Chapitre 18 – Une longue journée
Aang suivait Zuko dans le dédale des couloirs du palais et bien que sa maîtrise de l'air fît de lui l'une des personnes les plus rapides au monde, il lui était bien difficile de suivre la cadence. Le Seigneur du Feu marchait d'un pas rapide et sûr. Son visage était aussi fermé qu'il l'était à l'époque où ils étaient ennemis, et la fureur qu'il voyait sur ses traits aurait paru effrayante à quiconque ne le connût pas suffisamment pour savoir quel homme sensible et généreux se cachait sous ce masque de colère.
Les Sages n'auraient sans doute pas été du même avis si on le leur avait demandé, pensa le jeune Avatar avec amertume. Il ne pouvait que spéculer sur ce que les Anciens avaient dû se dire, après que Zuko et lui eurent quitté le Temple où s'était tenue leur réunion.
C'était une chance qu'Aang ait été là pour apaiser les tensions. Il préférait ne pas penser à ce qu'aurait fait Zuko s'il n'avait pas tempéré ses ardeurs. Il devait reconnaître qu'il était impressionné par l'autorité et le charisme de Zuko. Quand il repensait au jeune dirigeant maladroit et inquiet qui s'était assis sur le trône de feu cinq ans plus tôt, Aang était pris d'un mélange dissonant de fierté, de tendresse et de malaise.
Zuko n'hésitait plus à prendre des décisions et n'avait plus besoin de justifier tous ses choix, ni même de demander des conseils à plus sage que lui sur toutes les questions politiques, même les plus importantes. Aang supposait que c'était une bonne chose que Zuko prenne confiance en lui. Mais vu la manière dont la situation évoluait, cette qualité commençait à devenir un sujet de préoccupation.
Plus que tout, Aang craignait de devoir un jour être celui qui mettrait un terme à la tyrannie du nouveau Seigneur du Feu.
Les cauchemars qui le tourmentaient depuis bientôt deux ans – depuis le retour d'Azula pour être précis – faisaient peu pour dissiper ses inquiétudes.
Plus d'une fois il avait revu en rêve le terrible affrontement entre Roku et Sozin, l'odieuse trahison de ce dernier alors que son prédécesseur luttait de toutes ses forces contre les éléments déchaînés, sur le volcan où il avait trouvé la mort.
Dans les premiers temps du règne de Zuko, Aang avait refusé d'y penser. Rien ne pouvait être pire qu'Ozai et il avait une confiance absolue en Zuko, était si convaincu de ses bonnes intentions, qu'il n'imaginait pas que le jeune maître du feu pût un jour suivre les traces de ses aïeux.
Mais la manière dont il avait parlé aux Sages aujourd'hui, les menaces qu'il avait proférées à leur encontre… Ce n'étaient pas les paroles du dirigeant philanthrope et éclairé qu'il croyait connaître. C'étaient les paroles d'un despote.
C'était Aang qui avait eu l'idée de redonner aux Sages du Feu le pouvoir de contrôler d'éventuelles dérives autoritaires du Seigneur du Feu. Il avait soufflé cette idée à Zuko à l'époque où ce dernier était encore tourmenté par le souvenir de ses mauvaises actions et où il faisait sans cesse promettre à Aang de mettre fin à ses jours s'il devenait un jour comme son père.
Suivre les traces d'Ozai était la pire crainte de Zuko. Pourtant ils n'auraient pu être plus différents, non ?
Devant lui, Zuko accélérait encore l'allure.
« Attends-moi, Zuko ! cria Aang.
– Dépêche-toi ! lui répondit la voix impatiente de son ami qui venait de disparaître à l'angle d'un nouveau couloir. Je ne veux pas qu'Azula reste seule trop longtemps.
– Toph monte la garde, tu n'as pas à t'inquiéter ! » essaya-t-il de le rassurer.
Zuko ne répondit pas. Aang n'eut d'autre choix que de lui emboiter le pas.
Azula, Azula, Azula… Zuko n'avait plus que ce nom à la bouche.
Ils n'avaient pas eu le temps de reparler de la confession avortée de Zuko dans la cour d'entraînement, quand il leur avait avoué que les choses avaient encore dérapé avec Azula récemment. L'horreur de ce qu'ils avaient découvert ensuite avait momentanément chassé toute autre pensée de leur esprit. Un peu honteux, Aang devait reconnaître avoir espéré que le crime d'Azula aurait détourné Zuko d'elle, qu'il lui aurait ouvert les yeux sur sa véritable nature.
Quand allait-il enfin en finir avec cette obsession malsaine ?
Zuko était prêt à déclencher une guerre et à causer l'ire et la méfiance des Sages. Ce qu'ils suggéraient n'était pourtant pas si déraisonnable. Aucun d'eux n'avait eu l'imprudence de proposer l'emprisonnement de la princesse, encore moins sa mise à mort.
Ils voulaient simplement l'éloigner quelques temps, lui ôter, temporairement du moins, son statut de princesse héritière. Zuko était entouré d'ennemis. On ne pouvait écarter la possibilité d'une ou plusieurs tentatives d'assassinat sur sa personne.
Les Sages leur avaient reparlé des groupuscules qui prônaient le retour d'Azula sur le trône. Ces derniers étaient étroitement surveillés par les services secrets de Zuko mais on ne pouvait exclure une action de leur part. De plus, il était très mauvais, pour la popularité du Seigneur du Feu, de laisser impunies les actions d'Azula. Tôt ou tard, les soldats sauraient ce qui était arrivé au fils de l'un de leurs commandants. Et que se passerait-il alors ?
Zuko s'était aussitôt enflammé :
« Bande de couards ! Je sais ce que vous pensez vraiment ! A l'instant où j'aurai dépouillé Azula de sa couronne, vous exigerez mon abdication ! Vous serez ainsi à l'abri de devoir lui prêter allégeance et vous aurez enfin l'occasion de vous débarrasser d'elle, et de moi par la même occasion!»
Les Sages avaient nié bien sûr. Shyu, le Grand Sage qui avait aidé Aang à pénétrer dans le Temple des années auparavant, avait échangé avec l'Avatar un regard inquiet et s'était empressé de rassurer Zuko : après tout le Seigneur du Feu n'avait enfreint aucune règle constitutionnelle et ils n'avaient aucune raison d'en arriver à de telles extrémité. Les Sages s'en remettaient à la sagesse de l'Avatar qu'ils prétendaient servir, car tel était leur rôle ancestral.
Aang était partagé : il aurait aimé affirmer qu'il ne doutait pas de l'intégrité morale des Sages. Mais les vieillards s'étaient si farouchement opposés à toute réforme sociétale et progressiste au cours des dernières années qu'il avait lui-même du mal à apprécier leur sagesse, Shyu mis à part. Il pouvait donc comprendre le comportement paranoïaque de Zuko. Ce n'était pas pour autant un motif de réassurance. Il existait des failles dans le texte de lois qu'ils avaient rédigés ensemble, Zuko, les Sages et lui-même, quelques années auparavant. Plusieurs articles prêtaient à interprétation.
Aang avait dû jouer de son statut d'Avatar et de son amitié avec le Grand Sage pour convaincre les Anciens d'accorder un délai à Azula, le temps qu'elle aille mieux.
