Chapitre 16 – Calvaire


Previously on Black Sun :

- Ten days earlier, during an outing with Ty Lee, Azula savagely attacked Kojiro who had been too enterprising. She fled after being seen by witnesses to the scene.

- Zuko has a date with Azula in their father's room to sleep with her. He hesitates to go. As he confides in Aang and Toph, Kadao has come looking for him to alert him of a problem related to Azula.

- The situation in the settlements continues to worsen. The colonists have been attacked by the natives since Lu Fang, the Minister of the Earth Kingdom's armies, decided to no longer provide security. The settlers are forced to flee to the Fire Nation.

* Spirophore: Dispositif inventé au 19ème siècle permettant de réanimer les noyés ou les asphyxiés, en précipitant l'air extérieur par la bouche dans les poumons.


Chapitre 16 - Calvaire


La chambre était sombre, sans fenêtre, illuminée seulement par quelques bougies dont la pâle clarté permettait à peine aux visiteurs de se rendre sans trébucher au chevet du lit placé au centre de la pièce. Quand il en sortit, quelques minutes plus tard, Zuko fut ébloui par la luminosité soudaine de l'antichambre. Soutenu par Toph d'un côté, Aang de l'autre, et sous le regard inquiet de Kadao, Zuko tituba jusqu'à une chaise en fer à cheval dans laquelle ses amis l'assirent. Il lui fallut quelques secondes pour que ses yeux s'habituent.

« Ses paupières ont été entièrement brûlées. Bien qu'il ait perdu un œil, l'autre est toujours valide et il ne supporte plus la lumière du jour », leur avait expliqué l'infirmière, dans la chambre obscure, pendant qu'ils contemplaient, estomaqués le visage ravagé du garçon qui dormait devant eux, profondément sédaté. Sa poitrine s'élevait et s'abaissait au rythme de sa respiration irrégulière. Cela seul, et les râles indistincts qui s'échappaient parfois de sa gorge desséchée, indiquaient qu'il vivait encore.

Toujours fébrile, Zuko se leva pour faire face au Commandant Tsuneo qui venait de les rejoindre dans l'antichambre. L'homme qu'il avait connu, petit, lorsqu'il n'était encore que capitaine des gardes, au service d'Azulon, le regardait avec une expression de défi et de haine que le Seigneur du Feu n'aurait pas tolérée de quiconque en d'autres circonstances.

Mais le visage sévère et furieux qui le fixait à présent n'était pas celui d'un homme quelconque. C'était celui d'un père dont on avait mutilé l'enfant.

« Est-ce que…, commença Zuko en déglutissant avec difficulté, est-ce qu'il a une chance de s'en sortir ? »

Les épaules de Tsuneo s'affaissèrent et Zuko eut l'impression que toute sa combativité le quittait quand il lui répondit d'une voix où transperçait une détresse inimaginable :

« Jusqu'à avant-hier encore, son état était très instable. Les plaies se sont infectées et ses médecins m'avaient demandé de me préparer au pire. »

Zuko croisa le regard d'Aang et de Kadao et sut qu'ils pensaient la même chose : qu'est-ce qui pouvait être pire ? Quelle vie ce pauvre garçon pouvait-il espérer après ça ? A côté de la bouillie qu'il venait de voir sur le visage de Kojiro, sa propre cicatrice avait l'air d'une simple estafilade.

« Mais hier, continuait le père, la fièvre est miraculeusement retombée et il s'est remis à respirer par lui-même, sans l'assistance du spirophore. C'est pour cela que je ne suis pas venu plus tôt. Je ne voulais pas être absent si...s'il… Mais enfin, il vit. Ils veulent le garder encore plusieurs semaines en observation, mais d'après eux, si les plaies ne s'infectent pas davantage, il vivra... »

Sa voix se brisa. Zuko comprit que, comme lui, comme ses amis, Tsuneo était conscient de ce qu'une telle vie signifiait.

Réprimant l'envie de poser une main amicale sur son épaule – un tel geste eût été mal interprété – Zuko se redressa pour essayer de se composer une attitude plus régalienne et, regardant son Général qui attendait à ses côtés, il annonça :

« Une rente vous sera versée à vous et votre fils, jusqu'à la fin de votre vie. Je vous enverrai les meilleurs médecins de la Nation et ils resteront nuit et jour au chevet de votre fils, jusqu'à ce qu'il guérisse. Avez-vous eu recours aux services d'un maître de l'Eau ?

– Non Sire, répondit Tsuneo que toutes ces promesses ne semblaient pas émouvoir. Je n'en connais aucun.

– Maître Katara et Maître Taïma, deux brillantes guérisseuses que je compte parmi mes plus proches amies, sont toutes deux issues de la Tribu de l'Eau. Elles viendront tour à tour, dès ce soir pour prodiguer des soins à Kojiro et soulager sa douleur. »

L'infirmière leur avait expliqué que Kojiro était drogué presque continuellement depuis son réveil, plus de vingt-quatre heures après son agression. Sa souffrance était intolérable. L'odeur de chair morte revint à la mémoire de Zuko, comme si des effluves avaient pu s'échapper de la chambre fermée derrière eux.

« Je vous remercie pour votre grande générosité, Sire, répondit Tsuneo en s'inclinant avec raideur. Mais je crains que cela ne suffise pas à réparer le préjudice. Je vous ai dit qui était responsable de son état. Ce que j'attends de vous, ce n'est pas de l'argent. De l'or, j'en ai ! Je veux la justice ! »

Zuko sentit la fureur affluer en lui et retint d'un mouvement de la main Aang qui s'était approché furtivement derrière lui et semblait prêt à le retenir si Zuko perdait encore le contrôle de ses nerfs.

« Je ne ferai rien tant que nous n'aurons pas la preuve formelle de ce que vous avancez. Vos accusations ne sont pour le moment que des allégations, pour ne pas dire de la diffamation ! La Princesse Azula vit entre les murs de mon palais et n'en sort jamais. Il est fortement improbable qu'il s'agisse d'elle.

– Des témoins de la scène affirment le contraire », votre Majesté, répliqua Tsuneo en cherchant l'appui de Kadao.

En effet, le Général avait passé des heures, la veille, à interroger les témoins de l'agression. Tous étaient unanimes. La description de la jeune femme qui avait attaqué Kojiro correspondait en tous points à celle d'Azula.

– Je me fiche de ces imbéciles ! Tant que vous ne m'apporterez pas une preuve matérielle que ma sœur est responsable de ce… de ce carnage, je ne ferai rien contre elle ! » répondit Zuko qui commençait à perdre patience et dont la voix trahissait une colère croissante.

« Des flammes bleues, Sire. Des dizaines de personnes affirment qu'elle maîtrisait des flammes bleues. Et qu'elle s'est enfuie en se propulsant dans les airs, à l'aide de sa maîtrise du feu. Ils disent qu'elle avait l'air de voler ! »

Zuko baissa les yeux, niant l'évidence.

« Ça ressemble à Azula... », admit timidement Aang derrière lui. Et avant que Zuko n'ait eu le temps de se retourner pour lui lancer un regard féroce, il s'empressa d'ajouter :

« Cependant, nous n'avons aucune preuve tangible que la princesse soit la seule personne capable d'une telle prouesse. Les flammes bleues sont rares, c'est vrai…

Uniques, pensa Zuko dont l'estomac chavira une nouvelle fois.

« ...mais il faut approfondir cette enquête, continua l'Avatar. Nous interrogerons la princesse, Commandant, je vous le promets. Si vous le permettez, j'aimerais voir ce que je peux faire pour soulager Kojiro en attendant l'arrivée de Maîtres Katara et Taïma. Général Kadao, Sifu Toph, pourriez-vous escorter le Seigneur du Feu jusqu'au palais ? »

Trop abasourdi et encore trop choqué par ce qu'il venait de découvrir, Zuko oublia de s'offusquer de ce manque évident de considération à son égard. Après tout, Aang était l'Avatar. Si quelqu'un pouvait contester son autorité, c'était bien lui. Et s'il était tout à fait honnête, il devait bien reconnaître qu'il était plus prudent pour tout le monde qu'il quitte cette maison sinistre dans laquelle la mort semblait s'être invitée, guettant le moment propice pour frapper le pauvre garçon qui dormait de l'autre côté de la chambre close.

« Merci Avatar Aang, répondit Tsuneo, si vous le permettez, je vous accompagne. »

Il se tourna vers Zuko et lui adressa un signe de la tête. Un geste contraire à l'étiquette qui exigeait que l'on s'incline devant le Seigneur du Feu avec le traditionnel salut poing contre paume. Mais Zuko, loin de s'en offenser, jugea qu'il ne méritait pas une telle marque de considération. Suivi de Kadao et de Toph, il sortit d'un pas raide de la demeure du Commandant et remonta dans le palanquin qui les attendait à l'extérieur, dans la cour.

Ils n'échangèrent pas un mot sur le chemin qui les ramena au palais et lorsqu'ils arrivèrent, il demanda à ses compagnons de le laisser seul.

Il vit bien l'inquiétude et la sollicitude sur leur visage mais il les ignora et se dirigea vers la salle du Trône dans laquelle il s'enferma à double tour.

Dès qu'il fut certain qu'il était seul, il enfonça ses doigts profondément dans ses orbites et laissa éclater toutes les émotions qu'il s'était efforcé de réprimer depuis cette révélation.

Il poussa un cri de rage qui résonna dans la salle, semblable à celui qu'il avait laissé échapper le soir où Azula s'était agenouillée devant lui dans la salle de bain. Le brasier situé devant la trône s'embrasa spontanément et la pièce d'abord plongée dans les ténèbres s'illumina.

« Azula, qu'est-ce que tu as fait ? » murmura-t-il tandis que des larmes brûlantes perlaient à ses paupières.

Il avait eu beau nier, il savait que Tsuneo disait la vérité. Azula était responsable.

Il se rappela sa démarche un peu gauche ce soir-là, et l'égratignure sur sa joue qui avait eu le temps de cicatriser depuis.

