Chapitre 3

Dans les limbes - Partie 1

Le matin suivant, elle s'éveilla tard.

« J'ai encore raté l'aube, pensa-t-elle amèrement.

Elle eut envie de se frotter les yeux mais la camisole dans laquelle elle se trouvait toujours l'en empêcha.

Le corps endolori, elle essaya de remuer légèrement en quête d'une position plus confortable.

C'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle n'était pas seule.

Le petit homme qu'elle avait rencontré la veille était là, assis sur une chaise au milieu de la pièce nue. Elle se demanda un instant, vu la soudaineté de son apparition, s'il n'était pas encore un objet de son imagination.

« Encore vous, maugréa-t-elle.

– Bonjour Princesse Azula, répondit-il d'un ton courtois. Avez-vous passé une bonne nuit ?

– Merveilleuse. Le sol était un peu dur peut-être, mais la camisole m'a tenu chaud. Je peux difficilement me plaindre.»

Le médecin eut un petit sourire qui n'atteignit pas ses yeux.

« J'ignorais que vous aviez un tel sens de l'humour. C'est un signe de bonne santé mentale, le saviez-vous ?

Azula comprit alors qu'il s'amusait de la situation. Cet homme qui se prétendait médecin et clamait son intérêt pour la santé de ses patients jubilait véritablement.

– Je suppose que vous n'êtes pas venu pour vous émerveiller de mes facéties. Que voulez-vous ? », demanda-t-elle d'un ton maussade. Elle n'avait pas la patience pour des traits d'esprit ce matin.

– Juste parler Princesse, juste parler. »

Il se tut un moment. Azula sentit une pointe d'irritation à l'encontre de cet homme qui semblait prendre un malin plaisir à jouer avec ses nerfs. Son intelligence froide qui se lisait dans son regard perçant, sa façon de peser chaque mot lorsqu'il s'exprimait, la cruauté camouflée sous ce masque de courtoisie… tout cela lui rappelait quelqu'un.

Toi. Il est exactement comme toi. C'est la voix de Zuzu qu'elle entendit quand son esprit lui murmura cette réponse.

« J'attends, dit-elle finalement, rompant le silence. Je ne voudrais pas vous presser mais j'ai un emploi du temps chargé, voyez-vous ? Je dois passer ma journée par terre sur le sol de ma cellule et réfléchir à toutes les bêtises que j'ai faites récemment. J'ai peur qu'il ne me reste que très peu de temps à vous consacrer. »

Le docteur se fendit d'un nouveau sourire mais cette fois, Azula remarqua la note de condescendance et de pitié dans ses yeux.

– Je n'ai pas eu le temps de me présenter en bonne et due forme hier, dit-il, décidant apparemment d'ignorer ses sarcasmes. Je vous prie d'excuser ma grossièreté ainsi que celle de mes hommes. Je crains qu'ils aient laissé quelques traces de leur action sur vous hier. Malheureusement, vous ne nous avez pas vraiment laissé le choix.

Ce ton de regret feint à l'évocation de ses blessures l'irrita profondément.

« Je suis le Docteur Huan-Li, poursuivit-il. Je suis le chef de cet établissement et votre médecin personnel. Le Seigneur du Feu Zuko s'en remet entièrement à moi pour vous remettre sur la voie de la guérison.

Ainsi c'était donc bien cela. C'était Zuko qui l'avait enfermée ici.

– Et que fera-t-il de moi une fois que je serai guérie ? Est-ce qu'il compte me ramener gentiment au palais, me rendre ma couronne, ou encore m'enfermer dans une pièce et que je devienne la gentille petite sœur docile dont il a toujours rêvé ? Et d'ailleurs, quand je serai guérie de quoi exactement ?

– Je ne peux malheureusement pas me prononcer sur les intentions du Seigneur du Feu qui prendra, j'en suis sûre, la décision la plus adéquate en fonction de la situation. Mon travail à moi consiste à vous soigner, et d'après mes premières observations, ce que votre frère fera de vous à votre sortie ne devrait pas être votre premier sujet de préoccupation. Nous avons bien le temps pour nous en soucier !

Un long voyage vous attend, Princesse, et je serai là à chaque étape, à chaque carrefour pour vous accompagner. »

Azula grinça des dents à la métaphore. Les gens qui parlaient avec des détours et des images avaient le don de l'irriter.

– L'incident d'hier était fâcheux, continua Huan-Li, voyant qu'elle ne répondait pas. Nous n'aimerions pas être obligée de passer une nouvelle nuit au sol, comme un vulgaire chien, n'est-ce pas ?

– C'était vous ? l'accusa-t-elle, ses yeux mordorés lançant des éclairs dans sa direction. C'est vous qui leur avez ordonné de m'enfermer dans cette chose ? » Elle fit un mouvement de l'épaule pour désigner la camisole de force.

– Il ne tiendra qu'à vous, Princesse, de retrouver des conditions plus dignes. Pour le moment, votre grande instabilité mentale représente un danger pour tous et pour vous-même. Le Seigneur du feu serait très contrarié d'apprendre que sa sœur bien-aimée souffre ou n'apprécie pas l'accueil qui lui est réservé.

J'en doute fortement, pensa-t-elle avec amertume.

– Quand allez-vous me retirer ça ? demanda-t-elle, chassant l'image indésirable de Zuko qui flottait dans son esprit.

– Patience, ma chère…

Azula se renfrogna en s'entendant appeler d'une façon si familière.

« Vous serez autorisée à vaquer librement dans votre cellule lorsque vous aurez apporté la preuve de votre bonne volonté… Je pense qu'il est encore un peu tôt pour en décider. »

Azula sentait la rage refluer en elle. Le désir de brûler cet homme, de lui faire mal, s'intensifiait à chacune de ses respirations et une grimace de haine déforma peu à peu ses traits délicats.

« Je vais à présent vous expliquer comment les choses vont se passer et détailler le programme de vos journées.

Vous resterez confinée dans votre cellule, jusqu'à ce que je juge que vous êtes suffisamment stable pour rejoindre les parties communes. Les moments de convivialité et les aires de regroupement vous sont strictement interdits jusqu'à nouvel ordre.

Vous prendrez vos repas ici. Un infirmier viendra vous les apporter trois fois par jour. Vous serez alors autorisée à retirer votre camisole.

Vous serez ensuite conduite dans les salles de bain où vous pourrez faire votre toilette sous la supervision d'un membre du personnel.

Si vous tentez quoi que ce soit, si vous attaquez mon personnel ou même si vous vous montrez menaçante, les repas vous seront donnés à la cuiller et un infirmier se chargera de votre toilette. Vous ne quitterez alors plus votre camisole sauf pour être lavée.

