Chapitre 6 - Pénitence


Une grande agitation régnait sur les quais.

Les cris des mouettes couvraient les voix des voyageurs qui adressaient leurs dernières recommandations à leur proches restés sur la jetée.

Des enfants couraient sur le port en jouant avec une toupie en bois.

Le visage des matelots était dissimulé par de lourdes caisses en bois remplies de marchandises que les passagers rapportaient chez eux et qu'ils portaient dans leurs bras musclés, le bois du ponton craquant dangereusement sous leur poids.

On entendait les quolibets de l'équipage tandis qu'un jeune mousse renversait accidentellement sur ses pieds le contenu d'une énorme caisse remplie de fioles et d'alambics qui s'écrasèrent dans un grand fracas de verre brisé sur le pont du navire.

Une épaisse fumée s'échappait déjà des deux grandes cheminées qui se dressaient de toute leur hauteur sur le navire.

« ...que nous nous reverrons bientôt, conclut Katara d'un ton cordial.

– Pardon ? s'exclama Zuko, soudain tiré de sa rêverie.

– Je disais, répéta Katara d'une voix soudain beaucoup moins chaleureuse, que j'étais certaine que nous nous reverrons bientôt.

– Ah, oui, pardon. Bien sûr, j'en suis certain moi aussi. » répondit-il en balbutiant un peu.

Ses amis le considérèrent un instant, la même expression un peu inquiète sur le visage.

Hakoda, Katara, Sokka et Sukki se tenaient tous les quatre devant lui, prêts à embarquer sur le bateau qui les ramènerait dans les terres polaires du Sud.

Le meeting était terminé depuis maintenant une semaine et ses amis avaient déjà prolongé leur séjour plus que ce qu'ils pouvaient se le permettre. D'autres affaires les appelaient dans leurs propres nations.

Aang s'était déjà envolé sur le dos d'Appa la veille, accompagné de Toph, pour rejoindre les acolytes de l'Air qui l'attendaient au Temple oriental de l'Air pour participer à sa reconstruction. Il déposerait au passage la jeune maîtresse du métal qui s'était enfin résignée à rendre une visite à ses parents à Gaoling après deux ans d'absence, avant de retrouver ses élèves dans son école de Maîtrise du métal près de Yu Dao.

Katara rentrait avec sa famille dans la Tribu de l'Eau du Sud pour former une nouvelle cohorte de maîtres de l'Eau venus des tribus du Nord. Son académie, comme elle l'appelait, attirait de nombreuses jeunes filles venues des contrées septentrionales désireuses de pouvoir user de leur maîtrise à d'autres fins que la guérison.

Les mentalités évoluaient doucement même après la guerre et les femmes du Nord n'étaient toujours pas autorisées à apprendre des techniques de combat.

En attendant que les choses changent, Katara accueillait avec bonheur ces jeunes filles et leur apprenait tout ce qu'elle savait. Plusieurs avaient déjà décidé de s'installer définitivement dans le sud et c'est avec émotion que Katara assistait à la naissance de la nouvelle génération de maîtres de l'Eau du Sud.

Toute l'équipe avait assisté, émue aux tendres adieux entre la jeune maîtresse de l'Eau et l'Avatar. Ils ne se retrouveraient que dans plusieurs mois.

Durant toute la scène, Mai s'était tenue aux côtés de Zuko, comme elle le faisait aujourd'hui, une main posée sur son épaule. Il s'était demandé ce qu'il ressentirait s'il était ainsi éloigné de Mai. Depuis leur mariage, ils ne s'étaient pratiquement plus quittés.

Ses devoirs de Seigneur du Feu le contraignaient à passer la plus grande partie de son temps dans sa propre Nation. Et les voyages, les aventures, les nuits à la belle étoile lui manquaient cruellement.

Les premières années de son règne, il avait continué de parcourir le monde avec ses amis en quête de personnes à aider Iroh s'était chargé de la régence, invoquant le jeune âge du Seigneur du Feu qui avait encore besoin de se former avant de prendre définitivement les commandes.

Mais son oncle vieillissait et Zuko voyait bien que malgré sa grande sagesse et ses connaissances en matière de politique, le cher homme qu'il considérait comme son père, ne s'épanouissait pas dans ces fonctions.

Il ne pouvait pas continuer à fuir indéfiniment ses responsabilités. D'ailleurs, les mauvaises langues commençaient à jaser à propos du jeune Seigneur du Feu impétueux qui avait pris le pouvoir suite à la défaite d'Ozai mais qui ne passait que quelques semaines par an dans son propre royaume. Ses plus farouches opposants réclamaient son abdication au bénéfice de son oncle, héritier légitime d'Azulon ou encore, pour la branche la plus fidèle à Ozai, au bénéfice de la princesse Azula dont tout le monde se demandait ce qu'elle était devenue.

Ainsi après son dernier voyage, deux ans et demi auparavant, il avait décidé de rester à la Caldera. Il avait libéré son oncle reconnaissant qui était reparti à Ba Sing Se s'occuper de son salon de thé qui avait continué de prospérer en son absence grâce à l'implication sans faille de Kuei, une jeune femme pleine d'enthousiasme qu'il avait embauchée et qui partageait son amour inconditionnel pour les arts du thé.

Il voyait son oncle plusieurs fois par an, lors de ses vacances ou quand le vieil homme venait lui-même lui rendre visite.

De retour chez lui, bien décidé à asseoir sa légitimité en tant que Seigneur du Feu, il s'était assis sur le Trône, avait épousé Mai et s'était décidé à gouverner.

Il s'était aussi décidé à assumer la charge de sa sœur qu'il n'avait pas vue depuis des mois. Il avait également fait porter ce poids sur les épaules de son oncle et se sentait terriblement coupable pour cela.

Après sa troisième visite, alors qu'Azula était enfermée depuis plus de six mois, l'état de détresse dans lequel il l'avait trouvée l'avait un moment poussé à prendre de la distance. C'était Iroh lui-même qui le lui avait conseillé, voyant dans quel état ces visites le mettaient.

Il était venu la voir encore quelques fois et voyant que ses visites semblaient leur faire à tous les deux plus de mal que de bien, il avait finalement écouté les conseils de son oncle et rejoint l'équipe de l'Avatar

Pendant près de deux ans, il avait sillonné le monde en leur compagnie, faisant d'occasionnelles apparitions à la Caldera où il retrouvait Mai pour son plus grand bonheur.

La jeune lanceuse de couteau les accompagnait dans certaines missions et l'équipe avait dû admettre que ses talents pour le combat, son intrépidité et sa grande finesse politique constituaient un atout pour leur équipe, un atout qui leur faisait oublier plus facilement les sarcasmes et l'humeur souvent maussade de la jeune fille.

Zuko ne pouvait s'empêcher de remarquer à quel point certaines de ses qualités lui rappelaient Azula. Cette pensée le mettait cependant mal à l'aise et jamais il n'aurait pris le risque de la vocaliser. Mai n'évoquait jamais Azula et ne souhaitait pas en entendre parler.

Pendant ses absences, Zuko envoyait parfois des lettres à sa sœur, restée seule dans son asile, sans autre compagnie que ses hallucinations, ses médecins et infirmiers et les quelques visites que lui rendait son oncle.

Il lui racontait ses aventures en essayant de ne pas trop s'étendre sur le sentiment de liberté grisant, sur le bonheur que lui procuraient ces voyages.

Il s'enquerrait dans ses lettres des progrès d'Azula et lui promettait de revenir la voir dès son retour.

Il n'obtenait jamais de réponse et supposait que ses lettres avaient toutes dû finir en cendres sur le sol de sa cellule à l'asile.

