Chapitre 17 – Le Dragon bleu


Dans le chapitre précédent: Zuko a découvert ce qu'Azula a fait à Kojiro au bord du canal et il est horrifié par la violence de son acte.

De son côté, Azula s'est rendue au rendez-vous secret qu'elle avait organisé pour elle et Zuko. Elle s'est ainsi trouvée face à face avec Mai. Les deux jeunes femmes se sont battues. Azula, vaincue, est ressortie très affectée de cette confrontation et montre les signes évidents d'une grave rechute.

Bonne lecture !


Quand il regagna sa chambre à une heure très tardive, après avoir ruminé de sombres pensées dans l'obscurité de la salle du Trône, Zuko trouva Mai, toujours habillée, debout sur le balcon, contemplant les dernières lueurs vacillantes provenant de la ville en contrebas. Elle semblait soucieuse et il crut lire sur son visage fin et maussade quelque chose qui ressemblait à de la culpabilité. Cependant, il se sentait trop las et trop bouleversé pour la questionner.

« Je t'attendais », dit-elle en l'entendant approcher derrière elle.

Zuko glissa ses mains autour de sa taille et enfouit son visage dans le cou de son épouse. Il n'avait jamais ressenti à ce point le besoin de sentir la chaleur d'un autre corps contre le sien.

« Que s'est-il passé Zuko ? Où es-tu parti avec Aang et Toph ?

– Des soucis…La politique... Demain, je te dirai tout demain », lui promit-il en la serrant plus fort contre lui et en inspirant profondément pour se repaître de son parfum. Ces sensations concrètes l'aidèrent à se calmer et à se raccrocher à la réalité. Il sentit s'estomper peu à peu le sentiment d'irréalité qui ne l'avait pas quitté depuis qu'il avait découvert le visage ravagé de Kojiro dans la maison sinistre du Commandant.

A son grand étonnement, Mai n'insista pas. Elle se retourna et le serra seulement plus fort contre elle et le laissa enfouir son visage dans sa nuque.

Il se réveilla à l'aube, stupéfait d'avoir réussi à s'endormir. Toute la nuit, il avait été tourmenté par les allées et venues d'un dragon bleu dont le corps ondulait gracieusement autour de lui. La créature parlait avec la voix de sa sœur et susurrait des promesses monstrueuses au creux de son oreille. Il s'éveilla en sueur avec l'impression bizarre d'avoir déjà fait un rêve semblable, longtemps auparavant.

Il quitta son lit avant que Mai ne s'éveille. Il n'était pas prêt à subir un interrogatoire.

Il lui fallut longtemps avant d'oser affronter sa sœur.

Il se leva, et sans prendre le temps de déjeuner, s'enferma dans son bureau, prétextant vouloir rattraper un travail trop longtemps négligé. Il fit une exception en milieu de matinée pour recevoir Ty Lee dans la salle du Trône. Quand elle avait quitté la pièce, la mine abattue, ses grands yeux gris brouillés par les larmes, il n'avait rien ressenti.

Il évita ses amis qui, plusieurs fois, insistèrent pour lui parler, prétextant des tâches toutes plus urgentes les unes que les autres. Fatigué de les fuir, il se réfugia une partie de l'après-midi sur les hauteurs de la Caldera d'où il pouvait contempler la mer.

Ce n'est que dans la soirée qu'il trouva le courage de se rendre auprès d'Azula.

Zuko n'aurait pu dire combien de fois il s'était trouvé dans la même situation au cours des dernières semaines : debout devant la porte de sa sœur, le poing levé, s'apprêtant à frapper. Il venait de congédier les deux gardes postés devant l'entrée et leur avait demandé de ne revenir que dans deux heures. Il voulait être certain que personne n'entende le contenu de leur conversation. Peu importe ce qu'ils croiraient. Il n'était plus à une rumeur près.

D'après ses gardes, Azula n'avait pas quitté ses appartements et le plateau qui lui avait été apporté était revenu intact, à l'exception de la carafe de vin qu'elle avait gardée avec elle. Zuko sentit tout son courage fondre d'un coup.

Arrête de remettre à plus tard. Il n'y a rien qui pourra changer ce qui s'est passé. Affronte la réalité et cesse de te comporter comme un lâche ! S'invectiva-t-il d'une voix étrangement proche de celle d'Azula.

La mâchoire crispée, il resserra son poing et toqua vigoureusement à la porte.

Une voix méfiante se fit entendre derrière la porte massive.

« Qui est-ce ?

– C'est moi, Zuko. Ouvre la porte ! »

Il lui sembla que l'on s'agitait de l'autre côté. Un bruit de pas précipités et le tintement d'un objet en verre que l'on aurait involontairement heurté contre une surface dure se firent entendre. Zuko se mordit la langue pour retenir des paroles furieuses et attendit. Il mit à profit ce délai pour se composer le visage le plus autoritaire et le plus distant qu'il put.

Il venait tout juste de se redresser quand la porte s'ouvrit devant lui dans un grincement sinistre. Le visage d'Azula apparut dans l'entrebâillement de la porte.

Il sut tout de suite que quelque chose n'allait pas.

Elle était pâle et des cernes profonds s'étalaient sous ses yeux mordorés. Sa bouche était peinte de la même teinte écarlate qu'elle aimait tant mais Zuko remarqua que le rouge à lèvres avait débordé par endroits, comme si elle venait de se maquiller à la hâte. Le khôl qui soulignait ses yeux avait été appliqué de façon tout aussi hasardeuse et il aperçut une traînée noire le long de sa pommette. Ses cheveux étaient tirés dans un chignon maladroit d'où s'échappaient de nombreuses mèches. Elle cligna plusieurs fois des yeux en l'espace de quelques secondes et son visage se contracta violemment avant qu'elle commence à parler :

«Zuzu ? C'est toi ?

– Qui d'autre ? répondit-il en avalant sa salive et en s'efforçant de se recomposer un visage ferme. Laisse-moi entrer, Azula. »

Sans lui laisser le temps d'ouvrir la porte, il poussa le lourd battant, l'obligeant à reculer, et il s'introduisit dans la pièce. Le panneau en bois se referma derrière lui et il se tint un moment, immobile, dans la pièce où vivait sa sœur.

C'était un véritable chaos. Des affaires variées jonchaient le sol : parchemins éparpillés, vêtements roulés en boule au pied de l'armoire. Le paravent derrière lequel elle s'habillait était renversé en arrière contre le mur, comme si quelqu'un l'avait poussé. Le cintre sur lequel elle posait habituellement sa robe de chambre était jeté sur le sol, à moitié recouvert par les draps qui semblaient avoir été arrachés du lit dans un mouvement de rage. Sous le sommier, une bouteille de vin maladroitement dissimulée dépassait de sous les couvertures.

« Qu'est-ce qui s'est passé ici ? » parvint-il à articuler une fois revenu de sa stupeur.

Azula était la personne la plus ordonnée et la plus organisée qu'il connût. Il semblait inimaginable qu'elle ait pu vivre plus de quelques minutes dans un tel désordre, encore moins qu'elle en soit responsable.

C'était pire que ce qu'il pensait. A l'évidence, le désordre de la chambre reflétait le trouble de son âme. Azula était manifestement en pleine crise. Il remarqua qu'elle avait revêtu son kimono à l'envers. Les coutures intérieures étaient visibles sur ses hanches. La ceinture rouge sombre qui marquait sa taille était nouée maladroitement.

« Ce n'est rien. Je refaisais la décoration de ma chambre. Vois-tu, Taïma pense qu'une atmosphère plus épurée pourrait me faire du bien… As-tu entendu parler du Feng chui ? » minauda-t-elle.

Zuko sentit la rage affluer en lui. Même en pleine crise, Azula trouvait le moyen de le provoquer, de jouer avec ses nerfs. Il pinça l'arrête de son nez et ferma étroitement les paupières. Un peu de fumée s'échappa de ses narines.

Azula dut le remarquer car elle s'approcha de lui et déposa une main caressante sur son bras. Une odeur un peu âcre mais pas franchement désagréable émanait d'elle, mélange de vin, et de parfum de jasmin.

« Un problème Zuzu ? Tu sembles nerveux…

– Je dois te parler, répondit-il du ton le plus sec possible en rouvrant les yeux.

– Je suis flattée de recevoir la visite du Seigneur du Feu en personne. Je dois dire que je ne m'y attendais plus... »

Elle lâcha son bras, et resta face à lui, les bras croisés sagement dans son dos, affichant une expression de curiosité polie. Il n'était pas dupe et connaissait bien sa sœur. Bien qu'elle feignît un profond intérêt pour leur conversation, des éclairs passaient dans ses yeux : elle était furieuse.

Il se souvint soudain du rendez-vous.

Voilà pourquoi la pièce était dans cet état.

Azula avait dû rentrer de la chambre de leur père, totalement dévastée et folle de rage. C'était sans doute dans un accès de colère qu'elle avait renversé ses meubles et ses affaires, arraché les draps de son lit et vidé la moitié d'une bouteille de vin.

