieur, Raiponce courut à en perdre haleine dans les couloirs penchés, marchant presque sur les murs. Son cœur tambourinait dans sa poitrine tandis qu'elle longeait différents couloirs avant de prendre un escalier inversé. Ses cheveux salés courraient derrière ses pieds nus, claquant à chaque détour, à chaque porte passée. Les yeux à la recherche de son astre, la blonde déboula dans le dôme de verre par la porte des cuisines, la respiration saccadée et sifflante.
Des riches étaient encore présent, incapables de rejoindre un des canots ils avaient préférés rester là, à attendre leur heure, dans la dignité religieuse de leur classe.
Tournant plusieurs fois sur elle-même, la comtesse entendit son prénom.
Elle se tourna et le vit en haut des escaliers centraux, en larmes elle accourut pour le rejoindre, le cœur dansant la parade de l'amour. Jack lutta contre l'attraction arrière pour sauter les marches et attraper Raiponce au vol comme un fou.
- POURQUOI ?! RAIPONCE … POURQUOI ?!
Il pleurait et se mit à l'embrasser à plusieurs reprises, partout où il le pouvait.
- Tu n'aurais pas dû ! Tu aurais dû fuir avec Cassandra ! Tu es folle !
Avec force, l'argenté la serra de tout son amour, heureux et triste à la fois de l'avoir contre lui.
- POURQUOI ?! Répéta-t-il en larmes.
Raiponce détacha son beau visage de son torse et le fixa.
- Ensemble jusqu'au bout. Tu me l'avais promis !
- … Ensemble jusqu'au bout, répéta-t-il en la serrant de nouveau.
Sa chérie s'agrippa à lui et se lova, ignorant les plaintes du navire et les lumières qui crépitaient dangereusement. Rien ne pouvait la sortir de sa bulle, de son amour. Elle souriait à travers ses yeux humides.
- Je préfère mourir avec toi que vivre sans toi… Jack, je t'aime, je t'aime plus que tout ! Tu es mon trésor. Je resterai à tes côtés ! Je ne veux plus jamais abandonner ceux que j'aime. Plus jamais !
- Mon soleil…
Il l'embrassa fort sur le front puis la contempla pour s'enivrer de ses traits angéliques.
- Moi aussi je t'aime. Tu es mon essentiel, et, je suis heureux de pouvoir rester jusqu'à la fin avec toi.
- Toi et moi, quoi qu'il arrive.
- Ensemble.
- Dans la vie comme dans la mort.
Tête contre tête, le couple profita d'un dernier moment de tendresse avant que n'explose la vitre centrale et que l'eau ne s'engouffre en une cascade de la mort.
- Restons le plus longtemps possible sur le bateau, viens !
Jack prit la main de Raiponce avec son bras valide et ils se mirent à courir vers l'extérieur. Leur état les ralentirent mais il finirent par déboucher sur le pont arrière complétement soulevé et tiré par la proue du Titanic.
Sans se lâcher une seconde, Jack et Raiponce se frayèrent un chemin parmi les derniers survivants au sec -pour la plupart des deuxièmes et troisièmes classes-. Le navire hurlait de douleur, maintenant à moitié immergé. Il se soulevait de plus en plus vite comme tiré par un câble invisible sous l'océan.
Montant sur une passerelle, Jack aida Raiponce à l'enjamber avant qu'ils n'atterrissent plus bas sur le bois. Ils évitèrent la glissade en se retenant à un poteau métallique tout en forçant sur leur jambe pour gravir le reste de la poupe. Avancer fut compliqué tant le dévers était pentu. La foule se compactait à cet endroit, désirant plus que tout éviter l'aspiration du Titanic et la baignade mortelle qui les attendaient.
Une femme rata sa prise et glissa sur Jack pour l'emporter plus loin avec elle. Raiponce le rattrapa à temps et se retint à un barreau pour l'empêcher de tomber dans les eaux tumultueuses à deux degrés. Jack sentit son mauvais bras se tordre de douleur tout en remontant lentement la pente de ses pieds blancs. Il prit à son tour les barreaux de sa main droite et se blottit contre sa belle avant de monter par-dessus une autre barrière et de regarder le haut du bateau toucher la lune.
