Note de l'auteur :

Je pense qu'il est temps de me justifier sur le choix d'une fiction reposant sur une relation incestueuse entre Zuko et Azula.

Je comprends que l'on ne cautionne pas ou ne croie pas en la probabilité d'une telle relation :

En effet, au-delà du tabou de l'inceste qui peut rendre improbable et inacceptable une telle relation, je pense qu'il y a de bonnes raisons de la trouver peu crédible : notamment le fait qu'Azula semble mépriser et haïr son frère dans la plus grande partie de la série, qu'elle veuille le tuer dans les derniers épisodes, le déposséder de son honneur, lui voler son trône, etc.

Mais ce serait oublier la complexité du personnage.

Pour moi, Azula est un personnage tragique au sens presque classique du terme. En tant que tel, elle ne peut pas être dans la mesure. Si elle doit tomber amoureuse, ce ne peut être que d'un amour sans espoir, et d'une passion si absolue qu'elle risque de les détruire, elle et l'homme qu'elle aime. C'est forcément une passion dévorante à laquelle elle est tragiquement et irrémédiablement soumise. Une passion qui peut la conduire au meilleur comme au pire : dans notre cas, le fratricide.

Cela explique aussi que dans mon histoire, elle continue d'aimer Zuko malgré ce qu'il lui a fait, malgré son mépris et le fait qu'il l'ait laissée dans cet asile, l'abandonnant sporadiquement pendant deux ans à son triste sort. Le personnage tragique soumis à ses passions n'a pas la faculté de raisonner.

Par certains aspects, Azula me rappelle un peu le personnage d'Hermione dans Andromaque, la tragédie de Racine. Comme elle, Hermione, amoureuse de Pyrrhus, est prête à le faire mourir quand elle apprend qu'il va épouser sa rivale. Elle fait preuve de cruauté et d'insensibilité envers Andromaque et lui refuse toute aide. Elle demande à son soupirant, Oreste, de tuer Pyrrhus et quand elle obtient ce qu'elle désire, elle bascule dans la folie, maudit le pauvre Oreste pour son geste et se suicide. J'imagine bien une Azula agissant de la sorte : commettre l'irréparable et le regretter profondément dans la minute qui suit.

Je suis convaincue que si Azula avait tué Zuko, elle aurait totalement perdu la raison elle aussi et que le suicide aurait été une issue envisageable pour elle.

Concernant les raisons qui l'ont fait tomber amoureuse de Zuko, je pense les avoir assez explicitées dans le chapitre précédent : après le départ de son frère, banni par Ozai, le quotidien d'Azula est devenu plus difficile. Elevée seule par un père exigeant et abusif, elle a fini par idéaliser la seule personne qui lui ait témoigné de l'affection dans leur vie, même si des années de mésentente ont terni le souvenir.

Le point de bascule s'est fait à Ba Sing Se, au moment où Zuko a choisi de la rejoindre. Pour la première fois de sa vie, elle a eu le sentiment qu'on la choisissait, que quelqu'un voulait d'elle. L'amour dont elle a si cruellement manqué dans sa vie a donc pris l'apparence de Zuko.

Azula recherche la force et le pouvoir et les craint tout à la fois. Zuko incarne ces deux valeurs pour elle. C'est pourquoi sa passion augmente alors même que Zuko l'a anéantie et a usurpé son trône. La dévotion qu'elle éprouvait pour son père s'est immédiatement et inconsciemment reportée sur son frère lorsqu'il a été couronné.

C'est pourquoi elle se soumet à sa volonté (par exemple quand elle craint qu'il ne la marie ou ne la renvoie à l'asile), alors même que l'on sait qu'elle est sans doute plus puissante que lui et pourrait facilement désobéir ou s'enfuir.

J'en profite pour insérer l'hypothèse d'un lecteur qui a laissé un commentaire et dont j'ai apprécié l'interprétation (comme il/elle n'a pas de pseudo, je ne peux pas le/la nommer ! Désolée, j'espère que tu te reconnaîtras!)

En effet, selon lui/elle, les sentiments d'Azula envers Zuko peuvent faire penser au Syndrome de Stockholm, qui consiste à s'attacher à son bourreau ou à son geôlier.

« He [Zuko] should be held responsible for purposefully isolating her and enabling her own antisocial tendencies by not allowing any of her suitors letters to reach her. She has no real friends and everyone her age in the palace is Zukos friend first and not hers. Of course she feels alone and unwanted by everyone except Zuko. He's fashioned himself as her only source of companionship as if she were his prisoner. Her environment is very unhealthy and she would of course foster something of Stockholm syndrome towards her brother. He is also allowing her to take the brunt of the shame and humiliation for what happened while he can't admit that he did want it and he had been encouraging her feelings for quite some time. »

Azula était déjà victime de ce syndrome quand elle vivait avec Ozai et le développe à nouveau avec Zuko.

« Azula truly loves Zuko, appreciates what he's done for her, and sees nothing wrong with her life with him but at the same time she doesn't know any better. She is in almost the same living situation she was when Ozai was Fire Lord, except Zuko is obviously far nicer. Because it's so familiar to her, that's part of the reason she doesn't see anything wrong with it. »

Je précise que je ne pense pas une seconde qu'Azula ait pu éprouver des sentiments romantiques pour son père. Oui elle le vénérait et l'admirait mais ce qui l'a poussée vers Zuko, c'est le fait qu'à sa puissance et son autorité s'ajoutent des qualités qu'elle recherche malgré elle : la tendresse, la gentillesse et la compréhension.

Bien qu'elle ne soit pas officiellement sa prisonnière, Zuko la garde jalousement près de lui et se montre extrêmement possessif à son égard, ce qui renforce cette hypothèse.

Azula a du mal à croire aux paroles mais elle est profondément sensible aux actes. Ce qui est sans doute compréhensible quand on connaît son talent pour le mensonge et la dissimulation. Elle ne fait confiance à personne mais croit aux preuves.

Les lettres écrites par Zuko pendant qu'elle était à l'asile, la manière dont il s'est occupé d'elle après, le fait qu'il refuse qu'elle rencontre d'autres personnes ont contribué à augmenter ses sentiments. Elle aime chez Zuko ce qu'elle déteste chez les autres car il lui a apporté la preuve qu'il l'aimait ou au moins, voulait d'elle dans sa vie.

C'est pourquoi elle vit si mal son rejet. Il ne s'agit pas que d'un simple chagrin d'amour. Azula ne perd pas seulement l'homme qu'elle aime, mais un frère et surtout l'une des seules personnes qui se soucient sincèrement d'elle.

Sur ce, je vous laisse découvrir le chapitre. Bonne lecture !


Chapitre 9 – Méfiance et confidences


Cette nuit encore, le sommeil le fuyait.

Jetant ses oreillers au loin, il se demanda combien de temps son corps tiendrait encore avant que l'épuisement ait raison de lui.

Comment s'était-il arrangé pour empirer une situation déjà critique ?

Azula et Mai étaient furieuses contre lui, toutes deux profondément blessées. Il sentit son estomac chavirer en repensant au regard assassin de Mai et à la déception imprimée sur les traits d'Aang, quand ils l'avaient vu surgir de derrière le passage, sur les talons d'Azula.

Il savait que les apparences jouaient contre lui et il avait eu beau promettre à Mai qu'il ne s'était rien passé, la supplier à genoux de le croire quand il affirmait qu'il n'avait fait que parler avec Azula, elle était retournée chez elle, après avoir prononcé ces mots fatals :

« Reviens me voir quand tu auras fait ton choix. »

Il n'avait pas revu Aang. L'Avatar s'était éclipsé après qu'il eut fait signe à Mai de le suivre pour lui parler loin des regards indiscrets des convives.

S'il avait fait preuve de plus de discernement, il n'aurait pas pris sa sœur à part et lui aurait parlé dans la salle de réception, devant témoins.

La princesse non plus n'était pas réapparue. Pas plus que l'espèce de bellâtre qui la courtisait juste avant leur désastreux entretien. Il se rappela qu'Azula avait parlé d'une promenade nocturne avec son soupirant et il se demanda si leurs pas les avaient finalement menés jusqu'au lit d'Azula.

Il changea brusquement de position dans sur son matelas pour chasser l'image déplaisante de sa sœur, allongée sur son divan, étroitement enlacée avec cet imbécile aux biceps surdimensionnés, comme elle l'avait fait avec lui cette nuit-là.