Pourtant il avait continué à lui écrire, mettant dans ses lettres toute l'affection dont il était capable. Si bien qu'il avait fini par y croire lui-même, par croire qu'il pouvait aimer un peu cette sœur qui avait fait de sa vie un enfer.

Durant cette période, il ne revint la visiter que quatre fois. Chacune de ces visites l'avaient plongé dans une profonde mélancolie.

Il avait certes remarqué les changements que d'aucuns auraient qualifié de progrès. Azula ne l'attaquait plus quand il venait la voir et elle semblait plus stable mais ses longs silences buttés, la manière dont elle refusait de le regarder et dont elle crispait la mâchoire pour retenir ses insultes ou peut-être pour éviter de fondre en larmes devant lui… tout cela lui rappelait quel désastre était leur relation.

Voyager avec Sokka et Katara lui avait découvrir ce que c'était, ce que ç'aurait dû être d'avoir une sœur. Et il les regardait se disputer, se hurler dessus ou rire aux éclats, prendre soin l'un de l'autre avec un mélange d'amusement et d'amertume.

Il était donc revenu la voir plus fréquemment, une ou deux fois par mois, jusqu'à ce que Ty Lee prenne le relais.

A présent, sur ce quai bruyant et enfumé, entouré de ses amis qui s'apprêtaient à le quitter une nouvelle fois, la main de Mai dans la sienne, il ne parvenait pas à se concentrer suffisamment pour les saluer avec toute la chaleur qu'ils méritaient.

Leur présence et leurs conseils avaient été précieux durant ce sommet qui avait permis d'officialiser l'existence de la République des Nations.

Il se reprochait aujourd'hui sa morosité lors des jours qui avaient suivi la réunion de clôture. Il avait tenté au mieux de dissimuler ses sentiments mais n'était par parvenu à partager leur enthousiasme et s'était fait de plus en plus discret, évitant les repas et les soirées sous des prétextes fallacieux.

Il n'était pas le seul à éviter les rassemblements.

Il n'avait plus revu Azula depuis cette fameuse nuit.

Encore une semaine après, il ne comprenait toujours pas comment la situation avait pu lui échapper à ce point.

Elle ne quittait plus sa chambre et se faisait monter ses repas directement dans ses appartements où elle dînait seule. Les servantes avaient rapporté à Zuko qu'elles retrouvaient souvent les assiettes intactes sur le plateau qu'Azula reposait devant sa porte, mais que la carafe de vin qu'elle commandait à chaque repas revenait généralement vide.

Au début, cela l'avait arrangé qu'elle le fuie. Lui-même se sentait trop coupable et trop misérable pour affronter son regard.

Mais l'inquiétude avait fini par le gagner quand il constata qu'il ne l'avait pas revue depuis trois jours.

Ses femmes de chambre avouèrent qu'Azula les avait congédiées et qu'elle leur refusait l'entrée. Elle avait ordonné qu'on lui apporte ses repas sur un plateau posé devant la chambre et que l'on parte aussitôt pour revenir le récupérer plus tard. Les gardes également avaient été démis de leurs fonctions.

On ne l'avait pas vue non plus fouler le sol poussiéreux de la cour de l'Agni Kai où elle se rendait d'habitude quotidiennement pour pratiquer ses katas ou peaufiner ses techniques de maîtrise du feu.

Cela, plus que tout autre chose, constituait une bonne raison de s'alarmer.

Il lui avait donc envoyé Taïma qui avait essayé de discuter longuement à travers la porte avec une Azula qui avait obstinément refusé de la laisser entrer. Elle avait cependant consenti quelques réponses pour lui assurer qu'elle était en bonne santé mais qu'elle ne voulait voir personne.

Taïma se faisait du souci également. Elle craignait qu'Azula néglige de prendre son traitement. Zuko ne lui parla pas des bouteilles de vin cachées dans la chambre.

Un moment il pensa lui envoyer Katara ou faire venir Ty Lee. La guerrière Kyoshi était la seule personne en-dehors de Zuko et de Taïma à qui Azula daignait accorder plus que quelques paroles de courtoisie.

Le choix de Katara était d'ordre plus thérapeutique. Il savait pertinemment que les deux jeunes femmes ne s'appréciaient pas et ne se comprenaient pas mais la compassion naturelle de Katara, le fait qu'elle ait été là lors de la première crise d'Azula, et de sa première grosse rechute, le fait qu'elle l'ait soignée après son séjour dans le réduit à l'asile, qu'elle ait contribué à l'élaboration du traitement qui l'avait sortie de sa folie… Tout cela avait contribué à faire naître une sorte de confiance entre elles et il savait que sa sœur avait fini par concevoir une forme de respect pour la jeune maîtresse de l'Eau, bien qu'elle préférât sans doute s'arracher le cœur que de l'admettre.

Finalement il avait renoncé. Il était peu probable qu'Azula accepte de se confier à Katara et il n'éprouvait de toute façon aucune envie que le secret qu'il partageait avec sa sœur soit éventé.

La nuit précédente, après qu'il eut passé deux heures à essayer de s'endormir sans succès, remuant de sombres pensées dans son esprit, à se tourner et se retourner dans son lit, Mai avait fini par s'impatienter et lui avait suggéré sur un ton assassin d'aller prendre l'air dans les jardins ou dans la cour d'entraînement, n'importe où du moment qu'elle n'aurait plus à le supporter.

Chassé de son lit, il avait donc commencé à errer dans les couloirs plongés dans la pénombre et ses pas l'avaient porté machinalement devant la double porte menant dans les appartements privés d'Azula.

La porte n'était pas gardée et il se rappela qu'Azula avait congédié les sentinelles. Il en fut d'abord très irrité car il n'aimait pas que sa porte reste sans surveillance. Azula, après tout, avait de nombreux ennemis dans la Nation du Feu.

Ce soir-là pourtant, ce comportement téméraire l'arrangeait. Il n'avait pas besoin de nouvelles rumeurs pour alimenter celles qui couraient déjà dans le palais, affirmant que le Seigneur du Feu était ressorti l'autre nuit de la chambre de sa sœur à une heure très tardive, à moitié nu, complètement paniqué.

L'attitude fuyante d'Azula n'avait fait qu'encourager les commérages.

Cependant, à son grand soulagement, si tout le monde y allait de sa petite théorie, l'hypothèse la plus populaire était qu'une dispute avait mal tourné entre le frère et la sœur, et qu'Azula avait perdu le contrôle de ses nerfs et brûlé les vêtements de Zuko.

Même ses amis en avaient entendu parler et Sokka avait lourdement plaisanté à ce sujet. Heureusement, Katara l'avait fait taire d'un coup de pied sous la table où ils se réunissaient habituellement pour dîner, voyant comme la mine de son ami se renfrognait.

Ses autres amis avaient eu la sagesse de ne pas lui en parler, même Toph qui ne ratait jamais une occasion de le taquiner, semblait avoir saisi la gravité de la situation.

Mai, quant à elle, était restée étrangement silencieuse toute la semaine. Il était impossible pourtant que cela lui ait échappé. Mai avait des espions à sa solde partout dans le palais, et avait élargi son réseau lors du retour d'Azula afin, Zuko le savait, de garder un œil sur la princesse.

Ce silence lui semblait de mauvais augure.

La veille donc, Zuko était resté un moment devant les grandes portes, résolument closes, des appartements d'Azula, le poing levé, s'apprêtant à frapper, mais le courage lui avait manqué et, renonçant, il était reparti lentement vers ses appartements, rongé par les remords et la culpabilité.

Un dernier appel retentit sur le quai. Tous les passagers étaient invités à embarquer.

Zuko serra chaleureusement chacun de ses amis dans ses bras et les remercia une dernière fois pour leur présence et leur soutien.

