Note de l'auteur :

Bonjour.

Avant de poster mon chapitre, je souhaiterais apporter quelques précisions au sujet de certains éléments importants dans l'histoire car j'ai peur de ne pas avoir été très claire en me relisant.

Ces remarques concernent l'agression sexuelle d'Azula par Ozai et le titre de ma fiction : Soleil noir. Outre l'oxymore qui me rappelle un de mes poèmes fétiches de Gérard de Nerval (El Desdichado), il y a toute une symbolique derrière ce choix (qui ne m'est pas venu tout de suite, d'où le deuxième titre Le goût des cendres qui était en fait le premier. (Vous me suivez encore ?))

J'ai conservé ce titre initial pour ne pas perdre mes premiers lecteurs mais aujourd'hui je préfère largement Soleil noir.

Maintenant quelques explications s'imposent :

Tout d'abord, pourquoi le viol ?

J'ai toujours été convaincue, en regardant la série, qu'Ozai avait dû punir sévèrement Azula suite à la désertion de Zuko. Effectivement, c'est après cet événement que l'attitude de la princesse change totalement. Elle devient plus vicieuse et son acharnement à tuer Zuko traduit sa rancœur, son sentiment de trahison. Le volte-face de ses amies au Boiling Rock est ensuite le catalyseur qui achève de la faire plonger dans la folie.

Il fallait donc un événement vraiment traumatisant pour expliquer ce brusque changement de personnalité. Le viol peut paraître extrême mais cela fonctionne parfaitement : de nombreux schizophrènes sont en effet d'anciennes victimes d'abus sexuels.

De plus, je pense que c'est une façon très efficace pour Ozai d'affirmer son emprise sur Azula. En la possédant physiquement, il affirme sa domination sur elle, l'humilie et s'assure de sa loyauté et de sa soumission.

Il sait qu'Azula a les atouts pour le détrôner un jour. Si Zuko, moins doué qu'Azula, a pu se rebeller, qu'arrivera-t-il le jour où son prodige de fille prendra conscience de son potentiel et s'affranchira de lui ? Par le viol, il fait d'elle une victime et détériore irrémédiablement l'image qu'elle a d'elle-même. Il tue ainsi la rivale qu'il voyait en elle.

Bien sûr je reviendrai sur les circonstances exactes de cette tragédie mais je ne pense (pour le moment du moins), le raconter du point de vue d'Ozai, d'où la nécessité de ces éclaircissements. Le viol est aussi motivé par d'autres raisons que vous découvrirez en temps voulu.

Le point de vue de Zuko :

Zuko ignore tout de ce qui s'est produit ce jour-là et même s'il devine aisément que sa sœur a sans doute subi de mauvais traitements, il n'en mesure absolument pas la gravité ni l'étendue. Il devine bien qu'elle a dû faire face à des violences physiques et morales mais leur possible caractère sexuel ne lui est jamais venu à l'esprit.

Pour le moment, je n'ai pas encore déterminé les circonstances dans lesquelles il fera cette découverte. Donc je ne m'étends pas sur le sujet.

Zuko peut sembler un peu naïf et aveugle ici, mais il faut dire que rien ne permet de le deviner, d'une part à cause de l'attitude volontiers aguicheuse d'Azula envers les hommes et envers lui-même, d'autre part parce qu'elle le cache très bien. Tellement bien qu'elle-même semble avoir totalement occulté ce souvenir.

Le point de vue d'Azula

C'est justement un point que je souhaite éclaircir. Azula sait parfaitement ce qui s'est passé le jour du Soleil Noir et a conscience du traumatisme que cela constitue. Elle sait probablement que c'est l'événement qui l'a fait basculer définitivement dans une folie déjà rampante après des années d'abus en tout genre.

Si elle donne l'impression d'avoir oublié ce qui s'est passé dans la plupart des scènes, c'est parce qu'elle mène justement une lutte quotidienne pour maintenir ce souvenir traumatisant à distance. Mais il menace toujours, en surface, dissimulé par ce mur mental qu'elle s'est bâti et qui s'effrite dès qu'un détail lui rappelle cet événement.

Lors de la 2e visite de Zuko à l'asile (fin du chapitre 4), c'est la première fois que le souvenir lui revient sans filtre. Sans doute parce que Zuko la malmène physiquement, parce qu'elle est faible, vulnérable et vient de passer des semaines seule, dans l'obscurité.

La violence de cette révélation explique la rechute et la dégradation de son état psychologique dans les mois qui suivent. Mais tout laisse à penser qu'Azula a fini par reconstruire le mur et a appris à se protéger des assauts de sa mémoire. Elle vit dans le déni total de ce qui lui est arrivé. C'est ce qui lui permet d'envisager éventuellement une relation charnelle avec Zuko, bien que l'idée l'effraie. Elle-même invoque de fausses raisons (comme la chasteté requise pour une princesse) pour expliquer cette peur de l'acte sexuel. Cette résignation vient donc à la fois de ce déni et le fait qu'elle pense, tragiquement, que c'est le seul moyen de le lier à elle.

La suite nous montrera comment Azula évolue sur la question.

En tout cas, pour le moment, incapable de donner un sens au viol, de plaquer des images ou des sensations sur ce souvenir, elle ne l'évoque que par des symboles liés au contexte dans lequel s'est produite cette agression : l'éclipse et le dais rouge.

Explication des symboles :

Pour le dais, l'explication est très simple : toute la symbolique de cet élément est liée à sa couleur, le rouge : référence assez explicite au sang, celui qui s'écoule à la suite d'une blessure mais aussi lors d'un dépucelage.

Pour l'éclipse c'est un plus complexe :

L'éclipse joue un rôle symbolique, tout d'abord pour des raisons évidentes : une éclipse peut facilement évoquer une rencontre amoureuse ou sexuelle entre les deux astres, chacun représentant des principes contraires mais complémentaires : féminin et masculin, lumière et ténèbres, chaud et froid, yin et yang… Cela peut s'appliquer aussi bien au tandem Ozai/Azula qu'au couple Azula/Zuko.

A mon sens, elle est à lire à la fois comme une métaphore du viol, de l'emprise progressive d'Ozai sur sa fille, et de la relation entre Zuko et Azula.

Je m'explique :

a) Éclipse comme symbole du viol :

J'ai remarqué avec intérêt que dans la mythologie, les éclipses naissent généralement dans la violence. En Amazonie, les éclipses sont la conséquence d'une violente dispute entre la lune et le soleil, ce dernier souhaitant s'unir à elle par la force. En Chine, il s'agit d'un monstre dévoreur qui poursuit la lune et le soleil.

Si dans de nombreuses civilisations le soleil est plus souvent un principe masculin, je pense que dans mon histoire le soleil représenterait davantage Azula : brillant, incandescent, puissant et mortel, source inépuisable d'énergie, principe à la fois destructeur et créateur. L'ombre de la lune par sa noirceur évoque de manière assez simpliste, Ozai, incarnation du mal et de la perversion. On assiste donc à la lutte éternelle entre la lumière et les ténèbres (deux principes qui se combattent constamment chez Azula). Une interprétation qui n'a rien de très original mais qui a le mérite de fonctionner dans le contexte de mon histoire !

b) Eclipse comme symbole de l'emprise d'Ozai sur Azula :

Dans mon imaginaire, la phase ascendante lors de laquelle l'ombre de la lune grignote lentement le soleil peut faire référence à l'emprise qu'exerce Ozai sur sa fille depuis des années. La phase totale représente bien sûr le viol en lui-même, point d'acmé de cette relation destructrice, – l'ombre de la lune qui recouvre le soleil mimant un rapport sexuel.

C'est aussi le moment où Azula perd la raison et s'enfonce dans la folie. Ici, la lumière du soleil représenterait évidemment la raison obscurcie par la barbarie du crime d'Ozai.

La phase descendante correspond au temps nécessaire à Azula pour se remettre du traumatisme (du moins en surface).

La métaphore est renforcée par le fait que les éclipses n'ont aucune conséquence et ne laissent aucune trace une fois terminées. Le viol n'a en effet pas laissé de marque visible sur le corps d'Azula mais, de la même manière que ce phénomène cosmique marque les esprits, l'agression sexuelle laisse des marques indélébiles dans celui d'Azula.

c) Eclipse comme métaphore de la relation entre Zuko et Azula :

Voyons maintenant ma troisième hypothèse selon laquelle l'éclipse pourrait être une métaphore de la relation entre Azula et son frère.

Dans le chapitre 4 où le secret est révélé, Azula se demande un moment quand les deux astres se rencontreront à nouveau. Dans ce contexte, la lune et le soleil renvoient plutôt à elle-même et à Zuko. En effet, Azula et son frère passent leur temps à se chercher et à se fuir et chacune de leur rencontre constitue un événement marquant pour l'un comme pour l'autre. En se posant cette question, Azula exprime son chagrin à l'idée que son frère l'ait quittée pour rejoindre l'Avatar.

Autre argument étayant cette hypothèse : dans les mythes chinois, l'éclipse est un monstre qui dévore la lune et le soleil. Le phénomène cosmique lui-même pourrait donc représenter Ozai qui dévore ses deux enfants : la lune pour Zuko, le soleil pour Azula (ou l'inverse ? À vous de décider !)

Enfin, j'ai découvert que dans un mythe africain (au Zambèze), les éclipses résultent d'une rivalité entre les deux astres, chacun voulant être plus beau, plus brillant que l'autre. Cette jalousie dégénère en combats de boue (d'où la tâche noire sur le soleil) ! Je trouve que ça correspond tellement à nos personnages !

Pour conclure, le titre de ma fiction peut s'interpréter de diverses manières. Libre à vous de choisir celle qui vous convient le mieux ou d'en inventer une autre, ou de penser que rien de tout cela n'a le moindre sens !

