Chapter 14 – Le Jour du Soleil Noir
Avertissement : Ce chapitre est particulièrement sombre. Il contient des descriptions plus ou moins explicites d'abus et de violences physiques, morales et sexuelles. En effet, c'est ici que je raconte le souvenir du viol d'Azula et les conséquences sur sa psyché.
Ce chapitre est probablement celui qui m'a donné le plus de mal en raison de son contenu. Le récit de cet événement n'a rien de gratuit et joue un rôle dans l'intrigue, tout en permettant d'approfondir la psychologie torturée d'Azula. Cependant, cela reste le viol d'une fille par son père et c'est vraiment délicat à raconter sans sombrer dans le sordide ou le voyeurisme. Je ne souhaite ni l'un ni l'autre. C'est pourquoi j'ai tenté d'atténuer le récit du viol d'Azula en ayant recours à un registre quasi-fantastique et à des symboles. J'espère que cela ne gênera pas la compréhension du texte.
J'avoue que j'appréhende un peu vos réactions mais je suis également curieuse de les connaître.
Précision importante :
Tous les passages en italique correspondent à des souvenirs réels ou hallucinatoires. Comme je navigue beaucoup du passé au présent dans ce chapitre, j'ai jugé préférable de signaler explicitement le début et la fin des retours en arrière. Ce n'est pas très élégant, mais sans doute nécessaire pour la compréhension de tous, lecteurs francophones, anglophones, natifs ou non.
Chapitre 14 - Le Jour du Soleil Noir.
Précédemment, dans le chapitre 13 : Azula présente des symptômes de rechute: ses hallucinations sont de retour. Une nuit, appelée par la voix de son père, elle se lève et décide de se rendre dans les anciens appartements d'Ozai pour se confronter à ses souvenirs.
Tout d'abord elle ne vit rien.
Rien d'autre que de froides ténèbres qui la cernaient de toutes parts. Elle songea qu'il devait faire plus froid ici que dans n'importe quelle autre partie du palais, les cachots compris.
Elle aurait pu utiliser sa maîtrise pour allumer les torches au mur. Mais un instinct l'en dissuadait. A tâtons, Azula chercha à côté d'elle la main de sa mère. Elle aurait si désespérément voulu s'y cramponner. Mais Ursa était partie, encore une fois. Évanouie, disparue.
Il n'y avait plus que la chambre. Et quelque part devant elle, l'immense lit à baldaquin.
Peu à peu ses yeux s'habituèrent à l'obscurité et elle devina devant elle la forme d'un lit somptueux, d'une armoire et d'une gigantesque cheminée en marbre ouvragée. Et un coffre. Très grand. Suffisamment grand pour contenir le corps d'un adulte de petite taille, ou celui d'un adolescente qui aurait eu l'audace de mentir à son père.
Ce n'est rien. Ce ne sont que des meubles. Ce n'est qu'une chambre. Tout est fini. Père est en prison, il ne peut plus te faire de mal. Regarde !
Rassemblant tout son courage, elle exécuta un gracieux mouvement de la main et toutes les torches de la pièce s'enflammèrent, baignant la chambre d'une atmosphère sépulcrale.
La chambre de Père était identique à ce qu'elle se rappelait. Immense, richement meublée et décorée de tapisseries somptueuses et de bibelots rares et précieux amassés par plusieurs générations de Seigneurs du Feu au cours des conquêtes de la Nation. Au-dessus de la tête de lit, un portrait colossal représentait son père, majestueux, sa silhouette occupant tout l'espace du cadre, son regard sévère fixé sur Azula.
Elle se sentit flancher et recula d'un pas.
Regarde. Fais-le pour Zuko. Souviens-toi !
Alors, les poings serrés, elle ferma les yeux et, laissant s'effondrer brique après brique le mur qu'elle avait si consciencieusement bâti pour se protéger du souvenir, elle l'accueillit.
[Souvenir – Jour du Soleil Noir, 5 ans plus tôt.]
Quelle journée éreintante ! Elle ne se souvenait pas avoir jamais connu une telle tension. Tant de responsabilités avaient pesé sur ses seules épaules. Comme elle avait eu peur quand le gamin au crâne chauve était entré avec son escorte, pour l'affronter alors que pour la première fois de sa vie, elle était sans défense, incapable de générer la plus petite étincelle. Les agents du Dai Li étaient là, derrière elle, prêts à se sacrifier pour elle.
Mais comment leur faire confiance, eux qui avaient si aisément trahi leur ancien maître ?
Pas le temps pour le doute et pour la peur ! s'était-elle sermonné.
« Ton ennemi ne doit jamais sentir ta peur. Tu dois la dompter, en toute circonstance. » lui disait toujours son père.
Et elle l'avait fait. Avec brio, comme toujours. Un moment elle avait craint que la petite aveugle aux pieds nus qui se targuait de lire les pensées des gens, ne décèle son angoisse.
Que se passerait-il si elle échouait et que l'Avatar trouvait Père ?
Mais son entraînement avait payé. Son père lui avait enseigné le contrôle absolu des émotions. Même la fille aveugle n'avait pas perçu les sentiments honteux contre lesquels Azula se débattait férocement depuis des années.
Ne pas montrer à Père que tu le crains. Ne pas le laisser savoir ce que tu penses.
Ne pas montrer ce que tu ressens quand tu regardes Zuko embrasser Mai. Ne pas penser à Maman.
Elle avait utilisé ce qu'il lui avait enseigné pour se protéger de lui, pour se protéger de tout le monde. Elle portait le mensonge comme on porte une armure. Et personne, non personne ne savait qui elle était vraiment, ni ce qu'elle pensait. Pas même Père.
Elle avait réussi ! Elle avait retenu l'Avatar et les autres paysans assez longtemps. L'éclipse était terminée. Quand elle sentit son pouvoir revenir, le feu s'insinuer à nouveau dans ses veines, un sentiment de puissance incroyable la submergea. Elle avait laissé ses ennemis derrière elle, furieux, et rejoint avec exaltation ses hommes qui l'attendaient pour l'escorter à la Caldera à bord d'un dirigeable.
« On les suit, Princesse ? lui demanda l'Amiral en voyant l'Avatar et sa bande disparaître à l'horizon sur le dos de cet animal monstrueux.
