Chapitre 10 – Lanternes dans la nuit
Mai faisait les cent pas dans le salon de la maison de ses parents. Le visage fermé, les poings serrés dissimulés dans les larges manches évasées de sa robe cramoisie, elle attendait avec une impatience croissante l'arrivée de son meilleur espion.
Depuis la soirée d'anniversaire de Zuko, elle n'avait pas remis les pieds au palais mais elle avait décidé qu'il était grand temps maintenant de mettre un terme définitif à cette situation.
Il est vrai qu'elle n'avait pas laissé à son mari la possibilité de s'expliquer plus de quelques minutes après être tombée nez-à-nez avec lui, alors qu'il quittait le passage secret où il s'était manifestement caché avec Azula.
Alors qu'elle tournait les talons pour arpenter une nouvelle fois la pièce dans l'autre sens, ses yeux bridés tombèrent sur la soucoupe posée sur un guéridon où reposait sa couronne.
Elle n'osait plus la porter.
Avant même que tout cela ne commence, elle s'était déjà demandé plusieurs fois si cet emblème porté traditionnellement par la Dame du Feu, n'aurait pas plutôt dû orner la tête d'Azula. La princesse n'était-elle pas celle qui conseillait fidèlement Zuko depuis maintenant plus d'un an, qui écrivait ses discours et rédigeait ses décrets ?
N'était-ce pas vers elle qu'il courait lorsqu'il était pris de doutes ?
Au cours de la dernière année écoulée, il avait passé plus de temps en compagnie de sa sœur, qu'auprès de son épouse.
Au moins jusqu'ici avait-elle pu se consoler : c'était encore avec elle qu'il partageait ses nuits et son lit.
Mais il semblait que même ce privilège lui avait été dérobé par Azula récemment. Qu'elle couchât avec lui ou non, quelque chose était irrémédiablement cassé entre Mai et Zuko, par sa faute.
Souvent, lorsqu'elle essayait d'être honnête avec elle-même, elle se demandait si Azula n'avait pas été que le catalyseur de leur rupture. Leur relation était-elle si fragile pour que le premier obstacle placé sur leur route les conduise à cette extrémité ?
Elle s'étonnait encore d'avoir été si prompte à imaginer qu'une relation incestueuse entre Zuko et sa sœur fût possible. Cela montrait assez à quel point la confiance entre eux devait être ténue. Quelle épouse heureuse et comblée croirait si facilement, sans émettre aucun doute, à une liaison aussi sordide ?
Elle ne pourrait jamais dire à quel point elle était déçue du manque de combativité de Zuko pour la récupérer. Pas une fois il n'était venu frapper chez elle. Alors qu'à en croire ses espions – qui par miracle lui étaient restés fidèles – , il arrivait fréquemment qu'il s'égare, la nuit, dans le couloir où se situaient les appartements d'Azula.
Il semblait que la princesse, tout comme elle, ait refusé jusque là de le recevoir.
Toujours est-il que l'esprit du Seigneur du Feu était apparemment bien plus préoccupé de sa sœur que de sa propre épouse.
Mais après tout, qui l'en blâmerait ? Elle savait ce que l'on murmurait à la Cour sur son compte. Le respect dont jouissait Mai auprès des courtisans ne devait rien à sa beauté ou à son intelligence politique qui n'avait pourtant rien de négligeable. Mais quand on rivalisait avec un génie comme Azula, que restait-il ?
Non, sa réputation ne lui venait que de sa noble ascendance et de la part qu'elle avait pris indirectement dans les événements ayant précipité la fin du règne d'Ozai.
Mai n'était même pas un maître du feu. Ce n'était pas la première. De nombreuses épouses de Seigneurs du feu n'avaient aucune maîtrise, à commencer par la mère de Zuko qui avait malgré cela enfanté deux des plus puissants maîtres de leur génération. Peut-être ne devait-on pas s'en étonner, Ursa étant après tout rien de moins que la petite-fille du précédent Avatar.
Pouvait-on espérer qu'elle-même enfantât une telle descendance ?
Le conseil des Sages n'avait d'abord émis aucune objection à leur union. Mais étaient-ils toujours aussi bien disposés à son égard après deux ans d'un mariage manifestement stérile ?
Et Zuko ? Etait-il vraiment aussi heureux avec elle qu'il le prétendait ? Depuis qu'il l'avait épousée, il avait cessé de voyager à travers le monde et Mai n'avait pas manqué de remarquer l'amertume et la frustration dans son regard chaque fois qu'il voyait Aang, Katara, Sokka et Toph monter sur le dos d'Appa pour se diriger vers leur prochaine mission.
Il lui semblait parfois qu'il restait par obligation, pas seulement envers sa nation mais aussi envers elle.
Malgré tous ses efforts pour lui faire oublier la vie aventureuse dont il aurait rêvé, et bien qu'il semblât l'aimer sincèrement, quel bénéfice tirait-il de leur mariage, avec une épouse que le jeu du pouvoir n'intéressait guère et un enfant qui semblait ne jamais devoir venir ?
Dans les premiers temps, ils avaient volontairement pris des précautions, ni l'un ni l'autre ne se sentant prêt à devenir parents. Après tout, aucun de leurs amis de leur âge n'avait encore d'enfant et cela leur avait paru normal. Mais les hommes n'ont pas les mêmes attentes envers leurs souverains.
La Nation et le conseil des Sages attendaient un héritier, et le plus tôt possible.
Mai était plutôt d'accord avec eux. Pour elle, l'absence d'héritier ne signifiait qu'une chose : si Zuko mourait, c'était à sa sœur que reviendraient le titre tant convoité. C'était un risque que peu étaient prêts à prendre. Mai moins que quiconque.
Bien qu'Azula n'eût pour l'instant pas regagné ses pleins-pouvoirs, Zuko lui avait rendu son titre de princesse et cela faisait actuellement d'elle la seule héritière légitime du Trône.
Le retour d'Azula au palais avait précipité sa réflexion. Et bientôt, l'idée d'élever un enfant avec Zuko était devenue charmante, puis séduisante et enfin, totalement obsédante. Mai s'était mise à voir des enfants partout. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant leurs petites mains, leur course maladroite, en entendant leur rire joyeux.
Mais après un an et demi d'essais, il n'y avait toujours pas de bébé.
Mai avait tout essayé : elle avait surveillé son cycle, s'était soumise à un régime alimentaire strict, bu sans broncher les potions amères censées augmenter la fertilité, concoctées à la demande de sa mère par une herboriste réputée. Elle avait consulté le médecin royal et s'était entretenue avec des dizaines de sages-femmes, dont celle qui avait fait naître Zuko et Azula. Rien n'avait fonctionné jusqu'ici.
Bien sûr, Azula savait. Et elle avait tout de suite compris l'avantage qu'elle pouvait tirer de la situation. Mai avait été furieuse d'apprendre que Zuko s'était confié à sa sœur au sujet de son mariage infertile. Ne se rendait-il pas compte qu'il venait de délivrer à Azula exactement l'information qu'elle espérait ? Depuis elle n'avait fait que resserrer son emprise sur son frère, et il s'était stupidement laissé prendre dans sa toile.
Si elle avait été assez sotte pour croire aux sorcières, Mai aurait sans aucun doute adhéré aux rumeurs persistantes chez les petites gens qui prétendaient que la princesse en était une. Son nom était évoqué pour effrayer les petits enfants et les obliger à être sages. Mai aimait beaucoup cette idée et n'avait pas manqué d'en rire quand ses espions la lui avait rapportée.
Azula n'avait-elle pas en effet tous les attributs d'une sorcière ? Une beauté enchanteresse, des yeux incandescents, une intelligence et un pouvoir hors du commun, son extraordinaire capacité à prévoir les réactions des gens… La couleur de ses flammes, jamais rapportée jusqu'ici dans les annales, n'étaient-elles pas la preuve d'une origine diabolique ?