Manifestement, Azula tenait à garder le contrôle. Zuko savait qu'elle refuserait de montrer à quel point elle était blessée il se sentit pourtant profondément troublé quand elle enroula autour de son doigt une mèche de cheveux qu'elle porta à sa bouche, sans détourner le regard de lui un seul instant. Elle lui adressa un sourire prédateur et son cœur se contracta douloureusement dans sa poitrine. En voyant la courbure artificielle de ses lèvres, un souvenir frappa sa mémoire : celui d'un autre rictus, bien plus déplaisant, sur un visage noirci et pourrissant.

Pendant une seconde, les deux visages, celui de la victime et celui du bourreau, se superposèrent dans son esprit et il se sentit mal. Devant lui, Azula s'étira en veillant bien à passer sa main dans ses cheveux, dégageant à la fois son beau visage et son cou de cygne. Puis, après lui avoir jeté un dernier regard de braises, elle tourna les talons et s'éloigna de lui à pas lents.

Zuko la suivit des yeux, saisi par une puissante impression de déjà vu. Il lui semblait pouvoir prédire chacun des mouvements qu'elle exécuterait par la suite.

Il repensa à ses gestes lascifs ce soir-là, à la lenteur délibérée avec laquelle elle se mouvait, à la manière dont elle faisait onduler ses hanches en marchant… À nouveau il se demanda ce qui se serait passé s'il ne l'avait pas repoussée cette nuit-là. Les choses auraient-elles vraiment pu être pires ?

Cette fois cependant, la démarche d'Azula était moins assurée, un peu chaloupée malgré ses efforts pour paraître gracieuse. En s'approchant du miroir, elle se mit à tituber franchement et se posta maladroitement devant la glace. Là-bas, elle s'étira une nouvelle fois, ostensiblement, et glissa sa main dans ses cheveux pour retirer la tige de métal qui les retenait. Mais elle ne parvint qu'à l'emmêler et elle lutta un moment pour l'arracher de son épaisse chevelure noire, marmonnant des paroles incohérentes, à peine consciente qu'il l'entendait. Elle semblait avoir oublié sa présence. Dans son impatience, elle trébucha et il la vit chanceler avant qu'elle ne se raccroche au miroir. Avec un cri de rage, elle tira à nouveau sur la tige qui résista.

La pauvre fille ne se rendait pas compte du triste spectacle qu'elle offrait. Il la regarda lutter contre sa crinière avec un mélange déchirant d'embarras et de pitié. Au bout d'un moment, n'y tenant plus, il traversa rapidement la pièce pour la rejoindre. Il posa des mains apaisantes sur ses épaules. Azula sursauta et une expression terrifiée passa sur son visage. Mais elle se détendit rapidement en reconnaissant son frère dans le miroir.

Elle regarda leur reflet dans la glace et laissa Zuko retirer avec des gestes habiles la pique emmêlée dans ses cheveux sombres. Dès qu'il eut fini, il s'écarta d'elle. Azula devait avoir eu l'intention de s'appuyer contre lui car quand il recula, elle perdit l'équilibre et Zuko la retint juste à temps. Quand il fut certain qu'elle tenait bien debout, il la lâcha et remit de la distance entre eux.

Les efforts pathétiques d'Azula pour le séduire et conserver le contrôle sur ses émotions étaient parfaitement déchirants. Sans le spectre de Kojiro qui rôdait tout autour d'eux, il aurait sans doute déjà cédé au désir urgent de la serrer dans ses bras.

Au lieu de cela, il redressa les épaules et la regarda droit dans les yeux avant de parler.

« Azula, je suis venu te parler de quelque chose de grave. Je te demande de ne pas m'interrompre. Quand j'aurai fini, je te laisserai t'expliquer et nous verrons ce que nous devons faire », annonça-t-il.

Azula parut un peu surprise mais se recomposa vite son masque de dérision.

– Oh Zuzu… ce que tu peux être solennel. Inutile de t'encombrer du protocole avec ta petite sœur. Je pensais que nous étions au-dessus des conventions maintenant, pas vrai ? » répondit-elle avec un sourire fripon qui fit ressortir son maquillage raté.

Zuko comprit qu'elle faisait allusion à leurs étreintes de la dernière fois. Il se rappela alors douloureusement que ces dernières avaient eu lieu le soir même de l'agression de Kojiro, Il se racla la gorge, s'efforçant de reprendre une contenance. Il n'emprunterait pas de détour. Il plongea ses yeux dorés dans ceux d'Azula et parla :

« Je sais ce que tu as fait au bord du canal, il y a dix jours. »

En une seconde, il vit se décomposer le visage souriant d'Azula. Ce fut comme si ses traits avaient fondu. Ses lèvres se tordirent en une vilaine grimace et ses épaules s'affaissèrent. C'était tout l'aveu dont il avait besoin.

« Azula, reprit-il d'une voix plus douce, presque réconfortante, qu'est-ce qui s'est passé ? Dis-moi que tu avais une bonne raison de faire ça... »

Mais Azula avait déjà repris sa contenance. Elle redressa les épaules et imprima à ses traits un étonnement poli.

« Je ne vois pas du tout de quoi tu parles…

– Kojiro ! Voilà de quoi je parle ! explosa-t-il soudain, une pluie de postillons s'échappant de ses lèvres. Ça te dit quelque chose ? »

Azula avait assisté avec de grands yeux ronds à son accès de colère. Mais à la grande stupéfaction de Zuko, l'expression de son visage changea très vite. Elle renversa sa tête en arrière, et éclata d'un grand rire cristallin qui secoua ses épaules.

« Oh ce n'est que ça ? Tu m'as fait peur ! Ne prends pas ce ton pour faire ce genre d'annonce ! J'ai cru que quelque chose de vraiment grave était arrivé ! »

Elle réduisit la distance entre eux et posa une main sur sa poitrine qu'elle tapota doucement.

« Zuzu ! minauda-t-elle en secouant la tête pour bien exprimer l'amusement et l'exaspération qu'il lui inspirait. Tu es toujours si dramatique ! »

Elle se leva sur la pointe des pieds pour déposer un baiser léger sur sa cicatrice et s'éloigna de quelques pas.

Zuko n'en revenait pas. Comment pouvait-elle… ? Elle ne niait même pas! Elle ne niait pas !

Ma propre mère pensait que j'étais un monstre… Elle avait raison bien sûr !

« Azula… Ce que tu as fait est extrêmement grave ! Tu as… tu as failli tuer un homme ! »

Elle se retourna et haussa les sourcils : « Il n'est pas mort ? » demanda-t-elle.

Il aurait tellement aimé croire que sa question était motivée par une réelle inquiétude, par la peur d'avoir fait quelque chose d'horrible, d'irréparable, par la culpabilité et le remords.

– Non, répondit-il lentement en plissant les yeux pour mieux voir l'expression d'Azula.

– Alors je ne vois vraiment pas le problème. » répondit-elle, le visage impassible, avant de lui tourner le dos.

Elle marcha jusqu'à son lit et se tint à l'un des piliers du baldaquin, comme elle l'avait fait l'autre soir avant qu'il la tire vers lui pour la serrer dans ses bras. Ce pouvait être un effet de son imagination mais elle sembla préoccupée tout-à-coup. Elle fixait le sol et Zuko vit ses lèvres remuer silencieusement. Il fit un pas en avant dans l'espoir d'entendre ce qu'elle marmonnait, mais elle releva la tête au même moment et il s'immobilisa. Il eut l'impression absurde de jouer à ce jeu qu'ils aimaient tant enfants, qui consistait à se figer comme une statue dès lors que l'autre se retournait.

« Qui te l'a dit ? demanda-t-elle soudain d'un air suspicieux. Non, ne dis rien, je sais ! C'est cette traîtresse de Ty Lee ? Ça ne lui a pas suffi de te détourner de moi ! Il fallait qu'elle t'en parle, pas vrai ? La sale petite garce ! » siffla-t-elle entre ses dents.

Il crut voir de la fumée s'échapper des poings serrés d'Azula et ressentit un brusque changement dans l'atmosphère . L'air autour d'elle était chargé d'électricité et il n'osa pas s'approcher.

Zuko aussi était furieux contre Ty Lee. Après tout, sans elle, Azula ne serait jamais sortie. Elle serait restée sagement au palais et n'aurait jamais rencontré ce pauvre garçon dont elle avait ruiné la vie.

Cependant, il tenait à rester juste. Leur amie avait perdu beaucoup elle aussi au cours de cette soirée, et il n'avait aucun intérêt à lui faire porter toute la faute. C'était Azula qui l'avait manipulé pour l'obliger à la laisser sortir. Azula qui avait perdu l'esprit. Azula qui avait commis un acte monstrueux. C'était Azula encore qui se tenait face à lui, sans exprimer le moindre remords et qui se fichait des conséquences de ses actes. Tout ce qui l'intéressait, c'était de savoir qui l'avait trahie, à qui elle pouvait se fier. Elle était toujours la princesse égocentrique et cruelle qu'il avait toujours connue. Comment avait-il pu se laisser ainsi berner, croire qu'elle était capable d'amour et d'empathie ?