Il était certain qu'Azula s'était montrée complaisante avec ce garçon uniquement pour le faire enrager. Et comme toujours, son plan fonctionnait à merveille.

Il repensa aussi aux terribles marques sur sa peau.

Azula avait cessé de se scarifier depuis des mois. Qu'elle ait recommencé en disait long sur l'état de détresse psychologique dans lequel elle se trouvait à présent. Par sa faute…

Le bellâtre remarquerait-il les entailles lorsqu'il commencerait à promener ses mains sur sa peau de porcelaine ? Comment expliquerait-elle leur présence ?

Chercherait-elle à le distraire en faisant courir ses doigts agiles le long de son torse, jusqu'à sa ceinture qu'elle débouclerait avant de…

Jaloux, Zuzu ?

Il se cacha les yeux avec la paume de sa main. Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ? ¨Pourquoi se préoccupait-il de ce que faisait Azula quand il aurait dû se soucier de Mai ? Il était en train de piétiner son mariage pour des raisons obscures que lui même ne comprenait pas mais qui commençaient à l'effrayer.

Mai avait raison : Azula corrompait tout ce qu'elle approchait. Elle avait perverti son esprit, l'avait empli de pensées impures et contre-nature dont il ne parvenait plus à se défaire. Elle hantait ses nuits et ne l'épargnait guère lors de ses heures d'éveil.

Il y avait forcément une explication. Aujourd'hui, il éprouvait une sincère affection pour cette sœur qui l'avait autrefois tourmenté. Il voulait bien admettre avoir perdu le contrôle le soir de la signature du traité. Mais en aucun cas il ne souhaitait être impliqué de cette manière avec elle. La seule idée qu'il pût former un couple avec sa sœur lui donnait la nausée.

Pourquoi alors était-il continuellement hanté par des yeux d'ambre, une bouche vermeille et des cheveux d'ébène ?

Il aurait tellement voulu parler avec quelqu'un… Mais qui comprendrait ? Sokka et Katara étaient frère et sœur et il était absolument certain qu'ils seraient positivement horrifiés s'il leur faisait part de ses problèmes. Zuko était convaincu que jamais Katara n'avait regardé son frère comme Azula le regardait. Comme lui regardait Azula. Pire que tout, cela briserait leur amitié.

Toph s'en ficherait probablement, et elle dédramatiserait la situation sans manquer une occasion de se moquer de lui ou de rappeler à quel point Azula était cinglée. « Princesse Barjo », n'était-ce pas le surnom qu'elle lui donnait lorsqu'Azula n'était pas dans les parages ? Il ne pensait pas être prêt à supporter ses sarcasmes. De plus, l'idée de se confier à ce détecteur de mensonge vivant ne l'enchantait guère.

Parler à Iroh serait trop douloureux. Il s'était toujours promis de ne plus jamais décevoir l'homme qu'il aimait comme un père. Et Azula était sa nièce. Il ne voulait pas impliquer le dernier membre de leur famille dans cette sordide histoire.

Aang savait déjà ce qui s'était passé. Comme toujours, l'Avatar avait fait preuve de compassion et de compréhension. Mais Zuko n'avait pas oublié l'expression de son visage quand il était sorti du passage derrière Azula. Il sentait qu'Aang était fatigué de composer avec les caprices du Seigneur du Feu et de sa sœur mentalement instable.

La seule chose certaine était qu'il ne pourrait plus supporter longtemps ce poids sur ses épaules. Il allait devenir fou. Comme Azula.

Comme Azula…

L'idée venait de surgir, évidente de simplicité.

Depuis plus de trois ans, elle avait dédié sa vie au bien-être et à la santé de la princesse.

Peut-être ne comprendrait-elle pas, mais son travail était précisément d'essayer.

Elle était probablement, en-dehors de lui, la seule personne au palais qui prît réellement les intérêts de sa sœur à cœur.

C'était décidé. Dès les premières lueurs du jour, il irait parler à Taïma.


Ty Lee parcourut rapidement les quelques mètres qui la séparaient du hall d'entrée où l'attendait Zuko, prêt à l'accueillir, coiffé de sa couronne mais dans une tenue plus décontractée que la traditionnelle robe du Seigneur du Feu.

Immédiatement elle remarqua que quelque chose n'allait pas. Son aura avait changé. Son visage tiré trahissait une anxiété profonde et les cernes sous ses yeux témoignaient de longues nuits d'insomnie.

Elle s'étonna de ne pas trouver Mai à ses côtés. D'habitude son amie était toujours là pour l'accueillir, acceptant sobrement son étreinte. Son absence ne lui semblait pas de bon augure.

Dans sa lettre, Zuko ne s'était pas répandu en détails, lui disant simplement qu'Azula n'allait pas bien et qu'elle pourrait avoir besoin de son aide. Elle ne s'étonna donc pas que la princesse ne se tienne pas aux côtés de son frère. En règle générale, Azula évitait d'apparaître en public et préférait recevoir Ty Lee dans ses appartements privés ou dans le jardin royal où elles se promenaient, arpentant les allées fleuries puis allaient s'asseoir sous le grand camphrier où Azula écoutait son amie lui raconter avec enthousiasme ses dernières aventures et ses nombreuses conquêtes.

Ty Lee continuait de s'émerveiller que la princesse l'eût ainsi pardonnée. Elles n'avaient jamais été aussi proches. Son amitié n'avait pas de prix. Azula n'avait plus rien de la jeune fille autoritaire et arrogante qu'elle avait connue et crainte dans sa jeunesse. Parfois, quand elle passait l'après-midi auprès d'elle, elle avait le sentiment d'être son égale.

Elle aimait ces après-midi tranquilles pendant lesquelles elles discutaient innocemment de choses et d'autres, où elles s'entraînaient ensemble dans la cour. Les compétences martiales d'Azula étaient toujours stupéfiantes mais les années passées confinée à l'asile avaient émoussé quelque peu ses réflexes et ses membres s'étaient raidis, rendant moins aisée l'exécution de certaines figures qu'elle maîtrisait parfaitement autrefois. Ty Lee, lors de ses visites, l'aidait parfois à regagner sa souplesse ou sa stabilité et lui apprenait même des figures ou des postures apprises au contact des guerrières Kyoshi. Elle lui avait même enseigné quelques katas qu'Azula eut tôt fait de maîtriser et qu'elle ajouta au répertoire de postures traditionnelles de maîtrise du feu. Elle avait ainsi inventé de nouveaux mouvements et créé des attaques redoutables et inédites.

Ty Lee s'était toujours émerveillée du génie de son amie. Sa technique de la maîtrise du feu était déjà parfaite. Mais Azula n'était pas seulement un maître, c'était une véritable virtuose. La jeune acrobate ne cessait de s'extasier de son extraordinaire faculté à s'approprier les techniques de combat des autres nations. Elle pensait parfois qu'Azula aurait pu utiliser son talent pour enseigner son art à d'autres. Mais elle la soupçonnait de tenir à garder pour elle ses techniques qui rendait sa maîtrise du feu si unique.

Cependant elle savait que la princesse avait consenti à enseigner quelques uns de ses tours à Zuko.

Ty Lee était heureuse de constater que ces deux-là avaient finalement appris à s'entendre. Elle pouvait affirmer aujourd'hui qu'Azula aimait profondément Zuko et l'affection qu'elle lui témoignait semblait réciproque. Elle n'aurait jamais imaginé, encore deux ans auparavant, qu'une telle relation fût possible entre ces deux éternels rivaux.

Autant qu'elle sache, Zuko était la seule personne en-dehors d'elle, qu'Azula acceptât dans son entourage proche.

A vrai dire, elle avait été très étonnée des confidences d'Azula lors de sa dernière visite.

Ty Lee, sans désespérer, avait fini par penser que son amie était trop attachée à son indépendance et à sa liberté pour s'encombrer d'un homme dans sa vie.

Mais voir la manière dont elle tournait autour de Zuko, l'espèce de relation de co-dépendance qui semblait s'être installée entre eux, l'avait un moment inquiétée. Plus que son désir d'indépendance, c'était sa dévotion envers son frère qui paraissait la détourner de la perspective d'une vie personnelle épanouie et heureuse.

Ty Lee avait donc recueilli avec soulagement le secret d'Azula. Certes son amie semblait souffrir de la situation mais au moins cela prouvait-il qu'elle pouvait avoir des sentiments normaux pour quelqu'un.