En tout cas, voilà pourquoi, dans l'esprit d'Azula, le souvenir du viol prend la forme de l'image obsédante de l'éclipse.

Voilà. Je vais arrêter là cet exposé. Cette note d'auteur est beaucoup trop longue et je félicite quiconque aura été assez patient ou déterminé pour la lire ! ^^ J'espère néanmoins qu'elle aura rempli son office et éclairci certains points ou au moins que j'ai été claire.

Bonne lecture !

Chapitre 8 – Gerbes de feu et pluie de cendres


La nuit était tombée et toutes les fenêtres du palais venaient de s'éteindre. Les fusées d'un feu d'artifices époustouflant striaient le ciel dans un sifflement strident.

De chez elle, Mai entendait les exclamations enthousiastes de la foule, les « oh ! » et les « ah ! » des spectateurs émerveillés, chaque fois qu'une fleur bleue et verte ou rouge et or éclatait dans une détonation assourdissante au-dessus de leur tête.

Les maîtres artificiers s'étaient surpassés cette année, pensait-elle amèrement, assise au balcon de sa chambre dans la demeure de ses parents, la tête reposant sur ses bras croisés contre la rambarde en pierre.

Elle essaya futilement de voir si elle pouvait repérer une silhouette couronnée d'un trident à cinq flammes parmi la foule.

Que faisait Zuko en ce moment ? A quoi pensait-il ? Était-il dans la foule à admirer le spectacle pyrotechnique parmi ses courtisans ? Était-il confortablement installé plus loin, à l'écart, dans un palanquin d'où il pourrait profiter du spectacle en toute tranquillité ?

Azula était-elle avec lui ? Était-il en train de l'entourer de ses bras, baisant son cou pour la faire rire, pendant qu'elle observait le feu d'artifice, comme il l'avait fait avec elle l'année précédente pour son anniversaire ?

Elle essaya de chasser cette image ignoble de sa tête.

Mais en y réfléchissant, ce qu'elle ressentait maintenant, c'était moins du dégoût que du chagrin. Une profonde tristesse à l'idée de ne pas être là pour partager ce moment avec lui.

Elle n'ignorait pas qu'elle avait commis une terrible erreur en agissant dans l'ombre comme elle l'avait fait. Elle n'avait pas su anticiper les conséquences de ses actes et s'était crue plus maligne qu'elle ne l'était vraiment. Quel orgueil de sa part !

Elle avait cru pouvoir user de manigances, manipuler Zuko, tirer les choses à son avantage. Mais elle n'était pas Azula. Oui, elle devait bien l'admettre, elle avait voulu battre sa belle-sœur à son propre jeu, en usant des mêmes armes : la ruse, la fourberie, le mensonge.

Mais ce n'était pas fait pour elle. Elle avait joué, s'était brûlé les ailes, et maintenant elle avait perdu Zuko.

Derrière elle, dans l'obscurité, elle entendit un bruit de pas léger et le bruissement d'un vêtement long qui traînait sur le sol.

Elle ne se donna pas la peine de se retourner.

« Inutile de gaspiller ta salive, Mère, je sais ce que tu vas me dire. »

Elle resta parfaitement immobile, sans cesser de contempler le spectacle quand sa mère posa une main réconfortante sur son épaule.

« Mai, ma chère, je ne peux m'empêcher de penser que tu devrais être là-bas, à ses côtés.

Mai poussa un profond soupir. L'exaspération que lui inspirait sa mère remplaça un moment l'amertume et le chagrin et la soulagea d'un poids, l'espace de quelques précieuses secondes.

– Je te l'ai déjà dit. Je ne suis pas la bienvenue là-bas.

– Je ne peux pas le croire, Mai. Le Seigneur du Feu a toujours été fou de toi. Ce n'est pas une petite dispute qui va changer cela. Je suis certaine, en plus, que ton absence a été remarquée à l'heure qu'il est. Quelle épouse fais-tu en laissant notre souverain s'infliger la honte d'apparaître seul le jour de son anniversaire ? Que diront les courtisans ?

– Je me fiche totalement de ce qu'en pensent ces rapaces. Laissons-les parler. Zuko trouvera bien un mensonge. Il ne fait que ça ! Et je me fiche également de ce que toi tu en penses... »

Sa mère ne répondit rien, probablement blessée par ses paroles offensantes et elles restèrent un moment en silence, contemplant les gerbes de feu multicolores qui explosaient en une myriade d'étincelles dans le ciel indigo de cette fin de printemps.

« Ma chérie, reprit finalement sa mère, profitant d'une accalmie, tu ne veux toujours pas me dire ce qui s'est passé avec Zuko ? »

Entendre sa mère, si à cheval sur les conventions, appeler le Seigneur du feu par son prénom fit remuer quelque chose dans son estomac, et c'est sans doute cela qui la poussa à répondre avec plus de douceur qu'à l'accoutumée.

– Je ne peux pas, maman… J'ai déjà causé assez de mal comme ça. Je ne peux pas en dire plus. »

Bien sûr ses parents avaient forcément entendu eux aussi, les rumeurs qui couraient au sujet d'une prétendue relation scandaleuse entre le Seigneur du Feu et sa sœur mentalement dérangée. Mais s'ils le savaient, ils s'étaient abstenus de tout commentaire devant leur fille et de toute façon, Mai était convaincue que leur dévotion à l'égard de Zuko – et leur petit esprit étriqué de personnes bien comme il faut – les empêchaient de croire qu'un crime aussi ignoble pût se dérouler dans le palais, à un jet de pierre de leur porte.

En vérité, seuls Azula, Zuko et Mai savaient ce qui s'était vraiment passé. Et la vérité était déjà bien assez épouvantable comme cela. Pourquoi les commères et les médisants avaient-ils ainsi besoin d'amplifier la réalité ?

Si l'on en croyait les rumeurs rampantes, Zuko retrouvait chaque nuit Azula dans un bordel de la Caldera où ils se livraient en toute indécence à des plaisirs coupables.

On prétendait aussi que la princesse recevait la visite de nombreux autres hommes, nobles, riches marchands et roturiers et qu'elle se donnait à eux sans vergogne et sans distinction. C'était pour cela que personne ne l'avait vue depuis des semaines et que plus personne ne gardait les portes de sa chambre.

Bien sûr, Mai n'en croyait rien. Ni Zuko, ni Azula n'auraient été assez stupides pour prendre de tels risques aux yeux de tous. Et elle connaissait suffisamment Azula pour savoir qu'elle ne se donnerait jamais à un paysan, ni même à un homme de plus basse extraction qu'elle. Azula était une princesse, une vraie, et il ne lui fallait rien de moins que le roi dans son lit, fût-il son propre frère !

Pour être tout à fait honnête, elle ne croyait pas non plus qu'il se passât quoi que ce fût entre eux depuis son départ et était certaine que les portes des appartements d'Azula étaient encore résolument closes.

Au moins avait-elle eu le bon goût d'éprouver le besoin de se cacher.

Quand elle s'autorisait à se représenter la scène que lui avait racontée Zuko, Mai était au bord de la nausée.

Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer Zuko, la tête renversée en arrière, les yeux fermés, les mains glissées dans les cheveux d'Azula, comme il le faisait avec elle quand elle s'agenouillait devant lui pour son plus grand plaisir.

Il ne l'avait pas admis mais elle était certaine qu'il avait apprécié chaque seconde de ce petit jeu, du moins jusqu'au moment où il avait retrouvé un reste de raison et réalisé l'énormité de ce qui se passait.

Elle ne savait plus non plus si elle devait le croire quand il affirmait qu'il avait arrêté les choses avant qu'elles n'aillent plus loin. Il lui avait déjà menti en lui disant qu'Azula l'avait seulement embrassé après l'avoir un peu aguiché. Il pouvait également avoir menti sur cela.

Pourrait-elle lui pardonner un jour ? Pourrait-elle passer à nouveau ses nuits dans les bras d'un homme qui avait laissé sa propre sœur lui faire...ça !

La voix de sa mère interrompit le fil de ses pensées.

« Je suis certaine qu'il serait heureux que tu sois avec lui ce soir. Je sais que tu te fiches de ce que le monde en pense, mais il est le Seigneur du Feu. Tu ne peux pas être indifférente à ce que les gens pensent de vous. Le monde entier a les yeux braqués sur les souverains. Une relation stable lui assure crédibilité et autorité. Si tu n'apparais pas à ses côtés ce soir, tu donneras raison aux mauvaises langues et tu prêteras le flanc aux horribles insinuations qui ont été faites à son sujet. »

Ainsi elle savait. Mai ne pouvait pas dire qu'elle fût surprise. Jamais sa mère ne lui avait parlé aussi franchement et bien que cela lui coûtât beaucoup de l'admettre, elle devait reconnaître que ses paroles étaient sensées pour une fois.

« Je vais me coucher, dit sa mère en passant une main affectueuse dans ses cheveux. Réfléchis bien à ce que je t'ai dit. Bonne nuit. »

Mai ne répondit pas et s'affala un peu plus contre la rambarde, rêvant de lames de couteaux, de poignards et de shuriken lacérant un visage aux lèvres rubis et aux yeux couleur d'ambre.


Zuko n'était pas parmi la foule des badauds qui contemplaient, béats, le chef-d'œuvre de pyrotechnie qui se déroulait au-dehors.

Il n'était pas non plus dans un palanquin, confortablement installé pour profiter du spectacle. Et sa sœur n'était pas à ses côtés, blottie dans ses bras comme se l'était figuré Mai dans un moment d'égarement.

En vérité il avait profité de la distraction des convives, attirés comme des moucherons par le feu d'artifice, pour s'esquiver et se réfugier dans le jardin royal, devant la mare aux canards-tortues à qui il jetait distraitement les restes de gâteaux qu'un serviteur lui avait quasiment fourré dans les mains tout à l'heure.

