Chapitre 13 – Angoisse
Note de l'auteur : Ce chapitre est plus court que les autres. Je m'en excuse mais comme il était parti pour être très long et complexe, j'ai décidé de le couper en deux parties. Pas beaucoup d'actions ici mais de nombreux flashbacks et une plongée profonde dans la psyché d'Azula. J'espère que vous apprécierez.
AVERTISSEMENT : ce chapitre contient des descriptions plus ou moins explicites d'abus sur mineurs.
I remind you that from now on, I am publishing the English version at the same time as the French version. So those who don't read French, read the chapter on "Black Sun or The Taste of ashes" instead.
Enfin, pour ceux qui ne sont pas satisfaits et qui en voudraient plus, je publierai dans les prochains jours un "one shot" qui peut être considéré comme un prequel dans lequel j'explique comment la relation de Zuko et Azula s'est épanouie dans l'année qui a suivi son retour de l'asile. Vous le trouverez sous le titre : "L'Invitée" par noem1987 (si je ne change pas le titre d'ici là car je ne suis pas convaincue). Si vous ne voulez pas le manquer, vous pouvez cocher la case "Follow Author". Vous serez ainsi averti.
Chapter 13 - Angoisse
[Flashback – 7 ans plus tôt]
Était-ce elle qui se faisait des idées ou bien Père la regardait-il différemment depuis quelques temps ?
C'était arrivé progressivement. Elle ne l'avait pas vraiment vu venir.
Au début, c'étaient des coups d'œil furtifs qu'elle surprenait alors qu'il supervisait son entraînement. Avant, il la regardait dans les yeux, vérifiait sa posture et se contentait de lui expliquer oralement comment se perfectionner. Il se servait de son long bâton d'entraînement pour corriger la position de ses jambes et la touchait rarement, ou du moins, pas d'une façon qui la mettait mal à l'aise.
A présent, il la touchait beaucoup plus souvent, au moindre prétexte. Il lui semblait que ses larges mains aux longs doigts calleux s'attardaient un peu trop sur ses hanches lorsqu'il l'aidait à se replacer et elle sentait souvent son souffle chaud sur sa nuque quand il arrivait par derrière pour lui livrer des conseils.
Il était étrangement moins exigeant, moins sévère et n'usait plus du ton cassant qu'il employait avant pour lui faire remarquer ses erreurs. Sa voix se faisait plus caressante, plus douce. Quand il pensait qu'elle ne le voyait pas, les iris dorés de son Père, si semblables à ceux de Zuko, s'égaraient.
Depuis quelques temps des seins avaient commencé à lui pousser. Azula en avait d'abord été gênée. Ils lui faisaient mal et lui paraissaient un peu ridicules. Ils la gênaient quand elle courait ou sautait. On eût dit deux énormes boutons de moustique. Était-ce vraiment pour cela que les garçons venaient se presser au portail de l'Académie de filles à la fin des cours ?
Ty Lee lui avait raconté que parfois, des garçons donnaient rendez-vous à des grandes de l'école et qu'ils les attiraient dans un coin à l'écart pour qu'elles leur montrent leur poitrine.
En contemplant les siens, grotesques de petitesse, dans son miroir, elle se demandait si des garçons auraient envie eux aussi de les toucher, comme ceux de l'école. Cette pensée la faisait rougir. Elle ne comprenait vraiment pas ce qu'ils leur trouvaient.
Ni ce que leur trouvait Père.
Au début il n'y avait pas prêté attention. Mais après quelques mois, ses seins avaient connu une croissance fulgurante et Ozai s'en était finalement aperçu. Il faisait parfois des commentaires :
« Ton corps change, lui dit-il une fois, ton centre de gravité en est modifié. Tu dois apprendre à contrebalancer le poids de ta poitrine pour maintenir ton équilibre quand tu sautes »
Puis il s'avança vers elle et palpa sa poitrine une main pinçant ses seins, l'autre placée en bas de son dos.
Elle en avait été horriblement gênée. Le soir-même, en se regardant dans la glace, elle se rassura en se disant que ce devait être normal, qu'il était logique, en tant qu'entraîneur, qu'il constate des transformations physiques aussi évidentes et l'aide à s'en accommoder.
Comme sa mère n'était plus là, il était raisonnable également qu'il l'entretienne des changements que subissaient les filles au moment de la puberté. Enfin, probablement…
Une autre fois, il lui posa une drôle de question.
Elle était en train d'essuyer son front avec un coin de sa serviette. A cette époque, il lui enseignait l'art de générer des éclairs. Les entraînements étaient horriblement exigeants et difficiles. Souvent, en rentrant dans sa chambre, elle s'écroulait sur son lit et n'avait même pas la force de se changer. Elle s'endormait pour ne se réveiller que quelques heures plus tard. Elle se levait alors en pleine nuit, l'estomac vide, allait se laver et retournait se coucher, le corps pétri de courbatures douloureuses et couvert d'hématomes.
