Chapitre 15 – Observer et attendre.
Assise seule sur les gradins de la place du couronnement où l'Agni Kai s'était déroulé cinq ans auparavant, Katara réfléchissait.
Les autres étaient encore à table. Elle était sortie, prétextant avoir besoin de repos après l'arrivée tardive de la veille et la journée passée dans la salle du Conseil à essayer d'apaiser les tensions entre Zuko et ses ministres.
Au passage, elle avait intercepté le regard un peu inquiet d'Aang et lui avait souri d'un air rassurant, une main posée sur son épaule avant de prendre congé.
Ses pas l'avaient menée ici. C'était le premier endroit auquel elle avait pensé.
Des nuages menaçants projetaient leur ombre sur le sol en terre battue où s'était déroulé, des années auparavant, l'apocalyptique combat entre elle, Zuko et Azula.
Jamais elle n'oublierait les événements de cette terrible journée. Chaque fois qu'elle y repensait, elle était surprise de l'acuité de ses souvenirs : le ciel sanguinolent au-dessus de leur tête, le rire maniaque de la princesse, les battements frénétiques de son propre cœur lorsqu'Azula s'était mise à la poursuivre à travers la cour pour l'anéantir. Le sentiment de pure terreur lorsque ses éclairs mortels avaient frappé Zuko. Le cataclysme de feu, orange et bleu, qui s'était abattu sur ce sol poussiéreux, la lutte féroce entre un frère et une sœur qui se vouaient une haine mortelle.
Katara était certaine d'une chose. Si elle ne l'en avait pas empêchée, Azula aurait tué Zuko, sans hésiter. Elle aurait assisté à son agonie tandis que les Sages poseraient la couronne sur sa tête puis l'aurait abandonné ici, comme on laisse mourir un animal, à la merci des corbeaux et autres charognards.
Jamais Katara n'oublierait cette journée terrifiante, l'expression démente sur le visage habituellement calme et calculateur de la princesse, la sauvagerie de ses attaques foudroyantes… puis l'effondrement d'Azula lorsqu'elle avait réalisé sa défaite. La façon dont son corps s'était tordu sur le sol, les flammes qui avaient jailli de sa bouche alors qu'elle se contorsionnait pour se libérer de ses liens dans une position presque impudique… La terreur que lui inspirait la princesse avait vite cédé la place à une profonde pitié qu'elle n'aurait jamais imaginé ressentir pour cette ennemie qui avait failli tuer Aang, puis Zuko.
C'était la même pitié qui avait poussé Zuko à épargner sa vie, à lui éviter la prison.
Du moins était-ce que que Katara avait pensé.
Puis elle avait été témoin de l'état de détresse de Zuko lors des jours qui avaient suivi l'Agni Kai. Alors qu'ils assistaient, impuissants, à la perte tragique de la raison de la princesse, elle avait compris que Zuko n'avait peut-être pas été tout à fait sincère avec eux.
Il leur avait toujours répété à quel point il détestait Azula, combien elle lui avait gâché la vie, comme il aurait voulu qu'elle en sorte définitivement. Il avait à peine sourcillé lorsqu'il l'avait regardée, depuis le dos d'Appa, tournoyer dans le vide, condamnée à une mort certaine au Temple de l'Air occidental.
Pourtant, ce que Katara voyait dans ses prunelles alors qu'il contemplait le triste spectacle de sa sœur privée de raison, ce n'était pas de la haine, ni de la jalousie, ni du ressentiment. C'était une douleur insupportable, comme si on lui avait arraché un bras.
C'était de l'amour. Tout simplement.
Il était probable que Zuko n'en eût pas eu conscience jusque là. Mais soudain, tout prenait sens : la raison pour laquelle il l'avait épargnée alors qu'elle avait voulu le tuer pour laquelle il avait trahi Katara et son oncle dans les catacombes de Ba Sing Se.
Azula avait le pouvoir de faire ressortir chez Zuko le meilleur comme le pire. Et ce n'était pas différent aujourd'hui.
Le Seigneur du Feu, son ami, le meilleur espoir que le monde ait connu depuis plus d'un siècle dans un monde troublé par les conflits, cet homme était prêt à déclencher une nouvelle guerre. Et pour quoi ? Pour qui ?
La princesse avait établi son empire dans l'esprit et dans le cœur de son frère. Autrefois ennemie de la nation et de la paix, elle était devenue intouchable.
Katara se demandait jusqu'où elle serait prête à aller pour protéger Sokka s'il était ainsi menacé. Elle supposait qu'elle aurait tout fait pour le sauver.
Bien qu'il la rendît souvent folle, Katara aimait profondément son frère, et savait que c'était réciproque. La façon dont lui-même la surprotégeait l'agaçait mais était également très touchante et elle en était aussi exaspérée qu'émue.
Les liens qui unissaient Zuko et sa sœur n'avaient rien de comparable. Ce n'était pas seulement de l'affection, ni la tendresse qu'un frère est censé ressentir naturellement pour sa petite sœur. C'était une obsession.
Katara savait que tout comme elle, Aang, Sokka, Suki et Toph étaient inquiets de la réaction de Zuko quand le sujet de sa sœur avait été abordé en réunion ce matin-là.
En effet, après le petit-déjeuner, le Seigneur du Feu les avait réunis pour leur parler des troubles qui s'aggravaient dans les colonies depuis plusieurs semaines et de la contestation populaire qui gagnait la Capitale avec l'afflux de réfugiés. Puis Kadao avait parlé, avec l'autorisation de Zuko, du chantage de Kuei.
Si la Nation du Feu ne leur livrait pas Azula, le Royaume de la Terre cesserait de rétablir l'ordre dans les colonies et laisserait les autochtones attaquer les colons. Connaissant Lu Fang, on pouvait même supposer que non content de ne pas participer à l'apaisement des tensions, il les attiserait, jusqu'à ce que Zuko cède à leur demande.
Bien sûr elle comprenait parfaitement que son ami refusât un chantage aussi odieux. Mais voir la rage déformer ses traits, entendre le ton qu'il avait employé lorsque les ministres avaient évoqué la possibilité de réfléchir à la question, l'avait terrifiée.
Le ministre qui avait eu l'imprudence de s'exprimer s'était ratatiné sur sa chaise quand Zuko s'était levé et s'était avancé vers lui d'un air menaçant, une dague de feu surgissant dans sa main. Il avait fallu les efforts conjugués de Sokka et d'Aang pour le retenir quand il s'était jeté en avant pour frapper le ministre qui s'était finalement enfui, escorté par Kadao, tandis que Zuko continuait de lui hurler dessus, proférant des menaces, lui promettant des sanctions d'une extrême sévérité. Katara aurait juré avoir vu de la fumée sortir du coin des lèvres de Zuko pendant qu'il regardait sortir le traître, toujours maintenu par ses deux amis.
Il lui avait fallu plusieurs minutes pour se calmer, assis sur une chaise. Les paroles rassurantes d'Aang et les promesses des ministres restants qui lui juraient leur loyauté, parvinrent à l'apaiser un peu.
Non, on ne livrerait pas la princesse à Ba Sing Se.
Oui, on chercherait à la protéger coûte que coûte.
« Cependant, lui dit Aang, une main réconfortante posée sur son épaule, il faut réfléchir à une solution Zuko. Azula ne peut pas rester au palais. Elle est trop exposée. Et tu sais bien que sa présence nuit à ta réputation actuellement. »
Katara ne pouvait qu'approuver ses paroles, bien qu'elle ne sût pas tout à fait à quoi Aang faisait allusion. Son fiancé avait été bien mystérieux au sujet de sa dernière visite à la Caldera et Katara sentait bien qu'il lui cachait des choses.