Sommes-nous d'accord ? »

Azula ne répondit rien, mais cela ne sembla pas décourager Huan-Li qui poursuivit laconiquement :

« Vous retournerez ensuite à votre cellule pour un temps de repos. Nous vous administrerons votre traitement à ce moment-là.

Ensuite, vous serez conviée à me rejoindre pour une séance de thérapie. Je compte sur une active participation de votre part. Plus vous vous ouvrirez à moi, plus vous guérirez vite.

« Enfin, vous aurez droit à une demi-heure de promenade dans la cour. Vous aurez la possibilité de vous dégourdir les jambes mais il vous sera strictement interdit de pratiquer votre maîtrise du feu.

Pour finir, vous serez reconduite par un infirmier jusqu'à votre cellule pour le reste de la journée, avant le repas du soir, une rapide toilette, l'administration de votre traitement et le coucher.

« C'est à ce programme que vous êtes soumise pour le moment. Mais comprenez bien que les choses sont amenées à évoluer.

Considérez que chaque progrès vous apportera de nouveaux privilèges mais que chaque mauvaise action vous en retirera un.

Vous constaterez que votre lit a été retiré de votre cellule suite à notre petit désaccord d'hier matin. Vous en retrouverez la jouissance lorsque vous nous aurez montré votre volonté de collaborer avec nous.

Avez-vous tout compris, Princesse Azula ou dois-je vous répéter tout cela ? »

Azula avait parfaitement compris. Mais elle n'avait pas envie de lui donner cette satisfaction. Elle joua un moment avec l'idée de lui demander de répéter pour le simple plaisir de l'ennuyer mais quelque chose lui disait qu'il en fallait bien plus pour perturber un homme comme Huan-Li dont la patience semblait infinie. D'autant qu'il lui semblait évident qu'il avait pris un réel plaisir à lui énoncer les conditions misérables dans lesquelles elle vivrait désormais.

Finalement, elle acquiesça. Elle avait parfaitement compris qu'elle ne quitterait jamais sa cellule, qu'elle n'aurait plus le droit de maîtriser le feu, qu'elle était prisonnière de cet endroit qui se faisait passer pour un centre de soins pour couvrir des actes de sadisme auxquels même les gardiens du Rocher Bouillant n'auraient pas osé pensé. Elle ne savait pas ce qu'elle avait bien pu faire pour mériter cela.

Comment Zuko pouvait-il lui infliger une telle punition ? La détestait-il à ce point ?

Des larmes commencèrent à monter et elle sentit sa gorge se contracter.

« Ma pauvre petite chérie… comme tu souffres !

Oh non ! Pas maintenant ! Elle ne pouvait pas apparaître à cet instant, pas devant lui.

Elle ne put pas s'empêcher de hurler d'une voix stridente.

– Pas maintenant ! Va-t-en ! Pars ! Je ne veux pas de toi ! »

Huan-Li sursauta à peine et ne sembla pas penser une seconde que ces paroles pussent lui être adressées. Il se contenta de suivre le regard de la princesse en affichant un air de curiosité polie.

« Puis-je savoir à qui vous vous adressez, ma chère ? »

Mais Azula l'entendit à peine, trop occupée à essayer de se redresser pour fuir le fantôme qui la hantait depuis de nombreuses années. Mais elle perdit l'équilibre et retomba pitoyablement sur le sol froid.

Gagnée par le découragement, elle abdiqua et des sanglots s'échappèrent de ses lèvres.

« Bien, dit alors Huan-Li en se levant, une main posée sur le dossier de sa chaise en bois. Je pense que nous nous sommes compris. Vous avez déjà fait de gros progrès aujourd'hui. Je me réjouis de faire plus amplement votre connaissance lors de nos séances de thérapie.

Aujourd'hui vous resterez dans votre cellule pour vous reposer. Un infirmier va bientôt venir pour vous apporter votre déjeuner et vous mener aux salles d'eau. Nous nous verrons demain pour notre première séance. J'espère que vous pourrez alors me parler de votre ...hum...ami ici présent. Bonne journée, ma chère. »

Et il s'éloigna en emportant sa chaise hors de la pièce. Elle l'entendit vaguement s'adresser à quelqu'un d'autre qui devait l'attendre dans l'anti-chambre, avant que la lourde porte métallique se referme derrière lui et la laisse seule avec pour toute compagnie le spectre de sa mère qui chantonnait maintenant d'un air absent à l'autre bout de la pièce.


Ainsi commença sa nouvelle vie.

La journée était rythmée par les mêmes gestes, les mêmes rituels qui se répétaient inlassablement.

Elle passait le plus clair de sa journée dans sa cellule et ne sortait que pour se laver, pour sa promenade et pour se rendre dans le bureau du docteur.

Elle ne connaissait rien du reste de l'asile et n'avait jamais rencontré un autre patient.

Son état empirait.

Était-ce à cause des médicaments ou bien de son esprit malade, Azula n'aurait su le dire, mais elle n'était lucide que quelques heures par jour.

Généralement, c'était au réveil qu'elle avait les idées les plus claires. Mais au fil de la journée, une sorte de brouillard l'enveloppait et elle sentait qu'elle perdait prise avec la réalité.

La voix du docteur qui la pressait de questions pendant leurs séances de thérapie, semblait lui parvenir de très loin, étouffée, comme s'il lui parlait pendant que sa tête était plongée sous l'eau. Elle ne comprenait que quelques bribes et ne conservait souvent aucun souvenir de leurs conversations.

Elle savait seulement qu'il n'était pas satisfait de ces séances et qu'il lui reprochait son manque d'implication dans son chemin vers la guérison.

Les infirmiers qui s'occupaient de lui apporter ses repas, qui la conduisaient aux douches et qui lui donnaient ses médicaments lui semblaient tous avoir le même visage. Le visage d'une bêtise crasse, d'une violence brute et animale.

Dans son esprit brumeux, ils étaient telles des ombres menaçantes qui défilaient devant ses yeux, qui la manipulaient, lui retiraient et lui remettaient sa camisole sans jamais lui adresser une parole.

Seules les hallucinations lui semblaient réelles, claires comme le jour. Si bien qu'Azula commença à douter de tout. Elle se demanda si les dernières années au palais n'avaient pas été qu'un rêve.

Sa mère était là presque tout le temps, assistait à ses repas, à ses soins et Azula la voyait déambuler d'un air absent dans la cour lors de sa promenade quotidienne.

Elle essayait de l'ignorer mais parfois, elle ne supportait plus d'entendre ses boniments, ses déclarations d'amour mensongères et de capter dans le coin de l'œil ses regards contrits et plein d'une pitié insupportable.