« Azula, l'interpella-t-il.
– Oui, Père ? répondit-elle en s'épongeant la nuque avec sa serviette.
Comme il ne disait rien, elle tourna la tête vers lui. Une drôle d'expression apparaissait sur son visage dur. Une expression indéchiffrable qu'elle ne lui avait jamais vue. Finalement, après quelques secondes, il parla :
– As-tu déjà saigné ? »
Elle cligna des yeux en signe d'incompréhension.
Pourquoi Père demandait-il si elle avait déjà saigné ? N'était-il pas mieux placé que quiconque pour le savoir ? N'était-ce pas durant leurs entraînements que son sang coulait le plus souvent ? Lorsqu'elle s'égratignait les genoux sur le sol rude et couvert de gravillons de la cour d'entraînement ? Ou quand il la jetait au sol et la rouait de coups de pieds pour lui apprendre à esquiver et à se défendre si son ennemi la jetait à terre ? Quand il la frappait sous le nez avec son bâton parce qu'elle avait mal exécuté un mouvement lors d'un kata ?
Pourtant, quelque chose dans le ton qu'il avait employé et la façon dont il la regardait lui indiquèrent qu'il ne faisait pas allusion à ce genre de blessures.
Alors, un peu confuse, elle lui assura que non.
Il s'approcha d'elle et caressa sa joue du dos de l'index et mit ses doigts en pince pour l'obliger à relever le menton et à croiser son regard.
Elle le fixa avec de grands yeux un peu affolés. Ce n'était jamais bon quand Papa la regardait ainsi. Le sujet devait être très sérieux. Elle avait sans doute bien fait de répondre par la négative.
« Dis-moi Azula, poursuivit-il, dans un murmure à peine audible, est-ce qu'il t'est déjà arrivé de faire… des choses avec des garçons ? »
Des choses ? Agni, non ! Elle pensait savoir ce que cela voulait dire. Ty Lee lui avait parlé des « choses » que l'on pouvait faire avec des garçons. Et elle avait trouvé cela parfaitement dégoûtant.
Il paraissait que les garçons voulaient parfois vous embrasser, et qu'ils utilisaient leur langue pour jouer avec la vôtre.
Qu'ils cherchaient à mettre leur chose dans la vôtre.
Jamais elle n'aurait fait cela! Comment son père pouvait-il imaginer qu'elle pût seulement...
« Non, Père, répondit-elle très vite. Je vous le jure !
Père n'aimait pas qu'on le fasse attendre.
– Bien, c'est bien ma fille. Tu ne dois pas les laisser t'approcher. Tu es la princesse. Tu dois rester pure, tu comprends ?
Elle ne comprenait pas.
– Oui Père, répondit-elle aussitôt.
Il fit encore un pas, réduisant la distance entre eux et posa une main brûlante sur sa hanche où se formait déjà un nouveau bleu qui promettait d'être spectaculaire. Elle grimaça légèrement sous l'attouchement mais redonna aussitôt à ses traits un air impassible.
Père n'aimait pas non plus que l'on exprime ses sentiments ou sa douleur.
Il n'aimait pas grand-chose.
Il plaça son autre main à plat sur son ventre.
– Un jour tu porteras en ton sein l'héritier de la Nation du Feu. Ton corps se doit de rester pur jusqu'à ce que le moment soit venu. Tu dois rester pure pour le Seigneur du Feu. C'est ton devoir. Je peux compter sur toi Azula ?
– Bien sûr Père. »
Il resta un moment ainsi, ses larges mains posées sur elle. Son pouce commença à tracer des cercles réguliers entre sa hanche et son nombril.
– Azula… gronda-t-il, l'obligeant à relever encore un peu la tête.
– Oui Père ? » répondit-elle en s'efforçant d'ignorer le malaise et le sentiment de terreur qui commençaient à la gagner. Elle se mordit les lèvres pour les empêcher de trembler et s'obligea à le regarder dans les yeux.
« Quand tu auras ton premier sang, je veux que tu viennes aussitôt me le dire. M'as-tu bien entendu ?
– Oui Père, promit-elle sans comprendre.
– C'est bien Azula, la complimenta-t-il en la relâchant. Tu es une bonne fille. Tu peux aller te laver et te changer avant de passer à table. Je veux que tu dînes avec moi ce soir.
