Chapitre 7

Embrasement –


La température déjà échaudée de la salle du Conseil monta de quelques crans quand la rumeur des conversations s'intensifia, à mesure que croissait le mécontentement ou l'incrédulité de l'assemblée.

Des phrases et des exclamations furieuses fusaient de chaque côté de la grande table ovale autour de laquelle ils étaient assis.

Certains se levaient, un bras tendus devant eux pour exprimer leur colère et leur incompréhension. La réunion avait soudainement plongé dans une atmosphère chaotique depuis que Katashi avait prononcé son rapport sur la situation dans les colonies du Royaume de la Terre.

« C'est à Ba Sing Se de remédier à la situation et de remettre de l'ordre dans ce chaos !, hurlait l'un.

– La Nation du feu ne peut pas gérer les problèmes de toutes les nations ! Elle a déjà bien assez donné depuis la fin de la guerre ! Il est hors de question que nous essuyions les plâtres de l'incompétence des forces de police du Royaume de la Terre ! renchérissait un autre.

– Les colonies, tant qu'elles existent, sont sous la responsabilité de la Nation du Feu, s'indignait un dignitaire venu d'Omashu. C'est à elle d'envoyer ses troupes pacifier la région. Ba Sing Se n'a pas à payer pour remettre de l'ordre dans des terres qui lui ont été volées il y a des décennies !

– Il a raison ! C'est à la Nation du Feu d'assumer les troubles qui secouent les colonies tant que celles-ci n'auront pas regagné leur indépendance. »

Des applaudissements et des « Bravos ! » suivirent cette intervention et l'homme qui venait de parler se rassit, les bras farouchement croisés sur sa poitrine, visiblement satisfait de son effet.

Zuko, au milieu de tout ce grabuge, luttait contre la migraine en faisant rouler ses tempes sous ses doigts, s'efforçant de retenir le feu qu'il brûlait de faire jaillir de ses poings pour rétablir le silence.

Si seulement Azula était là. Elle aurait su comment calmer la situation, elle aurait trouvé les mots justes. Ou foudroyé les insolents… Il n'aurait su dire.

La voix ferme mais douce du général Kadao, bras droit de Zuko, s'éleva à sa droite :

– La question n'est pas pour le moment de savoir qui paie pour ramener l'ordre dans les colonies, tempéra-t-il. Notre priorité est de rétablir le calme pour la sécurité de nos concitoyens et celle des autochtones. Si nous demandions à l'Avatar…

– L'Avatar est loin d'ici ! Il ne se préoccupe plus des problèmes de ce monde depuis qu'il est occupé à réhabiliter les Temples des Nomades de l'Air, entêté qu'il est à essayer de reconstruire une nation anéantie qui n'a aucun avenir ! Nous ne pouvons plus compter sur l'Avatar pour régler les problèmes du Royaume de la Terre, maintenant qu'il passe tout son temps entre les temples, la Nation du Feu et la Tribu de l'Eau du Sud.

C'était Lu Fang qui s'était exprimé, le ministre des armées de Ba Sing Se, dont l'hostilité à l'égard de Zuko et l'Avatar était notoire depuis qu'ils lui avaient refusé leur soutien dans son projet d'annexer les terres des Nomades de l'Air au Royaume de la Terre, l'empêchant de mettre à exécution son projet d'expansion du territoire.

« On ne peut pas demander à un garçon de dix-huit ans de régler tous les problèmes de ce monde, Avatar ou pas, répondit raisonnablement Kanak, le représentant des Tribus de l'Eau du Nord. Il est temps que chaque nation prenne ses responsabilités et cessent de s'appuyer sur l'arbitrage d'une seule entité spirituelle. Il appartient au Royaume de la Terre et à la Nation du Feu de résoudre la situation, tant que la décolonisation n'aura pas été achevée. Il en va de la responsabilité des deux nations. La population n'a pas à subir les conflits d'intérêts des dirigeants de ce monde et n'aspire qu'à la paix !

– Dites cela aux milices secrètes qui se sont formées dans dans les provinces de Yu Dao, de la Baie de Yue et de Hu Xin et qui terrorisent les colons ! Tout le monde sait parfaitement qui les finance et les soutient ! dit férocement l'amiral Inoue en jetant un regard assassin au groupe de représentants de Ba Sing Se situé en face de lui.

– Ce ne sont que de viles accusations ! Vous n'avez aucune preuve ! s'emporta Lu Fang en tapant du poing sur la table. Comment osez-vous !

– Cela suffit ! hurla soudain Zuko qui se leva à son tour. Que tout le monde se taise ! »

Afin d'être sûr d'être entendu, il fit jaillir de son poing levé au-dessus de sa tête une colonne de flammes aveuglantes qui effraya ses plus proches voisins qui s'écartèrent brusquement.

Le silence revint peu à peu, vaguement troublé par quelques chuchotements furieux parmi les rang des dirigeants de Ba Sing Se.

Zuko regrettait déjà d'avoir dû faire preuve d'intimidation. Azula n'aurait pas eu besoin d'en arriver à une telle extrémité.

Dieux, ce qu'elle lui manquait ! Déjà deux semaines depuis cette nuit funeste et elle n'avait toujours pas daigné le recevoir, malgré ses tentatives répétées pour aller lui parler, pressé par Mai qui attendait toujours une réaction de sa part.

Il y avait au moins une amélioration par rapport à la semaine précédente. Azula avait fini par accepter de voir Taïma et de discuter quelques minutes avec elle.

La jeune guérisseuse put affirmer à Zuko que l'état mental de sa sœur semblait stable mais qu'elle lui avait paru pâle et très déprimée. Ne sachant comment réagir à cette information, Zuko l'avait remerciée et lui avait demandé de continuer à garder un œil sur elle.