Alors elle se mettait à hurler, lui ordonnait de partir, tombait au sol. Quand des soignants étaient présents et tentaient de la calmer, elle se débattait, les griffait, les mordait et essayait de se jeter en avant pour blesser sa mère.

Epuisée, elle s'écroulait finalement à ses pieds, en larmes et laissait Ursa se pencher vers elle et s'abandonnait à ses gestes tendres et à ses paroles caressantes.

Mieux valaient ses mensonges que son indifférence.

D'autres fois, c'était Ty Lee qui caquetait joyeusement dans son sillage durant des heures, ou la suivait en marchant sur ses mains le long du corridor qui menait jusqu'aux autres parties de l'asile où il lui était permis de se rendre, toujours escortée par un garde ou un infirmier aux dimensions improbables.

« Azula ! Azula ! Regarde ce que je sais faire ! Est-ce que tu peux faire ça ? Est-ce que tu peux ? Essaie-donc, Azula ! » lui criait-elle en se réceptionnant sur ses pieds après avoir effectué une gracieuse pirouette.

Parfois, quand Azula l'ignorait trop longtemps, elle s'approchait d'elle par derrière et tirait sur ses cheveux avant de s'enfuir en cabriolant, gloussant comme une dinde.

Azula lui hurlait alors de la laisser tranquille.

Un jour, Père commença à lui rendre visite également.

En le voyant apparaître, magnifique dans sa puissante armure de Roi Phénix, elle s'était immédiatement soustraite à l'infirmier qui la maintenait pour lui donner son traitement et s'était jetée à ses pieds pour implorer son pardon. Père s'était contenté de la toiser sans un mot, posant sur elle des yeux emplis de mépris et de dégoût. Il n'avait rien dit.

Sans interrompre ses supplications, elle s'était traînée jusqu'aux genoux du seul homme qu'elle eût jamais craint, les entourant de ses bras amaigris pour joindre le geste à la parole, levant des yeux implorants vers lui, avant que l'infirmier vienne la ceinturer pour la remettre de force dans son lit où il l'avait immobilisée pendant qu'elle s'agitait, se démenait pour se libérer de sa prise, des flammes jaillissant du bout de ses doigts et de ses pieds.

« Père ! Pardonnez-moi ! Père, s'il-vous-plaît ! »

Elle avait été punie pour cela. Le docteur l'avait privée de promenade pour les trois semaines suivantes.

C'était sans importance. Rien ne comptait vraiment de toute façon, puisque rien de tout cela n'était réel.

Mais à partir de ce jour, Papa vint lui rendre visite quotidiennement et il ne disait jamais rien, se tenait immobile, dardant sur elle le même regard dur et cruel. Son silence était chargé de menaces.

Elle vivait dans l'attente que sa main gantée s'abatte lourdement sur son visage et qu'il prononce les paroles tant redoutées, celles que Zuko venait lui susurrer la nuit, dans le creux de son oreille quand elle reposait dans son lit, recroquevillée sur le côté dans sa camisole.

Tu n'es qu'un monstre. Une erreur. Maman aurait dû écouter son instinct et t'étouffer dans ton sommeil quand tu étais bébé.

Zuko était là lui aussi. Spectateur attentif de son humiliation, il assistait à ses repas, quand elle était trop faible pour se nourrir elle-même. Il était là quand elle trébuchait à chaque pas dans le couloir, déséquilibrée par les liens qu'elle portait aux pieds en se rendant dans le bureau du docteur pour sa séance quotidienne.

Il la regardait lorsque les infirmiers lui enfilaient sa camisole ou pendant sa douche, ou bien quand on venait vider son pot de chambre.

Et il riait. Il riait !

Lors de ses moments de lucidité, elle avait pu collecter suffisamment d'informations pour reconstituer une partie des événements ayant succédé à leur Agni Kai.

Elle savait qu'Ozai avait été défait par l'Avatar, que le gamin lui avait ôté sa maîtrise. Cette découverte l'avait horrifiée.

Elle savait que Zuko était devenu Seigneur du Feu et que c'était lui qui l'avait envoyée ici, dans sa grande mansuétude, plutôt que de la laisser pourrir en prison aux côtés de son père.

Tout cela, elle l'avait appris au cours de séances de thérapie avec le docteur qui ne manquait jamais de lui rappeler ses échecs et ses erreurs ou en prêtant l'oreille aux conversations des gardes qui stationnaient devant sa cellule.

Elle les entendait rire et parler de leurs petites histoires de famille insignifiantes, de leurs parties de Pai Sho, de beuveries lors de leurs soirées de permission. Et dans leur rire, elle entendait leur indifférence, leur joie de participer à sa propre déchéance. Ces hommes qui auraient tremblé autrefois à la seule mention de son nom ne se préoccupaient aujourd'hui pas plus d'elle que d'une vulgaire paysanne.

Azula se demandait souvent si elle n'aurait pas été mieux en prison. La vie qu'elle menait ici la dépouillait chaque jour un peu plus de ce qui comptait pour elle : son honneur, son intelligence, sa dignité. Même sa maîtrise en était affectée. Les rares fois où elle avait pu générer des flammes – aussitôt neutralisée par les hommes de main de Huan Li – elles lui avaient paru moins intenses, moins brillantes. Et leur couleur bleue était moins profonde, comme si elle s'affadissait.

Le moment qu'elle redoutait le plus était la douche.

Azula avait toujours attaché beaucoup d'importance à son hygiène corporelle mais les minutes qu'elle passait chaque jour dans la salle d'eau où elle devait se laver confinaient au calvaire.

Elle n'avait droit à aucune intimité. Elle était contrainte, si elle voulait se laver, de le faire sous l'œil attentif de l'un des deux mastodontes qu'elle avait rencontrés lorsque Huan-Li était venu se présenter à elle le premier jour.

La première fois, elle s'était attendue à ce qu'il sorte et elle lui avait lancé un long regard insistant pour lui faire comprendre qu'elle était prête à se dévêtir. Mais il était resté parfaitement immobile. Il tenait dans sa main une serviette propre et un bâtonnet rugueux qui se révéla être du savon.

« Je ne voudrais surtout pas paraître discourtoise, avait-elle alors commencé de sa voix la plus mielleuse, mais si vous souhaitez que je fasse bon usage de cette pièce, peut-être serait-il approprié que vous me laissiez seule maintenant. »

L'idiot n'avait pas bougé d'un pouce. Il se contenta de cligner des yeux d'un air parfaitement stupide. Perdant patience, Azula décida d'abandonner tout faux-semblant :

« Vous n'allez pas rester là à me regarder pendant que je me lave ? Je suis tout à fait prête à croire que vous n'êtes pas être très coutumier du fait mais habituellement, on obtient un meilleur résultat lorsqu'on ne porte pas de vêtements sur soi. »

– Le docteur a dit de vous surveiller à chaque seconde. Alors je vous surveille. Maintenant déshabillez-vous. Vous avez cinq minutes, pas une de plus »

Azula fut surprise de l'entendre s'exprimer. Elle s'était presque attendue à ce qu'il n'ait pas cette capacité.