– Non, ils sont trop rapides. Ils reviendront de toute façon » répondit-elle avec un sourire rusé.
L'Avatar reviendrait. Elle n'en doutait pas une seconde.
Maintenant qu'elle avait la certitude que son imbécile de frère lui avait menti, elle devait retourner au palais pour le prévenir. Ensemble ils trouveraient un nouveau plan. Elle saurait faire taire l'Amiral et tous ceux qui se trouvaient avec eux dans le dirigeable. Ils la craignaient presque autant qu'ils craignaient Ozai.
De ce qui s'était passé dans les souterrains, les seuls témoins étaient les amis de l'Avatar et les agents du Dai Li, complètement ralliés à sa cause. Elle n'avait rien à craindre de leur part.
Oui. Pas le temps de les poursuivre. Il fallait trouver Zuko.
Quand elle rentra au palais, elle se précipita dans les appartements de son frère. Mais ces derniers étaient vides. Toutes les affaires de Zuko avaient disparu. A l'exception d'un rouleau enroulé dans un ruban qui trônait sur le grand lit.
Le cœur d'Azula fit un bond violent dans sa poitrine. Les mains glacées, les lèvres tremblantes, ses oreilles bourdonnant furieusement, elle s'avança lentement vers le lit et s'empara du message. Ses doigts secoués de tremblements irrépressibles peinèrent à extraire le parchemin du ruban. Quand elle y parvint enfin, elle le déroula et parcourut les mots écrits par la main de son frère. La lettre lui échappa des mains.
Elle ne lui était même pas adressée.
Elle ne se rappela jamais comment elle était retournée jusqu'à sa chambre. Elle avait dû emprunter le passage secret qu'elle prenait parfois pour se glisser dans les draps de Zuko les nuits où il dormait chez Mai, car elle ne croisa personne en chemin.
La tête complètement vide, la gorge sèche, elle ne ressentait rien. A part un gouffre béant qui grandissait dans sa poitrine, occupant toute la place, l'empêchant de respirer.
« Il m'a abandonnée… Il est parti. » marmonnait-elle, trébuchant à chaque pas.
Ce n'était pas une plainte, ni une lamentation. C'était un constat.
Tu aurais dû savoir que ça arriverait.
Quand elle arriva dans sa chambre, elle se précipita vers le lit pour prendre la lettre qu'il lui avait adressée. Mais il n'y avait rien. Incrédule, elle parcourut la pièce des yeux.
Rien sur son bureau, ni sur sa coiffeuse.
Retournant vers le lit, elle arracha les couvertures en soie et jeta les oreillers au loin. Elle ne se rendait même pas compte qu'elle criait et qu'elle sanglotait. Des larmes brûlantes laissaient déjà des traînées noires sur ses joues, là où le maquillage avait coulé.
Ses cheveux impeccablement attachés s'échappaient du chignon qui les maintenait et des mèches folles se collaient à son visage et entraient dans sa bouche.
Il ne m'a pas écrit ! Il ne m'a pas écrit ! Il est parti sans un mot pour moi !
Elle retourna à son bureau et ouvrit brutalement le tiroir qui sortit de ses gonds. Elle le ramassa juste à temps et se jeta au sol pour fouiller son contenu. Peut-être avait-il laissé la lettre ici ?
Non plus… et en fouillant davantage, en éparpillant les parchemins que son tiroir contenait, elle découvrit soudain qu'il manquait quelque chose. C'était ici qu'elle les cachait. Ils auraient dû se trouver là. Est-ce que Zuko était venu et les avait pris avant de partir ? Mais il n'avait pas sa clé. Alors où étaient-ils ? Où étaient ses…
On frappa trois coups à la porte. Azula poussa une exclamation de surprise et lâcha soudain le tiroir qu'elle tenait sur ses genoux.
« Attendez une minute ! ordonna-t-elle d'une voix étonnamment assurée pour quelqu'un qui se trouvait dans un tel état de panique et de désespoir.
C'est ça, contrôle tes émotions. Tu dois te contrôler. Personne ne doit te voir comme ça.
« Princesse, je suis désolé de vous déranger, mais c'est votre père, il souhaite que vous le retrouviez dans ses appartements. » cria une voix de l'autre côté de la porte.
Père ?
« M-maintenant ? demanda-t-elle.
– Il veut que vous vous changiez et que vous veniez le retrouver aussitôt après.
– B-bien. Dîtes-lui que je serai là dans quelques minutes.
– Très bien Princesse, je m'en charge tout de suite. »
Et elle fut seule à nouveau.
Père. Qu'allait-elle lui dire ? Savait-il déjà pour Zuko ? Et pour l'Avatar ? Non ! Elle n'était pas prête à l'affronter maintenant, pas prête à entendre ses compliments, ses remerciements pour l'avoir si bien protégé. Pendant que Zuko en profitait pour la quitter !
Si elle n'avait pas proposé à son père de rester à sa place dans la salle du trône souterraine, elle aurait pu rester avec Zuko et il ne serait pas parti ! Elle aurait pu le convaincre de renoncer à cette folie. Ou bien de l'emmener avec lui ?
Contrôle-toi ! Père ne doit pas te voir dans cet état !
Oui c'était vrai. Il n'y avait pas de temps à perdre. Il serait toujours temps d'inventer un mensonge. Elle excellait dans l'art de mentir. Même Père ne le voyait plus quand elle lui cachait la vérité, quand elle dissimulait sa terreur lorsqu'il lui criait dessus, ou qu'elle masquait son embarras lorsqu'il laissait ses mains traîner dans son dos, plus longtemps et plus bas qu'il n'était absolument nécessaire, lorsqu'elle venait l'embrasser pour lui dire bonsoir.
Ce n'est pas le moment de penser à Zuko. Tu pourras pleurer. Après. Quand tu seras seule.
Elle se dirigea donc au pas de course dans la salle de bain et se planta devant sa glace. Son visage était une catastrophe. De longues traînées de maquillage avaient noirci ses joues et ses yeux étaient très rouges.
Elle actionna une petite pompe et une eau claire jaillit du bec placé au-dessus de la cuve en granite. Elle recueillit une bonne quantité d'eau entre ses paumes jointes et s'en jeta sur le visage. Ouvrant une petite commode située sur sa droite, elle en tira un flacon et un carré de tissu qu'elle imbiba d'un liquide dont elle se servait pour se démaquiller.