Mais maintenant, il devait se concentrer sur des problèmes plus urgents.

Le sommet politique, qui avait vu la création du traité officialisant la fondation de la capitale de la Cité de la République dans la baie de Yue, n'avait pas fait que des émules dans le Royaume de la Terre. Un nombre important d'habitants de la baie avaient manifesté leur mécontentement à l'idée de devenir la cité d'accueil de toutes les nations, notamment à l'idée d'accueillir de nouveaux citoyens de la Nation du Feu, alors qu'ils réclamaient toujours le départ des actuels colons.

Des groupuscules nationalistes, ayant vu le jour à la fin du règne d'Ozai, avaient pris de l'essor sous l'impulsion de quelques agitateurs charismatiques.

Des pogroms avaient été organisés contre les colons : des boutiques pillées puis réduites en cendre, des éboulements sans doute causés par des maîtres de la terre avaient détruits des quartiers entiers habités par des colons et, des manifestations violentes et des disparitions inquiétantes étaient signalées un peu partout.

Ces événements s'étaient produits dans plusieurs provinces au cours des dernières semaines et avaient connu une recrudescence juste après la nouvelle de la signature du traité.

C'était le contenu du rapport que venait de faire Katashi à une assemblée médusée après que le Conseil des Quatre Nations eut été réuni en urgence.

Aang n'avait pas pu les rejoindre assez tôt et les autres représentants avaient estimé la question trop urgente pour attendre l'arrivée de l'Avatar.

Zuko se sentait terriblement impuissant sans le soutien de son oncle, resté à Ba Sing Se, d'Aang, de Mai, qui refusait de lui parler tant qu'il n'aurait pas réglé la question Azula, et bien sûr, sans celui de sa sœur dont il aurait tant souhaité les conseils.

Au milieu du silence gêné qui avait suivi l'intervention musclée de Zuko, une voix sarcastique s'éleva :

« Voyons ce que va en dire notre jeune et respecté Seigneur du Feu… Vous êtes resté bien silencieux depuis le début de cette réunion. Peut-être pour ne pas souligner l'incompétence de la nation du Feu à vider les colonies de ses citoyens depuis l'échec cuisant du Plan de Restauration de l'Harmonie ? Si ce projet n'avait pas lamentablement échoué, nous n'en serions pas là aujourd'hui !»

C'était, bien sûr, Lu Fang qui venait de parler. Les autres membres du Conseil se tournèrent tous vers le Seigneur du Feu, guettant sa réaction.

Zuko essaya de garder son calme :

« L'échec, comme vous dites, de ce plan, nous a suffisamment montré à quel point la question de la décolonisation est sensible et nécessite d'agir avec prudence et subtilité. Un retrait forcé de tous les colons n'est pas une solution viable sur le court comme sur le long terme. Des familles vivent sur ces terres depuis des générations et s'y sentent chez elles, certaines s'étant unies à des membres du Royaumes de la Terre »

Il ignora la grimace ostensiblement dégoûtée que fit Lu Fang et poursuivit en se tournant vers Kando, son ministre des finances :

« De même, un retrait trop rapide déstabiliserait l'économie locale. L'artisanat et l'industrie dans les colonies reposent en grande partie sur des citoyens de la Nation du Feu. C'est pour cela que mon projet de République des Nations a été proposé : les citoyens et les sujets de toutes les nations seront libres de s'y installer comme ils le voudront pour travailler et coopérer en bonne intelligence. Chaque nation mettra à profit ses compétences et son savoir pour assurer sécurité et prospérité à la République.

– Un projet utopiste qui ne fait qu'entraîner des frustrations dans les populations autochtones !

– Des nationalistes, des terroristes, s'emporta Zuko. De quel côté êtes-vous vraiment Lu Fang ? Et vous qui êtes si prompt à évoquer mon désengagement ou mon silence, qu'en dit Kuei ?

– Sa Majesté le Roi de la Terre me fait pleinement confiance pour gérer la situation, comme vous le savez, il me donne carte blanche pour prendre toutes les décisions qui s'imposent, du moment qu'elles profitent au maximum de citoyens.

– Du moment qu'elles profitent au maximum de citoyens de quelle nation exactement, Lu Fang ? demanda Zuko d'un ton féroce.

Le Ministre sembla mal à l'aise en réalisant que tous les regards s'étaient tournés vers lui.

Des sourcils soupçonneux avaient commencé à se lever y compris parmi les rangs du Royaume de la Terre et des murmures approbateurs se faisaient entendre dans les autres groupes. Si les vues rétrogrades du ministre des armées n'étaient pas inconnues de l'ensemble des membres ici réunis, elles contrastaient néanmoins avec les idéaux qui étaient à l'origine de la fondation même de ce Conseil.

« Sa Majesté sait que le Roi de la Terre a à cœur la paix et l'égalité entre tous les citoyens du monde. Et je lui suis loyal. » dit-il d'un ton plus modéré en s'inclinant vers ses pairs puis vers Zuko qui saisit l'occasion de prendre parti de cet avantage pour avoir le dernier mot.

Zuko fit reculer son siège et se redressa de toute sa hauteur avant d'annoncer :

« La Nation du Feu ne restera pas sourde aux événements actuels et prendra ses responsabilités dans les troubles qui agitent actuellement les colonies. Mais le Royaume de la Terre devra coopérer. Je suspends ce conseil. Nous nous réunirons demain à midi pour poursuivre ces discussions et trouver un accord. »

Tous les membres du Conseil inclinèrent la tête respectueusement et il s'apprêtait à prendre congé quand la voix de Lu Fang s'éleva à nouveau :

« Et peut-on savoir ce qui requiert ainsi votre attention au point que vous interrompiez une réunion d'urgence du Conseil avant qu'une réelle décision ait été prise ?