Il s'engageait lui-même à trouver une solution pour accélérer sa guérison et il se porta garant de la princesse. Il s'occuperait personnellement de la surveiller en attendant que sa culpabilité soit avérée ou écartée. Il se demandait déjà comment il allait honorer cette promesse depuis Omashu où il avait prévu de partir dès le lendemain. Mais la situation était plus grave encore qu'il ne l'avait pensé. La présence de l'Avatar était requise ici. Il pourrait toujours envoyer Sokka et Suki chercher Iroh dans la cité légendaire.
Cela avait un peu rassuré les Sages. Mais pas Zuko qui, à l'instant où Aang avait pris cet engagement, darda sur lui un regard dur et hostile.
Aang était certain que sa désapprobation allait au-delà d'une simple question de fierté. Il savait que Zuko n'aimait pas que l'on interfère dans ses affaires privées, ni que l'on prenne des décisions à sa place. Mais l'expression qu'il avait vue dans les yeux dorés de son ami... Ce n'était pas seulement l'indignation, ni même l'orgueil blessé d'un souverain remis en question dans son autorité. Sur le long chemin qui les ramenait au palais, Aang s'était posé la question. Mais il aurait pu s'épargner toute cette réflexion car arrivés devant les portes du palais, Zuko le plaqua violemment contre le mur et le regarda d'un air menaçant. Trop stupéfait pour réagir, Aang, les yeux écarquillés, fixa le visage déformé par la rage de son ami.
« Je veux mettre les choses bien au clair, Aang. Tu as beau être l'Avatar et l'un de mes meilleurs amis, Azula est ma sœur, mon problème ! Officiellement, tu es responsable d'elle, mais je veux être certain qu'il n'y ait aucun malentendu entre nous : personne, pas même toi, ne s'approche d'elle en mon absence. Tu t'occupes de ramener l'ordre dans ma Nation et moi, je m'occupe d'Azula.
– Zuko… déglutit Aang quand il fut revenu de sa stupeur, tu crois vraiment que je chercherais à lui faire du mal ? »
Zuko ne répondit pas. Ses yeux dorés cherchèrent le regard d'Aang et le sondèrent longuement. Puis il le relâcha, sans ménagement et reprit son chemin.
Aang n'en revenait pas. Il lui fallut quelques secondes pour retrouver son souffle. Cette fois, il n'avait plus de doute. Zuko ne craignait pas qu'Aang blesse Azula ou néglige sa protection. Ce n'était pas comme un ennemi qu'il l'avait regardé mais comme…
Un rival.
Craignait-il vraiment qu'Aang se rapproche de quelque manière que ce soit d'Azula ? Qu'il tente quelque chose avec...elle?
Azula est à moi. Ne t'en approche pas ! Voilà ce qu'Aang avait lu dans le regard enflammé et la mâchoire crispée de son ami.
Il aurait aimé avoir le temps d'en parler avec lui mais Zuko était déjà loin devant.
Ils arrivaient maintenant dans le couloir qui menait aux appartements privés de la famille royale et au loin, Aang distingua deux silhouettes familières postées devant la porte d'Azula.
Toph était toujours là et avait été rejointe par Katara. ¨Sitôt parvenu à leur hauteur, Zuko s'enquit d'Azula.
« Aucun problème ! répondait Toph alors qu'Aang arrivait près d'eux, hors d'haleine. Princesse-très-chère n'a pas quitté sa chambre et dort sagement. On ne l'a pas entendue remuer un orteil ! Alors, qu'ont dit les vieilles biques ? »
Voyant que Zuko n'était manifestement pas d'humeur explicative, Aang se chargea de leur transmettre les dernières nouvelles.
Il lut dans les yeux outremer de Katara l'angoisse et les doutes dont il était lui-même assailli. Pourtant, c'est avec son habituel ton bienveillant et rassurant qu'elle parla en posant une main réconfortante sur l'épaule de Zuko :
« C'est une bonne nouvelle, non ? Cela va nous laisser un peu de temps pour préparer sa défense. Toph m'a dit qu'Azula était malade. On va la remettre sur pied, Taïma et moi, je te le promets. Pendant ce temps, Sokka, Aang et toi vous préparerez sa défense.
– Et moi, je compte pour du beurre ? s'insurgea Toph qui l'avait écoutée, négligemment appuyée contre la grande porte, les deux mains derrière la tête.
– Pas du tout, répondit Katara, manifestement irritée. Aang comprit qu'elles devaient déjà être en train de se disputer avant leur arrivée. C'est juste qu'avec ton franc-parler et ton tempérament, comment dire… enflammé, je ne pense pas que tu sois la personne la plus à même de gérer une situation aussi délicate !
– Ah oui ? Je suis trop rustre pour aider Zuko, c'est ça ? Et depuis quand est-ce la Reine des Mauviettes qui gouverne la Nation du Feu ?
– Ce n'est pas ce que je dis, s'emporta aussitôt Katara. Mais Azula a besoin de vrais soins ! Et les garçons vont devoir rédiger un texte ! Au dernières nouvelles tu ne savais toujours ni lire, ni écrire ! Dis-moi si je me trompe ! »
Désireux de ne pas être impliqué dans leur dispute, Aang détourna la tête. Il avait depuis longtemps renoncé à intervenir dans leurs joutes. De toute façon, cela n'allait jamais bien loin. Il avait appris à esquiver les morceaux de roches et les pics de glace qui s'envolaient parfois sur la trajectoire des deux filles.
« Tiens, prends-ça, Mademoiselle-je-décide-de-tout ! »
Un pavé venait de sortir du sol en pivotant et filait maintenant vers Katara qui répliqua en générant un rideau de glace contre lequel il s'écrasa violemment. La glace se brisa en même temps et le bruit de milliers de cristaux retombant sur le sol de pierre résonna dans le hall désert.
« Vous n'avez pas fini vous deux ! Vous n'avez aucun respect ! s'écria Zuko, furieux. Ma sœur est là, de l'autre côté ! Elle est très malade et elle a besoin de repos ! On dirait que ça ne vous fait rien !
– Excuse-nous, Zuko, on ne pensait pas à mal, s'excusa timidement Katara. On voulait juste…
– Je me fiche de vos stupides querelles et de vos problèmes minables ! Vous ne comprenez rien de ce que je traverse actuellement ! Vous êtes là pour m'aider mais depuis le début, vous n'avez rien fait ! C'est toujours le même chaos dans les colonies ! Dehors, des groupuscules de fanatiques attisent la colère des citoyens ! Les Sages veulent ma tête ! Ma femme ne me fait plus confiance et pense que je la trompe avec ma sœur ! Et Azula est… Azula est redevenue folle ! Elle a brûlé la figure d'un pauvre type, juste comme ça, parce qu'il l'avait… je ne sais même pas pourquoi ! Et vous, espèce de sales paysans, vous êtes là avec votre sollicitude écœurante, à prétendre vouloir nous aider, mais moi je sais bien ce que vous pensez ! »
Il hurlait maintenant et Aang retint la réplique qui lui brûlait les lèvres. Si Azula n'avait pas été réveillée par le son de la bagarre entre Toph et Katara, les vociférations de son frère devaient s'en être chargé.
Il n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit cependant. Le regard de Katara s'assombrit soudainement et ses traits habituellement très doux changèrent. Une expression terrifiante passa dans ses yeux saphir. Katara ne l'avait regardé qu'une seule fois comme cela depuis qu'ils étaient ensemble et il avait bien espéré ne jamais revoir cet air furieux sur son joli visage. Le feu était un élément destructeur mais on oubliait trop souvent que c'était l'eau qui avait le pouvoir de l'éteindre.