Il lui tendit le bloc de savon et Azula repensa tristement aux huiles essentielles et aux lotions odorantes dont les servantes remplissaient son bain au palais avant de dissiper ce souvenir et d'accepter son offrande.

« Retournez-vous au moins.

– On m'a dit « surveille », alors je surveille. »

Azula se figea un instant et le regarda d'un air incrédule, comme si elle le soupçonnait d'essayer de plaisanter. Mais son visage inexpressif restait impassible et il regarda la clepsydre fixée au mur avant de reporter son attention sur elle et d'annoncer :

« Plus que 4 minutes. »

Azula examina la pièce en quête d'un secours, d'une solution. Ce n'était pas possible. Elle était la princesse ! Elle ne pouvait pas s'exhiber devant n'importe quel rustre comme une vulgaire prostituée.

Elle décida d'attendre que le temps s'écoule. Elle croisa ses bras sur sa poitrine et marcha jusqu'à la porte sur laquelle elle s'appuya, plantant ses yeux mordorés pleins de défi dans les petits yeux porcins du colosse.

Ce dernier surveillait la clepsydre d'un air parfaitement indifférent et quand la dernière goutte se fut écoulée, il tourna lentement son regard imbécile vers Azula.

Elle attendit un peu, un sourire mesquin se dessinant sur ses lèvres, guettant sa réaction.

Soudain, avec une rapidité étonnante pour son gabarit, il s'avança vers elle, la plaqua violemment contre la porte et la saisit par le col de sa chemise. Elle sentit ses pieds décoller du sol de plusieurs centimètres. Les réflexes d'Azula étaient sérieusement émoussés et l'effet de surprise participa aussi sans doute un peu à son manque de réactivité. Sa tête heurta rudement la porte métallique derrière elle. La poigne de l'homme dont le vilain visage couturé de cicatrices se trouvait à seulement quelques centimètres du sien lui interdisait toute retraite.

Ses yeux s'agrandirent sous le choc et elle examina le visage de son ennemi avec sidération.

« Maintenant, déshabille-toi. Ou c'est moi qui m'en charge. » Sa voix était devenue aussi grondante que le tonnerre et Azula, pour la première fois depuis son arrivée dans cette pièce, sentit sa détermination vaciller.

Il la relâcha sans prévenir. Aussitôt, ses jambes flageolantes se dérobèrent sous son poids et elle tomba sur son séant, dans une position ridicule.

Elle n'osait pas se relever et ne put que lever les yeux vers le colosse, une expression de haine pure imprimée sur chaque traits de son visage.

« Non », dit-elle du ton le plus ferme dont elle fut capable.

Plus tard, de retour dans sa cellule, elle regretterait son obstination. Effondrée sur le sol, des cheveux encore trempés collés sur ses tempes, elle repenserait à la manière dont il s'était jeté sur elle, l'avait clouée au sol et s'était assis à califourchon sur elle.

Totalement paniquée, elle avait essayé de le frapper et de brûler chaque centimètre de peau qu'elle pouvait atteindre mais elle n'était même pas parvenue à produire une étincelle.

Ses coups tombaient futilement sur lui avec la légèreté de fines gouttes de pluie s'abattant sur la roche dure, ne lui causant visiblement aucune douleur. Il s'était assis sur sa poitrine, bloquant ses bras à l'aide de ses cuisses puissantes, de sorte qu'elle ne pouvait plus du tout bouger.

Il ne sourcilla même pas quand elle lui cracha au visage. Il leva simplement sa main libre pour s'essuyer les yeux et l'abattit sur le visage d'Azula, obscurcissant sa vue.

Elle voulut hurler mais sa gigantesque main obstruait aussi sa bouche.

Elle suffoquait sous son poids et réalisa avec affolement que sa vue se troublait.

La maîtrise du feu provient du souffle. Si tu veux te défendre, tu dois trouver un moyen de contrôler ta respiration. Libère-toi !

L'écho de la voix d'Ozai lui parvint à travers le voile des années et avec elle, l'image fugitive de son père couché sur elle sur le sol de la cour d'entraînement au palais, ne lui laissant aucun espace pour se dégager, son visage luisant de transpiration à quelques centimètres du sien, un sourire grimaçant dessiné sur son visage, ses gouttes de sueur tombant comme des larmes dans les yeux et sur les lèvres tremblantes de sa fille.

Bouge ! lui ordonnait-il. Mais Azula n'en était pas capable. Elle se sentait étouffer.

Libère-toi !

C'était impossible. Elle n'avait jamais réussi à se soustraire à la prise de son père, et cet homme au-dessus d'elle était encore plus lourd que lui. Enfin elle était plus faible qu'elle ne l'avait jamais été.

Elle sentit vaguement sa grosse main descendre à tâtons sur son corps jusqu'à ce qu'il atteigne l'ourlet de sa chemise.

Il prit le tissu entre ses doigts et le fit remonter sur elle jusque sur son visage que son autre main venait de quitter, exposant sa poitrine nue.

Durant un instant de terreur pure, elle fut convaincue qu'il allait la violer.

Mais finalement, il se contenta de faire passer le vêtement au-dessus de sa tête d'un mouvement brusque, le rejeta sur le côté et se releva enfin.

Azula se tourna immédiatement sur le côté, haletant violemment à la recherche d'un peu d'air.

Elle n'avait pas eu le temps de récupérer son souffle qu'il la relevait déjà.

Allongée sur le sol de sa cellule, elle repenserait avec un dégoût grandissant à la manière dont il l'avait ceinturée, jetée négligemment sur son épaule, comme si elle ne pesait rien du tout, puis portée jusqu'à la douche. Là, il l'avait jetée sur le sol où elle avait atterri lourdement, totalement nue, dans une position grotesque. Puis il avait activé la pompe.

Une eau froide et brunâtre s'était écoulée du pommeau en métal au-dessus de sa tête.

Elle songerait avec amertume aux larmes de rage et de frustration qui avaient coulé sur ses joues quand il l'avait redressée sur ses pieds et s'était mis à la savonner sans cérémonie, ses grosses mains frottant chaque centimètre de son corps endolori.

Elle se souviendrait de son indignation lorsqu'elle avait senti sa main passer entre ses jambes et sur ses fesses avant de remonter sur son dos puis redescendre le long de ses épaules jusque sur ses seins qu'il frictionna vigoureusement avant de la relâcher.