« Ty Lee n'y est pour rien, lui répondit-il. Ce n'est pas elle qui me l'a appris. Et je doute que ça ait la moindre importance maintenant ! Ce qui compte, c'est ce que tu as fait ! Tu es allée trop loin cette fois, Azula ! Tu as gravement blessé un innocent ! »

Elle soutint son regard, sa poitrine se soulevant dangereusement à un rythme trop rapide qui faisait frémir les ailes de son nez et les coins de sa bouche. Cette image lui rappela douloureusement l'état de rage dans lequel elle se trouvait le jour de leur Agni Kai. La même lueur démente dansait dans ses pupilles noires comme le charbon. Zuko craignit un nouvel accès de rage et il se tint prêt à parer une éventuelle attaque.

Mais elle ne vint pas. Au lieu de cela, Azula tourna la tête et balaya la pièce du regard, comme pour s'assurer qu'ils étaient seuls. Puis, se penchant vers lui, elle chuchota, sur le ton de la confidence :

« C'est elle qui te l'a dit alors ? Tu l'as vue toi aussi ?

– Mais de quoi est-ce que tu parles ? »

Bien qu'il lui posât la question, il redoutait de connaître déjà la réponse. Comme pour confirmer ses craintes, Azula lâcha le pilier et s'avança précipitamment vers lui à petits pas. Quand elle fut assez près, elle agrippa le bras de Zuko et murmura :

« Chuuut ! Elle pourrait t'entendre. Je ne la vois pas mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas là ! Elle sait toujours tout ! Elle ne me laisse jamais seule. Tu sais qu'elle est au courant pour nous ? » demanda-t-elle en lui prenant la main.

Zuko transpirait abondamment. Il ne savait plus du tout ce qu'il convenait de faire. La repousser, la secouer jusqu'à ce qu'elle entende raison ? La serrer très fort contre lui pour la protéger ? Et de quoi ? D'elle-même ? De ses hallucinations ? De sa propre folie ?

« Elle est comme eux, Zuzu. Comme Ty Lee, comme Taïma. Comme tous ces imbéciles qui nous critiquent ! Elle n'accepte pas. Elle veut tout faire pour nous séparer, tu ne le vois pas ? Elle ne comprend pas, elle ne veut pas comprendre ! C'est notre mère, pourtant, non ? C'est son rôle d'essayer de comprendre, tu ne crois pas ?»

La main qui tenait la sienne se referma en serres et il sentit des ongles longs s'enfoncer dans sa peau.

Elle parlait très vite maintenant, toujours chuchotant. Il avait la curieuse impression de parler avec une prisonnière qui profiterait de l'absence momentanée du geôlier pour lui demander de l'aide. Cela lui rappela son évasion du Rocher Bouillant avec Sokka et la manière dont Azula s'était lancée à leur poursuite, le visage à la fois calme et déterminé, prête à l'abandonner à une mort certaine quand elle avait vu que le câble de la cabine allait être coupé. Puis Mai était arrivée et les avait tous sauvés.

Il se dit alors qu'il avait peut-être eu tort, tout ce temps. Tort de défendre Azula à tout prix. Ils avaient raison : sa sœur était cruelle, folle, dangereuse, incontrôlable.

Mais en regardant son visage secoué de spasmes nerveux, le rouge à lèvre mal appliqué qui s'écaillait par endroit, les yeux charbonneux terrifiés et grand ouverts, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver aussi une profonde pitié.

Azula lui faisait confiance. Il pouvait le voir à la façon dont elle cherchait son regard, dont ses ongles s'enfonçaient dans la chair de sa main, dont elle se penchait vers lui, dans l'espoir sans doute qu'il la serre contre lui et qu'il approuve ses paroles. Il était tout ce qu'elle avait au monde. Il aurait été cruel de la repousser maintenant, elle n'aurait pas compris de toute façon. Il résolut plutôt d'essayer de la raisonner. Il la prit par les épaules pour l'obliger à le regarder dans les yeux.

« Tu as été vue par une quinzaine de témoins, lui annonça-t-il en la secouant légèrement pour plus d'emphase. Les preuves sont accablantes. Ils t'ont vue t'enfuir en te propulsant à l'aide de ta maîtrise. Tu ne te rends pas compte de la situation dans laquelle tu t'es mise ? Dans laquelle tu nous a mis ? »

Azula se libéra d'un mouvement brusque de l'épaule et s'éloigna de lui. L'expression apeurée et le ton paranoïaque cédèrent vite la place à la colère et à l'exaspération. Avec un pincement au cœur, Zuko se rappela comme elle passait brusquement d'une humeur à l'autre lorsqu'elle était malade, pouvant aller des larmes de désespoir à un grand rire maniaque, ou de l'apathie totale à une hyperactivité épuisante.

« Je ne comprends vraiment pas pourquoi tu t'inquiètes autant Zuko. Je me suis un peu emportée, c'est vrai, mais il ne faut rien exagérer.

– Empor… emportée ? balbutia-t-il, les yeux agrandis par l'incrédulité. Tu l'as brûlé ! hurla-t-il avant d'avoir pu s'en empêcher. Son visage est méconnaissable ! Il n'a plus de visage ! »

Azula leva les yeux au ciel avant de répliquer :

– Que tu es ennuyeux Zuzu ! Dis-moi, as-tu quelque chose à me dire que je ne sache pas déjà ou bien es-tu seulement venu me priver de dessert pour avoir été une méchante, méchante fille ? » Elle captura son regard et Zuko vit danser des flammes dans ses yeux couleur d'ambre.

Hébété, découragé, Zuko s'esquiva et s'avança vers le lit. Il repoussa les draps par terre et s'assit lourdement sur le bord en plongeant son visage dans ses mains. Il sentit le matelas s'affaisser et grincer légèrement derrière lui quand Azula monta à son tour sur le lit. Bientôt deux bras l'entourèrent par derrière, semblables aux lianes qui s'entrelacent autour des figuiers banians, ou plutôt à deux serpents enroulant leurs anneaux autour de leur victime. Il retint son souffle quand une main glaciale se faufila dans le col de sa tunique et enfonça ses ongles pointus dans la chair de son torse. L'autre main se posa délicatement sur son épaule et se mit à le masser, comme pour l'apaiser. Il songea à s'arracher à son étreinte mais en fut incapable. Au lieu de cela, il recouvrit de sa main celle qu'Azula tenait contre son cœur.

Elle déposa dans sa nuque un baiser qui arracha un frisson à Zuko, puis elle nicha son menton en pointe dans le creux de son épaule.

« Oh Zuzu… Tu es tellement dramatique parfois…, dit-elle d'une voix caressante.

– Dramatique ? » répéta-t-il, incrédule. Il se retourna et son visage se trouva soudain tout près de celui de sa sœur. Cette proximité inattendue le désarçonna mais il ne recula pas.

« Tu ne te rends vraiment pas compte de la gravité de tes actes? Tu sais ce que tu as...»

Ses lèvres écarlates effleurèrent sa joue et elle le coupa en murmurant dans son oreille :

« Nous sommes des rois Zuko. Nous faisons et défaisons la loi. Si tu décides que ce que j'ai fait n'est pas un crime, alors ce n'en est pas un. Cesse de jouer les bons petits princes généreux et accepte ton destin. »

Une bouffée de jasmin à laquelle se mêlaient des vapeurs d'alcool parvint à ses narines et il se sentit un peu étourdi, comme si c'était lui qui avait bu le contenu de la bouteille abandonnée sous le lit à ses pieds.

Azula le relâcha. Zuko en profita pour expirer l'air qu'il retenait dans ses poumons. Mais le répit fut de courte durée. Elle descendit du lit, contourna le pilier et vint se poster devant lui, comme elle l'avait fait l'autre soir. Elle s'agenouilla devant lui, prit ses mains dans les siennes et les porta à ses lèvres.

« Tu es le Seigneur du Feu, Zuko. Tu es la loi. Commande et tu seras obéi.

– Ce n'est pas le dirigeant que je veux être », répliqua-t-il d'un ton presque plaintif, sans rien faire pour repousser Azula alors que tout son esprit lui hurlait de fuir en courant.

Il devenait difficile de se concentrer, de formuler des idées cohérentes avec Azula à genoux devant lui qui embrassait ses doigts, l'un après l'autre, s'attardant parfois sur une phalange qu'elle capturait entre ses dents. Le monde autour de lui semblait tanguer et vaciller dans la douce lueur des flammes environnantes.

Il éprouvait la même sensation que dans son rêve, quand le dragon bleu s'était enroulé autour de lui. Cette impression d'être cerné, oppressé, pris au piège. Et en même temps, ce désir irrépressible de caresser ses écailles azur, de se laisser bercer par ses promesses enchanteresses.

« Je sais, chuchota Azula qui caressait maintenant le dos de ses mains et remontait jusqu'à ses bras dans un mouvement lent de va-et-vient. Et c'est pour ça que tu as tous ces ennuis », ajouta-t-elle en relevant la tête pour le regarder.

Zuko l'écoutait, fasciné par les paroles qui s'échappaient de ses lèvres rubis. Il captura l'une des mains d'Azula dans la sienne et leurs doigts s'entrecroisèrent.

« Crois-tu vraiment que le Roi de la Terre, cet imbécile sans aucune envergure, aurait osé te menacer si tu avais montré les dents ? », poursuivit-elle.

Il ne dit rien, préférant observer le spectacle de leurs mains jointes et de leurs doigts entrelacés. Il aimait la sensation de la petite main d'Azula dans la sienne et il la serra plus fort.