« Comment oses-tu ? éclata-t-elle. On est tous venus ici, on a abandonné tout ce que nous faisions, tous ceux que nous aimons, pour venir t'aider ! Notre grand-mère est malade, je ne sais même pas si elle sera encore là quand nous rentrerons ! »
Des perles argentées s'échappèrent des yeux de Katara à cet instant. Elle les essuya d'un geste rageur. Elle poursuivit :
« Et voilà comment tu nous remercies ? En faisant de nous des gardes du corps, ou en nous enfermant dans un laboratoire pour trouver un traitement pour la maladie incurable de ta tarée de sœur et pour soulager un pauvre type qu'elle a complètement défiguré ! Comment peux-tu seulement nous parler comme ça alors qu'on a traversé la moitié du globe pour venir à ton secours et réparer tes erreurs ! Tu es sur le point de déclencher une guerre pour les beaux yeux de cette cinglée qui a essayé de tuer chacun d'entre nous au moins une fois. Alors je pense qu'elle peut bien supporter d'être dérangée pendant sa sieste ! »
Ils restèrent tous là, tétanisés, y compris Zuko. Jamais Aang n'avait vu Katara aussi en colère, à part quand elle était partie avec Zuko sur le dos d'Appa pour retrouver l'assassin de sa mère.
Il se tint prêt à intervenir, son bâton dans la main, et aperçut du coin de l'œil la silhouette de Toph qui prenait une posture de combat. Mais à son grand soulagement, ce ne fut pas nécessaire. Aang n'était pas sûr de pouvoir garder son sang-froid si Zuko s'en prenait à Katara.
Le Seigneur du Feu opta pour la sagesse, ce qui était assez rare chez lui pour être noté. Malgré tout, l'Avatar n'aima pas l'ombre qui venait de passer sur son visage, ni l'éclat qui brillait dans ses pupilles dilatées.
« Nous reparlerons de ça plus tard, prévint-il, les sourcils si froncés qu'on distinguait à peine ses yeux dans son visage de marbre. Azula doit être réveillée maintenant. Vous, restez ici au cas où… Je vais voir comment elle va. »
A sa gauche, Aang entendait le souffle saccadé de Katara, hors d'elle, dont les yeux bleus pleins de larmes de colère lançaient des éclairs en direction de Zuko. Toph, près d'eux, restait étrangement muette et Aang était certain qu'elle admirait silencieusement le coup d'éclat de la jeune maîtresse de l'eau.
Debout près de ses amies, il regarda Zuko tourner précautionneusement la poignée de la porte et entrer à pas de loup dans la chambre plongée dans une semi-obscurité. Les premières lueurs du jour filtraient à travers les fenêtres à croisées. L'atmosphère était étrangement paisible et silencieuse malgré les tas informes qui jonchaient le sol ici-et-là. Aang s'avança mais Zuko apparut dans l'encadrement de la porte et lui barra le chemin, un air de défi durcissant ses traits.
« Restez ici. C'est à moi d'y aller. » Le ton était mesuré mais sous le calme apparent, l'avertissement n'était que trop clair.
Aang recula, la mine sombre. Zuko referma la porte devant lui avant qu'il n'ait pu jeter un coup d'œil vers le lit.
Ils restèrent là tous les trois, Aang, Toph et Katara, n'osant pas se regarder et ils sursautèrent tous en même temps quand la porte se rouvrit et que Zuko réapparut brusquement devant eux, le visage vidé de toutes ses couleurs, les coins de sa bouche tombant étrangement de chaque côté de sa mâchoire, les yeux écarquillés.
« Azula n'est plus là. Elle est partie », annonça-t-il.
Aang sentit ses entrailles se liquéfier et crut entendre un bourdonnement dans ses oreilles. Ses doigts se refermèrent comme des serres autour de son bâton.
Les deux filles semblaient tout aussi estomaquées. Toph était visiblement consternée d'avoir raté une mission aussi simple. Leurs yeux allaient de Zuko à Aang et d'Aang à Zuko.
Les yeux bruns croisèrent les yeux d'or et, avec un simple signe de la tête, Aang suivit Zuko dans la chambre désertée. Ce dernier le mena jusqu'à une lourde tapisserie qu'il souleva. Derrière, ils trouvèrent une porte en bois qui menait sur un escalier en pierre conduisant dans un tunnel souterrain. Aang jeta un œil à la fenêtre de la chambre qui était fermée de l'intérieur et reporta son attention sur la passage secret. Azula était forcément passée par-là.
Si la princesse du Feu était vraiment en train d'errer dans la nature, en pleine rechute, alors la journée promettait d'être longue.
L'aube venait à peine de déployer ses couleurs pastel et la rosée s'accrochait encore aux feuilles des arbres entourant le palais. A l'ouest, un bleu profond teignait le ciel, pour quelques minutes encore, tandis qu'à l'est, des nuages roses et bleus auréolés d'un liseré d'or ponctuaient l'horizon. L'agréable fraîcheur matinale que Ty Lee sentait sur ses joues rendrait l'atmosphère respirable pour les deux prochaines heures encore. Puis, ce serait à nouveau la fournaise d'un mois de juillet caniculaire dans la Nation du Feu.
Ty Lee aimait son pays mais le climat marin plus doux et plus tempéré de l'île de Kyoshi lui manquait. Elle aurait pu se réjouir à l'idée de prendre la mer, dès le lendemain, pour retrouver ses camarades, mais le sentiment d'amertume l'emportait sur tout le reste. La certitude d'abandonner Azula au pire moment l'empêchait de se réjouir.
Azula n'avait pas paru se soucier d'elle ces derniers jours et n'insistait plus pour la retenir.
Mais Ty Lee savait que c'était quand elle paraissait plus forte que la princesse était le plus vulnérable.
Elle n'avait pas eu le temps, ni le courage de la voir depuis son horrible discussion avec Hikaru, la veille, dans la taverne. Qu'aurait-elle pu lui dire ?
Je sais ce que tu as fait. Tu as défiguré un homme. Tu es folle, tu es un monstre.
Elle n'avait pas voulu voir Kojiro, même après qu'Hikaru le lui eut suggéré. Sa description avait suffi. Quand elle avait retrouvé l'usage de la parole, Ty Lee lui avait demandé s'il savait ce qui s'était passé. Azula n'avait pas pu l'attaquer sans raison, pas vrai ? D'après Hikaru, Kojiro était resté inconscient la plupart du temps depuis son agression, abruti par le choc, la douleur insensée et les sédatifs. De nombreux témoins affirmaient avoir vu Azula assise à califourchon sur Kojiro, s'acharnant sur son visage, hurlant des paroles insensées, clamant d'une voix stridente : « Pour le Seigneur du Feu ! Pour le Seigneur du Feu ! »
L'avait-elle fait pour Zuko ? Kojiro avait-il eu l'imprudence de le critiquer devant Azula, ou de rire, une nouvelle fois, des rumeurs qui circulaient au sujet d'une prétendue relation incestueuse entre le Seigneur du Feu et sa sœur ? Azula était-elle suffisamment instable psychologiquement et assez follement éprise de Zuko pour réagir d'une manière aussi disproportionnée ?
Apparemment, Zuko n'en savait pas davantage et ce n'était pas pour lui demander des explications qu'il l'avait convoquée la veille, dans la matinée.