L'opération lui prit du temps et elle commença à paniquer. Père n'aimait pas qu'on le fasse attendre.
Elle se regarda à nouveau dans la glace et vit le visage juvénile d'une fille de quatorze ans, dépouillée de tous ses artifices, profondément terrifiée et désespérée.
Elle ne pouvait pas se présenter à Père dans cet état. Les mains tremblantes, elle fouilla maladroitement dans ses tiroirs et dénicha ce qu'elle cherchait : un khôl noir et son rouge à lèvre.
Avec des gestes minutieux et précis, elle se remaquilla. Elle leva à nouveau les yeux vers son reflet. L'image qu'il lui renvoyait lui parut satisfaisante. Ses yeux étaient encore un peu rouges peut-être, mais Père ne le verrait sans doute pas. La nuit était en train de tomber et sa chambre serait baignée dans une semi-pénombre.
Il était curieux qu'il demande à la retrouver là-bas plutôt que dans la salle du trône.
Elle se fit cette réflexion tout en se dirigeant vers une commode dont elle sortit un pantalon et une tunique longue qui recouvrait ses hanches, ainsi qu'une ceinture qu'elle boucla autour de sa taille tout en marchant vers son armoire à glace. Là-bas elle arrangea son chignon et après s'être examinée une dernière fois, satisfaite du résultat, elle sortit de sa chambre au pas de course pour rejoindre le Seigneur du Feu.
Il était là, dans ses appartements. Quand elle entra dans la vaste pièce illuminée par les torches alignées le long du mur, introduite par un valet qui referma la porte derrière elle en sortant, son père lui tournait le dos. Il se tenait face au lit, les mains croisées dans le dos, ses deux pieds bottés fermement ancrés dans le sol de pierre.
Il avait retiré son armure et ne portait que ses pantalons et une simple tunique à manches très courtes qui laissait transparaître son imposante carrure.
Il paraissait invulnérable.
« Je suis là Père. Vous m'avez fait demander. »
Ozai resta silencieux. Il ne se retourna pas tout de suite.
Il gardait sa tête baissée et semblait regarder quelque chose sur son matelas.
De loin, elle ne pouvait l'affirmait mais cela ressemblait à des morceaux de parchemins éparpillés sur toute la surface du lit.
« Père ? risqua-t-elle d'une toute petite voix.
– Pendant que j'étais en bas, dans les souterrains, commença-t-il de sa voix lente et caverneuse, je me suis longuement posé cette question…
Azula se figea sur place. Elle s'était attendue à des compliments, des remerciements, pas à cette colère contenue, pas à ce ton chargé de menaces qu'elle associait à des catastrophes imminentes.
« Q-quelle question Père ? » l'interrogea-t-elle. Elle essaya de maintenir une voix assurée mais elle ne put empêcher sa tête de rentrer dans ses épaules ni ses lèvres de trembler violemment. Tout son corps se ratatinait sur place.
– Cette question, Azula : pourquoi ma fille qui m'est si fidèle et si loyale, ma fille prodigieuse et ingénieuse, pourquoi ma fille m'aurait-elle menti ? Dans quel intérêt ? »
Il savait. C'était tout. Il n'y avait rien à dire.
Ozai en avait conscience, car il continua sans attendre sa réponse, sur le même ton calme et néanmoins mortel :
« Cette question m'a torturé sur tout le trajet du retour alors que je me remettais de l'émotion causée par l'ignoble trahison de ton fourbe de frère. Pourquoi Azula m'aurait-elle menti ? Pourquoi m'avoir fait croire que c'était Zuko qui avait porté le coup fatal à l'Avatar alors que c'était elle ? »
L'air se raréfiait autour d'elle et un poids s'installa dans le creux de son estomac. Elle essaya de fixer un point sur le tapis à ses pieds mais le monde tanguait dangereusement. Les arabesques formées par les motifs sur le tapis dansaient et s'entrelaçaient sous ses yeux brouillés par des larmes de peur, lui faisant penser au vol des dragons. Comme ceux du conte que lui lisait sa mère, enfant. Les deux mains dans le dos, la tête baissée, elle esquissa des excuses :
« Père, je-je ne voulais…
– Alors je suis allé chercher les preuves dont j'avais besoin, l'interrompit-il, le dos toujours résolument tourné vers sa fille. Tu comprends Azula, j'avais besoin d'une réponse. Que ton frère, ce scélérat, ce raté, m'ait trahi… j'aurais pu, j'aurais dû le prévoir. Mais toi, ma fille… comment as-tu osé me mentir? »
A ce moment-là il se retourna et instantanément, Azula se jeta sur le sol dans une attitude de totale soumission. Elle osa lever les yeux vers son père et la fureur qu'elle lut sur son visage taillé au couteau la pétrifia.
Il tendait vers elle un parchemin qu'il tenait dans sa main. Mais elle n'arrivait pas à voir les inscriptions, à cause de la pénombre.
Ozai s'avança d'un pas et jeta le parchemin à Azula.
Alors elle comprit.
Voilà où ils étaient. Voilà qui les avait pris. Ce n'était pas Zuko qui avait emporté avec lui un dernier souvenir de sa petite sœur. Père était venu dans sa chambre, il avait fouillé dans ses placards, dans ses tiroirs, et il avait trouvé la preuve qu'il cherchait. Il avait trouvé les dessins.
Les dessins qu'elle avait eu l'imprudence de garder, sachant ce qui arriverait si quelqu'un mettait la main dessus. Les dessins qu'elle avait été trop stupide et trop faible pour oser les jeter.
Ceux qui représentaient Zuko. Sous tous les angles. Son visage renfrogné ravagé par sa cicatrice, son profil avec sa mâchoire anguleuse et les veines saillantes sur son cou.
Le corps athlétique de Zuko en train se s'entraîner torse nu dans la cour.
Les bras de Zuko enveloppant une silhouette plus petite, coiffée d'un chignon et d'une couronne en forme de flammes.
Zuko, Zuko, Zuko… partout des dessins de Zuko, tracés lors de nuits d'insomnies, dans des moments de désespoirs où elle comprenait que seul le dessin pouvait donner vie à ses fantasmes.