– Rien de particulier, dit-il en tournant la tête vers le ministre. Je pense simplement que nous avons tous besoin d'un temps de réflexion. Pourquoi cette question ?

– Rien de particulier, Sire, l'imita-t-il. Seulement, je pense ne pas être le seul ici à avoir remarqué l'absence notable d'une personne dont vous ne seriez que trop heureux de recevoir les conseils actuellement…

Zuko voyait où il voulait en venir et sentit aussitôt la fureur affluer en lui.

« Si vous parlez d'A…

– Où est la Princesse en ce moment ? demanda Lu Fang d'un ton faussement naïf. Pourquoi n'est-elle pas à vos côtés, comme à l'accoutumée, en train de vous souffler vos toutes vos paroles ?

– Je ne vois vraiment pas en quoi cela vous concerne et vous intéresse. Vous savez parfaitement que la Princesse n'est que membre honoraire de ce Conseil et n'est pas conviée aux réunions d'urgence.

– Je me suis pourtant laissé dire que son discours avait fait grande impression lors du sommet et il se chuchote même qu'elle serait à l'origine d'un nombre non négligeable de propositions et de décisions concernant l'avenir des quatre Nations que vous auriez ratifiées. Apparemment, vous ne pouvez plus vous passer d'elle !

Zuko serra les poings et prit une grande inspiration avant de répondre :

« Azula est une fine politicienne et j'accorde beaucoup d'intérêt à son avis et à ses conseils qui, jusque là, ont profité aussi bien au Royaume de la Terre qu'à ma propre nation. Je ne vois donc pas où est le problème. A moins que vous insinuiez que je sois influencé par ma sœur ?

Autour d'eux, l'assemblée retenait son souffle et observait la joute, attendant de voir quand le Seigneur du Feu, bien connu pour son tempérament emporté, allait perdre patience.

– Je ne sais pas si influencer est le mot qui convient le mieux pour décrire la situation…

Zuko n'aima pas son regard rusé, ni la manière dont les lèvres du ministre s'étaient retroussées en un rictus mauvais qui défigura son visage.

« Je vous encourage à exprimer clairement le fond de votre pensée Lu Fang. Je crains de ne pas avoir la patience pour vos allusions. »

– Je désirais seulement attirer l'attention du Conseil sur l'opportunité de laisser autant de pouvoir et de crédit à une jeune femme réputée mentalement instable qui, à l'âge de quatorze ans seulement, a su jouer de son charme et de ses qualités de stratège pour faire tomber une cité réputée imprenable qui tenait depuis des siècles.

Zuko constata, médusé, que le ministre avait réussi à capter l'attention de l'auditoire. Certains échangeaient des regards inquiets tandis que d'autres approuvaient les paroles du ministre en hochant la tête avec vigueur. Quelques applaudissements discrets se firent entendre dans les rangs des représentants de Ba Sing Se.

« Est-il sage, reprit-il, d'accorder notre confiance à l'homme qui a renié tous ses principes pour rejoindre sa sœur dès qu'il en a eu l'opportunité, simplement parce qu'elle le lui a demandé ? »

Ba Sing Se… On en revenait toujours là. La capitale du Royaume de la Terre n'avait jamais digéré l'humiliation infligée par Azula.

Le général Kadao intervint : « Lu Fang, la loyauté de notre Seigneur du Feu n'est plus un sujet de doute depuis bien longtemps. Il a activement participé à la chute d'Ozai au risque de sa vie, et ses efforts pour maintenir la paix sont incontestables. A quoi jouez-vous ?

– Kadao, j'ai à cœur la paix de ce monde tout autant que vous, et sans doute plus que tout autre dans cette assemblée…

Zuko ne put faire autrement que de laisser échapper une petite exclamation sceptique que Lu Fang fit semblant d'ignorer avec brio.

« Cependant je pense parler au nom de tous en affirmant que nous aurions tous l'esprit plus tranquille sans la Princesse Azula dans les parages, murmurant ses paroles caressantes à l'oreille d'un prétendu souverain qui a montré à plusieurs reprises à quel point il n'était pas insensible à ses...comment dirais-je… hum… arguments... »

Il accompagna le dernier mot d'un regard entendu et d'un petit sourire complice qui en disaient long sur ce qu'il pensait ou soupçonnait de la réelle nature des relations entre Zuko et Azula.

Son allusion n'échappa à personne. Zuko le comprit en voyant la manière dont certains avaient ricané et dont d'autres avaient détourné la tête d'un air horriblement gêné, voire dégoûté. Il aurait juré que Kadao lui-même, habituellement si impassible, avait pâli.

Était-il possible qu'ils soient au courant ? Mais personne ne savait ce qui s'était passé, en-dehors de Mai qui ne connaissait pas tous les détails et qui n'aurait jamais raconté à personne... A moins qu'Azula elle-même…

Les paroles de Mai lui revinrent en pleine figure : « Elle pourrait te manipuler, te faire chanter, ruiner ta réputation à tout jamais ! »

Non. Il refusait de le croire.

Azula n'avait pas quitté sa chambre à en croire les domestiques. Personne ne l'avait vue depuis deux semaines, à l'exception de Taïma.

Mais soudain il se rappela qu'elle avait congédié les gardes. Se pouvait-il qu'elle en ait profité pour sortir discrètement de sa chambre et...?

Il fut tiré de ses réflexions par un sifflement indigné et en regardant autour de lui, il vit que tous les visages s'étaient figés et tournés vers lui, guettant sa réaction. A l'évidence, Lu Fang venait de dire quelque chose qui avait choqué l'assemblée.