Intimidant et majestueux sur son trône, assis derrière la fournaise des flammes qu'il avait générées autour de lui, il avait lancé un regard dur à Ty Lee, quand elle s'était prosternée devant le rideau de feu qui les séparait.
Elle avait été incapable de se défendre ou de justifier ses actes quand il lui avait vertement reproché sa conduite irresponsable. Que lui avait-il pris d'emmener la princesse dans les rues de la Capitale ? De lui présenter des inconnus ? Elle avait mis la vie et l'honneur d'Azula en danger. C'était une faute impardonnable.
« Je pourrais te faire enfermer pour haute-trahison, lui avait-il annoncé. Je serai clément, en reconnaissance de tes efforts pour aider Azula. Mais je ne veux plus te voir auprès d'elle. Tu as une mauvaise influence sur elle. C'est une princesse, et le fait que tu aies renoncé à ta vertu et à ton propre honneur ne t'autorise pas à en priver Azula. Tu rentres sur ton île dès demain. J'ai donné des ordres. Ton bateau partira à midi. Je ne veux pas que tu revoies ma sœur avant ton départ. »
Là, Ty Lee avait voulu protester. Azula ne comprendrait pas si elle partait comme ça, sans un mot pour elle. Elle serait sûrement folle de rage ! Mais Zuko était resté intraitable.
Pouvait-elle au moins dire un mot à Mai ?
Non.
La tête basse, Ty Lee était sortie de la salle du trône et avait quitté le palais. Elle avait passé une partie de sa journée à marcher le long des côtes et avait trouvé refuge dans une petite crique déserte où elle venait jouer petite avec ses sœurs. Elle croyait se souvenir y être venue une fois avec Azula, Zuko et la Princesse Ursa. Ou peut-être était-ce une autre plage ? Ce jour là, Azula lui avait fait une démonstration de maîtrise du feu et Ty Lee se rappelait encore le sentiment de jalousie qui lui avait étreint le cœur alors qu'elle contemplait les flammes orange que son amie faisait apparaître de nulle part, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
« Si tu me montres comment tu marches sur tes mains, avait dit la princesse, je te montre comment faire ! »
Mais malgré tous ses efforts et toute sa concentration, Ty Lee n'était même pas parvenue à générer la plus petite étincelle. Azula en avait ri et quand Ty Lee était revenue, en larmes, auprès d'Ursa, cette dernière avait réprimandé Azula :
« Ce n'est pas bien de se vanter après des autres, Azula. » Puis, se tournant vers Ty Lee, elle avait essuyé ses larmes et elle lui avait expliqué que certaines personnes naissaient avec des dons et d'autres non. Elle-même ne maîtrisait aucun élément mais cela ne l'avait pas empêchée de devenir princesse, avait-elle ajouté avec un sourire.
Ty Lee aimait beaucoup la princesse Ursa et se demandait souvent ce qui avait pu pousser une mère aussi aimante à abandonner ses enfants du jour au lendemain.
Depuis, Ty Lee avait appris à accepter qu'elle ne serait jamais un maître du feu. Et cela ne la chagrinait plus. Azula était peut-être chanceuse d'être née avec un tel don. Mais ce talent à maîtriser les flammes ne la prédisposait pas au bonheur. Sa triste existence en était la preuve.
Aujourd'hui, Azula n'était plus que l'ombre de la petite fille espiègle et de l'adolescente orgueuilleuse qu'elle avait connue. Les épreuves, les échecs, les désillusions et la maladie l'avaient meurtrie. Et après ce qu'elle avait fait à ce pauvre Kojiro, après cette immonde comédie avec Zuko, Ty Lee n'était pas certaine de trouver en elle la force de la soutenir encore. Elle avait voulu aider Azula, sincèrement mais elle avait échoué. Elle doutait maintenant que ce fût seulement possible. On ne pouvait pas aider une personne comme Azula. Elle ne pouvait plus rien pour son amie.
Et Mai qu'elle n'avait pas vue en privé plus de deux fois depuis son retour. Mai qui la regardait avec mépris et ne lui parlait plus que sur un ton glacial...
Oui, mieux valait retourner sur son île. C'est là qu'était sa vie, avec les autres filles. C'était infiniment plus facile d'être l'amie d'une personne comme Suki.
Justement, alors qu'elle pensait à elle, la jeune guerrière fit son apparition dans la cour d'entraînement, souriante malgré les cernes sous ses yeux et son teint un peu pâle, dépourvue du maquillage rituel qu'elles arboraient dans l'exercice de leurs fonctions.
« Déjà debout ? lança-t-elle en guise de bonjour à Ty Lee qui ruminait ses sombres pensées assise sur les gradins. Je croyais que c'était une propriété des maîtres du feu de se réveiller à l'aube ! »
Elle s'étira. Le mouvement souleva l'ourlet inférieur de sa tunique et révéla la douce courbe de son ventre et Ty Lee sourit.
« Des nausées matinales ?
– Comment as-tu deviné ? soupira Suki en la rejoignant sur les gradins, les yeux levés vers le ciel. La sage-femme me dit que ça devrait déjà être fini, à presque cinq mois. Quand ce ne sont pas les nausées qui me tirent du lit, ce sont les insomnies ou les problèmes de vessie ! Mais elle affirme aussi que c'est sans doute parce que c'est un puissant guerrier ! », ajouta-t-elle avec un sourire attendri, une main posée sur son ventre.
– Je suis tellement impatiente de connaître ton bébé ! renchérit Ty Lee sur un ton enthousiaste. J'espère que ce sera une fille ! Elle pourra rejoindre notre groupe !
– Sokka espère un garçon pour l'emmener chasser dans les steppes gelées du Sud, répondit Suki en levant encore les yeux au ciel. Comme si une fille ne pouvait pas faire ça ! Mais en vrai, je pense surtout qu'il a peur d'être cerné par une bande de guerrières Kyoshi ! »
Elles échangèrent un sourire et se turent, savourant ce moment de calme et la fraîcheur matinale avant la chaleur accablante de la journée. A cette heure, les soucis semblaient moins concrets, presque irréels. La lueur rosée de l'aube et la frange dorée qui traçait le contour des nuages vaporeux offraient un spectacle apaisant.
Suki rompit le silence, au grand regret de Ty Lee qui aurait aimé que ce moment de calme et de sérénité se prolonge.
« Alors, tu pars aujourd'hui ?
– Oui, à midi. Zuko a fait préparer mes affaires… Je prends le premier bateau qui part pour Kyoshi. »
Les yeux mauves de Suki s'assombrirent et prirent une teinte indigo. Sa voix descendit d'une octave quand elle parla :
« Je le trouve profondément injuste. Après tout ce que tu as fait pour Azula…
– Je le comprends. Il s'inquiète pour sa sœur. Mais je suis triste de devoir partir comme ça… Je n'avais pas imaginé que ça finirait aussi mal. »
Ty Lee avait parlé avec Suki, la veille, de son entrevue avec Zuko. Elle et Sokka s'étaient longuement indignés de la décision du Seigneur du Feu mais elle avait refusé toutes leurs propositions d'intervenir auprès de lui.
« Tu as pu voir Azula, malgré tout ? demanda Suki.
– Non, répondit Ty Lee dont les yeux s'embuèrent de larmes. J'aurais juste voulu lui expliquer...pour qu'elle ne croie pas que je l'abandonne encore. D'ailleurs... »
Elle se releva et tira de la poche intérieure de sa tunique une enveloppe un peu chiffonnée qu'elle tendit à Suki.