Assis sur un trône spécialement installé pour l'occasion dans la salle de réception, il avait dû supporter les hommages et les flatteries des courtisans qui faisaient la queue pour venir le féliciter, tous munis d'un cadeau somptueux qu'un valet se chargeait de déposer sur un large guéridon recouvert d'un plateau d'or. Une pile de présents qu'il n'avait pas l'intention d'ouvrir l'attendait là-bas, farouchement gardés par un serviteur prêt à donner sa vie pour assurer cette noble tâche.

Comme certains s'étaient enquis de Mai, il leur avait répondu d'un ton qu'il espérait assuré, que la Dame du Feu était malheureusement souffrante depuis une semaine, que ses jours n'étaient pas en danger et qu'elle se reposait dans la résidence de ses parents où elle serait au calme, loin du tumulte des préparatifs au palais.

Les rumeurs galopantes au sujet de sa relation avec Azula étaient déjà assez pénibles à supporter sans qu'il fût besoin d'y ajouter le bruit de sa rupture avec Mai. Il espérait encore qu'elle reviendrait. Il commençait à regretter les paroles qu'il lui avait dites, la manière dont il l'avait laissée partir, sans un mot pour la retenir.

Chaque nuit il s'endormait en tournant le dos vers le mur pour ne pas voir la place vide à côté de lui. Plus d'une fois il avait songé à sortir en catimini du palais et à la rejoindre en montant à son balcon, comme il le faisait quand ils étaient adolescents, après qu'Azula l'eut fait revenir à la Caldera.

Deux nuits plus tôt, il s'était levé, décidé à mettre son plan à exécution. Sur le chemin, il avait commencé à songer à tout ce qu'il allait lui dire, à anticiper ses réactions et il préparait soigneusement chaque mot du discours qu'il allait prononcer une fois qu'il se trouverait face à elle. Elle serait forcée de l'écouter, de comprendre, de revenir et de pardonner.

Soudain, dans son champ de vision, apparut un détail qui attira momentanément son attention. Il s'arrêta net pour contempler les motifs colorés d'une tapisserie représentant le combat contre un dragon de l'un de ses illustres ancêtres, dont il avait complètement oublié le nom (Azula saurait, elle !)

Il réalisa avec stupeur qu'il avait emprunté un chemin complètement différent de celui qui aurait dû le mener jusqu'aux souterrains par lesquels il comptait passer. Il ne voulait pas qu'on le vît sortir par l'entrée principale, toujours promptement gardée par une vingtaine de sentinelles.

Absorbé par ses pensées, il n'avait pas pris garde à son itinéraire et ses pas l'avaient instinctivement mené dans une aile du palais où il n'aurait pas dû se trouver à une heure aussi tardive, surtout par les temps qui couraient.

La grande porte à double-battant menant aux appartements de sa sœur n'était toujours pas gardée.

Confus, désorienté, ne sachant pas du tout comment il avait fini ici alors qu'il aurait dû prendre la direction opposée, il sentit sa détermination vaciller. Il n'était plus aussi certain d'avoir envie de se rendre auprès de Mai. De toute façon, elle devait être endormie à l'heure qu'il était… il ne voulait pas l'effrayer ou la déranger.

Alors qu'Azula… Il savait que la princesse, comme lui, était sujette aux insomnies, et sans doute plus encore en ce moment.

Il lutta un moment contre la tentation de toquer à la porte, d'en forcer le passage si nécessaire, de s'avancer vers Azula, de la prendre par les épaules et de la secouer sans ménagement jusqu'à ce qu'elle lui explique pourquoi, pourquoi est-ce qu'elle avait fait cela ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle salisse tout ? Qu'elle le pervertisse ainsi ?

Pourquoi ne lui ouvrait-elle pas sa porte? Pourquoi refusait-elle son aide, son soutien et son affection ?

Pourquoi fallait-il que tout soit aussi compliqué avec Azula ? Ne pouvait-elle pas simplement être la petite sœur dont il avait toujours rêvé ? A la fois douce, forte et aimante, comme Katara ?

Il fallait qu'il lui parle. Il devait à tout prix la voir pour être enfin libéré des rêves profondément déroutants qui le tourmentaient nuit après nuit.

C'était toujours le même : une voix suave aux paroles sucrées susurrait des promesses ensorceleuses dans le creux de son oreille. Des yeux d'ambre, incrustés partout, dans les murs, dans les piliers de la salle du Trône, et jusque sur les taies de ses oreillers, le fixaient intensément, où qu'il aille, sous de longs cils noirs délicatement recourbés. Des ongles longs et pointus pénétraient sa chair tandis que les siens se perdaient dans la nuit d'une chevelure sombre et dense. Des lèvres vermeille traçaient des sillons sur sa peau, se déposaient sur chaque centimètre de son corps, sur sa bouche, dans son cou et lui échappaient chaque fois que, n'y tenant plus, il essayait de les capturer dans les siennes.

Il ne pouvait plus supporter de s'éveiller au milieu de la nuit, pantelant, à la fois horrifié, honteux et terriblement frustré, tentant péniblement de contenir l'érection qui soulevait ses draps.

Il s'efforçait de dissiper les images importunes qui continuaient de s'infiltrer dans son esprit embrumé en enfonçant ses doigts dans ses orbites.

Quel ignoble instinct l'avait conduit ici, devant les portes désespérément closes des appartements d'Azula, à une heure avancée de la nuit au lieu de rejoindre la seule femme qu'il eût jamais aimée ?

Torturé, il s'était plaqué contre la porte, ses doigts caressant le linteau, murmurant le prénom de sa sœur dans l'obscurité.

Près de la mare, tandis que retentissaient les dernières détonations du feu d'artifice célébrant son vingt-deuxième anniversaire, il repensa à la manière dont il était resté contre la porte, le poing à demi-levé, prêt à frapper jusqu'à ce qu'un bruit de pas et de ferraille trahissant la présence de gardes impériaux interrompe sa rêverie et le force à prendre la fuite. Il n'était vraiment pas judicieux pour lui d'errer dans cette partie du palais en ce moment. Il ne voulait surtout pas prêter le flanc aux rumeurs.

Renonçant à son projet, il avait regagné ses appartements, son humeur déjà morose aggravée par cet échec. Il n'avait pas réussi à s'endormir avant l'aube.

Deux pieds recouverts de chausses marron à bout pointu apparurent soudain dans son champ de vision, surmontés d'un pantalon bouffant jaune qui lui était bien familier. Bien sûr, les maîtres de l'Air avaient la faculté de se mouvoir avec une telle discrétion que Zuko lui-même, dont les sens étaient si finement aiguisés par ses années d'exil et de traque, fut surpris de le voir ainsi surgir devant lui.

« Aang !, s'exclama-t-il en se redressant maladroitement pour lui faire face.

Son ami se dressait devant lui, grand et fier, sa flèche bleue donnant presque à Zuko l'impression de scintiller sous la lumière des étoiles.

Depuis le retour de l'Avatar, la situation s'était légèrement apaisée. Aang l'avait convaincu de réunir à nouveau le Conseil.

Lu Fang était retourné à Ba Sing Se où d'autres affaires requéraient son attention. Après tout, il n'était pas membre de ce conseil. Il avait seulement été envoyé en délégation par le roi Kuei, sans doute trop occupé à apprendre des tours à son ours stupide. Sans le ministre belliqueux, les réunions s'étaient déroulées dans une ambiance plus sereine. Toute allusion à la princesse Azula avait été soigneusement évitée. Les discussions s'étaient poursuivies et on semblait se diriger vers un accord.

Zuko enverrait une partie de ses troupes pacifier les zones où les émeutes semblaient les plus préoccupantes. L'Ordre du Lotus blanc s'occuperait de protéger les quartiers occupés par les colons dans des zones moins peuplées et Omashu et Ba Sing Se contribueraient également à l'effort en utilisant les agents du Dai Li pour repérer les milices et démanteler les réseaux de rebelles. Le Royaume de la Terre enverrait également un régiment pour assister les soldats de la Nation du Feu dans leur mission. L'idée était que les troupes des deux nations apparaissent ensemble pour donner l'exemple au citoyens en leur prouvant que tous pouvaient travailler main dans la main et que leurs gouvernements respectifs avaient à cœur la sécurité et le bien être de tous les peuples du monde.

Parallèlement, des discussions avaient été amorcées pour réfléchir à un nouveau plan visant à accélérer la décolonisation sans pour autant forcer les familles de colons à quitter les terres dans lesquelles ils étaient nés et travaillaient. Pour cela, ils avaient ébauché l'idée d'un plan triennal visant à remplacer les administrateurs des colonies : dès les prochaines semaines, une partie des postes administratifs serait réservée à des sujets du Royaume de la Terre et les fonctionnaires issus de la Nation du feu ne resteraient que le temps d'assurer la transition avant de céder leur place. Ils reviendraient ensuite à la Caldera d'où ils pourraient demander une mutation dans la future Cité de la république.

Sans Lu Fang pour attiser les tensions, les membres ressortissants du Royaume de la Terre s'étaient montrés beaucoup plus coopératifs. Aang avait promis à Zuko de parler de son cas au roi Kuei lors de son prochain voyage diplomatique à Ba Sing Se.

Aang devait donc bien se douter que Zuko était tourmenté par d'autres sortes de démons... et qui expliquait qu'il se trouve seul devant une mare en train de nourrir des canards-tortues alors qu'une centaine de convives, tous des membres bien en vue de la haute société de la Nation du Feu, étaient réunis pour célébrer son anniversaire.