« Tu as été trop faible Zuko. Toutes ces belles idées que tu as imaginées avec l'Avatar, ce sont des inepties. Ce sont des mensonges que les imbéciles se racontent pour se donner bonne conscience. Mais toi, tu es un dragon, Zuko... »

Elle laissa retomber les mains de Zuko et se releva. Hypnotisé, il la laissa enrouler ses bras autour de son cou et s'asseoir sur sa cuisse.

« Mon dragon... » chuchota-t-elle à travers ses lèvres qu'elle pressa à la commissure de celles de Zuko. Il pouvait presque sentir son sourire contre son visage.

Tout étourdi, pris d'une sensation de vertige, Zuko s'abandonna. Il ne se rappelait pas avoir passé ses bras autour de la taille d'Azula mais maintenant qu'il la tenait ainsi, il n'était pas sûr d'avoir envie de la lâcher. Il la sentit se presser un peu plus contre lui et ferma les yeux en essayant de ne pas penser à ce qui se cachait sous son kimono. Il ne savait pas s'il était fâché ou soulagé qu'elle portât un pantalon en-dessous.

« Et que font les dragons que l'on a offensés ? murmura-t-elle dans un souffle, en effleurant la joue de Zuko avec le bout de son nez.

– Ils crachent le feu, répondit-il d'un air sombre.

– Exactement », susurra Azula qui se remit à l'embrasser dans le cou.

Il lui semblait être quelqu'un d'autre. Ce ne pouvait pas être lui. Pourquoi lui répondait-il ? Pourquoi ne la repoussait-il pas ? Pourquoi ses mains pétrissaient-elles les reins d'Azula ?

Sa sœur était manifestement saoule, mentalement perturbée. Peut-être n'était-elle même pas consciente de ce qu'elle faisait. Il ne savait plus quel sens donner à ses avances ni quelle voix écouter. Celle qui parlait avec les accents de son oncle et lui hurlait de s'enfuir ? Ou celle qui s'exprimait avec les intonations d'Azula et l'incitait à profiter de la situation. Raison ou tentation ? Dragon rouge ou dragon bleu ?

Et pourquoi pas ? murmurait la seconde dans son esprit embrumé. Personne n'a besoin de savoir.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Azula laissa sa main descendre le long du torse de Zuko et glisser jusqu'à son entrejambe.

Ce fut le choc dont il avait besoin. Sursautant brusquement, il la saisit par le poignet et l'obligea à retirer sa main.

« Azula !, protesta-t-il un peu trop faiblement peut-être. Arrête, je ne suis pas venu pour ça ! »

Mais à l'évidence, sa piètre tentative de résistance manquait cruellement de conviction. Posant sa main sur la poitrine de Zuko, Azula le regarda avec une intensité rare, même chez elle. Ses pupilles étaient noires comme la nuit, ses lèvres d'un rouge profond.

Comme il aurait voulu mordre dedans !

« Arrêtons de nous mentir Zuko. Je te veux... »

Elle l'obligea à tourner la tête vers elle et se pencha à nouveau. Il se détourna juste à temps pour éviter le baiser qu'elle s'apprêtait à poser sur ses lèvres et qui échoua sur sa pommette. Elle n'en parut pas découragée.

« Et je sais que tu me veux aussi... »

Cette fois il la laissa faire et ne protesta pas quand la main joueuse d'Azula entama une nouvelle descente le long de son torse et se déposa sur la bosse qui déformait déjà son pantalon. Ni quand elle commença à le caresser de haut en bas.

« Je peux le sentir... » chuchota-t-elle dans un souffle brûlant.

Il le sentait aussi.

Pourquoi Azula produisait-elle cet effet chez lui ? Pourquoi n'était-il pas capable de la repousser ? Pourquoi était-ce si bon ? Il n'était pas venu pour ça ! Il n'était pas venu pour ça !

La main d'Azula devint brûlante sur son entrejambe. Zuko ignorait combien de temps encore il tiendrait avant de la renverser sur le lit, de lui arracher ses vêtements et de la prendre sur le champ. Déjà leur respiration s'accélérait dangereusement au rythme de ses caresses brûlantes.

Allez, vas-y ! l'encourageait la voix du Dragon Bleu dans sa tête. Baise-la ! Elle n'attend que ça, cette petite allumeuse !

Non… ce n'est pas bien. Je n'ai pas le droit. Elle est malade, elle est ivre. C'est ma sœur !

Tu en meures d'envie. Pourquoi te priver ? Tu es le Seigneur du Feu. Tu peux avoir tout ce que tu veux. Tu peux l'avoir, elle. Vas-y, touche-la, allonge-la sur le lit. Prends-la, Zuko !

Zuko ferma étroitement ses paupières et crispa la mâchoire dans une lutte féroce contre ses pensées coupables. Azula s'enhardissait. Elle pressait des baisers de plus en plus fiévreux sur son visage et dans son cou et intensifiait le rythme de ses caresses.

Lentement, presque imperceptiblement, il porta une main timide sur la poitrine d'Azula et effleura ses seins du bout des doigts. L'autre main, pendant ce temps, tâtonnait à la recherche du nœud qui maintenait sa robe fermée sur le côté. Ses doigts se refermèrent dessus et il tira doucement sur les fils.

Oui c'est ça Zuko, juste une fois. Pour savoir ce que ça fait. Ce n'est pas si grave. Elle en a envie aussi. Vous avez bien le droit de vous amuser un peu tous les deux.

Zuko tira un peu sur l'un des pans du col du kimono pour libérer un sein à la blancheur éclatante. Puis il se pencha vers elle pour essayer de capturer ses lèvres dans les siennes. Mais ce fut le moment qu'elle choisit pour parler :

« Ce garçon n'a eu que ce qu'il méritait, murmura-t-elle dans le creux de son oreille dont elle mordilla le lobe. Il n'aurait pas dû essayer de prendre ce qui t'appartient.»

Le garçon !

Ces mots agirent comme un signal. Zuko émergea du brouillard dans lequel flottait son esprit et il se souvint soudain pourquoi il était là.

Il se rappela le visage atroce de Kojiro, son rictus horrible, son œil mort et l'os blanc qui affleurait sous la peau carbonisée. Un visage monstrueux, à l'image de l'âme de celle qui l'avait modelé.

A contrecœur, il délaissa la ceinture et le pan du kimono et arrêta la main d'Azula qui commençait à tirer sur les galons de son pantalon. Elle l'enroula aussitôt autour du cou de Zuko et se pressa davantage contre lui. Les baisers qu'elle déposait sur son visage et dans son cou étaient toujours plus brûlants, plus avides que le précédent. Il fallut à Zuko toute la force de sa volonté pour s'arracher à son étreinte mais il finit par la repousser avec douceur et fermeté, puis se leva. Les yeux ambrés de sa sœur trahissaient une profonde frustration et l'incompréhension. S'efforçant de ne pas y prêter attention,il fit quelques pas vers le milieu de la pièce pour s'éloigner d'elle. Il ne devait plus la laisser approcher. C'était trop risqué. Il était incapable de penser rationnellement quand elle se trouvait trop près de lui.

Il déglutit péniblement et parla du ton le plus calme qu'il put, s'efforçant d'ignorer l'éclat de la peau blanche sous son kimono à moitié ouvert :

« Tu l'as défiguré, Azula. Il ne sera plus jamais le même. S'il survit, il ne pourra plus mener une vie normale. »

Azula le regarda un moment, les bras croisés sur sa poitrine dans une attitude de défi, et haussa les épaules avant de répondre sur un ton plein d'une indifférence méprisante :

« Formidable. Vous allez pouvoir former un club tous les deux. Le club des Cramés, ou mieux !, ajouta-elle en s'animant soudain. Les Têtes Brûlées ! Qu'en-dis-tu ? Ça sonne bien, non ? Ça te fera un nouveau petit camarade pour jouer. Vous aurez tout le loisir de vous plaindre et de répéter à quel point votre vie est difficile, avec tous ces gens qui se moquent de vous et vous regardent avec de grands yeux terrifiés ! »

Elle éclata d'un rire maniaque, satisfaite de sa propre plaisanterie, et repartit en titubant vers le lit pour ramasser la bouteille à moitié dissimulée sous les couvertures jetées en boule. A l'évidence, elle ne se souvenait pas l'avoir cachée ici à dessein, pour qu'il ne la voie pas.

Il la fixa avec des yeux ronds, incrédules, incapable de croire à ce qu'il venait d'entendre.

Il la regarda se diriger vers le bureau. D'un geste elle balaya la pile de parchemins et d'objets divers qui le recouvrait. Un bruit de verre brisé retentit et elle grommela quelque chose. Finalement, elle décida qu'elle pouvait tout aussi bien se passer d'un récipient et, portant la bouteille à ses lèvres, but directement au goulot.

C'en était trop. Zuko ne pouvait supporter d'assister une minute de plus à l'affligeant spectacle qu'elle lui offrait. Comment avait-il pu avoir envie d'elle, seulement quelques minutes plus tôt ?

Il se rua vers elle, lui arracha la bouteille des mains et la saisit par les poignets. Elle poussa un hurlement de terreur mais cela n'empêcha pas Zuko de la secouer avec force.