Azula n'osa plus relever la tête. Sans doute n'oserait-elle plus jamais. Elle attendrait là, les mains fichées dans le sol glacial de la chambre de son père, que son sabre s'abatte sur sa nuque et mette un terme à sa triste existence.
Après tout ce serait un soulagement. Mère était partie, Zuko était parti… que restait-il ?
« Explique-moi, espèce de petite traînée dégoûtante, comment de telles abominations se sont trouvées dans le tiroir de ton bureau ? »
Azula ouvrit la bouche pour répondre mais aucun son n'en sortit.
« Comment, Azula ? hurla-t-il soudain, si près de son oreille qu'elle poussa un cri de douleur.
Son père s'était jeté devant elle sur le sol, son visage à quelques centimètres du sien. Incapable de relever la tête, elle ne vit que les grandes mains aux veines saillantes et les pointes de ses cheveux longs qui traînaient sur le sol.
« Je-je l-les ai f-faits… je les ai f-faits... »
Elle ne reconnaissait pas sa voix. Jamais, de toute sa vie, elle n'avait été aussi effrayée.
« Peux-tu me dire ce que représentent ces dessins Azula ? » demanda-t-il d'une voix soudain étrangement douce. Elle sentait son souffle brûlant dans ses oreilles et dans sa nuque.
– Ils re-représentent Zuz- Zuko, haleta-t-elle péniblement.
– C'est bien Azula. » Le ton appréciateur était le même que celui qu'il utilisait pour la complimenter après l'exécution d'un kata parfait. « En effet, c'est ce que j'ai pensé aussi. Tu es décidément très talentueuse, ma fille… ton trait est tellement...réaliste. Mais dis-moi Azula… Quelque chose me chiffonne. Un détail que je ne comprends pas. Peut-être seras-tu en mesure de me l'expliquer. Peux-tu me dire qui est la jeune fille sur ce dessin ? » Il lui mit sous le nez un croquis qui représentait son frère, derrière une silhouette féminine parfaitement reconnaissable malgré les jeux d'ombre qui estompaient les traits du visage. Sur le dessin, Zuko était en train de baiser le cou de la jeune fille, une main placée sur son ventre, l'autre sur son bras.
– Père...s'il-vous-plaît… Je ne sais pas. »
Un main s'abattit lourdement sur sa tête et son visage s'écrasa contre le sol en pierre. Pendant quelques secondes tout devint noir. Le monde reparut peu à peu, flou et indistinct. Elle perçut vaguement une voix grave au-dessus d'elle, comme si on lui avait parlé pendant qu'elle était immergée dans une baignoire.
– ...me mentir Azula ! »
Ce fut comme si soudain quelqu'un avait remis le son. La voix tonitruante de son père, amplifiée par la rage, lui écorcha les tympans.
Ozai se releva et elle ne vit plus que ses bottes à bouts pointus qui faisaient les cent pas devant elle.
Il fallait qu'elle reprenne ses esprits avant qu'il ne la frappe à nouveau.
« Réponds. Qui est cette jeune fille ?
– C'est… c'est moi... » confessa-t-elle, à plat ventre, en plongeant son visage ruisselant de larmes dans ses bras.
« Bravo, ma fille chérie. Tu vois. La vérité n'est pas si difficile à dire. Maintenant Azula, j'ai une dernière question à te poser. Mais d'abord, tu vas te relever. Et tu vas me répondre en me regardant droit dans les yeux. »
Il s'exprimait avec une voix très douce et très calme, presque caressante. Un ton qu'elle-même n'avait que trop souvent employé pour intimider ou charmer ses ennemis et qu'elle assimilait à de graves ennuis.
Péniblement, elle regroupa ses membres autour de son buste et s'appuya sur ses mains pour se relever.
Quand elle fut debout, devant son père, elle garda la tête baissée, ses deux mains jointes. Sans y prendre garde, elle enfonçait ses ongles pointus dans sa propre chair, s'arrachant la peau. Un geste qu'elle répéterait encore et encore dans les semaines et les mois à venir, l'obligeant à porter des mitaines et des gantelets en cuir pour camoufler les cicatrices déplaisantes.
« Regarde-moi.»
Elle leva vers lui deux yeux apeurés et plongea dans ceux, dorés, de son père. Si semblables à ceux de Zuko.
Des doigts en forme de serre s'enroulèrent et se refermèrent autour de sa nuque. Le visage sculpté de Père se rapprocha d'elle, se plaçant à sa hauteur.
Leur nez se touchèrent et ses lèvres brossèrent la joue d'Azula, jusqu'à son oreille.
« As-tu laissé ton frère te faire des choses dégoûtantes, Azula ? », murmura-t-il.
Les yeux d'Azula s'agrandirent d'horreur et elle eut un mouvement de recul.
« Non ! » répondit-elle, abasourdie, secouant la tête pour plus d'emphase et déglutissant péniblement.
« En es-tu bien sûre ? Je te laisse encore une chance de me dire la vérité. Est-ce qu'il t'a touchée à des endroits où il n'aurait pas dû ? T'a-t-il demandé de lui faire des choses que tu aurais pu trouver...inappropriées ?
– Non !, répondit-elle précipitamment. Je vous le jure Père ! »
Ozai se redressa. Il était terriblement grand : elle lui arrivait à peine aux épaules. Il la toisa un moment, ses mains ramenées derrière son dos.
« Malheureusement ma fille, je ne suis pas sûr de pouvoir te croire sur parole. » Encore ce ton mielleux et chargé de menaces silencieuses. « Tu m'as déjà prouvé que tu osais me mentir. Comment puis-je te faire confiance ? » Il ferma les yeux, donnant à son visage une expression chagrinée moins que convaincante.
– Je vous le jure Père. Je n'ai rien fait avec Zuko. Ni avec personne ! Je sais que...je dois rester p-pure p-pour…, récita-t-elle en bégayant.
– Heureusement, la coupa Ozai en rouvrant les yeux, il existe un moyen très simple de savoir si tu me dis la vérité »
Il s'avança et tourna autour d'elle, comme un général inspectant ses troupes. Elle n'osa pas le suivre du regard et garda les yeux résolument baissés vers le sol, continuant de s'arracher la peau des main et de tordre ses doigts.