« AHHHHHHHHHHHHHHH ! »
Les cris fusèrent quand le Titanic se fissura en deux, ne pouvant plus soutenir le haut du bas. Il ne se détacha pas complétement tandis que la partie supérieure retomba à l'horizontale comme un marteau sur une enclume.
Ceux qui avaient sauté à l'eau se retrouvèrent écrasés et emportés par l'énorme derrière métallique du paquebot. Edgard se trouvait encore là lorsqu'il vit la masse recouvrir son corps d'une ombre assassine. Terrifié, anéanti, il nagea vainement entre les autres noyés. Sa derrière image fut l'hélice du Titanic qui s'écrasa en plein sur sa tête, terminant ainsi sa vie dans la déchéance la plus profonde.
Sur les planches encore intactes, Jack et Raiponce restèrent agrippés à leur barrière pendant la descente rapide de la partie arrière. Ils crièrent et sentirent l'impact éclater l'eau de tout son poids, créant de grosses vagues venant chahuter quelques canots encore trop près.
La peur au bord des lèvres, les passagers massés sur la partie flottante virent les lumières s'éteindre pour la dernière fois. Les cris de détresse se soulevèrent entre des pleurs et les paroles d'un prêtre donnant ses dernières psaumes. L'orchestre qui avait arrêté de jouer depuis un moment se trouvait avec le couple, quand tout devint noir. Raiponce les regarda avec terreur, sentant la fin approcher.
- Jack… Qu'est-ce qu'il se passe ?
L'argenté la retenait toujours contre lui.
- Je ne sais pas… Je ne sais pas…
Quelques minutes passèrent où l'arrière du Titanic se mit à flotter. Dans le noir le plus total, uniquement illuminé de la lune et des étoiles, les survivants attendaient, tremblant de haut en bas, priant le seigneur de les aider, de les sauver de ce cauchemar sans fin.
Durant cet infime moment de soulagement, Jack et Raiponce en profitèrent pour se rendre tout au bout du bateau, à la poupe. Ils attrapèrent des gilets de sauvetage abandonnés par des morts pour les enfiler rapidement par-dessus leur tenue en piteux état. Une maigre protection pour éviter la noyade infernale qui arrivait à grands pas.
Une fois bien sanglés, les amoureux se collèrent aux barrières de la poupe et se fixèrent intensément.
- Tu te souviens, déclara Raiponce d'une buée froide.
- Comment oublier. Ce jour où j'ai bien cru te voir mourir…
Raiponce lui sourit tristement.
- A croire que le destin m'aura rattrapée, finalement. Je mourrai quand même ici… Mais, je ne serais pas triste cette fois-ci.
- Ne dis pas ça… On peut encore s'en sortir. Les secours viendront nous sortir de là…
- Tu sais aussi bien que moi que cela n'arrivera pas. Tu le sais, Jack.
Il ne dit mot et finit par soupirer. Elle se blottit encore plus fort contre lui, les yeux remplis d'amour posés sur les siens.
- Je suis heureuse malgré tout. Heureuse de t'avoir rencontré et d'avoir pu rester avec toi jusqu'à la fin, lui sourit-elle. Tu m'as sauvée, tu m'as aimée, tu m'as montré le bonheur. Je ne peux oublier tout ce que j'ai vécu ces dernières jours. Jamais mon cœur n'aura autant voyagé que pendant cette semaine ! C'est inoubliable.
Il lui toucha la joue.
- Le mien n'a cessé de battre pour toi dès l'instant où nous nous sommes croisés. Je ne regrette rien. Rien du tout.
- Moi non plus. Je suis enfin en paix.