« Qu'est-ce que vous venez de dire ? »

Le ton de sa voix était parfaitement lisse et calme mais une fureur démente brillait dans son regard. Zuko sentait déjà le feu ramper dans ses veines, prêt à surgir pour anéantir cet insolent qui osait prétendre…

– Je disais simplement, reprit Lu Fang en bombant le torse, s'avançant vers Zuko pour faire la démonstration de son imposante stature, les bras croisés dans le dos, que si les rumeurs disent vrai, la perversion et la corruption courent dans le sang de la famille royale depuis des générations. Tout comme la folie.

Si votre père, votre grand-père et votre petite garce de sœur semblent ne pas avoir été épargnés, je vois difficilement comment vous auriez pu y échapper vous-même. Cela expliquerait très bien que vous ayez tant tenu à épargner la vie de la princesse alors même qu'elle a essayé de vous tuer à de multiples reprises…

Bien qu'elle soit déchue de tous ses pouvoirs politiques, vous lui trouvez à l'évidence encore… un certain usage... »

Zuko était trop abasourdi pour répondre. Il lui sembla un moment qu'il n'entendait plus rien. Seul le bruit de son cœur qui tambourinait maintenant dans sa poitrine lui parvenait encore. Sa gorge était extraordinairement sèche.

Ces horribles insinuations, la manière dont il évoquait Azula, comme si elle n'était qu'un vulgaire objet usagé dont il se servirait pour son propre plaisir, le poussait au bord du gouffre.

– Entendons-nous bien, reprit Lu Fang d'un ton faussement cordial, je pense qu'ici tout le monde vous comprend. Bien qu'elle soit folle à lier, on ne peut pas nier qu'elle ait certains atouts sur lesquels on ne cracherait pas nous-mêmes, n'est-ce pas messieurs ?

Il embrassa l'assemblée du regard pour prendre les hommes à témoin. Quelques rires fusèrent mais se turent aussitôt. Puis, il conclut :

– Que ce doit être frustrant de vivre sous le même toit qu'une telle créature et d'être le seul à ne pas pouvoir en profiter… Qui vous blâmerait de réclamer votre part ?

La gerbe de feu avait jailli avant qu'il ait pu songer à la retenir. Presque au même instant, un énorme bloc de pierre surgit du sol, soulevant Lu Fang pour le mettre hors de portée des flammes mortelles. Les deux bras tendus devant lui, serrés en poings, Zuko se prépara à une nouvelle attaque.

Mais il fut aussitôt entouré de nombreuses mains qui le tirèrent en arrière.

« Non, Sire, non ! Je vous en prie ! Arrêtez ! »

De très loin, il lui sembla reconnaître la voix de Kadao. Tout prêt de lui, Kanak se tenait dans une position de combat, visiblement prêt à intervenir si Zuko perdait à nouveau le contrôle de ses nerfs.

– Évacuez le Seigneur du Feu ! ordonnait Kadao.

Trop sidéré pour réagir, Zuko se laissa entraîner hors de la salle du Conseil par des gardes qui le maintenaient solidement.

Le bloc de pierre qu'avait fait jaillir Lu Fang reprit sa place dans le sol et Zuko eut le temps de voir les délégués et représentants du Royaume de la Terre qui se levaient et se regroupaient autour de leur commandant pour s'enquérir de lui.

Tandis qu'il les rassurait en frottant son armure, un regard assassin jeté dans sa direction, Zuko crut distinguer les mots : « famille de dingues » et « dépravés».

Puis il fut dans le hall. L'immense porte à double battants se referma devant lui dans un grand fracas.

Kadao l'avait suivi.

« Sire ! s'enquit-il immédiatement. Vous allez bien ?

– Ce… ce fils de chien ! Ce bâtard ! Je vais le…, fulminait Zuko, encore retenu par deux gardes. Lâchez-moi, imbéciles !

Les deux hommes s'exécutèrent immédiatement et après un signe de tête du général, s'inclinèrent devant Zuko et s'éclipsèrent.

– Sire, calmez-vous. Vous êtes le Seigneur du Feu, vous ne pouvez plus vous laisser dominer par votre colère. Il ne fallait pas prendre ses paroles au sérieux. Il ne faisait que vous provoquer.

– Vous l'avez entendu comme moi, Général ! Il a dit… il a insinué que… que moi et Azula…

– D'ignobles calomnies auxquelles personne parmi ceux qui vous sont fidèles ne prête le flanc, croyez-moi ! Lu Fang était vexé que vous l'ayez remis à sa place devant l'ensemble des membres du Conseil. Il s'est emparé du premier prétexte venu. Vous savez bien que les ressentiments à l'égard de la princesse restent très vivaces chez ceux de Ba Sing Se. Tous savent à quel point vous vous êtes impliqué dans la défense de votre sœur lors de son procès. Ils cherchent juste à vous atteindre à travers elle.

– Mais...mais… haletait-il, pourquoi comme ça ? Pourquoi ces insinuations-là ? »

Kadao sembla confus mais il répondit finalement :

« Il semblerait que...dernièrement… depuis que votre sœur a cessé d'apparaître en public, des rumeurs aient couru dans le palais…

– Quelles rumeurs ? le pressa Zuko qui n'avait vraiment pas envie de savoir.

Kadao prit une profonde inspiration avant de continuer , à contre-cœur :

– On raconte que vous avez été vu l'autre nuit, sortant de sa chambre sans… comment dire ?… sans votre veste et votre tunique. Apparemment la princesse était en état d'ébriété quand vous y êtes entrés quelques heures plus tôt… Il se dit aussi que depuis cette nuit, la princesse n'a pas quitté ses appartements et refuse de voir qui que ce soit, y compris vous. Il se raconte aussi qu'elle a congédié les gardes postés devant sa porte cette nuit-là...