« Est-ce que tu pourras lui donner ça, quand tu la verras ? S'il-te-plaît ? Je sais que je te demande beaucoup et que tu n'aimes pas Azula mais c'est important pour moi... »
Elle lança à Suki l'un de ces regards suppliants dont elle avait le secret et la jeune guerrière ne put pas faire autrement que lui sourire :
« Bien sûr, donne-moi ça, dit-elle en lui tendant la main.
– Merci... Tu sais, si j'avais su que les choses se passeraient ainsi, je... »
Mais elle s'interrompit.
Était-ce un tour de son imagination ? Ou bien une illusion due au scintillement du soleil levant qui se reflétait sur les vitres du palais ? Ty Lee aurait juré avoir aperçu un éclair fugace. Elle fit un pas en avant et plissa les yeux pour mieux voir, quand Suki se jeta soudain sur elle et la plaqua au sol.
« TY LEE, ATTENTION ! »
Elle eut la vision fugitive d'un éclair bleu qui zébrait le ciel, d'une forme pourpre indistincte et d'un rideau de cheveux noirs, puis fut contrainte de fermer les yeux pour ne pas être aveuglée par le torrent de flammes azur éblouissantes qui acheva sa course juste à l'endroit où elle s'était trouvée une seconde plus tôt.
Un bruit d'explosion retentit près d'elle et ses oreilles sifflèrent un moment. Ty Lee crut entendre au loin la voix de Suki qui lui criait quelque chose et elle sentit une main la secouer sans ménagement.
« Lève-toi Ty Lee ! On ne peut pas rester là, elle va nous tuer ! Vite ! »
Elle ?
Ty Lee s'obligea à ouvrir les yeux et se redressa sur son séant. Le spectacle qu'elle découvrit la laissa sans voix.
Comment le paysage si paisible qu'elle contemplait une minute plus tôt avec Suki avait-il pu se muer en un tel enfer ?
Elles étaient cernées de flammes bleues plus hautes qu'elles. Il n'y avait pas d'issue.
« Ty Lee ! Prends appui sur mes mains ! hurla Suki, à côté d'elle.
Ty Lee comprit ce qu'elle voulait mais elle refusait de laisser Suki seule dans ce cercle de feu.
« Non ! Je ne te laisse pas ici !
– Le feu va s'éteindre de lui-même ! Il n'y a rien pour lui permettre de se répandre, et j'ai assez d'espace pour respirer jusque là ! Fais ce que je te dis, c'est un ordre. Il faut qu'on l'arrête ! »
Ty Lee prit une profonde inspiration et, pleine d'une détermination farouche, elle recula pour prendre son élan. Elle courut jusqu'à Suki dont les mains étaient jointes en coupe, sauta, prit appui sur les paumes ouvertes de son amie et exécuta un salto avant impressionnant qui la propulsa au-dessus du mur de flammes. Elle atterrit sur le sol poussiéreux de la cour d'entraînement, de l'autre côté du mur et se trouva face à Azula.
Son amie était méconnaissable. Vêtue d'une tunique pourpre froissée, les cheveux défaits et terriblement emmêlés, des traces de khôl noir barbouillant ses joues, elle se tenait devant Ty Lee. Son buste se soulevait à un rythme anormal. Son visage était tordu dans une grimace de haine pure, ses dents blanches serrées les unes contre les autres entre ses lèvres écarlates. Dans ses yeux d'ambre dansait une lueur démente que Ty Lee n'avait pas vue depuis longtemps.
« Azula ! Qu'est-ce qui te prend ? » cria-t-elle en s'avançant vers elle.
Mais un éclair lumineux, dirigé vers ses pieds l'obligea à esquiver par une roulade sur le côté.
La princesse poussa un hurlement de rage et fit apparaître une lance de feu dans sa main. Elle s'avança vers Ty Lee, qui crut voir la mort danser dans ses yeux.
Ty Lee était toujours au sol, trop bouleversée pour réagir. Azula s'approcha encore et quand elle fut au-dessus de Ty Lee, elle brandit son arme.
« Azula ! Arrête ! C'est moi, Ty Lee ! Azula, tu me reconnais, non ?
– Tout ce que je vois c'est une traîtresse ! Une sale petite traîtresse ! Vous aviez raison Père ! Elle m'a menti tout ce temps ! Elle mérite son châtiment ! »
Par réflexe, Ty Lee jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule d'Azula, s'attendant presque à voir se dessiner derrière elle la haute silhouette et le visage sévère d'Ozai penché au-dessus d'elle pour lui murmurer ses ordres à l'oreille.
« Tu disais que tu étais mon amie ! Je te faisais confiance ! hurla Azula, la voix brisée par la colère et le chagrin. Mais tout ce temps, tu complotais avec elles ! Depuis ma naissance vous faîtes tout pour me détruire ! »
Derrière Azula, un nouveau mur de feu fit son apparition et Ty Lee, pour la première fois de sa vie, sut ce qu'était vraiment la terreur. Environnée de flammes bleues qui dévoraient le ciel, sa lance enflammée dans la main, Azula était terrible. Une pensée traversa soudain l'esprit de Ty Lee, épouvantable, terrifiante.
Et si elle me brûle le visage ? Si elle me défigure comme ce pauvre Kojiro ?
A cet instant, Azula se jeta brusquement sur Ty Lee avec un rugissement de fureur. La jeune acrobate parvint heureusement à rouler sur le côté et la lance atterrit à quelques centimètres de son visage. Cela laissa le temps à Ty Lee de bondir sur ses pieds et de se mettre en position de combat.
« Qu'est-ce que tu comptes faire sans tes petits éventails ? Tu crois pouvoir me repousser ? Tu n'as aucune chance contre moi ! »
Azula s'était tournée vers elle. Elle avait fait disparaître la lance de feu et Ty Lee pouvait maintenant voir l'électricité se former autour de ses poings.
– Azula, je t'en prie ! C'est moi, c'est Ty Lee ! Je t'aime, tu le sais !
– Menteuse ! hurla Azula, d'une voix stridente. MENTEUSE ! Je sais ce que tu as fait ! Tu as tout dit à Mai ! Et à Zuko ! Depuis le début tu complotes pour me séparer de lui ! Tu veux me le voler, c'est ça ? Vous voulez tous me le voler !
– Azula ! cria Ty Lee, essoufflée, une main en avant pour l'empêcher d'avancer, l'autre appuyée sur son point de côté. Je ne comprends pas de quoi tu parles !
– MENTEUSE ! » répéta Azula. Et comme elle hurlait ce mot, un jet de flamme s'échappa de sa bouche. Ty Lee supposa que c'était involontaire car le feu mourut rapidement, dès qu'il eut touché le sol, à bonne distance de Ty Lee.
La silhouette de la princesse était maintenant tout environnée d'éclairs qui crépitaient autour d'elle, impatients d'être dirigés vers leur cible. Sentant sa dernière heure arriver, privée de toute possibilité de retraite, Ty Lee ferma les yeux.
Mais la douleur à laquelle elle s'était attendue ne vint pas. Derrière ses paupières étroitement closes, Ty Lee entendit l'impact d'un corps qui tombe sur le sol et une exclamation de douleur et de surprise indignée.
Elle ouvrit les yeux pour découvrir Suki qui avait réussi à s'extraire du cercle de feu où Azula les avait emprisonnées. Elle s'était jetée sur Azula que la violence du coup avait projetée contre le sol.