Que quelqu'un entre ! Que quelqu'un entre et me sorte de là ! eut-elle le temps de songer avant que les mains puissantes et calleuses d'Ozai se referment sur ses épaules. Puis ce fut son souffle brûlant dans sa nuque quand il murmura ces trois mots à son oreille :
[Retour au présent]
« Retire tes vêtements !»
L'ordre avait surgi de derrière elle. Azula sursauta brusquement et se retourna, les jambes tremblantes. Mais il n'y avait rien. Seulement les froides ténèbres que la lueur diffuse de la pièce ne parvenait pas à dissiper.
Elle leva la main devant elle et ferma les yeux dans une mimique d'intense concentration. En quelques secondes, les flammes bleues qui dansaient sur les torches prirent une teinte orangée plus douce et plus chaleureuse qui éclaira davantage la pièce.
Retire tes vêtements...
Elle se rappela comme la voix d'Ozai était restée calme, presque douce, lorsqu'il avait formulé cette demande dont l'incongruité lui avait fait relever la tête. Elle avait ainsi pu voir ce visage impénétrable qui la fixait, les yeux plissés, une ride sévère dessinée entre ses deux sourcils. Un visage si semblable au portrait qui trônait encore au-dessus du lit couvert d'une épaisse couche de poussière et dont elle ne pouvait détacher le regard.
Retire tes vêtements.
Il avait bien détaché les mots la deuxième fois, comme pour s'assurer de s'être bien fait comprendre.
Azula baissa les yeux vers ses pieds, s'attendant presque à découvrir autour de ses chevilles, la large ceinture de cuir noire qu'elle avait ôtée tout d'abord avec ses doigts tremblants, et qui s'était enroulée sur le sol comme un serpent fuyant le combat.
Elle recula de quelques centimètres. Oui, c'est là, exactement à cet emplacement qu'elle était tombée en perdant l'équilibre alors qu'elle essayait de retirer une première botte avec des gestes maladroits. Père l'avait relevée avec brusquerie et elle s'était sentie décoller du sol pendant une seconde avant qu'il l'oblige à reprendre appui sur ses jambes flageolantes.
Elle leva les yeux vers le portrait d'Ozai, convaincue qu'à tout instant ses lèvres peintes allaient remuer pour formuler l'ordre qu'il avait hurlé une troisième fois à ses oreilles. Il avait bien fallu s'exécuter pour de bon cette fois. Elle n'avait pas vraiment eu le choix, pas vrai ?
Elle avança de quelques pas vers le lit et quand elle fut assez près, elle posa une main mal assurée sur les draps crasseux, se rappelant douloureusement comment, une fois nue, il l'y avait projetée, comme une vulgaire poupée de chiffon. Il lui semblait encore entendre le craquement sinistre des ressorts qui avaient bruyamment protesté lorsque le matelas s'était affaissé sous son poids, ainsi que le bruissement de parchemins froissés sur lesquels elle avait atterri et qu'elle abîmait dans sa tentative désespérée pour s'échapper.
Ainsi, malgré lui, son frère avait été le spectateur privilégié de son humiliation.
Elle s'assit avec prudence sur le bord du grand lit. Le matelas craqua légèrement puis le silence revint, seulement troublé par les battements frénétiques de son propre cœur, à mesure que la peur la gagnait. Derrière elle, elle pouvait sentir le regard pénétrant et impitoyable que le portrait d'Ozai dardait sur elle.
Non, je ne peux pas… je ne suis pas prête.
Peut-être valait-il mieux revenir un autre jour ? Sa mère devait avoir raison, ce n'était pas une bonne idée… Précipitamment, elle commença à ériger son mur, brique après brique.
Elle allait se relever quand elle se sentit soudainement poussée en arrière par une force invisible qui la cloua sur le lit. Un nuage de poussière s'éleva autour d'elle quand son dos et sa tête heurtèrent le matelas. Ses yeux écarquillés se fixèrent immédiatement sur le dais rouge sombre au-dessus d'elle, parfaitement immobile. Et elle demeura là, incapable de bouger, dans la clarté vacillante des torches enflammées.
Comme elle renversait la tête en arrière, ses yeux tombèrent sur le portrait colossal et sur le regard dur que son père portait sur elle.
Ce qui suivit la stupéfia.
La figure peinte de son père cligna des yeux une fois, et leva lentement une main menaçante qui traversa la toile. Azula était paralysée, incapable de bouger. Comme s'il avait été extensible, le bras d'Ozai s'allongea démesurément et sa main calleuse couvrit le visage paniqué d'Azula, les longs doigts repliés s'enfonçant dans ses tempes. Le hurlement qu'elle essaya de pousser fut étouffé par le contact de la paume de son père contre sa bouche. Comme s'il s'était agi d'un signal, elle se tortilla dans tous les sens, agrippant la main de l'apparition pour se libérer, des gémissements étouffés s'échappant de ses lèvres. Mais ses efforts restèrent vains. Jamais, jamais elle n'avait pu lutter contre lui au combat au corps-à-corps.
Dans son esprit tétanisé l'édifice qu'elle s'était efforcée de reconstruire quelques secondes plus tôt s'écroula pierre après pierre. Une lumière intense s'engouffrait à travers chaque interstice. Il ne subsista bientôt plus qu'un tas de gravats et la lumière...une lumière aveuglante qui enveloppa Azula et l'aspira.
Elle continua de se débattre férocement mais ses pieds glissaient inutilement sur les draps poussiéreux.
Soudain, un gouffre s'ouvrit sous son dos, dans le matelas, suivi de la sensation terrifiante d'une chute vertigineuse.
Impuissante, Azula cessa de se débattre et se laissa tomber, son corps et son esprit disloqués tournoyant ensemble dans le vide.
[Flashback : souvenir hallucinatoire – Jour du Soleil Noir]
Son corps atterrit lourdement sur le matelas couvert de draps de soie rouges, une exclamation douloureuse lui échappa quand son crâne heurta la tête de lit.
Elle se rassit et chercha son père des yeux pour savoir ce qu'il faisait, mais son champ de vision fut aussitôt obscurci par une ombre imposante qui l'enveloppa de toutes parts et la cloua sur le matelas. Deux taches jaunes brillaient dans ce qui lui tenait lieu de visage, comme deux pièces d'or scintillantes. Azula voulut hurler mais elle ne parvint qu'à émettre une vague plainte inarticulée. C'était comme si la créature qui se penchait sur elle avait aspiré tout l'air que contenaient ses poumons.