Ty Lee ne pouvait s'empêcher de penser qu'Azula n'était pas vraiment heureuse. Sans doute ne l'avait-elle jamais été. Et sans doute l'était-elle plus aujourd'hui que du temps où elles parcouraient le monde à la recherche de Zuko et de l'Avatar.

Pourtant, il y avait quelque chose de profondément sombre et triste en elle et Ty Lee le percevait dans son aura qui était grise et terne depuis son retour de l'asile. Plus encore que ne l'était celle de Mai.

Azula dépérissait.

Ses talents pour le combat et son génie politique n'étaient pas exploités et l'acrobate pouvait affirmer qu'elle en était profondément frustrée. Zuko ne lui avait toujours pas restitué ses pouvoirs et il lui interdisait formellement de participer à des missions diplomatiques. Ty Lee comprenait bien qu'il ne faisait pas encore suffisamment confiance à sa sœur et la manière dont il la gardait si jalousement auprès de lui avait quelque chose de troublant que Ty Lee ne parvenait pas à s'expliquer.

Azula était encore fragile, certes, mais elle avait fait des progrès incontestables. Etait-il aveugle pour ne pas s'en rendre compte ?

Ty Lee avait une fois suggéré à Zuko de la laisser l'emmener en voyage avec elle. Elle était parfois envoyée en mission par Suki et elle était certaine qu'Azula aurait aimé revivre des aventures, passer des nuits à la belle étoile, user de sa légendaire ingéniosité pour appréhender quelque criminel ou résoudre des conflits. Ses talents auraient été bien mieux employés qu'ici, au palais, où elle passait la plus grande partie de ses journées retranchée dans sa chambre ou dans le jardin royal, à peindre et à dessiner, ou à s'entraîner seule dans la cour, attendant avec impatience que Zuko trouve un moment dans son emploi du temps surchargé pour passer quelques heures avec elle.

Elle s'était mise depuis peu au tir à l'arc, profitant de l'enseignement d'un archer de Yuyan retraité qui vivait à la Caldera. Bien évidemment, elle y excellait, comme dans tout ce qu'elle entreprenait. Encore un talent qu'elle aurait pu mettre à profit si elle était partie avec Ty Lee.

Bien sûr, le Seigneur du Feu avait refusé formellement. Azula devait rester près de lui, au palais, où elle était surveillée et soignée. Il lui fallait de la stabilité et un environnement familier.

Ce jour-là, quand il la salua avec un petit sourire triste et qu'il commença à lui parler d'Azula, sans préambule, elle put affirmer que l'angoisse qui se lisait sur les traits de Zuko exprimait davantage que l'inquiétude bien légitime d'un dirigeant questionnant la loyauté de l'un de ses sujets.

Ce n'était pas le Seigneur du feu qui soupçonnait l'un de ses proches d'intriguer pour renverser son pouvoir, c'était l'attitude d'un homme qui se faisait du souci pour sa petite sœur malade et isolée.

« Elle n'est pas sortie pendant trois semaines… A part le soir de mon anniversaire, il y a trois jours. Mais nous nous sommes disputés et depuis elle s'est à nouveau enfermée dans sa chambre. Elle sort une fois par jour pour se rendre dans la cour d'entraînement mais elle défend à quiconque de lui parler.

– Est-ce que tu as pu lui parler, toi ?

– Non… Et je ne pense pas qu'elle en ait envie, répondit-il en baissant curieusement la tête, comme s'il avait honte de quelque chose.

Ty Lee ignorait tout des rumeurs qui circulaient au sujet de Zuko et d'Azula. Ces dernières n'étaient pas parvenues jusqu'à l'île de Kyoshi et à partir de l'instant où Ty Lee avait reçu la lettre de Zuko, elle n'avait eu d'autre priorité que de se rendre auprès de la princesse. Son inquiétude l'avait un peu détournée de ce qui se passait autour d'elle et elle n'avait rien entendu des chuchotements sur le bateau qui la ramenait à la Caldera.

En quittant le port, elle s'était immédiatement rendue au palais, sans s'arrêter pour discuter gaiement avec les domestique ou le charmant garçon d'écurie à qui elle rendait parfois visite en secret pendant ses séjours au palais et qui ne manquait jamais de lui proposer une petite chevauchée, à l'abri des regards.

« Est-ce que je peux te demander pourquoi vous vous êtes disputés ? risqua-t-elle en lui adressant un regard en coin.

– Je pense qu'il vaut mieux que je laisse Azula t'en parler si elle en exprime l'envie. Je ne crois pas qu'elle le prendrait très bien si je te parlais d'abord. Tu es son amie après tout.

– Je suis ton amie aussi Zuko, rappela-t-elle sur un ton qu'elle voulut détaché mais qui devait trahir sa peine.

– Bien sûr, mais je pense que pour le moment, c'est elle qui a le plus besoin de toi.

Écoute Ty Lee…

Il la prit par le bras pour l'emmener un peu à l'écart comme un groupe de gardes passait devant eux, inclinant la tête respectueusement devant leur Seigneur du Feu et la jeune guerrière. L'un d'eux lança un clin d'oeil à Ty Lee qui lui répondit par le même signe en mordillant sa lèvre inférieure. Zuko eut la délicatesse de faire semblant de ne pas avoir remarqué.

« Il faut que je te dise avant que tu le découvres par toi-même… Azula…

Il s'interrompit pour laisser passer cette fois deux servantes qui marchaient d'un petit pas pressé, une pile de linge dans les bras,

« Elle a recommencé à se mutiler… acheva-t-il dans un souffle à peine audible.

Les yeux déjà anormalement grands de Ty Lee grossirent comme des soucoupes et elle sentit un nœud se former dans son estomac.

– Co...comment le sais-tu ?

– J'ai vu les marques sur ses avant-bras. Et crois-moi, ce n'était pas beau à voir… Je l'ai rapporté à Taïma qui est venue lui en parler. Mais Azula s'est mise en colère et l'a violemment expulsée de sa chambre.

– Et tu penses qu'elle s'est fait ça simplement à cause de votre dispute ?

– Non… dit-il sur un ton hésitant.

Il eut soudain l'air profondément mal à l'aise.

« Non, reprit-il, il...il a dû se passer autre chose, je… Tu n'as rien entendu en venant ici ?

– De quoi parles-tu Zuko ? s'enquit-elle en fronçant les sourcils d'un air soupçonneux.

– Écoute, il vaut mieux que tu voies Azula.

– Et tu penses qu'elle acceptera davantage de me parler ? demanda Ty Lee.

– Je n'en sais rien à vrai dire. Mais tu es sa seule amie Ty Lee, et elle refuse de me parler. Je ne savais pas quoi faire d'autre. »

Son ami avait l'air si désespéré... Bien qu'un peu inquiète en imaginant comment Azula allait la recevoir, Ty Lee fut prise de pitié. Elle nota à ce moment que Zuko semblait avoir un peu maigri. Quoi qu'il soit arrivé à Azula, cela avait eu des répercussions sur le moral et sur la santé du jeune Seigneur du Feu.

« Ne t'inquiète pas Zuko, je vais m'en occuper. »

Il parvint à esquisser un faible sourire et proposa de l'escorter jusqu'aux appartements d'Azula. Une fois arrivés dans l'aile où se situaient les logements de la famille royale, il s'arrêta et lui dit : « Ecoute Ty… quoi que te dise Azula… je veux que tu saches… enfin, dis-lui… s'il te plaît…

– Dis-moi Zuko…, l'encouragea-t-elle avec douceur.

Zuko se prit la mâchoire dans sa main et tira sur la peau de son menton en baissant les yeux, un air de profonde culpabilité s'étalant sur son visage.

– Dis-lui simplement que je n'ai jamais voulu la blesser. Et que je voudrais juste que tout redevienne comme avant...»

Et avant qu'elle ait pu répondre, il tourna les talons, sa cape voletant autour de lui dans un mouvement gracieux, et disparut dans les couloirs.

Elle le regarda partir, très confuse puis elle pivota pour faire face aux deux grands panneaux de bois derrière lesquels, elle le savait, son amie devait ruminer de sombres pensées, sans doute un verre de vin rouge à la main. Elle avait remarqué ces derniers mois qu'Azula avait augmenté sa consommation d'alcool et elle s'en inquiétait. Mais la princesse n'avait rien voulu entendre à ce sujet.

Prenant une profonde inspiration, Ty Lee ferma les yeux, comme pour se préserver d'une vision déplaisante, et toqua à la porte.


La princesse était encore couchée bien que l'aube fût passée depuis longtemps.