Ridicule, pensa-t-elle en s'asseyant finalement lourdement sur le divan au centre de la pièce. Elle sortit une lame brillante de sa manche et commença à l'aiguiser à l'aide d'une petite pierre plate et grise qu'elle emportait toujours avec elle.
Elle n'a rien d'une sorcière, ce n'est qu'une petite catin, rien de plus.
Une petite catin, peut-être, mais une catin qui avait bien su tirer son épingle du jeu.
Azula voulait le pouvoir, ce n'était un secret pour personne. Quiconque ne le pensait pas était aveugle, ou un idiot, à commencer par Zuko qui s'obstinait à lui faire confiance. Au nom de je-ne-sais quel sens de la famille, ou peut-être par culpabilité.
Mai avait bien vu comment Azula s'était rapprochée de son frère au cours des derniers mois, les regards échangés, les promenades en tête à tête dans les jardins royaux, sa soudaine coquetterie. Elle que l'on ne voyait autrefois qu'en armure ou en pantalons, et coiffée de son traditionnel chignon de garçon manqué, apparaissait souvent vêtue de robes élégantes et moulantes, les cheveux lâchés ou ornés de petits bijoux étincelants.
Elle avait compris trop tard que Zuko n'y avait pas été insensible.
Azula l'avait persuadé que son mariage avec Mai n'était qu'une parodie du bonheur. Zuko était un homme passionné. Il lui fallait des aventures, du drame, de la tragédie, des amours tourmentées. Qui de mieux que son prodige de sœur mentalement dérangée pour lui apporter ce dont il rêvait ?
Sans doute lutterait-il un moment contre la tentation. Il n'était pas complètement dépourvu de morale, et il était trop préoccupé de ce que ses amis et ses sujets pensaient de lui pour se jeter en toute insouciance dans les bras de sa propre sœur.
Mais n'était-ce pas ce qui avait fini par se passer à Ba Sing Se ? N'était-ce pas les promesses monstrueuses d'Azula qui l'avaient convaincu de rejoindre son camp alors qu'il prétendait avoir enfin trouvé la paix ? Pour Zuko, la tentation avait toujours eu les traits de la princesse de la Nation du Feu.
Elle en était là de ses sombres pensées quand trois coups frappèrent à la porte.
Mai était seule dans la maison. Son père était en voyage diplomatique et elle avait expressément demandé à sa mère d'emmener Tom-Tom jouer au-dehors, le temps nécessaire pour recevoir son meilleur agent.
« Entrez ! » ordonna-t-elle sans lever les yeux de la pierre contre laquelle elle frottait énergiquement la lame de son shuriken étincelant.
– Vous m'avez fait appeler Madame, répondit en s'inclinant l'espion qui venait de pénétrer dans les lieux : un homme mince au visage triangulaire et aux épaules étroites.
Mai daigna lever la tête vers lui et son regard plongea dans les yeux vairons,l'un vert, l'autre brun, de l'espion qui attendait patiemment ses instructions, les deux mains croisées dans le dos.
– Wu, j'ai besoin de vous pour une mission délicate qui requiert la plus grande discrétion. Puis-je compter sur vous ?
– Madame, vous savez que la Dame du Feu a toute ma loyauté et que je n'ai d'autre priorité que de la servir. Ordonnez et vous serez exaucée. »
Mai ne put s'empêcher de rouler des yeux devant cette courtoisie affectée. C'était sans doute ce qui la fatiguait le plus depuis qu'elle était devenue la Dame du Feu. L'hypocrisie des gens la portait au comble de l'exaspération. Mais Wu avait suffisamment fait ses preuves et lui avait assez témoigné sa valeur et sa loyauté pour qu'elle lui pardonne cette conduite.
– Assez de palabres, Wu. Je ne vous ai pas fait venir pour cela. J'ai besoin de vos talents pour une mission d'infiltration particulièrement délicate. Je pense m'adresser à la bonne personne, n'est-ce pas ?
– Je le pense aussi. Puis-je vous demander en quoi consiste la mission, Madame ?
– Rien qu'un ex-agent du Dai-Li tel que vous ne puisse entreprendre, Wu, je vous l'assure. »
L'homme osa relever la tête et adressa à Mai un sourire rusé. Son œil vert étincela étrangement quand un rayon de soleil tomba sur la couronne déposée sur le guéridon et se refléta dans sa pupille.
« Je suis tout ouïe, Madame. », assura-t-il en se prosternant à nouveau devant elle.
Les murs grondèrent et vibrèrent dangereusement tout autour de la cour d'entraînement quand l'éclair, jailli du néant, frappa durement sa cible : un bloc de pierre qui se brisa en morceau sous la force de l'impact.
A quelques mètres, la princesse, pantelante dans sa tenue d'entraînement, les cheveux ramenés en arrière dans un demi-chignon, contempla avec satisfaction ce qui restait de l'énorme monolithe que des serviteurs harassés avaient mis des heures à transporter ici le matin-même.
On lui avait garanti que cette roche pouvait résister à une charge électrique d'une extrême puissance. Pourtant il ne lui avait fallu que deux tentatives pour en venir à bout.
A son grand soulagement, il semblait que son habileté à magner la foudre fût restée intacte malgré la tourmente d'émotions et le manque criant d'entraînement des dernières semaines.
Sa colère et sa frustration semblaient avoir augmenté ses capacités. Et l'approche du solstice d'été la rendait plus redoutable que jamais.
Imaginer le visage de Zuko sur la surface lisse et dure de la pierre avait aidé aussi, indéniablement.
C'était l'idée de Ty Lee.
« Imagine que c'est cet abruti que tu t'apprêtes à foudroyer ! Ça te défoulera ! »
Elle avait eu raison. A la fin de leur séance d'entraînement, Azula se sentait vidée, et pour la première fois depuis des semaines, elle ne ressentait pas l'envie de réduire en cendres tout ce qui se trouvait sur son chemin.
Ces derniers jours, Azula se demandait souvent ce qui se serait passé si Ty Lee n'était pas miraculeusement apparue. Son soutien et sa présence avaient été une source de réconfort indicible.
Certes la jeune guerrière la fatiguait par ses bavardages, sa gaieté perpétuelle et ses badinages scandaleux avec le palefrenier, les nouvelles recrues parmi les gardes ou les fils des courtisans.
Ty Lee n'avait jamais été très exigeante en matière de relations amoureuses. Azula avait cessé de s'en offusquer devant elle mais n'approuvait pas pour autant cette conduite volage indigne d'une jeune femme issue de la noblesse.
Et c'est moi que l'on traite de traînée ! avait-elle songé amèrement avant de chasser cette pensée mesquine.
Ty Lee ne méritait pas son mépris et ses nombreuses conquêtes avaient au moins le mérite de distraire la princesse de ses propres problèmes.
Azula pensait toujours à Zuko et son sentiment d'humiliation, loin de s'estomper, lui donnait continuellement l'impression qu'on avait coulé une chape de plomb dans son estomac. Mais elle avait été soulagée de découvrir qu'au moins une personne dans ce palais réussissait à voir en elle autre chose qu'une folle ou une catin.
Azula veillait scrupuleusement à ce que son amie reste strictement ignorante de sa mésaventure avec Zuko. C'est pourquoi elle la gardait si jalousement auprès d'elle, s'assurant qu'elle ne parle pas à son frère ou à Mai. Cette dernière était apparemment toujours cloîtrée chez ses parents et Azula éprouvait une sombre satisfaction chaque fois qu'elle y pensait.
Si elle ne pouvait pas avoir Zuko, alors personne ne l'aurait !
Si Ty Lee découvrait l'identité du fameux garçon dont elle était amoureuse et qui l'avait odieusement rejetée, elle cesserait de la soutenir. Elle la regarderait comme tous les autres, avec mépris, incrédulité et dégoût.