– Bien, Père »
Elle fila sans demander son reste. Elle ignorait de quoi il avait voulu parler mais sentait confusément que cette conversation n'aurait pas dû avoir lieu. Son intuition lui disait que cette histoire de sang devait avoir quelque chose à voir avec les seins, avec ses hanches qui avaient elles aussi commencé à s'arrondir depuis peu, et avec les garçons.
Elle se promit d'en parler à Ty Lee le lendemain. Ty Lee, avec ses six sœurs, avait davantage d'expérience sur ces sujets. C'était toujours elle qui lui expliquait ce genre de choses.
Ty Lee lui expliqua. Elle lui dit qu'elle-même avait déjà commencé à saigner, que ce n'était pas grave, qu'Azula ne devait pas avoir peur. Non ce n'était pas trop douloureux, parfois seulement on avait un peu mal au ventre. Est-ce que cela empêchait de s'entraîner ? Parfois dans les deux premiers jours, mais on retrouvait vite la pleine jouissance de son corps.
« C'est quand même bizarre que ton père t'ait posé cette question, ajouta-t-elle en fronçant les sourcils. Je croyais que les hommes ne s'y intéressaient pas. Mon père ne parle jamais de tout ça avec nous. Ce sont toujours mes sœurs qui m'en parlent ou bien ma mère. Mais jamais... »
Elle s'interrompit en voyant l'expression d'Azula, qui s'était soudain figée sur place.
Elle ne parlait jamais de sa mère. Ty Lee aurait dû s'en souvenir.
La discussion s'arrêta là. Azula avait eu la réponse qu'elle attendait.
Son premier sang arriva à peine trois mois plus tard.
Elle s'éveilla une nuit avec la sensation désagréable que quelque chose d'humide coulait entre ses jambes.
Était-il possible qu'elle se soit oubliée pendant la nuit ? Non ce ne pouvait pas être ça. Ce n'était pas arrivé depuis des années.
Elle se rappela avec une honte grandissante des petits accidents nocturnes dont elle avait commencé à être victime dans l'année qui avait suivi le départ de Mère.
Elle avait essayé de le cacher. Zuko et Père ne devaient surtout pas savoir ! Alors elle se levait la nuit et changeait elle-même ses draps. Parfois, elle finissait en pleurs sur son matelas, empêtrée dans une couverture trop grande que ses petits bras de fillette de neuf ans ne parvenaient pas à étaler sur l'immense matelas.
Mais Zuko l'avait découvert en surgissant dans sa chambre un matin.
Azula ne s'était pas rendu compte qu'elle s'était souillée. Elle ne se réveillait pas toujours.
Elle venait de se lever quand Zuko avait jailli dans sa chambre, l'accusant d'avoir volé l'un de ses jeux : un stupide bilboquet qu'il amenait partout et faisait sauter pendant des heures en parcourant les allées du jardin royal.
Sans prêter attentions à ses calomnies – que ferait-elle de ce stupide objet ? – , elle s'était dirigée vers son armoire pour y prélever des affaires et Zuko s'était soudain exclamé :
« Ah ! Azula ! Ta chemise de nuit !
– Quoi ? Quoi ? avait-elle répondu, au bord de la panique, une lueur de compréhension traversant soudain son esprit.
– Tu t'es pissé dessus Azula ! avait-il hurlé, sautant littéralement de joie en la montrant du doigt. Azula est un bébé ! Azula est un bébé ! »
Elle était mortifiée. Elle ne se souvenait pas avoir jamais eu autant honte de toute sa vie.
Père avait fini par l'apprendre et il l'avait sévèrement punie.
Les accidents avaient continué quelques temps, s'étaient espacés puis avaient cessé, aussi brutalement qu'ils étaient venus.
Cette nuit-là, donc, âgée de treize ans, elle se réveilla, terrifiée à l'idée qu'elle ait pu à nouveau se souiller comme un vulgaire nourrisson. Elle se leva le plus discrètement possible et se rendit dans la salle de bain. Elle souleva les pans de son kimono et passa une main entre ses cuisses. Lorsqu'elle la releva pour la regarder, ses doigts étaient couverts d'un sang rouge vif. Sa première réaction fut la panique, une terreur pure, la certitude qu'elle était en train de mourir, que quelque monstre, sans doute, la dévorait de l'intérieur.
Puis, les paroles de Ty Lee lui revinrent en mémoire.
Une terreur d'un autre genre la saisit alors. Était-ce le sang dont parlait Père ? Allait-elle devoir le lui dire ?Et si oui qu'allait-il faire ?
Elle n'aurait su expliquer pourquoi mais elle avait le pressentiment qu'il serait peut-être plus prudent de ne pas lui en parler. Si son amie disait vrai, les saignements ne dureraient que quelques jours avant de revenir, presque un mois plus tard. Elle pourrait sans doute attendre la prochaine fois ?