La main de Mai dans la sienne, il les regarda embarquer en leur adressant des grands signes de la main. Puis, quand le navire quitta le port, il le regarda s'éloigner, triste de les voir partir au loin. Le palais allait paraître bien vide sans eux et il lui serait désormais plus difficile d'éviter Azula sans l'excuse de ses invités pour l'occuper.

Il sentit une légère pression sur sa main et tourna ses yeux dorés vers le visage de Mai qui le fixait d'un air intransigeant.

« Maintenant qu'ils sont tous partis, vas-tu enfin me dire ce qui ne va pas ? »

Ce n'était pas tant une question qu'un ordre déguisé et il sut qu'il ne pourrait pas y échapper. Alors, avec un soupir, il détourna la tête, sans lâcher sa main, lui dit :

« Viens, rentrons… il faut que je te parle. »


Azula était assise, les genoux ramenés contre sa poitrine, un verre de vin à la main, sur la banquette sculptée dans l'alcôve juste sous sa fenêtre. Elle regardait les dernières lueurs du jour qui tombait lentement sur la Caldera. Au loin, des reflets d'or scintillaient sur la mer argentée. Le ciel semblait embrasé par des langues de feu qui lui donnaient une teinte rouge-orangée semblable à celle qu'il avait arborée dans les jours qui avaient précédé l'arrivée de la comète.

Azula se souvenait de l'incroyable sensation de puissance qu'elle sentait alors dans tout son corps et dans ses veines, à mesure que son pouvoir augmentait pour atteindre son paroxysme. Le feu en elle grandissait, chaque jour plus ardent, consumant en même temps son esprit et sa raison.

Aujourd'hui, bien que le ciel eût la même couleur, elle n'avait jamais été aussi pitoyable et elle sentait sa flamme intérieure faiblir et vaciller dangereusement. Quant à sa raison...

Cela faisait des jours qu'elle n'avait pas quitté sa chambre et elle ne savait pas combien de temps encore s'écoulerait avant qu'elle ose en sortir et affronte le regard de son frère.

Depuis une semaine, son esprit était torturée par le souvenir de cette soirée. Quel fiasco ! Elle avait été faible et stupide. Elle aurait aimé incriminer l'alcool mais elle se serait menti à elle-même. Elle savait que si l'occasion s'était présentée quand elle était sobre, elle aurait agi de la même manière. Plus que sa propre ébriété, c'était celle de Zuko qui lui avait donné le courage d'agir. Peut-être sa propre ivresse avait-elle seulement précipité les choses.

Peut-être avait-elle été trop entreprenante ? N'aurait-elle pas dû gérer les choses autrement ? Être plus subtile ?

Pourtant, elle était certaine qu'à un moment au moins, lui aussi avait eu envie…

Azula fulminait. A quoi servait-il d'être le plus grand maître du feu de sa génération, une stratège de génie et peut-être l'une des plus belles femmes de la Nation, si elle n'était pas capable de séduire efficacement le garçon qu'elle convoitait ?

Elle n'était pas stupide et il ne lui échappait pas que le rejet de Zuko n'était pas dû qu'au seul fait qu'il pût être indifférent à ses charmes. Elle était sa sœur… Et cela, c'était irrévocable. On n'y pouvait rien.

Elle avait toujours su que Zuko était un homme d'honneur et de principes. Il était tout à fait le genre de personne prête à renoncer à ce qu'il désirait le plus au monde pour de stupides questions de morale et de conventions.

Elle ne comprenait pas pourquoi les gens s'encombraient de telles considérations philosophiques qui les empêchaient à la fois d'atteindre leurs buts et le bonheur auquel ils aspiraient.

Si ce qui la rendait heureuse était de passer ses nuits dans le lit de son frère, pourquoi lui dénierait-on ce droit ?

Mais maintenant, elle doutait. Et si le fait qu'ils partagent le même sang n'était pas la seule raison de son rejet ?

Elle avait savamment tissé sa toile, sans douter une seconde que Zuko finirait par y tomber. Elle avait renoncé à ses ambitions, à sa couronne, avait soutenu son stupide projet utopiste de République des Nations. Elle avait tempéré ses ardeurs quand il avait voulu la défendre auprès des vieilles biques du Conseil qui aspiraient à l'évacuer de la scène politique. Elle lui avait conseillé la modération quand des voix s'étaient élevées partout dans Royaume de la Terre, exigeant son extradition en vue d'un procès qui se serait conclu inévitablement par l'exécution d'Azula.

Elle avait consenti des efforts conséquents pour rester polie avec Mai, pour rire aux plaisanteries de ce rustre de la Tribu de l'Eau avec son stupide boomerang et sa traînée de Kyoshi. Elle avait écouté les discours exaspérants de sagesse que débitait l'Avatar en feignant un intérêt infiniment supérieur à ce que ces inepties de gourou méritaient.

Elle avait dû supporter la bienveillance écœurante de Katara qui se comportait avec les autres comme si elle était leur mère. Heureusement, elle avait eu le bon goût de ne pas user du même ton autoritaire avec elle et de lui épargner ses stupides conseils ! Elle savait au moins à quoi s'en tenir.

Et la petite aveugle avec son parler épouvantable qui se curait le nez et posait ses pieds répugnants sur la table ! Azula avait cru plus d'une fois qu'elle allait vomir et s'était retenue de brûler la plante de ses pieds lorsqu'elle s'était trouvée face à elle autour de la table basse la dernière fois qu'elles avaient été contraintes de prendre le thé ensemble.

Elle était soulagée qu'ils soient enfin partis. Elle n'aurait pas supporté de passer plus d'un soir en leur compagnie.

Le vin avait aidé, il est vrai. Et Zuko n'avait pas manqué de le remarquer.

Toujours à lui prendre sa coupe des mains, à lui refuser un dernier verre, à s'assurer qu'elle prenait bien son traitement… Son attitude hyper-protectrice avait été attendrissante un moment, mais elle avait fini par en être irritée.

Finalement, dans cette assemblée, Mai lui avait encore paru la personne la plus supportable. Dommage qu'elle fût une traîtresse de la pire espèce. Mai était calme, savait comment se comporter en société et avait un sens de l'humour indéniable qui avait parfois obligé Azula à plonger plus vite que nécessaire dans sa coupe de vin pour cacher le sourire qui s'esquissait presque malgré elle sur ses lèvres après une sortie acerbe de la jeune lanceuse de couteau.

Mai avait le bon goût de savoir se taire et d'éviter les démonstrations d'affection envers Zuko quand elle était en leur compagnie, contrairement à Katara et Aang qui étalaient sans cesse leur bonheur à sa figure dans des débordements de tendresse parfaitement horripilants.

Sans parler de Sokka et de la guerrière Kyoshi dont les insinuations parfois formulées à voix haute et les mains traînantes l'avaient portée au bord de la nausée.

Oui, elle devait bien admettre que parfois, l'amitié de Mai lui manquait. Mais après quatre ans d'une indifférence méprisante, après tout ce qui s'était passé, le lien qui les unissait était définitivement brisé.

Et puis, entre elles, il y avait… Zuko.

Elle soupçonnait parfois Mai de savoir. Elle avait bien vu comment elle haussait les sourcils quand Azula posait doucement une main caressante sur le poignet ou l'épaule de son frère avant de s'adresser à lui pendant les repas. Ou comment son visage déjà maussade se renfrognait lorsqu'elle captait du coin de l'œil les œillades qu'Azula jetait au Seigneur du feu quand lui-même regardait ailleurs.

Mai ne lui avait pas pardonné sa tentative de meurtre sur Zuko, ni son séjour en prison.