Azula ne le supporterait pas.
Ty Lee semblait heureuse qu'Azula recherche sa compagnie et ne se faisait pas prier pour passer ses journées et ses soirées avec elle. Zuko lui avait apparemment dit que Mai était partie en vacances avec sa famille pour quelques semaines et Ty Lee s'était contentée de cette explication.
Bien sûr, pour forcer son amie à rester auprès d'elle, Azula avait dû consentir quelques efforts. Trois jours auparavant, sous les instances de Ty Lee, la princesse avait accepté de lui confier la clé du coffre contenant les restes de bouteilles qu'elle n'avait pas encore bues.
Un peu honteuse, elle avait regardé la jeune femme vider une à une les précieuses liqueurs dans le lave-main en pierre de sa salle de bain et rassembler les bouteilles et les flasques vides au centre de la pièce pour les jeter plus tard, loin du regard indiscret des domestiques.
Elle l'avait ensuite aidée à ramasser les vêtements qui jonchaient le sol puis s'était laissé coiffer et maquiller.
Elles passaient une bonne partie de leurs journées à se promener dans le jardin royal, à s'exercer dans la cour d'entraînement et se faufilèrent même une nuit en-dehors du palais pour se rendre, incognito, dans les ruelles animées de la capitale.
Azula découvrit ainsi un monde qu'elle ne connaissait pas. Après avoir passé un mois enfermée dans sa chambre, seule, elle se sentit un peu étourdie de voir autant de monde autour d'elle. Le son des rires, la voix des vendeurs qui alpaguaient les clients, la musique et les rires gras des clients qui leur parvenait des tavernes, lui parurent aussi étrangers que si elle les entendait pour la première fois.
Son père n'avait jamais accepté de la laisser déambuler dans ces rues le soir, sans une solide escorte et un motif valable. Après tout ce n'était pas la place d'une princesse.
Zuko s'était lui aussi montré assez réticent à l'idée de la laisser s'aventurer seule en ville et jusqu'ici, elle n'en avait guère ressenti le désir, sachant déjà l'opinion que le peuple avait d'elle depuis son retour.
Ce soir-là, Ty Lee proposa de l'accompagner pour voir les lanternes allumées par les habitants de la capitale à l'approche du solstice. Chaque année, en juin, pendant une semaine, les citoyens de la Nation du Feu accrochaient des lampions partout, à leur fenêtre, sur les portes des échoppes et des restaurants, sur le bord des fontaines, pour célébrer l'arrivée imminente du plus long jour de l'année où les maîtres du feu étaient à l'apogée de leur puissance.
Ces milliers de petites lanternes étaient supposées baigner la ville d'une lueur permanente pour suggérer l'idée d'un jour sans fin où la nuit ne tombait jamais.
Azula se souvenait avoir souvent supplié sa mère de l'emmener les voir lorsqu'elle était petite mais Ursa lui avait dit qu'elle était trop jeune pour errer le soir dans les rues de la capitale et elle avait emmené Zuko, surexcité, qui en était revenu en lui décrivant avec passion chaque seconde de la soirée formidable qu'il avait passée :
« On dirait des petites lucioles Zula ! Des milliards de petites lucioles qui volent partout autour de nous ! C'est formidable, tu devrais voir ça ! Après, Maman et le Capitaine des gardes m'ont emmené manger des brochettes marinées dans une échoppe tenue par un vieillard édenté effrayant ! Tu l'aurais vu Zula, tu aurais hurlé de terreur ! Et les brochettes ? Un régal ! Je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon ! La prochaine fois, on ira ensemble et tu verras ! »
Dévorée par la jalousie, Azula avait fini par embraser le bout de ses doigts et avait brûlé les culottes de Zuko qui était parti en hurlant et en larmes.
Elle avait été punie et privée de rejoindre Maman et Zuko dans le petit salon pendant une semaine à l'heure des contes.
C'est donc avec un mélange confus d'amertume et de fascination qu'elle découvrit, aux côtés de Ty Lee, l'ambiance un peu surnaturelle créée par les milliers de petites lueurs qui dansaient autour d'elles, et les lampions colorés aux motifs variés accrochés un peu partout dans la ville.
Après avoir acheté un sachet de beignets particulièrement gras qu'elles partagèrent sur le chemin, Ty Lee l'entraîna à travers les rues jusqu'à une petite place faiblement éclairée par des lampions et des guirlandes accrochées entre les toits. Au centre se dressait une baraque miteuse tenue par la vieille femme la plus ridée qu'elle eût jamais vue. Derrière elle, sur les rayonnages, étaient empilées des centaines de lanternes de tailles variées, certaines déjà peintes, d'autres encore intactes.
Sous le regard déconcerté de la princesse, Ty Lee acheta deux lanternes vierges et, après avoir emprunté à la vieille une panoplie de pinceaux et de bouteilles d'encre aux couleurs variées, elle la prit par la main et la mena jusqu'à une petite table où étaient déjà assis une demi-douzaine d'enfants. Accompagnés parfois d'un parent, d'un grand frère ou d'une grande sœur, ils recouvraient de dessins maladroits et de couleurs vives la surface en papier froissé de leur lampion, avec un enthousiasme frôlant l'indécence.
Azula se demanda si Maman et Zuko avaient décoré un lampion ensemble eux aussi, sur cette même place, des années auparavant. Sans doute pas. Sinon, ils lui auraient rapporté un lampion, n'est-ce pas ? Ils savaient à quel point elle les aimait.
Ty Lee invita Azula à s'asseoir avec eux et se plaça sur le banc face à elle. D'abord un peu gênée de se prêter à un rituel aussi puéril, Azula observa Ty lee qui étalait déjà une grosse couche d'encre bleue sur son lampion. Elle se saisit donc d'un pinceau et choisit les couleurs qu'elle utiliserait. Elle se prit finalement au jeu et le papier froissé fut bientôt recouvert de petits dessins et motifs variés : soleils, dragons, fleurs, oiseaux et arabesques compliquées aux couleurs variées recouvrirent bientôt la surface ridée de son lampion.
« Tu as toujours été si douée pour le dessin » ! s'enthousiasma Ty Lee, face à elle, le visage encadré par ses deux mains et qui admirait son travail, son propre lampion grossièrement peint séchant à côté d'elle.
C'était vrai. Azula aimait les activités qui exigeaient de la précision et de la patience. A l'Académie, ses maîtres avaient été stupéfaits par la qualité et le raffinement de ses estampes. Elle se souvint que l'un d'eux avait fait son éloge auprès de Père un jour. Elle devait avoir sept ou huit ans.
Père avait eu l'air mécontent et avait laissé échapper un petit reniflement méprisant avant de rétorquer à son professeur de dessin qui s'était ratatiné sur place : « Ma fille est un prodige de la maîtrise du feu. Elle a bien trop de talent pour perdre son temps avec des disciplines aussi futiles et dérisoires que la vôtre. »
A compter de ce jour, Azula avait cessé de dessiner et de peindre devant Père. Elle s'y consacrait parfois pendant son temps libre ou durant la nuit. Éclairée par une petite lanterne qu'elle emportait avec elle dans son lit et allumait à l'aide de sa propre maîtrise, elle passait des heures à tracer sur des morceaux de parchemin, des petits traits au fusain ou à l'encre de Chine. Elle dissimulait ses œuvres dans son coffre et en gardait parfois une qu'elle offrait à Maman, quand Papa n'était pas là pour le voir.
Ursa la remerciait, jetait un œil distrait à son dessin, la félicitait et reposait rapidement le parchemin sur le guéridon à côté de son siège, puis reportait son attention sur le travail de Zuko qu'elle complimentait avec enthousiasme.
Sur la petite place, l'exclamation de Ty Lee avait attiré l'attention d'une petite fille assise à côté d'elle. L'enfant poussa un grand cri admiratif en contemplant l'œuvre d'Azula qui observait maintenant son lampion en le tenant au-dessus d'elle pour s'assurer qu'il ne manquait rien.