Elle avait mutilé un jeune homme, l'avait défiguré à vie, presque tué, puis était tranquillement rentrée au palais. Elle avait accepté sans hésiter l'affection de Zuko, s'était laissé embrasser, caresser, sans rien laisser transparaître du crime qu'elle venait de commettre.

Qu'allait-il lui dire quand il la reverrait ? La nuit était tombée depuis longtemps et il savait qu'à l'heure qu'il était, Azula, peut-être, l'attendait encore dans la chambre de leur père, brûlant de le voir arriver, prête à s'offrir à lui.

Comment allait-il pouvoir la protéger à présent qu'elle représentait un tel danger, pour elle comme pour les autres ? Comment faire taire les voix qui s'élevaient de partout pour exiger qui son emprisonnement, qui son extradition ou sa mise à mort ?

Sur le trajet qui les amenait chez Tsuneo, Kadao qui était resté avec lui dans son palanquin, lui avait expliqué en détails les résultats de son enquête. Pas moins de seize témoins affirmaient avoir vu Azula brûler le visage de Kojiro, assise à califourchon sur lui, poussant des cris de bête enragée, débitant des paroles insensées. Treize l'avaient vue générer une boule d'énergie éclatante qui avait explosé, propulsant au loin trois personnes – heureusement toutes remises de leurs blessures –, puis s'enfuir en utilisant son exceptionnelle habilité à se propulser dans les airs.

Les flammes bleues étaient un don unique. Personne d'autre dans le monde, de mémoire d'homme, n'avait jamais pu produire la chaleur si intense qui pouvait donner au feu cette teinte azur. Le visage de Kojiro, sous l'action d'une telle ardeur avait fondu comme de la cire.

Zuko ferma les yeux pour dissiper le souvenir de la figure horrible qu'il avait découverte deux heures auparavant dans la maison du Commandant, une fois que l'infirmière eut ôté les bandages. Mais l'image semblait inscrite à l'encre indélébile dans sa mémoire, avec une précision redoutable.

Cette face noircie, démolie, qui pelait par endroit… L'infection avait achevé de ravager les quelques centimètres de peau épargnés par les brûlures. La joue droite de Kojiro semblait dévorée par les vers. Certaines zones du visage étaient affreusement gonflées tandis que d'autres avaient subi un affaissement singulier. Ces aspérités donnaient à sa figure l'aspect étrange et irrégulier d'un paysage dévasté par la guerre.

On voyait l'os brillant de sa pommette transpercer sa peau à travers un trou purulent dont les bords carbonisés jaunissaient.

Le contraste entre la blancheur éclatante de l'os et la peau brunie, lui avait fait songer au ventre gonflé et blanchâtre d'une carpe agonisante flottant à la surface d'une mare saumâtre. C'est curieux pour une brûlure, avait pensé Zuko. Fasciné, il n'avait pu en détacher le regard.

Il n'y avait plus de nez : à la place un trou béant conduisait l'air jusqu'à ses poumons. En se penchant au-dessus de cette cavité, on distinguait des parois roses, suintantes et quelque chose d'indistinct qui palpitait tout au fond. Seule la bouche et une partie du menton étaient intacts, miraculeusement épargnés, bien qu'un bout de la lèvre supérieure fût manquant. Elle avait fusionné avec les chairs avoisinantes, retroussées en un rictus sinistre qui dévoilait ses gencives étrangement luisantes.

Il avait perdu son œil droit. L'absence de paupières rendait visible le trou dans lequel le globe s'était enfoncé lorsque les doigts d'Azula avaient fait pression dessus. Le chirurgien qui s'était occupé de Kojiro était allé le chercher au fond de son orbite. C'est ce que lui avait raconté Tsuneo d'un ton laconique tandis que Zuko, une main sur la bouche pour s'empêcher de vomir, contemplait le carnage.

L'œil gauche était encore fonctionnel et Zuko avait pu voir son iris doré briller à la lueur des flammes, sous une fine pellicule de peau, seul vestige de sa deuxième paupière, voile à peine transparent, rempart inutile contre la lumière éblouissante du jour.

Tout cela sentait une odeur horrible et étrange de cendres et de viande morte qui tapissait le fond du palais.

Azula avait fait cela.

Et il avait autrefois appelé son père un monstre pour lui avoir infligé la cicatrice, bien dérisoire, que son visage arborait depuis l'âge de treize ans. Cette cicatrice qu'il avait portée comme un fardeau, qui était le symbole de sa honte et de son déshonneur. Quelle vie attendait Kojiro ? Il n'avait même pas pour lui la protection que la royauté assurait à Zuko.

Azula avait fait cela.

La sœur qu'il aimait, qu'il avait défendue devant tous ses ministres rassemblés, qu'il protégeait de Lu Fang et Kuei, qu'il gardait précieusement auprès de lui, sa sœur pour qui il avait failli piétiner son mariage et son amitié avec Aang… Elle l'avait trahi, lui avait menti. Et elle n'exprimait pas le moindre remords.

Il ne s'est rien passé avec ce garçon, avait-elle prétendu.

Aujourd'hui, il aurait mille fois préféré qu'il se soit passé ce qu'il avait craint tout d'abord.

Profondément dégoûté, il repensa aux caresses, aux étreintes échangées ce même soir, aux mains et aux lèvres avides qu'il avait déposées sur son visage, sur son cou, sur ses seins…

Il avait désiré un monstre. Et dire qu'il avait envisagé quelquefois de la rejoindre, de céder à la tentation, de coucher avec elle dans le lit de leur père. Juste une fois...pour savoir...pour exorciser ces sentiments contre-nature qui grandissaient en lui. Ces pensées l'assaillaient parfois quand son cerveau embrumé vagabondait entre veille et sommeil, à l'heure où les idées s'invitent elles-mêmes, ou l'on ne distingue plus le bien du mal, où la honte et la morale ne veulent plus rien dire.

« Qu'est-ce que je vais faire ? » gémit-il à voix haute.

Seul, perdu dans l'immensité de la salle du trône, il tomba sur les genoux et les mains et il pleura. Le son déchirant de ses sanglots se répercutait contre les murs, entre les colonnes, avant de s'élever vers le plafond qui se perdait dans les ténèbres indifférentes.


Palais, le même soir, anciens appartements d'Ozai.

Quelque chose ne va pas, pensa tout de suite Azula.

La pièce était sombre, froide, les torches étaient éteintes. Et pourtant elle pouvait sentir une présence rôder dans les lieux.

Est-ce que ça pouvait être… ?

Elle chassa aussitôt cette idée aussi absurde que terrifiante. Se reprochant sa couardise, elle déglutit et murmura :

« Zuko ? Est-ce que c'est toi ?

– Tu aimerais bien… » lui répondit une voix féminine froide et grave qui surgit des ténèbres à seulement quelques mètres d'elle.

D'un geste rapide de la main, Azula illumina la pièce. Mais dans panique, elle ne parvint pas à maîtriser l'intensité de ses flammes et elle fut un instant éblouie.

C'était tout ce dont son adversaire avait eu besoin pour agir.

Quelque chose fusa à travers la pièce en sifflant et Azula fut clouée au mur.

Deux lames tranchantes avaient transpercé les manches de son manteau en se plantant dans le mur, et elle fut momentanément incapable de bouger, trop abasourdie pour réagir.

Avant qu'elle n'ait pu rassembler ses pensées, un long visage fin barré d'une lourde frange noire surgit tout près du sien.

« Désolée, tu attendais quelqu'un d'autre peut-être ? » l'interrogea Mai de son habituel ton laconique.

Une bouffée de haine envahit Azula et déforma ses traits habituellement symétriques et délicats.

« Qu'est-ce que tu fais là ? siffla-t-elle. Où est mon frère ?

– Ton frère ? demanda Mai en haussant les sourcils comme pour feindre un profond étonnement. Moi qui pensais que tu attendais ton amant ! »

Azula se tut et referma la bouche, sans réussir à empêcher ses lèvres et son menton de trembler violemment.

« Mais je crois que Zuko et toi êtes au-delà de telles distinction, je me trompe ? » poursuivit Mai en approchant son visage de celui d'Azula, suffisamment près pour l'embrasser.

Azula se serait libérée sans hésiter et jetée sur sa belle-sœur sans l'ombre d'un remord si cette dernière n'avait pas tenu juste sous sa gorge une lame si affûtée qu'elle était certaine qu'une simple application contre sa peau aurait suffi à créer une hémorragie mortelle.

Puisqu'elle ne pouvait rien faire, autant discuter. Au moins, le bruit de leurs paroles couvriraient-elles les battements effrénés de son propre cœur. Elle ne pouvait pas laisser Mai découvrir à quel point elle avait peur.

« C'est Zuko qui te l'a dit ? réussit-elle à demander malgré sa gorge sèche et les tremblements de sa mâchoire. Cet imbécile n'a pas pu tenir sa langue ? Qu'est-ce que tu as fait pour le faire parler ? Tu lui as mis un couteau sur la gorge, comme à moi ? Ou bien as-tu utilisé des méthodes plus...douces ? » conclut-elle avec un sourire mesquin.

Mai ne dit rien et se renfrogna.

« Je ne sais pas quel effet tu as sur lui, poursuivit Azula qui ne pouvait s'empêcher de provoquer son ancienne amie malgré le danger. Mais avec moi, il est généralement trop épuisé pour parler après…

– Tais-toi misérable petite garce! » explosa Mai en approchant encore la lame de la gorge d'Azula qui recula contre le mur, les yeux agrandis par la peur. « Je ne jouerais pas à ce petit jeu à ta place. Et je sais pertinemment qu'il ne s'est rien passé avec Zuko depuis le soir du traité ! »

Azula considéra un moment la possibilité de la démentir mais le contact glacé de la lame du shuriken contre sa gorge l'incitait à la prudence. Elle jugea préférable de ne pas parler du tout, craignant même que le simple fait de déglutir suffise à faire entrer le métal tranchant dans sa gorge, là où la peau était la plus tendre.