Cela ne lui ressemblait pas de rester au lit si tard.

Mais ce matin, elle se sentait nauséeuse, épuisée. Un mal de tête lancinant palpitait dans ses tempes et un goût âpre dans sa bouche la fit grimacer de dégoût.

Allongée sur le ventre, les cheveux en bataille, elle leva les yeux vers son chevet et découvrit le verre et la bouteille aux trois-quart vide qu'elle y avait posés la veille.

Elle regrettait déjà ce nouvel excès. Mais elle savait aussi qu'elle recommencerait le soir-même.

Zuko serait furieux.

Du moins il le serait s'il se souciait encore d'elle. Taïma aussi,mais étant donné la manière dont elle l'avait reçue la dernière fois, elle avait bon espoir que la guérisseuse se tienne à distance quelques temps.

Azula n'avait presque pas dessoûlé depuis le soir de l'anniversaire de Zuko. Péniblement, elle laissa les souvenirs de cette soirée refaire surface.

Un pas lourd sur les gravillons recouvrant les allées du jardin l'avaient alertée alors qu'elle reposait lamentablement sur son lit de fleurs, se roulant sur le sol. Paniquée à l'idée qu'on la surprenne dans une posture aussi indigne, elle s'était levée brusquement avec toute la rapidité et l'aisance d'une guerrière et s'était jetée derrière un buisson pour observer l'importun.

Elle reconnut la silhouette du jeune homme avec qui elle avait discuté juste avant de retrouver Zuko. Il s'arrêta à quelques mètres d'elle et tourna la tête, regardant partout autour de lui. Elle devina qu'il avait dû la suivre et entendre ses gémissements.

Elle n'avait vraiment pas la patience pour lui tout de suite et se sentait bien incapable d'inventer maintenant un mensonge cohérent pour expliquer comment la jeune femme élégante et souriante qui lui avait promis une danse tout à l'heure s'était soudain retrouvée dans cet état. Sa robe était trempée et elle supposa que l'herbe avait dû laisser sur la soie des taches vertes que les servantes se tueraient à essayer de faire partir. Son beau chignon sophistiqué que sa suivante préférée lui avait confectionné quelques heures avant la fête, heureusement surprise que la princesse l'ait invitée à la rejoindre après trois semaines de silence, était maintenant un vrai chaos. Azula avait beau être passée maître dans l'art de se composer un visage en un temps record, en cet instant, elle était bien trop bouleversée pour faire semblant. Son maquillage avait tellement coulé sur son visage qu'elle n'aurait jamais pu se rendre présentable.

Un moment l'idée de séduire cet imbécile l'avait traversée. Au moins celui-ci avait-il un physique engageant et n'avait-il pas deux fois son âge. Et lui au moins n'était pas défiguré par une horrible cicatrice. Peut-être même l'aurait-elle laissé lui voler un baiser. Zuko allait fulminer !

Elle avait cru que son plan avait fonctionné quand, enfermés dans la petite chambre dérobée, il lui avait interdit de le rejoindre. Puis il avait prononcé les mots funestes, lui signifiant clairement à qu'il ne voulait pas d'elle dans sa vie.

Il avait vu les cicatrices sur ses bras et eu l'audace de prétendre s'en inquiéter ! Alors que tout ce qui le souciait, c'était ce que l'on allait dire de lui si on découvrait que la princesse mentalement instable qui lui servait de sœur avait recommencé à dérailler.

Azula retint son souffle jusqu'à ce que le jeune prétendant renonce et revienne sur ses pas. Quand il fut assez loin, elle courut dans la direction opposée pour emprunter un passage secret conduisant directement aux appartements royaux.

Là elle regagna sa chambre, congédia ses servantes avec brusquerie, retira ses chaussures avec impatience et arracha littéralement sa robe qui tomba en lambeaux à ses pieds. Pointant deux doigts accusateurs vers le tas de soie piteusement enroulé autour de ses chevilles, elle s'en dégagea d'un bond et la réduisit en cendres.

Elle contempla un moment son œuvre, sa poitrine se soulevant à un rythme frénétique tandis que la colère s'engouffrait à nouveau en elle par vagues successives. Relevant la tête, son regard tomba sur le miroir. L'image qui s'y reflétait était encore plus pitoyable que ce qu'elle avait imaginé. Debout au milieu de sa chambre, seulement vêtue de ses sous-vêtements, la moitié de ses cheveux étaient parvenus à s'extraire du chignon et tombaient négligemment sur le côté de son cou. Ses joues et le contour de ses yeux rougis étaient noircis par le maquillage qui avait coulé et qui s'était mêlé à ses larmes.

Ses yeux tombèrent accidentellement sur le spectre de l'ancienne brûlure qui s'étendait sur sa hanche droite : si l'on regardait attentivement on pouvait reconnaître l'empreinte d'une paume et les contours de quatre longs doigts, seuls souvenirs du châtiment infligé par Père le jour où Zuko avait déserté. Au moment où il avait commencé à perdre le contrôle de lui-même...

Elle passa le bout de ses doigts d'un air absent sur la peau abîmée et resta un moment à contempler la cicatrice, comme si elle essayait de se souvenir comment elle lui était venue. Généralement, elle évitait de la regarder, c'était plus prudent.

Elle détourna soudainement les yeux, tourna les talons et se rendit dans la salle de bain en prenant bien soin de ne pas regarder l'endroit où Zuko et elle…

Elle activa la pompe et ferma la bonde pour se préparer un bain. Elle repartit dans sa chambre pour chercher la bouteille de vin qu'elle avait entamée l'après-midi même afin de se donner le courage nécessaire pour se rendre à la fête d'anniversaire du Seigneur du Feu. Elle la posa sur le bord de la baignoire, et sans même prendre la peine de chercher un verre, elle se dénuda, enjamba la baignoire et se laissa couler dans l'eau qu'elle réchauffa à l'aide de sa maîtrise.

Depuis, elle avait vidé deux autres bouteilles et passé l'essentiel des deux derniers jours à dormir. Elle n'avait rien avalé de plus consistant que quelques fruits et un morceau de pain.

C'est pourquoi elle fut particulièrement contrariée quand elle entendit trois grands coups frappés à sa porte. Ce fut comme si on avait fait exploser deux boules de feu juste à côté de ses oreilles.

« Quoi ? voulut-elle crier la bouche pâteuse, sans se soucier des règles élémentaires de courtoisie. Laissez-moi tranquille ! Je ne veux voir personne !

– Azula, ouvre-moi ! Je n'ai pas fait tout ce chemin pour me trouver devant une porte close !

– Ty ? s'étonna Azula dont la fureur glissa tout à coup.

Elle se leva d'un bond avec une agilité surprenante pour quelqu'un qui avait passé les trois derniers jours à boire. Elle resserra sa ceinture autour de son kimono de nuit et se dirigea vers la porte qu'elle déverrouilla et entrouvrit, laissant apparaître le visage visiblement inquiet de sa meilleure et seule amie.

« Ty Lee, qu'est-ce que tu fais ici ?

– Tu me laisses entrer ? »

Azula se poussa sur le côté pour la laisser passer, trop stupéfaite et trop soulagée de la voir pour se souvenir qu'elle tenait à rester seule. Elle referma la porte derrière elles et considéra son amie avec de grands yeux ronds, comme si elle avait du mal à croire ce qu'elle voyait.

D'après l'expression de Ty Lee, elle devina qu'elle devait avoir une allure épouvantable. Tournant les yeux vers le miroir, elle se vit, vêtue de son seul kimono dont dépassaient deux jambes nues, les cheveux lâchés et emmêlés, les yeux cernés de noir et le cou un peu émacié. Horrifiée, elle croisa les bras sur sa poitrine et baissa la tête pour se soustraire au regard plein de sollicitude de son amie.

Ty Lee s'avança un peu et étudia rapidement la pièce : les vêtements négligemment jetés en boule au sol, le tas de cendres énigmatique près du miroir, les parchemins déchirés ou chiffonnés qui jonchaient un bureau en désordre... Ses yeux s'arrêtèrent sur la bouteille quasiment vide et le verre qui reposaient toujours sur la table de chevet d'Azula. La princesse rougit misérablement en regardant ses pieds.

« Je suis venue dès que j'ai pu…

– Pourquoi es-tu là Ty Lee ? C'est Zuko qui t'a demandé de venir me voir ?