Zuko s'était alors remis en colère.
« Toi aussi alors ? Même vous, qui êtes censés être mes amis, vous êtes contre nous ? »
L'usage du mot « nous » ici, avait profondément troublé Katara.
– Nous ne sommes pas contre toi Zuko, avait essayé de le raisonner Toph, ni contre Azula. Mais Aang a raison, tu n'es pas objectif quand il s'agit d'elle. On doit réfléchir à un moyen de la protéger tout en l'éloignant d'ici. »
Zuko s'était levé, menaçant, et s'était avancé vers Toph, la dominant de toute sa taille. La jeune maître de la Terre ne bougea d'un centimètre, les deux pieds fermement campés dans le sol. Elle demeura parfaitement statique, même quand le souffle brûlant de Zuko fit voler ses mèches noires au-dessus de sa tête, tant son visage était proche du sien. Autour d'eux, Aang, Suki et Sokka s'étaient à nouveau levés, prêts à défendre Toph si nécessaire ou à les séparer.
Cela n'avait pas été nécessaire, heureusement. Zuko se détourna de Toph et les regarda tous, une lueur de défi brillant dans ses yeux dorés :
« Je vous ai fait venir ici pour m'aider à régler mes problèmes. Votre seule priorité à compter d'aujourd'hui sera d'assurer la protection de la princesse. Elle restera ici, avec moi, sous mon toit et sous ma protection. Ce n'est pas négociable. Si vous refusez, alors il est inutile que vous restiez. Nous n'aurons plus rien à nous dire. »
Et avant qu'ils aient pu répondre, il avait quitté la pièce, un nuage de fumée enveloppant sa silhouette alors qu'il franchissait le seuil de la grande porte de la salle du Conseil.
Zuko ne s'était pas joint à eux pour dîner, ni Mai, ni Azula. Il avait dû donner des ordres à ses serviteurs car on leur servit malgré tout un repas somptueux qu'ils partagèrent dans une ambiance tendue, sans échanger un mot. Ty Lee les avait rejoints mais même elle, habituellement si joyeuse, affichait un air inquiet et morose que Katara ne se souvenait pas lui avoir jamais vu. Elle s'était rapidement éclipsée, s'excusant auprès d'eux. Azula avait besoin d'elle et elle ne voulait pas la laisser seule trop longtemps. A l'entendre, on eût plus dit que c'était davantage le garde-du-corps ou bien encore la nourrice d'Azula qui s'exprimait plutôt que son amie. Elle se demanda quelle mission Zuko avait fait peser sur ses épaules.
(Fin du Flashback)
Maintenant, assise sur les gradins de la cour, la tête dans les bras, Katara se rongeait les sangs. Elle poussa un grand soupir. Soudain, un bruit de pas la tira de ses réflexions et elle sursauta violemment en voyant deux jambes chaussées de bottes en cuir apparaître devant elle. Immédiatement elle ouvrit l'outre qu'elle emportait partout et créant dans ses mains une sphère d'eau géante, elle l'envoya s'écraser sur l'intrus.
Un bruit d'éclaboussure, suivi de celui d'une toux bien familière, se firent entendre dans le silence de la cour.
« Sérieusement, Katara ! Des bottes en cuir toutes neuves !
– Oh ! Désolée Sokka ! » s'écria-t-elle en se levant précipitamment pour s'approcher de son frère qui s'ébrouait furieusement, trempé jusqu'aux os.
– Un jour cette blague va cesser d'être drôle ! » rétorqua-t-il en croisant les bras sur sa tunique détrempé avec un bruit de succion grotesque.
– Excuse-moi », répéta-t-elle en utilisant sa maîtrise pour aspirer la plus grande quantité d'eau des vêtements de Sokka. « Tu m'as surprise, j'étais perdue dans mes pensées. »
– Heureusement que tu n'es pas un maître du feu ou de la terre alors ! Tu pensais à la réunion de ce matin ?
– Oui, avoua-t-elle en baissant les yeux.
– Tu n'es pas la seule à te faire du souci. Quand Toph nous a dit que tu avais menti en prétendant aller te coucher... » Katara ne put s'empêcher de froncer les sourcils à la mention de ce talent hautement exaspérant de la jeune aveugle. « Nous en avons parlé. Aang ne dit rien mais j'ai le sentiment qu'il sait des choses à propos de Zuko qu'on ignore.
– Oui, je le pense aussi, répondit Katara.
– Bref, quand j'ai su que tu n'étais pas partie te coucher, je suis venu ici. Je savais que je t'y trouverais.
– Comment le savais-tu ?
– Tu es ma sœur, je te connais bien. », répondit-il avec un petit sourire en s'asseyant près d'elle. « Mais aussi parce que j'ai demandé aux gardes... »
Elle répondit à son sourire et lui donna un petit coup de coude dans les côtes.
Sokka passa gentiment un bras autour de ses épaules. Katara laissa sa tête reposer contre celle de son frère et tous les deux restèrent un long moment silencieux, contemplant la voûte céleste au-dessus d'eux, recouverte par des nuages d'orage menaçants. Une atmosphère lourde et pesante planait dans l'air et quelques éclairs silencieux zébraient le ciel au loin. L'orage ne devait se trouver qu'à quelques kilomètres et serait sur eux avant le milieu de la nuit.
Ce fut Sokka qui rompit le silence. D'une voix où perçait l'inquiétude, et baissant les yeux sur ses pieds, il demanda :
« Tu crois qu'il va y avoir une autre guerre ?
– Ça en a tout l'air. Si on ne parvient pas à raisonner Zuko et que Ba Sing Se continue de le provoquer…
– Je n'arrive toujours pas à croire que Kuei nous trahisse comme ça ! répliqua Sokka, les sourcils froncés. Après tout ce que Zuko a fait pour lui !
– Kuei fait simplement ce que lui conseille Lu Fang. Il est manipulé...C'est ce que pense Aang.
– Oui, c'est un fâcheux petit défaut dont il aurait paraît-il déjà fait preuve dans le passé, répondit Sokka sur un ton feignant l'innocence. Mais je ne vois vraiment pas à quoi cela fait allusion... »
Katara éclata de rire et posa doucement sa main sur le bras de son frère.
« Ecoute Sokka, je sais que ce que nous demande Zuko est abusif. Je sais aussi à quel point Azula te met mal à l'aise. Si tu veux rentrer avec Suki… sache qu'Aang et moi nous resterons auprès de Zuko. Tu n'es pas obligé de faire ce qu'il te demande.
– Vous ne l'êtes pas non plus, répondit-il avec un sérieux qui ne lui ressemblait pas.
– C'est le rôle de l'Avatar de régler les problèmes. Et celui auquel on fait face est plutôt conséquent. Et le mien est de rester auprès d'Aang.
– Non Katara, notre place est dans la Tribu de l'Eau. Les filles t'attendent à l'Académie. Nous avons passé plus de temps ces dernières années dans la Nation du Feu ou dans le Royaume de la Terre que chez nous. Il est temps pour Zuko d'apprendre à gérer sa propre nation sans nous. J'aime ce type mais je ne risquerais pas ma vie pour la sécurité de sa petite sœur cinglée et mégalomane ! »
Katara eut l'air un peu peinée et lâcha son bras. Le mouvement attira l'attention de Sokka qui chercha son regard.
« Si c'était moi qui étais menacée ainsi par Kuei, tu ne réagirais pas de la même manière ? demanda-t-elle.
– Si. Bien sûr que si. Tu sais bien que je ne te laisserais jamais tomber. Mais on ne parle pas de toi ! On parle d'Azula : la fille la plus dangereuse, la plus cinglée et la plus mortelle qui ait jamais existé ! Je n'arrive pas à croire que Zuko ne voie pas ça !