– Je… je ne…

Voyant son embarras, Kadao s'empressa de le rassurer :

« Sire, moi-même et vos ministres n'en croyons pas un mot, soyez-en bien assuré. Ce ne sont que des bruits de couloir, des rumeurs ignobles répandues par les domestiques et les garde en mal de sensationnel.

Malheureusement, vos ennemis ont sauté sur l'occasion pour s'en servir contre vous. Vous n'ignorez pas la triste réputation dont souffre injustement la princesse.

– Azula a changé, elle n'est plus celle qu'elle était quand elle a pris Ba Sing Se !

– Je le sais, Sire, malheureusement, les gens sont moins enclins que vous à se laisser convaincre et à pardonner. Ils utiliseront le moindre prétexte pour la décrédibiliser et vous pousser à vous débarrasser d'elle.

– Comment se fait-il, rétorqua Zuko, parfaitement indigné, que je n'aie pas été informé de tout cela ?

– Sire… Ces rapports m'ont été remis par les espions de votre épouse qui m'a explicitement demandé de faire preuve de la plus grande discrétion à ce sujet et de ne surtout pas vous importuner avec... Je...je pensais que vous étiez au courant.»

Zuko le considéra un moment, interdit. Puis son regard se porta machinalement vers les ouvertures en arcades qui donnaient sur le jardin royal. Là, Mai, vêtue d'une robe cramoisie à manches amples et d'une veste noire cintrée autour de sa taille, se promenait d'un air maussade en compagnie de sa mère et de son frère, Tom-Tom, âgé de sept ans qui courait autour d'elles en ramassant des cailloux.

A l'évidence, une petite discussion conjugale s'imposait.


Le palais était en effervescence.

Des domestiques couraient d'une salle à l'autre, les bras chargés de caisses et de coffres contenant vins, parures, encens, argenterie et autres bibelots destinés à la salle de réception où se tiendraient les festivités.

D'un mouvement élégant et leste qu'il ne devait qu'à des années de pratique de maîtrise de l'air, Aang esquiva au dernier moment un valet maladroit qui venait de surgir du hall, les bras chargés d'une pile de chaises recouvertes de soie.

– Mes excuses Seigneur Avatar, bredouilla-t-il en réalisant qui il avait failli renverser.

Aang éclata de rire et rassura le pauvre garçon, l'aidant, avec sa maîtrise de l'air, à transporter les chaises aux endroits prévus, où elles atterrirent avec légèreté sur le sol soigneusement ciré.

« Merci beaucoup mon Seigneur ! dit avec gratitude le valet, un jeune garçon efflanqué qui ne devait pas avoir plus de quatorze ou quinze ans.

– Appelle-moi Aang. Je ne suis le Seigneur de rien du tout, lui répondit Aang avec cordialité.

– Bien Monseigneur Aang, répondit le garçon.

Esquissant un nouveau sourire, Aang renonça et demanda plutôt où se trouvait le Seigneur du Feu Zuko.

– Sa Majesté est dans la salle du Trône. Il a demandé qu'on ne le dérange sous aucun prétexte, pas même pour ce qui concerne les préparatifs de sa fête ! »

Aang vit que les yeux du garçon s'étaient agrandis avec une expression incrédule. Apparemment, il ne pouvait comprendre que quelqu'un d'aussi important que le Seigneur du Feu n'affiche pas un enthousiasme exubérant à l'idée de fêter son anniversaire.

Que Zuko ne manifestât pas une allégresse particulière à l'idée de célébrer ses vingt-deux ans en compagnie de courtisans hypocrites, de ses ministres notoirement cupides et des ambassadeurs venus des quatre Nations, n'était pas surprenant en soi. Aang savait combien ces mondanités exaspéraient le jeune Seigneur du Feu qui avait passé trop de temps loin des salons pour en apprécier le confort et les codes de conduite.

Ce qui l'inquiétait davantage, c'était qu'apparemment, Zuko ne voulait pas être dérangé. Ce n'était jamais de bon augure. Il imaginait déjà son ami, dissimulé derrière un mur de flammes orange dans la salle du trône, ruminant sur les derniers événements qui avaient précipité le retour de l'Avatar à la Caldera.

Avant tout, il était plus sage de collecter quelques informations. Il demanda donc au jeune valet où il pouvait trouver le général Kadao. Ce dernier lui indiqua qu'il le trouverait certainement dans la cour d'entraînement où il passait en revue ses troupes afin d'organiser le traditionnel spectacle de démonstration de maîtrise du feu organisé chaque année par la garde impériale à l'occasion de l'anniversaire du Seigneur du Feu.

Aang remercia le garçon et d'un pas rapide, traversa le hall de réception en direction de la cour, suivi de Momo qui voletait autour de lui. Mieux valait s'enquérir des dernières nouvelles auprès de Kadao avant de retrouver Zuko.

Sur le chemin, Aang sentit à nouveau monter l'angoisse qui ne l'avait pas lâché depuis qu'il avait reçu par faucon les nouvelles du conseil d'urgence qui s'était réuni la semaine précédente.

Les troubles actuels dans les colonies ne lui rappelaient que trop l'échec du Plan de Restauration de l'Harmonie et les difficultés qui s'en étaient suivies.

A ce jour, une minorité de colons avaient rejoint la Nation du Feu, tandis que la plupart avaient choisi de rester dans les colonies où ils étaient nés, avaient leur travail, leurs amis et même leur famille. Cette tentative de décolonisation ratée avait favorisé la montée de certains courants nationalistes, aussi bien dans les rangs des colons que des autochtones, et des conflits avaient commencé à surgir, menaçant la paix durement acquise pour laquelle lui et ses amis avaient tant œuvré.