« Mai…, se contenta-t-elle de dire en baissant les yeux vers la lame.

Comme s'il s'était agit d'un signal, Mai éloigna la lame de quelques centimètres, permettant à Azula de reprendre son souffle et d'avaler sa salive. Mais elle la laissa suffisamment près pour représenter une menace sérieuse. Azula ne pouvait toujours pas bouger.

« S'il ne t'a pas dit, alors comment as-tu su ?

– Comme toujours, tu as mal calculé Azula. Pensais-tu vraiment que ton petit jeu d'enfant m'empêcherait d'accéder aux informations dont j'avais besoin ?

– Le poème, dit Azula d'une voix blanche. Tu as réussi à le déchiffrer ?

– Bien sûr, pauvre folle ! Nous l'avons inventé ensemble ce code ! » s'écria Mai.

Curieusement, cet oubli semblait la blesser presque autant que la trahison de Zuko.

« Mais bien sûr, reprit Mai, comme toujours, tu es trop égocentrique et bien trop narcissique pour admettre que tu n'es pas le petit génie que tu prétends être. Je l'ai créé avec toi ce code, quand nous avions sept ans ! C'est comme ça que nous communiquions quand nous nous envoyions des faucons par la fenêtre de nos chambres. »

Comment Azula avait-elle pu oublier quelque chose d'aussi important ? Trop obsédée par Zuko, certaine, maintenant, qu'il la désirait, elle avait largement sous-estimé Mai. C'est une erreur qu'elle avait déjà commise une fois. Une erreur qu'elle s'était pourtant juré de ne jamais reproduire.

L'amour dont Mai enveloppait Zuko était au moins aussi tordu et féroce que le sien. Ce n'était sans doute pas un hasard que son frère ait choisi celle de ses deux amies qui ressemblait le plus à Azula.

« Alors, que vas-tu me faire ? demanda-t-elle, ses lèvres s'étirant en un rictus sauvage. Tu vas me tuer et me laisser me vider de mon sang dans cette chambre ? En espérant que personne ne m'y retrouvera jamais ? Mais Zuko sait que je suis ici, et s'il ne me voit pas demain, il viendra m'y chercher. Et qui crois-tu qu'on accusera en premier quand on verra mon corps lacéré au couteau ? Penses-tu que Zuko te pardonnera ?

– Zuko a un choix à faire », répondit Mai en approchant son visage fin de celui d'Azula qui la regardait toujours avec son sourire moqueur. « Et comme toujours, il se précipite vers le mauvais avant de revenir à la raison. Tu as peut-être réussi à le séduire Azula, mais à la fin, il me reviendra. Et tu le sais déjà.

– Voilà qui est bien présomptueux, même pour la Dame du Feu en personne, ricana Azula, plus confiante maintenant que la lame était à une distance raisonnable de sa gorge. Si j'étais toi j'en serais moins sûre. Sais-tu où était Zuko la nuit où je suis sortie avec Ty Lee ? Sais-tu qui il est venu retrouver en empruntant les passages secrets ? Le sais-tu Mai ?»

Mai cligna des yeux une fois, puis une seconde et Azula vit le doute s'insinuer dans le cœur de sa rivale, s'y ancrer solidement et assombrir ses traits.

« Tu aurais dû l'entendre quand il a soupiré mon nom en me tirant contre lui, continua Azula en donnant une inflexion nostalgique à sa voix. Tu aurais dû voir comme il est devenu dur entre mes jambes. Oh, Mai, si tu savais comme sa main était brûlante quand il l'a glissée sous ma robe ! »

Et avant que Mai ait pu réagir, elle lui cracha au visage un puissant jet de flammes bleues que la jeune lanceuse de couteaux esquiva de justesse grâce à ses excellents réflexes.

Azula profita de la confusion pour se libérer des lames qui la retenaient prisonnière, en jeta une au sol qu'elle repoussa d'un coup de pied. L'objet finit sa course sous le lit qui trônait au milieu de la pièce. Le regard d'Azula tomba sur le portrait au-dessus de la tête de lit qui la toisait avec sévérité. Ses yeux semblaient lui adresser les mêmes reproches que le jour où elle était revenue du Temple de l'Air de l'Ouest pour lui annoncer sa défaite au Rocher Bouillant et la trahison de ses deux amies.

« Tu ne vaux pas mieux que ton frère. Et dire que je te faisais confiance. Tu es une telle déception, ma pauvre fille. »

Depuis sa punition, le jour du Soleil Noir, Azula multipliait les erreurs de jugement. Encore un échec et il l'enverrait se marier à un quelconque imbécile de la Nation du Feu. Il l'avait déjà prévenue. Elle n'avait plus droit à l'erreur.

Elle avait encore une fois sous-estimé Mai et elle en payait à nouveau le prix.

Face à elle, Mai la regardait, prête à attaquer, une expression de haine pure déformant chaque trait de son visage habituellement impassible.

« Espèce de petite putain ! » lâcha-t-elle. Ses longues mèches de cheveux s'agitèrent de chaque côté de sa tête, comme si un vent violent s'était engouffré dans la pièce.

– Je préférerais un terme moins offensant, mais si tu ne peux pas faire mieux… », répondit Azula d'un ton tranquille et assuré en haussant les épaules. « Je veux bien être une putain, du moment que je suis la sienne. »

Elle évita de justesse l'essaim de lames acérées qui s'envolait vers elle en se laissant glisser au sol, un pied en avant, l'autre replié sous son genou. Elle retomba sur les paumes de ses mains sur lesquelles elle prit appui et bondit en l'air, lançant un coup de pied sauté dont elle fit jaillir une boule de feu qui fendit l'air et faillit atteindre Mai au coude.

Mai esquiva avec facilité en s'accroupissant et riposta en envoyant quatre nouvelles lames pointues en direction des pieds d'Azula qui sauta encore et exécuta une gracieuse pirouette qui l'emmena sur le grand lit à baldaquin où elle atterrit, légèrement déséquilibrée par la surface molle du matelas qui s'enfonça un peu sous son poids.

Mai saisit l'opportunité pour se précipiter vers elle, un poignard affûté dans la main droite, prête à s'en servir contre celle qu'elle appelait autrefois son amie. Azula réagit à temps mais le matelas entrava son élan et son saut ne la propulsa pas aussi haut qu'elle l'avait espéré. Une lame l'effleura et elle poussa une exclamation de douleur outragée. Le couteau avait transpercé le manteau qu'elle portait encore et ouvert une entaille dans son bras gauche. Elle retira vivement le manteau qui la gênait dans ses mouvements et l'embrasa avant d'envoyer d'un coup de pied vers son ennemie occupée à ramasser les lames qui jonchaient le sol au pied du lit.

Mai poussa un cri de stupeur lorsque le vêtement en flammes atterrit à ses pieds et elle recula d'un bond. Azula profita de sa distraction pour se ruer sur elle et la clouer au sol. A tâtons, elle attrapa une lame qui se trouvait à sa droite et la pointa directement sur le cou de Mai, juste sur la carotide.

La même rage qui l'avait envahie au bord du canal quand Kojiro l'avait touchée afflua en elle et il lui fallut toute la force de sa volonté pour ne pas enfoncer la lame dans la peau livide où palpitait une artère.

Tue-la...

Mai, haletant, couchée sur le dos, la regardait sans ciller, ses yeux habituellement bridés arrondis par la stupeur. Une expression de terreur qu'Azula ne lui avait jamais vue s'étalait sur son visage de porcelaine.

« Tu vas me tuer ?, demanda Mai, le souffle court. C'est ça ton plan diabolique pour me voler Zuko ? Tu n'avais rien de plus subtile ? »

Apparemment la peur ne suffisait pas à venir à bout des sarcasmes de Mai. C'était encore un trait de personnalité qu'elles partageaient. Azula ne put s'empêcher de sourire et répliqua sur le même ton :

« Mai, nous n'étions pas obligées d'en arriver là. Si tu avais été prête à partager, comme je le suis, nous aurions presque pu nous entendre... »

Ignorant la grimace de répulsion qui déforma momentanément les traits de Mai, Azula posa à nouveau la question qui l'obsédait :

« Comment as-tu su pour la lettre ? Ne me dis pas que Zuzu a été suffisamment stupide pour la laisser traîner ? »

Ce fut au tour de Mai de sourire d'un air narquois. Azula vit passer une lueur mauvaise dans ses yeux argentés avant qu'elle lui réponde :

« Il semble que Zuko ait pris des leçons de discrétion dernièrement. Il se trouve que j'ai mes sources…

– Dis-moi qui ! » exigea Azula en enfonçant la lame dans le cou de Mai, juste assez pour qu'une goutte de sang perlât sur sa peau blanche sans risquer de la blesser sérieusement.

Tue-la…

Azula secoua violemment la tête comme pour chasser un moucheron et dut résister contre l'envie de se boucher les oreilles.

Tu peux le faire. Tu auras Zuko pour toi toute seule si elle meurt…

« Mais il ne me pardonnera jamais ! » Azula réalisa trop tard qu'elle avait parlé à voix haute. Le ton qu'elle avait employé était presque suppliant. Mai la regardait étrangement en fronçant les sourcils. Refusant de lui laisser voir sa confusion, Azula raffermit sa position et s'approcha du visage de Mai.

« Dis-le-moi ! » ordonna-t-elle à nouveau, sa voix se brisant légèrement.

– Je doute que tu aies envie de connaître la réponse, répondit Mai du ton neutre qu'elle aurait employé pour commenter le temps qu'il faisait, mais puisque c'est si gentiment demandé, je vais te donner un indice. A vrai dire, je suis assez déçue…

– Quoi? » la coupa Azula qui n'avait pas la patience pour les jeux d'esprit. Elle n'aimait pas le ton sarcastique qu'elle percevait dans la voix de Mai, et détestait le sentiment de peur et de doute qui s'insinuait lentement en elle.

Et si Zuko lui-même avait envoyé Mai pour… ?