Suki se rua vers Ty Lee pour lui demander comment elle allait. La princesse en profita pour se relever. Le mur de feu derrière Ty Lee commençait à décroître et les deux guerrières Kyoshi, après un regard entendu, bondirent par-dessus les flammes et elles partirent toutes deux en courant dans des directions opposées, pour fuir les attaques sauvages et imprévisibles d'Azula qui faisait surgir flammes et éclairs et frappait au hasard.
Ty Lee parvint à se cacher derrière un pilier dans la galerie qui bordait la cour et en profita pour reprendre son souffle. Sa gorge était extraordinairement sèche et son cœur palpitait furieusement dans sa poitrine, comme s'il cherchait à s'enfuir.
« Inutile de vous cacher, petites garces ! Je vous aurai toutes les deux ! » hurlait Azula au milieu de la cour.
Où était Suki ? Il fallait qu'elle s'assure que son amie avait pu se cacher elle aussi. Des larmes plein les yeux, Ty Lee laissa éclater un sanglot et s'efforça de reprendre son calme. Mais à ce moment, un cri perçant attira son attention, lui glaçant les entrailles. Elle se retourna et vit Suki, au sol, à la merci d'Azula qui s'approchait d'elle, l'air menaçant.
Il fallait qu'elle l'arrête. Il fallait qu'elle bloque son chi avant qu'Azula ait le temps de générer un éclair fatal. Suki levait ses grands yeux mauves suppliants vers la princesse.
« Azula, implora-t-elle d'une petite voix effrayée, je t'en prie… Mon bébé... »
Les yeux fous d'Azula glissèrent alors du visage de Suki vers son abdomen, puis à nouveau vers son visage. Un rictus cruel étira ses lèvres rouges et Ty Lee, saisie d'effroi, sut ce qui aller se passer.
Elle n'arriverait pas à temps. Son cœur se contracta violemment dans sa poitrine quand elle vit le regard épouvanté de Suki qui arrivait visiblement aux mêmes conclusions. La jeune femme ferma les yeux et étreignit son ventre dans une tentative désespérée pour protéger la petite vie qui se trouvait à l'intérieur.
Tout sembla se passer au ralenti : Azula tendit deux doigts vers le ventre légèrement rebondi de Suki et Ty Lee eut le temps d'entrevoir les éclairs qui s'entrelaçaient autour de ses poignets, minuscules serpents lumineux qui rampèrent en crépitant vers le bout de ses doigts.
Ty Lee plongea pour plaquer Azula au sol mais dans son empressement, elle avait bondi trop tôt et atterrit lourdement sur le ventre à au moins un mètre de la princesse.
« Non, Azula, non ! la supplia-t-elle. Ne fais pas ça ! » la supplia-t-elle en rampant vers elle.
Azula libéra sa formidable énergie. Un craquement sinistre fendit l'air et Ty Lee ferma les yeux pour ne pas voir.
Ce furent des hurlements et une agitation particulière qui la poussèrent à les rouvrir. Elle releva la tête, terrorisée à l'idée de l'affreux spectacle qu'elle allait découvrir et, stupéfaite, vit Suki, bien vivante mais tremblant de tout son corps, toujours assise sur le sol, la main levée devant elle dans une tentative désespérée pour se protéger. Juste à côté d'elle, un trou encore fumant creusait et noircissait le sol en terre battue, là où était tombée la foudre, à seulement quelques centimètres de sa cible.
Azula ne manquait jamais sa cible. Abasourdie, Ty Lee tourna la tête dans la direction d'où provenaient les cris de rage.
Azula était debout, derrière un mur de pierre surgi de nulle part, dans un équilibre précaire, ses deux pieds entravés jusqu'au genoux par deux monticules de terre qui la retenaient prisonnière.
Avec un sanglot de soulagement, Ty Lee, toujours à plat ventre contre le sol, vit Toph et Katara surgir devant elle. Katara contourna le rocher pour aider une Suki bouleversée à se relever tandis que Toph, les deux pieds fermement campés dans le sol, lançait ses mains en avant, en parfaite osmose avec son élément : tout autour d'elle, de grosses pierres tournoyaient, prêtes à être dirigées vers son adversaire.
Azula avait visiblement manqué tomber quand ses chevilles s'étaient soudain trouvées prisonnières, mais elle retrouva vite son équilibre et déjà, deux disques de feu tournoyaient dangereusement autour de ses mains, prêts à frapper son adversaire.
« Toph ! hurla Ty Lee pour l'avertir du danger.
À cet instant, une immense vague jaillit de nulle part et déferla sur le sol, à l'endroit où se trouvait la princesse. Les deux disques de flammes disparurent et Azula fur projetée en arrière, sur le dos, son corps subissant une étrange torsion à cause des entraves rocheuses qui retenaient toujours ses jambes.
Ty Lee tourna la tête vers la gauche : Katara se tenait un peu plus loin, dans une posture de combat, l'air déterminé, prête pour une nouvelle attaque.
Ty Lee en profita pour se relever et courut vers la princesse qui toussait et crachait de l'eau, ses cheveux trempés collés sur son visage.
Elle arriva à sa hauteur et quand ses yeux couleurs de brume croisèrent le regard dément d'Azula, elle eut l'impression qu'on lui avait planté un poignard dans le cœur.
Son amie était partie.
Il n'y avait plus trace de la jeune femme blessée qui s'était jetée dans ses bras quelques semaines auparavant pour chercher du réconfort ni de l'amie qui avait serré sa main au bord du canal en regardant les lanternes lumineuses s'élever dans le ciel estival. Plus rien de la fille qui avait accepté de peindre les lampions des petits morveux de la Capitale ce même soir…
Seulement une furie déchaînée, une bête sauvage…
Un dragon… dragon azur mortel et magnifique dont on avait coupé les ailes.
Des larmes plein les yeux, penchée au-dessus de son amie, Ty Lee se prépara. Elle s'était promis de ne plus jamais en arriver à cette extrémité. Mais Azula ne lui laissait pas le choix.
Sa voix se brisa sous le poids du chagrin quand elle murmura ces mots :
« Je suis désolée Azula. Je t'aime. »
Azula ferma les yeux et Ty Lee vit deux grosses larmes se former à la bordure de ses paupières, comme si elle comprenait. Puis, la main experte de Ty Lee frappa les points d'acupuncture qui bloquerait temporairement le chi de la princesse, la paralysant pour les prochaines heures.
Dès que ce fut fini, elle détourna les yeux pour ne pas voir le regard accusateur que la princesse dardait sur elle. Les autres accoururent vers elles et Ty Lee se leva et recula de quelques pas pour les laisser s'occuper d'Azula qui se mit à leur hurler des insultes et leur ordonnait de la laisser tranquille.
Le sentiment d'épouvante qu'on pouvait percevoir dans sa voix stridente donna à Ty Lee l'impression qu'on lui broyait le cœur et elle s'effondra sur le sol, quelques mètres plus loin, plongeant son visage dans ses mains, tout le corps secoué de violents tremblements.
« Que se passe-t-il ici ? » cria une voix sur sa droite.
A côté d'elle, un homme passa en courant, soulevant un nuage de poussière.
Ty Lee releva la tête et vit le Général Kadao qui se précipitait vers le petit groupe de filles, l'air paniqué. Elle avait l'impression que tout cela ne la concernait que de très loin et elle sursauta de surprise quand deux mains se refermèrent doucement sur ses épaules.