Aang avait été positivement horrifié par les rumeurs de pogroms et de violences qui auraient eu lieu dans plusieurs provinces à l'encontre de groupes de colons et de familles métissées, accusées de trahison envers leur propre sang.

Bumi vieillissant, il était devenu difficile pour lui de stabiliser la région d'Omashu et les conseillers dont son fils aîné l'avaient entouré ne semblaient pas bien disposés à l'égard des colons.

L'ordre du Lotus Blanc déployait une énergie certaine à faire régner la paix mais leurs effectifs étaient largement insuffisant et le phénomène semblait se répandre comme une traînée de poudre. Des manifestations de colères, encouragées par les nouvelles de ce qui s'était passé à Yu Dao et de Hu Xin, avaient maintenant lieu un peu partout.

En une semaine à peine, le phénomène était devenu quasiment épidémique et Aang commençait à s'affoler.

De plus, si l'on en croyait les rumeurs, Zuko se serait emporté pendant le conseil d'urgence qu'il avait réuni lui-même quelques jours plus tôt et en serait venu aux mains – ou plutôt aux flammes – contre Lu Fang.

Bien que les moines lui eussent appris la compassion et l'amour de son prochain, Aang n'aimait pas Lu Fang et ne lui faisait pas confiance. Sa nomination en tant que plus proche conseiller de l'influençable roi Kuei, n'avait pas été une bonne nouvelle pour le Royaume de la Terre et pour les efforts de paix entre les nations.

Aang ignorait ce qui s'était vraiment passé au cours de ce conseil, ainsi que les raisons qui avaient poussé Zuko à perdre son calme. Mais le nom d'Azula avait été prononcé et des rumeurs sordides se répandaient depuis quelques temps, des calmonies, pensa Aang, au sujet d'une sombre affaire impliquant le frère et la sœur.

Aang ne pouvait pas nier avoir remarqué la façon dont Azula s'était rapprochée de son frère ces derniers mois. Sokka, Katara et lui-même s'en étaient d'ailleurs inquiétés, convaincus qu'elle manigançait quelque chose. Que la princesse du feu, connue pour son amoralité et son instabilité émotionnelle, ait pu avoir un comportement inapproprié était envisageable. Mais Aang connaissait trop bien Zuko pour croire qu'il ait pu laisser se passer quelque chose d'aussi… d'aussi dégoûtant.

Il se disait aussi que la Dame du Feu, Mai, avait quitté le palais depuis quelques jours et était retournée chez ses parents. Aang connaissait suffisamment Mai pour savoir que seule une grave dispute avec Zuko aurait pu la pousser à venir passer plus d'une après-midi auprès de sa famille qu'elle prétendait aimer mais supportait difficilement.

Aang ne voulait pas faire de conjecture et décida d'attendre de voir par lui-même.

Et cela tombait très bien car au même moment, Kadao apparaissait dans le couloir, se passant un chiffon sur le front, impressionnant dans son armure écarlate de garde impérial.

Aang avait toujours eu un grand respect pour cet homme qui avait combattu auprès d'Iroh dans sa jeunesse et disait souvent avoir tout appris du grand Général : aussi bien les tactiques militaires que la compassion pour les peuples opprimés et un certain goût pour les choses simples de la vie. Zuko n'aurait pas pu s'entourer d'un meilleur conseiller, en-dehors d'Iroh lui-même bien sûr.

« Avatar Aang ! le salua-t-il avec déférence alors qu'il arrivait à sa hauteur. Quel plaisir de vous voir ! Le Seigneur du Feu sera soulagé de votre arrivée. Il vous attend avec une grande impatience.

– Merci Général, répondit Aang avec un sourire. C'est un plaisir partagé.

Aang faisait maintenant à peu près la même taille que le général mais bien que sa musculature se soit largement développée ces dernières années, il n'en avait pas encore la carrure.

« On m'a dit, poursuivit Aang, que Zuko se cachait dans la salle du Trône et qu'il refusait de voir qui que ce soit. Si c'est vrai, ça ne me paraît pas très bon signe… »

Kadao soupira et hocha de la tête en signe de confirmation.

– Le Seigneur du feu est très contrarié depuis le conseil d'urgence et son altercation avec Lu Fang. Bien qu'il ait annoncé le report des débats au lendemain, il ne s'est rendu à aucune réunion depuis. Il a fait emprisonner deux de mes gardes sans me donner d'explication. Le départ précipité de Lady Mai et le silence de la princesse Azula ont aggravé les choses. Les membres du Conseil s'impatientent… il était temps que vous arriviez !

– Alors Mai est vraiment partie ?

– J'en ai peur. Le Seigneur du feu a eu une discussion assez déplaisante avec elle suite au conseil d'urgence et depuis, elle a décidé de séjourner un moment chez ses parents. Il n'a pas cherché à la retenir. Je doute que leur dispute s'éternise mais cela a eu pour effet d'assombrir considérablement l'humeur de notre souverain.

– Et Azula ? demanda prudemment Aang, soucieux de ne pas faire allusion aux horribles rumeurs qui circulaient à son sujet et celui de Zuko.

Le Général baissa les yeux d'un air confus. Aang comprit que lui aussi avait entendu les mauvaises langues.

– La princesse ne s'est pas montrée depuis bientôt trois semaines. Le Seigneur du Feu est très inquiet pour sa santé. Vous savez peut-être que des allégations dégoûtantes se répandent actuellement à leur sujet. Le pauvre en est profondément affecté. Je vous prie de n'en pas croire un mot !