– Il est extrêmement inquiet Azula. Il m'a dit que tu n'étais pas sortie de ta chambre depuis presque un mois ! Que tu ne parles plus à personne !

– Est-ce qu'il t'a dit pourquoi ? l'interrogea-t-elle en relevant la tête, s'efforçant vainement d'avoir l'air assuré.

– Non… il préfère te laisser m'en parler, répondit timidement Ty Lee.

Azula se détourna d'elle et se dirigea vers le bureau où elle fit mine de ranger ses parchemins entassés, se contentant de les déplacer dans le coin opposé. Le résultat fut moins que probant.

– Il n'y a rien à dire, trancha-t-elle. Il t'a fait te déplacer pour rien Ty Lee. Je n'ai besoin de rien, vraiment, je vais très bien. »

Ty Lee ne répondit pas. Elle s'avança vers le lit, s'empara de la bouteille et du verre et se retourna vers Azula, haussant les sourcils d'un air interrogateur.

« J'avais de la visite hier, répondit Azula sans se démonter.

– Il n'y a qu'un verre…

– L'autre s'est cassé.

– Arrête de mentir Azula ! s'agaça Ty Lee.

– Je n'ai aucun compte à te rendre Ty Lee. Tu peux rentrer chez toi et rassurer ce cher Zuzu. Il te croira sans peine s'il est assez stupide pour faire venir une personne qui vit à des milliers de kilomètres pour s'enquérir de quelqu'un qui habite à l'autre bout de son couloir… »

Elle désigna la porte et attendit, croisant à nouveau ses bras sur sa poitrine d'un air furieux. Mais Ty Lee n'esquissa pas un geste indiquant qu'elle comptait partir.

Azula n'en attendait pas moins d'elle.

Levant les yeux au ciel, elle poussa un soupir d'exaspération et se dirigea vers le divan sur lequel elle s'assit, les genoux repliés devant elle, la tête renversée en arrière sur le dossier, les yeux fermés pour lutter contre la migraine. Elle entendit Ty Lee qui se déplaçait à travers la pièce et sentit les coussins du divan s'affaisser légèrement sous son poids quand son amie vint s'asseoir sur la place à côté d'elle.

« Je ne partirai pas Azula... »

Azula aurait voulu lui jeter des flammes à la figure, lui hurler de la laisser seule. Elle ne voulait pas de sa sollicitude écœurante. Elle ne la méritait pas.

Elle rouvrit les paupières pour voir les yeux gris de Ty Lee fixés sur elle, la bouche tordue dans une sorte de grimace comique qui lui fit penser à la moue que ferait un enfant grondé qui s'apprête à pleurer.

Oh non ! Si Ty Lee pleurait, elle n'était pas sûre de pouvoir se retenir elle-même. Elle ne comprenait pas ce qu'elle faisait ici, pourquoi elle perdait son temps avec un cas aussi désespéré que le sien.

Quand Ty Lee allait-elle le comprendre ? Même sa mère était partie, puis Zuko, puis Mai… puis son père après eux... Tout le monde la quittait… toujours. L'abandon était la seule constante dans sa vie.

Mais Ty Lee était là, elle. Avec elle, quand tout le monde lui avait tourné le dos.

Elle fut soudain submergée par une vague de gratitude envers son amie. Mais elle était incapable d'exprimer avec des mots ce que cela représentait pour elle de l'avoir à ses côtés maintenant.

Presque imperceptiblement, Azula avança une main timide qu'elle posa sur le coussin, juste entre elles. Elle la retourna sur le dos, paume vers le haut, comme une offrande, sans regarder son amie. Ty Lee comprit l'invitation : elle prit aussitôt sa main et la serra dans les siennes. Quelques secondes se passèrent ainsi, dans un silence de plus en plus pesant.

Ty Lee ouvrit les bras juste à temps pour y recueillir la frêle silhouette de la princesse qui fondit soudainement en larmes, sa tête tombant sur l'épaule de son amie.

« Ça va aller Azula, je suis là maintenant... Je ne partirai pas.

– Il ne veut plus de moi Ty ! Il ne veut plus rien avoir à faire avec moi ! »

Les mots jaillirent de ses lèvres avant qu'elle ait pu les retenir. Ty Lee la serrait contre elle, traçant des cercles dans son dos avec la paume de sa main.

« Il s'agit de ça alors, hein ? Tu veux bien me raconter ? »

Mais Azula l'entendit à peine et pousuivit : « Et maintenant il va se débarrasser de moi ! Il va me renvoyer à l'asile, je le sais ! Il a vu les cicatrices, Ty ! Il les as vues ! » Joignant le geste à la parole, elle s'écarta de son amie et releva sa manche sur son coude pour lui montrer la charpie de son avant-bras.

Ty Lee sursauta et ne fut pas assez rapide pour dissimuler le choc sur son visage. Ses grands yeux s'agrandirent d'horreur.

« Azula, c'est toi qui t'es fait ça ?

– Il ne voulait plus de moi ! Il ne voulait plus me parler ! Je n'avais pas le choix ! Il va me renvoyer là-bas mais je ne peux pas y retourner Ty Lee, je ne veux pas ! Je n'avais pas le choix, crois-moi s'il-te-plaît !»

Ty Lee semblait de plus en plus confuse. Azula réalisa lentement que ses paroles devaient paraître totalement incohérentes. Les mots que la jeune acrobate prononça ensuite confirmèrent ses soupçons :

« Azula...excuse-moi de te demander ça mais est-ce que tu prends bien ton traitement?

– Qu...quoi ? Oui bien sûr... »

– D'accord Azula. Je te crois, ne t'en fais pas. Allez, je t'écoute, raconte-moi ce qui s'est passé. »

Azula recula un peu et se redressa, bien droite sur le divan. Elle passa ses mains dans ses cheveux pour essayer de les aplatir un peu et se redonner une contenance. Elle regrettait déjà ce débordement impudique d'émotions. Elle savait que Ty Lee ne lui en tiendrait pas rigueur mais ce n'était pas pour autant acceptable pour une princesse.

Par où commencer ? Elle en avait déjà trop dit.

D'ailleurs que savait Ty Lee ? Les rumeurs sur sa relation inexistante avec Zuko lui étaient-elles déjà parvenues ?

Encore une fois, elle jugea plus sage d'opter pour une semi-vérité.

S'essuyant les yeux, elle commença son récit. Elle lui raconta comment elle avait invité son mystérieux amant à prendre un dernier verre dans sa chambre à l'issue d'une soirée arrosée. Comment il avait consenti à se lover avec elle sur le canapé, comment ils avaient discuté agréablement pendant un moment.

Elle lui dit comme les choses avaient soudainement dégénéré après qu'elle eut accidentellement renversé du vin sur sa veste et sa tunique.

« Je ne sais pas ce qui m'a pris Ty Lee. Il était là, le torse nu et je… j'ai commencé à faire ce que tu m'avais dit… enfin je ne l'ai pas vraiment fait, j'allais le faire...

– Et ça ne lui a pas plu ?

– Au début si. Enfin je crois… je ne sais pas. C'était comme tu m'as dit. Il avait l'air de vouloir... et puis soudain, je ne sais pas pourquoi, il m'a repoussée et il est parti…

– Ah... »

A ce moment du récit, Ty Lee eut le bon goût de paraître confuse. Après tout, c'était elle qui lui avait donné ce stupide conseil. Azula la fixa intensément, attendant sa réaction.

« Alors ? s'impatienta-t-elle. Dis-moi… toi qui es une experte en la matière. Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

– Je ne sais pas...marmonna Ty Lee, visiblement gênée. Je suppose que tu as été un peu trop entreprenante. Tu as dû l'effrayer. C'est sans doute un grand timide.

Voyant qu'Azula baissait la tête piteusement, elle s'empressa d'ajouter :

« Mais si tout ce que tu m'as décrit est vrai, c'est clair que tu lui plais !

– Tu crois ?

– Oh oui ! Il serait parti bien avant s'il n'avait pas espéré qu'il se passe quelque chose avec toi ! »

Azula réfléchit un moment à ce qu'elle venait de dire. Et si Zuko avait simplement eu peur de son propre désir ? Elle n'y avait jamais songé, trop occupée à digérer son rejet et son silence. Et s'il suffisait de le convaincre qu'ils ne faisaient rien de mal, alors peut-être ?

C'était mal. C'était sale.

Ça ne doit jamais se reproduire.

Non, il n'y avait aucun espoir. Zuko ne renoncerait jamais à la morale et aux conventions. Encore moins pour elle. Elle n'en valait vraiment pas la peine.