Mais son Père avait su. Rien ne lui échappait jamais.
Une servante, sans doute, ayant vu le sang sur les draps, devait le lui avoir rapporté.
Azula fut convoquée dans la salle du trône. Agenouillée devant le rideau de feu, elle baissait la tête pour ne pas regarder son père qui faisait les cent pas derrière elle.
« Je ne saurais te dire à quel point je suis déçu Azula. Je pensais pouvoir te faire confiance… » commença-t-il d'un ton parfaitement calme. Mais Azula le connaissait suffisamment pour deviner l'orage qui grondait sous l'apparente douceur.
– Vous pouvez, Père.
– Si je le peux, alors dis-moi : pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu avais eu tes premiers saignements ? »
Il posa une main sur son épaule et ses doigts s'enfoncèrent douloureusement dans la chair à la base de sa nuque.
– Je… je ne savais pas qu'il s'agissait de cela… Je… Père, pardonnez-moi, je croyais que c'était autre chose. Je ne savais pas Père, je vous jure. Ne me punissez pas ! »
Un violent coup de pied dans l'estomac lui coupa le souffle et elle s'écroula à plat ventre sur le sol. Son champ de vision fut rempli par le pied de Père prêt à s'abattre cette fois sur son visage.
Quand elle reprit conscience des heures plus tard, Père était à son chevet. Sa lèvre était enflée et ses côtes la faisaient souffrir.
Il lui annonça que désormais, elle était une femme. Elle ne devrait plus se trouver seule en présence de garçons, ni d'hommes autres que lui ou ceux qu'il aurait lui-même désignés.
Il s'écarta pour laisser le passage à deux vieillardes ratatinées et parfaitement identiques qui se tenaient derrière lui, attendant qu'il fasse les présentations.
« Voici Li et Lo, expliqua-t-il en les désignant toutes les deux. Ce sont les anciennes concubines du Seigneur du Feu Azulon. Elle s'occuperont maintenant de ta formation et t'enseigneront ce que tu dois savoir… »
Les deux vieilles jumelles s'inclinèrent si profondément devant elle qu'Azula se demanda si elles n'allaient pas rester bloquées dans cette position.
« Nous sommes heureuses de mettre notre savoir et nos compétences à votre service Princesse Azula, ânonnèrent-elles en chœur de la même voix éraillée.
Azula leur rendit leur salut en inclinant légèrement la tête dans leur direction et reporta son attention sur son père.
– Azula? ajouta-t-il après un silence.
– Oui Père ? répondit-elle d'une toute petite voix, si faible qu'elle-même se demanda si elle avait vraiment parlé à voix haute.
Il s'approcha et prit son visage dans ses mains. Il était si près qu'ils auraient sans doute pu s'embrasser. Azula se força à soutenir son regard.
– Tu ne dois plus jamais me mentir.
– Je vous le promets Père.
– C'est bien ma fille. »
Il se pencha pour l'embrasser sur le front, donna quelques instructions à Lo et Li qu'Azula, trop confuse et trop épuisée, n'entendit pas, et quitta la pièce.
Ses formes s'épanouirent dans les mois qui suivirent. Il la regarda avec plus d'insistance encore.
Entre temps Lo et Li l'avaient instruite des choses du sexe.
Azula troqua donc ses brassières de jeune fille contre des vêtements plus couvrants et ses robes contre les tenues que Zuko portait plus jeune et qu'elle dénicha dans l'armoire de sa chambre désertée.
Elle s'assurait de toujours bien porter ses cheveux noués dans un chignon impeccable depuis que Père avait pris l'habitude de faire lentement tourner entre ses doigts ses longues mèches noires, lorsqu'elle venait lui souhaiter bonne nuit. Il l'embrassait sur la joue en laissant son autre main errer un peu trop longtemps sur sa hanche ou sur sa taille.
Son père nota les changements dans ses tenues mais curieusement, il ne lui fit aucune remarque.
Quand elle était vêtue de son armure noire et de ses pantalons bouffants, elle sentait moins peser sur elle son regard rempli de cette lueur étrange. Une lueur qu'elle identifierait plus tard et verrait souvent briller dans les yeux des hommes : la convoitise.
Les choses continuèrent ainsi et Azula finit par s'y habituer. Elle pensait pouvoir accepter cette étrange relation tant que cela n'allait pas plus loin.
Tu dois rester pure pour le Seigneur du Feu.
Parfois cette phrase au goût étrange qu'il avait un jour prononcée surgissait dans sa mémoire et Azula se demandait quel sens donner à ces paroles.
Peu importe, elle resta. pure Elle obéit aux vœux de son père et elle veilla à se préserver.
Pour le Seigneur du Feu.