« Pitié, dis-moi que tu es venu m'achever… grommela Zuko en croisant les bras sur sa poitrine. Ou pour m'annoncer qu'une fusée de feu d'artifice a malencontreusement fini sa course sur la foule et a tout ravagé sur son passage... »

Aang se contenta de sourire et posa une main sur son épaule :

– Non Zuko, j'ai bien peur que si tu veuilles anéantir tes courtisans dans un déluge de feu, tu doives utiliser ta propre maîtrise. Tu es attendu dans la salle de réception. Kando commence à s'affoler et des gens ont déjà remarqué ton absence. »

Zuko leva les yeux au ciel, prit une profonde inspiration et dit sobrement : « Moi qui pensais que les guerres étaient le pire problème que puisse rencontrer un monarque pendant son règne, j'avais largement sous-estimé les nuisances et les ravages des soirées mondaines...

Aang éclata de rire avant de risquer :

– Sans parler des princesses…

– Ne m'en parle pas ! C'est l'enfer ! » grogna-t-il en pensant à sa femme et à sa sœur, toutes deux bouclées dans leur chambre d'adolescente, murées dans un silence buté.

Il avait blessé les deux femmes qui comptaient le plus à ses yeux et ne se le pardonnait pas.

Il consentit à suivre Aang en prenant tout son temps. Chaque minute qu'il ne passerait pas dans cette salle surchargée de dorures, de fioritures et de flatteurs, était une minute gagnée.

Tout en marchant aux côtés de son meilleur ami, il se souvint soudain que, noyé sous ses propres problèmes, il n'avait même pas songé à lui demander comment il allait.

« Et toi Aang ? Comment vas-tu ? Katara ne te manque pas trop ?

– Si, terriblement… Mais je sais que sa mission est importante. Il est essentiel que les filles puissent maîtriser l'Eau comme elle le fait dans toutes les tribus. Elle contribue à sa manière à un monde plus juste où les femmes et les hommes seront à égalité, réunis sous un seul nom : l'humanité ! Je suis fier d'elle et je suis convaincu que sa cause vaut le sacrifice de ne pas se voir pendant plusieurs mois !

Zuko sourit et reprit en lui donnant un petit coup dans les côtes :

– Même si ça signifie que tu doives dormir dans un lit froid chaque nuit ?

– J'avoue que ce détail là fait parfois pencher la balance ! »

Et ils se mirent à rire. Zuko réalisa qu'il n'avait pas ri depuis des semaines et il se sentit soudain beaucoup plus léger à l'idée de retrouver l'atmosphère oppressante de la salle de réception aux côtés d'un ami.

Ils marchèrent encore quelques temps en silence et alors qu'ils arrivaient devant l'entrée qui menait au palais, Aang l'arrêta.

« Zuko, avant d'y aller, tu dois savoir… je suis venu te prévenir…

– Quoi ? demanda Zuko, soudain alarmé.

– Azula…

– Qu'y a-t-il ? Qu'est-ce qu'elle a ? Est-ce qu'elle va bien ? Elle est blessée ?

– Non Zuko, ce n'est pas ça. Ne t'inquiète pas. C'est juste que... Elle est là ce soir... »


Elle était bien là.

Éblouissante dans sa robe qipao dorée, aux motifs fleuris, à col haut et à manches courtes, qui retombait sur ses chevilles en épousant toutes ses formes au passage.

Ses cheveux étaient noués dans un élégant chignon sophistiqué et de loin, Zuko crut voir étinceler dans la chevelure noire comme la nuit les petites broches ouvragées qu'il avait retirées une à une devant le miroir l'autre soir.

Un frisson désagréable parcourut son échine à ce souvenir.

Pour le moment, elle ne semblait pas l'avoir remarqué et lui présentait son profil.

Elle était en grande conversation avec un jeune noble que Zuko crut reconnaître comme étant le fils d'un lieutenant de la marine qui avait servi sous le règne d'Ozai. Le jeune homme avait un physique avantageux. Il dépassait sans doute Zuko d'une bonne tête et sa tenue près du corps révélait des biceps développés qui lui valaient de nombreux regards dérobés de la part de la gente féminine.

Il parlait avec animation et Azula le regardait avec intérêt, partant parfois d'un grand rire gracieux. Ses lèvres peintes en rouge ne cessaient de sourire et Zuko jura un moment l'avoir vue mordiller sa lèvre inférieure une ou deux fois.

Il se détourna pour ne plus rien voir de ce spectacle horripilant et, se servant un verre, il recula dans un coin sombre de la pièce, entre deux piliers, dans l'espoir qu'on l'oublie. Aang s'était déjà éloigné pour lui laisser la possibilité d'aller parler à sa sœur.

Mais c'était illusoire. Tout le monde n'avait d'yeux que pour le Seigneur du feu, notamment les mères des jeunes filles à marier qui, il le savait, spéculaient déjà sur la disparition mystérieuse de la Dame du Feu. Chacune espérait introduire sa propre fille auprès de Zuko, dans l'espoir qu'il l'élise comme sa prochaine épouse ou, à défaut, sa concubine favorite. C'était déjà beaucoup plus que ce qu'elles pouvaient espérer, pensa Zuko en regardant avec un sourire méchant une fille molle et maigrichonne au visage terne et aux cheveux raides qui lui lançait des œillades de temps à autre. Il leva son verre dans sa direction. Elle rougit furieusement et se retourna vers ses amies qui se mirent toutes à glousser stupidement.

Le bruit de leur rire éveilla soudain l'attention d'Azula, juste derrière elles. Les yeux mordorés parcoururent la salle et tombèrent dans ceux de Zuko. Il sentit ses entrailles fondre dans son ventre mais fit de son mieux pour soutenir son regard incandescent.

Sans détourner les yeux, Azula posa une main blanche et délicate sur le bras musculeux de son admirateur et avec un petit sourire, murmura quelque chose à son oreille. Apparemment, ce qu'elle lui dit lui fit plaisir car le bellâtre la laissa partir avec un petit air satisfait parfaitement insupportable pour Zuko et la suivit des yeux tandis qu'elle s'éloignait de lui. Une lueur de concupiscence brillait dans ses yeux bruns en amendes qui fixaient un point situé bien en-dessous du dos d'Azula.

« Regarde ailleurs, espèce de pervers, grogna Zuko entre ses dents.

Il avala une grande gorgée de vin pour se donner du courage et l'attendit, le cœur battant, essayant de donner à son visage l'expression la plus impassible possible.

Il ne la quitta pas des yeux un instant quand elle s'avança vers lui, un verre de vin rouge à la main, se frayant un chemin sur la piste parmi les danseurs, ses hanches ondulant ostensiblement sous le tissu fluide dont était fait sa robe de soirée.

Enfin, elle fut à ses côtés.

« Belle soirée Zuzu. Je crois ne pas encore avoir eu l'occasion de te souhaiter un bon anniversaire.

– Merci, grommela-t-il en baissant les yeux sur son propre verre. Je ne m'attendais pas à te voir ce soir.

Azula porta une main à ses lèvres et partit du même rire faux et enjôleur qu'elle avait affecté devant son soupirant quelques secondes plus tôt.

« Quelle princesse et quelle sœur ferais-je si je n'assistais pas à la soirée d'anniversaire du Seigneur du Feu ? Je ne te ferais pas une telle offense, mon cher frère. »

Puis elle reporta son attention sur la piste de danse en trempant ses lèvres rubis dans son verre, un petit sourire affiché sur ses lèvres.

Ce fut tout ce dont Zuko eut besoin pour comprendre qu'elle était au courant pour Mai.

Autour d'eux les invités dansaient et riaient, miraculeusement indifférents au Seigneur du Feu et à sa sœur qui se tenaient côte à côte pour la première fois depuis plus de trois semaines.

Il profita que l'attention d'Azula fût détournée par la foule qui tournoyait sur la piste pour l'observer de plus près. Elle arborait comme à son habitude un maquillage parfait mais elle lui sembla malgré tout plus pâle que de coutume. Ses bras et son cou semblaient plus minces et son regard souligné de khôl lui paraissait un peu lointain, presque triste malgré les efforts évidents qu'elle faisait pour se composer un visage jovial.

Refusant d'entrer dans son jeu, il chuchota, sur un ton de reproche :

« J'étais inquiet. Je ne t'ai pas vue depuis des jours. Pourquoi n'as-tu ouvert à personne ?

Elle tourna ses yeux couleur d'ambre vers lui et le fixa intensément.

« Je réfléchissais... »

Zuko déglutit péniblement avant de répondre :

– Et peut-on savoir à quoi exactement ?

– Oh, tu sais… à l'avenir de la nation, au maintien de la paix, à la meilleure tenue à arborer pour célébrer l'anniversaire de mon frère chéri, à quelle bouteille de vin ouvrir ensuite, au prétendant à qui je vais offrir ma prochaine danse… toutes ces choses futiles et superficielle dont s'encombre l'esprit d'une princesse bien comme il faut.

– Arrête ça, Azula, siffla-t-il d'un air furieux avant de lui arracher son verre des mains.

Azula émit une exclamation indignée et essaya en vain de reprendre la coupe qu'il tenait maintenant hors de sa portée.

– Tu te caches depuis des jours, reprit-il, toujours à voix basse et d'un ton courroucé, tu refuses d'ouvrir ta porte, tu touches à peine à tes repas et te voilà maintenant, apparaissant à cette soirée comme une fleur, en train de vider les verres et de flirter avec le premier imbécile venu !

– Qu'en sais-tu ? C'est un charmant garçon. Et il a une conversation très agréable… Et d'autres qualités que toi même n'auras sans doute pas manqué de remarquer, finit-elle en se pinçant la lèvre inférieure entre son pouce et son index.

Le rictus qui se forma sur ses lèvres était parfaitement exaspérant et Zuko fut content d'avoir les verres dans les mains pour ne pas avoir à lutter contre l'envie de resserrer les poings en signe de rage.