– C'est sa sœur… Il l'aime… enfin je suppose qu'on peut appeler ça comme ça…, suggéra-t-elle en haussant les épaules.
– Si tu veux mon avis, il y a quelque chose de pas clair entre ces deux-là. Je l'ai senti la dernière fois qu'on est venus, et Toph aussi, et Suki. Je ne sais pas ce qu'ils manigancent tous les deux mais je n'aime pas ça et si tu veux mon avis, le ministre que Zuko a agressé tout à l'heure n'a pas totalement tort. Ce serait mieux pour tout le monde si elle quittait le palais le plus tôt possible.
– Je suis d'accord avec toi. Moi non plus je ne me sens pas à l'aise. Mais pour l'instant, nous devons absolument apaiser Zuko pour qu'il ne cause pas plus de dégâts. Tu n'es pas obligé de rester, répéta-t-elle, Aang et moi pouvons gérer ça. Je resterai pour protéger Azula. Même si je doute qu'elle veuille de ma protection…, conclut-elle d'un air sombre.
Sokka la repoussa gentiment d'un mouvement de l'épaule et la plongea ses yeux outremer dans les siens.
« Hé ! Tu es ma sœur. On reste unis, même dans la galère ! »
Katara lui sourit et prit la main qu'il lui proposait. Il l'aida à se lever et, passant fraternellement son bras au-dessus de ses épaules, il la conduisit jusqu'au palais.
Katara se sentit un peu mieux à l'idée d'affronter cette épreuve auprès de ses amis et de son frère.
Elle aurait tant souhaité que Zuko puisse connaître le bonheur que procurait une relation sincère et saine avec sa propre sœur.
« C'est certain qu'on ne va pas rire tous les jours », dit Sokka d'un air sombre, sa voix résonnant entre les piliers de marbre tandis qu'ils pénétraient dans le palais.
Katara esquissa un petit sourire avant de répondre plus joyeusement.
« Avec toi, je ne me fais aucun souci pour ça ! »
Ils prirent ensemble la direction de la salle à manger où les attendaient les autres, bien décidés à profiter d'une dernière soirée sereine entre amis.
Ty Lee regardait nerveusement autour d'elle, se demandant pour la dixième fois au moins s'il viendrait. Le rire gras qui retentit depuis la table voisine écorcha ses oreilles et la fit sursauter. Avec une grimace de dégoût, elle retira de la table collante et couverte d'une pellicule graisseuse la main qu'elle venait d'y poser. Ty Lee avait beau apprécier les ambiances festives, elle n'en était pas moins la fille d'un noble et ne put s'empêcher de se sentir un peu offensée quand un client renversa le contenu de sa chope directement dans son gosier dans le but de laisser échapper un rot sonore qui déclencha les rires de ses compagnons. Ou quand la grosse main calleuse d'un consommateur corpulent aux cheveux drus s'attarda sur la hanche d'une serveuse qui lui répondit par un sourire coquin en le frappant avec un torchon, puis repartit, les yeux levés vers le ciel, une expression de profonde exaspération gravée sur ses traits burinés.
Elle n'en revenait pas qu'Hikaru lui ait donné rendez-vous dans un tel endroit. Ce n'était pas bon ne l'avait vu que deux fois depuis la soirée où ils étaient sortis avec Kojiro et Azula et il n'avait répondu à aucune de ses sollicitations au cours des quatre derniers jours.
Quand elle avait reçu son faucon, elle avait été profondément soulagée mais sa joie s'était vite estompée quand elle avait rapidement parcouru le contenu de sa lettre.
Rendez-vous à l'auberge du Dragon Jaune demain soir. Il faut qu'on se parle. Viens seule.
Hikaru
Elle avait beau savoir qu'Hikaru était un garçon sérieux, la gravité qu'elle avait perçue dans sa lettre lui avait paru de mauvais augure. Que pouvait-il bien vouloir lui dire dans un tel endroit ? Au début, elle s'était dit que ce ne devait pas être si important. Il ne lui aurait pas donné rendez-vous ici sinon. Mais maintenant qu'elle était ici depuis une demie-heure, environnée de toutes parts par la musique, les chants paillards, les rires et les conversations échaudées des consommateurs, elle devait reconnaître que c'était en fait l'endroit idéal pour une conversation privée. Personne ne parviendrait à les entendre dans ce vacarme.
Avec un petit pincement au cœur, elle imagina ce que dirait Azula si elle la voyait. Elle serait sans aucun doute à la fois consternée et horrifiée. Du moins le serait-elle si elle éprouvait encore un quelconque intérêt pour ce que faisait Ty Lee. Depuis qu'elle les avait surpris, elle et Zuko, en plein milieu d'un moment intime, Azula était la froideur incarnée. Elle ne lui parlait plus guère, à part pour évoquer des banalités, et deux jours auparavant, elle avait demandé aux domestiques de faire préparer une chambre pour Ty Lee alors qu'elle avait insisté jusqu'ici pour que son amie reste auprès d'elle la nuit, sur son lit de camp.
Ty Lee était supposée renter trois jours plus tard sur l'Île de Kyoshi. Ce n'était certainement pas les sarcasmes, ni la soudaine froideur d'Azula, ni la mine renfrognée de Zuko et de Mai qui la retenaient ici. Bien qu'elle eût honte d'éprouver de tels sentiments, Ty Lee ne pouvait s'empêcher de se sentir profondément amère en pensant à la façon dont la princesse la traitait, après tout ce qu'elle avait fait pour elle. Elle avait cru un moment que le cœur d'Azula s'attendrissait, qu'elle devenait plus humaine, plus tolérante. Elle s'était lourdement trompée. Tout ce qui comptait pour la princesse, à présent, c'était le temps qu'elle pourrait passer seule avec son frère. Les autres étaient à peine plus que des figurants dans sa vie, une quantité négligeable, voire nuisible. Ty Lee serait sans doute rentrée plus tôt s'il n'y avait pas eu Hikaru. Ses projets de départ dépendraient donc de l'issue de cette conversation. Elle n'avait pas insisté auprès de Suki quand cette dernière lui avait dit que malgré les troubles qui agitaient la Capitale de la Nation du Feu, elle souhaitait la voir rejoindre leurs camarades au plus vite pour se préparer à intervenir dans les colonies les plus proches de leur île.
Azula était-elle avec Zuko en ce moment ? Bien qu'elle n'ait pas eu accès à la lettre que la princesse avait rédigée pour lui, elle n'en devinait que trop bien la teneur. Azula s'était montrée inhabituellement joyeuse tout le long de cette journée, montrant parfois des signes d'impatience. Étrangement, elle avait aussi semblé nerveuse, se griffant le dos des mains avec plus de fréquence que d'habitude, secouant vivement la tête par moment comme pour chasser un insecte.
Ty Lee savait ce que cela signifiait : les voix étaient de retour. Depuis plusieurs jours, elle assistait avec une pitié déchirante à la lutte acharnée et farouche que menait son amie pour ne pas leur répondre, bien qu'elle vît parfois des mots silencieux se former sur ses lèvres quand elle baissait la tête, pensant que Ty Lee ne la voyait pas.
La princesse se rendait-elle compte que la maladie regagnait du terrain ? Avait-elle peur ? En avait-elle parlé à Taïma ou à Zuko ?
La porte de l'auberge s'ouvrit brusquement et un courant d'air s'engouffra dans la pièce bondée. Une haute silhouette familière apparut dans l'encadrement.