[Retour au présent]
Azula était couchée dans son lit.
Ty Lee s'était déjà endormie depuis des heures mais elle-même ne trouvait pas le sommeil, tourmentée par les mêmes images, encore et encore, certaines moins plaisantes que d'autres. Son esprit vagabondait de la soirée au bord du canal au souvenir des mains brûlantes de Zuko sous sa robe, à la sensation presque évanouie de ses lèvres sur les siennes lorsqu'il l'avait picorée de baisers furtifs mais ardents. Puis ses divagations la ramenaient dans la cour baignée de soleil, où elle s'entraînait sous le regard avide de son père.
En se concentrant, elle parvint à fixer son esprit sur le souvenir plus heureux de ses récentes étreintes avec son frère, rejetant tout le reste.
Elle était en train de sombrer dans le sommeil, souriant sereinement, songeant à Zuko et à la promesse de leur prochaine rencontre, quand la voix de son père surgit du néant, la tirant de sa torpeur.
« Viens, Azula. Viens à moi... »
Elle releva la tête brusquement, scrutant l'obscurité, s'attendant à voir surgir des ténèbres un visage pâle aux yeux d'or couronné d'un emblème à cinq branches.
Comme tout était calme et immobile, elle finit par se convaincre qu'elle avait dû être victime de l'une de ces hallucinations sans gravité qui arrivaient parfois quand on s'endormait.
Ce n'est pas lui, tu le sais bien. Père est loin d'ici, en prison. Zuko l'a fait transférer au Rocher Bouillant depuis ton retour, pour s'assurer que tu ne puisses pas le voir.
Il est au Rocher Bouillant, il n'est pas ici. Personne ne t'oblige à le revoir.
« Azula, viens à moi ! »
Cette fois elle avait entendu distinctement. Le front couvert de sueur, elle sursauta violemment et se redressa sur son séant, tournant la tête de tous côtés, générant dans sa paume une flamme brillante pour disperser les ténèbres.
Non loin, sur son lit de camp, Ty Lee remua légèrement dans son sommeil mais ne se réveilla pas.
Les yeux écarquillés scrutant l'obscurité, la petite flamme vacillant dans la paume de sa main, elle étudia minutieusement la pièce. Rien.
Elle retint son souffle, attendant que la voix s'élève à nouveau. Elle ne voulait pas se laisser surprendre cette fois.
Comme il ne se passait toujours rien, au bout de cinq minutes, elle se recoucha sur le côté, regardant pour se calmer la forme endormie de Ty Lee s'élever et s'abaisser au rythme de sa respiration. Elle essaya de calquer son propre souffle sur celui de son amie et s'efforça de penser rationnellement.
Ce n'aurait pas dû être une hallucination. Elle prenait consciencieusement son traitement. Ty Lee s'en assurait chaque matin et elle-même craignait bien trop la rechute pour prendre le risque de le négliger. Mais manifestement son médicament ne faisait plus effet. Taïma ne lui avait-elle pas dit un jour que c'était une possibilité ? Que son corps développerait peut-être une accoutumance et que les voix et les visions reviendraient ?
Je ne veux pas ! Je ne veux pas retourner à l'asile ! Il suffit de ne pas leur répondre. Comme ça personne ne saura ! Zuko ne doit pas savoir, il ne doit surtout pas savoir !
« Azula ! »
Cette fois pas de doute. Elle l'avait bien entendu, surgissant du néant, juste à côté de son oreille.
Elle poussa un petit cri de terreur qu'elle réprima vite en voyant Ty Lee gigoter et grogner dans son lit.
Tout son corps secoué de tremblements incontrôlables, elle jeta sa couverture sur sa tête, ferma les yeux en compta jusqu'à dix.
Ce n'est rien. Ce sont les hallucinations qui reviennent. Ce n'est pas réel. Rien de tout cela n'est réel.
Elle aurait dû s'y attendre. Dès l'instant où les voix s'étaient manifestées, dès le moment où Ursa lui était réapparue. Elle aurait dû savoir que Père la guetterait dans l'ombre, attendant son heure pour se manifester. Et elle pensait comprendre pourquoi il apparaissait maintenant.
Elle fuyait depuis trop longtemps. Il était temps qu'elle affronte ses démons si elle voulait guérir un jour.
Après tout, cela avait fonctionné avec Zuko, Mai et Ty Lee. Elle les avait tous revus, avait construit avec chacun d'eux une nouvelle relation. Et ils avaient cessé de venir la tourmenter.
Prenant une profonde inspiration, elle repoussa les couvertures qui recouvraient son visage et sortit de son lit en essayant de ne pas faire grincer le matelas.
Ty Lee, à côté, grommela quelque chose dans son sommeil et se retourna. Azula se figea et attendit. Un ronflement très léger lui indiqua que son amie s'était rendormie.