« Tu disais toujours que la confiance était pour les imbéciles, reprit Mai, tu aurais dû t'en tenir à ton vieil adage. Tu as déjà commis la même erreur par le passé. Tu pensais sans doute qu'elle te choisirait cette fois ?

– Elle ? » demanda Azula, ses yeux d'ambre s'agrandissant sous l'effet de l'incompréhension. « Qui ? Réponds ! » la pressa-t-elle en criant d'une voix stridente, proche de l'hystérie, qu'elle ne parvenait plus à contrôler.

Comment avait-elle fait pour entrer en contact avec Mai ? Personne d'autre ne pouvait la voir pourtant, n'est-ce pas ? Par quel moyen Mère aurait-elle pu parler à cette garce ?

– Elle est venue me trouver, complètement bouleversée. Elle avait terriblement peur à l'idée de te trahir une nouvelle fois. Elle a mis des heures à me dévoiler la vérité ! Mais finalement, elle a choisi le bon camp, comme toujours… »

Les entrailles d'Azula se liquéfièrent dans son ventre. Elle ne se rendit même pas compte qu'elle avait lâché la lame et ce fut le bruit de métal heurtant le sol qui la tira de l'état second où elle se trouvait.

« Ty... », murmura-t-elle d'une voix blanche.

Ty Lee avait vu la lettre… Elle était avec elle quand Azula l'avait écrite. Elle savait que son amie en avait deviné le contenu. Elle avait passé les derniers jours à essayer de la dissuader de retrouver Zuko. Elle désapprouvait leur relation, en était dégoûtée, comme tout le monde. Azula avait renoncé à lui demander son aide pour séduire Zuko, mais elle avait au moins cru pouvoir lui faire confiance et compter sur sa discrétion.

Complètement abasourdie par cette révélation inattendue, Azula n'avait même pas remarqué que Mai l'avait repoussée. La jeune femme se relevait à présent et quand elle fut debout, elle épousseta négligemment les épaulettes de sa robe. Elle baissa ensuite la tête vers Azula et un sourire méprisant étira ses lèvres fines tandis qu'elle la toisait de toute sa hauteur.

« Tu pensais que Zuko m'avait envoyée ? Pauvre Azula. Il n'a même jamais eu l'intention de venir. Il est parti en palanquin tout à l'heure avec Kadao et l'Avatar sans une pensée pour toi. Il t'a oubliée, tu n'es rien pour lui. Une petite passade tout au plus… Une tache sombre dans l'histoire de son règne, une erreur qui sera vite oubliée. »

Il devenait difficile de respirer. A genoux sur le sol de pierre, Azula plongea sa tête dans ses mains et planta ses ongles pointus dans ses tempes et sur son front.

« Non… non, non, non , non, non ! s'étrangla-t-elle. Tu mens ! Je ne te crois pas !

– C'est difficile, n'est-ce pas, quand une des personnes qui comptent le plus pour toi, te trahit ? demanda Mai, la voix chargée d'une fausse sollicitude. Mais ce n'est pas nouveau pour toi. Que ressens-tu Azula ? »

Azula ne leva pas la tête, incapable de supporter la jubilation qui devait illuminer le regard d'habitude inexpressif de Mai.

« Peut-être que tu devrais davantage te fier à tes hallucinations. Elles ne t'ont jamais laissé tomber, n'est-ce pas ? C'est curieux, non ? C'est comme si les vraies personnes ne pouvaient pas t'aimer.» conclut-elle, simulant la perplexité de quelqu'un qui ferait une découverte inattendue.

Azula ne put s'empêcher de lever la tête et elle vit danser dans les yeux en demi-lune de son ancienne amie une flamme qu'elle n'y avait jamais vue auparavant. Savait-elle ? Savait-elle qu'Azula était redevenue folle ? Mais comment ? Elle le cachait si désespérément à tout le monde, comment pouvait-elle savoir alors que même Ty Lee, qui ne la quittait pas, l'ignorait ?

« Comment va ta maman Azula ? Est-ce qu'elle est ici avec nous en train de contempler ta déchéance ? Est-ce qu'elle peut m'entendre ? J'aimerais beaucoup lui passer le bonjour.»

Cette dernière répartie porta Azula au bout de ce qu'elle pensait pouvoir endurer. Mais alors qu'elle pensait pousser un cri de fureur, ce fut un long gémissement désespéré qui franchit ses lèvres. Elle porta ses mains à sa poitrine et les pressa contre son cœur meurtri, comme pour le protéger d'un nouvel assaut.

Elle ne se serait pas sentie plus humiliée si Mai l'avait clouée au sol et avait posé un pied sur elle dans l'attitude triomphante d'un chasseur assujettissant sa proie.

« Tu peux bien baiser tous les Zukos imaginaires que ton esprit dégénéré voudra bien te montrer. Le vrai sera toujours à moi !»

Le sanglot qu'Azula contenait depuis un moment éclata brusquement quand Mai porta ce coup fatal. Une pluie de postillon s'abattit sur ses genoux, rappelant douloureusement à Azula une scène similaire, des années plus tôt, dans l'espace étroit de la cellule où on l'avait enfermée à l'asile. Mais la jeune femme impitoyable qui se tenait devant elle était bien réelle cette fois. Tout comme l'étaient les mots cruels qu'elle venait de lui jeter au visage.

Visiblement satisfaite, la Dame du Feu fit demi-tour, le dos droit, la démarche raide, et quitta la salle, abandonnant une Azula vaincue sur les dalles glacées de la chambre de son père.


Azula marchait en titubant dans les couloirs, sans savoir où elle allait. Plus d'une fois elle dut se retenir au mur pour ne pas s'écrouler sur ses jambes chancelantes. Elle n'osait pas se retourner. Elle savait ce qu'elle verrait sinon. Elle les entendait s'approcher d'elle en glissant sur le sol. Ils chuchotaient des paroles qu'elle ne comprenait pas. Convaincue que d'autres étaient tapis dans l'ombre juste devant elle, alors qu'elle s'engageait dans un nouveau couloir, elle se plaqua contre le mur en haletant bruyamment.

« Laissez-moi tranquille ! cria-t-elle d'une voix suppliante qui résonna dans le corridor et se perdit dans l'obscurité.

Sourdes à ses prières, les ombres derrière elle la rattrapaient. Bientôt, elles la saisiraient aux chevilles et l'entraîneraient dans les ténèbres.

Compte jusqu'à dix Zula, et elle disparaîtront !

Elle s'arrêta et ferma étroitement les paupières en s'agrippant aux pierres apparentes de la paroi. Elle compta jusqu'à cinq en s'efforçant de reprendre son souffle.

Ce n'est pas réel. Rien de tout cela n'est réel.

Les rampants et les ombres n'étaient qu'un tour de son imagination et de son cerveau malade. Mais alors pourquoi sentait-elle déjà leurs longs doigts tordus glisser sur ses bras et se refermer sur sa gorge ?

6,7,8,9,10… Garde les yeux fermés, encore un moment.

A l'asile, elle avait appris à distinguer ce qui était réel de ce qui ne l'était pas. Les créatures qui avaient commencé à la suivre quand elle avait quitté la chambre de son père quelques minutes plus tôt faisaient partie de la deuxième catégorie. Elles ne pouvaient rien lui faire. Azula pouvait rester là, dans ce couloir, et attendre jusqu'à ce que quelqu'un vienne la chercher et la ramène dans ses appartements.

Ils étaient une dizaine au moins réunis autour d'elle et ils la caressaient, la frôlaient. Leurs murmures grandissaient et se muèrent en un bourdonnement sonore qui couvrit le bruit des halètements paniqués d'Azula.

« Allez-vous-en ! hurla-t-elle soudainement. Partez ! »

Les murmures se turent et elle ne sentit plus que les pierres froides du mur contre son dos.

Au bout d'un moment, elle osa rouvrir les yeux et ne vit que son reflet vacillant dans la vitre face à elle. Elle se décolla du mur et scruta l'obscurité. Rien. Ils étaient partis.

Azula poussa un profond soupir de soulagement. Elle allait reprendre sa route quand une violente crampe à l'estomac la jeta à genoux. Elle poussa une exclamation de douleur et prit son ventre dans ses mains en gémissant, se balançant sur place, sa tête touchant presque le sol de pierre.

Elle resta ainsi un moment, jusqu'à ce que les spasmes se calment et que son ventre se détende à nouveau. Quand elle se sentit mieux, elle s'assit contre le mur, le front couvert de sueur.

Cela faisait une semaine maintenant que les crampes avaient commencé. Au début elle ne s'en était pas inquiétée. Elle avait déjà éprouvé des douleurs comparables pendant son cycle. Taïma lui avait dit, un jour où elle s'en était plainte à elle à l'asile, que les douleurs abdominales étaient fréquentes lors des saignements.

Mais Azula avait cessé de saigner depuis quatre jours maintenant et les crampes, loin de s'estomper, semblaient empirer. Quelques nuits plus tôt, elle avait dû se lever précipitamment et courir dans la salle de bain. Là-bas, elle avait vomi dans la cuve en pierre. Lorsqu'elle avait relevé la tête pour voir son reflet dans le miroir accroché au-dessus, ce dernier lui avait renvoyé l'image d'un visage livide avec des yeux cernés de noir. Un mince filet de sang s'écoulait à la commissure de ses lèvres tremblantes.

Paniquée, elle avait rapidement actionné le robinet pour évacuer la substance répugnante de la cuve.

La voix ensommeillée de Ty Lee l'appelait de l'autre côté de la porte. Azula s'était empressée de la rassurer et lui avait dit de se recoucher.

Ty Lee, à qui rien n'échappait, avait remarqué que quelque chose n'allait pas. Elle surprenait parfois les grimaces de douleur d'Azula, ou la main qu'elle posait soudain sur son ventre lorsqu'un nouveau spasme la pliait en deux. Ty Lee lui avait vivement conseillé d'aller voir Taïma ou le docteur mais Azula l'avait fait taire d'un geste et lui avait demandé de lui montrer une deuxième fois le blocage compliqué qu'elle était en train de lui enseigner dans la cour d'entraînement.