« Maman, piaffait la petite fille, maman, viens voir ce que la jolie dame a fait ! »
La mère, une petite femme replète au visage bienveillant, s'approcha en souriant et félicita Azula.
« Maman, reprit la petite fille surexcitée, s'il-te-plaît, tu peux lui demander de peindre la mienne ?
– Voyons Yuki, la sermonna sa mère, la demoiselle n'a probablement pas envie de peindre ton lampion. Son travail a déjà dû lui prendre beaucoup de temps ! C'est tellement détaillé et précis !
– Donne moi ton lampion », dit Azula à la dénommée Yuki en tendant sa main vers elle.
Les yeux pétillants, la petite fille posa sa lanterne entre les mains d'Azula et s'assit à côté d'elle pour la regarder travailler, si près qu'Azula avait du mal à voir ce qu'elle faisait.
Ty Lee observait la scène avec un grand sourire, ses yeux gris brillant d'émotion.
Attirés par les cris de joie de la petite Yuki, tous les enfants s'étaient approchés et bientôt, Azula fut entourée d'une joyeuse foule bruyante et admirative qui contemplait son œuvre avec de grands yeux ronds.
« Tiens, dit Azula à la petite fille quand elle eut achevé son travail. Prends-la délicatement par l'arceau sans la toucher pour laisser le temps à la peinture de sécher. »
Yuki la remercia chaleureusement, ainsi que sa mère. Et quand elles s'éloignèrent, tous les autres enfants se précipitèrent en même temps sur Azula pour lui demander de dessiner quelque chose sur leur lanterne.
Azula n'avait pas l'habitude des enfants et n'était pas accoutumée à ce que l'on se presse autour d'elle comme cela. Un peu effrayée, elle tourna la tête vers Ty Lee pour lui demander silencieusement de l'aide. Mais son amie souriait d'une oreille à l'autre et recula d'un ou deux pas, signifiant ainsi son intention de la laisser se tirer elle-même de cette situation fâcheuse.
« Bien, bien ! » finit par crier Azula. Un dessin chacun, pas plus !
Des cris de joie accueillirent cette annonce et Azula se trouva à nouveau sur son banc, son pinceau à la main, entourée d'une demi-douzaine de têtes brunes, qui demandant un lion, qui exigeant un bison volant, qui réclamant ou un soldat chevauchant un komodo-rhino.
Quand elle eut fini, elle se leva et tous les enfants repartirent, fous de joie, leur lanterne respective à la main.
« Tu t'en es drôlement bien tirée ! la félicita Ty Lee tandis qu'Azula faisait craquer ses doigts un peu endoloris après un travail si minutieux. Viens, allons libérer nos lanternes, c'est presque l'heure ! »
Chaque nuit, lors du festival du Solstice, à minuit, des lanternes étaient lâchées dans le ciel au bord du canal ou sur la plage.
Ty Lee et Azula se rendirent sur les quais du canal où une foule d'hommes, de femmes et d'enfants aux mines joyeuses se pressait déjà, prêts à libérer leur lanterne dans le ciel étoilé.
Azula tenait fermement sa propre lanterne dans sa main, un peu inquiète.
Que dirait Père s'il la voyait ? Il aurait détesté la voir participer à une fête populaire au milieu de tous ces rustres. Jouer les animatrices de rues entourée d'une ribambelles de petits morveux pouiIleux. Il l'aurait sans doute enfermée dans sa chambre pendant des jours et l'aurait privée de repas, comme lorsqu'il avait trouvée en train de jouer avec le fils du cuisinier à faire des ricochets sur la surface ridée de la mare dans les jardins entourant le palais.
Il n'aimait pas qu'Azula se laisse distraire. Elle devait en tout point être parfaite et rien ne devait la détourner de son travail. Il y veillait scrupuleusement.
« C'est le moment Azula, lui dit Ty Lee en posant une main sur son épaule, la tirant de sa rêverie.
Azula secoua la tête pour reprendre ses esprits et, une pointe de culpabilité lui serrant le cœur, elle alluma la petite bougie de sa lanterne. Une petite flamme bleue et vacillante brilla un instant avant de prendre une teinte orangée normale. Elle embrasa de la même façon celle de Ty Lee et en même temps, elles lâchèrent leur lanterne.
Des centaines de petites taches lumineuses s'envolèrent tout en même temps dans ce ciel d'été. Azula suivit la sienne des yeux mais elle se mêla vite aux autres qui montaient lentement vers les cieux. Elle plissa légèrement les yeux pour ne plus voir que leur lueur qui s'élevait vers les hauteurs de la Caldera. De cette manière elles avaient l'air de...
« On dirait des petites lucioles Zula ! La prochaine fois on ira ensemble et tu verras ! »
Les larmes roulèrent sur ses joues avant qu'elle ait pu les retenir.
Quelques mois plus tôt, Zuko lui avait promis de l'emmener au festival des lanternes.
C'était lui, et non pas Ty Lee, qui aurait dû se trouver à ses côtés en ce moment.
Alors qu'elle retenait un sanglot, elle sentit la main de Ty Lee se glisser dans la sienne et, sans quitter des yeux le ballet céleste des lanternes, elle la serra.
Silencieux, le Seigneur du Feu se tenait à l'ombre des galeries qui bordaient le jardin royal. Il transpirait abondamment sous sa lourde robe cramoisie à manches longues et aux multiples couches. Il pestait intérieurement contre les traditions qui imposaient aux souverains le port de cette tenue censée le rendre intimidant aux yeux de tous.
Le temps semble venu pour un petit décret, songea-t-il en regardant la cour baignée de soleil.
A l'époque du solstice, dans la Nation du Feu, les températures atteignaient souvent des records et même un maître du feu tel que lui peinait à supporter la canicule.
Il aurait préféré retourner dans ses appartements pour se changer avant de recevoir Mai, mais le meeting de ce matin avait largement débordé sur son emploi du temps et il n'avait même pas eu le temps de déjeuner.
Il n'avait pas vraiment faim de toute façon.
Depuis les événements avec Azula, il avait perdu l'appétit. Il se contentait généralement d'une soupe et de quelques fruits lors des soupers rutilants qui lui étaient servis chaque soir et il se sentait parfois un peu coupable de voir repartir vers les cuisines les plats chargés de mets extraordinaires encore intacts.
Le cuisinier continuait de faire à manger pour quatre alors que cela faisait déjà plus d'un mois qu'il prenait ses repas en solitaire.
Azula se faisait toujours porter ses plats dans sa chambre et si Ty Lee l'avait parfois accompagné à dîner, elle restait la plupart du temps auprès de la princesse.
Il était soulagé que sa sœur ait si bien accepté la présence de son amie et Ty Lee lui avait assuré qu'elle allait déjà un peu mieux. La princesse avait apparemment accepté de sortir de ses appartements et se rendait parfois dans les jardins ou dans la cour d'entraînement.
Cependant elle continuait de l'éviter soigneusement et ils ne s'étaient jamais croisés depuis l'arrivée de Ty Lee.
Il supposait qu'Azula n'avait pas dû parler à Ty Lee de ce qui s'était passé entre eux, à en juger par l'attitude de la jeune acrobate qui se montrait aussi cordiale que d'habitude en sa présence. Il se demandait ce que sa sœur avait pu lui raconter pour justifier son étrange comportement et les mutilations qui, d'après Ty Lee, étaient apparemment toujours nettement visibles sur ses avant-bras.
Zuko avait exigé de Ty Lee un rapport détaillé de l'état mental et physique d'Azula. Chaque soir, quand Azula se rendait dans le spa royal, Ty Lee venait le retrouver et lui faisait son compte-rendu. Il n'était pas certain toutefois que la loyauté de la guerrière Kyoshi envers lui rivalise avec l'amitié qui la liait à la princesse. Ses rapports étaient assez vagues et Zuko avait parfois l'impression que Ty Lee lui cachait des informations.