Ces mots et cette situation n'allaient pourtant pas de pair mais la comtesse ne mentait guère. Jack était en phase, il opina. Ils n'auraient pas d'avenir mais ils auraient au moins eu ces précieux instants. C'est ce qu'ils se dirent quand le navire se souleva de nouveau, les cales inférieures se remplissant d'eau à la vitesse de la lumière.
- Jack ! C'est le moment !
- Le dernier acte du Titanic !
Raiponce et Jack se retinrent aux barreaux avant que l'argenté ne décide de passer derrière la barrière en amenant sa belle avec elle. Rapidement arrivé à la position verticale, le navire fit ses adieux en brandissant une dernière fois sa coque luisante tandis que l'avant se décrocha.
Retenu par leurs bras, les malchanceux qui n'avaient pas pu monter sur la barrière sombrèrent à leur tour, emportant avec eux d'autres malheureux dans un cri déchirant. Les quelques secondes suivantes parurent interminables et pourtant si fragiles.
L'arrière flotta un court moment comme un bouchon. Puis, l'eau vint dévorer son dernier repas.
Jack et Raiponce sentirent le Titanic s'enfoncer rapidement dans l'océan et comprirent qu'ils allaient retourner dans le tombeau de glace. Que c'était la fin.
- Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu, psalmodia la comtesse effrayée.
Jack sentit son cœur bondir de frayeur, son passé se superposant au présent. La voiture, la nage, l'aspiration, ses parents qui disparurent.
- Il va falloir nager ! Hurla ce dernier. Et surtout ne lâche pas ma main droite ! SOUS AUCUN PRETEXTE ! Tu m'entends !
Raiponce, tétanisée, opina du chef, incapable de croire à ce qui arrivait. Défila devant ses yeux les souvenirs de son passé et des derniers jours avec Jack et Cassandra. Était-ce le fameux film qui se repassait avant la mort ? Probablement. Tout lui revenait rapidement dans une impression étrange de proximité et de nostalgie. Son père, son enfance joyeuse, Cassandra, l'arrivée de Gothel, la mort de son père, la dépression, la solitude, Eugène, son premier amour, sa disparition soudaine, sa descente dans les abîmes de la souffrance, son mariage arrangé… Le Titanic… La rencontre… le viol… la liberté…. Jack.
Oui, Jack… Les lanternes, l'amour, la passion, l'union des corps et des cœurs, la vérité, LA VIE !
- A trois prend ta respiration ! Un, deux… TROIS !
Jack inspira de concert avec Raiponce avant d'être englouti, debout une toute dernière fois sur ce qui était le paquebot le plus impressionnant du monde.
Au fond de l'eau, aspirés par la carcasse à l'agonie, ils battirent des pieds à s'en rompre les os, incapables de rejoindre la surface, piégés sous l'eau glacé comme si le cauchemar de Jack devenait réalité. Dans cette danse aquatique, entournés entre les autres noyés et les débris, les deux amoureux ne rompirent pas un instant le contact chaud de leurs mains entrelacées.
Sur les barques éloignées, la stupeur et l'effroi planaient dans l'air polaire. On osa dire mot. Tous conscients de leur péché ils dérivaient dans un silence religieux, pleine de prière pour les morts et les survivants qui luttaient encore dans l'eau gelée. Ils avaient honte, ils avaient peur… Mais surtout, ils ne reviendraient pas. Ils ne voulaient pas chavirer et les rejoindre. L'égoïsme de leur geste, ils en avaient pleinement conscience. Ils se sentaient laids et ne pourraient plus jamais se regarder en face. Alors, ils se taisaient et sombraient dans la léthargie du survivant.
L'embarcation la plus proche était celle d'Aster Bunnimond. Il tentait de rejoindre les autres pour former une coalition avec Thiana et Sandy, histoire d'aller chercher d'autres survivants. Ramant du plus fort qu'il le put, ses yeux ne pouvaient s'empêcher de regarder le Titanic faire ses adieux et contempler avec lui les dernières traces de vie.