Et Azula ne lui pardonnait pas sa rancune, son indifférence pendant qu'elle moisissait dans son asile. Mai n'était même pas venue une seule fois… enfin, à part dans sa tête. Et ces visites étaient rarement plaisantes.

Ty Lee, elle au moins, était venue. La gentille, l'indulgente, la compatissante Ty Lee…

L'acrobate réunissait en un seul être toutes les qualités qu'Azula méprisait habituellement. Mais pour une raison qui lui échappait, elle lui pardonnait et s'accommodait même de ces traits de caractère qu'elle trouvait parfaitement exaspérants chez les autres.

Comme elle aurait aimé la voir à cet instant…

Ty Lee avait toujours su s'y prendre avec les garçons et si elle était là, elle lui dirait peut-être quoi faire, quoi penser. Elle pourrait lui dire quelles erreurs elle avait commises le soir où Zuko l'avait rejetée.

Bien sûr, elle n'aurait pas pu tout lui dire. Ty Lee était une personne compréhensive mais même son ouverture d'esprit avait ses limites. Elle voyait d'ici la grimace de dégoût qui s'afficherait sur son visage si elle lui révélait qui était le mystérieux garçon dont elle était si désespérément amoureuse.

Ses grands yeux gris et naïfs auraient sans doute pris la même expression que celle qui était apparue dans ceux, dorés, de Zuko.

Azula but une nouvelle gorgée de vin et ferma les yeux pour ne pas repenser à la répulsion dans les yeux de son frère lorsqu'il l'avait repoussée, qu'il l'avait toisée de toute sa hauteur alors qu'elle se tenait à ses pieds, humiliée et confuse.

Peut-être que ce n'était pas que parce qu'elle était sa sœur. Peut-être la trouvait-il vraiment repoussante, indigne de son attention ?

A un moment ce soir-là, elle avait eu l'impression – presque l'assurance – qu'il la désirait. Elle avait vu dans ses yeux dorés la même flamme qu'elle n'avait que trop souvent vue brûler dans ceux des hommes lors des soirées mondaines organisées à la Cour, lorsque tous l'entouraient, la flattaient, lui proposaient d'être son cavalier. Elle-même, n'ayant d'yeux que pour l'homme le plus important de la soirée qui se tenait souvent en retrait, un verre dans la main, collé à Mai qui regardait autour d'elle en baillant ostensiblement.

C'était l'effet de l'alcool… Juste l'alcool, rien d'autre. Il se fiche de toi.

Elle avait suffisamment fréquenté les hommes lors de ses missions pour son père : des marins, des soldats… Elle savait comme l'alcool les abrutissait, leur faisait oublier qui ils étaient et les faisait renoncer à tous les principes qu'ils prétendaient défendre au prix de leur vie lorsqu'ils étaient sobres.

On disait que le sexe avait le même effet sur eux. Azula ne pouvait pas le dire…

Ty Lee pourrait.

Mais Ty Lee n'était pas là. Elle devait être loin, sur son île, en train sans doute d'user le tatami de la salle d'entraînement des guerrières Kyoshi, enseignant ses techniques les plus élaborées à ses nouvelles meilleures amies.

Avant qu'elle ait pu s'en empêcher, Azula laissa échapper un petit son méprisant et fronça les sourcils.

Puis, tandis que le soleil disparaissait définitivement à l'horizon et que des nuages aux nuances variées s'étiraient dans le ciel printanier, elle posa son menton sur ses genoux et contempla le spectacle en repensant à la dernière fois qu'elle avait vu son amie.

« Allez, je t'en prie, Azula, dis-moi ! Dis-moi qui c'est! »

Ty Lee trépignait littéralement, ses pieds chaussés de ballerines roses piétinant les dalles de pierre entourant le bassin de la fontaine autour de laquelle elles s'étaient arrêtées, dans le jardin royal.

C'était le début du printemps et le jardinier avait fait un travail stupéfiant. Des fleurs aux formes variées exhibaient leurs couleurs éclatantes comme un véritable feu d'artifice.

Mais Azula était indifférente à ce spectacle, trop exaspérée par les exclamations surexcitées de son amie qui la pressait de questions depuis qu'elle avait malencontreusement laissé glisser qu'elle pensait à quelqu'un en ce moment.

En fait, cette révélation n'était pas complètement accidentelle. Mais Azula avait été à court d'excuses pour dissuader la jeune acrobate d'une énième proposition de lui présenter un garçon absolument charmant dont elle avait fait la connaissance et qui serait « paaaarfait ! » pour Azula.

Elle avait donc fini par avouer, dans une tentative désespérée pour se débarrasser d'elle, et sans la regarder, qu'il y avait déjà quelqu'un.

Et depuis cette malheureuse révélation, Ty Lee n'avait cessé de la harceler, de sautiller autour d'elle en lui posant mille questions, en la regardant avec de grands yeux suppliants pour connaître tous les détails et surtout l'identité du mystérieux élu !

Ty Lee savait qu'Azula était loin d'avoir la même expérience qu'elle avec les hommes et c'était un sujet que la princesse abordait rarement. Depuis sa piètre tentative de plaire à Chan, le fils de l'Amiral, lors de leur séjour sur l'île de Braise, des années auparavant, on n'avait guère vu Azula flirter avec quelqu'un.

Bien sûr elle savait comment flatter les hommes, comment répondre par un sourire enjôleur à leurs compliments lors des soirées mondaines, comment leur soutirer des renseignements en acceptant de se promener à leur bras dans les jardins du palais ou en leur accordant une danse… Pour ceux qui ne la connaissaient pas, Azula était aussi experte dans l'art de la séduction qu'elle était talentueuse dans la maîtrise de son élément.

Mais tout cela, ce n'était que de la politique.Elle n'avait jamais éprouvé le moindre intérêt pour ces prétendants arrogants. Comment pouvaient-ils avoir l'audace de croire une seconde qu'ils avaient suffisamment de valeur pour lui plaire et obtenir ses faveurs ?

Elle s'était arrangée cependant pour que Zuko reste suffisamment ignorant de ses intentions. S'il avait su que l'intérêt qu'elle portait à ses hommes était feint, cela aurait donné lieu à des conversations probablement très inconfortables.

Elle veillait toujours à bien garder un œil sur son frère lorsqu'elle acceptait une danse et aimait la manière dont il la suivait du regard et dont ses jointures blanchissaient autour du verre qu'il tenait fermement dans sa main tandis qu'elle autorisait le fortuné cavalier à passer un bras autour de sa taille ou à lui baiser la main quand la musique cessait.

Mais sans doute s'imaginait-elle des choses… Ce ne serait pas la première fois.

Pour l'heure, ce qui était bien réel, c'était Ty Lee qui venait de s'asseoir à côté d'elle sur le bord du bassin pour mieux la dévisager.

« Allez, Azula ! Ça restera entre nous ! Oh ! Je suis sûre que c'est un homme très puissant ! Je ne t'imagine pas sélectionner l'amour de ta vie parmi des roturiers ! »

Et elle éclata de rire à sa propre plaisanterie.

Le plus puissant de tous… pensa Azula avec amertume.

Azula détourna la tête pour éviter le regard de Ty Lee. L'agacement commençait à se muer en colère. Elle commençait à sentir l'électricité se former au bout de ses doigts et se releva vivement pour s'éloigner de l'eau et de son amie, serrant les poings pour retenir la foudre qui ne demandait qu'à sortir de son corps.

Ty Lee plaça soudain ses deux mains sur sa bouche en étouffant une exclamation :

« Han ! C'est un roturier ?

Bien sûr que non ! »

Azula était positivement indignée que son amie ait pu seulement envisager cette possibilité.

« Arrête Ty, tu veux ? Je n'ai vraiment pas envie d'en parler avec toi…

Mais alors, avec qui ?