« Et Zuko ? demanda Ty Lee, la coupant dans ses pensées.

– Quoi Zuko ? répondit-elle un peu trop rapidement, sur la défensive.

– Eh bien… Pourquoi t'es-tu fâchée avec lui ? Il m'a dit que vous vous étiez disputés et que tu refusais de le voir depuis des semaines. »

Azula ne put s'empêcher de rougir. Mais le mensonge lui vint facilement :

« Zuko a découvert ce qui s'était passé. Il était très contrarié. Il m'a interdit de continuer à le voir.»

Après tout ce n'était pas vraiment un mensonge…

Ty Lee semblait perplexe.

« Mais quand tu me disais qu'il allait te renvoyer à l'asile, de qui parlais-tu ?

– De… de Zuko bien sûr...

– Mais tu m'as dit qu'il ne voulait plus de toi… tu...tu parlais encore de Zuko ?

Azula sentit qu'elle s'aventurait sur une pente glissante et préféra éluder la question.

Elle ne pouvait pas lui dire la vérité. Pas maintenant. Elle ne pouvait pas perdre Ty Lee. D'abord Zuko, puis elle. Non, elle ne le supporterait pas.

« Ecoute Ty Lee, je te suis reconnaissante d'être venue jusqu'ici pour me voir. Mais je me débrouille très bien. C'est vrai que j'ai été un peu déprimée dernièrement et j'ai sûrement sur-réagi, mais je peux gérer la situation, crois-moi. »

Les grands yeux couleur de nuage de Ty Lee se portèrent encore une fois sur la bouteille de vin avant de revenir au visage de la princesse.

L'acrobate prit une grande inspiration puis :

« On peut gérer la situation. Il n'est pas question que je te laisse seule à nouveau. Et si tu veux mon avis, la priorité…, annonça-t-elle en saisissant une épaisse mèche de cheveux emmêlés d'Azula entre ses doigts, c'est qu'on s'occupe de tes cheveux ! C'est une vraie catastrophe. Agni ! Quand les as-tu peignés pour la dernière fois ? »

Avec un petit sourire triste, Azula leva les yeux vers Ty Lee et accepta la main qu'elle lui tendait. Elles se levèrent du divan. La princesse rajusta la ceinture de son kimono et se dirigea vers sa coiffeuse, se saisit d'une brosse qu'elle posa sur la surface en marbre rose et s'assit devant la glace, sans regarder son reflet.

Ty Lee s'approcha doucement derrière elle et prit la brosse qu'elle commença à passer dans la longue chevelure noire, démêlant une à une les mèches épaisses et récalcitrantes.

Et à chaque fois que la main experte venait à bout d'un nœud, Azula se sentait un peu plus légère à l'idée de pouvoir passer la journée avec sa meilleure amie.


Aang était inquiet.

Il avait d'abord pensé que son ami avait eu besoin de temps mais maintenant, il était clair qu'il l'évitait.

Depuis la soirée d'anniversaire, il avait à peine passé quelques minutes en compagnie du Seigneur du Feu qui passait la plus grande partie de ses journées enfermé dans son cabinet d'étude, laissant au Général Kadao le soin de recevoir les doléances des citoyens dans la salle du Trône.

Aang était resté auprès de lui la plus grande partie du temps, debout à a droite du Général, écoutant avec un sentiment de malaise croissant les demandes et les plaintes des sujets qui se succédaient devant le trône.

Manifestement, le mécontentement montait parmi les citoyens de la Capitale de la Nation du Feu. Il semblait que les troubles agitant les colonies avaient entraîné un afflux soudain de migrants provenant des quatre coins du Royaume de la Terre, tous des colons ou des familles métisses fuyant les persécutions qui continuaient d'être perpétrées malgré les annonces relatives au plan triennal.

Les promesses de remplacer les hauts fonctionnaires et de créer des quotas pour les postes haut placés n'avaient pas apaisé la gronde populaire qui réclamait à grands cris le retrait définitif des colons et de tous les dirigeants natifs de la Nation du Feu.

L'arrivée massive et incontrôlée de réfugiés commençait déjà à troubler le calme et la paix de la Caldera. Des faits de violence, dus manifestement à des résidents mécontents de voir débarquer ces hommes et ces femmes aux abois, avaient été rapportés : des agressions et des lynchages figuraient au tableau.

Les familles de réfugiés s'installaient où elles le pouvaient, dans les rues, dans les logements inhabités et dans des campements de fortune installés essentiellement sur la plage et dans le secteur industriel, déjà gangrené depuis de nombreuses années par une criminalité rampante. Un sentiment désagréable d'insécurité flottait dans l'air. Quelques actes de vandalisme avaient été perpétrés et la garde impériale croulait sous les appels à l'aide de citoyens qui affluaient dans les postes de garde, paniqués.

Aang tenait à rester optimiste mais il devait bien admettre qu'il commençait à être las de combattre la haine, l'intolérance et la violence des hommes.

Le mal et la corruption prenaient de multiples formes et renaissaient toujours de leur cendres. Il le savait car les moines le lui avaient enseigné dès son plus jeune âge. Ils lui avaient appris aussi qu'il était vain de chercher à en venir à bout. Mais le rôle de l'Avatar était de maintenir l'équilibre et c'était une mission bien lourde pour un garçon de cent dix-huit ans qui en avait passé cent dans la glace.

Comment pouvait-il réussir sans l'aide des dirigeants de ce monde, à commencer par celui qui régnait sur la plus puissante et la plus prospère des quatre nations ?

Quand il pensait à Zuko, retranché dans ses appartements pour éviter une épouse et une sœur toutes deux furieuses contre lui, Aang ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu déçu et amer.

Zuko négligeait ses devoirs et laissait, une fois encore, ses émotions et ses problèmes personnels le détourner de son rôle.

Zuko n'était pas un avatar, ni même un moine de l'air, et on ne pouvait attendre de lui qu'il apprenne à se libérer de ses attaches terrestres comme on le lui avait enseigné. Mais son devoir en tant que Seigneur du Feu était au moins d'essayer.

Aang avait essayé d'être compréhensif et patient. Il s'était abstenu de tout jugement quand Zuko lui avait raconté sa petite aventure aux conséquences désastreuses avec Azula. Il pensait pouvoir essayer de comprendre. Les moines de l'air acceptaient l'amour sous toutes ses formes. Mais l'inceste restait malgré tout un tabou dans toutes les sociétés humaines.

Il était vrai qu'Azula ne manquait pas de charme et possédait un certain magnétisme auquel lui-même, à quelques occasions, avait pu être sensible. Il savait que tout comme lui, Sokka avait parfois laissé son regard errer en direction de la princesse. Son élégance naturelle, la teinte écarlate de ses lèvres, ses longs cheveux sombres comme la nuit, sa grande intelligence, tout cela la rendait profondément fascinante. Mais sa complexité et son mépris manifeste pour les classes inférieures l'avaient toujours rebuté.

Après tout comme disait Sokka : « Tu peux regarder tant que tu ne touches pas ! »

Cela s'appliquait aussi à l'Avatar.

Il se demandait ce que penserait Zuko si l'un de ses meilleurs amis se mettait à courtiser sa sœur. La manière dont il la retenait jalousement auprès de lui, la couvant des yeux lors des soirées mondaines, dont son visage se crispait quand Azula dansait avec un homme, ce comportement surprotecteur ne lui avait pas échappé.

Il ne s'en était pas inquiété au début. Il avait parfois surpris la même expression contrariée et menaçante sur le visage de Sokka quand un homme, autre que Aang, s'approchait un peu trop de Katara. Il se rappelait même que dans les premiers temps de sa relation avec elle, Sokka avait été parfaitement insupportable, les suivant partout, ne leur laissant que de rares occasions de se retrouver seuls.

Puis il avait accepté l'idée, mais Aang savait que Sokka veillait encore sur sa sœur et que le moindre faux-pas de sa part lui vaudrait probablement une attaque-surprise de son légendaire boomerang.

Sans doute en allait-il de même pour Zuko ? Peut-être étaient-ce les sentiments normaux qu'un frère était censé éprouver pour sa petite sœur ?

Une chose était certaine cependant : jamais Sokka n'avait regardé Katara comme Zuko regardait Azula.

Aang pensait pouvoir mettre un mot sur ce qu'éprouvait le Seigneur du Feu pour la princesse : de la fascination.