« Allez, c'est fini, murmura la voix grave et bienveillante de Mai à son oreille. Viens avec vais te ramener à l'intérieur. Tu as fait ce qu'il fallait.»
Ty Lee décida de se laisser guider, trop bouleversée pour protester. Elle accepta la main secourable que lui tendait son amie et se redressa.
Mai l'entraîna loin de la cour d'où s'élevaient les longs sanglots rauques et déchirants de la princesse qui gisait toujours sur le sol poussiéreux et essayait vainement de se débattre d'après ce que Ty Lee pouvait entendre.
Il lui sembla que le son de ses pleurs se répercutait en écho contre les colonnes de marbre et elle les entendit résonner encore longtemps dans ses oreilles, bien après qu'Azula se fut tue et qu'on l'eut transportée en lieu sûr, là où elle ne pourrait plus blesser personne.
« LAISSEZ-MOI PASSER !, hurla une voix de l'autre côté de la porte blindée qui donnait accès au long corridor desservant les cachots. Ouvrez-moi, je vais la tuer ! Je vais la tuer de mes propres mains cette cinglée ! »
Zuko, qui hésitait depuis un moment devant la porte de l'une des cellules souterraines, sursauta et se détourna vivement en entendant les éclats de voix. Il lui fallut quelques secondes pour identifier son propriétaire. Jamais il n'aurait imaginé qu'une telle rage, une haine aussi féroce pussent émaner de Sokka. Son ami avait toujours été l'âme et la vie du groupe. Il était celui qui par son humour et son optimisme apaisait les tensions, réglait les conflits et leur redonnait espoir dans les moments les plus sombres.
Il y eut une grande agitation de l'autre côté et Zuko devina que les gardes étaient en train de contenir Sokka. Les voix de Katara et de Toph s'élevèrent aussi, tentant apparemment de le raisonner.
« Lâchez-moi ! Je vais la tuer, je vous dis ! Elle a voulu tuer ma femme et mon bébé ! »
Le cœur de Zuko se contracta douloureusement dans sa poitrine et il en oublia presque les cris de bête sauvage qui provenaient de la cellule capitonnée où l'on avait enfermé Azula et devant laquelle il se tenait.
Zuko se sentit soudain très vieux et très fatigué. Il aurait simplement voulu fuir toute cette agitation, se coucher là, en boule sur le sol en pierre des cachots, et dormir, dormir… jusqu'à ce que l'on vienne le réveiller en lui assurant que tout cela n'était qu'un horrible cauchemar, qu'Azula allait bien et qu'elle l'attendait dans le jardin pour leur promenade quotidienne.
Elle l'accueillerait, avec ce sourire un peu narquois qui le troublait autant qu'il le charmait et roucoulerait des reproches pour l'avoir fait attendre. Après seulement quelques pas, elle glisserait furtivement son bras sous celui de Zuko et s'y tiendrait sans un mot, les joues légèrement roses. Elle l'écouterait patiemment se plaindre de ses ministres et des visiteurs venus lui faire leurs doléances. Elle rirait peut-être et lui prodiguerait ses précieux conseils tout en le taquinant sur ses compétences de dirigeant. Peut-être rétorquerait-il quelque chose de désagréable et elle affecterait d'être vexée. Ils marcheraient ensuite en silence côte-à-côte et Zuko l'aurait tirée de sa bouderie en la poussant légèrement du coude, ou, s'il se sentait d'humeur galante, en se penchant pour cueillir quelques lys de feu qu'elle aurait acceptés d'un air dédaigneux.
C'était le petit jeu un peu puéril auquel il acceptait de se soumettre pour lui faire plaisir. Une façon comme une autre de communiquer avec Azula. Et tant pis pour ceux à qui cela déplaisait.
Un nouveau coup violent résonna contre la porte métallique, juste derrière lui, et tira Zuko de sa rêverie. Le souvenir précieux de ces instants évanouis se brisa, comme si on avait lancé un rocher contre un mur de verre. La réalité le rattrapa et il fut à nouveau là, tout seul, dans ce couloir sinistre, éclairé par quelques torches, contraint d'assister à la déchéance mentale de sa petite sœur, de subir le courroux de son meilleur ami, de reconnaître l'ampleur du désastre où tout ceci l'avait conduit.
D'un côté, son ami, métamorphosé par la rage ; de l'autre, sa sœur, folle à lier qui se jetait contre la porte de sa cellule et vociférait menaces et injures. Plus que tout il craignait qu'elle se blesse et ne pouvait que se féliciter d'avoir fait capitonner cette cellule quelques semaines avant le retour d'Azula, en prévision d'éventuelles épisodes de démence. Ils n'y avaient jamais eu recours auparavant. En effet, même les crises les plus spectaculaires qui avaient terrassé Azula dans les mois suivant son retour de l'asile faisaient pâle figure aujourd'hui. La pauvre créature qui poussait des hurlements de bête de l'autre côté de la porte n'avait plus de rien de l'élégante jeune femme posée à l'intelligence subtile qu'il avait appris à aimer.
Avant d'être interrompu par l'esclandre de Sokka, Zuko avait écouté, le cœur brisé, la lutte poignante que menait sa petite sœur contre les liens physiques et psychiques qui la retenaient. Elle était de nouveau capable de bouger d'après les coups sourds frappés contre la porte mais le blocage du chi entravait encore sa maîtrise du feu et il avait été contraint de supporter avec une pitié grandissante les lamentations d'Azula qui ne parvenait plus à créer ne serait-ce que la plus petite étincelle. Il l'imaginait se cognant contre les murs, se jetant au sol, se contorsionnant dans des positions grotesques pour se libérer des bracelets de métal qui retenaient ses poignets dans son dos. Zuko songea qu'elle aurait pu s'épargner toute cette peine : ces menottes avaient été forgées par Toph elle-même et seule une chaleur torride pouvait venir à bout de ce puissant alliage. Il n'était pas certain qu'Azula elle-même en fût capable.
Comme le calme semblait être revenu temporairement du côté de Sokka, Zuko en profita pour jeter un œil à ce que faisait Azula. Il tira sur la clenche qui ouvrait la trappe rectangulaire percée dans la porte, à hauteur d'homme. Il lui fallut un peu de temps pour la repérer dans les ténèbres de sa petite cellule capitonnée. Il se décala un peu pour laisser passer la lumière des torches derrière lui et la vit enfin, la petite silhouette recroquevillée dans un coin de sa cellule. Elle sanglotait. Un rideau de cheveux noirs lui cachait son visage.
« Arrête Sokka ! Qu'est-ce que tu fais ? »
C'était la voix paniquée de Katara qui avait surgi à l'autre extrémité du couloir. Et avant que Zuko n'ait eu le temps de se demander ce qui se passait, une violente secousse ébranla la porte métallique dans un fracas retentissant. Les voix indignées des gardes retentirent et il y eut un grand tumulte, les bruits d'une bagarre.
« Qu'est-ce qui se passe ici ? cria Zuko, à bout de nerfs, en quittant son poste d'observation pour se diriger vers l'origine du vacarme.
« Zuzu ? appela soudain une petite voix paniquée derrière lui. Zuzu, est-ce que c'est toi ?
Zuko sursauta et s'arrêta net. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle soit suffisamment lucide pour remarquer sa présence, ni même se rappeler son existence. Elle n'avait même pas réagi quand il avait ouvert la trappe.
Il se retourna aussitôt et revint sur ses pas. Elle était déjà là, debout, contre la porte. Ses grands yeux mordorés, agrandis par la terreur, semblaient le supplier.