Personne, d'accord ? s'emporta Azula.

Ty Lee était l'une des rares personnes devant qui Azula s'autorisait des débordements d'émotions.

La colère céda rapidement la place à l'amertume.

Tournant le dos à l'acrobate, elle baissa la tête et desserra les poings.

« De toute façon, c'est inutile… Il...il ne se passera jamais rien avec lui... »

Elle n'avait pas pu empêcher sa voix de prendre une inflexion désespérée qui lui fit honte, ni ses épaules de s'affaisser sous le poids du découragement.

Dans son dos, elle sentit que Ty Lee se levait. Azula ne la repoussa pas quand son amie posa une main compatissante sur ton épaule.

Ty Lee dut y voir un signe encourageant, car elle murmura :

« Pourquoi cela Azula ? Comment peux-tu le savoir ? »

Azula considéra un moment ses options. Elle pouvait envoyer paître Ty Lee et la rappeler à l'ordre. Elle avait beau être la fille d'un noble, elle était la princesse et même son amie devait apprendre à rester à sa place.

Mais le poids du secret dissimulé depuis des années, le désespoir, le besoin d'exorciser cette douleur, au moins un petit peu, sans tout révéler, lui donnèrent envie de laisser s'effriter juste un peu la carapace qu'elle portait. Ty Lee était son amie, sa seule véritable amie, et si elle pouvait l'aider à s'alléger un peu de ce poids, alors pourquoi pas ?

Pendant qu'elle réfléchissait à l'opportunité de révéler un peu d'elle-même, Ty Lee s'était placée devant elle et avait pris sa main dans les siennes. Azula devina qu'elle devait avoir l'air particulièrement misérable pour que son amie se montre aussi entreprenante.

Ce fut cela qui la décida à parler :

« Il est marié… avoua-t-elle.

A sa grande surprise, Ty Lee éclata de rire.

Azula la regarda avec de grands yeux ronds :

« Je ne vois pas ce que ça a de drôle…

Enfin Azula ! Tu es une princesse et tu ne sais toujours pas comment fonctionne la vie de Cour ?

Comme Azula haussait les sourcils, elle poursuivit :

Quelle importance qu'il soit marié ou non ? Depuis quand les hommes de la Cour s'encombrent-ils de ce genre de considérations ? Aucun homme à la Cour n'est fidèle !

Zuko l'est, corrigea Azula en essayant de ne pas trahir sa morosité.

Zuko n'est pas un exemple ! C'est le garçon le plus romantique que je connaisse ! Et il aime tellement Mai ! Il ne voudrait jamais aller voir ailleurs !

Non, en effet…

Si Azula s'était encore assombrie à cet instant, Ty Lee ne sembla pas le remarquer.

« Sans compter que Mai le tuerait s'il la trompait ! Je ne pense pas qu'il soit prêt à courir le risque ! »

Voyant qu'Azula ne réagissait pas à son trait d'humour et détournait le regard dans la direction opposée pour cacher son visage, Ty Lee reprit son sérieux et secoua gentiment sa main dans les siennes.

« Ecoute Azula, si cet homme te plaît et que tu lui plais, le fait qu'il soit marié n'est pas vraiment un obstacle. A moins que ce soit ce que tu veuilles, toi aussi ?

L'épouser ? Certainement pas ! C'est impossible.

Alors ne désespère pas ! Tu es la princesse ! Et la fille la plus intelligente, la plus belle et la plus parfaite du monde entier ! »

Azula eut un petit sourire triste. On voyait bien qu'elle n'y croyait plus vraiment.

« Une princesse disgraciée, déchue de ses pouvoirs et qui a passé trois ans dans une maison de fous à répondre et à agresser des gens qui n'étaient même pas là… rappela-t-elle.

Tout le monde a un passé, répondit Ty Lee sur un ton réconfortant.

J'ai fait du mal à tant de gens…

Tu lui en as fait à lui ?

A lui plus qu'à tout autre... » Sa voix se brisa un peu tandis qu'elle prononçait ces mots.

Ty Lee ouvrit de grands yeux ronds. A l'évidence, elle ne comprenait pas de quoi pouvait bien parler Azula. Mais d'après le regard plein d'empathie que lui lançait son amie, Azula devina que son expression devait être parfaitement déchirante.

« Mais il m'en a fait aussi, continua Azula qui, maintenant qu'elle avait commencé à se confier, se sentait un peu plus légère. Et je crois que maintenant, il m'a pardonnée.

Alors tout va bien ! Il te suffit de le séduire. Passe du temps avec lui, ris à ses blagues, montre-toi un peu vulnérable, comme tu l'es maintenant, mais pas trop ! Sois naturelle et je suis sûre qu'il te regardera différemment ! »

Azula ne put s'empêcher de grimacer à de telles niaiseries. Mais, soucieuse de ne pas blesser son amie, elle s'abstint de tout commentaire.

« C'est inutile Ty Lee. Je ne crois pas que je lui plaise. Il ne me regarde pas comme ça. Il me voit plutôt comme une amie… une sœur... »

Elle risqua un regard vers Ty Lee pour voir si elle avait saisi l'allusion, les lèvres un peu tremblantes.

Durant un instant, elle espéra qu'elle saisirait, et fut terriblement tentée de lui dire. De lui avouer l'un de ses plus obscurs secrets, pour se soulager un peu de la honte et de la culpabilité qui la rongeait depuis toutes ces années.

Si elle relève, je lui dirai, pensa-t-elle.

Mais Ty Lee ne releva pas.

Qui d'autre qu'elle, avec son esprit tordu, pourrait se figurer quelque chose comme cela ? Apparemment, le fait qu'une femme tombe amoureuse de son propre frère n'était pas une possibilité que les autres envisageaient spontanément. Pas même Ty Lee qui était l'une des personnes les plus tolérantes qu'elle connût.

« Je vois, répondit-elle à la place. Écoute Azula. Je connais bien les hommes. Même le plus stoïque d'entre eux ne peut pas résister à une jolie fille si elle est un peu… hum...entreprenante, si tu vois ce que je veux dire... »

Azula cligna des yeux. Elle voyait très bien mais cela ne l'aidait pas vraiment.

Entreprenante à quel point ? osa-t-elle demander.

Le regard de Ty Lee était assez éloquent.

Je ne peux pas ! s'exclama aussitôt Azula, soudain effrayée. Je suis la princesse… je suis censée me préserver. Si Zuko décide qu'un jour je dois me marier...

Ne me fais pas rire ! Comme si tu allais laisser Zuko décider quelque chose comme ça pour toi ! Je ne te savais pas si vieux jeu Azula !

Zuko est le Seigneur du feu et je lui suis loyale, trancha Azula en retirant abruptement sa main de celles de son amie. Je ne peux pas m'opposer à sa volonté.

Azula, je te connais mieux que ça… Je ne crois pas en un monde dans lequel Zuko déciderait de ton avenir, même avec celui de toute une nation entre les mains ! Il n'osera jamais te marier sans ton consentement ! »

Il y pense déjà. J'ai vu les lettres dans son bureau... » Et elle se retourna pour essuyer furieusement une larme impromptue qui venait d'apparaître à a bordure de sa paupière.

Ty Lee ne demanda pas comment Azula avait eu accès à une lettre sans doute scellée censée être cachée dans le bureau privé du Seigneur du Feu.

Et Azula ne parla pas de l'horrible sentiment de trahison qu'elle avait éprouvé alors en découvrant de contenu de la missive.

« Est-ce qu'il a...pris une décision ? Il t'a choisi quelqu'un ?