Le tout n'avait pas dû durer plus d'une minute mais elle se repasserait cette scène dans le moindre détail, elle repenserait à la manière dont ses énormes doigts étaient presque entrés en elle, à la douleur et à la honte que cette intrusion lui avait causées.

« Rince-toi » avait-il ordonné.

Elle obéit instantanément et quand il lui tendit sa serviette, elle la prit sans protester et essaya de s'en recouvrir. Mais sa taille était à peine suffisante pour dissimuler ses épaules et elle dut se résigner à s'en servir pour se tamponner avec, sous le regard impitoyable du géant qui ne la lâcha pas des yeux un instant.

Puis il se dirigea vers un placard au fond de la salle et en ressortit des vêtements qu'il lui jeta au visage : une simple tunique bordeaux à manches courtes munie à la taille d'une fausse ceinture dorée et un pantalon assorti coupé à mi-hauteur du tibia.

« Habille-toi »

Elle ne se fit pas prier et les yeux baissés au sol, des larmes brouillant sa vue, elle passa rapidement les vêtements sur elle.

Le pantalon était trop grand mais peu lui importait pour l'instant. Tout ce qui comptait était de soustraire le maximum de peau au regard attentif de ce pervers.

Ensuite, il l'avait prise sans ménagement par le bras et l'avait fait sortir de la salle d'eau.

Elle s'était docilement laissé mener jusqu'à sa cellule et n'avait pas tenté de lutter quand il l'avait enfermée à nouveau dans sa camisole de force avant de l'abandonner sur le sol sans un regard pour elle.

Le jour suivant, quand il la ramena dans la salle d'eau, il n'eut pas besoin de lui demander de se déshabiller. Il la regarda ôter ses vêtements et la considéra un moment tandis qu'elle se tenait devant lui, la tête basse, un bras pressé contre sa poitrine pour la cacher et son autre main dissimulant son bas-ventre.

Quand il lui tendit la barre de savon, elle s'en empara sans un mot et marcha piteusement jusqu'à la douche, se tournant vers le mur. Il s'approcha et activa la pompe jusqu'à ce que la même eau un peu roussie sortît du pommeau. L'eau se confondit bientôt avec les larmes qui coulaient déjà sur ses joues.

Derrière elle, dans le coin opposé de la pièce, Zuko observait la scène d'un air satisfait, se délectant du spectacle de sa déchéance.


Le moment de la douche était redoutable, les journées insupportables.

Les nuits étaient intolérables.

La journée au moins, la présence concrète des soignants et la régularité de son emploi du temps l'aidaient à se raccrocher à la réalité, en dépit des apparitions absurdes qui venaient la tourmenter.

Mais la nuit, elle était seule. C'est à la faveur de l'obscurité que ses visiteurs se manifestaient davantage. Ils venaient lui parler, la torturer, lui rappelaient des souvenirs qu'elle aurait voulu oublier.

Elle fermait étroitement les paupières pour ne pas les voir mais elle entendait leur voix qui l'appelaient sans cesse, elle entendait leur rire et leurs chuchotements. Ils se moquaient d'elle, la montraient du doigt. Ty Lee exécutait ses acrobaties autour d'elle en chantonnant.

Sa chambre, à la nuit tombée, devenait une véritable salle de réception où les invités tournoyaient et dansaient autour d'elle dans une ronde infinie. Et elle était l'hôtesse passive de ces soirées fantasmagoriques.

Parfois elle entendait simplement des voix. Des voix inconnues qui ne s'adressaient même pas à elle. Elles se contentaient de commenter chacun de ses faits et gestes, d'un ton neutre.

Elle vient de se retourner.

Elle tousse.

Elle pleure encore, tu as vu ?

D'autres fois, elles l'appelaient simplement, de plus en plus fort. Et quand enfin elle se retournait pour leur répondre, elles se taisaient.

Mais ces voix et les fréquentes apparitions de ses anciens amis et des membres de sa famille n'étaient pas le pire. Il y avait aussi les rampants. C'est ainsi qu'elle avait inconsciemment baptisé les ombres insaisissables qui longeaient les murs et se dissimulaient sous son lit.

Elle entendait leurs grattements sous son matelas et leurs chuchotements indistincts. Elle était persuadée qu'ils complotaient contre elle et échafaudaient des plans pour l'anéantir.

Elle n'était jamais parvenue à voir leur visage, si tant est qu'ils en eussent un. Ils avaient la taille et la silhouette d'un jeune enfant aux bras étiques et étirés. Elle les entendait avant de les voir au bruissement que faisaient leur corps sur le sol ou sur les murs capitonnés de la cellule. Ils se déplaçaient sur leur quatre membres, comme des bêtes ou comme le faisaient les agents du Dai Li.

Elle les voyait entrer par l'interstice sous la porte ou par la fenêtre pourtant fermée et ils se glissaient furtivement dans la pièce. Une fois, l'un d'eux s'était approché d'elle et lui avait frôlé la joue.

Sa terreur avait été telle qu'un garde avait fait irruption dans la pièce pour la trouver au pied du lit, les yeux exorbités, hurlant comme une damnée, rampant tant bien que mal sur le sol pour échapper à quelque monstre invisible. Il avait fallu appeler le médecin de garde et deux infirmiers qui lui avaient fourré dans la bouche une poudre verdâtre. En moins de deux minutes, elle s'était endormie.

D'autres fois, elle voyait simplement des choses. Des choses qui n'auraient pas dû être là. Une nuit, une théière était apparue sur sa commode et quand Azula s'en approcha pour la regarder de plus près, elle vit les petits dragons peints sur la porcelaine se mouvoir dans une danse aérienne élégante. Une petite musique enjouée s'était échappée de son bec et Azula aurait juré avoir vu la théière se trémousser un peu au rythme de l'air qu'elle jouait.

Azula avait éclaté de rire à cet étonnant spectacle.

Mais parfois, les objets qui apparaissaient étaient moins plaisants. Elle évitait le plus souvent de porter son regard vers le plafond de la cellule depuis qu'elle y avait aperçu une corde avec un nœud coulissant. Elle avait dû cligner plusieurs fois des yeux et la corde avait commencé à s'entortiller sur elle-même et à exécuter d'étranges mouvements hypnotiques qui lui rappelèrent la manière dont se mouvaient les cobras lorsque, petite, on l'emmenait avec son frère voir les charmeurs de serpent dans les rues animées de l'île de Braise.