Assise dans le couloir plongé dans les ténèbres, au beau milieu de la nuit, Azula se disait que Ty Lee avait raison. Elle ferait bien d'aller voir Taïma. Mais la guérisseuse remarquerait alors forcément qu'elle avait de nouveau perdu la raison. Cette femme était à l'affût du moindre signe, du moindre indice. Elle verrait les petits spasmes qui contractaient parfois le joli visage de la princesse. Elle découvrirait qu'elle avait recommencé à entendre des voix. Et ils la renverraient à l'asile. Zuko ne voudrait plus d'elle. La priorité était de retourner dans sa chambre, ou bien de retrouver Ty Lee. Les apparitions se manifestaient moins en présence d'autres personnes. Du moins Azula s'efforçait-elle de les maintenir à distance.

Retrouver Ty Lee... Pour lui dire quoi ? Qu'elle avait découvert son ignoble trahison ? En pensant à son amie, Azula ne ressentait plus qu'un grand froid dans la poitrine. Elle savait depuis le début que l'acrobate désapprouvait sa relation avec Zuko, qu'elle ferait tout pour l'empêcher. Mais impliquer Mai dans cette affaire ? La lui envoyer en sachant pertinemment comment s'achèverait cette rencontre !

Traîtresse ! Sale petite traîtresse ! Misérable petite putain !

Comment une fille qui avait couché avec la moitié des hommes de la Caldera, nobles comme roturiers, osait-elle se mêler et s'offusquer des relations amoureuses d'Azula ? A part son frère, elle n'avait jamais laissé un homme la toucher, jamais ! Du moins quand elle avait pu l'empêcher. Et c'était-elle que l'on accusait de conduite scandaleuse !

Où aller alors ? Trouver Zuko ? Si ce que Mai avait dit était vrai, il avait quitté le palais. Elle ne savait même pas où le rejoindre. Un instant, elle songea à Katara. La jeune maîtresse de l'Eau s'était montrée utile à certaines occasions dans le passé. Et bien qu'elle ne l'appréciât guère, sa présence, en cet instant de désespoir, lui paraissait réconfortante. Mais avec elle, il y aurait l'Avatar.

Elle n'aimait pas se trouver en sa présence. Elle savait ce qui se cachait sous son regard doux et compatissant, sous ses discours pacifiques exaspérants de sagesse : une haine féroce, un désir de revanche non assouvi. Elle avait failli le tuer. Elle avait cru à sa mort, l'avait souhaitée et s'en était réjouie.

C'est à cause de lui que Zuko l'avait abandonnée. C'était pour lui qu'il était revenu et l'avait affrontée pour un Agni Kai. Elle était certaine que l'Avatar ferait tout pour remettre Zuko dans le droit chemin, pour le dissuader de céder à ses désirs contre-nature.

Pourquoi fallait-il que tout le monde s'en mêle ?

Leurs parents les avaient montés l'un contre l'autre dans leur jeunesse, Iroh, leur bon à rien d'oncle, avait perverti l'esprit de son frère avec ses idées extravagantes et ses principes philosophiques. Il y avait eu Mai. Puis l'Avatar. Maintenant Ty Lee. Tous des gens qui prétendaient se soucier d'eux, les aimer. Tous des obstacle durables à leur bonheur.

Azula ne le permettrait pas. Elle ne le permettrait plus. Une main toujours cramponnée à son ventre, une flamme ardente brûlant dans sa poitrine, elle s'éloigna de sa démarche titubante, déterminée à débarrasser le monde de tous ceux qui oseraient se dresser entre elle et son frère.


Une aube grise s'était levée. Un soleil timide, dont les rayons pâles et froids échouaient à percer la couche opaque de nuages, ne réchauffait pas encore les toits des maisons endormies. Une nappe de brouillard s'élevait du sol pavé et semblait s'infiltrer dans les fondations des bâtiments. La ville entière paraissait engourdie. On l'eût dite morte si le chant lointain de quelques oiseaux matinaux n'avait transpercé le silence épais qui enveloppait le monde. Deux silhouettes solitaires marchaient côte à côte dans les ruelles désertes de la Caldera.

Ils n'avaient pas échangé un mot depuis qu'ils avaient quitté le domicile du Commandant où ils avaient passé la nuit, se relayant pour essayer de soulager les souffrances du pauvre garçon dont le visage avait été ravagé par les flammes.

Katara ne cessait de penser à la face hideuse qu'elle avait découverte dans la pièce obscure qui sentait la mort et la maladie. Le cœur dans la gorge, elle n'avait pu en détacher les yeux tout d'abord. L'œil fonctionnel de Kojiro était résolument fixé sur elle et sa poitrine se soulevait rapidement, lui indiquant qu'il était éveillé et sans doute conscient.

Luttant de toutes ses forces contre le dégoût, elle avait tiré vers elle une chaise située près du lit et avait pris dans les siennes la main de Kojiro. Puis, prenant sa voix la plus rassurante et la plus chaleureuse, elle lui avait murmuré des paroles de réconfort.

Aang, debout derrière elle, avait assisté à la scène. Il avait laissé Katara se présenter et avait regardé ses mains expertes survoler le visage ruiné de Kojiro avec mouvement ample, faisant apparaître de l'outre qu'elle emportait toujours avec elle, une eau brillante et argentée qu'elle modelait et dirigeait à sa guise.

« Les chairs sont trop endommagées, souffla-t-elle à Aang après un moment. Je ne peux rien faire pour réparer son visage... »

La tête basse, Aang avait acquiescé. Il le savait déjà. Mais il était de leur devoir de faire tout leur possible pour soulager le jeune homme qui souffrait abominablement à côté d'eux.

Ils y avaient donc passé la nuit. Katara avait refait les pansements de Kojiro, nettoyé les chairs mortes et montré aux infirmières comment réaliser un bandage tout en limitant les risques d'infection. Ils étaient partis en promettant à Tsuneo de revenir dès le lendemain. Kojiro était alors profondément endormi, momentanément apaisé par cette session de soins.

A présent ils rentraient au palais, la tête basse, à la fois pour se protéger du froid pénétrant de cette fraîche matinée, et suffoqués par la violence et la l'angoisse de cette longue nuit.

Zuko était dans le pétrin. Ce n'était rien de le dire.

Au fond d'elle, Katara avait toujours craint que quelque chose de tel se produise depuis le jour où Azula avait été autorisée à rentrer au palais. Elle avait bien essayé de dissuader Zuko de la faire revenir. Mais il avait été intraitable. Il voulait sa sœur auprès de lui. Il tenait à reconstituer le peu qu'il lui restait de famille avant qu'il ne soit trop tard.

Certes en apparence la princesse semblait plus stable. Elle ne manifestait plus aucune violence et ne répondait plus à ses hallucinations. Mais lors de ses dernières visites à l'asile, Katara et Aang avaient tous deux ressenti de grandes perturbations dans son chi. Azula était loin d'être en paix avec elle-même et avec ses souvenirs. Un vieux proverbe de sa tribu disait qu'il n'y avait pas plus dangereux que l'eau qui dort. Qu'en était-il du feu ? Et notamment de celui que l'on a étouffé durant trois longues années ?

Aang et Katara n'étaient pas là lors du retour d'Azula et n'étaient revenus à la Caldera que quelques mois plus tard. Force était de constater que, grâce à Taïma et aux efforts de Zuko, la princesse semblait aller mieux. Mais Katara ne parvenait pas à se sentir à l'aise en sa présence et la façon dont Azula regardait Zuko la troublait profondément. Il lui semblait qu'à tout instant, elle allait se jeter sur lui une tornade de flammes azur et lui arracher sa couronne. Elle avait toujours su qu'Azula, malgré ses efforts conséquents pour paraître normale, restait une personne terriblement dangereuse. La façon dont elle avait agressé Kojiro en était la preuve.

Alors qu'elle ruminait ces sombres pensées, Katara sentit une main s'emparer de la sienne et la serrer. Elle tourna la tête et plongea dans les yeux bruns d'Aang qui la regardait avec un air qui exprimait une peine et une inquiétude identique à la sienne.

« Veux-tu que ce soit moi qui lui parle ? demanda-t-il, comme s'il avait lu dans ses pensées.

– Il ne le prendra pas bien... » répondit-elle en serrant la main d'Aang à son tour.

– Non. Je sais. C'est pour ça qu'il vaut mieux que ce soit moi… »

Katara tourna la tête vers lui et lut sur le visage d'ordinaire serein de l'Avatar, une profonde tristesse qu'elle ne lui avait vue que quelque fois : lors de leur première visite au Temple de l'Air austral, lorsqu'il avait découvert la disparition tragique de son peuple, puis quand ils avaient perdu Appa dans le désert. Comme elle, Aang comprenait que la discussion qu'ils s'apprêtaient à avoir avec Zuko compromettrait peut-être irrémédiablement leur amitié. Le fait qu'il veuille lui même parler au Seigneur du Feu ne signifiait qu'une chose : il craignait que la conversation ne dégénère.

« Avant l'Agni Kai, commença-t-elle, j'étais convaincue que Zuko souhaitait de tout son cœur se débarrasser d'Azula. Qu'il ne voyait en elle qu'une rivale, une menace pour la paix du monde, pour son trône. Sur le chemin qui nous ramenait au palais, quand on est partis l'affronter, il ne semblait pas se soucier de ce qui lui arriverait. Il s'inquiétait pour toi.»