« Ça suffit ! Tu vas arrêter de dire n'importe quoi, de te comporter comme une dingue, et m'écouter ! » aboya-t-il sans la lâcher. Il sentait la chaleur augmenter dans les paumes de ses mains et se contrôla juste à temps pour ne pas brûler Azula. « Tu as presque tué un homme ! Tu pourrais aller en prison pour ça ! Après tout ce que j'ai fait pour toi ! Comment veux-tu que je continue à te protéger ?»

Il n'avait pas pu s'empêcher de hausser la voix au fur et à mesure et il hurlait à présent. Des postillons s'échappèrent de sa bouche et il en projeta une partie sur Azula qui se ratatinait sur place et tremblait de tout son corps.

« Père… Ne te fâche pas, s'il-te-plaît ! » implora-t-elle d'une si petite voix qu'il dut scruter son visage pour vérifier qu'elle n'avait pas rajeuni.

Elle ressemblait de manière frappante à la petite fille qu'elle était à cinq ans, quand elle avait supplié leur père de la pardonner après qu'elle eut cassé un vase ancien ayant appartenu à l'un de leur illustres aïeux.

Il se rappela le bleu impressionnant qui s'était formé dans le bas de son dos et l'avait contrainte à se déplacer en boitant dans les jours qui avaient suivi.

Il la lâcha immédiatement et elle tomba à genoux, sanglotant.

Zuko avait du mal à respirer. Sa poitrine se soulevait à un rythme effréné, comme s'il avait couru un marathon. Timidement, il s'agenouilla devant la petite silhouette tremblante ramassée sur le sol et après un temps d'hésitation, il la prit dans ses bras.

« Azula…

– C'est toi, Zuzu ? demanda-t-elle, la tête enfouie dans ses épaules.

– Oui, c'est moi. Tout va bien Azula. Pardon de t'avoir secouée. Je ne voulais pas te faire peur… Tu peux te relever ? » demanda-t-il avec une douceur qui le surprit lui-même. Il la sentit acquiescer contre lui et se releva doucement en la hissant sur ses pieds. Elle refusa de le lâcher, même quand ils furent debout, et il n'eut pas le courage de la repousser.

« Zuzu, qu'est-ce qui m'arrive ? » murmura-t-elle contre lui.

Sa voix trahissait à quel point elle était terrifiée. Il ferma les yeux pour lutter contre les larmes qui menaçaient à leur bordure et serra sa sœur plus étroitement contre lui. Elle n'avait plus rien de la femme fatale qui venait de le séduire quelques minutes plus tôt, malgré son kimono entrouvert qui dévoilait une partie de sa poitrine. Elle était redevenue sa petite sœur, la jeune fille vulnérable et malade à qui il rendait visite à l'asile autrefois. S'efforçant d'oublier pour un moment la face noircie et pourrissante de Kojiro, il embrassa les cheveux d'Azula et répondit :

« Ce n'est pas ta faute. Tu es malade, c'est tout. On va te soigner, ne t'inquiète pas. On retrouvera la bonne formule pour que tout redevienne comme avant. Tu vas rester ici en attendant. Je vais te protéger. Personne ne te fera rien tant que je serai là, je te le jure. Ne parle à personne, ne sors pas. On va arranger ça, d'accord ? Je vais arranger ça. »

Il parlait avec tant de conviction qu'il crut lui-même un instant à ses mensonges.

Le corps d'Azula se détendit imperceptiblement dans ses bras. Comment avait-il pu songer un instant qu'il pourrait… ? La culpabilité et le dégoût firent chavirer son estomac. Azula était malade, elle était folle, vulnérable. Quel monstre oserait en profiter ?

Il l'obligea à reculer un peu pour refermer son kimono qui bâillait sur sa poitrine et resserra le nœud de sa ceinture. Azula le laissa faire, comme un enfant qui regarde sa mère ou sa nourrice l'aider à enfiler ses vêtements. Dès qu'il eut fini, elle se pencha à nouveau sur lui et il la serra contre lui. Ils restèrent ainsi un moment.

« Zuzu ? L'interpella, au bout d'un moment, une petite voix étouffée dans le creux de son épaule.

– Oui ?

– Ne le dis pas à Père et à Mère dit-elle d'une voix hésitante. Ce que j'ai fait, ne leur dis pas. Ils seront furieux après moi. »

Il la serra plus fort encore et promit d'une petite voix étranglée:

« D'accord Azula, je ne dirai rien. Tu as ma parole. »

Quand elle posa ses deux mains sur sa poitrine pour s'écarter légèrement de son frère et qu'elle leva vers lui deux yeux brillants pleins d'espoir et de gratitude, quand ses lèvres écarlates s'étirèrent en un sourire plein de reconnaissance, il la ramena rapidement contre lui pour qu'elle ne voie pas les larmes qui roulaient abondamment le long de ses joues et de son nez.

A l'instant où Zuko sortit de la chambre en fermant doucement la porte derrière lui, Toph et Aang se ruèrent vers lui. Il porta un doigt à ses lèvres pour leur imposer le silence.

« Elle vient de s'endormir », expliqua-t-il à ses amis qui haussèrent les sourcils.

– Comment va-t-elle ? s'enquit Aang, bien que le bien-être d'Azula fût le cadet de ses soucis en cet instant.

– Pas très bien.» Sa voix était faible et tremblait. Il se pinça l'arrête du nez et ferma les yeux. Aang pouvait presque ressentir la tension autour de son ami et il devina qu'il devait avoir la gorge trop serrée pour parler et donner davantage d'explication.

– Zuko…, risqua-t-il. Je sais que c'est dur pour toi, mais il faut que nous parlions. J'ai discuté avec Kadao et il m'a dit que Tsuneo était un homme influent et très apprécié de ses soldats. Si tu n'agis pas tout de suite j'ai peur que… »

Zuko rouvrit soudain les yeux et son regard doré transperça Aang. Durant un bref instant, il eut l'impression d'avoir été à nouveau frappé par l'un des éclairs mortels d'Azula. Il sentit, à côté de lui, Toph qui se figeait et serrait les poings. Sous ses pieds, le sol remua, imperceptiblement pour quiconque n'était pas un maître de la terre. Elle se préparait à combattre.

« On se calme, monsieur Muscle ! cria-t-elle. On est ici pour t'aider et ça commence à me fatiguer d'avoir à te le répéter !

– Je n'ai rien fait ! protesta vivement Zuko.

– Et on va continuer comme ça », répondit férocement la jeune aveugle en se détendant un peu.

Sa première surprise passée, Aang se pencha pour mieux voir le visage de Zuko. Il paraissait totalement désemparé et une vague de pitié afflua en lui.

« Zuko, dis nous…

– Elle est très malade, explosa-t-il, des larmes jaillissant de ses yeux avant qu'il ait pu songer à les retenir. Elle a perdu la tête. Je ne sais pas comment je vais faire pour la défendre ! »

Il se jeta dans les bras de Toph qui ne s'y était manifestement pas attendue et sanglota contre elle. Elle tapota maladroitement son épaule deux ou trois fois et, les joues fort rouges, le repoussa gentiment. Regrettant sans doute ce débordement d'émotions, Zuko allongea le bras et le posa sur l'épaule de Toph en s'excusant et s'essuyant les yeux tout à la fois.

« Pardon. C'est juste que… je ne m'attendais pas à la trouver dans cet état. J'ai dû rester avec elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Je ne l'ai jamais vue aussi agitée depuis... »

Inutile de préciser depuis quand. Azula faisait apparemment face à une rechute sévère. Katara, qui avait parlé à Taïma, l'avait averti que c'était une possibilité. Il comprenait très bien que Zuko en fût affecté mais il ne pouvait pas se permettre de flancher maintenant, pas quand la colère menaçait de monter parmi les soldats de la Garde Impériale qui auraient tôt fait d'apprendre ce qui était arrivé au fils de l'un des leurs. Bien qu'il eût préféré attendre Iroh, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une vive inquiétude après ce que Kadao lui avait dit cet après-midi là. Aang avait demandé au Général de retourner auprès de Tsuneo pour s'assurer de son silence, au moins jusqu'à ce que Zuko ait réglé la question d'Azula.

Les Sages s'étaient réunis également et exigeaient que la princesse soit dépouillée de tous ses pouvoirs jusqu'à son procès. Zuko ignorait encore tout cela bien sûr. Il s'était caché toute la journée, refusant de parler à qui que ce soit. C'était Mai, la voix pleine d'amertume, qui leur avait dit qu'ils auraient peut-être des chances de le trouver auprès d'Azula. Non sans remarquer la mine sombre de la Dame du Feu, Aang l'avait remerciée et, suivi de Toph, s'était précipité ici.

« Est-ce que tu as pu lui parler de Kojiro ? demanda-t-il, un peu inquiet.

Zuko se laissa glisser le long de la porte à double battant et s'assit sur le sol en pierre, l'air terriblement las. Il se frotta les yeux et tira sur la peau de son visage avant de répondre, sans les regarder :

« Elle nie. Elle n'a jamais rencontré ce garçon. Selon elle, c'est un tissu de mensonges. Et je la crois », acheva-t-il d'un ton péremptoire. Il leur lança un regard furieux, comme pour les mettre au défi de le contredire.