Mais en attendant, il était soulagé de savoir que quelqu'un veillait sur sa petite sœur et qu'elle ne risquait plus d'entreprendre quelque chose d'irrationnel ou de se faire du mal à nouveau.
Il sortit de sa poche la grosse montre à gousset offerte par Teo deux ans auparavant et sa mine se renfrogna en voyant qu'il attendait Mai depuis déjà plus d'un quart d'heure. Bien sûr, elle aurait cherché à le faire attendre. Il aurait largement eu le temps d'aller se changer et de choisir une tenue plus informelle.
Ignorant dans quel état d'esprit elle venait à lui, il s'inquiétait qu'elle interprétât mal le fait d'être reçue de façon aussi solennelle par son propre mari.
La gorge sèche, il écarta avec un doigt le col de sa robe pour essayer de s'aérer un peu.
Il s'apprêtait à se rendre dans la cour pour aller puiser un peu d'eau à la fontaine quand une jeune servante arriva en trottinant vers lui et s'inclina profondément.
« Seigneur Zuko, annonça-t-elle, on ma dit de vous informer que Dame Mai se trouve dans vos appartements et qu'elle vous y attend
– Dans mes appartements ? Mais, dans sa lettre, elle me demandait de la retrouver ici… » balbutia-t-il, un peu déconcerté.
La jeune femme se contenta de le regarder avec de grands yeux ronds, en silence.
Zuko la remercia et la congédia d'un geste de la main avant de prendre la direction de sa chambre d'un pas pressé.
Sans doute Mai voulait-elle que leur conversation reste privée. Il ne savait pas si c'était bon signe ou non. Intérieurement, il fulminait : aurait-ce été trop lui demander que d'indiquer dans sa lettre le motif de sa visite, afin au moins qu'il sût à quoi s'attendre ?
Allait-elle rompre ? Lui demander pardon ? Le faire chanter ?
Zuko ne savait plus très bien quoi penser au sujet de Mai. Il l'aimait, c'était la seule certitude. Il se sentait misérable de l'avoir ainsi blessée et humiliée.
Étant lui même la cible de rumeurs sordides, il ne pouvait que trop facilement se représenter ce que devait ressentir Mai qui devenait au yeux de tous la femme trompée d'un homme qui lui préférait sa propre sœur.
A qui la faute? pensa-t-il sombrement alors qu'il tournait au coin menant à l'aile est du palais.
Mai ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Elle avait sa part de responsabilité dans le cataclysme qui avait déferlé sur leur vie.
Certes Zuko aurait dû être plus honnête avec elle, dès le début, et sans doute aurait-il dû se montrer beaucoup plus ferme avec Azula, dès les premiers signes.
Mais il avait eu peur de la froisser. Sa sœur était encore fragile et il savait qu'elle vivait mal toute forme de rejet. Il n'avait pas voulu lui faire de peine en refusant son invitation à rester auprès d'elle, juste quelques heures de plus.
Azula menait une vie si solitaire. Lorsque Ty Lee était absente, ce qui était le cas la plus grande partie de l'année, Azula n'avait personne d'autre avec qui partager des moments de convivialité.
Bien qu'il en eût été surpris, il devait reconnaître qu'il avait apprécié tout d'abord, la tendresse inattendue qu'elle lui témoignait. Il s'était réjoui de pouvoir enfin, pour la première fois depuis l'enfance, prendre sa petite sœur dans ses bras, tenir sa main dans la sienne ou la faire danser, en toute innocence.
Il n'avait jamais eu de pensées déplacées à l'esprit. Jamais, jusqu'à cette soirée affligeante.
Mais il était bien déterminé à en finir avec ces rêveries abjectes. Sa conversation avec Taïma avait eu le mérite de l'en convaincre.
Pour le bien d'Azula comme pour le sien, il devait se montrer intransigeant.
Il arriva enfin devant sa chambre dont la porte, gardée par deux sentinelles en armure, était ouverte.
Il la vit tout de suite, debout au centre de la pièce, ses lourde frange noire qui barrait son front, les mains cachées dans ses larges manches, comme à son habitude.
« Mai… »
Ce fut tout ce qu'il trouva à dire.
D'un coup, il oublia tout ce qu'il avait eu l'intention de lui dire. La voir, là, dans la pièce où ils avaient partagé tant de moments heureux, fit surgir en lui une vague d'émotions variées. Colère, joie, espoir, ressentiment… Il nota qu'elle avait noué ses cheveux de la manière qu'il aimait tant : la plus grande partie de ses cheveux ramenés dans sa nuque et maintenus par une pince, des mèches noires s'échappant de part et d'autre de son cou et de ses oreilles ornées des boucles en or qu'il lui avait offerte pour l'anniversaire de leur mariage.
« Ferme la porte », ordonna-t-elle.
Il obéit instantanément et se retourna vers elle, attendant de voir ce qu'elle allait dire.
« Tu as une mine épouvantable, lança-t-elle d'un ton sec en le fixant intensément.
– Toi aussi », rétorqua-t-il aussitôt.
Ils échangèrent un long regard pénétrant. Zuko se demanda si, comme lui, Mai avait ressenti le besoin de se mordre l'intérieur des joues pour se retenir de rire.
Il avait toujours aimé son franc-parler et l'acidité de ses sarcasmes, même si parfois, ces derniers lui rappelaient péniblement la manière dont Azula s'adressait à lui.
Le silence qui s'était installé entre eux sembla s'éterniser. La tension était à son comble et la chaleur qui régnait dans la pièce n'aidait pas Zuko à ressembler suffisamment ses idées pour trouver ce qu'il pourrait bien dire.
Je suis désolé ? Pardonne-moi ? C'est ta faute ? Tu as eu tort d'agir ainsi ? Je t'aime ?
Sa bouche s'ouvrit lentement, prête à vocaliser l'un ou bien l'ensemble de ces énoncés qui seraient de toute façon trop creux, n'effaceraient rien à l'horreur de ce qu'il avait fait, ni ne gommeraient le sentiment persistant de trahison qu'il éprouvait quand il pensait à ce qu'elle avait fait.
Mais elle parla la première.
« Si tu le veux, je suis prête à revenir. Mais si tu n'en es pas sûr, je repartirai et tu n'entendras plus parler de moi. C'est à toi de décider. »
Il fit un pas hésitant vers elle. Mais sa voix était assurée quand il répondit : « Bien sûr que je veux que tu reviennes. »
Mai s'avança elle aussi dans sa direction. Ils se trouvèrent bientôt face à face, suffisamment près l'un de l'autre pour se toucher.
« Mai, essaya-t-il, l'autre soir, lors de mon anniversaire, avec Azula… je te dure que…
– Je ne suis pas venue pour parler d'elle. Je suis venue te demander si tu étais prêt à essayer de me reconquérir. »
Zuko s'approcha encore de quelques centimètres. Elle ne le repoussa pas quand il passa ses mains autour de sa taille. L'odeur de son parfum l'assaillit soudain, convoquant avec lui une vague de sensations familières et de souvenirs heureux. C'était le même parfum qu'elle avait porté pour leur première fois, peu après son retour d'exil, et pour leur nuit de noces. Il ferma doucement les yeux pour se repaître de ces effluves enivrantes.
Il enfouit son visage dans sa chevelure noir de jais et murmura :
« Par tous les moyens...
– Alors prouve-le moi », chuchota-t-elle à peine moins bas en rapprochant son visage du sien.
Les lèvres de Zuko capturèrent aussitôt les siennes tandis qu'il plaquait ses deux mains de part et d'autre de son visage fin. Réduisant la distance entre leur deux corps, il la serra fermement contre lui.