Elle attendit qu'il regarde dans sa direction pour lui faire signe. Hikaru la rejoignit à sa table et elle remarqua aussitôt sa mine sombre et ses traits tirés.
Il s'assit face à elle et leva la main pour attirer l'attention d'une serveuse. Il passa sa commande et se tourna vers Ty Lee, les mains jointes sur la table devant lui, sans la regarder.
« Bonjour Hikaru, lança-t-elle timidement. Je suis contente de te voir. Comment vas-tu ? »
Elle avança une main timide vers lui mais il retira les siennes et les plaça sur ses genoux, sous la table, refusant toujours d'affronter son regard.
« Je vais être bref, Ty Lee. C'est fini toi et moi. »
Elle avait beau s'y attendre, cela ne rendait pas les choses plus agréables. Ses yeux gris s'élargirent sous le choc et elle dut se mordre la lèvre inférieure pour la retenir de trembler. Habituellement, elle était celle qui mettait un terme à ses relations. Elle but une gorgée de son verre pour se donner une contenance, inspira et demanda, du ton le plus posé qu'elle put :
« Est-ce que tu comptes me donner une explication ou devrai-je me contenter de ça ?
– Pourquoi tu ne m'as pas dit que Miyu était la princesse Azula ? »
La question avait surgi avec une telle brusquerie, de manière si inattendue que Ty Lee resta un moment incapable de parler, plus encore de nier.
« Co-comment as-tu su ? » balbutia-t-elle, trop choquée pour se demander ce qui contrariait tant Hikaru.
« Les flammes bleues ne sont pas un don très répandu au cas où tu ne le saurais pas. Et il suffit de regarder un portrait de la princesse pour la reconnaître immédiatement. Les filles comme elle ne courent pas les rues... »
Ty Lee essaya de ne pas paraître offensée par le sens caché derrière ces paroles. Azula était une fille magnifique, elle le savait. Ce n'était pas pour autant agréable de s'entendre dire par son petit ami à quel point la beauté d'une autre surpassait la sienne.
« Bon, admit-elle. C'est vrai. On a menti. C'était Azula. Je suis sa meilleure amie, expliqua-t-elle, essayant vainement de dissimuler la note d'orgueil qui paraissait dans sa voix. Mais tu peux comprendre pourquoi, non ? Elle est la Princesse ! Il aurait été vraiment imprudent de le dire, que ce soit pour sa sécurité ou sa réputation. »
Kojiro eut un petit rire sans joie et rétorqua :
« Ne t'inquiète pas pour elle, elle se charge elle-même de ternir sa réputation ! Quant à la sécurité, ce n'est pas pour la sienne qu'il faut s'inquiéter !
– Que veux-tu dire ? » dit Ty Lee qui commençait à sentir le malaise monter en elle. Dans son ventre, ses intestins se contractèrent douloureusement et elle reposa le verre qu'elle s'apprêtait à porter à ses lèvres, incapable d'ingurgiter une gorgée de plus.
« Tu te rappelles que je n'avais plus de nouvelles de Kojiro ? » demanda-t-il.
Ty Lee acquiesça.
« Eh bien, on l'a retrouvé finalement. »
– On ?, interrogea Ty Lee dont l'angoisse atteignait son paroxysme. Que veux-tu dire ? Est-ce qu'il va bien ?
– Tu devrais demander à ta meilleure amie, rétorqua-t-il, les sourcils froncés, un regard de haine se dessinant sur ses traits fins et bien dessinés.
– Écoute Hikaru, je ne comprends pas de quoi tu parles ! s'agaça-t-elle, incapable de contenir l'anxiété croissante qu'elle éprouvait. Alors soit tu me dis ce qui s'est passé, soit je sors d'ici et je parle de tes allégations au Seigneur du Feu. Il se trouve qu'il est également l'un de mes meilleurs amis! Et crois-moi, il ne sera pas très bien disposé à ton égard. Il n'aime pas beaucoup que l'on touche à sa sœur !
– Ça, je n'en doute pas ! Apparemment il se réserve ce droit ! » riposta-t-il avec un rire mauvais.
Ty Lee fut outrée mais elle perdit rapidement sa combativité. Que répondre à cela ? Il eût été facile de répliquer si elle n'avait pas surpris les étreintes du Seigneur du Feu et de la Princesse quelques jours auparavant. De plus elle n'était pas Azula. Elle n'éprouvait guère de plaisir à menacer les gens.
Elle s'efforça de soutenir le regard furieux d'Hikaru et, baissa la voix, juste assez pour qu'il l'entende malgré le brouhaha.
« Je t'en prie Hikaru, dis-moi ce qui est arrivé... »
Hikaru but une longue gorgée, reposa sa chope, croisa ses bras sur la surface en bois collante et lui lança un regard intense. Puis il commença lentement son récit.
Ty Lee l'écouta attentivement, ses larges yeux couleur de brume grandissant et s'assombrissant à chaque mot que la voix grave et pénétrante d'Hikaru prononçait.
Un mur de flammes surgi de nulle part, fendit l'air autour d'Aang, l'obligeant à esquiver, alors que Zuko posait abruptement son talon au sol, achevant ainsi l'exécution de son kata.
Aveuglé, l'Avatar leva un bras au-dessus de ses sourcils pour protéger son visage de la chaleur torride et risqua un œil vers son adversaire. Zuko, magnifique dans sa tenue de combat, apparut au milieu des flammes dansantes qu'il venait de générer, marchant droit vers lui.
Avec toute l'agilité d'un maître de l'air digne de ce nom, Aang exécuta une gracieuse pirouette en arrière et, alors qu'il lévitait à au moins trois mètres du sol, il dirigea vers Zuko son poing dont jaillit une volée de boules de feu que le Seigneur du Feu esquiva facilement d'un geste désinvolte de la main. Il répliqua par un coup de pied retourné dont sortirent deux jets ardents qu'Aang évita difficilement alors qu'il retombait sur ses pieds.
Il était impressionnant de constater à quel point Zuko avait progressé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient entraînés ensemble, des mois auparavant. Et Aang devait reconnaître qu'il se sentait un peu rouillé. Apparemment, les temps de paix n'étaient pas une période idéale pour maintenir les compétences de combat d'un Avatar.
Il n'avait guère eu l'occasion de pratiquer sa maîtrise du feu en situation de combat depuis plusieurs mois. Et bien qu'il fût un maître du feu hors-pair, Aang s'émerveillait des nouveaux gestes et kata que Zuko avait visiblement ajouté à son répertoire.
Mettant fin au combat par un signe dont ils avaient convenu ensemble, Aang retourna chercher la serviette qu'il avait abandonnée près de Toph qui se curait l'oreille sur les gradins, les pieds étendus devant elle sur un bloc de pierre qu'elle avait fait surgir du sol. Elle avait assisté au combat sans faire le moindre commentaire mais ne put se retenir quand elle vit son ami se diriger vers elle :
« Alors Tête de Flèche, on se laisse impressionner par le Seigneur des allumettes maintenant ? Je te préviens que si je te surprends à te battre comme une fillette lors d'un duel de maîtrise de la terre, tu entendras parler du pays !
– Ne t'inquiète pas, Sifu ! Avec un maître tel que toi, aucun risque d'oublier quoi que ce soit ! » répliqua-t-il en riant et en s'épongeant le front avec la serviette.
Tandis qu'ils parlaient, Zuko s'avança vers eux, l'air plus sombre et grave que jamais.
« Qu'est-ce que vous complotez tous les deux ?; leur demanda-t-il en guise d'introduction.