– Mais, Zuko… tu viens de dire qu'elle était incohérente. Comment peux-tu être sûr qu'elle ne te ment pas ?

– Je vous dis que je la crois ! », explosa-t-il une nouvelle fois, mais de colère cette fois.

Il se releva vivement sur ses deux pieds avec une rapidité et une légèreté digne d'un maître de l'Air.

« Et vous allez la croire aussi ! Je suis le Seigneur du Feu. C'est moi qui fais et qui défais la loi, ici. Et si je dis qu'elle est innocente, alors elle est innocente ! »

Aang et Toph se figèrent, tout deux trop stupéfaits pour réagir.

« Zuko, commença Toph d'une voix mesurée, tu n'es pas sérieux, tu ne peux décemment pas…

– C'est ma sœur ! Et la princesse ! Je dois la protéger. Vous ne comprenez pas, reprit-il d'un ton désespéré, elle est malade ! Elle n'a pas fait exprès. Elle s'est défendue, c'est tout !

– Nous voulons bien le croire Zuko, raisonna Aang. On ne te demande pas de la faire enfermer maintenant. Il y aura un procès, et si Azula a vraiment agi en état de légitime défense, alors elle obtiendra la grâce ! Laisse la justice faire son travail ! Tu n'es pas ce genre de dirigeant ! Tu n'es pas ton père, Zuko ! »

– La justice ? Quelle justice ? Si elle est jugée, ce sera par les Sages ! s'exclama-t-il. Ces vieux débris détestent Azula et n'attendent que cette occasion pour s'en débarrasser, comme tout le monde ici ! Je ne serai pas surpris qu'ils aient eux-même manigancé tout ça !

– Tu divagues ! l'arrêta Toph, soudain alarmée. Personne ne pouvait la forcer à brûler la tête d'un homme comme elle l'a fait ! Atterris Zuko ! Tu es en plein déni ! Tu l'as dit toi-même : Azula a rechuté, elle n'a plus toute sa tête. C'est tout à fait possible qu'elle ait fait ça dans un moment de colère ou si elle s'est sentie menacée ! Rappelle-toi comme elle t'avait attaqué à l'asile ! Et pourtant tu es son frère !»

La mine de Zuko se renfrogna et Aang se rappela avec un pincement au cœur du garçon colérique et cruel dont il avait fait la connaissance plus de six ans auparavant, alors qu'ils étaient encore ennemis. Il n'avait pas revu cette expression sur son visage depuis le temps où il le poursuivait à travers le monde.

« Tu sais qu'elle est coupable. Je peux le sentir, reprit Toph sur un ton beaucoup plus calme. Je sais que c'est dur mais tu dois te faire une raison. Azula ne peut pas rester au palais. Ce n'est pas sûr, ni pour elle, ni pour personne. »

A la manière dont s'affaissèrent les épaules de leur ami, Aang sut que Zuko en était douloureusement conscient. Il releva lentement la tête et une sombre détermination illumina son regard doré.

« Vous deux, vous restez ici pour protéger Azula. Je ne veux que personne s'approche d'elle, à l'exception de Taïma !

– Où vas-tu ? crièrent Aang et Toph à l'unisson tandis qu'il s'éloignait d'un pas rapide et sûr.

– Voir les Sages. » répondit-il sans se retourner.

Et il disparut au coin, les laissant seuls dans le couloir obscur.

Aang et Toph se tournèrent l'un vers l'autre. L'Avatar pensait voir la même question dans les yeux voilés de son amie.

« Toi tu restes ici et tu surveilles Azula, lui dit-il d'un ton ferme, moi je vais suivre Zuko. Tu penses que ça ira ? Tu pourras gérer Azula ? »

Toph hocha la tête d'un air décidé qui lui rappela immédiatement la petite fille bornée qu'elle était à douze ans ans quand elle affrontait des hommes trois fois plus lourds et plus âgés qu'elle sur l'arène à Gaolin. Elle sourit d'un air confiant et fit craquer ses doigts en allongeant les bras devant elle.

« Oh oui ! Ne t'inquiète pas Tête de Flèche. Si Princesse Barjo fait des difficultés en se réveillant, je me ferai un plaisir de botter son joli petit derrière, n'en déplaise à Zuko ! Allez, suis ce crétin avant qu'il ne déclenche une guerre civile ! »

Avec un sourire, Aang obéit et fila sur les traces de Zuko dans le couloir, laissant une bourrasque dans son sillage.

« Hé, toi ! Réveille-toi, allez !

– Mmh… Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?, marmonna la princesse, les yeux encore fermés.

– Réveille-toi, grosse paresseuse ! Il faut y aller, maintenant ! »

Une douleur fulgurante traversa son crâne en un éclair et lui arracha un gémissement. Ce n'est qu'à contrecœur qu'Azula ouvrit les yeux et se retourna. Le mouvement causa une sensation inconfortable dans son estomac et elle craignit un moment, de vomir sur ses draps. Le monde tanguait dangereusement autour d'elle.

Plus jamais de vin, se promit-elle une énième fois.

« C'est bon ? reprit la voix sur un ton indigné. Tu es réveillée ! On dirait une de ces pochardes des quartiers ouvriers qui cuve son vin dans la rue ! Tu n'as pas honte ? Tu es une princesse, tu vaux mieux que ça non ? »

Avec peine, Azula releva la tête pour voir d'où provenait la voix. Sa vue mit quelques secondes à s'ajuster et la petite silhouette qui la fixait, assise à côté d'elle sur le lit, restait étrangement floue.

« Qui es-tu ? parvint-elle à marmonner, la bouche encore pâteuse.

Petit à petit, la silhouette devint plus distincte mais les traits de son visage restaient imprécis. Seules des taches plus sombres sur sa face pâle indiquaient l'emplacement des yeux et de la bouche. Azula vit un objet briller sur sa tête tandis qu'elle s'agitait à ses côtés.

– Ce n'est pas important, répondit l'intruse de sa petite voix flûtée, ce qui compte maintenant, c'est que tu files d'ici. Ils vont bientôt venir !

– Qui ? demanda Azula, encore trop étourdie et nauséeuse pour se redresser.

– Les autres ! Ils vont venir te prendre et t'emmener à l'asile. Ou en prison ! »

Azula se sentit soudain un peu plus éveillée. Elle essaya de reconstituer mentalement les événements depuis son affrontement avec Mai. Mais son esprit embrumé ne lui renvoyait que des images fugaces et incohérentes.

Zuko était ici. Oui ! Cela, elle s'en quand ? Et pourquoi ? Que s'étaient-ils dit et qu'avaient-ils fait ?

« Où est Zu- ? commença-t-elle, mais son étrange compagne ne lui laissa pas le temps de finir.

– Peu importe ! Lève-toi ! »

Une petite main agrippa son bras et essaya de la tirer vers elle. Mais la sensation n'était guère plus qu'un effleurement et aucune chaleur n'émanait d'elle. Azula releva la tête et cette fois ci, elle put distinguer nettement le visage penché au-dessus d'elle.

C'était celui d'une petite fille qui ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans. De longues mèches rebelles et noires s'échappaient de cjaque côté de son chignon orné d'une couronne à trois flammes. Elle portait une longue tunique et un pantalon aux couleurs rouge et or, traditionnelles de la Nation du Feu ainsi qu'une ceinture noir nouée à la taille. Ses yeux, surmontés de sourcils noirs et bien dessinés, brillaient à la faveur des flammes environnantes. Leur iris avait la couleur de l'ambre. Malgré ses traits enfantins et ses joues encore rebondies, on devinait la jolie femme qu'elle deviendrait sans doute un jour. Une lueur étrange, à la fois triste et espiègle brillait dans ses pupilles.

Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel !

Azula se redressa sur son séant et secoua la tête, espérant dissiper ainsi la migraine qui s'intensifiait. Elle dissimula son visage dans ses mains et essaya de se rappeler.

Kojiro…

Mai dans la chambre de son père.

Ty Lee qui l'avait trahie...encore.

Zuko. Les caresses interdites sur le lit.

Est-ce que tout cela avait vraiment eu lieu ? Elle n'avait tout de même pas osé le toucher... là ? Si ? Est-ce pour cela qu'il était parti ? Comme la dernière fois dans la salle de bain ? Est-ce qu'elle l'avait encore fait fuir ? Elle n'arrivait pas à se rappeler ! La honte et la frustration affluaient en elle par vagues successives. Elle regroupa ses genoux devant elle, ses deux mains agrippèrent ses cheveux et tirèrent dessus et elle balança son corps d'avant en arrière. « C'est ta faute, ta faute, ta faute... », répéta-t-elle.

Elle s'était encore comportée comme la pire des catins. Sa mère avait raison : il ne fallait pas s'étonner, après cela, que les hommes cherchent toujours à faire des choses avec elle. Tous sauf Zuko.

« Ta faute, ta faute, ta faute... »

– Tu as bientôt fini ? demanda la petite fille, toujours assise à côté d'elle, négligemment appuyée sur son traversin et qui contemplait ses ongles d'un air parfaitement indifférent. Tu sais, c'est peut-être à cause de ce genre de comportement que tout le monde te prend pour une folle ! »

Azula l'ignora et elle se recroquevilla un peu plus, suffoquée par la honte et la culpabilité qui étreignaient son cœur et frappaient son âme avec la violence des vagues qui se brisent contre un rocher.