Azula se baissa pour prendre ses chaussures puis se ravisa au dernier moment. Elle serait plus discrète en restant pieds nus.
A pas de chat, elle traversa sa chambre et emprunta le passage secret par lequel Zuko était passé l'autre nuit.
« Azula!
– J'arrive Père… j'arrive. »
Dix minutes plus tard, elle se tenait devant l'imposante porte métallique à double-battant qui menait dans ce qui avait autrefois été la chambre de son père.
Parfois, ses pas la portaient ici quand elle ne trouvait pas le sommeil ou se sentait tourmentée. Jamais elle n'avait ouvert la porte. Il lui semblait toujours que le simple fait de toucher la poignée la brûlerait, que des cloques indélébiles se formeraient sur ses mains. Ou qu'une ombre menaçante l'attendrait de l'autre côté, prête à se jeter sur elle et à la dévorer. Trop dangereux, pensait-elle.
Mais ce soir était différent.
Il y avait bientôt cinq ans qu'elle n'avait pas vu son visage, ni entendu sa voix.
Sa vraie voix, corrigea-t-elle.
Azula hésitait, les yeux levés vers l'immense porte qui la séparait de la pièce où cinq ans auparavant, elle avait tout perdu. Son frère, son honneur, sa vertu... et sa raison.
C'est ici que le Seigneur du Feu l'avait prise.
Tu dois rester pure pour le Seigneur du Feu.
Était-ce un effet de son imagination ou bien la porte était-elle en train de grandir devant elle, de dévorer tout l'espace alentour. Elle semblait comme aspirée vers les profondeurs d'un plafond invisible, perdu dans les ténèbres.
Un bourdonnement se fit entendre dans ses oreilles et ce fut comme si le monde autour d'elle s'évanouissait et disparaissait dans le néant. Il n'y avait plus qu'elle, la porte et …
« Tu n'es pas obligée de faire cela Azula. »
Comme toujours, elle surgissait au pire moment.
« Ton esprit ne va pas le supporter ! Tu vas perdre la raison à nouveau ! », l'avertit le spectre de sa mère qu'elle sentait s'agiter derrière elle.
– Je n'ai pas le choix ! répondit-elle sans se retourner, la main effleurant la poignée de la porte. Ce qui s'est passé au bord du canal… je ne peux pas prendre le risque de faire du mal à Zuko quand nous... quand il me fera ...ça. Je dois voir. Je dois savoir... je dois me préparer.
– Ça ne t'apportera rien de bon. Renonce à ce projet insensé, Azula. Tu ne peux pas impliquer ton frère dans tes excentricités ! Tu t'es perdue en chemin mais Zuko peut encore être sauvé si tu mets un terme à tout ça ! »
La main toujours crispée sur la poignée de la porte, Azula ferma les yeux et serra les dents pour lutter contre l'envie de se retourner et de lui lancer un jet de flammes mortel.
« Comment oses-tu ? cria-t-elle sans la regarder, tout son corps tendu et tremblant de rage. Tu ne m'as jamais aimée ! Tu m'as toujours repoussée, depuis que je suis toute petite. Zuko, lui, m'aime. Il me l'a prouvé. Maintenant que je sais qu'il me veut, je ne renoncerai pas à lui! »
Je ne peux pas renoncer à lui...
Le souvenir des lèvres de Zuko contre sa peau, sur sa bouche, la sensation de ses mains brûlantes sur elle. Son membre rigide étroitement pressé contre elle…
Elle n'avait pas pu l'imaginer. Jamais la moindre chaleur n'émanait des hallucinations. Les mains de Zuko étaient ardentes quand il les avait glissées sous sa robe.
« Ce n'est pas de l'amour Azula. Il te désire peut-être mais il ne t'aime pas. Pas comme tu le voudrais. Personne ne t'aime de cette manière mon cœur… Il te quittera, tu le sais bien. Comme nous tous...
– Tais-toi ! Ne dis rien ! s'enflamma-t-elle, les larmes brûlant déjà ses paupières. Ça m'est égal. Il me veut et c'est tout ce qui compte. Je lui donnerai ce qu'il veut et il sera à moi !
Tu as perdu le droit de me donner des leçons de famille quand tu m'as abandonnée ! Va-t-en maintenant ! »
Il n'y eut que les ténèbres et le silence pour toute réponse.
Azula risqua un regard par-dessus son épaule. Sa mère était partie.
Se retournant vers la porte, elle fit tourner le bouton dans sa paume devenue moite. Les panneaux de métal s'ouvrirent dans un grincement qui dut résonner dans tout le palais endormi et donnèrent sur une immense pièce plongée dans l'obscurité.