Déjà les mains impatientes de sa femme retiraient la cape et les lourdes épaulettes en cuir qui recouvraient le haut de sa robe d'apparat, pendant que celles de Zuko se frayaient un chemin sous le bustier de celle de Mai. Quand il sentit les doigts de Mai jouer autour de sa ceinture, il la relâcha pour l'aider à se débarrasser des surépaisseurs de vêtements qui la séparaient encore de sa peau. Bientôt, il fut torse-nu et ses mains retrouvèrent leur place sous la robe de Mai qui inspira brusquement quand il se pressa contre elle afin de lui apporter la preuve de son désir croissant.
Sans attendre, Zuko la poussa jusqu'au lit et s'allongea sur elle, couvrant son cou de baisers ardents, chacun d'eux causant à Mai un long frisson.
Oubliées pour un moment les haines et les rancœurs. Oubliées la méfiance et l'amertume.
Quand, quelques minutes plus tard, il tint son corps nu et mince dans ses bras, et qu'il se glissa en elle, quand leur deux corps ne firent plus qu'un, pour la première fois depuis longtemps et bien qu'il n'eût pas quitté le palais depuis des mois, il se sentit enfin à la maison.
« Il n'en est pas question Ty Lee, n'insiste pas ! »
– Allez Azula, s'il-te-plaît, ça te changera vraiment les idées, tu verras !
– Il n'est pas question que je m'abaisse à fréquenter des garçons d'un rang inférieur au mien simplement pour oublier ce qui s'est passé.
– De quoi parles-tu ? Le seul homme dans la Nation du Feu qui n'ait pas un rang inférieur au tien, c'est Zuko ! »
Azula se tut et croisa les bras sur sa poitrine.
Comment Ty Lee pouvait-elle avoir l'audace de lui faire une telle proposition ? Qu'elle sorte si elle le voulait avec son nouvel amant, mais qu'elle ne l'implique pas dans ses aventures sordides !
Au moins aurait-elle le champ libre ce soir et pourrait-elle se faire monter une carafe de ce vin si prometteur qui leur avait été servi au dîner et que Ty Lee avait versé dans la cuve de sa salle de bain avant même qu'elle ait pu y goûter.
Elle aimait beaucoup Ty Lee mais l'avoir sur le dos en permanence, entendre ses sermons au sujet de la manière dont elle gâchait sa vie en restant cloîtrée dans le palais, l'entendre lui reprocher son penchant pour les bons vins et subir ses conseils stupides pour attirer les garçons, la poussaient parfois au bord de la crise de nerfs.
Depuis deux jours déjà, Ty Lee la suppliait de l'accompagner le soir, comme elles l'avaient fait pour la fête du Solstice, pour aller danser dans les rues avec les jeunes gens de la Caldera.
Assise sur son lit, elle était occupée à peindre les ongles de ses orteils à l'aide d'un vernis écarlate. Ty Lee, debout devant elle sur le sol recouvert de tapis, trépignait littéralement.
« Tu veux vraiment me voir me trémousser comme une idiote au bras d'un roturier dans une ruelle puante de la Caldera ? répondit-elle férocement.
– Je te l'ai déjà dit ! Ce n'est pas un roturier : son père est militaire et lui-même est sur le point de s'engager dans la marine ! Il est grand, fort et musclé, comme tu aimes ! Je suis sûre que tu vas l'adorer !
– Est-ce que je t'ai déjà donné l'impression d'apprécier un seul des imbéciles que tu as voulu me présenter ?
Ty Lee s'approcha et, sans y être invitée, vint s'asseoir auprès d'elle sur son lit, faisant trembler momentanément la main d'Azula qui tenait le pinceau. Un peu de vernis glissa sur la peau de son gros orteil et elle jeta un regard assassin à son amie.
Celle-ci fit mine de l'ignorer :
« Azula, si tu ne viens pas, Hikaru va me prendre pour une idiote ! Je lui ai promis de venir avec une amie ! Il va tout de suite comprendre que je veux sortir avec lui si je viens seule !
– Et depuis quand est-ce un problème ? demanda Azula, sceptique en arquant un sourcil.
– C'est un timide ! Il n'a accepté de venir qu'accompagné de son ami. J'ai peur qu'il prenne la fuite si je suis trop entreprenante.
– Ah oui ? » répondit Azula en reportant son attention sur son orteil qu'elle essuya minutieusement à l'aide d'un petit bout de tissu et d'un produit contenu dans une minuscule fiole en verre posée sur le lit à côté d'elle. « Peut-être devrais-tu t'interroger sur ses véritables penchants ?
– Arrête un peu Azula ! Je sais que je lui plais mais il a juste besoin que les choses se fassent en douceur ! Il va être furieux si je ne t'emmène pas. Son ami compte sur toi !
– Vas-y avec quelqu'un d'autre ! Je te prête Sanae ! Je n'ai pas besoin d'elle ce soir. Prends-là, coiffe-la bien et habille-la mais laisse-moi en-dehors de tes histoires superficielles ! »
Sanae, l'une des demoiselles de compagnie d'Azula, était la fille d'un noble entrée à son service l'année précédente. La jeune fille était terrorisée par la princesse et Azula adorait la tourmenter quand elle en avait l'énergie. Mais elle savait que Ty Lee l'aimait bien et se comportait parfois en grande sœur avec elle. Cette amitié naissante l'exaspérait au plus haut point.
Mais si ça peut me débarrasser de la corvée ce soir...
« Sanae ? Elle a quinze ans, Azula !
– Oh ! Je t'en prie Ty Lee, tu étais plus jeune qu'elle quand tu as commencé à sortir avec des garçons...
– Je ne vais pas y aller avec Sanae. Son père serait furieux après moi ! Je t'en prie Azula, c'est avec toi que je veux y aller ! J'aurais bien demandé à Mai, mais elle est mariée, c'est beaucoup plus délicat ! Et puis je doute qu'elle accepte de quitter Zuko de toute façon maintenant qu'ils viennent de se retrouver. »
Azula étai occupée à revernir l'ongle de son gros orteil. Elle se crispa dans un mouvement si brusque que le pinceau lui échappa encore des mains et le produit brillant laissa une longue traînée sur toute la longueur de son orteil jusqu'à son pied. Elle sentit sa gorge se resserrer et c'est avec difficulté qu'elle demanda en se tournant vers Ty Lee :
« Qu'est-ce que tu as dit ? Mai ? Elle… elle est revenue ?
– Oui ! s'exclama joyeusement Ty Lee. J'ai croisé le Général tout à l'heure ! Il m'a informée qu'elle était rentrée hier de ses vacances avec sa famille sur l'île de Braise ! Je peux toujours lui demander de m'accompagner ce soir, mais je ne crois pas que ce soit très convenable. C'est la femme du Seigneur du Feu quand même ! »
Azula s'aperçut qu'elle avait brusquement cessé de respirer. A côté d'elle, Ty Lee continuait de bavasser d'un air enthousiaste mais la princesse ne distinguait plus aucune de ses paroles. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine qu'elle sentait se contracter douloureusement. Sa gorge s'assécha tout d'un coup et elle sentit sa lèvre inférieure trembler de manière incontrôlée et le sang affluer vers ses joues.
« Est-ce que… est-ce que tu l'as vue ? parvint-elle à demander d'une voix un peu trop aiguë à son goût.
Trop occupée à retresser ses cheveux, Ty Lee ne nota pas le brusque changement d'attitude de la princesse.
« Non, apparemment elle est tout de suite allée retrouvée Zuko. Et d'après les gardes, ils n'ont pas quitté leurs appartements depuis hier après-midi. Ils avaient du temps à rattraper à mon avis, si tu vois ce que je veux dire ! plaisanta Ty Lee d'un air joyeux.
Les dents serrées et la mâchoire crispée, les sourcils froncés, Azula détourna le visage pour que son amie ne voie pas l'expression meurtrière qui devait déformer chacun de ses traits.