Aang se tourna vers lui mais ce fut Toph qui répondit la première :
« Rien de bien intéressant. Aang pleurnichait à cause d'une de tes petites étincelles qui lui a brûlé le petit doigt. Bravo Double-Face, si un jour par hasard j'ai besoin d'allumer une bougie, je reconsidérerai peut-être tout ce que j'ai dit avant et je ferai appel à toi. »
Zuko la regarda avec de grands yeux ronds puis esquissa un sourire. C'était une expression qu'Aang n'avait pas vu s'afficher souvent sur le visage ravagé de son ami au cours des derniers mois.
Aang était content que Toph ait reçu son courrier à temps pour se joindre à eux. Elle les avait rejoints au Temple de l'Air du Sud où elle les avait attendus alors qu'ils remontaient depuis les Tribus de l'Eau en direction de la Caldera. Un mois passé avec ses parents, c'était bien plus qu'elle ne pouvait supporter et elle lui avait confié avoir été soulagée d'avoir un prétexte pour filer en douce.
Aang était soulagé qu'elle ait évité de s'en réjouir devant Zuko cependant. Malgré son sourire, le jeune souverain n'était pas tout à fait disposé à rire des événements qui agitaient sa nation et les colonies.
Encore moins à rire des rumeurs qui circulaient toujours à son sujet et celui d'Azula et qui prenaient des proportions extravagantes.
Aang s'était bien abstenu d'en parler avec ses amis alors qu'il les ramenait dans la Nation du Feu. Mais au cours de leur voyage, ils avaient fini par en entendre parler par l'intermédiaire des voyageurs et des marchands qu'ils rencontraient sur leur chemin.
Au début, Toph en avait ri, affirmant qu'elle avait toujours su que quelque chose clochait entre ces deux-là. Mais elle s'était vite arrêtée en remarquant le silence buté d'Aang et la manière dont son cœur s'emballait chaque fois que quelqu'un évoquait le sujet. Enfin, c'est ce qu'il supposait car elle ne dit bientôt plus rien à propos de Zuko et Azula et s'était abstenue de tout commentaire jusqu'à maintenant, même lorsque Zuko s'était emporté la veille dans la salle du Conseil.
« Sans rire Zuko, reprit Aang en jetant une autre serviette à son ami qui l'attrapa au vol. Je suis impressionné des progrès que tu as faits. Je ne connaissais pas la moitié des mouvements que tu as utilisés pour me combattre !
– C'est Azula qui me les a appris. », répondit-il.
Un silence un peu inconfortable s'installa entre eux.
Les deux hommes s'abreuvèrent tandis que Toph lançait distraitement en l'air des osselets qu'elle avait dérobés à Sokka au cours de leur voyage et qu'elle rattrapait entre ses doigts, sans en faire tomber un seul.
« Vous vous entraînez souvent ensemble ? » risqua Aang en se tournant vers son ami, s'efforçant de donner à sa voix un ton aussi neutre que possible.
« Pas depuis deux mois, grogna Zuko sans regarder son ami.
Oui, bien sûr...se dit Aang tout en se reprochant intérieurement sa maladresse.
Ce fut le moment que choisit Toph pour intervenir :
« Bon, et si tu nous disais ce qui se passe avec Princesse Barjo ?, explosa-t-elle.
– Ne l'appelle pas comme ça ! s'enflamma-t-il aussitôt, des étincelles que Toph ne pouvait pas voir surgissant au bout de ses ongles.
– Vraiment Double-Face, si tu gardes ça pour toi, tu vas exploser ! Je peux te l'affirmer !
– Comment ça ? demanda-t-il en lui lançant un regard mauvais.
– Chaque fois que le nom de Princ-…, pardon, d'Azula est prononcé, ta fréquence cardiaque augmente tellement que j'ai peur que tu fasses un infarctus ! Alors si ça peut te soulager, dis-nous ce qui ne va pas. Tu nous connais, Tête de Flèche et moi, nous sommes des tombes ! » Et pour plus d'emphase, elle fit surgir du sol à côté d'elle, une stèle parfaitement rectangulaire, comme on en voyait dans les cimetières du Royaume de la Terre.
Le visage de Zuko rougit violemment et Aang fut content que Toph ne puisse pas le voir. Cependant, elle devait bien avoir perçu son malaise, d'une façon ou d'une autre.
Zuko semblait encore plus gêné que d'habitude, et plus nerveux aussi. Avant qu'Aang ait pu lui poser la moindre question, il parla :
« Je dois la retrouver ce soir…
– Quoi ? Qui ? répondirent en cœur Toph et Aang.
– Azula… Elle veut que je la retrouve… dans les appartements de notre père. », acheva-t-il en baissant les yeux sur le sol en terre battue de la cour d'entraînement.
Aang ne dit rien mais pouvait facilement percevoir la tension qui flottait dans l'air et dont Toph, sensible comme elle l'était, devait être plus consciente encore.
« Dans les appartements d'Ozai ? Mais...pourquoi là-bas ? Balbutia finalement le jeune Avatar.
– Je n'en sais rien ! s'emporta Zuko. Encore une de ses idées tordues, va savoir !
– Excusez-moi, les interrompit Toph qui se redressait derrière eux. Mais j'ai raté un épisode ? De quoi parlez-vous ? Qu'est-ce que tu irais faire avec ta sœur dans la chambre abandonnée de Papa Dingo ? Une sieste crapuleuse ? »
Heureusement qu'elle ne pouvait pas voir le regard de haine que lui lança Zuko à ce moment-là. Aang aurait pris ses jambes à son cou s'il l'avait regardé lui de cette manière.
Il prit le parti d'apaiser les choses :
« Arrête Toph !, la fit-il taire d'un ton autoritaire qui ne lui ressemblait pas mais qui eut l'effet escompté. Zuko, est-ce que tu veux en parler ?
Les épaules de Zuko s'affaissèrent et une grimace de frustration déforma un instant son visage. Il prit une grande inspiration et parla :
« Je pense qu'elle veut qu'on couche ensemble. »
La phrase tomba comme un couperet et pour une fois, même Toph fut trop stupéfaite pour dire quoi que ce soit. L'expression de choc sur son visage aurait paru comique en d'autres circonstances. Ses yeux délavés fixaient le vide, à quelques centimètres de l'endroit où Zuko se trouvait. Aang eut besoin d'avaler plusieurs fois sa salive et de boire une nouvelle gorgée d'eau avant de pouvoir répondre, la gorge encore sèche.
« Et...est-ce que... » il s'efforçait de garder un ton calme et détaché, mais avec une telle révélation, ce n'était pas facile. « Est-ce qu'elle a une raison particulière de penser que...ça pourrait arriver ?»
Zuko ne répondit pas tout de suite. Il risqua un regard vers Toph qui les écoutait attentivement, toujours incapable de parler. Aang savait qu'elle essayait de détecter le mensonge dans les paroles de Zuko.
« Il y a eu...eh bien... » commença son ami dont le visage s'empourprait à mesure qu'il parlait, « il y a eu quelques… enfin, les choses ont un peu dérapé l'autre soir quand je suis venu lui parler. »
– QUOI ? hurla Toph avant d'avoir pu s'en empêcher. Comment ça dérapé ? Est-ce que toi et Princesse Barjo vous avez…?
– Non ! » l'arrêta immédiatement Zuko sans relever le surnom cette fois, se sentant sans doute trop honteux et misérable pour donner des leçons à quiconque. « Ecoutez tous les deux, je… vous promettez de n'en parler à personne, n'est-ce pas ? Pas même à Sokka et Katara ? Ils ne comprendraient pas. Vous, vous n'avez pas de frère et sœur, vous ne pouvez pas juger. »
C'était bien présomptueux, pensa Aang. L'inceste n'était pas un tabou que dans les familles nombreuses. Mais il ne voulait pas brusquer Zuko, pas maintenant qu'il acceptait de se confier.