Comment en était-on arrivé là ? Comment un tel drame avait pu se produire aussi soudainement ? Aussi impitoyablement… Aster essayait de donner du sens à ce qui ne pouvait l'être. Il secouait la tête, incrédule, désabusé comme l'était tous ceux qui absorbaient le choc après la tempête. Qu'était l'humanité face à la nature ?
Peu de choses… Pensa le Steward, amer.
Non loin de lui, Astoria Gothel scruta le Titanic disparaitre avec un certain détachement. Elle semblait hors de son corps. Quelques personnes la fixaient et elle leur fit un regard noir qui les contraint à détourner les yeux. La marâtre avait le visage déformé par des boursoufflures, des bleus et du sang séché le long de ses tempes jusqu'à son cou ainsi que sur son gilet. Elle était d'une laideur qui la dégoutait elle-même… Sans compter sa cheville bandée à la va vite qui la tirait affreusement au point de la faire vriller, par moments, dans l'inconscience. Sous son crâne tambourinait encore les coups que Jack, Raiponce et Cassandra lui avaient envoyés. Elle se tint la tête douloureusement et se recroquevilla.
Entre la douleur et la détresse, Astoria laissa glisser des larmes froides. Elle avait vu Pitch mourir et avait aussitôt pris la fuite pour rejoindre une embarcation. Mais, ce faisant, elle avait aussi fait une croix sur son avenir et sur ses « filles ». La veuve noire avait tout perdu. Elle avait abandonné les jeunes à une mort certaine et savait à présent qu'elle n'avait plus rien à part son titre.
Quelque chose se passa en elle, un étrange déclic causé par la catastrophe. En fixant l'horizon elle se dit que peut-être elle avait fait des erreurs dans sa vie. Que vivre une vie simple avec Cassandra et Alexandre ou Raiponce et Frederick aurait pu suffire. Elle se demanda soudain après quoi elle courrait depuis tout ce temps… ? Elle n'en trouva pas la réponse et se mit à sangloter en silence. Seule à nouveau dans ce monde qu'elle haïssait de tout son cœur. Remplie soudainement de regrets et d'un vide sans fond.
Cassandra Cross n'était plus qu'un fantôme, une ombre d'elle-même. Elle avait perdu son père, assassiné, puis avait été maltraitée par celle qui était en fait sa mère biologique. Maintenant… elle avait perdu Varian puis Jack et Raiponce… Elle était seule, traumatisée. Elle n'avait plus rien si ce n'était ce sac en toile et cette boite remplie de vieux souvenirs qu'elle choyait comme si ils étaient une extension de sa sœur de cœur.
Elle n'entendait qu'à peine Thiana lui parler. Elle la soignait de ce qu'elle réussissait à entrevoir entre ses yeux morts. Sa blessure au ventre était désinfectée, recousue et rebandée par plusieurs personnes qui se soudaient autour de Cassandra comme pour oublier leur tourment. La brunette se dit que c'était vain. Elle avait envie de mourir et son corps aussi… Pourquoi ne pas juste fermer les yeux et s'endormir pour toujours ? Rejoindre ceux qu'elle aimait…
D'un maigre soupir, Cassandra fixa Thiana, Sandy, puis la boite contre sa main et cligna des yeux. Elle contempla alors ce ciel sans nuage avec sa lune ronde et apprécia le calme qui régnait.
Dans sa léthargie, la jeune femme sut qu'elle ne reverrait plus jamais sa sœur et Jack. Elle le ressentit jusqu'au plus profond de son être. De larmes qui roulaient sans qu'elle ne s'en aperçoive, l'ancienne domestique lutta pour garder les yeux ouverts. Tous s'étaient sacrifiés pour elle, c'était la moindre des choses qu'elle pouvait faire mais…Ah, Elle était si fatiguée… Ses yeux papillonnaient… « Et si… elle allait les rejoindre ? »
Il était à présent deux heures vingt du matin.
Le Titanic avait entièrement disparu.
NDA :
Et voilà, le Titanic tire sa révérence. Les destins sont scellés !
J'attends avec impatience vos réactions et vos pronostics pour le suivant hi hi!
A la semaine prochaine ;)