Non, je ne pense pas. Je ne lui en ai jamais parlé. Ce n'était que la lettre d'un stupide prétendant. Un haut fonctionnaire du Royaume de la Terre, je crois… Apparemment, ceux de Ba Sing Se qui ne veulent pas ma tête veulent ma main... », éclata-t-elle d'un rire sans joie.

Elle fit un geste avec sa main, comme pour chasser une mouche importune, puis reprit :

« Je ne pense pas qu'il ait décidé quoi que ce soit et je suis certaine qu'il ne me donnerait jamais à quelqu'un de Ba Sing Se. Mais le fait qu'il ait gardé cette lettre, ça prouve qu'il y pense, non ?

Je ne sais pas Azula… Tu peux toujours refuser. Il ne te forcera jamais, n'est-ce pas ? Enfin, c'est Zuko, ce n'est pas ton… Ce n'est pas…

Ozai…, conclut Azula pour elle. Oui tu dois avoir raison...»,

Non, Zuko n'était pas Ozai.

C'était étrange. Elle aurait tant aimé parfois que Zuzu la voie comme Ozai la voyait. Qu'il remarque tout son potentiel, son talent, qu'il ose l'exploiter comme son père l'avait fait. Qu'il lui accorde sa confiance.

Et en même temps, elle aurait tant aimé qu'Ozai l'ait traitée un peu plus comme Zuko le faisait.

L'ironie de la situation était insupportable. Comment pouvait-elle si désespérément désirer de l'un ce qu'elle redoutait tant de l'autre ?

Azula se tut. Elle retourna s'asseoir sur le bord du bassin et détourna le regard.

Il y eut un silence un peu inconfortable pendant lequel Azula fit jaillir dans sa paume une petite flamme bleue à laquelle elle s'amusa à donner des formes complexes d'un air absent.

Ty Lee revint s'asseoir à côté d'elle.

« Écoute Azula, lui dit-elle gentiment, si vraiment tu ne peux pas...comment dire… compromettre ta vertu…

Azula plaqua ses doigts contre ses paupières pour chasser l'image qui s'efforçait de s'insinuer dans son esprit.

Celle d'une ombre opaque et noire obscurcissant la face du soleil. Celle d'un dais rouge-sombre au-dessus d'elle.

« ...d'autres solutions... » acheva Ty Lee.

Pardon ? », sursauta Azula qui n'avait pas écouté.

Le souvenir avait disparu comme il était venu. Elle édifia immédiatement le mur mental qui l'en protégeait. Il arrivait souvent que le souvenir se faufile à travers une fissure, une faille, comme il venait de le faire. Elle devait être plus prudente. Elle ne pouvait pas laisser ces images revenir.

C'est interdit de penser à ça !

C'était pour cela qu'il était dangereux de laisser s'exprimer ses émotions. Elle le savait et était stupide de s'être confiée ainsi à Ty Lee.

Azula secoua la tête et les mains pour reprendre une contenance. La petite flamme s'évanouit brusquement. Et elle reporta son attention sur Ty Lee qui répétait patiemment :

« Je disais seulement que si tu ne veux pas te donner à lui, il existe d'autres moyens efficaces de...satisfaire un homme.

Comment ? demanda-t-elle, intriguée.

On lui avait toujours appris que les hommes étaient intransigeants et impatients. La manière dont ses prétendants la pressaient lors des soirées mondaines, dont ils essayaient de passer un bras autour de sa taille lorsqu'elle consentait à s'asseoir près d'eux, à la faveur d'une promenade nocturne, lui avait prouvé le contraire.

Alors Ty Lee se pencha vers elle et souffla quelque chose dans son oreille qui la fit rougir furieusement.

« Quoi ? Mais c'est répugnant !

Mais non ! Que veux-tu ? Ils adorent ça !

Les paysans peut-être !

Quand il s'agit de ça, crois-moi, les distinctions entre les classes sociales n'ont plus cours ! répondit joyeusement Ty Lee en balançant ses jambes en avant pour se relever d'un bond et effectuer une pirouette.

Ne me dis pas que tu l'as déjà fait ? »

Ty Lee, qui marchait maintenant sur ses mains, eut un sourire gêné et Azula s'éloigna d'elle d'un air dégoûté.

Ty Lee se redressa sur ses pieds.

« Ecoute, je comprends ta réaction mais quand on aime vraiment un homme, ça ne paraît plus si dégoûtant. Et si tu t'y prends comme il faut, je peux t'assurer qu'il cessera de te voir comme une amie… et encore moins comme une sœur ! » dit-elle pour lui faire écho.

Azula essaya de rester stoïque à ce dernier mot.

« Bon… murmura-t-elle finalement en se rapprochant de Ty Lee, explique-moi comment on s'y prend... »

Avec un sourire effronté, Ty Lee commença à parler et Azula, en bonne élève, partagée entre le dégoût et la fascination, écouta attentivement.

Maintenant, assise dans son alcôve, regardant la mer qui venait d'engloutir le soleil à l'horizon, elle repensait à cette conversation et maudit intérieurement Ty Lee pour ses stupides conseils.

Azula devait bien admettre qu'à un certain point, dans la soirée, elle avait perdu le contrôle de la situation. Si chaque geste, chaque parole, chaque regard avait été minutieusement réfléchi et mesuré lorsqu'ils se trouvaient dans la grande chambre, elle n'avait pas prévu ce qui s'était passé dans la salle de bain.

Elle enfouit sa tête dans ses bras et étouffa une exclamation de rage.

La honte la consumait et elle se sentait prête à perdre la raison à nouveau.

Elle ne s'était pas préparée à voir son frère à moitié nu en se retournant pour essuyer ses vêtements. Elle aurait été bien incapable de dire par quelle sorte de vil instinct elle avait été poussée à agir comme elle l'avait fait.

Comme une vulgaire putain.

Au début, elle n'avait pas eu l'intention d'aller si loin. Voir la cicatrice sur la poitrine de Zuko, l'endroit où l'éclair mortel qu'elle avait produit avait pénétré sa chair, avait créé en elle un mélange confus d'émotions : culpabilité, fascination, désir…

Elle s'était donc laissé guider par ces émotions et quand elle avait commencé à l'embrasser, elle avait surtout voulu exprimer son remords et son désir de réparer ses erreurs, lui assurer que leur relation pouvait être construite sur autre chose que la haine et une rivalité stérile.

Puis Zuko avait murmuré son nom. Il avait commencé à glisser ses doigts dans ses cheveux, l'encourageant à poursuivre son exploration.

Elle l'avait senti se durcir contre elle, comme Ty Lee lui avait dit. Et alors les événements avaient échappé à son contrôle.

Loin d'éprouver le dégoût qu'elle s'était imaginé, elle avait eu terriblement envie de le satisfaire, de lui procurer un plaisir au moins équivalent à la douleur qu'elle lui avait infligé en le frappant de ses éclairs.

Puis Zuko l'avait brutalement repoussée. Il l'avait projetée violemment contre la baignoire et était parti, une expression de profond dégoût gravée sur son visage ravagé.

Il l'avait laissée seule, l'obligeant à contempler sa déchéance et son humiliation.

Et il n'était pas venu la voir. Elle était restée tout ce temps enfermée dans sa chambre, partagée entre le désir de parler avec lui, de se justifier et la crainte de le voir apparaître et d'affronter sa colère ou son mépris.

Elle essayait désespérément de s'étourdir avec le vin qu'elle cachait dans son coffre mais tout ce qu'elle était parvenue à faire, c'était à s'abrutir et à s'infliger une sensation de migraine permanente, ainsi qu'un goût âpre dans sa bouche. Et elle ressassait tout le jour les événements de cette nuit irrévocable.