Il n'y avait pas prêté grande attention jusque là, mais lors de la soirée d'anniversaire, alors qu'il s'était éclipsé pour laisser à Zuko le loisir de parler avec Azula, il avait bien observé chacun de leur geste, chacune de leur mimique et de leurs regards.

Il connaissait suffisamment Zuko pour identifier la rage qui bouillonnait en lui, tandis qu'il observait sa sœur flirtant avec un autre homme un peu plus loin. Il l'avait vu rougir quand Azula s'était dirigée vers lui, d'un pas ostensiblement lent, ses yeux mordorés fixés sur les iris dorées du Seigneur du Feu.

Il avait été un peu déçu aussi de constater le manque de discernement de son ami quand il avait disparu avec Azula derrière un rideau, pour revenir quelques minutes plus tard, et surgir devant une pièce pleine de courtisans dont la moitié murmuraient déjà au sujet de leur relation malsaine. Tout cela devant Mai, bien sûr.

Aussi fut-il content de tomber sur Ty Lee en sortant de la salle du Trône où il avait passé la matinée à assister Kadao.

« Aang ! s'écria la jeune guerrière en se précipitant vers lui ! Comme je suis contente de te voir ! J'ignorais que tu étais là !

– Zuko ne te l'a pas dit ?

– Non, nous avons à peine parlé lui et moi, je suis presque tout de suite allée voir Azula.

– Comment va-t-elle ?

– Pas très bien. Enfin mieux maintenant. Je l'ai remise au lit. Elle est bouleversée et je ne l'ai pas vue aussi déprimée depuis longtemps.

– Est-ce que tu sais pourquoi ? risqua-t-il en regardant autour de lui pour s'assurer qu'ils étaient seuls.

– Je ne veux pas trop t'en dire… Elle me tuera si elle sait que je t'en ai parlé mais pour résumer… elle a des problèmes de cœur.

– Des problèmes de cœur ? répéta-t-il stupidement, comme s'il peinait à comprendre de quoi voulait parler Ty Lee.

L'idée qu'Azula pût tomber amoureuse comme tous les autres êtres humains sonnait étrangement à ses oreilles.

« Oui, des problèmes avec un garçon qui lui plaît mais qui, apparemment, est trop stupide pour céder à ses charmes. Est-ce que tu peux le croire ? » s'exclama-t-elle soudain en agrippant un pan de sa tunique d'un geste si brusque qu'Aang sursauta.

Il se libéra de sa prise et recula, une main posée sur l'arrière de son crâne. Il aimait beaucoup Ty Lee mais ses réactions imprévisibles continuaient de le prendre au dépourvu.

– En effet, c'est surprenant, répondit-il vaguement en arrangeant les plis de sa tunique. Est-ce que tu… tu connais l'identité de ce garçon ?

– Non, dit-elle sur un ton qui trahissait à la fois sa frustration et sa profonde déception, elle ne veut rien me dire. Apparemment c'est un homme très puissant et très en vue dans la Nation du Feu… ll paraît que Zuko était furieux en l'apprenant et que c'est pour cela qu'ils se sont disputés ! Tu ne trouves pas qu'ils agissent bizarrement tous les deux ? Plus que d'habitude je veux dire...

– J'imagine... » répondit-il, très mal à l'aise.

C'était inattendu.

Il s'était plutôt accordé à penser que les tentatives de séduction d'Azula répondaient à une stratégie pour se rapprocher de Zuko, et par extension, du pouvoir. Son esprit était suffisamment tordu pour envisager un tel plan, aussi déconcertant soit-il. Mais qu'elle pût simplement agir par amour ? Cela ne ressemblait pas à Azula.

Soucieux de ne pas ébruiter le secret de Zuko, il préféra changer de sujet.

« Combien de temps comptes-tu rester au palais ?

– Je ne sais pas. Aussi longtemps que nécessaire. Je ne veux pas laisser Azula dans cet état. Et toi ?

– Je pars demain pour ramener Katara et Sokka. Ils étaient censés rester plus longtemps au Pôle Sud, mais les événements actuels sont trop graves. J'ai décidé de réunir l'équipe de l'Avatar.

– Très bien. Nous nous au repas alors. Je te laisse, je retourne voir comment va Azula. A plus tard Aang ! »

Aang la regarda s'éloigner, encore plus inquiet qu'il ne l'était en quittant la salle du Trône.


Ba Sing Se – Ménagerie du palais du roi Kuei.

« Je suis navré de vous apporter de telles nouvelles votre Majesté. Je ne vous cache pas ma déception à l'égard du Seigneur du Feu dont l'implication dans cette affaire est très insuffisante compte-tenu des moyens financiers et militaires à sa disposition. »

Kuei l'écoutait, arpentant les allées de la ménagerie royale, les mains croisées dans le dos, Lu Fang sur ses pas.

Ils s'arrêtèrent devant l'enclos d'un Ours-ornithorynque géant auquel Kuei s'amusa à lancer quelques poignées de lézards séchés mis à sa disposition dans un sceau suspendu devant l'enclos.

« Je partage votre dépit Lu Fang… Zuko m'a toujours donné l'air d'un homme bon et d'un dirigeant ambitieux. Son indifférence face aux souffrances de mon peuple constitue une profonde déception pour nous.

– Zuko n'a jamais eu votre sagesse et votre profonde empathie, Votre Majesté.

– Je ne l'en blâmerai pas Lu Fang. Zuko est encore un jeune homme. Moi-même je me suis facilement laissé manipuler dans mes jeunes années et j'ignorais tout des maux de ce monde avant mon grand voyage…

– Dont sous êtes revenu plein de sagesse… acheva Lu Fang en s'inclinant respectueusement devant son souverain.

Ils reprirent leur marche sur le chemin bordé d'azalées et de lys aux couleurs éclatantes. Kuei, malgré son inquiétude, ne pouvait s'empêcher de se laisser envahir par un profond ravissement. Le printemps était, de toutes, sa saison préférée. Un symbole de paix, d'espoir et de renouveau. Il était profondément contrariant que son royaume fût troublé par des événements aussi dramatiques en une période aussi éblouissante. Bien qu'il appréciât grandement Aang, il ne pouvait s'empêcher de songer que le Seigneur du Feu et l'Avatar avaient eu tort de suspendre le fabuleux projet de Restauration de l'Harmonie. Ils ne seraient pas dans cette situation si ce plan avait fonctionné.

Il ne niait pas les efforts de Zuko pour apaiser les tensions et ses ambassadeurs, revenus de la Caldera, l'avaient entretenu la semaine précédente du fameux plan triennal décidé par le Conseil. Lu Fang avait bondi de son siège et s'était aussitôt récrié que la Nation du Feu, encore une fois, minimisait la gravité des événements et ne prenait pas sa part de responsabilité dans les troubles qui agitaient le monde.

Kuei avait bien réfléchi et il était vrai que ce projet manquait d'ambition.

Malgré les réticences du Ministre des Armées, le plan avait été officialisé et les administrateurs des colonies en avaient déjà informé leur population à grand renfort de crieurs publics.

Les espions envoyés par Kuei pour observer la réaction des citoyens des colonies avaient confirmé leurs craintes. D'après eux, le public s'était réuni massivement autour des tréteaux où les crieurs annonçaient les nouvelles quotidiennes. Des tracts et des prospectus avaient été distribués à la population. De l'avis général, cette nouvelle mesure était loin de soulever l'enthousiasme. De nombreux citoyens avaient quitté la place, dépités, sans attendre la fin des annonces.

« Encore un coup d'épée dans l'eau, », disait-on partout. La colère montait à l'égard des dirigeants des deux nations qui ne semblaient pas avoir le courage nécessaire de prendre une décision drastique. Le peuple voulait de vraies mesures, de l'audace, pas de simples décrets dont les effets étaient trop lents ou trop mineurs pour changer le quotidien des habitants.

« Vous avez raison, Votre Majesté, le Seigneur du Feu est sans doute un homme bon si on le compare à son père et à son grand-père… Mais sa philanthropie est largement surestimée du fait de son amitié avec l'Avatar. Au fond il reste un homme colérique, égocentrique et influençable.

Kuei se tourna vers lui, un peu surpris :

– Il ne m'a jamais donné cette impression.

– Sire, vous n'ignorez pas qui tire les ficelles dans l'ombre à la Caldera… Vous ne savez que trop bien de quoi elle est capable.

– La princesse Azula ?