« Chut ! Écoute ! » dit la petite fille qui se redressa, soudain alarmée.

Le son étouffé de deux voix au-dehors tira Azula de sa transe. Quelqu'un parlait derrière la porte à double-battant de sa chambre.

« Tu les entends ? » reprit la petite fille en la secouant. « Ils sont déjà là ! Allez, viens ! Dépêche-toi ! On ne peut pas rester ici. Tu ne veux pas retourner là-bas, non ? »

Azula comprit immédiatement ce que « là-bas » désignait.

Non, surtout pas !

Les mots ne franchirent pas ses lèvres mais pour la première fois depuis son réveil, elle se sentit suffisamment d'énergie pour repousser les couvertures au-dessus d'elle et se traîner jusqu'au bord du lit.

La petite fille se leva en bondissant et, une fois debout face au lit, elle lança à Azula un regard pétillant d'impatience et de malice.

Azula ne savait pas très bien s'il était prudent de suivre la petite fille. Elle s'était promis de ne plus écouter les hallucinations, ni de leur répondre. Sauf Ursa. Ursa était une exception. Où était-elle d'ailleurs ? Azula tourna la tête de tous côtés, s'attendant à la voir surgir des ténèbres au fond de la pièce.

« Ne perds pas de temps avec elle, elle n'est pas là, s'agaça la petite fille. Allez, dépêche-toi ! Ils ne vont plus tarder !

– Comment va-t-on sortir ? s'inquiéta Azula qui se glissa hors du lit avec difficulté.

– Le passage secret évidemment, idiote ! Vraiment, si je dois devenir aussi bête quand j'aurai ton âge, alors je préfère ne pas grandir !

– Tais-toi petite sotte ! Tu ne sais rien ! Il ne t'est pas encore arrivé la moitié de ce qui... »

Mais elle s'imposa le silence. A quoi bon se disputer avec cette nouvelle fantaisie de son cerveau malade ?

En attendant, la petite sotte n'avait pas tort. Elle entendait plus distinctement les voix au-dehors maintenant. Des voix féminines. Deux. Il lui sembla, en prêtant l'oreille, reconnaître le ton rude de la petite aveugle. Quand était-elle revenue au palais celle-là ? Était-ce un tour de son imagination ? Et l'autre, qui parlait sur un ton plus calme mais autoritaire, n'était-ce pas Katara ? Il lui semblait savoir que Zuko l'avait fait revenir au palais avec l'Avatar et les autres paysans. Mais peut-être l'avait-elle rêvé ?

Elle fit quelques pas sur le tapis mais sa vue se brouilla à nouveau. Elle tituba et dut se rattraper au divan, au milieu de la pièce. Cela fit naître le souvenir de ses étreintes avec Zuko, des semaines auparavant, juste avant que tout ne dégénère. Son cœur se contracta douloureusement dans sa poitrine.

« Cesse de penser à cet imbécile ! C'est lui qui leur a demandé de se poster là pour te surveiller, au cas où tu ne l'aurais pas compris ! » la tança la petite fille qui l'attendait à l'autre bout de la pièce, près de la tapisserie qui dissimulait le passage secret. « Et à l'heure qu'il est, il est sûrement déjà en train d'organiser ton transfert en prison ou dans cette maison de fous qu'ils appellent un asile ! »

– Non. Il ne ferait pas ça. Il a dit qu'il m'aiderait. Il m'aime ! »

La fillette bondit sur ses pieds en serrant les poings. Une expression adorable de rage enfantine déformait ses traits angéliques.

« Combien de temps vas-tu encore te bercer d'illusions ? Zuzu se fiche bien de toi ! Il sait que tu es redevenue folle et il va t'enfermer maintenant qu'il a découvert ce que tu as fait à cet abruti au bord du canal ! »

Elle avait raison bien sûr. Le temps des illusions était terminé. Zuko n'était pas venu à leur rendez-vous, il était venu ici pour lui crier dessus, il avait repoussé ses avances, encore une fois.

Ty Lee l'avait trahie elle aussi : elle avait prévenu Mai de son rendez-vous secret avec son frère. Et c'était sans doute elle encore qui avait tout dit à Zuko pour Kojiro.

À moins que ce ne soit Mère ? Elle ne savait plus très bien et elle avait terriblement envie de pleurer, de se rouler en boule dans son lit et d'attendre que le sommeil l'emporte à nouveau.

Mais elle ne pouvait plus se le permettre. Elle avait déjà passé bien trop de temps à dormir. Elle ferma étroitement les paupières et enfonça ses doigts dans ses orbites pour dissiper la sensation de vertige. Quand elle sentit que sa tête tournait un peu moins, elle les rouvrit et se dirigea vers la fillette qui l'attendait en trépignant sur place, près d'une tunique pourpre qu'elle lui désignait. Azula retira rapidement son kimono et l'abandonna sur le sol avant d'enfiler la tunique par-dessus son pantalon.

« Enfin ! » s'exclama l'insolente en écartant la tapisserie pour laisser passer Azula quand elle fut habillée. La princesse sortit une clé en bronze d'une petite boîte en argent et l'inséra dans la serrure. Après un dernier regard en arrière, encouragée par la petite fille qui lui faisait signe de se dépêcher, Azula s'engagea dans le tunnel ténébreux qui serpentait dans le noir.

Elle fit apparaître une flamme dans sa paume pour éclairer son chemin. L'apparition, à côté d'elle, l'imita, et une flammèche orange surgit du néant. Un peu surprise, Azula se rappela qu'elle n'avait commencé à faire jaillir des flammes bleues qu'à l'âge de onze ans. Cette version plus jeune d'elle ne devait pas avoir plus de huit ans à en juger par ses joues rebondies, ses petits membres et son torse étroit. En observant la petite flamme rougeoyante de plus près, Azula réalisa qu'elle ne produisait aucune lumière. Elle fut parcourue d'un frisson désagréable.

Elles cheminèrent en silence le long du tunnel et Azula décida de laisser la fillette la guider. Elle tournèrent à droite à un embranchement qu'elle reconnut. En prenant à gauche, on aboutissait dans la chambre de son frère. Elle ne se souvenait plus très bien où menait le boyau qu'elles empruntaient maintenant. Azula se retournait toutes les dix secondes pour voir si quelqu'un les suivait, talonnant son mystérieux guide qui n'avait plus pris la parole depuis qu'elles avaient quitté la chambre.

Elles marchèrent pendant ce qui parut des heures à Azula. Elle était épuisée et ses yeux se fermaient tout seuls par moment. Une ou deux fois, elle dut s'arrêter à cause de violentes crampes à l'estomac qui la plièrent en deux et lui arrachèrent des larmes et des gémissements de douleur.

Mais elle continua sa route, exhortée par la volonté farouche de la fillette qui la réprimandait chaque fois qu'elle montrait des signes de faiblesse. Azula faillit la percuter de plein fouet quand la petite s'immobilisa brusquement, un doigt sur la bouche, l'autre désignant une porte en bois rugueux et attaquée par la vermine.

« Chuut ! Ecoute ! ordonna-t-elle.

– Quoi ? chuchota Azula, un peu inquiète. Où m'as-tu amenée ?

– C'est le Temple des Sages du Feu, là, juste derrière. Tu les entends ? »

Le Temple ? Elles avaient donc marché aussi loin ?

Elle s'écarta pour laisser passer Azula. Cette dernière colla son oreille à la porte et entendit une voix indistincte mais familière. Les paroles restaient inaudibles mais on percevait une note autoritaire dans le timbre de l'homme qui s'exprimait.

« C'est Zuzu ! siffla la fillette. Il est avec les Sages. »

Les yeux d'Azula s'écarquillèrent. D'autres voix se faisaient entendre, en effet. Toutes des voix masculines, certaines chevrotantes comme le sont celles des vieillards.

« Pourquoi parlerait-il avec eux ? Il ne les aime pas ! s'étonna Azula d'une petite voix perçante qui trahissait sa panique.

– Tu sais pourquoi... » répondit une voix beaucoup plus grave derrière elle.

Un frisson glacé parcourut le dos d'Azula et, malgré sa surprise, elle fut incapable de se retourner, trop terrorisée à l'idée de qu'elle verrait.

Derrière elle, elle perçut le mouvement d'un corps imposant qui se déplaçait pour se rapprocher d'elle.

Ne te retourne pas. Ce n'est pas réel.

« Azula… », souffla l'apparition dans le creux de son oreille.

Azula sentit une main se refermer autour de son cou et une autre se déposer sur sa hanche, juste sur sa cicatrice.

« Tu sais pourquoi ils sont là, ma fille, susurra la voix caressante de son père dont les doigts se resserraient autour de son cou et le relâchaient à un rythme régulier. Ils vont te retirer ta couronne.

– Non, c'est impossible, parvint à répondre Azula dont la vue étaient embuée par des larmes de panique. Il me l'a rendue il y a plus d'un an. Il a dit qu'il me faisait confiance !