« Bien sûr Zuko, tu peux compter sur nous », promit-il.
Cette fois il regretta que Toph fût aveugle car il aurait bien voulu pouvoir lui adresser un signe pour l'encourager à l'imiter. Mais ce ne fut pas nécessaire. Après un silence, Toph murmura d'une toute petite voix qui ne lui ressemblait guère :
« Bien sûr Zuko… tu peux me faire confiance. »
Pas de blague, pas de surnom… Elle devait être sincère.
Zuko dut se faire la même réflexion puisqu'il sembla un peu rassuré quand il commença sonr récit :
« L'autre jour, Azula est sortie en ville avec Ty Lee et…
– Seigneur Zuko ! Sire ! » l'interrompit une voix masculine à l'autre bout de la cour.
Leur regard se porta aussitôt dans la direction d'où provenait le son et Aang vit le Général Kadao qui se précipitait vers eux, pantelant, le visage pâle.
– Général, dit Zuko en se levant pour lui faire face et répondre à son salut, poing contre paume. Que se passe-t-il ?
– Un homme demande à vous voir Sire. C'est Tsuneo, un Commandant de la flotte aérienne. Il dit que c'est urgent.
– Dites-lui de revenir un autre jour. Je suis avec mes amis, s'agaça Zuko en se rasseyant avec un geste de la main pour signifier au Général de partir.
– Sire, sauf votre respect, je pense vraiment que vous devriez le recevoir, insista Kadao, plus livide que jamais. C'est...c'est à propos de votre sœur... »
Après avoir échangé un regard inquiet avec Aang, les yeux dorés de Zuko scrutèrent le visage de Kadao. Aang devinait qu'il essayait de lire une réponse à ses questions angoissées dans les iris verts du Général.
« Que s'est-il passé, Général ? demanda-t-il d'une voix blanche, est-ce qu'Azula va bien ?
– Ce n'est pas ça, Sire. La princesse est en parfaite santé. Elle est actuellement avec ses dames de compagnie dans les jardins royaux. C'est autre chose...il faudrait mieux que vous veniez… seul, ajouta-t-il en adressant un regard à Aang et Toph qui s'étaient à demi redressés sur les gradins de pierre.
– Ils viennent avec moi, trancha Zuko en leur faisant signe de se lever.
– Comme vous le voudrez, Sire », conclut Kadao en s'inclinant profondément.
Sans prendre le temps de ramasser leurs affaires, ils se dirigèrent tous les trois vers le palais, suivant Kadao qui les guidait vers la salle du Trône. L'angoisse qui avait rempli les yeux de Zuko s'insinuait maintenant dans le corps de l'Avatar et lui glaçait les entrailles.
Dans le palais endormi, une ombre silencieuse se faufila dans l'aile menant aux appartements de l'ancien Seigneur du Feu. A pas de loup, la silhouette encapuchonnée longea prudemment la paroi pour éviter les rais de lumière qui filtraient à travers les grandes fenêtres rectangulaires incrustées à intervalle régulier dans le mur opposé.
Retenant son souffle, elle parcourut les derniers mètres qui la séparaient de la porte à double-battant non-gardée derrière laquelle, elle en était sûre, il l'attendait.
Elle avait passé la journée dans un état d'anxiété à peine supportable. Rabrouant ses serviteurs encore plus qu'à l'ordinaire, tourmentant la petite Sanae qui s'en était retournée en pleurs, refusant de parler à Ty Lee qui avait demandé à la voir toute la journée.
Ty Lee…
La culpabilité lui serra le cœur quand elle pensa à son amie qui, malgré tous ses efforts pour lui parler et la dissuader de se rendre à ce funeste rendez-vous, n'avait rencontré qu'un mur de silence et d'indifférence.
Elle savait que Ty Lee méritait mieux que sa froideur et son mépris. Mais elle ne comprenait pas !
Un jour, Azula réussirait à la convaincre. Elle comprendrait alors que Zuko et elle étaient faits pour être ensemble et elle se réjouirait pour eux.
Mais ce n'était pas encore le moment. Elle avait bien le temps de l'en persuader.
Pour l'heure, tout ce qui comptait, c'était Zuko.
Zuko qui se tenait derrière cette porte.
« Comment peux-tu en être sûre ? », l'interrogea sa mère.
– Je le sais, siffla-t-elle entre ses dents serrées, il a promis. Maintenant va-t-en ! Je ne veux pas de toi ici ! Pas ce soir ! »
Il viendrait, c'était certain ! Elle avait passé assez de temps à douter ces derniers jours. Elle avait besoin de croire qu'il était là. La perspective de ce qui allait se passer derrière cette porte était déjà assez angoissante comme ça.
Toutes les questions qui l'avaient tourmentée ces derniers jours affluèrent brusquement dans son esprit, comme si un barrage avait cédé.
Était-elle vraiment prête pour cela ? Que se passerait-il si le souvenir l'assaillait au moment où Zuko entrerait en elle ? Allait-elle crier ? Allait-elle pleurer ? Ou l'attaquer comme le malheureux Kojiro ?
Et si par malheur elle se trahissait ? Si, sans le vouloir, elle révélait à Zuko ce qui s'était passé ici cinq ans auparavant?
Tu ne le diras jamais. A personne. Je te tuerai si tu le dis. Je t'enfermerai dans ce coffre et cette fois je te laisserai y crever.
Azula ferma étroitement ses paupières pour chasser les larmes qui menaçaient déjà à leur bordure.
Est-ce que ça ferait mal comme la première fois ? Saignerait-elle à nouveau?
Elle aurait aimé demander à Ty Lee mais elle doutait que son amie fût disposée à lui dispenser des conseils maintenant qu'elle connaissait la vérité. Et d'ailleurs, Ty Lee n'était pas supposée savoir qu'Azula n'était pas vierge. Comment lui aurait-elle expliqué ?
Ce ne devait pas être si terrible. Sinon les gens ne le feraient pas sans arrêt. Ty Lee ne sortirait pas avec tous ces hommes si c'était vraiment trop pénible, non ? Et les femmes finiraient par se rebeller, c'était certain. Personne ne peut supporter une telle douleur, un tel outrage, plusieurs fois mois – par semaine ! si l'on en croyait les conversations qu'elle avait parfois surprises entre les servantes.
Et si je ne suis pas à la hauteur ? Si je n'arrive pas à faire correctement ce que Zuko me demande ? Si je ne sais pas le satisfaire ?
Elle commence à douter.
« Pas maintenant ! Taisez-vous ! » glapit-elle.
Non. Impossible ! Pas maintenant ! Il fallait qu'elle maintienne les voix à distance. Au moins jusqu'à ce que tout soit fini. Peut-être qu'après, quand elle s'endormirait enfin dans les bras de son frère, sous le regard implacable et désapprobateur du portrait de son père, au-dessus de la tête de lit, elle pourrait les laisser parler. Elle savait alors que leurs commentaires ne l'atteindrait pas.
Mais si Ozai lui apparaissait ? Que dirait-il en découvrant le spectacle abject de ses deux enfants enlacés, s'abandonnant, nus dans son lit, aux plaisirs coupables de la chair ?
Au début, il lui avait semblé tout naturel de s'offrir à Zuko dans l'endroit où elle avait été violée. Elle y avait vu un moyen de refermer cette parenthèse, de laisser ce traumatisme qui la rongeait depuis cinq longues années derrière elle. Et d'avancer, enfin. Au moins, cette fois, elle décidait de son destin. C'est lui qui venait à elle. Pas comme la dernière fois.