Elle se redressa tant bien que mal sur ses coudes. C'est là, en abaissant les yeux sur son corps, qu'elle aperçut dans un éclair de terreur, la dague affûtée que l'ombre venait de dégainer. Azula n'eut pas le temps de se préparer. L'ombre la recouvrit entièrement et plongea la lame en elle. La douleur fut fulgurante, indicible, et lui coupa instantanément le souffle. Tout son corps protesta et se tendit pour refuser l'objet étranger qui venait de la pénétrer.
Le hurlement qu'elle voulut pousser se perdit dans sa gorge, et de sa bouche grande ouverte ne s'échappa qu'un râle silencieux. Elle ne broncha pas davantage quand la créature retira vivement son arme, la brûlant au passage, pour la planter à nouveau, plus profondément que la première fois.
L'ombre répéta le geste, inlassablement, sans lui donner le temps de récupérer entre deux assauts. La douleur était si intense qu'Azula crut un moment qu'elle allait s'évanouir. Mais l'ombre ne lui en laissa pas le loisir. Elle la frappa, encore et encore, tout en enfonçant des ongles aussi acérés que des griffes dans la chair de ses hanches.
Sans quitter des yeux le dais qui s'agitait gracieusement au rythme des mouvements de la créature, Azula se mit à songer à Zuko, à l'éclipse, à l'ombre de la lune sur la surface lumineuse de l'astre du jour. Elle n'avait pas pu assister au spectacle, retranchée dans la salle du trône souterraine où elle assurait la protection de son père.
De très loin lui parvenaient les exhalaisons rauques du monstre qui la fouillait, la déchirait de l'intérieur.
Azula dut crier à un moment, car la bête lui parla, de sa voix d'outre-tombe :
« Tais-toi petite traînée ! Tu veux que tout le monde t'entende ? »
Le monstre semblait à bout de souffle. Azula se demanda absurdement si lui aussi avait mal, s'il éprouvait la même sensation de brûlure. Pantelant, haletant, il se tut et ses mouvements s'intensifièrent, secouant tout le lit dans de violentes embardées. Azula entendait le froissis des parchemins que la sueur avait collés sur son dos. Elle subissait silencieusement chacun de ses assauts, incapable de remuer, les yeux toujours grand ouverts, contemplant le tissu rouge qui semblait flotter au-dessus d'elle, fascinée par la façon dont il ondulait, comme un drapeau que l'on aurait agité dans le vent. Ou comme les draps de plage que sa mère secouait pour les débarrasser du sable, avant d'en envelopper le petit corps trempé d'Azula après la baignade.
« Tu es à moi ! » grogna la bête entre deux halètements tout en maintenant fermement Azula dans sa prise. « Pas à lui ! »
Azula sentit peu à peu toutes ses forces l'abandonner. Son corps lui parut étrangement cotonneux. La douleur était toujours là, insupportable, mais ne semblait plus vraiment lui appartenir. C'était comme si tout cela arrivait à quelqu'un d'autre.
« Tu seras...ce que...je veux que tu sois… » exhalait la créature en meurtrissant ses hanches sous ses doigts repliés comme des serres. « Tu feras tout ce que je te...demande !»
Cette pauvre fille. Est-ce que quelqu'un allait venir l'aider ? Cette chose qui s'agitait et se démenait au-dessus d'elle était beaucoup plus grande, plus lourde et plus forte qu'elle. Ça ne paraissait pas juste.
Soudain, la chambre, le dais rouge sombre, le poids de la créature sur elle, tout cela sembla s'évanouir et s'éparpiller comme des cendres que l'on disperse dans le vent. Elle n'entendait que le fracas des vagues, au loin, heurtant les rochers et tout près d'elle, la voix de sa mère qui fredonnait, assise sur une chaise à bascule positionnée devant le grand lit où Zuko et Azula dormaient quand ils étaient enfants, dans leur maison de vacances sur l'Île de Braise. Allongée près de sa mère, Azula lui lançait un regard suppliant qu'Ursa lui rendait. Une profonde tristesse étaient peinte sur le beau visage aux yeux clairs et mélancoliques de sa mère.
« Est-ce que tu as mal, ma chérie ? Ne t'inquiète pas, ce sera bientôt fini. Voudrais-tu que je te raconte une histoire en attendant ? », chuchotait-elle sur le ton de la confidence en se penchant vers sa fille.
Ce fut un long râle étranglé et rauque qui la tira de sa rêverie. Le monstre enfonça son poignard une dernière fois et s'immobilisa, laissant la lame en elle. Tout le corps d'Azula se tordit dans un dernier spasme. Puis il n'y eut rien d'autre qu'une vive douleur à la hanche alors que la main griffue devenait ardente sur sa peau. Azula poussa une série de hurlements déchirants et le monstre retira rapidement sa main. Mais il était trop tard. La chair était déjà terriblement abîmée. Une brûlure écarlate en forme de main s'étendit sur la hanche d'Azula, comme si elle avait été marquée au fer.
Il avait retiré l'arme, mais entre les jambes tremblantes de la princesse, la sensation de brûlure, loin de s'estomper, semblait s'intensifier. Elle avait l'impression qu'on l'avait grignotée et consumée de l'intérieur. Quelque chose de liquide et un peu visqueux s'écoulait entre ses cuisses.
Enfin libre de ses mouvements, elle se retourna sur le côté, sanglotant, criant, une main posée sur sa hanche rougie. Mutilée, meurtrie, humiliée, marquée à vie…
« Il semble que tu m'aies dit la vérité cette fois, Azula. » entendit-elle près de son oreille.
Azula sursauta et leva les yeux dans la direction d'où provenait la voix et vit son père, négligemment appuyé sur son coude, à moitié nu, brandissant au-dessus d'eux une main ensanglantée. Des perles écarlates s'écoulaient le long de sa paume et de ses poignets, finissant leur course sur le buste d'Azula où elles s'écrasaient comme de grosses gouttes de pluie sur les feuilles agonisantes en automne.
Le monstre avait disparu. Elle ne se rappelait pas quand son père était revenu.