« A vrai dire je suis surprise que Mai soit partie aussi longtemps avec sa famille, poursuivit Ty Lee en adressant à Azula un sourire radieux auquel elle fut incapable de répondre. Ce n'est pas comme si elle s'entendait très bien avec eux. Je me suis même demandé un moment s'il ne s'était pas passé quelque chose entre eux. Zuko avait l'air si déprimé ces derniers jours ! Mais si ce que murmurent les gardes et les domestiques est vrai, alors je pense que je me suis inquiétée pour rien ! »
Azula ne dit rien. Les yeux résolument baissé sur ses pieds, les bras ballant de chaque côté de son corps, elle essaya de réfléchir.
Si Mai était de retour, cela ne pouvait signifier qu'une chose. Elle lui avait pardonné son incartade avec Azula. Et si Zuko avait accepté qu'elle revienne, alors quelles chances lui restait-il à elle ?
Aucune. Il n'y en a jamais eu. Il a été très clair : il ne veut pas de toi.
Pourtant elle ne parvenait pas à oublier son regard lorsqu'il l'avait tenue dans ses bras sur le divan de sa chambre, la lueur ardente dans ses iris dorés quand il la regardait se recoiffer devant le miroir, le contact de sa main glissant sur sa gorge. Elle ne pouvait pas l'avoir rêvé !
Et si c'était le cas ? Si elle avait imaginé tout cela ?
Il fallait qu'elle s'en assure. Il le fallait.
« Azula ? Tu es toujours là ? »
La question de Ty Lee la ramena brusquement à la réalité. S'efforçant de contrôler le tremblement de ses lèvres et le son de sa voix, elle tourna un regard déterminé vers son amie et lui dit :
« Tu sais quoi Ty ? Finalement je pense que tu as raison. Cette soirée me fera du bien. Tu peux dire à tes amis que je serai là. »
L'exclamation de joie qui jaillit des lèvres de Ty Lee fut accompagnée de la prévisible étreinte qui donna l'impression à Azula qu'elle lui broyait les côtes.
« Je t'adore ! hurla Ty lee en embrassant Azula sur les deux joues. Mais il faut qu'on se prépare, vite ! Je n'ai rien à me mettre ! Tu me prêterais l'une de tes robes ? » s'enquit-elle en joignant les deux mains en signe de prière, ses grands yeux suppliants braqués sur le visage impassible d'Azula.
« Prends ce que tu veux dans mon armoire. Je te retrouve après. Je dois aller voir quelqu'un ».
Et sans davantage d'explications, elle laissa une Ty Lee surexcitée qui sortait déjà des tenues de la grande armoire en bois blanc et quitta la pièce d'un pas décidé.
Dans le patio ombragé, Zuko et Mai étaient confortablement installés sur le canapé. Mai avait étendu ses jambes devant elle et les laissait reposer sur les genoux de Zuko qui les caressait distraitement sans la lâcher des yeux. Mai affûtait la lame déjà tranchante de l'un de ses multiples couteau sur sa pierre à aiguiser favorite, celle qu'il lui avait offerte lors de son dernier anniversaire.
Il n'arrivait pas à croire à son retour. Il ne s'était pas senti aussi léger, ni aussi heureux depuis des semaines. Lui et Mai n'avaient pas vraiment pris le temps de parler d'Azula, ni de la trahison de Mai et il n'était pas du tout pressé d'aborder ces sujets déplaisants.
– Votre Majesté ? Dit une petite voix timide juste derrière eux.
Zuko tourna la tête pour découvrir la domestique qui s'inclinait devant eux, un tablier noué autour de ses hanches. Il fit un signe de la tête pour l'inviter à parler.
« La princesse demande à être reçue par Vos Majestés, annonça-t-elle sans lever les yeux vers eux.
– La princesse ? Répéta-t-il bêtement, complètement pris au dépourvu.
Son regard affolé croisa celui de Mai qui avait cessé d'aiguiser son couteau et le considérait gravement, attendant de voir comment il allait réagir.
Comment était-il possible, qu'en six semaines, il n'ait eu l'opportunité de parler que deux fois à Azula et que chaque fois, Mai était présente ?
C'était à se demander si sa sœur ne le faisait pas exprès.
« Dois-je lui dire d'entrer Sire ? »
– Eh bien, euh, je… balbutia-t-il en continuant d'interroger Mai du regard.
Apparemment sa femme n'était pas déterminée à l'aider. Elle attendait toujours, le visage impassible qu'il prenne lui même sa décision.
« La princesse insiste beaucoup Sire…
– Eh bien oui… qu'elle entre alors. », ordonna-t-il d'une voix chevrotante qui manquait cruellement de conviction.
La petite servante s'inclina à nouveau et disparut rapidement.
Zuko se leva, obligeant Mai à retirer ses jambes et à s'asseoir. Elle se leva à son tour pour accueillir leur invitée.
Quelques secondes plus tard, Azula apparut, vêtue d'une robe longue traditionnelle, coiffée d'un demi-chignon haut qui laissait retomber ses cheveux sur ses épaules. Elle portait sa couronne en forme de trident et son visage arborait le sourire familier que Zuko assimilait généralement à des ennuis imminents.
– Mai ! Quel plaisir de te revoir ! Je n'en croyais pas mes oreilles quand Ty Lee m'a dit que tu étais de retour. Comment était ton séjour sur l'île de Braise ?
Mai ne répondit pas et se renfrogna.
Pas gênée du tout, Azula s'approcha d'eux. Elle donna une rapide accolade à Mai qui n'avait sans doute jamais été aussi tendue. Et quand elle fut prêt de Zuko, Azula posa une main sur son épaule.
« Mon frère chéri, le salua-t-elle, une lueur incandescente animant ses yeux orangés.
Une bouffée de parfum de jasmin l'enveloppa tandis qu'elle se redressait sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue. Il ne put s'empêcher de rougir furieusement et évita le regard de Mai, braqué sur lui.
Heureusement Azula s'éloigna rapidement et se dirigea vers le divan sur lequel elle s'allongea confortablement, à peu près dans la même position que Mai quelques secondes avant.
Avisant la corbeille de fruits placée sur la table basse juste devant elle, elle se servit une poignée de cerises et leva à nouveau les yeux vers eux, une joie hypocrite s'étalant sur son visage.
« Je suis tellement heureuse de vous voir tous les deux. Les rumeurs qui circulaient au sujet de ton départ, Mai, m'ont beaucoup contrariée. Heureusement que je te connais assez pour savoir que jamais tu n'abandonnerais Zuzu dans une situation aussi fâcheuse. »
Zuko risqua un regard vers Mai. Malgré tout ses efforts pour afficher un visage impavide, il devinait qu'elle fulminait intérieurement.
« Pourquoi es-tu là Azula ? demanda-t-il d'un ton brusque.
Azula fit semblant de s'étouffer et prit un air étonné en se redressant brusquement :
« Enfin Zuzu, je n'allais pas rester cloîtrée dans ma chambre alors que tout le monde célèbre le retour tant attendu de la Dame du Feu ! Je suis la sœur du Seigneur du Feu, c'est mon devoir de recevoir son épouse et de l'aider à se sentir chez elle.
– Je me sens parfaitement chez moi Azula, répliqua Mai, ne t'inquiète pas pour moi.
– Oh mais loin de moi cette idée. »
Et elle soutint le regard de sa belle-sœur. En cet instant, Zuko qui se trouvait entre les deux aurait souhaité être un maître de la terre pour pouvoir disparaître instantanément dans le sol. Azula n'était entrée que depuis une minute et la tension dans le patio était déjà à son comble.
« Alors ? Que faites-vous d'intéressant en cette magnifique journée d'été ? demanda-t-elle en reprenant une nouvelle poignée de cerises qu'elle mangea l'une après l'autre, mordant dans leur chair et mastiquant avec une lenteur délibérée, sans détourner d'eux ses yeux de braise.