Mais maintenant qu'elle se tenait devant cette porte, à quelques mètres de Zuko, ce plan paraissait à la fois stupide et téméraire.
N'était-ce pas quasiment une invitation lancée à ses hallucinations ? Même si elles n'avaient pas besoin qu'on les convoque pour lui apparaître, elle avait remarqué que certains lieux, certaines circonstances étaient plus propices à leur apparition que d'autres.
La dernière fois qu'elle était entrée ici, Azula avait perdu connaissance et avait été victime d'une grave crise hallucinatoire. Que se passerait-il si elle rechutait dans les bras de Zuko ? Et s'il paniquait ? Comment se tirerait-il de cette situation sans attirer l'attention sur eux et se trahir ?
Elle n'était pas stupide. Elle savait que leur relation devait rester secrète, coûte que coûte. Elle était prête à accepter l'existence de Mai, de partager Zuzu avec elle, si cela pouvait assurer leur sécurité et celle de la Nation du Feu. Trop de rumeurs circulaient déjà et il semblait que de plus en plus de personnes fussent prêtes à y croire. Le contexte n'était pas favorable à leur histoire, mais il le deviendrait un jour.
Plus tard, quand le temps serait venu, Zuko et elle réformeraient le monde. Il réécriraient la loi. Ensemble ils débarrasseraient la Nation du Feu des moralisateurs, des religieux et des traditionalistes. L'amour ne serait plus un crime et Zuko ferait d'elle sa Dame du Feu. Ils régneraient ensemble et enfanteraient une nouvelle dynastie. Ils modèleraient le monde à leur image, et le soumettraient à leur volonté. Elle savait qu'une fois qu'elle se serait donnée à lui, Zuko ne pourrait plus rien lui refuser.
Un peu plus confiante à l'idée de cet avenir radieux, Azula prit une profonde inspiration. Avant d'ouvrir la porte, elle se tourna vers le spectre de sa mère qui attendait toujours, silencieusement, les mains entrecroisées devant elle, comme une orante, une profonde anxiété gravée sur chacun de ses traits.
« Une dernière objection ?
– Tu commets une énorme erreur Azula...
– A tes yeux, c'est moi qui suis une erreur...»
Là-dessus, sans attendre la réponse de sa mère, elle tourna la poignée et entra.
Province de Yu Dao, dans un campement provisoire de l'armée du Royaume de la Terre.
La yourte du Commandant se dressait au milieu du camp, grande et majestueuse parmi les longues tentes étroites et spartiates, alignées en ordre, où s'entassaient les soldats à la nuit tombée. De part et d'autres du campement, de hauts pitons rocheux, gigantesques stalagmites, s'élevaient, donnant aux légionnaires l'impression d'être pris au piège dans la mâchoire de quelque dragon vorace. Ce sentiment était renforcé au crépuscule par la teinte cramoisie dont se parait le ciel, par les langues de feu qui lacéraient l'horizon et la silhouette noire des sapins qui dardaient leur sommet, comme des dents acérées sur les flancs des montagnes et des pics environnants.
L'atmosphère qui régnait dans le camp était calme et détendue : c'était l'heure du repas et tous les hommes qui n'avaient pas encore été servis étaient regroupés autour de la jeune recrue qui remplissait les bols de riz à la chaîne sous l'œil vigilant du chef-cuisinier.
Autour des tentes, les soldats bavardaient gaiement et échangeaient des plaisanteries en se passant discrètement sous le manteau des flasques remplies de saké.
Le Commandant Lu Fang restait indifférent à cette ambiance décontractée et, les sourcils froncés, contemplait, depuis la fenêtre de sa yourte, les dernières lueurs du soir qui tombaient sur la vallée étroite encastrée entre les deux pitons abrupts où ils avaient établi leur camp, à quelques kilomètres des remparts de la ville coloniale de Yu Dao.
Près de lui, sur une petite table en bois d'acajou finement sculptée, posée à côté d'un bol de riz froid abandonné, se trouvait une lettre qui avait été lue tant de fois qu'elle était désormais parfaitement plate.
« Les colère monte parmi les insurgés, mon Commandant, lui expliquait son lieutenant, Yao, derrière lui, les faits de violence se sont multipliés ces dernières vingt-quatre heures. Les forces de police envoyées par le Seigneur du Feu deviennent impuissantes à contenir le mécontentement des habitants de Yu Dao.
– Bien… parfait, répondit Lu Fang d'un air absent, sans prendre la peine de se retourner ou de relâcher les bras qu'il tenait croisés dans son large dos. Y a-t-il eu des morts ?
– Deux hommes. Tous deux des colons. Tués la nuit dernière à la machette. Les auteurs du crimes ont pris la fuite avant que la police n'intervienne. Il s'agissait de deux fonctionnaires.
– Très bien. » reprit Lu Fang en souriant, son attention attirée par le vol gracieux de trois rapaces entre les immenses pains de sucre qui environnaient le camp. « Venez-voir Yao, ajouta-t-il en adressant un signe de la main à son lieutenant pour l'inviter à s'approcher. Est-ce qu'ils ne sont pas magnifiques ?
– Quoi donc, mon Commandant ? demanda le lieutenant d'un air incertain.
– Ces oiseaux… des vautours. Voyez la manière dont ils surveillent la zone. Leur vol gracieux et léger. Ils n'ont pas même besoin de battre des ailes pour voler. Ils planent ainsi des heures entières. Leur proie est déjà là, en bas, repérée depuis de longues minutes. Mais ils attendent… ils savent que tout vient à point à qui sait attendre. »
Le lieutenant s'avança et se plaça aux côtés de Lu Fang, les mains croisées dans le dos, adoptant inconsciemment la même attitude que son supérieur quelques secondes plus tôt.
Lu Fang n'était pas certain que Yao soit suffisamment intelligent pour comprendre la métaphore, mais le garçon avait fait ses preuves sur le terrain et les rapports détaillés qu'il lui donnait quotidiennement étaient satisfaisants. Tout se déroulait comme prévu.
Yao regarda les vautours effectuer leur danse macabre pendant un moment, se demandant sans doute combien de temps il devrait encore laisser s'écouler avant de parler sans paraître impoli.
« En effet, Commandant. Ils sont magnifiques, dit-il d'un ton appréciateur.
– Voyez, c'est exactement ainsi que nous devons agir. L'attente et l'inaction sont la clé du succès.
– Mais, Commandant, l'interrompit Yao en détournant son regard du ciel pour fixer ses yeux pers sur Lu Fang, ne prend-on pas des risques en laissant durer une telle situation ? La population indigène ne va-t-elle pas se rebeller en voyant que nous n'agissons pas pour mettre un terme aux violences ? Nos forces sont largement suffisantes pour pacifier la région ! Les habitants le savent.»
Lu Fang se tourna vers lui et bomba le torse. Cet imbécile ne comprenait pas. Né et élevé dans les colonies, Yao avait grandi en pensant que la démonstration de la force physique était le seul moyen de gagner le pouvoir. N'était-ce pas ce que leur avaient appris cent ans d'asservissement sous la bride de la Nation du Feu ? Yao avait des qualités, certes, mais il n'était pas un vrai maître de la Terre. Un vrai maître de la Terre observe et attend. N'était-ce pas ainsi que Bumi, le vieux roi cinglé d'Omashu, avait reconquis, à lui tout seul, sa cité légendaire ?
« C'est un risque que je suis prêt à prendre. Je suis certain que le Seigneur du Feu ne sera pas indifférent au sort de ses ressortissants. En grand altruiste et humaniste qu'il prétend être, il cherchera également à épargner les natifs. Il enverra ses troupes pacifier les colonies et videra peu à peu la Nation du Feu de ses soldats. Et alors, nous n'aurons plus qu'à nous servir. »
Yao remua légèrement à côté de lui et Lu Fang perçut le malaise dans la manière dont son visage s'était contracté.