– Vraiment Azula, je doute qu'il n'ait que de plaisantes discussions en tête quand il te regarde…

– Oh… Jaloux, Zuzu ? Je peux lui demander de te laisser une part du gâteau si tu veux. »

Réprimant un violent frisson, Zuko, hors de lui, reposa les verres sur le plateau d'un serveur qui passait opportunément devant eux, et la prit brusquement par la main :

« Ça suffit… Tu viens avec moi », ordonna-t-il en la tirant derrière lui avant de disparaître derrière un rideau menant dans un couloir désert.

Là, il l'emmena jusqu'à une petite porte en bois aménagée dans le mur, l'ouvrit, et ils se retrouvèrent dans une petite pièce basse de plafond uniquement meublée d'un lit et d'une table de chevet. Une alcôve, trouée dans le mur, menait à une petite salle d'eau un peu miteuse.

La fonction de cette chambre ne faisait pas trop de doutes aux yeux de Zuko.

Ces pièces dérobées à l'intention des couples à la recherche d'un peu d'intimité avaient été construites sous le règne de Sozin, dont le goût pour les concubines et les soirées débridées était notoire.

Lui-même et Mai en avaient déjà eu l'usage dans les premiers temps de leur mariage, lorsque, trop impatients pour rejoindre leurs appartements à l'autre bout du palais, l'appel des sens les avait guidés là, fuyant une soirée rébarbative.

Il chassa avec amertume le souvenir de ces jours heureux et se demanda sombrement si Azula en avait elle aussi déjà profité.

Il éprouvait un malaise croissant à l'idée de se trouver ici avec elle. Ce n'était certainement pas le genre de pièce où un frère et une sœur auraient dû se trouver ensemble. Surtout par les temps qui couraient.

Pendant ce temps, elle en avait profité pour se libérer de sa prise et elle commença à faire le tour de la pièce d'un œil critique, ses yeux s'arrêtant sur le lit puis la petite salle de bain.

« Zuzu ! s'exclama-t-elle en feignant un ton offusqué. Quand je parlais de prendre ta part du gâteau ce n'était pas une métaphore ! Je ne te savais pas si gourmand à tous points de vue...

Elle laissa échapper un petit rire amusé, leva vers lui un regard de braises et replaça innocemment une mèche de cheveux derrière ses oreilles.

Cependant, dans ses yeux d'ambre, ce n'était plus l'espérance et le désir qu'il avait vu brûler l'autre nuit : ce qu'il croyait y lire maintenant, c'était plutôt une colère contenue, sans doute depuis des jours. Il eut presque l'impression de voir son feu intérieur danser dans ses pupilles dilatées.

Elle n'essayait pas vraiment de le séduire, elle le défiait.

Elle s'approcha lentement de lui et Zuko se figea quand elle posa une main traînante aux ongles longs sur son bras.

« Mais qui suis-je pour refuser au Seigneur du Feu ce qu'il désire le jour de son anniversaire ?

Elle avait baissé la voix et le ton qu'elle avait utilisé était profondément déroutant, envoûtant . Zuko oublia un moment de respirer.

Heureusement, il était sobre cette fois, et la certitude qu'elle était seulement en train de le provoquer lui donna l'assurance nécessaire pour réagir :

« Arrête ça tout de suite Azula, la tança-t-il en s'écartant d'elle. Ça n'a rien de drôle.

– Oh mais je ne rirais jamais de quelque chose d'aussi sérieux, dit-elle en se détournant de lui.

Zuko inspira profondément en la voyant s'éloigner.

« Dis-moi ce que tu veux Zuko… Notre absence doit déjà avoir été remarquée. Et mon cavalier m'attend pour une promenade dans les jardins. Et il me donne l'air d'un homme assez...intense et impatient… je ne voudrais pas le faire trop attendre.

– Tu n'iras pas le rejoindre ce soir, répondit-il calmement.

Elle lui lança un regard surpris qui se mua vite en une expression amusée.

« Tu as laissé passer ton tour Zuzu, mais ce n'est pas une raison pour en priver les autres, minauda-t-elle.

– C'est sérieux, Azula. Tu ne te rends pas compte de ce que la Cour murmure sur notre compte ?

– Je ne sais pas si je pourrai vivre une minute de plus sans le savoir. Éclaire-moi, je t'en prie Zuzu.

Zuko l'ignora et répliqua plutôt :

– Tu ne peux pas disparaître pendant des semaines, comme tu l'as fait, laisser les pires rumeurs courir sur mon compte et réapparaître comme par magie, le jour de mon anniversaire quand le palais est plein de toutes les personnalités influentes de la Cour, pour jouer les courtisanes avec le fils d'un simple lieutenant de la marine !

– Au contraire, Zuko, ne vois-tu pas que j'œuvre pour préserver la réputation du Seigneur du Feu ? Me voir au bras d'un autre homme devrait faire taire les mauvaises langues à notre sujet. Ou au moins au tien… j'ai bien peur que ce soit plus difficile dans mon cas.

– Tu es au courant des rumeurs ? demanda Zuko, l'air renfrogné.

– J'ai des oreilles Zuko… Je sais parfaitement ce qui se dit et ce qui s'est produit le jour du conseil avec cet idiot de Lu Fang. D'ailleurs, ta réaction était légèrement… excessive. Dommage que je n'aie pas été là ce jour-là pour tempérer tes ardeurs.

– Je ne te le fais pas dire. Tu savais parfaitement que j'avais besoin de toi et tu es restée obstinément cachée dans ta chambre, tout ça parce que tu n'as pas eu le courage d'assumer ce que tu as fait !

Cette fois Azula abandonna tout faux-semblant. Elle semblait franchement furieuse maintenant.

« Ce que j'ai fait ? Et qu'est-ce que j'ai fait exactement que tu n'aies pas fait toi-même Zuko ? Je ne t'ai pas trouvé très déterminé à me repousser quand j'étais à genoux dans ma salle de bain, ma bouche à deux centimètres de ton...

– Rhââ, tais-toi ! s'exclama-t-il d'un air dégoûté en plaquant une main sur son visage. Je ne veux plus jamais en entendre parler ! Ce qui s'est passé ce soir-là c'est… c'était mal, c'était sale ! Ça ne doit jamais se reproduire ! Tu m'entends Azula ? Je ne sais pas ce qui t'est passé par la tête ou ce que tu espérais mais… On était ivres tous les deux et… je ...jamais je n'ai voulu, jamais je ne voudrai être avec toi, comme ça ! »

Azula baissa la tête et Zuko comprit qu'il l'avait blessée, mais elle recomposa si vite son masque d'impassibilité qu'il se demanda s'il ne l'avait pas imaginé.

La confrontation ne se passait pas comme il l'avait espéré. Il s'était représenté la scène très différemment. Il avait espéré au plus profond de lui qu'Azula n'ait gardé qu'un souvenir confus des événements, ou qu'elle en aurait ri en s'excusant, ou encore qu'elle aurait fondu en larmes dans ses bras, en lui assurant que c'était sa faute et que cela ne se reproduirait jamais.

Il ne s'était pas préparé à cette réaction. Il était convaincu que, comme lui, Azula devait regretter profondément ce qui s'était passé et qu'elle n'éprouvait que dégoût envers elle-même.

Comment pouvait-il en être autrement ?

« Très bien…, reprit-elle finalement d'un ton offensé. Dans ce cas je ne vois pas ce qui m'empêche d'aller retrouver mon imbécile de cavalier et de passer la soirée en sa compagnie. Ce sera toujours plus agréable que de partager la tienne. »

Et tandis qu'elle tournait les talons d'un pas raide et s'apprêtait à quitter la pièce, il la retint par le poignet et la tira vers lui. Elle n'allait pas s'en sortir comme ça et continuer de l'humilier publiquement.

Elle poussa une exclamation à mi-chemin entre l'indignation et la douleur quand il serra son poing autour de son poignet.

Surpris, Zuko baissa les yeux et, pris d'un soupçon, retourna dans sa paume le bras d'Azula et découvrit avec horreur les affreuses cicatrices qui n'étaient pas là la dernière fois qu'il l'avait vue.

Avant qu'elle ait pu réagir, il prit vivement son autre main et la retourna de la même manière pour voir les stigmates identiques sur la peau translucide.

– Azula, prononça-t-il d'une voix blanche… qu'est-ce que c'est ?

Rougissant misérablement, elle retira vivement son bras de l'emprise de Zuko et protesta :

« Ne me touche pas !

– Tu m'avais juré que tu ne te blesserais plus ! siffla-t-il férocement.

Les paroles furieuses surgirent avant qu'elle ait pu songer à les retenir :

– Alors il ne fallait pas me blesser d'abord ! »

Et sur ces mots, des larmes brillant dans ses yeux couleur d'ambre, elle se retourna et fila en claquant la porte derrière elle, le laissant seul dans la chambre, avec pour seules compagnes la honte et la culpabilité.


– Mai ! Toi ici ? Quelle surprise ! » s'exclama Aang en voyant apparaître la noble jeune femme au visage mince et maussade et à la lourde frange noire, encapuchonnée dans une grande cape pourpre.

– Evite de le hurler sur les toits s'il-te-plaît, je ne tiens pas à ce que l'on me remarque tant que je n'aurai pas trouvé Zuko. Tu sais où il est ?

Après un petit temps d'hésitation, Aang lui avoua qu'il ne l'avait pas revu depuis un moment.

« Encore trop occupé à essayer d'impressionner ces dames avec ta maîtrise de l'air ? Tsss, que dirait Katara ? demanda-t-elle d'un ton inquisiteur qui déclencha chez le jeune Avatar un petit rire nerveux.

Mais Aang était presque sûr de l'avoir vue sourire. C'était suffisamment rare chez Mai pour qu'il le remarque.