Ozai se releva. Le matelas s'enfonça de quelques centimètres avant qu'il reprenne sa place initiale.
Il remonta ses pantalons et se tint un moment devant elle, contemplant le spectacle pathétique de sa fille ramassée sur son lit en position fœtale, les épaules secouées de mouvement spasmodiques, le visage enfoui dans ses mains.
« Cependant, reprit-il comme s'il ne s'était jamais interrompu, j'ai peur que cela ne soit pas suffisant. Tu dois apprendre ta leçon. Une fille ne doit jamais mentir à son père, à plus forte raison une princesse. Tu m'as trahi une fois et je veux être sûr que ça ne se reproduise jamais.
Elle se redressa aussitôt, surprise de sa propre réactivité.
– Je vous le promets Père, parvint-elle à articuler entre deux sanglots, je ne vous mentirai plus jamais ! J'obéirai, j'obéirai ! Ne me faites plus mal ! »
Ozai ferma les yeux, une expression peinée s'étalant sur son visage. Il la rejoignit sur le lit, et la fit asseoir. Il prit son menton dans ses mains et caressa la joue trempée de larmes avec sa main encore barbouillée du sang qu'elle avait versé. Il la regarda intensément, et lui adressa un petit sourire triste avant de soupirer :
« Malheureusement ma fille, tu ne me laisses pas le choix. »
Et avant qu'elle ait pu répondre, il changea à nouveau. Sa peau devint sombre, plus opaque qu'une nuit sans lune. Ses mains s'allongèrent et ses longs doigts se replièrent comme des serres. Ses yeux dorés devinrent deux taches jaunes qui luisaient dans son visage étiré et charbonneux. Il sembla grandir démesurément devant elle. Pétrifiée, Azula voulut hurler mais n'en eut pas le temps.
Le monstre la tira par les chevilles. Elle sentit son corps glisser sur la couverture en soie et sur les parchemins éparpillés là.
Quand il l'eut tirée jusqu'au bord du lit, il la prit sans ménagement par les bras et la souleva comme si elle ne pesait rien du tout. Il approcha d'un grand coffre, semblable à celui dans lequel, petite, elle était restée enfermée pendant plusieurs heures affolantes.
Ce fut seulement quand il l'ouvrit qu'elle comprit ce qu'il voulait faire.
« Non ! Non non non ! Pas ça ! Je vous en prie, je ferai ce que vous voulez, pas ça ! »
Sourd à ses supplications, le monstre la jeta dans le coffre et son corps atterrit lourdement sur le fond en bois, lui causant une vive douleur dans les lombaires et sur sa hanche, là où il l'avait brûlée. Elle essaya immédiatement de se redresser mais la créature fut plus rapide et posa ses deux main griffues sur ses épaules pour la repousser au fond du coffre.
« Tu resteras ici pour réfléchir aussi longtemps que je le jugerai nécessaire, gronda sa voix caverneuse. Si tu cries, si tu attires l'attention sur toi d'une quelconque manière, je recommencerai ce que je viens de te faire. Personne ne voudra de toi après ça, pas même ton raté de frère !»
Et avec cela, il referma brutalement le couvercle du coffre.
Les ténèbres, à nouveau.
Il n'y avait pas du tout d'espace. Elle avait beaucoup grandi depuis son dernier séjour dans un coffre identique à l'âge de quatre ans.
Ses membres repliés étaient atrocement endoloris. La douleur causée par la brûlure sur sa hanche était encore vivace et elle ne pouvait rien faire pour la soulager. Lorsque son père l'avait jetée là, elle était retombée sur ce côté et elle n'avait pas assez d'espace pour se retourner. Elle devait donc endurer la sensation du bois rugueux sur ses chairs calcinées. Elle eut envie d'appeler à l'aide, de hurler, mais se rappelant l'avertissement de son père, elle s'abstint.
Dans le noir, elle sentit soudain une main caressante se poser sur son front. Elle ne voyait rien mais elle entendit distinctement le son d'une voix qui fredonnait une berceuse. Son corps se soulevait rapidement sous l'effet de la panique, mais un je ne sais quoi dans cette voix la rassura. C'était comme retrouver son lit après une journée éreintante, ou un ami qu'on avait perdu depuis longtemps. C'était comme les bras de maman qui se resserraient autour d'elle pour la bercer. Elle ferma les yeux.
Quand son père rouvrit le coffre, des heures plus tard, elle fut éblouie par la luminosité soudaine. Elle n'eut pas la force de s'extraire elle-même de la boîte et ce fut son père qui dut sortir son corps amorphe. Il la força à se tenir debout. Azula n'avait même plus la force de maintenir sa tête droite sur ses épaules. Elle retombait sans cesse sur le côté.
Elle était encore nue mais ça lui était bien égal maintenant.
De loin elle entendait son père qui la secouait en la tenant par les épaules et qui lui ordonnait de se rhabiller. Mais elle ne pouvait détacher ses yeux du coin de la pièce où se tenait Zuko, un sourire cruel étirant ses lèvres, spectateur attentif de son humiliation.
« Pourquoi lui as-tu dit ? », lui demanda-t-elle. Mais seul un vague marmonnement franchit ses lèvres gercées. C'était sans doute heureux.
Si elle avait commencé à leur parler, Père aurait compris.
Il l'aurait fait enfermer, comme l'avait fait Zuko plus tard.
Elle ne se souvenait pas vraiment des jours ou des heures qui avaient suivi.
Un matin elle s'éveilla dans son propre lit, en forme. La douleur entre ses cuisses n'était plus qu'un lointain souvenir et elle commençait à se demander si elle ne l'avait pas rêvée.
Elle était propre, vêtue d'une robe de chambre et en passant la main sur sa hanche, elle découvrit que quelqu'un avait soigné ses chairs abîmées. Un bandage recouvrait les tissus brûlés de sa peau à la blancheur de porcelaine.
Il resterait une cicatrice, sans aucun doute. Seul souvenir de cette nuit marquée au fer.
Quand Père la convoqua dans la salle du trône quelques heures plus tard, elle s'y rendit, vêtue de son armure et coiffée de sa couronne.
Elle se prosterna devant lui et l'écouta attentivement énoncer ses ordres.
Elle promit et jura tout ce qu'il voulait.