« Mais mon Commandant, si la Nation du Feu nous attaque ? demanda-t-il d'un ton hésitant.
« Zuko ne prendrait pas le risque d'anéantir cinq années d'efforts pour maintenir la paix simplement parce que nous n'agissons pas. Et dans le cas où il le ferait, alors nous aurons le prétexte dont nous avons besoin pour riposter. Aux yeux du reste du monde, nous resterons les victimes et la Nation du Feu sera toujours l'agresseur. N'en a-t-il pas toujours été ainsi ?
– Oui, Commandant, convint Yao en baissant les yeux sur ses bottes. Mais que se passerait-il si le peuple se soulevait contre nous ?
– Le peuple est resté soumis pendant cent ans. Aucune tentative de rébellion sérieuse n'a eu lieu pendant un siècle entier Yao, jusqu'à l'éveil de l'Avatar. Pourquoi serait-ce différent aujourd'hui ?
– Justement parce que l'Avatar est de retour. La confiance est revenue. Le peuple de la Terre a retrouvé sa gloire d'antan et son honneur et ne se laissera plus faire ! » répondit le lieutenant. Dans sa voix perçait une emphase et une naïveté horripilantes qui donnèrent envie à Lu Fang de le prendre à la gorge et de le plaquer contre le sol en terre.
Lu Fang était bien placé pour savoir à quel point le peuple de la Terre pouvait être passif. C'était l'une de ses qualités et l'un de ses plus fatals défauts. Cette passivité était bénéfique quand elle se faisait patience et délétère quand elle devenait soumission.
Observer et attendre.
C'est ce que Lu Fang avait fait toute sa vie. Il avait d'abord observé.
Il avait observé et vu la manière dont les colons et les soldats de la Nation du Feu traitaient les siens, lorsque, enfant, il parcourait les ruelles de la petite ville de la province de Hu Xin dont il était originaire. Il avait observé les brimades, les humiliations subies par son peuple. Il avait écouté et entendu les cris des veuves pleurant la mort de leur dernier-né.
Il avait assisté à la déchéance et au déclassement de sa famille quand le Seigneur du Feu Azulon avait ordonné que tous les postes administratifs importants soient confiés uniquement à des colons, obligeant même les hauts-fonctionnaires comme l'était son père à trouver du travail dans des domaines indignes de leur rang.
Il avait observé et il avait vu la misère galopante qui les avait avalés en l'espace de quelques mois seulement quand tous leurs biens leur avaient été confisqués ou dérobés.
Puis il avait attendu. Il avait travaillé dur pour redonner son honneur et sa dignité à sa famille, guettant la moindre opportunité pour se rapprocher d'un pouvoir qui semblait inaccessible. Il avait grimpé les échelons et attendu son heure. Quand le Roi de la Terre était revenu de son grand voyage, c'est lui qui était là, prêt à le servir, à asseoir l'autorité et la confiance qu'il avait perdues aux yeux de son peuple.
Il avait observé, attendu. Il observerait et attendrait encore. Quand la Nation du Feu serait tombée, qu'est-ce qui l'empêcherait de se rapprocher du trône de la Terre, alors ?
Une légère toux à côté de lui le tira de ses pensées et il se rappela brusquement la présence de son lieutenant à ses côtés. Au-dehors une cloche sonna, indiquant la fin du repas. Un brouhaha s'éleva dans le camp tandis que les soldats regagnaient leurs postes.
« Lieutenant. Vous ai-je déjà donné une seule raison de douter de moi ?
– Non, bien sûr que non, Commandant ! répondit aussitôt Yao en bondissant pour se mettre au garde-à-vous.
– Bien. Je vous remercie pour votre rapport, Lieutenant. Vous pouvez disposer. Je veux que vous passiez les troupes en revue à ma place ce soir. J'ai à faire.
– A vos ordres, Commandant ! »
Et après un bref salut, Yao sortit, créant un courant d'air dans son sillage.
Lu Fang reporta son attention sur le paysage. Les vautours semblaient avoir repéré leur proie. De leur vol élégant, ils décrivaient des cercles concentriques de plus en plus resserrés et l'un d'eux descendit en piquet vers le sol.
Les yeux de Lu Fang retombèrent en même temps sur la lettre qui se trouvait toujours sur la tablette à ses côtés.
Il n'y avait eu qu'à observer et à attendre. Zuko n'avait pas besoin de lui pour s'entourer d'ennemis. La menace grondait au sein de sa propre nation.
Que pouvait espérer un souverain aussi négligeant et dépravé ? Un roi qui dépensait toute son énergie dans la défense futile de sa sœur que le monde entier rêvait de voir morte, et qui le trahirait à la première opportunité ? Alors qu'il aurait dû consacrer tous ses efforts à consolider la paix et à asseoir son autorité dans sa propre nation ! Un roi qui imposait ses idées utopistes et idéalistes à un peuple qui n'en voulait pas ? Il était assez distrayant d'assister au combat dérisoire de Zuko pour créer un monde qui ne devait exister que dans ses rêves et ceux de l'Avatar.
À en croire cette lettre, le groupe de fanatiques appelé Les Fils d'Agni connaissait un fort regain de popularité depuis quelques temps. La décision de Lu Fang de retirer ses troupes dans les colonies semblaient avoir participé à ce succès, par un effet de dominos.
C'était presque trop facile, se dit-il, un sourire cruel étirant ses lèvres. Si tout se passait comme il l'espérait, il n'y aurait même pas besoin de se battre.
Lu Fang quitta son poste et se dirigea vers la grande table installée au milieu de la yourte sur laquelle s'étalait une immense carte du monde où étaient placés des pions. Les visages des petites figurines en bois étaient tous tournés vers la Nation du Feu.
Lu Fang ouvrit le tiroir qui se trouvait sous le plateau et fouilla un moment à l'intérieur.
Enfin il trouva ce qu'il cherchait.
Il sortit du tiroir un parchemin abîmé qu'il contempla un moment. Sur la surface jaunie se tenaient cinq personnes, manifestement les membres d'une même famille. Un homme, grand, à forte carrure, vêtu d'une tenue traditionnelle, se tenait debout auprès d'une femme fluette au visage serein. Devant eux, trois enfants fixaient l'auteur du portrait. Au centre, se trouvait l'aîné, un grand garçon bien bâti aux yeux clairs et à la mâchoire déjà carrée malgré ses quinze ans. À sa gauche, un tout petit garçon aux grands yeux naïfs au aux cheveux ras tenait une toupie entre ses petites mains. À sa droite, une jeune fille, à peine plus jeune que l'adolescent qui se tenait à ses côtés, souriait. La même douceur qui illuminait les yeux de sa mère émanait d'elle.
Lu Fang laissa glisser deux doigts sur le visage de la jeune fille. La dernière fois qu'il l'avait vu, la lèpre avait fait son œuvre et grignoté un à un ses traits délicats.
Il releva la tête, une expression de colère imprimée sur son visage couturé de cicatrices. Il replaça le portrait dans le tiroir et regagna son poste d'observation.
La Nation du Feu la lui avait enlevée, des années auparavant. Rien ne réparerait cela. Ni les promesses du Seigneur du Feu de restaurer la paix et de rendre leur indépendance aux colonies, ni la confiance de Kuei, ni même le trône.
Il n'y avait plus qu'à observer et à attendre. Bientôt la Nation du Feu serait amputée de ses principaux membres. Et il s'assurerait que le Seigneur du Feu connaisse lui aussi la douleur de perdre une sœur.