Reprenant son sérieux, il chuchota : « Je suis content que tu sois là. Zuko broie du noir depuis ton départ. C'est formidable que tu le pardonnes…

– Je n'ai jamais dit que je l'avais pardonné, le coupa-t-elle d'un ton cassant.

Puis, affaissant les épaules, elle avoua :

« Il me manque, c'est vrai… et… j'ai sans doute eu tort de réagir comme je l'ai fait. Enfin, je ne sais pas pourquoi je t'en parle… Tu ne sais rien… »

Il fut trop long à se composer un visage et elle comprit instantanément.

« Il t'en a parlé ? demanda-t-elle avec tant de brusquerie que les danseurs autour d'eux s'interrompirent pour les regarder avec curiosité.

Mai replaça sa capuche sur sa tête et toussota légèrement : « Viens », ordonna-t-elle d'un ton qui ne souffrait aucune contestation.

Aang la suivit en coupant par la piste de danse, lançant des regards un peu inquiet autour de lui. Il n'apercevait ni Zuko, ni Azula. Si ces deux-là étaient ensemble, le timing ne pouvait pas être pire…

Aang s'était promis de ne pas juger Zuko au sujet de ce qu'il lui avait raconté. Et il y avait longtemps qu'il avait renoncé à essayer de comprendre la personnalité complexe de la Princesse. Du moment qu'elle n'essayait plus de les assassiner sauvagement, il se sentait capable de tolérer sa présence.

Katara et lui avaient déjà parlé ensemble du comportement parfois déplacé d'Azula quand elle était en présence de son frère mais ils avaient plutôt choisi d'en rire ? Etant donné la famille dans laquelle elle avait été élevée, Azula avait sans doute encore besoin d'apprendre comment être une sœur. Jamais pour autant ils n'avaient imaginé qu'il pût y avoir quelque chose d'aussi profondément malsain entre eux.

Aang n'arrivait pas non plus à se départir du malaise qu'il éprouvait toujours quand il s'agissait d'Azula. Et si sa vaine tentative de séduction n'avait encore été que l'une de ses machinations pour accéder au trône ? Et si elle avait cherché à nuire à sa réputation pour gagner du crédit auprès de l'opinion publique ?

Zuko lui avait affirmé qu'Azula n'était pour rien dans les rumeurs qui se répandaient dans toute la ville. Il en avait la preuve. Mais cela ne l'avait pas totalement libéré de ses soupçons à l'égard de la Princesse. La façon dont Zuko cherchait sans cesse à défendre sa sœur le préoccupait de plus en plus et il ne pouvait s'empêcher d'y voir l'indice d'une influence de la jeune prodige sur son frère, plus crédule.

Il se reprochait cette attitude. On l'avait élevé en lui apprenant la compassion et Azula en avait besoin sans doute plus que quiconque. Aang faisait partie des rares personnes que Zuko avait autorisées à rendre visite à Azula à l'asile et bien qu'il n'y fût allé que deux fois, il devait reconnaître qu'il en était ressorti profondément bouleversé.

Assister à la déchéance physique et mentale de celle qui avait autrefois été son ennemie, contempler, impuissant, les efforts de Zuko pour essayer d'interagir avec cette sœur qui l'avait toujours détesté, avait été déchirant et il espérait ne jamais la revoir dans un tel état.

La princesse avait changé, incontestablement et se montrait généralement humble et courtoise avec eux. Mais à l'évidence elle ne recherchait pas leur compagnie et ne restait avec eux que pour Zuko. Ty Lee était sans doute la seule personne en-dehors de son frère qu'Azula acceptât auprès d'elle plus de temps qu'il n'était nécessaire pour partager un dîner ou une soirée entre amis.

Aang aurait sincèrement souhaité pourvoir trouver en lui la force de la pardonner et de la comprendre. Mais derrière son masque de calme et de courtoisie, Azula ne lui inspirait pas confiance. Il lui semblait toujours percevoir dans ses yeux mordorés la soif de pouvoir qui l'animait à l'époque où elle les traquait à travers le monde.

Le fait que Zuko et Azula semblent s'être évaporés de la soirée confirmait ses pires craintes. Se pouvait-il que Zuko, après trois semaines sans la voir, ait finalement succombé au piège que lui tendait la Princesse ?

Aang n'aurait su dire quelles étaient les véritables sentiments du Seigneur du Feu à l'égard de sa sœur. Il n'était pas parvenu à déceler dans son récit un indice qui pût lui permettre de savoir s'il devait s'inquiéter ou non pour lui.

Toph aurait pu elle…

Mai l'avait conduit dans le hall. Des invités passaient ça-et-là de l'entrée à la grande salle de réception mais tout le monde paraissait trop affairé ou ivre pour faire attention à eux. Par précaution, elle le guida quand même un peu plus loin, à l'écart et commença :

« Dis-moi exactement tout ce que tu sais…

– Mai… c'est… c'est délicat.

– Zuko t'a tout raconté ? Il t'a dit ce qu'il a fait avec Azula ?

– Il m'a dit ce qu'Azula avait essayé de faire, oui... »

Mai s'interrompit un instant et Aang crut voir passer dans ses yeux en demi-lune quelque chose qui ressemblait à de l'espoir. Mai devait savoir que Zuko chercherait à être honnête avec lui. Ainsi, si la version des faits qu'il avait présenté à Aang était similaire au récit qu'il lui avait fait à elle, alors peut-être pouvait-elle le croire ? Aang se promit que, même sous la torture, il ne révélerait jamais ses propres doutes à Mai au sujet des intentions de Zuko.

Mais elle ne lui facilita pas la tâche :

« Tu le crois quand il affirme qu'il n'a jamais voulu cela ?

– Je le crois quand il affirme qu'il regrette et connaissant Zuko, il ne ferait jamais une chose pareille. Il sait qu'Azula est une personne compliquée et qu'elle est fragile psychologiquement. Il ne profiterait jamais d'elle comme ça…

– Même pas si elle lui en donne l'occasion ?

– Je ne pense pas, trancha-t-il, franchement mal à l'aise maintenant.

Mai poursuivit l'offensive :

« Et toi, tu es un homme après tout ?

Aang choisit de ne pas relever l'insulte.

– Que ferais-tu si elle essayait de te séduire comme ça ? Est-ce que tu ne te laisserais pas les choses dégénérer ? Sois honnête : Azula a beau être détestable, c'est une belle fille, ne le nie pas...

– Je ne le nie pas ! Seulement je… je… je n'y ai jamais pensé... J'aime Katara !

– Exactement ! conclut Mai, visiblement satisfaite en frappant la paume de sa main gauche avec le tranchant de la droite.

Aang comprit trop tard qu'elle l'avait piégé. Utilisant son raisonnement contre elle, il rétorqua :

« Ecoute Mai, Zuko t'aime, ce n'est pas la question. Je peux te l'assurer après tout ce qu'il m'a raconté à ton sujet. Il est prêt à te pardonner.

– Mais qui dit que moi je le sois ?

– Le fait que tu sois là ce soir ?

Comme la jeune femme baissait la tête d'un air misérable, il eut pitié d'elle et posa une main compatissante sur son épaule. Il vit un signe encourageant dans le fait qu'elle n'essaie pas de se soustraire.

« Mai, reprit-il, je peux te promettre une chose : Zuko n'a jamais voulu de ce qui s'est passé avec Azula. Il regrette chaque seconde de cette soirée. Il s'en veut de t'avoir blessée, de l'avoir blessée, elle.

– Et de quel droit pourrait-elle se sentir blessée ? Alors qu'elle s'est comportée comme la pire des catins en essayant de séduire mon mari ? Son propre frère ! Quel genre de personne ferait ça ?

– Je ne prétends pas connaître les motivations d'Azula et honnêtement, je ne crois pas que qui que ce soit le puisse. Mais Zuko est ce qu'elle a de plus proche d'un ami. Elle est très seule, et lui seul ne la regarde pas avec crainte ou dégoût…

– Pourquoi éprouvez-vous tous le besoin de la défendre ? Toi aussi elle a essayé de te tuer pourtant ! Et Zuko aussi ! Attends…C'est lui qui t'a dit tout cela ?

Aang éluda.

– Azula est sa petite sœur Mai, et il se soucie d'elle. Même si elle dérape ou fait des choses impardonnables, son rôle à lui est de lui montrer de la compassion et de la tendresse en toutes circonstances.

– Ah ! Très bien, Tu me rassures ! Ainsi ce n'était qu'une marque de tendresse quand elle a commencé à lui su...

– Mai, l'interrompit-il précipitamment, grimaçant à la trivialité de sa remarque, je ne vois pas très bien ce que tu attends de moi au juste. Je vois bien que tu es blessée et crois-moi, je comprends. Mais la rancœur et la vengeance n'apportent jamais rien de bon.

– Ne m'impose pas ton exaspérante sagesse d'Avatar s'il-te-plaît…

– Je suis certain d'une chose : c'est que si tu reviens, il fera tout pour réparer ses erreurs. Il réglera les choses avec Azula. Mais tu ne dois pas l'y contraindre et tu ne peux pas lui demander de la faire sortir de sa vie. Elle est sa sœur… elle a besoin de lui et lui a besoin d'elle. Même s'ils ne se le montrent sans doute pas de la manière la plus appropriée ni la plus conventionnelle qui soit…, concéda-t-il.

– Pff, que connais-tu des relations entre frères et sœurs ?

– J'ai passé des années à voyager avec Sokka et Katara, et j'ai bien vu que les choses pouvaient parfois être très compliquées, alors que ce sont des gens simples. Mais Azula et Zuko… »

Mai ne répondit même pas. Inutile de rappeler à quel point ces deux-là étaient complexes. Pourquoi fallait-il que tout prenne toujours une dimension aussi tragique avec eux ?