– Je n'en crois rien, lui assura Aang en levant sa main devant lui pour plus d'emphase. Pensez-vous que je puisse aller voir Zuko ?

– Bien sûr. Je pense même que vous êtes la seule personne qu'il acceptera de voir pour le moment. Mais ne lui parlez pas de Lady Mai, ni d'Azula. Il n'est pas du tout disposé à évoquer ces sujets pour le moment.

– Bien sûr Général. Je vous remercie. Nous nous verrons plus tard, sans doute avant la fête !

– Ce sera un plaisir, Avatar. Bonne journée. »

Et il continua sa route, dans la direction opposée à celle que prenait Aang, bien déterminé à tirer les vers du nez de son ami obstiné.


Retranché dans la salle du Trône, caché derrière un mur de flammes dansantes, Zuko réfléchissait.

Tout autour de lui, il le savait, le palais s'activait pour achever les préparatifs de sa fête d'anniversaire qui devait avoir lieu le surlendemain.

Zuko n'avait jamais eu aussi peu envie de faire la fête.

Ses amis étaient absents, éparpillés aux quatre coins du monde. Sa femme était partie et sa sœur ne lui avait toujours pas donné signe de vie. Cela faisait trois semaines maintenant.

Il avait pourtant essayé. La veille encore il tambourinait à sa porte en hurlant, lui ordonnant d'ouvrir mais elle avait feint de ne pas l'entendre.

Il l'avait imaginée, dos à la porte, faisant barrage de son corps pour l'empêcher d'entrer.

Il ne supportait plus son silence et était prêt maintenant à avoir avec elle cette discussion qu'il avait tant voulu éviter tout d'abord.

Mais apparemment Azula ne partageait pas son opinion. Sans Taïma pour le rassurer sur la santé de sa sœur, il aurait sans aucun doute enfoncé la porte depuis longtemps.

Il se demandait si Azula n'avait pas commencé à replonger dans sa folie. Il savait que des bruits couraient à ce sujet. La manière dont elle avait congédié tous ses serviteurs avait rappelé à tous son comportement étrange et paranoïaque lors du passage de la comète de Sozin.

Azula avait consenti à laisser entrer Taïma une fois pour qu'elle lui donne son traitement et qu'elle l'examine. Ce qui était plutôt rassurant. Mais elle avait refusé de se livrer et Taïma avait suggéré à Zuko de faire venir Ty Lee. Peut-être son amie parviendrait-elle à la faire parler ou au moins à la convaincre de sortir de sa chambre.

Suivant son conseil et faute d'une meilleure solution, il avait donc envoyé un faucon vers l'île de Kyoshi et attendait encore la réponse.

Mais Azula n'était pas son unique souci.

Il y avait Mai bien sûr.

Mai qui l'avait trahi et qui était partie. Mai qui, voyant que Zuko n'agissait pas, avait mis sa menace à exécution et avait décidé de gérer la situation à sa manière, avec les ressources dont elle disposait.

Elle avait convoqué les deux gardes qui étaient postés devant la chambre d'Azula ce soir-là et les avait longuement interrogés sur tout ce qu'ils avaient pu voir et entendre des échanges entre le Seigneur du feu et la princesse.

Ils lui avaient dit tout ce qu'ils savaient : la manière dont Azula, très éméchée, s'était penchée sur son frère, se pressant contre lui dans le couloir, le ton caressant qu'elle avait employé pour lui parler, la façon dont elle l'avait pris par la main pour l'inviter à la rejoindre dans ses appartements. Le bruit de verre cassé et le cri de rage du Seigneur du feu, quelques minutes avant qu'il ne sorte, torse nu, affolé, de la chambre de sa sœur. Comment il avait balbutié des paroles incohérentes avant de prendre la fuite. Les sanglots qui leur étaient parvenus de la chambre restée entrouverte de la princesse, restée prostrée sur le sol de marbre de sa salle de bain, les cheveux défaits, tenant les vêtements abandonnés de Zuko contre sa poitrine… Sa fureur quand elle les avait vus débarquer pour s'enquérir d'elle et les flammes qu'elle avait lancées dans leur direction en leur hurlant de quitter ses appartements, le visage ravagé par les larmes.

Ils avaient obéi, étaient retournés à leur poste, en prenant bien soin de refermer derrière eux, effarés par la scène à laquelle ils venaient d'assister, commençant aussitôt à spéculer sur ce qui avait pu se passer.

Oui, c'est vrai, ils en avaient parlé à quelques collègues, mais seulement les plus proches, les plus dignes de confiance. Ils étaient certains qu'ils n'avaient rien dit. Après tout, eux-mêmes ne savaient pas vraiment ce qui s'était passé. Et ils ne voulaient pas d'histoire ! Que la Dame du feu veuille bien leur pardonner leur maladresse, pitié, pitié !

Mai leur avait pardonné. Et elle avait fait pire. Zuko sentait encore la rage refluer par vagues quand il y songeait. Ayant obtenu les informations qu'elle voulait, certaine que Zuko ne ferait rien, et comme elle-même n'avait aucun pouvoir direct sur Azula, elle avait demandé aux deux gardes de raconter leur petite histoire à tout le personnel : aux autres gardes, aux valets, aux cuisiniers, au jardinier royal… Elle leur avait assuré que s'ils faisaient ce qu'elle leur demandait, elle oublierait toute cette histoire et s'arrangerait pour que Zuko n'en sache jamais rien. Ils auraient obtenu leur mutation à un poste plus haut-gradé dans les colonies avant que Zuko ne puisse leur mettre la main dessus.

Quand Zuko repensait à cette horrible conversation avec elle, la dernière qu'ils aient eue, il ressentait un grand vide en lui. Le sentiment d'une trahison effroyable.