Après avoir pris une profonde inspiration, elle entra.
Il était très tard. La nuit était fort avancée.
Mais Zuko avait bien insisté auprès de ses domestiques pour qu'ils le préviennent à la minute où l'Avatar et ses amis arriveraient. Aussi s'était-il levé précipitamment, emparé des habits les plus rapides à enfiler, et avait-il couru pour les accueillir, laissant derrière lui sa femme qui grommela dans son sommeil.
Au-dessus de la cour de l'Agni Kai où Azula et lui s'étaient affrontés des années auparavant, Appa entamait sa descente en décrivant des cercles concentriques dans un ciel pur criblé d'étoiles.
Les deux pieds fermement campés dans le sol, les yeux levés vers les nues, un petit sourire retroussa ses lèvres quand il entendit le mugissement rassurant et familier que le bison volant poussa en le remarquant,
Appa avait toujours aimé Zuko. Le jeune maître du feu ne se l'expliquait pas vraiment mais lui-même éprouvait une grande affection pour ce monstre poilu qu'il avait traqué sans relâche à travers le monde. Il est vrai qu'il avait été l'un des premiers à voir le bien en Zuko lorsque ce dernier l'avait relâché à Ba Sing Se, renonçant ainsi à capturer Aang.
Une vague d'émotions le submergea quand il aperçut la silhouette de ses amis qui se dessinait dans l'obscurité. Tous, l'un après l'autre, avaient un jour décidé de lui faire confiance, lui avaient accordé une seconde chance.
Il aurait tant souhaité que ce soit la même chose pour Azula. Lui avait vu le bon en elle. Il avait vu au-delà du monstre de froideur et de cruauté qu'Ozai avait fait d'elle. Il avait découvert une personne sensible, capable de tendresse et d'amour, comme tout être humain. Pourquoi personne d'autre ne semblait disposé à lui tendre la main ?
Il songea une nouvelle fois avec un pincement au cœur à toutes les pressions qu'il subissait de parts et d'autres pour se débarrasser de la princesse : Mai, Ba Sing Se, les anciens du Conseil des Sages qui étaient venus le voir l'après-midi même pour lui parler des proportions effarantes que prenaient les rumeurs au sujet de sa relation avec sa sœur.
Avec une pointe de culpabilité, il repensa à la manière dont il les avait expulsés de la salle du Trône. Il leur avait hurlé dessus. Un jet de flammes brûlantes qu'il n'avait pas pu contrôler avait accompagné ses rugissements de colère. La robe de l'un des Anciens avait pris feu et la panique avait gagné la petite assemblée. Ses collègues eurent tôt fait d'étouffer les flammes et un calme relatif était revenu dans la pièce avant que Zuko ne leur ordonne de le laisser seul, sans oublier de les menacer et de les accuser de trahison.
Il devait être plus prudent. Il était téméraire de s'attirer l'hostilité des Sages. Ils avaient le pouvoir d'exiger son abdication. Parfois Zuko se maudissait intérieurement d'avoir redonné au Conseil ce pouvoir qui leur avait été retiré du temps de Sozin. Il avait voulu rompre avec cette tradition d'une monarchie absolue, convaincu que le pouvoir devait être partagé et confié en partie à ceux qui détenaient la sagesse et l'expérience. Le Seigneur du Feu avait beau être considéré comme un être jouissant de pouvoirs quasiment divins, Zuko ne se voyait pas comme un dieu.
Il savait que si Azula n'avait pas été à l'asile lorsqu'il avait pris cette mesure, elle l'aurait traité d'imbécile et l'aurait obligé à renoncer à ce projet qu'elle considérait comme suicidaire. En vérité, il ne lui en avait pas parlé.
Elle ignorait qu'en cas de crime ou de dérive autoritaire grave, les Anciens pourraient exiger son abdication à l'issue d'un long procès.
Oui, il lui arrivait souvent de regretter ce décret. D'abord discrets, les Sages avaient peu à peu cherché à tirer profit de la situation. De nombreuses projets de lois progressistes proposées par Zuko avaient été abandonnés ou étaient restés à l'état embryonnaire à cause du Conseil des Sages qui se montraient particulièrement frileux à l'idée de tout changement sociétal.
Les Anciens, il le savait, craignaient l'influence et le pouvoir d'Azula. Ils ne doutaient pas que si Zuko perdait sa couronne, sa première mesure serait sans doute de leur reprendre ce pouvoir, quoi qu'il en coûte . Ou bien de se débarrasser d'eux, tout simplement.
Le Conseil des Sages était une congrégation très ancienne fondée sur le culte d'Agni. Il était notoirement admis que la princesse n'était pas une personne très pieuse. Zuko ne l'était guère plus mais au moins, il tolérait les croyances religieuses et les respectait. Il était donc de leur intérêt de maintenir Zuko sur le trône.