Elle avait eu l'impression que la corde l'invitait à la rejoindre et à s'y pendre et l'idée lui avait semblé tellement séduisante. Mais cette maudite camisole lui interdisait tout mouvement. Puis la corde s'était brusquement décrochée du plafond et s'était entortillée autour de son cou. Ce n'était plus une corde mais les anneaux d'un serpent qui enserraient maintenant Azula et elle avait cru étouffer. Heureusement, alerté par ses cris, un infirmier était arrivé pour lui ordonner de se taire et cela avait fait fuir le dangereux reptile.

Maman venait souvent la nuit. La plupart du temps, elle se tenait dans l'ombre, au fond de la cellule, les deux mains jointes et dissimulées dans les amples manches de sa robe cramoisie et elle demeurait silencieuse, ses yeux emplis d'un profonde tristesse.

Il arrivait qu'elle s'approche d'Azula et qu'elle passe une main sur son front en fredonnant une chanson. Cela la rassurait et l'aidait à se rendormir.

Pourtant, la journée, elle ne faisait que jacasser. Azula ne parvenait même plus à entendre ce que lui disaient le médecin ou les gardes ou encore les autres voix. Leurs paroles étaient noyées sous un flot de recommandations et de reproches formulés sur le ton de la bienveillance maternelle mais Azula n'était pas dupe ! Et elle ne se privait pas de le lui dire.

« Arrête de faire semblant ! Tu ne m'aimes pas, tu ne m'as jamais aimée ! Je te hais ! Je te hais ! J'espère que tu es morte, que tu pourris sous terre, que les vers te dévorent ! »

Elle savait qu'elle devait avoir l'air d'une folle à hurler ainsi dans le vide. Car elle avait bien compris qu'elle seule pouvait la voir. Au début, elle pensait que les autres feignaient de l'ignorer et prenait furieusement à témoin le garde qui la reconduisait à sa cellule ou l'infirmier qui lui apportait ses repas.

Elle était certaine qu'ils étaient de mèche avec sa mère et Zuko et qu'ensemble, ils avaient élaboré une stratégie pour lui faire perdre la tête.

Mais le docteur lui avait expliqué qu'elle souffrait d'hallucinations et que celles-ci étaient générées par un problème de régulation de ses humeurs.

« Dans notre corps, avait-il expliqué patiemment à une Azula abrutie de médicaments qui ne comprenait qu'un mot sur deux, les éléments – air, feu, terre et eau – coexistent dans un parfait équilibre.

Il arrive parfois qu'un élément soit dominant chez un sujet. Ainsi, le feu, qui est l'élément du chaud et du sec, est généralement dominant chez les personnes sujettes à la colère, comme vous pouvez l'être actuellement. Cela n'est pas surprenant chez un maître du feu de votre acabit. Votre tempérament excessif est dû à l'excès de bile qui circule dans votre organisme.

Cependant, habituellement, les autres éléments jouent un rôle de régulation qui permet de tempérer ces sautes d'humeur.

Chez vous, les autres humeurs, ainsi que les trois autres éléments, ne parviennent plus à compenser ce déséquilibre. Cela peut être dû à de nombreux facteurs tels que le climat, le milieu ou encore un traumatisme.

« Je suis enclin à penser que le feu, déjà dominant en vous, est devenu hors de contrôle suite à une série d'événements malencontreux. Le fait que nous soyons au cœur de l'été quand votre maladie s'est déclarée, votre jeune âge aussi, mais surtout le passage de la comète de Sozin, tout cela a pu affecter vos humeurs et empêcher les autres éléments en vous de contrebalancer l'action du feu. Sans parler de vos petits soucis personnels qui ont éventuellement pu constituer une série de mini-traumatismes... »

Son père et sa mère l'ont abandonnée…

Tu te souviens quand ses amies l'ont trahie ?

Et son frère qui la déteste !

et il appelle cela des « petits soucis personnels » !

Je pense que ça ne va pas lui plaire…

Les voix étaient de retour et elles recouvraient les paroles du docteur.

« Taisez-vous ! Arrêtez de parler !, s'exclama Azula. Pourquoi est-ce qu'elles ne se taisent jamais ? poursuivit-elle, plus pour elle mêmes que pour le docteur.

Elle veut qu'on se taise.

« C'est ce que je viens de dire ! hurla Azula, furieuse et au bord de la crise de nerfs.

Huan-Li se tut et l'observa un moment, d'un air attentif. Il semblait fasciné par la scène qu'elle jouait sous ses yeux.

« A qui vous adressiez-vous, Princesse ?

– Les voix. Elles parlent tout le temps ! Elles ne me laissent jamais en paix ! Elles ont tout le temps besoin de commenter tout ce que je dis, tout ce que je fais, tout ce que je pense ! Tout comme vous ! Pourquoi est-ce qu'on ne me laisse pas tranquille ? Je ne peux même plus dormir ! Je veux juste dormir un peu… »

Elle se recroquevilla sur sa chaise et, la tête dans les mains – menottées bien sûr – elle se mit à pousser de longs gémissement qui pouvaient aussi bien exprimer la rage qu'une profonde souffrance.

La voyant dans cet état de détresse, le docteur avait jugé préférable de mettre fin à la séance et avait fait entrer un garde pour qu'il la raccompagne à sa cellule.

Un autre jour, épuisée et désespérée, elle le supplia de trouver un moyen de la débarrasser des voix et des visions qui la hantaient, mais il lui adressa l'un de ses rares sourires, un sourire navré qui semblait presque sincère et lui annonça qu'à ce jour, il n'existait aucun traitement contre ce genre de trouble et il l'encouragea à s'ouvrir davantage à lui pour extérioriser les émotions qu'elle ne pouvait pas gérer seule et qui selon lui, prenaient la forme des gens qu'elle avait connus pour s'exprimer.

Les paroles du médecin l'avaient un moment réconfortée. Ainsi elle n'était pas folle. Elle était tout simplement malade.

Mais la manière dont le personnel soignant la regardait quand elle répondait à ses hallucinations ou qu'elle murmurait des paroles incohérentes, assise dans un coin de sa cellule, les cheveux tombant en rideau sur son visage, lui rappelait l'ampleur de sa détérioration mentale.

Elle savait à quel point elle devait avoir l'air folle mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Ils ne la laissaient jamais tranquille ! Pas une minute !

Elle pensait avoir eu de vrais visiteurs mais même de cela, elle ne pouvait pas être sûre. Oncle Iroh. On lui avait dit qu'il était venu mais ne gardait guère de souvenir de leur conversation.

Zuzu était venu, beau et éblouissant, vêtu de la robe et coiffé de la couronne du Seigneur du Feu qu'elle avait vue autrefois portée par Azulon puis par Ozai et qui aurait dû être sienne.