« Mai, trouve en toi la force de pardonner à Zuko. Et tu verras que lui l'a déjà fait. Il fera son maximum pour arranger les choses et trouver une solution qui satisfasse tout le monde. Et je te fais la promesse, dit-il en posant ses deux mains sur ses épaules, d'être là pour vous y aider. »

Mai haussa les épaules d'un air incertain, hocha la tête et retira finalement sa capuche, révélant son visage et ses cheveux aile de corbeau.

« Supposons que tu aies raison… Allez, viens, commençons déjà par retrouver mon imbécile de mari. »

Avec un sourire, Aang s'esquiva pour lui céder la place et il la suivit à travers le hall pour rejoindre la salle de réception d'où s'échappaient les notes d'une valse triomphante, des rires joyeux et des bribes de conversations animées.

L'Avatar était satisfait. Un problème de Zuko au moins allait bientôt être réglé.

Il ne put s'empêcher de remarquer les regards curieux et les exclamations de surprise étouffées des courtisans qui venaient d'apercevoir leur Dame du Feu pénétrant dans la salle, escortée par l'Avatar, très digne, la tête haute, dans une attitude très régalienne.

Il admira la manière dont elle parvenait à faire abstraction de leurs chuchotements surexcités et des doigts pointés sur eux. Il supposait que quelques années à la tête de la Nation avaient dû développer cette capacité à l'indifférence chez Mai.

Mais cette attitude distante et froide s'effondra d'un seul coup, en même temps que le sourire d'Aang quand apparut, surgissant de derrière un rideau, la princesse Azula elle-même. Aang remarqua aussitôt la façon dont le visage habituellement impassible de Mai se métamorphosa : une expression de stupeur et de haine pure imprimée sur ses traits.

Azula ne sembla pas les remarquer. Elle-même paraissait un peu défaite. Ses joues arboraient une teinte rose soutenue et ses yeux étaient un peu rouges. Des mèches folles s'échappaient de sa coiffure tout à l'heure impeccable.

La princesse, sans un regard pour personne, traversa la pièce à grandes enjambées et disparut dans le hall. Du coin de l'œil, il vit le jeune galant au physique avantageux qui avait conversé tout à l'heure avec Azula, se précipiter sur ses talons et la suivre au-dehors. Il aurait aimé le prévenir que pour sa sécurité, il ferait mieux de s'abstenir mais au même moment, un détail plus préoccupant attira son attention. Zuko faisait irruption dans la pièce, traversant le rideau qu'Azula venait de franchir.

Les conversations s'interrompirent peu à peu et pour comble de malheur, les musiciens venaient d'achever leur morceau. Ainsi, personne ne put rater une miette du spectacle.

Cent paires d'yeux étaient braquées sur eux : Mai, au milieu de la pièce, haletant péniblement, jetant un regard assassin au Seigneur du Feu qui venait de surgir d'une pièce secrète dans laquelle il s'était manifestement trouvé seul avec sa sœur.

Aang repensa avec horreur à la teinte des joues d'Azula, aux mèches de cheveux éparses sur sa nuque… et il sentit un frisson désagréable lui parcourir l'échine.

Le regard de Zuko, interloqué, balaya la pièce d'une extrémité à l'autre et quand il aperçut enfin son épouse, ses yeux dorés s'agrandirent comme des soucoupes. Aang put voir, à l'expression du visage de son ami, qu'il était en train de tirer les mêmes conclusions que tous les spectateurs ici présents.

Aang se frappa le front avec sa main.

Le timing ne pouvait pas être pire…


La princesse traversa le hall aussi vite que le lui permettaient sa robe resserrée autour des chevilles et ses chaussures à talons hauts.

Le visage très rouge, des larmes brouillant sa vue, elle se dirigea promptement vers la gigantesque porte d'entrée gardée par une dizaine de sentinelles, tous des hommes vêtus de l'amure vermeille des gardes impériaux. Pour le moment, ils se tenaient négligemment sur leurs lances, plaisantant et riant aux pitreries de l'un de leur camarades qui mimait à grand renfort de gestes obscènes sa dernière rencontre avec quelque fille de joie rencontrée dans un bordel de la Caldera.

Ils se figèrent sur place lorsqu'ils virent leur princesse s'approcher, parfaitement indifférente à leur présence, visiblement furieuse et bouleversée.

Leur capitaine leur ordonna de se mettre au garde-à-vous et ils se rangèrent brusquement dans un grand fracas métallique, créant une sorte de haie d'honneur pour Azula qui passa entre eux sans un regard, trop ébranlée par son altercation avec Zuko pour s'offusquer de leur négligence évidente.

Accélérant l'allure, elle s'enfonça bientôt dans l'obscurité du jardin désert.

Les sanglots coincés dans sa gorge menaçaient d'exploser à tout moment, en même temps que la feu qu'elle sentait se répandre dans toutes les cellules de son corps, prêt à surgi d'elle.

Vite ! Une cible, quelque chose à brûler, à détruire ! N'importe quoi !

C'était mal…

L'arène de l'Agni Kai devait être occupée par la parade des soldats de la garde impériale répétant leur numéro sous l'œil attentif du Général Kadao. Mais la cour d'entraînement devait être vide à cette heure. Si elle pouvait s'y rendre assez vite, peut-être qu'elle pourrait…

C'était sale…

Bien que déjà essoufflée, elle augmenta encore l'allure. Elle commençait déjà à perdre le contrôle d'elle-même. De la fumée s'échappait du coin de ses lèvres et du bout de ses doigts.

Ça ne doit plus jamais se reproduire.

Sa poitrine se soulevait dangereusement à chacune de ses respirations. Des larmes brûlantes coulaient maintenant librement sur ses joues. La feu contenu en elle la consumait et semblait la dévorer de l'intérieur. Elle n'atteindrait jamais la cour d'entraînement à temps.

...jamais je ne voudrai être avec toi

Toute cette énergie perdue à essayer de lui plaire ! Elle aurait dû savoir qu'il la méprisait. Toutes ces attentions, ces dîners en tête-à-tête, ces promenades bras-dessus, bras-dessous dans les jardins, ces gestes affectueux… N'était-ce que de la pitié ?

Elle savait que Zuko était un cœur tendre, comme Mère. Son erreur avait été de croire, naïvement, qu'elle y occupait une place privilégiée.

C'était mal.

Il ne l'aimait pas. Ne l'aimerait jamais comme elle le désirait.

C'était sale.

Elle se revit à ses pieds, ses mains entourant sa taille, ses lèvres pressant des baisers ardents sur la poitrine et le ventre de Zuko. La sensation de ses doigts emmêlant ses cheveux défaits tandis qu'elle autorisait sa bouche à descendre plus bas...

Ça ne doit plus jamais se reproduire.

Elle tomba soudain à genoux sur un tapis de fleurs et, avant d'avoir pu se retenir, poussa un hurlement déchirant, presque bestial, accompagné d'un jet brillant de flammes bleues. Il illumina les ténèbres et brûla instantanément la surface herbeuse et fleurie devant elle. De la fumée s'élevait entre ses doigts fichés dans le sol et elle pouvait sentir à leur extrémité des décharges électriques.

Au moins avait-elle réussi à s'éloigner suffisamment pour ne pas être vue des gardes.

Le feu qu'elle avait fait surgir commençait déjà à mourir devant elle. Elle fut reconnaissante que l'écrasante chaleur des derniers jours ait poussé les jardiniers du palais à arroser les plantes abondamment une fois la nuit tombée.

La sensation d'humidité sous ses genoux et sous ses mains l'aida à retrouver son calme. Déjà, elle ne sentait plus la flamme ardente la brûler de l'intérieur. Soulagée et épuisée tout à la fois, elle esquissa un geste distrait de la main pour étouffer les dernières braises et se laissa retomber sur le dos. Elle s'efforça de reprendre une respiration normale, la main posée sur son sternum, le visage levé vers le ciel.

jamais je ne voudrai être avec toi…

Comment avait-elle pu croire, comment avait-elle pu espérer que quelque chose se passe entre eux ? Tout était obstacle à leur relation. Leur sang, leur entourage, leurs personnalités opposées, leurs aspirations…

Encore une fois, la honte s'insinua en elle. La honte qu'elle avait appris à accepter, qui était devenue sa compagne, qu'elle avait fini par dompter.

Cette honte qui l'avait consumée tout d'abord lorsqu'elle avait commencé à comprendre la vraie nature des sentiments qu'elle éprouvait pour son frère.

Elle se demandait souvent comment elle en était venue à aimer cet imbécile qui l'avait toujours méprisée. Ce garçon têtu et téméraire qui avait été trop idiot pour savoir se taire quand il l'aurait fallu, qui avait trahi sa nation… qui l'avait laissée seule pendant trois ans avec leur père. .

Ozai avait forgé le monstre qu'elle était aujourd'hui. Il l'avait dépouillée de tout ce qui subsistait en elle de douceur, d'humanité et de compassion. Parfois, elle lui en était reconnaissante. Il l'avait rendue forte et presque invincible. Mais à la fin son esprit s'était retourné contre elle… Son esprit qui menait une lutte constante et désespérée contre ses propres faiblesses. Comment conserver le pouvoir sans devenir un monstre de cruauté ? Comment se faire accepter de Mai et Ty Lee sans les obliger à la craindre ? Comment créer des liens avec Zuko sans déplaire à Ozai ?

Elle avait menti pour lui, renoncé à sa propre gloire Et lui l'avait dénoncée et trahie.

Ensuite, Père…

Quelle terrible erreur elle avait commise le jour où elle avait décidé de partir sur les traces de son frère ! Comme elle se le reprochait aujourd'hui… Mais comment aurait-elle pu deviner que ce curieux sentiment de manque qu'elle éprouvait en pensant à son frère banni tournerait à cette obsession malsaine une fois qu'elle l'aurait retrouvé ?