– Il t'a menti, Azula. Comme toujours. Il va te reprendre ton titre de Princesse Héritière, ta couronne. Et il va te renvoyer chez les dingues. Ou pire… en prison. »

La main qui était située sur son cou entama sa descente et elle sentit son père se presser un peu plus contre elle. Elle ferma les yeux et essaya de déglutir mais sa gorge était si étroite et si sèche qu'elle en fut incapable et un petit hoquet de terreur franchit ses lèvres.

Compte jusqu'à dix, Zula !

« Nous pourrons peut-être partager une cellule, disait-il en pétrissant ses seins d'une main. Tu n'as pas envie de retrouver ton vieux père, Azula ? »

Elle était incapable de parler, encore moins de se retourner. Elle ne voulait pas voir la lueur prédatrice dans son regard doré.

Ce n'est pas réel, se répétait-elle inlassablement.

Se forçant à se concentrer sur ce qui l'était – les voix de l'autre côté de la porte – elle se colla davantage contre le panneau en bois vermoulu, s'efforçant d'ignorer les mains glaciales qui fouillaient maintenant avidement dans le bas de son dos.

« J'entends une autre voix, déclara-t-elle. Une voix plus jeune. C'est encore un homme…

– C'est l'Avatar », répondit son père qui venait de trouver un chemin sous sa tunique et glissait maintenant ses puissantes mains calleuses sur son ventre. « Tu sais pourquoi il est là, Azula. Ton traître de frère l'a fait venir pour que tu subisses le même sort que moi. Il va t'ôter ta maîtrise, et il ne te restera plus rien pour te défendre quand tu seras seule avec moi dans ma cellule. »

Les yeux écarquillés, Azula sentit le spectre d'une main glacée descendre lentement sur son bas-ventre.

– Non ! hurla-t-elle en s'arrachant brusquement à lui. Elle se retourna vivement pour lui faire face.

Personne.

Elle ne le laisserait plus la toucher, elle n'irait pas en prison ! Ni dans cet horrible endroit qu'ils avaient le culot d'appeler une maison de santé et qui n'était rien d'autre que le repaire d'une bande de fous furieux !

Des gens comme toi…

De l'autre côté de la porte, il y eut un silence soudain. Les voix s'étaient toutes tues en même temps. Azula sentit une main plus petite se glisser dans la sienne.

« Chut ! Ils t'ont entendue ! Viens, on ne peut pas rester ici ! »

La fillette était de retour. Azula eut beau scruter l'obscurité autour d'elle, il n'y avait plus trace de son père. Il s'était évanoui dans les ténèbres. Mais elle savait qu'il y serait toujours, tapi dans l'obscurité, qu'il la guetterait, prêt à se jeter sur elle, à la dépouiller du peu de raison qui lui restait.

Azula fut presque soulagée et contente de revoir la petite fille. Après un dernier regard vers la porte derrière laquelle, elle le savait, son frère décidait de son destin avec les Sages et l'Avatar, elle se laissa entraîner par son jeune double.

Elles poursuivirent leur chemin dans le dédale du tunnel secret, mais très vite, Azula sentit à nouveau ses forces l'abandonner. Et si tout ce qu'avait dit son père était vrai ? Et s'ils l'enfermaient à nouveau ? Non. C'était trop dur . Ses jambes tremblaient et la sensation de nausée était de retour. Il lui fallut s'asseoir.

Deux petits pieds chaussés de bottes à bout pointus apparurent dans son champ de vision légèrement brouillé par les larmes. Puis Azula sentit une petite main se poser sur sa tête. Malgré l'absence de chaleur, la sensation était étrangement réconfortante. C'était comme retrouver un ami perdu.

« Est-ce que tu es réelle ? demanda-t-elle désespérément. Est-ce que tout cela est vraiment en train de se passer ? »

Une deuxième main se posa sur sa joue et la petite fille pressa son front contre le sien.

– Bien sûr que je suis réelle, répondit-elle de sa petite voix flûtée. Je suis toi. Et tu es moi. Nous n'avons que nous au monde. »

Azula passa ses bras autour de la petite forme. Elle ne rencontra pas la résistance à laquelle elle s'était attendue, mais la chose autour de laquelle ses bras se refermèrent avait néanmoins une certaine consistance. Elle n'aurait su à quoi comparer cette sensation.

Elle resta ainsi, un long moment, étreignant en sanglotant le fantôme de la petite fille qu'elle avait été.

La pensée de Zuko, de l'autre côté du mur, en train de comploter pour se débarrasser d'elle, la frappa soudainement et elle fut suffoquée par le sentiment de trahison qui la traversait. Puis elle repensa à Ty Lee. Ty Lee qui l'avait ignoblement trahie, elle aussi.

Elle voulait me protéger en parlant à Mai. Elle avait peur pour Zuko et pour moi. C'est tout.

Une main dépourvue de chaleur se déposa sur la joue trempée de larmes d'Azula qui baissa la tête pour cacher son visage et regroupa ses membres autour d'elle, comme pour se protéger du froid.

« La confiance est pour les imbéciles, dit l'apparition qui semblait avoir lu dans ses pensées. Tu le sais, n'est-ce pas ? Père nous l'a appris : il n'y a que la peur... »

La voix qui s'élevait dans la pénombre semblait différente, plus mature. Azula releva timidement la tête et se trouva face à son propre visage. Mais cette version d'elle paraissait légèrement plus jeune qu'elle, de quelques années. Elle arborait un chignon parfait surmonté de sa couronne à trois flammes. Elle était vêtue de la cuirasse noire qu'elle portait par-dessus ses vêtements au temps où elle pourchassait Zuko et l'Avatar. Azula cligna des yeux deux ou trois fois avant de répondre d'une petite voix incertaine presque suppliante :

« Je ne veux plus être cette personne. J'ai changé ! J'ai changé grâce à Zuko.

– Oui tu as changé : tu es devenue faible !, répondit l'adolescente d'un ton cassant. Que dirait Père s'il te voyait ? Tu es la honte de la Nation !»

Elle avait raison. Ils l'avaient tous trahie et abandonnée. Et elle s'accrochait obstinément à eux, se consumait pour eux et luttait futilement pour obtenir une miette de leur amour ou de leur approbation. Elle était pathétique et méritait son humiliation.

Allait-elle simplement s'enfuir, comme une lâche ? Et une fois dehors, que ferait-elle ? Mener une vie de fugitive, de paysanne ? Elle renoncerait à son frère, à la couronne ?

Devant elle, l'Azula adolescente attendait et s'occupait en faisant apparaître des étincelles au bout de ses doigts aux ongles longs et pointus parfaitement manucurés, comme elle les portait à l'époque. Finalement, Azula brisa le silence :

« Dis-moi ce que je dois faire. »

L'apparition tourna la tête vers elle et Azula tressaillit légèrement en voyant l'expression sournoise éclairer son visage pâle, le léger frémissement à la commissure de ses lèvres rubis et la lueur prédatrice dans ses yeux couleur d'ambre, juste avant qu'elle ne parle :

« Que fait le dragon que l'on a offensé ? »

Azula la fixa un long moment et réfléchit.

Elle avait renoncé à tout pour eux. Elle leur avait tout donné et eux lui avaient tout pris, tout ! Ils ne feraient que prendre, et prendre encore. Jusqu'à ce qu'elle soit vidée de toute sa substance. Ils étaient là, derrière ces murs, à comploter pour se débarrasser d'elle, à rire d'elle, à se réjouir de sa disgrâce et de sa honte. Fuir, c'était les laisser gagner. Fuir, c'était être faible.

Le feu crépitait dans ses veines et consumait chaque cellule de son corps, et avec lui, sa raison.

Elle vit à la façon dont le sourire de l'apparition s'étirait qu'elles arrivaient aux mêmes conclusions. Azula contempla avec envie le visage plein d'assurance de son double. Le visage qu'elle arborait fièrement autrefois. Aujourd'hui, elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, et c'était leur faute, à tous : Mai, Ty Lee, et plus que tout autre, Zuko.

C'était Père qui avait raison. La confiance et l'amour sont pour les imbéciles. Il n'y a que la force, le pouvoir et la peur.

Elle avait appris sa leçon. Elle était gravée dans sa peau, dans son corps et dans son esprit. Certes, cela avait été douloureux mais il avait eu raison. Il n'aurait pas eu besoin d'en arriver là si elle n'avait pas été si faible, si elle ne s'était pas laissé dominer par le désir futile de plaire à son frère et à ses amies.

Que fait le dragon offensé ?

Alors, les sourcils froncés, la mâchoire crispée, sentant naître en elle une détermination féroce, elle répondit entre ses dents serrées :

« Il crache le feu.»

Face à elle, les yeux de l'apparition étincelèrent et Azula eut l'impression que ses traits changeaient. Le visage qui la regardait parut fondre puis se remodeler. Ses traits devinrent bientôt plus durs, plus virils. La silhouette sembla grandir dans l'obscurité. Et quand la chose approcha à nouveau sa main de son visage, ce ne fut pas la peau douce d'une jeune fille qui effleura sa joue, mais l'illusion d'une paume rugueuse aux doigts calleux.

« Ça c'est ma fille. », approuva la voix caverneuse de son père.