Il lui expliqua qu'elle avait été jugée par contumace par un Tribunal du Royaume de la Terre, qu'elle encourait la peine de mort mais qu'il la protégerait. Elle resterait ici, en sécurité, dans la Nation du Feu. Personne ne savait qu'elle était ici, excepté ses médecins, lui, Oncle Iroh et l'équipe de l'Avatar.

Il lui affirma que lui et l'Avatar se démenaient pour obtenir sa grâce et qu'elle ne devait pas de soucier de tout cela pour l'instant.

« Tu es ici pour aller mieux. Tu vas guérir et tu reviendras vivre avec moi au palais. Je serai là pour toi. » disait-il assis sur une chaise face à elle.

Exceptionnellement, on lui avait ôté sa camisole. Elle était assise sur son lit, les mains simplement menottées devant elle, la pointe de ses pieds ballants touchant à peine le sol.

Elle s'était demandé si cette relative liberté de mouvement lui avait été accordée à la demande de Zuko ou bien dans le but de convaincre le Seigneur du Feu que sa petite sœur maboule était traitée avec le maximum de dignité que son état le permettait.

Elle avait remarqué toutefois la présence de deux gardes, en retrait, le visage dissimulé derrière leur masque en forme de tête de mort, vêtus de leur armure écarlate et prêts à intervenir à tout instant.

Pour le moment, cependant, ils se tenaient négligemment sur leur lance, s'adressant des regards derrière la visière de leur casque.

Zuko ne cessait de parler.

Il a peur du silence. Il est mal à l'aise.

Il veut déjà partir. Il est venu uniquement par obligation.

Elle doit être déçue. Elle aimerait bien qu'il reste un peu.

Azula écoutait à peine Zuko. Pourquoi perdre son temps et son énergie ?

Elle était arrivée à la conclusion que ce n'était peut-être pas le vrai Zuko. Le vrai Zuzu ne lui aurait jamais dit de telles choses. Il aurait ri de sa honte et de sa déchéance.

Cette version de son frère n'était encore qu'une fantaisie de son esprit malade. Huan-Li l'aurait sans doute interprété comme la manifestation de son désir secret de créer des liens affectifs avec le seul membre de sa famille qui fût encore présent dans sa vie.

Elle prit donc le parti de l'ignorer et s'amusa presque de voir les inepties que son cerveau détraqué était prêt à inventer pour se rassurer.

« Il faut que tu manges bien pour reprendre des forces. Ton docteur dit que tu ne te nourris pas assez et que tu ne dors pas bien la nuit. » l'entendit-elle dire d'un ton plein de sollicitude.

Au même moment, il posa gentiment sa main sur les siennes qui reposaient sur ses genoux. Azula fut surprise de sentir sa chaleur sur sa peau à ce contact. Ce n'était pas le cas d'habitude avec les hallucinations.

Pourquoi l'as-tu dit à Père ? Le jour du Soleil noir. Pourquoi lui avoir dit que j'avais menti… au sujet de l'Avatar ?

Elle n'avait pas voulu formuler la question à voix haute. Mais les paroles avaient dû franchir ses lèvres malgré elle car l'expression du visage de Zuko changea d'un coup. Il haussa son unique sourcil et la considéra un moment, la bouche entrouverte, soudain à court de paroles.

Il retira sa main de ses genoux et après un moment d'hésitation, il la questionna :

– Est-ce qu'il t'a fait quelque chose ? » Sa voix était à peine plus haute qu'un murmure et il pencha la tête vers elle, comme pour recueillir ses confidences.

Cette proximité inattendue lui causa un brusque frisson et elle dut réprimer l'envie de porter ses mains menottées à la joue de son frère. Pour le caresser ou pour le griffer jusqu'au sang ? Il lui était impossible de le dire.

« Azula ? » murmura-t-il encore plus bas pour la ramener à la réalité.

Son visage devait exprimer quelque chose qui avait éveillé l'inquiétude ou du moins la sollicitude dans l'esprit de son frère car il s'était levé de sa chaise et s'était agenouillé devant elle, réduisant la distance au maximum entre eux. Une main posée sur sa cuisse, il effleura du bout des doigts la ligne qui reliait le menton d'Azula à sa joue.

Jamais, de toute leur vie, Zuko n'avait eu pour elle un geste si tendre, si fraternel.

Elle ne sut jamais si c'était cela ou autre chose qui la poussa à agir comme elle le fit, mais elle sentit son cœur enfler douloureusement dans sa poitrine, au point de ne plus pouvoir respirer normalement. Elle eut l'impression que son cerveau se vidait et que sa boîte crânienne se remplissait d'une épaisse fumée tandis que tout le sang affluait vers l'arrière de son crâne, entraînant une sensation douloureuse qui devint vite intolérable.

C'était pire, pire que tout ce qu'il lui avait jamais infligé jusque là. Pire que ses regards pleins de mépris, pire que les flammes qu'il lui avait jetées à la figure quand elle était venue le voir à l'infirmerie le jour où il avait perdu son honneur. Pire que la façon dont il l'avait abominablement trahie et abandonnée à son sort le jour de l'éclipse.

Comment pouvait-il se montrer aussi cruel ? Prétendre ainsi qu'il se souciait d'elle quand elle savait qu'il la haïssait et qu'au fond de lui, il exultait de la voir si faible, si vulnérable ?

La haine et la rancœur s'insinuèrent en elle, obscurcissant ce qui lui restait de raison et elle-même ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait quand elle se pencha vers lui, assez près pour qu'ils puissent s'embrasser et qu'elle passa soudainement ses mains menottées au-dessus de sa tête pour les placer autour de son cou. Les froides chaînes qui reliaient les menottes se posèrent sur sa nuque, piégeant momentanément Zuko.

Son visage était tout près de celui d'Azula et leur nez se touchait.

Elle eut le temps de noter la teinte écarlate que prirent ses joues et la manière dont ses yeux s'agrandirent sous l'effet de la stupeur.

Les gardes, voyant que quelque chose n'allait pas, s'éveillèrent soudain de leur torpeur et s'approchèrent à pas précautionneux d'abord puis de plus en plus rapides. Mais pas suffisamment pour empêcher Azula de décrocher d'un geste leste la couronne à cinq pointes qui retenait le chignon de Zuko.

Les cheveux noirs tombèrent en mèches désordonnées sur sa nuque et Azula eut le temps de lire la panique dans le regard de son frère quand elle renversa brusquement son poids vers l'arrière, l'entraînant dans son élan. Il se retrouva à moitié allongé sur elle, sur le lit, la tête appuyée contre la poitrine de sa sœur.

N'eussent été les menottes, les murs capitonnés et la présence des gardes juste derrière eux, on les eût dit enlacés dans une étreinte amoureuse.