– Depuis qu'il l'a libérée de sa prison et qu'elle vit à nouveau au palais, la princesse semble exercer une influence grandissante sur son frère. Elle est à l'origine de nombreux décrets et lois au sein de leur nation. Il se chuchote qu'en réalité, même s'il porte la couronne, c'est elle qui règne sur la Nation du Feu.

– J'ai pourtant entendu dire que Zuko ne lui avait pas rendu ses pouvoirs et qu'elle ne siégeait au Conseil que comme membre honoraire.

– Certes, officiellement. Mais dans l'ombre, elle murmure à l'oreille de son frère et il cède à toutes ses volontés. »

Kuei déglutit péniblement. Il n'avait pas oublié la dangereuse princesse de la Nation du Feu qui plusieurs années auparavant avait fait tomber les murs de sa ville, avait volé son trône, à l'aide de deux amies seulement, l'avait menacé de mort. Il se rappela sa terreur lorsqu'elle l'avait maintenu contre elle, une dague de flammes bleues à quelques centimètres de sa gorge pour oblige les amis de l'Avatar à renoncer au combat.

Il voulait croire que Zuko était meilleur que sa sœur. Mais n'était-ce pas lui qui l'avait rejointe à Ba Sing Se, contribuantde fait à la chute de la Cité ?

« Sire, poursuivait Lu-Fang pendant qu'il réfléchissait, avez-vous entendu parler des rumeurs qui parcourent les rues de la Caldera ? Le Seigneur du Feu et la princesse seraient impliqué dans une sordide affaire d'inceste... »

Kuei grimaça et poussa une exclamation outragée. Il avait du mal à imaginer que Zuko pût se rendre coupable d'un crime aussi amoral et répugnant.

« Quelles preuves avez-vous de tout cela, Lu Fang ? demanda-t-il en se tournant vers le locataire de l'enclos qui se trouvait sur leur droite.

– Ce ne sont que des bruits votre Majesté, mais j'étais là lorsqu'ils ont commencé à courir. Et je peux vous affirmer ne pas avoir vu la princesse une seule fois pendant mon séjour. Le Seigneur du Feu est devenu particulièrement agressif quand son nom a été évoqué. De plus, la Dame du Feu a quitté le palais le soir-même… D'après notre agent du Dai-Li présent au palais royal, le Seigneur du feu se lève parfois en pleine nuit pour frapper à la porte de sa sœur… Et il semblerait qu'ils aient été vus ensemble sortant d'une chambre dérobée le soir de l'anniversaire du Seigneur du Feu.»

Kuei fronça les sourcils, une expression à la fois dégoûtée et contrariée s'affichant sur son long visage fin aux yeux bridés.

« Je croyais vous avoir expressément demandé de retirer tous vos agents Lu-Fang. Je n'aime pas ces méthodes qui me rappellent celles qu'employait Long Feng… La confiance est essentielle dans les relations diplomatiques.

– Sire, nous parlons de l'homme qui a volontairement fait échouer le Plan de Restauration de l'Harmonie, prenant le risque de déclencher une guerre avec notre Royaume… Laissez-moi encore quelques semaines, le temps que mon agent du Dai-Li vous apporte la preuve de ce que j'avance. Ensuite je le ferai revenir à Ba Sing Se. »

Kuei réfléchit un moment. Il lui était difficile de croire en ces histoires d'inceste qui semblaient relever de la diffamation. Toutefois, il fallait bien reconnaître qu'il n'aimait pas du tout l'idée d'une telle proximité entre Zuko et la princesse de la Nation du Feu. Un Seigneur du Feu influencé par ce génie de la manipulation et du mensonge constituait une menace réelle pour la paix mondiale. Que penserait son peuple en apprenant que celle qui les avait anéantis si facilement cinq ans auparavant avait regagné un tel pouvoir et que lui, leur roi, n'avais rien fait pour empêcher son ascension ?

A contre-coeur, il acquiesça.

« Je vous suis reconnaissant de votre confiance, votre Majesté. Je pense que vous serez d'accord pour dire que la princesse doit absolument être au plus vite séparée de son frère. Leur relation tordue empêche le Seigneur du Feu d'agir de manière objective et avisée.

– Que suggérez-vous ? demanda Kuei qui craignait de connaître déjà la réponse.

Il n'aimait pas faire couler le sang.

– L'Avatar et le Seigneur du Feu ont réussi à suspendre les poursuites engagées contre la Princesse il y a de cela trois ans à la suite de négociations fermes. Cependant, elle est toujours considérée comme responsable de la chute de Ba Sing Se et, indirectement, de la mort des citoyens victimes de l'Armée du Feu une fois que les murailles ont été détruites. Comme vous le savez, en échange de la suspension des poursuites, le Seigneur du Feu s'est engagé à payer un tribut au Royaume de la Terre. Chaque année il envoie une somme conséquente consacrée à la restauration des maisons et bâtiments détruits par l'Armée du Feu. Or, il ne s'est pas encore acquitté de cette dette cette année. Il clame que cet argent sera mieux employé à la fondation de la future Cité de la République et a bloqué l'envoi d'argent à Ba Sing Se, prétextant que les quartiers ravagés ont déjà été en grande partie rebâtis.

– Où voulez-vous en venir Lu Fang ? N'est-il pas vrai que ces quartiers ont été reconstruits ?

– Sire, nous pouvons exiger l'extradition de la Princesse Azula en invoquant le non-respect de cette close. Aucune durée n'avait été déterminée et le Seigneur du Feu y est donc encore soumis. »

Kuei prit son menton entre son pouce et son index et plissa les yeux.

– Si vraiment Zuko est aussi proche de la princesse que vous le suggérez, ne croyez-vous pas que nous prenons le risque de déclencher un conflit ouvert avec la Nation du Feu en demandant sa tête ?

– J'y ai déjà longuement réfléchi votre Majesté. Faites-moi confiance. Je pense savoir comment mettre à profit les événements récents. Si mon plan fonctionne, nous serons gagnants sur les deux fronts : nos territoires annexés retrouveront leur indépendance et la paix dont elles ont été dépossédées depuis trop longtemps. Pour couronner le tout, nous aurons enfin la tête de la « Peste de Ba Sing Se ». Notre peuple obtiendra enfin justice et cela renforcera votre popularité. »

Kuei resta silencieux. Il suivit d'un air absent les allées et venues d'un magnifique Caribou-Léopard polaire au pelage immaculé sauvé des griffes d'un braconnier six mois auparavant.

Il était vrai que sa popularité était encore loin d'être assurée. Dans la conscience collective, le 52e roi de la Terre restait un jeune homme influençable et faible qui avait abandonné son trône après avoir laissé le Dai Li le manipuler pendant des années.

Il soupira profondément : parfois il lui arrivait de penser qu'il aurait été plus simple de diriger les animaux que les hommes. Il aurait aimé éviter d'en arriver à de telles extrémités. Mais en tant que souverain, il ne pouvait se permettre de négliger la menace que représentait une princesse regagnant peu à peu son pouvoir et son influence au sein d'une nation fragilisée et d'un jeune Seigneur du Feu peut-être soumis à ses charmes.

De plus Lu Fang, malgré son tempérament belliqueux, avait à maintes reprises prouvé sa valeur et sa loyauté à Kuei. N'était-ce pas lui qui l'avait aidé à regagner l'autorité dont il avait été dépossédé autrefois ? qui avait assis sa crédibilité auprès de son peuple et rallié les agents du Dai-Li corrompus par Azula ?

Avec un grand soupir, il se tourna vers son ministre :

« Très bien Lu Fang, vous avez toute ma confiance.

– Sire, je ne vous décevrai pas. »

Et après s'être incliné devant son roi, Lu Fang tourna les talons et reprit la direction du palais, sa cape vert-olive voletant autour de son imposante silhouette.


Voilà pour aujourd'hui. Je reviendrai plus tard sur les sentiments de Zuko qui ne manquent pas de complexité non plus. Ne vous inquiétez pas si vous souhaitiez connaître le contenu de sa conversation avec Taïma : elle sera rapportée ultérieurement sans doute à l'occasion d'un ou de multiples...retours en arrière !

Au passage je tiens à remercier les lecteurs bilingues qui choisissent de me lire en français plutôt qu'en anglais. C'est sans doute une sage décision vu que ma traduction est sans doute loin d'être parfaite. Quoi qu'il en soit, ça compte beaucoup pour moi que vous privilégiiez la version originale et continuiez de la commenter (dans la langue qui vous plaira ! ^^¨)