C'était une bien maigre consolation cependant.
Les raisons pour lesquelles il avait caché cette décision à sa sœur étaient multiples et avaient évolué en même temps que sa relation avec Azula. Lors de son retour, quand il n'était toujours pas sûr de pouvoir lui faire confiance, il avait craint qu'elle utilise ce levier pour lui voler son trône. Après tout, elle restait la princesse héritière et l'abdication de Zuko ferait d'elle le nouveau Seigneur du Feu. Il l'avait donc provisoirement dépouillée de ce titre, confiant la régence à Mai s'il venait à mourir.
Finalement, Azula était revenue, silencieuse et lointaine. Elle n'avait pas manifesté le moindre désir de reprendre le trône depuis et une fois que son traitement lui eut permis de retrouver toutes ses facultés, elle avait employé toute son énergie et tout son temps à contribuer à l'effort de paix et à asseoir la légitimité de son frère. Il avait fini par lui accorder sa confiance et même son affection. Il lui avait même rendu son titre de princesse héritière, s'attirant les foudres de sa femme. Mais il avait malgré tout maintenu secrète sa décision. Mai et Kadao avaient interdiction de lui en parler. Il craignait la réaction catastrophée d'Azula si elle faisait cette découverte. Et par-dessus tout il craignait de ne pas savoir lui refuser ce qu'elle aurait exigé de lui : qu'il retire ce pouvoir décisif au Conseil des Sages, quitte à s'inscrire à son tour dans une lignée de tyrans.
Il ne pouvait rien refuser à Azula.
Il n'avait pas su lui dire non quand elle lui avait demandé de la rejoindre à Ba Sing Se.
Il n'avait pas su lui dire non quand elle s'était mise agenouillée devant lui des semaines auparavant. Ni quand elle l'avait supplié de rester l'autre nuit, juste avant que Ty Lee ne les interrompe, et que pour toute résistance, il n'avait pu que murmurer un refus dérisoire qui s'était vite noyé dans des étreintes que l'on pouvait difficilement considérer fraternelles.
Il n'avait pas pu lui dire non ce matin là non plus, quand elle l'avait acculé dans un couloir pour lui demander s'il avait reçu sa lettre et s'il en avait déchiffré le contenu. Ni quand elle l'avait fixé intensément, ses yeux d'ambre grand ouverts, plongés dans les siens, attendant, pleins d'espérance, qu'il lui donne sa réponse.
Il n'avait pas eu la force, ni l'envie de la repousser quand elle s'était levée sur la pointe des pieds pour entourer son cou de ses bras et lui voler un rapide baiser, avant de s'éloigner précipitamment de lui sans se retourner, et de disparaître par le même chemin.
Il lui avait fallu plusieurs minutes avant qu'il n'ose sortir du recoin où ils s'étaient trouvés tous les deux, encore étourdi par la sensation fugitive de ses lèvres contre les siennes.
Il n'avait pas eu le temps de lui retourner son baiser et se demandait ce qu'il aurait fait si elle n'avait pas détalé ainsi.
Il ne s'était même pas senti honteux ou souillé après...
Mais comment pouvait-il refuser quoi que ce fût à sa sœur, quand le reste du monde s'obstinait à lui tourner le dos et à se méfier d'elle ?
Il ne céderait pas à l'odieux chantage de Lu Fang et Kuei. Il ne se laisserait pas impressionner par les remontrances et les menaces à peine déguisées des vieilles biques du Conseil des Sages. Et il travaillerait dur à arranger son mariage sans avoir à se séparer de la petite sœur qu'il avait appris à aimer.
Il montrerait au monde qu'Azula méritait sa confiance et son amour.
Alors que ces pensées se bousculaient dans sa tête, il protégea instinctivement son visage de la poussière soulevée par l'atterrissage d'Appa et regarda Aang sauter du dos du bison, suivi de Katara qui se jeta en avant, confiante, pour être recueillie avec douceur dans les bras de l'Avatar. Puis Sokka en descendit, suivi de Suki qu'il recueillit lui aussi dans ses bras et enfin, à sa grande surprise, de Toph qui était restée cachée jusque là.
Le cœur débordant d'affection, il les laissa s'avancer vers lui. Un grand sourire s'étala sur son visage dissymétrique quand il remarqua la légère protubérance sur l'abdomen de Suki. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, sa grossesse était à peine visible.
Oui, Zuko prouverait au monde qu'Azula y avait sa place. Il le forcerait à y croire s'il le fallait.
Ses amis étaient enfin là, et nul doute qu'ils l'y aideraient.