Non elle ne dirait jamais rien. Jamais. Personne ne saurait ce qui s'était passé le jour du Soleil Noir.
Oui elle partirait sur les traces de son frère et oui, elle lui ramènerait sa tête.
Sans hésiter. Pas un instant.
Quand elle quitta la salle du trône quelques minutes plus tard, son cœur débordait d'une haine sourde mais totale qui obscurcissait son jugement, ses sentiments et sa raison. Elle retrouverait son frère, mettrait fin à ses jours et après…
Après ?… Eh bien… on verrait…
[Fin du souvenir/hallucination – Retour au présent]
Quand Azula émergea, elle était allongée sur le lit froid et poussiéreux. Les draps cramoisis avaient été rejetés en boule au bord du lit où ils formaient un tas indistinct.
Au-dessus d'elle, le dais rouge-sombre était parfaitement immobile. Elle avait dû faire une crise de panique puis s'évanouir. Elle n'avait aucun souvenir de s'être couchée sur le lit. Sa poitrine se soulevait rapidement et elle se sentait étrangement flasque. La sensation était tristement familière. C'était toujours dans cet état qu'elle s'éveillait à l'asile après un épisode de démence.
Prenant appuis sur ses coudes dans un effort surhumain, elle baissa la tête afin d'inspecter son corps. Elle était toujours vêtue de sa robe de chambre mais sa ceinture s'était dénouée dans ses efforts pour se débattre contre la terrible apparition. La robe s'était largement ouverte et dévoilait son corps nu. Ses yeux se dirigèrent presque mécaniquement vers la large cicatrice en forme de main qui ornait son flanc. Aujourd'hui ce n'était plus que l'ombre de l'affreuse brûlure qu'elle avait découverte en retirant son bandage à l'infirmerie, quelques jours plus tard. Mais on distinguait toujours nettement le contour des doigts et l'empreinte de la paume là où Ozai l'avait brûlée quand, sous l'effet conjugué de la rage et du plaisir, il avait perdu le contrôle de lui-même et de son feu intérieur. Cette cicatrice, symbole indélébile de sa honte inscrite à tout jamais dans sa chair.
Elle glissa une main hésitante entre ses jambes et tâtonna quelques secondes, puis la rapprocha de son visage, s'attendant à voir le sang s'égoutter lentement le long de ses doigts. Mais ils étaient immaculés. Pour contrôler les tremblements qui les agitaient elle les referma en un poing qu'elle pressa contre sa poitrine.
Azula se retourna sur le flanc et jeta un coup d'œil prudent au-dessus de la tête du lit. Le portrait d'Ozai, parfaitement immobile, la toisait sévèrement dans la pâle clarté des torches fixées aux murs.
Elle se redressa péniblement sur son séant et, avec des doigts tremblants, elle resserra sa ceinture autour de sa taille pour soustraire sa nudité au regard fixe et méprisant de l'homme qui l'avait mise au monde.
Elle balaya la chambre du regard. La première chose qu'elle vit fut le coffre. Celui dans lequel il l'avait laissée, des heures durant ou peut-être des jours, nue, terrifiée, s'interdisant de crier ou d'appeler à l'aide, trop horrifiée pour ressentir la faim et la soif qui la tenaillaient.
Azula se glissa jusque sur le bord du lit. Ses deux mains s'agrippèrent à l'un des piliers qui entouraient le sommier et l'embrassèrent. Dans sa poitrine, son cœur enfla jusqu'à occuper tout l'espace. Sa gorge la brûla. Ses lèvres se retroussèrent en une moue douloureuse et elle ferma étroitement ses paupières. Posant sa tête contre la colonne en bois, elle laissa enfin éclater le sanglot qu'elle retenait. Le torrent d'émotions contre lequel elle luttait vainement depuis des années la submergea tout à coup.
Elle pleura pendant ce qui lui sembla des heures, petite silhouette perdue dans l'immensité de la chambre solitaire.
« Pourquoi est-ce que tu m'as fait ça ? Pourquoi ? Tu m'as fait tellement mal ! » gémit-elle entre deux hoquets.
Derrière elle, le portrait resta résolument immobile et silencieux, indifférent à sa souffrance.
Comment avait-il pu ? Comment l'homme qu'elle appelait Père, qu'elle vénérait, pour qui elle était prête à tout, avait-il pu la briser ainsi, puis l'abandonner, comme si elle n'était rien ? Il l'avait traitée comme la dernière des putains. Il l'avait abîmée, mutilée et humiliée. Depuis elle avait peur de tout, tout le temps. Il l'avait réduite à néant. Il lui avait tout pris.
Ses gémissements se transformèrent en plaintes puis en cris qui résonnèrent entre les murs. Quand elle eut pleuré toutes les larmes que contenait son corps, elle dut lutter contre une série de hoquets et de spasmes douloureux qui finirent par s'espacer, lui permettant peu à peu de reprendre son souffle.
Lâchant le pilier du lit à baldaquin, elle s'essuya les yeux avec la paume de sa main.
Elle avait survécu. Elle s'était souvenue et avait survécu… Pour la première fois en cinq ans, elle avait trouvé la force de se confronter au pire de tous ses souvenirs. Elle l'avait fait pour Zuko.
Cinq ans… Le septième jour du mois, cela ferait cinq ans. Cinq ans depuis l'éclipse. Cinq ans depuis qu'Ozai, son père, l'homme qui l'avait fait naître, l'avait violée, la dépouillant de sa fierté, de son honneur, de sa raison.
Oui, c'était ici que le Seigneur du Feu l'avait prise. C'est ici qu'elle se donnerait à lui.
Dans le prochain chapitre, vous verrez comment l'étau se resserre autour de Zuko et Azula !
Ceux qui n'ont pas encore lu mon prequel : "The Fire Lord's Guest", n'hésitez pas à venir jeter un œil ! Après ce chapitre très sombre, il pourrait vous redonner foi en l'humanité. Je n'ai pas posté la version française sur FanFiction, vu le nombre très limité de lecteurs francophones. Si vous souhaitez que je le poste, n'hésitez pas à me le signaler en commentaire ou par PM. Je le ferai avec plaisir.
J'espère que vous avez apprécié et s'il vous plaît, laissez un commentaire! J'aimerais beaucoup connaître votre interprétation de ce chapitre.