Aang l'écoutait attentivement, sans cesser de la regarder. Zuko et Katara étaient toujours restés étrangement discrets à propos de l'ultime combat qui avait opposé le jeune maître du feu et sa sœur maniaque et mortelle. Il lui avait toujours semblé que ce souvenir qu'ils partageaient les avait rapprochés d'une manière qui ne lui était pas accessible. Il en avait longtemps éprouvé de la jalousie. Quand Katara accompagnait Zuko à l'asile, qu'ils en revenaient en échangeant des regards un peu tristes, que Katara posait sur lui une main compatissante et un regard plein de sollicitude, Aang ne pouvait s'empêcher de craindre qu'elle ne lui échappe. A l'époque, il n'était encore qu'un garçon de treize ans, pas très charismatique, encore petit et bien qu'il fût un maître accompli des quatre éléments, il lui manquait ce je-ne-sais-quoi qui rendait Zuko si attirant aux yeux des autres filles, malgré son visage ravagé. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis et Aang avait acquis la confiance en lui qui lui manquait. Son corps avait subi des changements sensibles. Il était maintenant plus grand que Sokka et que Zuko et avait développé une musculature qui n'avait rien à envier à celle de ses amis. En sa qualité d'Avatar, il jouissait du respect de tous et d'une aura particulière.

« Même lorsqu'on l'a vue chuter au Temple de l'Air occidental, il n'a pas eu l'air d'avoir peur de la perdre. Je me souviens que ça m'avait choquée à l'époque. Qu'on puisse être si détaché d'un membre de sa propre famille. »

Elle chercha le regard d'Aang qui acquiesça pour lui signifier qu'il comprenait. Lui-même en avait été un peu déconcerté. Ce sentiment s'était renforcé lorsqu'il écoutait Zuko l'encourager à mettre fin à la vie d'Ozai, sans éprouver le moindre scrupule.

« Si Sokka m'avait regardée comme ça alors que j'étais sur le point de mourir...s'il avait cherché à me défier dans un duel à mort… je ne sais pas si j'aurais pu m'en remettre.

– Ta relation avec Sokka n'a rien de comparable à celle de Zuko et Azula, répondit Aang en passant un bras autour de ses épaules. La vôtre est saine et épanouissante. La leur est troublée et destructrice. Un temps, j'ai cru que la présence de Zuko faisait du bien à Azula, sincèrement. Mais ces derniers temps... »

Il s'interrompit, se demandant jusqu'où il pouvait pousser ses confidences.

Il ne cachait jamais rien à Katara. Mais le secret que Zuko lui avait confié était d'une tout autre nature. Le genre de secret qui peut gâcher une vie, ou plusieurs. Aang n'était pas certain que Katara puisse comprendre. Lui-même se débattait avec ses propres principes et ses convictions depuis maintenant plus d'un mois, depuis que Zuko lui avait raconté ce qui s'était passé dans la salle de bain d'Azula.

« Aang...si tu sais quelque chose, tu dois me le dire. »

Katara s'était arrêtée et placée devant lui, une main dans la sienne, l'autre posée sur son bras. Aang n'avait jamais rien pu lui refuser. Il s'autorisa à plonger dans les yeux océan et s'émerveilla, comme toujours, du contraste qu'ils faisaient avec sa peau mat. Que risquait-il à lui dire la vérité ? Katara n'avait-elle pas, à de multiples reprises, prouvé sa valeur et sa loyauté ?

Ce serait sans doute plus facile de gérer le problème de Zuko et d'Azula avec Katara à ses côtés. Il balaya la vague de culpabilité qui le submergea à la pensée de la promesse qu'il avait faite à Zuko la veille, avant que Kadao ne les interrompe pour leur annoncer la terrible nouvelle de l'agression du fils du Commandant.

« Je pense… Je pense que les sentiments d'Azula pour Zuko ne sont pas… très orthodoxes… et que c'est pareil pour Zuko. »

Comme il s'y était attendu, les yeux saphir de Katara s'élargirent démesurément et il sut qu'il avait eu raison de penser que sa fiancée ne ferait pas partie de ceux qui pourraient comprendre et accepter. Mais voir ce que l'amour de Zuko pour sa sœur le poussait à faire et à tolérer était sans doute pire que de perdre son amitié. Le destin et la sécurité de toute une nation, et plus encore, étant donné les troubles dans les colonies, semblaient suspendus à l'évolution de cette relation malsaine et destructrice. Il y avait Mai aussi. Mai qui, blessée comme elle l'était, lui faisait l'effet d'un volcan sur le point d'exploser. La Dame du Feu méritait bien son titre, bien qu'elle n'eût pas de maîtrise. La colère qui embrasait son cœur et son esprit n'avait d'égale que la puissance destructrice des flammes d'Azula.

« Comment...qu'est-ce que… Mais comment peux-tu dire quelque chose d'aussi… d'aussi abject ? répondit Katara qui revenait seulement de sa stupeur. Est-ce que tu as vu ou appris quelque chose ?

– Zuko m'a avoué qu'il s'était passé des choses avec Azula. Des choses qui n'auraient pas dû se passer entre eux. Je n'en sais pas beaucoup plus Katara, inutile de me demander des détails. Mais ce qui est certain, c'est que Zuko n'y voit plus clair quand il s'agit de sa sœur.

– Tu penses qu'elle le manipule ?

– C'est possible, répondit-il en réfléchissant à cette éventualité qui lui paraissait de moins en moins probable à mesure que la situation avançait. Mais d'après ce que m'a dit Ty Lee hier, Azula ne va pas très bien. A moins qu'elle simule une rechute pour se protéger après ce qu'elle a fait à Kojiro… mais ce serait vraiment tordu, non ?

– Ce serait digne d'Azula… soupira Katara. Aang… si tout ce que tu me dis est vrai… je pense qu'il serait imprudent de parler à Zuko maintenant. Il doit encore être terriblement bouleversé par ce qu'il a découvert. Si on lui dit qu'on pense qu'Azula devrait être enfermée à nouveau, il risque de s'en prendre à nous. Tu te rappelles son attitude au Conseil l'autre jour ? Il a failli attaquer Toph ! Je veux dire...quelle personne serait suffisamment insensée pour s'en prendre à Toph ? »

Aang ne put retenir un sourire. Bien qu'il fût l'Avatar et que sa maîtrise des autres éléments lui donnât un avantage sur la jeune aveugle, il n'était pas certain que lui-même se serait exposé au risque d'un affrontement sérieux contre elle, surtout depuis qu'elle maîtrisait le métal. Ce don la rendait plus dangereuse encore.

« Tu as raison. » dit-il à Katara en la serrant dans ses bras. Il sentit le corps de sa fiancée se détendre contre lui.

Le soleil qui se levait réchauffait son dos et le maître du feu en lui sentit en même temps s'éveiller le feu impatient qui brûlait dans ses entrailles.

« Tu as raison, répéta-t-il en plongeant son visage dans le cou de Katara où il déposa un gentil baiser qui la fit frissonner. Nous ne sommes peut-être pas les bonnes personnes pour raisonner Zuko aujourd'hui. Mais je sais qui pourrait... »

Katara s'écarta légèrement de lui, les deux mains posées à plat sur la poitrine d'Aang et leva les yeux vers les iris couleur d'écorce de son fiancé. Un éclair de compréhension passa entre eux. C'était ce qu'elle aimait le plus dans leur relation, cette capacité qu'ils avaient de se comprendre sans avoir besoin de prononcer le moindre mot. Elle n'aurait échangé cela pour rien au monde.

« Je suis d'accord. Nous l'avons laissé à l'écart trop longtemps. »

Il avait bien fait comprendre que son plus grand désir était de profiter de sa retraite, loin des affaires de ce monde et de la politique. Mais jamais il ne refuserait son aide à son cher neveu.

« Comment va-t-on faire, lui demanda-t-elle. Même si on lui écrit maintenant, il sera peut-être trop tard quand il arrivera. »

Aang se retourna et regarda vers l'est. Katara l'imita et elle contempla avec lui le disque sanglant du soleil s'élever petit à petit au-dessus des maisons dont les tuiles rosissaient. Peu à peu, la lumière dissipa les zones d'ombre et on entendit le claquement des volets contre les murs, le rire d'un enfant, la voix d'une femme qui ordonnait à sa fille d'aller chercher de l'eau au puits, les tintements de la vaisselle qui leur parvenait des fenêtres ouvertes. La ville s'éveillait.

« Nous enverrons un faucon vers Omashu dès notre retour au palais, déclara Aang. C'est le moyen le plus rapide. Là-bas, Bumi pourra le contacter grâce aux membres du Lotus Blanc : ils ont des moyens bien plus efficaces de communiquer. Je m'envolerai à l'aube, dans deux jours et j'irai l'attendre là-bas.

– Je viens avec toi, annonça-t-elle aussitôt.

– Non, répondit Aang avec fermeté, bien que cela lui coûtât de se séparer encore de la femme qu'il aimait. Je veux que tu restes ici pour surveiller Zuko et l'empêcher d'agir impulsivement. Je veux qu'il y ait au moins deux maîtres autour de lui pendant que je serai absent. Toph et toi, vous devez rester.»

Katara eut l'air triste mais acquiesça puis se pressa contre lui. Aang passa un bras autour de ses épaules et ils s'accordèrent quelques minutes pour profiter du spectacle des rues qui s'animaient. Derrière eux, menaçant, se dressait le palais sous un ciel encore sombre que les premières lueurs du jour ne semblaient jamais devoir éclairer.

Le temps était venu pour le Dragon de l'Ouest de faire son retour dans sa patrie.


Si un promeneur déambulant dans l'anneau supérieur de Ba Sing Se, en quête de calme et de sérénité, cherchait un endroit agréable où savourer une tasse de thé fumante aux arômes subtils, le voisinage lui aurait sans doute unanimement conseillé de se rendre au Dragon au Jasmin. Autrefois médiocre salon où les clients se voyaient servir des infusions sans saveur à prix d'or, l'établissement était devenu le lieu favori des amateurs de thé et de tisanes en tout genre. On y servait à un prix raisonnable des thé rares et recherchés, extraits à partir de plantes, de fleurs et de fruits venant des quatre coins du monde et des pâtisseries à la fois raffinées et généreuses qui satisfaisait tous les palais.