Que dirait Père s'il la voyait ? S'il pouvait contempler le pathétique spectacle de celle qu'il disait être un prodige, que dirait-il ? Supposer qu'il serait déçu serait présomptueux. Il serait fou de rage.

La nuit qui était tombée au-dehors avait rendu le ciel suffisamment opaque pour qu'Azula puisse apercevoir son reflet dans la vitre.

La jeune femme qu'elle pouvait y distinguer n'avait rien de la charismatique princesse mortelle qu'elle avait été jadis.

Il n'y avait qu'une fille aux yeux tristes, démaquillée, vêtue d'un kimono en soie, les cheveux négligemment attachés en une longue tresse qui pendait en travers d'une épaule, un verre de vin à moitié vide à la main.

Voilà tout ce qui restait de la princesse Azula, fille d'Ozai, adulée de toute sa nation, autrefois prédestinée au trône : une idiote qui se consumait pour un chagrin d'amour.

Aujourd'hui, elle était seule dans sa chambre, sans ami, sans personne pour l'admirer. Disgraciée, détestée, crainte...non pas pour son pouvoir, mais pour sa folie.

Elle avait fait fuir le seul membre de sa famille qui lui restait. Pourquoi n'avait-elle pas pu se contenter de ce qu'il avait bien voulu lui donner ? Pourquoi ne pouvait-elle se satisfaire du cadeau inespéré que représentait son affection fraternelle ? Pourquoi voulait-elle toujours plus ?

Personne ne l'avait jamais prise dans ses bras avant lui – si l'on excluait les étreintes imprévisibles de Ty Lee dans ses grands moments de surexcitation.

Alors, dans un geste de fureur désespérée, elle leva son verre au-dessus de sa tête et l'envoya se briser contre le sol en pierre de sa chambre, puis, la tête dans les bras, elle essaya de calmer les tremblements de rage qui secouaient tout son corps.

Quand elle eut repris le contrôle de ses nerfs, elle tourna la tête et son regard se posa sur les morceaux de verre brisé au sol. Précautionneusement, elle se leva pour quitter l'alcôve et se dirigea vers eux.

Elle ramassa un morceau qui lui parut particulièrement tranchant et marcha vers son lit. Elle y monta et s'adossa contre sa tête de lit, les genoux repliés devant elle.

Elle tourna la tête à droite et à gauche, comme pour vérifier que personne ne pouvait la voir. Elle étudia un moment le morceau de verre qu'elle tenait toujours dans sa main et le retourna entre ses doigts jusqu'à ce qu'elle eût repéré le coin le plus coupant.

Consciencieusement, elle l'appliqua contre la peau translucide sous son poignet. Une perle de sang écarlate ne tarda pas à s'y former. Fascinée, elle regarda le liquide s'écouler lentement le long de son avant-bras. Puis, elle enfonça le morceau de verre plus loin dans sa chair jusqu'à ouvrir une entaille profonde. Elle répéta le geste jusqu'à ce que la douleur devienne insoutenable.

Enfin, levant l'arme improvisée au-dessus de son avant-bras, elle commença à s'en frapper, frénétiquement, de plus en plus vite, comme un ouvrier enfonçant un clou à l'aide d'un marteau ou un assassin, pris de transe, poignardant sa victime.

« C'est ta faute, ta faute, ta faute ! »

Les mêmes mots répétés sans fin, tel un mantra, s'élevèrent dans la pièce, de plus en plus forts, entrecoupés par des gémissements, des halètements et des hoquets de douleur.

Inlassablement, elle se frappait, ouvrait de nouvelles incisions puis faisait tourner le bout de verre dans ses blessures.

La sensation était insupportable, horrible, délicieusement atroce.

Des larmes jaillirent de ses yeux tandis qu'un sang rouge vif giclait tout autour d'elle, tachant ses draps et ses taies d'oreiller. Sa respiration s'accéléra. Enfin, quand la douleur atteignit son paroxysme, elle renversa la tête en arrière et ferma les yeux, en poussant un petit cri étranglé presque sensuel. Un témoin extérieur à la scène n'aurait pu dire s'il s'agissait d'une exclamation de souffrance ou d'extase. Peut-être était-ce un peu les deux...

Elle garda les paupières closes et se laissa quelques minutes pour reprendre son souffle.

Au bout d'un moment, elle rouvrit les yeux pour contempler la chair tailladée et ravagée sous son avant-bras tout engourdi.

S'emparant à tâtons d'un pan de drap, elle l'appliqua sur sa peau et fit pression sur les plaies pour arrêter l'hémorragie.

Puis, quand elle fut prête, elle changea le morceau de verre de main et relevant la manche de son kimono sur son autre bras, elle recommença.


« Cette petite garce hypocrite est encore plus cinglée et dérangée que tout ce que j'avais imaginé. »

Comme toujours avec elle, le ton restait mesuré et neutre mais Zuko, qui la connaissait si bien, pouvait percevoir la fureur qui s'exprimait dans la façon dont frémissaient ses lèvres, dans la petite ride qui se formait entre ses deux sourcils, dans la crispation de ses épaules étroites alors qu'elle se tenait debout devant lui, dans leur chambre au palais.

Zuko resta silencieux un moment.

Il venait de lui révéler ce qui s'était passé avec Azula, en omettant volontairement une partie du récit.

Par souci de préserver son couple, et parce qu'il ne voulait pas ternir davantage l'image déjà dégradée de sa sœur auprès de Mai, il lui avait simplement dit qu'Azula était ivre et lui avait fait quelques avances avant d'essayer de l'embrasser.

Il ne voyait pas l'utilité d'entrer dans les détails. Après tout, il ne s'était rien passé, n'est-ce pas ? Il avait arrêté les choses avant qu'elles ne deviennent hors de contrôle. Il avait agi...certes un peu tard, mais il y avait mis un terme.

Il ne lui parla pas des baisers qui avaient laissé des traces de rouge à lèvre dans son cou et sur son torse, qu'il avait furieusement essuyées avec une eau savonneuse en retournant dans ses appartements ce soir-là, comme s'il espérait que les faire disparaître effacerait aussi un peu sa honte et sa culpabilité.

Il n'évoqua pas davantage les caresses échangées sur le divan, ou comment il avait laissé ses doigts errer dans ses cheveux quand elle était à ses pieds, la pressant un peu plus contre son ventre.

Il ne précisa pas non plus à quel point il était devenu dur quand sa sœur avait commencé à s'affairer sur le nœud de son pantalon.

Il ne mentionna pas non plus les rêves qu'il faisait chaque nuit depuis, dans lesquels il ne la repoussait pas et où il s'abandonnait à un plaisir criminel.

C'était plus simple comme cela. Il avait toujours blâmé Azula pour ce qui n'allait pas dans sa vie. Ce mensonge, qui n'en était pas un, n'était qu'un méfait de plus à ajouter à la liste des crimes d'Azula. Mai, malgré le dégoût qu'elle ressentait visiblement, n'avait pas eu beaucoup de mal à le croire quand il lui avait parlé de la conduite inappropriée de la princesse.

Cependant, il avait tenu à ne pas trop fustiger sa sœur. Il avait donc bien insisté dans son récit sur l'état d'ébriété dans lequel elle se trouvait. Il ressentait encore le besoin de souligner cet état de fait :

« Je ne crois pas qu'elle aurait fait cela si elle n'avait pas été saoule...

– Tu ne le crois pas ou tu ne veux pas le croire ? l'admonesta Mai. Arrête de lui chercher des excuses pour sa conduite amorale ! Vois les choses en face Zuko ! Elle te manipule.

– Je ne lui cherche pas d'excuse. C'est un fait, c'est tout. Et je ne vois pas quel intérêt elle aurait à… à me séduire. Quel bénéfice pourrait-elle bien en tirer ?