– Comme tu le dis si bien, nous profitons de nos retrouvailles. La nuit n'a pas suffi à nous satisfaire.
– Mai ! s'exclama Zuko, livide.
Mais Azula, loin de paraître jalouse, rit de bon cœur , s'étira et passa négligemment un bras sur le dossier du divan.
– Cela ne m'étonne pas de notre Zuzu ! Tu es mieux placée que personne pour le savoir. Je me demande encore comme il a tenu aussi longtemps sans toi. Tu n'as pas une petite idée, Mai ?
Une expression meurtrière passa dans les yeux bridés de Mai. Il était temps d'intervenir s'il ne voulait pas que le soleil ce soir se couche sur un bain de sang ou un tas de cendres.
« Azula, dis-nous ce que tu veux et va-t-en ! Tu n'es pas la bienvenue !
– Ne sois pas grossier, Zuzu. Tu ne m'as même pas proposé à boire. Il fait une telle chaleur...tu ne voudrais pas que l'on murmure que le Seigneur du Feu a laissé sa petite sœur mourir de déshydratation ?
Contenant sa rage, Zuko claqua des doigts et la petite servante fut instantanément à ses côtés.
« Apportez un verre d'eau à ma sœur, commanda-t-il.
– Mmh, je crois que je préférerais un jus de mangue-goyave pressé, bien frais. Mettez-y beaucoup de glaçons. Allez !
La domestique s'inclina profondément devant Azula et partit à pas pressés en direction du palais.
Zuko se tourna vers Azula qui les regardait à nouveau d'un air satisfait. De la fumée commençait à s'échapper des jointures de ses doigts et de ses narines.
Azula s'étira encore et bâilla ostensiblement puis reprit une cerise entre ses doigts. Elle la fit tourner un moment entre son pouce et son majeur avant de la porter à sa bouche peinte de la même couleur écarlate.
Zuko déglutit avec difficulté.
« La soirée s'annonce magnifique, reprit Azula après un long silence, quel bonheur de savoir que chacun d'entre nous va la passer en si bonne compagnie !
– Que veux-tu dire ? demanda Mai qui n'avait visiblement pas pu s'en empêcher.
Azula replia un bras derrière sa tête et s'inclina contre un coussin du divan :
« Vous deux, ici, Ty Lee et son nouveau soupirant… moi et ce jeune militaire fringant qu'elle va me présenter…
Zuko se mordit l'intérieur des joues pour ne pas trahir sa réaction. De quoi parlait-elle encore ? Ce fut Mai qui posa la question qui lui brûlait les lèvres.
– Quel militaire ?
– Ty Lee et moi sortons danser ce soir. Oh mais j'oubliais ! Quelle étourdie je fais ! C'est pour cela que je venais te trouver Zuzu. J'avais besoin de l'autorisation officielle du Seigneur du Feu pour m'aventurer hors du palais ce soir. »
Zuko resta muet et la considéra un moment. Une vague de haine et de fureur l'étreignit.
Sa réponse était toute prête, mais il ne pouvait pas la formuler devant Mai.
Comment justifier un refus auprès de sa femme ?
Le souvenir d'une ancienne conversation avec Ty Lee lui revint en mémoire :
« Elle n'est pas ta prisonnière Zuko. Tu dois la laisser vivre sa vie ! Son univers ne peut pas se résumer à toi ! »
Quand il retrouva enfin l'usage de la parole, tout ce qu'il trouva à dire fut : « Danser ? » sur un ton incrédule. Il imaginait mal Azula se trémoussant dans les rues au rythme d'un air populaire.
« D'après ce que Ty Lee m'a dit, c'est un excellent cavalier et un maître du feu prometteur. Peut-être pourrais-tu lui offrir un poste de garde impérial Zuzu ? Cela m'évitera d'avoir à m'encanailler dans les rues de la Capitale pour le rejoindre ?
– Les rues de la Capitale ? protesta-t-il en s'efforçant de rester indifférent à ses provocations. Vous ne restez pas dans la Caldera ?
– Je ne l'ai pas précisé ? Oh désolée Zuzu. Non, nous ne pouvons pas prendre le risque d'être reconnus. Je ne peux pas compromettre la réputation du Seigneur du Feu en me comportant comme une courtisane, n'est-ce pas ? Et puis vois-tu, ce garçon est déjà fiancé à la fille d'un noble. S'il est vu avec la princesse de la Nation du Feu, imagine un peu le scandale ! Nous serons plus tranquilles dans les rues bondées de la Capitale, incognito. L'ami de Ty Lee connaît un endroit parfait pour les couples qui ont besoin de rester discrets… si tu vois ce que je veux dire Zuzu... »
Zuko s'apprêtait à répondre mais Mai le précéda :
« C'est parfait Azula, très bien. J'espère que vous passerez une bonne soirée tous les quatre. Zuko se réjouit, comme moi, que tu t'amuses enfin.»
Zuko ravala ses paroles, comprenant qu'il n'avait pas son mot à dire et le regard assassin que lui lança Mai n'engageait pas vraiment à la contradiction.
Il essaya néanmoins : « Je serais plus tranquille si Kadao vous accompagnait.
– Zuko, objecta Mai. Ty Lee et Azula sont probablement deux des filles les plus dangereuses de la nation. A ta place je m'inquiéterais plus leurs éventuels agresseurs que pour elles ! »
C'était imparable. Il soupira et abdiqua d'un signe de tête.
Une seconde, l'idée de la suivre lui-même, dissimulé sous son costume de l'Esprit bleu, le traversa mais il la chassa aussitôt. Comment expliquerait-il son absence prolongée à Mai ?
« Parfait ! Nous sommes d'accord ! Je te souhaite une belle soirée Mai...» s'exclama Azula d'un ton joyeux en bondissant gracieusement sur ses pieds.
« Zuzu, poursuivit-elle en s'approchant de lui, une main sur son épaule, pour un nouveau baiser sur sa joue ravagée, ne t'inquiète pas...
Et se penchant vers lui, elle chuchota dans son oreille afin que lui seul puisse entendre :
« Je te promets un compte-rendu détaillé à mon retour. »
Zuko ferma les yeux pour lutter contre la vague d'émotions contradictoires que cette soudaine proximité et ces paroles insensées faisaient monter en lui. Il ne savait plus s'il voulait la repousser, la frapper jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse sur le sol, lui tordre les poignets... ou bien la serrer dans ses bras et enfouir sa tête dans son cou pour se repaître de son odeur de jasmin.
Et vous Zuko, qu'avez-vous ressenti ?
Il secoua la tête pour chasser de son esprit le souvenir de la conversation la plus inconfortable qu'il ait eue de toute sa vie.
Il savait que cette discussion avec Taïma allait sans doute faire émerger des pensées qu'il aurait préféré garder enfouies. Mais elle avait été nécessaire.
Il y voyait plus clair maintenant… Du moins était-ce le cas, jusqu'à ce qu'Azula fasse à nouveau son apparition et bouscule une nouvelle fois toutes ses certitudes.
Et encore un fois en présence de Mai.
« Bonne soirée les enfants ! » lança Azula en se retirant lentement.
Elle refusa d'un geste vague de la main le verre plein de jus de fruit que lui tendait la servante qui venait de surgir dans la pièce, un plateau chargé de verres, d'un pichet et d'un bol de glaçons dans les mains.
Il la suivit un moment des yeux, captivé par l'étincelant reflet du soleil sur sa couronne à trois pointes.
Puis elle disparut.
Zuko attendit un peu avant de se retourner pour affronter le regard de Mai qui, il en était certain, devait se tenir derrière lui , les bras croisés sur sa poitrine, une expression de haine pure brillant dans ses petits yeux en demi-lune, une lame meurtrière probablement serrée dans son poing.