Mais que pouvait-il faire ? Elle avait rassemblé suffisamment de preuves pour pouvoir affirmer qu'il lui avait menti en minimisant largement la gravité de ce qui s'était passé entre lui et Azula.

Pendant un moment horrible, elle l'avait obligé à lui avouer la vérité, à lui décrire la façon dont Azula l'avait séduit, embrassé dans le cou, dont elle avait fait courir ses lèvres sur sa cicatrice, sur son ventre, dont elle avait commencé à défaire le nœud de son pantalon.

Qu'il l'ait repoussée au dernier moment n'avait pas suffi à la convaincre que Zuko n'avait jamais voulu de cela. Qu'il était horrifié par ce qui s'était passé et qu'il regrettait chaque minute de cette soirée.

Et puis, de son côté, le sentiment de trahison avait été tel qu'il n'avait pas trouvé en lui la force d'essayer de se racheter.

Mai l'avait mis dans cette situation. Elle avait sali sa réputation et celle d'Azula dans le but de le forcer à se débarrasser de cette sœur qui ternissait son image, qui suscitait la méfiance parmi les membres du Conseil.

Les rumeurs étaient parvenues aux oreilles des émissaires du Royaume de la Terre et Lu Fang s'en était servi contre lui pour entamer sa crédibilité.

Et elle avait eu l'audace de penser que cela l'aiderait à regagner la confiance de ses pairs ! En agissant ainsi, elle avait espéré que Zuko se précipiterait sur l'occasion pour expulser Azula, la marier au premier venu ou, pourquoi pas, lui attribuer tous les torts, l'accuser publiquement de conduite amorale, la renvoyer dans cet asile de fous où avait toujours été sa place. Ainsi il aurait fait taire les rumeurs, le problème Azula aurait été réglé et ils auraient pu reprendre leur petite vie tranquille.

A un certain point de la conversation, Mai lui avait dit qu'elle ne voulait plus rien avoir à faire avec lui et il lui avait répondu, très calmement : « Alors pars... ».

En quelques minutes, les servantes avaient empaqueté ses principales affaires, ses vêtements, son impressionnante collection de lames, de poignards et de shuriken et avaient fait venir un palanquin qui l'avait ramenée chez ses parents, en face du palais.

Ils ne s'étaient plus revus depuis et Zuko avait fait emprisonner les deux gardes, les accusant de haute-trahison. Il avait refusé de donner plus de détails à Kadao quand ce dernier l'avait interrogé sur le motif de cette incarcération, mais ils soupçonnait son général d'en savoir plus que ce qu'il voulait bien admettre.

Depuis il avait évité les autres membres du Conseil, prétextant qu'il était souffrant et que Kadao le remplacerait lors des réunions. Cependant, sans lui, aucune décision ne pouvait être prise ou ratifiée et malgré les demandes répétées de son plus proche conseiller, il s'était refusé à toute discussion et attendait désespérément l'arrivée d'Aang.

Aussi, quand la porte de la salle du Trône s'ouvrit devant lui, interrompant le fil de ses pensées, il ressentit, pour la première fois en trois semaines, un profond soulagement.

Il regarda avec bonheur le jeune homme de haute stature, au crâne absolument chauve couronné d'une flèche bleue, s'avancer, son bâton à la main. Son lémurien voletait en tournoyant autour de lui.

« Aang ! le gratifia-t-il d'un grand sourire en se levant à moitié. Te voilà enfin !

– Bonjour Zuko. Comment vas-tu ?

– J'ai connu des jours meilleurs, grommela Zuko en reprenant son habituel air renfrogné et en s'affalant sur son trône, faisant disparaître d'un geste distrait de la main le mur de flammes qui le séparait de son ami.

– Raconte-moi Zuko, et on trouvera une solution à tes problèmes... »

Zuko le regarda un moment. Il n'en revenait toujours pas de voir comme Aang avait grandi au cours des deux dernières années qu'il avait lui-même passées à la Caldera. Ce n'était décidément plus un enfant et il avait également gagné en sagesse. Zuko se disait souvent avec un peu d'amertume qu'Aang aurait fait un bien meilleur dirigeant que lui et il s'attristait que l'Avatar ne puisse pas rester toujours auprès de lui pour lu faire bénéficier de sa sagesse et de ses conseils.

D'autant que malgré sa grande maturité, le garçon était resté l'ami joyeux et tolérant qu'il avait toujours été.

Il se demanda un moment jusqu'où il pouvait éprouver sa tolérance. Pouvait-elle transcender un tabou tel que celui qu'il s'était apprêté à transgresser avec Azula ? Pouvait-il lui raconter l'histoire tout en omettant ce détail sordide ?

Un coup d'œil au visage inquiet de son ami lui révéla que de toute façon, il en savait certainement déjà beaucoup.

Alors, après avoir pris une profonde inspiration, il commença à parler. Et Aang, avec toute la patience, la compréhension et l'acceptation d'une âme vieille de plusieurs milliers d'années, écouta tout ce qu'il avait à dire, sans l'interrompre une seule fois. Il ne montra pas de dégoût, ou au moins le dissimula, quand Zuko lui raconta ce qui s'était passé avec Azula.

Quand Zuko, épuisé, les larmes aux yeux, les épaules affaissées, eut achevé son récit, Aang, qui s'était assis à ses côtés sous le dais tendu au-dessus du trône, posa une main amicale sur le bras de son ami et lui dit, avec un sourire plein de douceur :

« Tout va bien Zuko. Il ne s'est rien passé d'irrévocable. Il n'y a rien qu'on ne puisse arranger. »

Et Zuko lui renvoya son sourire et décida, l'espace de quelques instants, de le croire.