On y venait aussi pour l'atmosphère agréable, sereine, chargée de spiritualité qui se dégageait à la fois des délicates estampes ornant les murs, de l'odeur d'encens et de fleurs séchées, du son envoûtant du shamisen dont jouait, plusieurs fois par semaine, une jeune musicienne aux traits doux, agenouillée sur l'estrade.

Les amoureux des bains faisaient la queue pour réserver une place dans l'onsen très réputé qui jouxtait le salon.

Mais on venait surtout pour apprécier la compagnie du maître des lieux et de son adorable assistante. Tout le monde appréciait la bonhomie teintée de sagesse du vieil Iroh qui dispensait volontiers ses conseils et sa philosophie aux âmes en quête de réponses, mais on aimait aussi le dynamisme et le savoir-faire de Kurei, la jeune femme que le propriétaire avait employée trois ans auparavant et qui, par sa jovialité et son humour, assurait une clientèle fidèle à son patron, une clientèle plus jeune qui se mêlait harmonieusement aux retraités qui venus passer la journée ici à la recherche d'un peu de compagnie.

Ce jour-là, cependant, le patron du Dragon au Jasmin ne régalait pas ses clients de son habituelle bonne humeur. La mine sombre et préoccupée, il demeurait en cuisine où il se cachait de la petite foule qui peuplait son établissement. Il avait laissé Kurei seule dans la salle et il la voyait parfois apparaître en cuisine, échevelée et manifestement agacée, pour venir chercher une nouvelle théière ou une pâtisserie qu'elle rapportait vivement dans la salle bondée. Iroh ressentait parfois une petite pointe de culpabilité en la voyant se démener ainsi mais il était trop inquiet pour y attacher une réelle importance. Caché derrière une masse de parchemins, il faisait semblant de faire ses comptes et de répondre au courrier de ses fournisseurs et de ses acheteurs. Mais chaque fois que Kurei repartait vers la pièce bruyante d'où fusaient des rires joyeux, il dégageait de la masse de papiers et de parchemins une affiche qu'il dissimulait depuis qu'il l'avait arrachée d'un mur la veille, en ville, et qui occupait toutes ses pensées.

Quand on tenait un salon de thé fréquenté par les personnes les plus en vues de Ba Sing Se, on était souvent bien informé des intrigues et des affaires politiques. Iroh avait donc largement entendu parler des troubles qui agitaient les colonies depuis plusieurs semaines et en temps que Grand Lotus, avait veillé à envoyer des membres de l'organisation secrète sur place afin de calmer les tensions. Mais leur nombre était insuffisant et ne permettait en aucun cas de combler le vide laissé par les armées de Lu Fang. Ces dernières s'étaient retirées du jour au lendemain, disait-on, laissant le chaos s'installer dans les terres désormais laissées aux mains des seules troupes de la Nation du Feu qui peinaient à endiguer la colère montante.

Les sujets d'inquiétude ne manquaient pas pour Iroh, mais rien de tout cela ne l'avait autant bouleversé que les rumeurs sordides qui couraient depuis maintenant plusieurs semaines au sujet de son cher neveu et de son imprévisible nièce. L'affiche ramassée dans les ruelles poussiéreuses de l'anneau extérieur n'avait fait qu'augmenter son malaise et son anxiété.

En tant qu'ancien Général et Prince Héritier de la Nation du Feu, Iroh était bien placé pour savoir que les rumeurs étaient la rançon inévitable du pouvoir. Et il aurait été facile de ne pas prêter attention à ces allégations dégoûtantes que l'on faisait à propos de ses neveux, s'il n'en entendait pas parler à longueur de journée depuis que la campagne de propagande orchestrée par Kuei et Lu Fang avait été lancée.

Des affiches semblables à celle qu'il tenait maintenant dans ses mains étaient placardées sur tous les murs de Ba Sing Se. On y voyait Zuko, parfois seul ou entouré d'une puissante armée composée d'innombrables légionnaires et de chars blindés. Le jeune Seigneur du Feu était facilement reconnaissable à la couronne à cinq flammes qu'il arborait mais surtout grâce à la vilaine cicatrice qui défigurait son visage. Il était souvent représenté comme un géant sanguinaire, un monstre terrifiant au sourire cruel qui marchait sur le Royaume de la Terre, tantôt écrasant les toits des maisons, tantôt brûlant des villes entières. Mais ces pamphlets n'étaient pas les pires. Celui qu'il avait maintenant sous les yeux le rendait littéralement malade.

On y voyait Zuko, le visage pâmé d'admiration, pris dans la toile d'une gigantesque araignée anthropomorphisée et outrageusement sexualisée. Le visage de l'immonde bestiole était aisément identifiable pour qui avait fréquenté la Princesse Azula. On y retrouvait ses traits fins et harmonieux, ses cheveux noirs et ses lèvres écarlates, sa grande beauté, mais également une expression rusée et diabolique qui, malheureusement, correspondait plutôt bien au personnage, pensait Iroh. Des seins volumineux et nus dépassaient du thorax de l'arachnide, achevant de clarifier le message pour quiconque ne l'eût pas aussitôt compris.

Dans la toile, Zuko tendait les mains vers les mamelles extravagantes pour caresser les tétons grotesques de l'araignée et une excroissance improbable déformait l'entrejambe de son pantalon.

Une légende écrite en gros caractères rouges délivrait le message suivant : « Le véritable Seigneur du Feu et sa proie ».

Des affiches comparables ornaient les murs et les panneaux de Ba Sing Se depuis deux semaines, certaines plus explicites que d'autres. Mais toujours, le même sous-entendu odieux.

Alors qu'Iroh enroulait le parchemin avec une expression de dégoût, Kurei fit irruption dans la cuisine, très agitée . Ses petites lunettes rondes tombaient sur son nez et ses mèches châtain foncé s'échappaient de sa queue de cheval. Dans ses yeux vert d'eau, une fureur à peine déguisée luisait et Iroh sut que s'il ne venait pas tout de suite à son aide, des ennuis imminents étaient à prévoir. Chassant momentanément Zuko et Azula de ses pensées, il s'éclaircit la gorge et lança un regard plein d'innocence en direction de sa jeune assistante.

« Excusez-moi Kurei, je répondais à des courriers importants qui ne pouvaient attendre. Comment les choses se passent-elles en salle ? » s'enquit-il auprès d'elle.

Kurei avait beau être la gentillesse et la bonne humeur incarnées, il avait appris qu'il n'était jamais bon de la mettre en colère.

– Comment les choses se passent ? Je vais vous le dire, Patron ! Si vous ne faites pas sortir cette bande de rigolos du salon dans les cinq minutes, je donne ma démission ! Les voilà qui réclament des bouteilles d'alcool de riz de votre réserve ! »

Iroh s'avança jusqu'à l'ouverture en arcade qui donnait sur la salle et risqua un regard vers la tablée dont provenait la principale source d'agitation. Une bande de soldats du Royaume de la Terre, complètement armés, échangeaient bruyamment des plaisanteries et leur rire fusait régulièrement, provoquant l'irritation des clients alentour.

Se composant un sourire plein de bienveillance, Iroh s'approcha d'eux :

« Eh bien Messieurs, je suis heureux de recevoir ici les honorables membres de la Garde rapprochée de Sa Majesté le roi de la Terre. Seulement, c'est un établissement calme ici et les gens viennent rechercher la sérénité avant tout. Peut-être seriez-vous plus à l'aise dans la taverne voisine où mon collègue se fera un plaisir de vous servir ce que vous désirerez et ne vous imposera pas la même retenue. »

Tous se tournèrent vers lui et l'un d'eux, – le capitaine d'après l'insigne qu'il portait à la poitrine –, répondit d'un air bravache, ses yeux bruns pétillant de malice :

« Allons Patron, ne faites pas votre rabat-joie ! Ce n'est pas tous les jours que l'on fête une victoire ! Pas vrai les gars ? Santé ! »

Et il leva une flasque de saké qu'il heurta violemment contre la théière en porcelaine posée au milieu de la table. Iroh grimaça en entendant le tintement sonore et avant d'avoir pu s'en empêcher, se saisit du précieux objet. Il sentit bouillir en lui la sensation familière du feu qui s'éveille. Mais sa voix était aussi calme et bienveillante que d'habitude quand il parla :

« Messieurs, je regrette d'avoir à vous dire qu'il est interdit de consommer des produits de l'extérieur dans mon salon, à plus forte raison de l'alcool. Je vais devoir vous demander de ranger cela et de vous calmer, ou bien de sortir de mon établissement. Vous gênez mes clients. »

Le capitaine jeta un œil autour de lui et reporta son attention sur Iroh.

« Allons Grand-Père, vous allez être gentil et laisser les vrais hommes entre eux. Nous sommes ici pour fêter un grand événement et vous n'allez pas nous gâcher le plaisir avec de tels détails. On reste un peu faire la fête, puis on repartira en laissant bien intacte votre dînette, pas de panique ! On est bien ici, pas vrai les gars ? »

Les autres poussèrent des grognements approbateurs et tous se mirent à rire en chœur.

Iroh allait rétorquer quelque chose mais il fut interrompu par Kurei, située à sa droite, légèrement en retrait, qui parla :

« De quel événement parlez-vous ? »

– Tu n'es pas au courant, chérie ? »

Iroh ferma les yeux pour s'inciter au calme. Il pouvait supporter leur grossièreté tant qu'elle restait dirigée contre lui. Mais que ces rustres manquent ainsi de respect à sa jeune assistante le mettait hors de lui.

« Le temps de la domination des Seigneurs du Feu arrive enfin à son terme ! expliqua le capitaine. Les colonies seront bientôt à nouveau pleinement la propriété du Royaume de la Terre !

– De quoi parlez-vous ? » Iroh n'avait pu s'empêcher de poser la question. Il se tenait consciencieusement informé de la politique et s'étonnait d'être ainsi devancé sur une question aussi cruciale. Après tout, il se devait de suivre l'affaire de près quand c'était sur son neveu que reposait la responsabilité de la gestion des colonies.