Mai feignit une petite toux :

« Hum ! Je ne sais pas… le trône ?

Interdit, Zuko répliqua :

– Le trône ? Mais comment ? Les unions incestueuses sont interdites dans la Nation du Feu. L'inceste en lui-même est un crime ! Comment être avec moi pourrait-il la rapprocher du pouvoir ?

– Elle pourrait te manipuler, te faire chanter, ruiner ta réputation à tout jamais. Te dénoncer et obliger le Conseil des Anciens à te faire abdiquer…

– En quoi en tirerait-elle le moindre bénéfice ? répondit-il, incrédule. Sa réputation en serait aussi entachée que la mienne !

– Pas si elle prétend que tu l'as forcée…

– Je n'ai pas...je ne ferai jamais…

– Ou que tu as utilisé sa vulnérabilité pour la manipuler.

– Mais enfin...jamais je ne…

– Peu importe ce que tu en penses ou ce que j'en pense moi-même Zuko ! s'emporta-t-elle soudainement. Ce qui compte, c'est ce que les autres vont penser ! Tu as des ennemis Zuko, des personnes qui n'attendent qu'une occasion de te déloger du trône ! Et Azula a ses soutiens, ne l'oublie pas !

– Je me suis assuré il y a des mois qu'Azula soit totalement isolée et que personne de l'extérieur ne puisse entrer en communication avec elle. Elle ignore tout des factions qui prônent son retour au pouvoir.

– Je t'en prie Zuko, nous parlons d'Azula ! »

A ce point de la conversation, Zuko sentit la migraine le gagner. Il pinça la base de son nez entre ses doigts et ferma les yeux pour ne pas céder à la colère qui montait.

« Pourquoi refuses-tu de lui faire confiance ? Pourquoi ne veux-tu pas voir qu'elle a changé ? Qu'elle me soutient ! »

Toujours la vieille querelle stérile. Il savait d'avance ce qu'allait répondre Mai et sa prochaine réplique était déjà prête.

Mais elle le surprit :

– Alors quoi ? Si elle n'a pas fait ça pour te manipuler, pourquoi ? Parce qu'elle serait amoureuse de toi ? C'est ce que tu espères, peut-être ?

Zuko sentit sa gorge devenir sèche tout à coup. Il n'avait pas anticipé cela et il se trouva sans voix.

Mai dut interpréter son silence comme un aveu car son visage déjà blanc pâlit et elle décroisa les bras pour les laisser retomber mollement de chaque côté de son corps mince.

Quand il se sentit capable de parler à nouveau, il ânonna lentement, prudemment :

– Comment peux-tu penser ça un seul instant ? C'est ma sœur…

– J'ai bien vu comment tu la regardais, et comment elle te regardait.

– Mais de quoi parles-tu ? »

S'il était tout à fait honnête, il n'aurait pas nié avoir déjà remarqué les œillades d'Azula, le ton séducteur que prenait sa voix quand elle s'adressait à lui, la manière dont ses mains traînaient sur son épaule plus longtemps qu'il n'était nécessaire quand elle voulait attirer son attention.

Mais il n'avait jamais songé que… que cela puisse signifier… Il s'était dit qu'elle devait simplement être assez tactile et que c'était sa manière de communiquer avec les gens. Elle avait toujours été ainsi, non ?

La fureur commençait à le gagner. Il était heureux avec Mai, et parfaitement satisfait à tous points de vue. Il n'avait jamais songé à être avec une autre femme, et encore moins avec Azula.

Le fait qu'il ait occasionnellement remarqué ses charmes n'était pas l'indice de quelque désir inavouable. Et le fait qu'il ait laissé les choses déraper la semaine précédente ne devait pas non plus influencer sa vision des choses.

Il était saoul. Ils l'étaient tous les deux. Epuisés après une semaine de meeting politique, de veillées pour préparer la réunion du lendemain, d'insomnies… Il n'était pas si surprenant qu'ils aient ressenti le besoin de trouver un peu de réconfort l'un près de l'autre, n'est-ce-pas ? C'est ce que font les frères et sœurs ?

En vérité, Zuko était tristement ignorant de ce que devait et pouvait être une relation frère-sœur. La leur avait toujours été un tel chaos. La haine et la jalousie y avaient occupé une place centrale, leur laissant peu de temps et d'énergie pour envisager qu'il pût y avoir autre chose entre eux.

Mais au cours des dernières années, des derniers mois, il pensait pouvoir dire qu'une certaine confiance était née entre eux, et même une profonde affection.

C'était la première fois dans leur vie qu'ils se recherchaient pour autre chose que pour se combattre, et il était enfin satisfait de leur relation.

Pourquoi avait-il fallu qu'Azula vienne tout salir ? Comment faisait-elle pour corrompre tout ce qu'elle touchait ?

« Dis-moi que tu n'as pas du tout aimé ça, reprit Mai. Même pas un petit peu... La voir ainsi à tes pieds, te supplier pour un peu d'affection…Dis-moi que ça ne t'a fait aucun effet. Jure-moi que ça ne t'a rien fait ! »

– Mai…

– Jure-le-moi Zuko ! »

Il n'hésita pas une seconde. Il se rua en avant et serra sa femme dans ses bras. Le visage de Mai caché dans le creux de son épaule, le mensonge jaillit sans peine de ses lèvres :

« Je te le jure. »

Il eut l'impression que le corps de Mai se détendait contre lui. Bientôt, elle passa ses propres bras autour de sa taille.

Ils restèrent ainsi quelques secondes, Mai reprenant le contrôle de ses nerfs, Zuko luttant contre la vague de culpabilité qui l'enveloppait.

Enfin, Mai reprit la parole :

« Tu dois faire quelque chose Zuko…

– Je lui parlerai…

– Si elle avait voulu que tu lui parles, elle l'aurait déjà fait. Non Zuko, je ne te demande pas des paroles, je te demande des actes !

– Comment ça ? Que veux-tu que je fasse ?

Mai se détacha un peu de lui et jeta un coup d'œil vers le bureau. Zuko suivit son regard et ses yeux tombèrent sur une pile de parchemins entassés. Au sommet de cette pile, il reconnut la dernière missive émanant d'un haut dignitaire du Royaume de la Terre. Il ne l'avait pas encore lue, mais n'en devinait que trop bien le contenu.

– Non. Non Mai. Je ne peux pas lui faire ça !

– C'est la meilleure solution Zuko. Ils prendront soin d'elle : elle ne peut pas espérer de meilleur parti. Elle aura plus de pouvoir qu'elle n'en aura jamais ici. Et nous serons enfin débarrassés d'elle. Tu n'auras plus à t'en soucier.

– Elle n'acceptera jamais ! Elle s'enfuira ! Et elle se retrouvera seule ! Je ne peux pas lui faire ça Mai, elle a besoin de moi. Elle n'a que moi...

Je ne veux pas être débarrassé d'elle, ajouta-t-il intérieurement.

– Justement, tu ne dois pas laisser cette relation de co-dépendance s'installer. Ce n'est pas sain Zuko ! Ni pour elle, ni pour toi…

– Elle est malade…

– Cesse de brandir cette excuse pour justifier toutes ses ignominies. Quelqu'un doit gérer Azula. Quelqu'un qui ne sera pas impliqué comme nous le sommes.

– Je ne forcerai pas ma sœur à se marier, Mai ! répondit-il d'un ton ferme.

– Alors trouve une solution ! Mais trouve-la vite, sinon, c'est moi qui m'en chargerai. »

Sur ces mots, elle le relâcha, tourna rapidement les talons et avant que Zuko ait pu répondre, elle avait déjà quitté la pièce, laissant le Seigneur du Feu seul et désemparé.