Trop abasourdi, Zuko ne réagit pas quand elle leva au-dessus de sa nuque ses deux mains ligotées qui tenaient fermement la couronne pointue et qu'elle l'abattit brutalement dans sa chair, ouvrant une entaille profonde.

Zuko poussa une exclamation de douleur outragée et elle le sentit s'agiter énergiquement contre elle tandis qu'il essayait de s'extraire de sa prise. Mais Azula resserra son étreinte et sa tête était trop grosse pour qu'il parvienne à la dégager en reculant. Il essayait de s'écarter d'elle en poussant sur ses mains mais il était bel et bien bloqué. Elle leva une deuxième fois la couronne au-dessus de sa nuque, bien décidée à frapper assez fort cette fois pour lui porter un coup fatal.

Son cœur battait furieusement dans sa poitrine et elle pensa vaguement que Zuko devait entendre chaque pulsation. Elle pensa que ce serait le dernier son qu'il entendrait et dans sa folie, elle se délecta de la poésie qu'elle percevait dans cette idée.

Elle se trouvait dans un tel état de transe qu'elle eut à peine conscience des bras vigoureux qui la saisirent sous les aisselles et qui arrêtèrent ses mains juste avant qu'elle ait pu toucher son frère une deuxième fois avec la pointe de la couronne.

Soudain, elle fut séparée de Zuko, tiré en arrière par l'un des gardes sur qui il tomba à la renverse. La sidération et l'épouvante se lisaient dans son regard et la fureur d'Azula augmenta tandis qu'on l'éloignait d'elle.

Le garde derrière elle la maintenait fermement mais il n'eut pas le temps de réagir avant qu'elle vomisse un jet de flammes en direction de son frère, toujours couché au sol, en travers du corps de son garde, dans une position qui aurait été hautement comique dans d'autres circonstances.

Il parvint à parer l'attaque en générant un bouclier de feu orange. Azula se sentit frustrée mais l'épouvante et la consternation sur le visage de Zuko était néanmoins satisfaisantes.

Zuko se redressa tant bien que mal et épousseta sa robe. Il se retourna et tendit sa main au garde pour lui apporter son aide que l'homme sembla accepter avec gratitude.

Puis Zuko se tourna enfin vers Azula, haletant, les mains resserrées en poings, prêt à parer une nouvelle attaque. Ses yeux exprimaient une rage inimaginable.

C'est lui. C'est bien lui.

Ce n'était donc pas une hallucination. C'était exactement comme ça que le vrai Zuko l'aurait regardée. Un profond soulagement s'empara d'elle.

Azula se mit à rire, d'un grand rire incontrôlable de maniaque qui secoua tout son corps.

Le garde derrière elle resserra son étreinte. D'une poussée de ses jambes, elle se jeta violemment en arrière, déséquilibrant le garde qui parvint au dernier moment à se stabiliser et qui raffermit sa prise, l'enserrant entre ses bras puissants.

Mais Azula ne comptait pas en rester là. Alors, elle tourna la tête vers la base du cou, entre le casque et les épaulières, là où la peau du garde était à découvert et elle enfonça ses dents dans sa chair, assez fort pour sentir le sang gicler dans sa bouche.

L'homme poussa un hurlement de douleur et la relâcha, tandis qu'elle recrachait avec une grimace de dégoût un morceau de chair sur le sol. Puis elle leva la tête vers lui et lui adressa un sourire dément.

« Tu veux goûter à la mienne? » l'invita-t-elle d'une voix caressante, presque obscène.

Epouvanté et révulsé, le garde la repoussa violemment devant lui.

Azula bascula du lit et atterrit la tête la première sur le sol, à quelques centimètres de l'endroit où s'étaient trouvés Zuko et l'autre garde quelques secondes plus tôt.

Avant de s'évanouir, elle sentit des mains qui la retournaient sur le dos et son champ de vision fut bientôt rempli par le visage de son frère penché au-dessus du sien qui criait son nom.

Derrière lui, elle aperçut la figure éplorée de sa mère qui s'essuyait les yeux à l'aide de ses longues manches.

« Oh, bébé ! Pourquoi as-tu fait ça ? Tu es un monstre ! Un monstre ! » gémissait-elle.


Voilà pour aujourd'hui. J'espère que cela vous aura plu.

Dans le prochain chapitre, nous verrons les conséquences immédiates de ce geste et en apprendrons encore un peu plus sur le passé d'Azula et sur ses démons. J'ai coupé le chapitre en deux parties car ça me paraissait un peu trop long !

Je prévois de revenir à la trame principale d'ici un ou deux chapitres. Cela fait long pour un retour en arrière mais décrire les événements ayant succédé à la comète et le quotidien d'Azula au sein de l'institution psychiatrique me semblait une étape indispensable pour camper les personnages, me les approprier, et expliquer les événements qui suivront (qui ne sont pas encore tout à fait déterminés, car j'écris un peu au fil de la pensée !)

En ce qui concerne les troubles d'Azula, je me suis inspirée, pour le discours du médecin, de la théorie des humeurs, inventée par Hippocrate dans l'Antiquité et encore vivace jusqu'au XIXe siècle où elle trouvait encore des adeptes. Cela m'a semblé cohérent avec l'état d'avancement des technologies et des connaissances scientifiques dans l'univers d'Avatar, bien que cette théorie soit d'origine occidentale. Mais justement, le docteur Huan Li est censé être un médecin un peu iconoclaste dont les hypothèses sont en rupture avec les croyances et les connaissance de son époque et de son monde.

Azula est techniquement et cliniquement schizophrène. Bien sûr, à l'époque du récit, cette maladie est inconnue et n'a pas de nom. Je trouvais cohérent, au vu de la situation familiale d'Azula, de son âge (c'est souvent à l'adolescence que se développent les premiers symptômes) et des traumatismes qu'elle a subis, de lui prêter cette pathologie qui se manifeste bien souvent par des hallucinations auditives et visuelles la plupart du temps mais qui peuvent aussi être tactiles, olfactives et gustatives, par de la paranoïa et un délire de persécution, ainsi qu'une mégalomanie excessive.

L'isolement social est aussi un symptôme et c'est ce qui arrive à Azula quand Zuko vient la voir à l'asile plus tard et qu'il la promène dans le parc, ou encore quand elle rentre au palais et refuse de communiquer. Zuko l'ignore mais elle en est alors à une autre étape de sa maladie, moins spectaculaire certes, mais qui prouve qu'elle n'est pas encore guérie.

Il faudra donc encore quelques retours en arrière pour comprendre comment les choses ont évolué, permettant à Azula de reprendre une vie presque normale, près de quatre ans après son internement.

Voilà, je remercie les personnes qui m'ont lue et n'hésitez pas à commenter ou à apporter des idées si cela vous plait !