« Il y a eu un attentat dans une caserne de la Nation du Feu à Yu Dao, expliqua l'homme, les yeux brillants de contentement. Des manifestants se s'y sont engouffrés au cœur de la nuit et ont tout détruit. Les soldats n'étaient pas préparés manifestement. »

Iroh ne l'était pas davantage. Ses épaules s'affaissèrent tout à coup et il reçut un tel choc qu'il laissa un peu de fumée s'échapper de ses doigts. Il cacha très vite ses mains derrière son dos. Rares étaient les clients qui savaient que le patron de leur établissement préféré était l'ancien Prince Héritier de la Nation du Feu et il ne lui semblait pas très sage de le révéler maintenant.

« Et il n'y a pas eu de renfort ? D'autres soldats sont venus à temps pour les secourir ? Et les troupes du Royaume de la Terre, que faisaient-elles ? » s'enquit Kurei qui avait légèrement poussé Iroh et s'était précipitée à la table.

– Haha ! Non ! Il y a des jours déjà que le Ministre Lu Fang a retiré ses troupes ! Les Soldats de la Nation du Feu n'étaient pas assez nombreux et la plupart se trouvaient à la caserne à ce moment-là pour recevoir de nouvelles directives ! Ils ont été pris par surprise.

– Et les colons ? demanda Iroh qui venait de retrouver l'usage de la parole. Qui les protège ? »

Autour d'eux, de nombreux clients s'étaient levés pour écouter la conversation.

Les quatre soldats attablés échangèrent un regard et éclatèrent de rire, tous en même temps. L'un d'eux, un garçon au visage maigre et légèrement tordu, se tourna vers Iroh et répondit :

« Personne, Papy ! Sinon, pourquoi crois-tu qu'on ferait la fête dans ton minable bouge ? Les colons sont livrés à eux-mêmes. Apparemment, la plupart ont commencé à empaqueter leurs affaires et sont partis en courant avec les survivants de la caserne. Le Seigneur du Feu doit s'attendre à un afflux de réfugiés dans les jours qui viennent. Quant à ceux qui décideraient de rester, ils ont intérêt à faire profil bas ! Je ne réponds pas de leur sécurité maintenant que les autochtones ont regagné ce qui leur revient de droit ! »

Puis il détourna la tête et reporta son attention sur ses camarades, refusant d'accorder à Iroh plus d'attention. Le vieil homme ferma les yeux pour lutter contre les émotions que cette nouvelle faisait surgir en lui. Puis, alors que personne ne s'y attendait, il posa les deux mains sur la table, dans un geste si violent que les gardes sursautèrent.

« Ça ne va pas Grand-Père ?, gronda leur capitaine en se levant, le ton lourd de menaces. Tu as besoin de t'exprimer ? »

L'homme dominait Iroh d'au moins deux têtes, mais le Dragon de l'Ouest n'était pas homme à se laisser impressionner.

« Tout à fait, répondit-il sans reculer et sans se départir de son calme, bien qu'il sentît le feu lécher ses entrailles et se répandre dans ses veines. Merci de m'accorder votre attention. Nous ne parlons pas de politique dans mon salon, et l'alcool y est interdit. Je vais vous demander une dernière fois de sortir. Cette fois, j'apprécierais assez d'être écouté car je ne voudrais surtout pas effrayer mes clients en causant un scandale. »

L'homme qui le toisait lui lança un regard stupéfait et éclata d'un grand rire avant de se tourner vers ses camarades qui assistaient à la scène avec un mélange de satisfaction et d'appréhension. Les clients autour se réunissaient autour d'Iroh, certains visiblement désireux d'intervenir en cas d'attaque. D'autres au contraire reculaient au fond de la pièce ou empruntaient discrètement la sortie.

Avant que le soldat ait pu répondre, Kurei se plaça devant Iroh, les bras écartés, ses petites lunettes rondes retombant encore une fois sur son nez.

« Mon patron vous a demandé quelque chose », siffla-t-elle en faisant grincer ses dents.

Le capitaine éclata d'un rire tonitruant et fut vite suivi par ses camarades. Il plaça alors une grosse main calleuse sur la joue de Kurei qui ne cilla pas.

« Tu vois ça, Grand-Père ? Ta petite serveuse prend ta défense. Si c'est pas mignon ! Mais dis-moi, tu les choisis bien jeunes, je trouve. Elle pourrait être ta petite fille, espèce de vieux pervers !

– Comment osez-vous ? s'indigna Kurei. Si vous ne sortez pas immédiatement, je…

– Et que comptes-tu faire au juste contre quatre soldats sur-entraînés de la Garde rapprochée du Roi de la Terre ? Souffler sur nos tasses trop chaudes ? Très bien, les gars, vous vous occupez du vieux, moi j'ai un mot à dire à la jolie demoiselle. »

En disant cela, il la prit par le bras, faisant mine de l'emmener avec lui. Le sang d'Iroh ne fit qu'un tour. Le feu partit de ses entrailles et remonta dans son estomac puis le long de son œsophage. Il le sentit lécher sa gorge et causer un picotement dans sa bouche avant de prendre la forme d'une gerbe de feu éblouissante qui explosa contre le mur juste au-dessus de la table où se tenaient les trois autres soldats.

Terrifiés, ils se levèrent, hésitant visiblement sur ce qu'il convenait de faire.

De la fumée s'échappait encore en volutes de la commissure des lèvres d'Iroh qui déposa un regard dur sur eux. Le soldat qui tenait Kurei par le bras la lâcha et recula légèrement.

« Ne m'obligez pas à recommencer, Messieurs, je n'aime pas être grossier. Je vous demande pour la dernière fois de quitter mon établissement. »

L'homme lui lança un regard mauvais et fit signe à ses camarades :

« Venez les gars, on s'en va. Ça pue ici ! »

Les trois autres obéirent et le suivirent docilement. Au passage, le type au visage tordu renversa volontairement une autre théière qui s'écrasa et se brisa au sol. Iroh ne sourcilla pas et continua de soutenir leur regard.

Avant de sortir, le capitaine se retourna une dernière fois et lança un regard dégoûté à Iroh.

« Sa Majesté en entendra parler, croyez-le bien.

– Formidable, répondit Iroh avec un sourire cordial. Kuei est un ami, je serai ravi d'éclaircir ce point avec lui. Passez une bonne journée, messieurs. »

Réprimant visiblement une exclamation de rage, le soldat sortit à la suite de ses hommes.

Le calme s'abattit soudain sur les lieux et Iroh ne se retourna pas tout de suite. Il entendit Kurei demander aux clients de regagner leur place et de ne pas s'inquiéter : Iroh et elle avaient la situation bien en main.

L'atmosphère se détendit peu à peu dans la pièce et Iroh, avec un regard plein de gratitude, demanda à Kurei de lui préparer une tasse de thé.

Quelques heures plus tard, alors que sortaient les derniers clients, Iroh se tourna vers son assistante qui était occupée à nettoyer les tables, un chiffon humide à la main.

« Vous pouvez prendre votre soirée, ma chère, la journée a été difficile. Je ne vous retiens pas, lui dit-il.

– Vous êtes sûr, Patron ? Avec tout le monde qu'il y a eu aujourd'hui, il y a beaucoup de travail. Je peux rester un peu.

– Non merci Kurei. Vous avez fait bien plus que votre part aujourd'hui et je vous suis infiniment reconnaissant d'avoir voulu me défendre devant ces imbéciles tout à l'heure, mais je ne veux pas vous retenir davantage.

– Mais s'ils reviennent ? » s'inquiéta-t-elle. Iroh put voir à travers les verres embués de ses lunettes une réelle sollicitude et il eut un sourire attendri. Il posa une main sur son épaule et la rassura :

« Je ne suis pas inquiet de les voir revenir, Kurei. Ces hommes n'étaient même pas des maîtres de la Terre, je n'ai rien à craindre d'eux. C'est pour vous que je m'inquiète. Vous n'auriez pas dû les défier ainsi. Je veux que vous rentriez chez vous. Je vais m'occuper de fermer le salon. »

Le ton était bienveillant mais ferme. Kurei inclina la tête, lâcha son chiffon et acquiesça.

« Bien... »

Iroh sourit.

« Je suppose qu'une jeune fille de votre âge à mieux à faire que de passer sa soirée avec un vieux débris comme moi ! Il n'y a pas quelqu'un qui vous attend dehors ? »

Kurei sourit légèrement et baissa les yeux en rougissant.

« Peut-être... »

– Alors allez le retrouver ! Ce garçon a bien de la chance ! Nous nous reverrons demain. Bonne nuit Kurei.

– Bonne nuit, Patron ! »

Il la regarda quitter la pièce, se sentant soudain happé par une grande vague de nostalgie. Cette jeune fille de la Terre au tempérament de feu n'était pas sans lui rappeler un jeune garçon qui avait autrefois travaillé ici avec lui. Un garçon qui avait bien du souci à se faire d'après les dernières nouvelles.

Iroh avait voulu prendre ses distances pour laisser à Zuko la possibilité de devenir un souverain responsable et autonome. Mais il pourrait avoir besoin de son soutien et de sa sagesse dans ces temps troublés.

Il mit une main dans sa poche et en sortit l'affiche chiffonnée qu'il avait examinée tout à l'heure. A la lueur des flammes dansantes émanant des bougies encore allumées sur les tables, les yeux d'Azula semblaient brûler d'une lumière malveillante. Il voulait croire, comme Zuko, que sa nièce avait changé, qu'elle aimait sincèrement son frère et n'avait plus de prétention au trône. Mais il se sentirait mieux s'il pouvait s'en assurer par lui-même.

Il regarda encore la porte par laquelle Kurei venait de disparaître.

Le temps était sans doute venu pour la jeune femme de prendre quelques vacances, et pour lui, d'aller se coucher. Un long voyage l'attendait.


* Pour dissiper tout malentendu, Iroh n'a pas encore reçu le message d'Aang au moment où il prend la décision de quitter Ba Sing Se.