Parfois elle se disait que l'absence prolongée de Zuko l'avait amenée à idéaliser ce frère qu'elle avait autrefois aimé, qui avait été son compagnon de jeux, qui la prenait par la main sur le sable et qui l'emmenait à l'autre bout de la plage pour lui montrer les endroits secrets où l'on trouvait les plus beaux coquillages.

Le retrouver la mettrait face à la réalité de ce qu'il était vraiment, et ces sentiments contre-nature disparaîtraient.

Elle s'était aussi convaincue qu'elle avait seulement voulu le ramener pour ne plus être seule. En effet, Zuko n'avait jamais su ce que son retour représentait pour elle.

Toutes leurs rivalités, toutes ces mesquineries, ces blessures avaient été bien vite oubliées quand elle s'était retrouvée seule avec Ozai. Inconsciemment, elle avait lié son bonheur et sa sérénité à la présence de Zuko. La vie n'était pas facile mais elle était restée supportable tant qu'ils vivaient sous le même toit, même s'ils n'arrivaient pas à s'entendre.

C'est quand il la rejoignit à Ba Sing Se, quand il combattit à ses côtés qu'elle comprit que c'était bien plus que cela.

Ses certitudes s'étaient brusquement effondrées. Ce frère haï, jalousé, contre qui elle avait lutté toute sa vie, qui avait été son ennemi, son rival, ce frère l'avait choisie, elle. Elle avait découvert ce jour là que l'amour pour les siens pouvait transcender les principes, les certitudes et même nos choix de vie.

Il l'avait choisie, elle. Il s'était battu à ses côtés malgré tout ce qu'elle lui avait fait subir par le passé.

Ce n'était pas pour Mai qu'il était revenu. Elle s'en était assurée en laissant ses deux amies dans la salle du Trône, alors même qu'elles auraient pu constituer un renfort bienvenu.

Depuis ce jour à Ba Sing Se, le sentiment indéfinissable qui l'envahissait depuis des années à l'évocation du nom de Zuko avait enfin pris un nom.

Elle put encore le nier dans les quelques jours qui suivirent la prise de Ba Sing Se. Peut-être n'était-ce que la joie, bien naturelle, de retrouver un membre de sa famille ? Le soulagement qu'il ne les ait pas tous trahis ? Sans doute était-ce l'euphorie de la victoire qui la faisait regarder Zuzu autrement. Certainement pas comme une sœur aurait dû regarder son grand frère... Oui, ce devait être pour l'une de ces raisons. Ces émotions étranges qu'elle ne comprenait pas étaient sûrement passagères et elle aurait tôt fait de revoir en son frère l'imbécile borné et faible qu'il avait toujours été.

Mais bientôt, ses pensées s'aventurèrent dans des directions qui ne laissèrent plus de place au doute. Tout ce qu'elle pouvait penser quand Zuko embrassait Mai, c'était à quel point elle aurait voulu être à sa place.

Tout ce qu'elle voyait quand elle l'observait du coin de l'œil c'était à quel point il avait grandi et comme il était devenu beau malgré la terrible cicatrice qui défigurait son visage. Ses cheveux longs, son regard doré, profond et déterminé, sa façon de se mouvoir quand il maîtrisait le feu, la rage et la puissance de ses attaques… Bientôt tout cela produisit chez elle des sensations inconnues jusque là.

Elle se demandait d'où provenait cette mystérieuse chaleur qu'elle ressentait dans le bas de son ventre quand elle le voyait s'entraîner, torse nu, dans la cour d'où venaient ces frissons irrépressibles quand elle laissait un peu trop vagabonder son esprit et s'imaginait qu'il l'embrassait dans le cou, comme elle l'avait vu faire à Mai. Quand, la nuit, elle rêvait de ses mains brûlantes se frayant un chemin sous ses vêtements...

Bien sûr elle avait tout d'abord été consternée, honteuse et profondément confuse. Elle avait bien essayé de lutter contre ces émotions nouvelles.

Puis il avait bien fallu les accepter, les faire siennes.

Le plus difficile n'avait pas été d'admettre qu'elle désirait son frère, mais plutôt qu'elle pût se montrer assez faible pour désirer quelqu'un tout simplement.

Mais peut-être était-ce naturel ? Après tout, Zuko était devenu un puissant maître du feu. Pas aussi puissant qu'elle ou leur père bien sûr. Mais qu'est-ce qui les empêcherait, devenus adultes, de prendre le trône et de diriger la nation, ensemble, comme frère et sœurs, comme amants ? Qui oserait s'opposer à eux quand Azula aurait achevé la formation de Zuko, qu'elle aurait fini de se l'attacher, quand il serait enfin devenu sien ?

Puis Zuko était parti, la laissant derrière lui, brisant ses espoirs. Mais les sentiments, eux, étaient restés, étrangement décuplés par la colère et le chagrin d'avoir été ainsi abandonnée, oubliée, jetée en pâture à l'ire d'Ozai.

Peu à peu elle avait perdu prise avec la réalité. Elle avait été prête à le tuer, sans hésitation. Il lui avait pris tout ce qu'elle avait… Alors il méritait qu'elle prenne sa vie.

Une fois cette mission achevée, elle aurait pris la sienne. Ils auraient été unis dans la mort, faute d'avoir pu se comprendre dans leur vie.

Aujourd'hui, ces niaiseries romantiques la faisaient ricaner. On est bien stupide à quinze ans, pensait-elle, allongée dans l'herbe à moitié calcinée, au milieu des jardins royaux.

Oui parce que tu es tellement plus digne aujourd'hui… pensa-t-elle.

Si elle n'avait pas été aussi stupide et aussi faible, elle aurait lutté contre ses sentiments quand elle les avait sentis augmenter peu à peu, lors de ses visites à l'asile.

Au début, elle n'avait eu d'autre désir que de l'anéantir. Le voir était trop douloureux.. Le faux air de contrition qu'il affichait, sa pitié affectée… quelle imposture ! A qui voulait-il faire croire un mensonge aussi éhonté ?

Puis il était parti au loin vivre des aventures insensées avec l'équipe de l'Avatar, alors qu'il avait une nation sous sa responsabilité ! Jamais elle n'aurait abandonné son pays comme il l'avait fait. Mais pour Zuko, comme pour Ursa, trahir sa nation ou sa famille ne faisait pas vraiment de différence.

Il y avait eu les lettres. Les lettres pleines de mensonges et de fausses promesses qu'il lui envoyait pendant ses voyages. La sollicitude et l'affection qu'elles exprimaient la plongeaient chaque fois dans une grande confusion. Pourquoi lui écrivait-il ces inepties ? Était-ce pour lui un moyen de trouver la paix, de se donner bonne conscience ? En écrivant des mots vides de sens sur du papier, pensait-il remplir quelque obligation familiale ?

Enfin, après des mois, il avait commencé à revenir plus fréquemment. Elle s'était jurée de ne plus tomber dans le piège, de ne lui opposer qu'un mur de froideur et d'indifférence.

Mais elle avait échoué. Très vite, elle s'aperçut qu'elle ne vivait plus que pour ces visites.

A cette époque, les hallucinations avaient cédé la place à une profonde apathie. Communiquer lui était devenu presque impossible. Il lui semblait qu'un univers la séparait des autres. Ils évoluaient autour d'elle, vivaient, s'aimaient, se disputaient, parlaient mais lui étaient inaccessibles. Il en allait de même avec Zuko. Les mots qu'elle aurait voulu lui dire ne franchissaient pas ses lèvres et elle arrivait à peine à le regarder dans les yeux ou à répondre à ses questions. Ce qu'il lui disait ne faisait pas sens. Pourtant, quand il la quittait en l'embrassant doucement sur le front, qu'il la regardait s'éloigner de lui avec de grands yeux tristes, elle aurait tant voulu le supplier de rester auprès d'elle, de l'emmener avec lui.

Et depuis qu'il l'avait ramenée au palais, ses sentiments pour lui n'avaient fait que s'accentuer. Le voir assis sur le trône, autoritaire et majestueux… il n'avait plus rien de l'adolescent autrefois revêche et obstiné qu'elle avait connu. Sa maîtrise du feu était devenue exceptionnelle. Elle ne l'avouerait jamais mais parfois elle se demandait s'il ne l'avait pas surpassée. Chacune de ses attaques était contrôlée, ses gestes étaient plus lestes, plus naturels… Il avait compris la vraie maîtrise du feu, celle dont on parlait dans les livres que Sozin avait retirés de la bibliothèque royale lors de son règne et que Zuko avait déterrés et replacés sur les étagères poussiéreuses. Lors des longues après-midi où elle attendait que Zuko trouve un peu de temps pour lui rendre visite, Azula s'était plongée dans leur lecture, d'abord sceptique sur le contenu et l'idéologie qu'ils renfermaient. Mais bientôt elle avait été captivée : elle comprit peu à peu que Père et elle-même s'étaient fourvoyés. Zuko, lui, détenait la vraie maîtrise du feu. Et cela ne l'avait rendu que plus fascinant à ses yeux. Son frère était un dragon !

Mais surtout, il était la seule personne ici à la traiter comme un être humain, à voir autre chose en elle qu'une machine à tuer ou qu'un monstre sanguinaire. Pourtant, elle n'avait jamais tué personne. Ce n'était pas faute d'avoir essayé mais Katara s'était assurée qu'elle ne devienne jamais une meurtrière.

Oui il était le seul à ne pas la regarder comme cela.

Mais c'était fini à présent.

C'était mal, c'était sale.

Tu es un monstre...

Toujours allongée sur son lit de fleurs humides, Azula ferma un moment les yeux et plaqua ses deux mains sur ses paupières. Puis elle éclata brusquement en sanglots, ses lamentations et ses plaintes transperçant le silence de la nuit.