« Azula ? »
– Zuzu ! Sors-moi de là ! Je ne sais pas ce que je fais là ! J'ai peur, Zuzu ! » implorait-elle.
Il n'aurait pas ressenti une douleur plus vive si elle lui avait arraché le cœur et l'avait déchiqueté avec ses ongles pointus. Luttant contre le désir urgent d'ouvrir la porte et de se précipiter auprès d'elle pour la rassurer, il plaqua les deux mains contre le panneau métallique, ferma les yeux et lui parla.
« Je suis là Zula. N'aie pas peur. »
BANG !
Un autre coup frappé contre la porte, à l'autre bout du couloir, força Zuko à se retourner. Cette fois, il la vit sortir de ses gonds. Abandonnant momentanément Azula qui l'appelait en pleurant, il courut dans la direction du tapage. Il s'arrêta juste à temps pour ne pas se prendre de plein fouet le lourd panneau en métal qui s'ouvrit en grand juste devant lui.
Il n'eut qu'une vision fugitive de la scène de chaos de l'autre côté : les deux gardes au sol, Katara en pleurs qui tentait vainement de retenir son frère par le bras et Toph qui s'interposa immédiatement entre le jeune guerrier et Zuko.
« Arrête Sokka ! Ça ne sert à rien ! Suki va bien maintenant !
– Je m'en fous ! Il faut que quelqu'un s'occupe d'elle, une bonne fois pour toutes ! Et si lui ne le fais pas, je m'en chargerai ! »
Jamais Zuko n'avait vu Sokka dans cet état. Une rage folle déformait ses traits d'habitude sympathiques et sur ses mains resserrées en poings, et ses épaules dénudées, on voyait saillir toutes ses veines. Ses yeux bleus, assombris par la colère, étaient devenus noirs comme le charbon et Zuko ne put s'empêcher de faire un pas en arrière.
« Où est-elle ? demanda Sokka, en faisant un pas vers Zuko, l'air menaçant.
Malgré la profonde amitié qui les liait, Zuko n'avait jamais considéré Sokka comme un adversaire sérieux. Pas pour un maître de son envergure. Pourtant, quelque chose dans son regard, dans sa voix, lui donna envie de se recroqueviller sur le sol et de lui demander pardon. Pardon pour ce qu'Azula avait fait.
On lui avait tout raconté. Il avait écouté, assis le cœur battant, dans le petit salon, le témoignage déchirant de Ty Lee, inconsolable, qui lui expliquait comment, alors qu'elle discutait tranquillement dans la cour avec Suki, Azula avait surgi de nulle part et les avait sauvagement attaquées. Comment elle les avait poursuivies, les paroles insensées qu'elle leur avait adressées. Comment elle avait fini par tenir Suki à sa merci et comment elle avait visé son ventre avant de libérer la foudre meurtrière, trop longtemps contenue en elle. A un moment du récit, il avait ressenti une vive pression à l'arrière de la tête et il fut certain que son cœur avait cessé de battre pendant quelques secondes.
Assise dans un fauteuil, face à lui, Taïma semblait partager sa consternation et sa peine. Elle était restée muette, tout le temps du témoignage de Ty Lee.
Zuko avait jeté un regard désespéré en direction de Mai qui tenait Ty Lee par l'épaule. L'expression sur son visage était plus indéchiffrable encore que d'habitude. Elle ne semblait ni triste, ni heureuse, ni choquée.
« Où est-elle ? Où est Azula ? avait-il demandé.
– Kadao et les autres l'ont conduite dans les cachots, répondit sa femme, dans la cellule capitonnée que tu as fait aménager pour elle lors de son retour. »
Zuko l'avait-il seulement imaginé ou bien une note de reproche perçait-elle dans sa voix monocorde ? Pas seulement du reproche… Mais aussi un certain contentement qui l'irrita profondément. Une sorte de « je te l'avais bien dit » satisfait qui lui donna envie, pour la première fois de toute sa vie, de frapper Mai au visage.
Au lieu de cela, il demanda à sa femme d'emmener Ty Lee jusqu'à sa chambre où elle pourrait se reposer. Elle pourrait rester au palais une journée de plus, le temps de se remettre de ses émotions. Mai s'exécuta et lui lança un étrange regard en partant. Zuko resta stoïque et refusa de lever les yeux vers elle.
Zuko était ensuite resté seul avec Taïma et ils avaient parlé. Longtemps. C'était peut-être la conversation la plus triste qu'il ait eu de toute sa vie. Il était en larmes quand il quitta la guérisseuse pour se rendre dans les cachots, l'objet qu'elle lui avait donné dissimulé dans la poche de sa veste.
Zuko faisait maintenant face à Sokka. Une main tendue devant lui pour le dissuader d'avancer encore, il essaya de rassembler ses pensées pour trouver quelque chose de pertinent à dire mais son cerveau était comme englué, incapable de formuler des pensées cohérentes. Sokka continuait de le toiser de toute sa hauteur, une expression de haine farouche déformant son visage cuivré.
« Zuzu ! » appela Azula au loin de sa voix suppliante.
La colère sur le visage de Sokka devint fureur et son regard océan croisa brièvement celui, doré, de Zuko et tout se passa très vite.
Ils furent sur le sol en un instant, se roulant l'un sur l'autre – comme se battent les paysans aurait dit Azula.
« Ne t'approche pas d'elle ! s'époumona Zuko, assis sur Sokka, un poing brandi au-dessus de son visage.
Mais le jeune guerrier ne se laissa pas impressionner. Il poussa Zuko à l'aide de ses jambes et l'envoya au loin. Il se releva très vite et un éclair argenté fendit l'air autour d'eux. Sokka tenait maintenant son sabre tranchant entre ses deux mains et regardait Zuko avec une expression meurtrière. Zuko, toujours au sol, respirait difficilement. Il ne lui vint pas à l'esprit une seule seconde d'utiliser sa maîtrise pour se défendre.
Mais Toph et Katara durent penser différemment car elles s'interposèrent immédiatement entre les deux hommes, dos à dos, dans une posture de combat.
« Sokka, dit Katara, je sais que ce qu'a fait Azula est impardonnable. Mais on ne peut pas se battre maintenant.
– Cette cinglée a voulu tuer ma femme et mon enfant ! tempêta Sokka, écumant de rage. Et cet enfoiré continue de la protéger ! »
Puis se tournant vers Zuko, il aboya : « Je croyais que tu avais choisi ton camp il y a cinq ans, quand tu nous as rejoints !
– Je l'ai fait ! protesta vivement Zuko, piqué au vif. Comment peux-tu dire…
– Alors pourquoi est-elle encore là ? » demanda Sokka qui fit un pas sur le côté pour regarder Zuko que le corps de Katara, devant lui, lui dissimulait en partie. Il désigna d'un geste du menton la porte de la cellule contre laquelle Azula avait recommencé à se jeter en poussant des cris d'animal blessé.
« Tu aurais dû la tuer quand il en était encore temps, poursuivit Sokka d'une voix rauque en baissant les yeux vers sa sœur. Le jour de l'Agni Kai, tu n'aurais pas dû l'épargner. Le monde se porterait mieux sans elle. »
La rage afflua si violemment en Zuko qu'il eut peur, un moment, de prendre feu. Il sentit sa flamme intérieure s'embraser et devenir incendie. De la fumée sortit de ses narines et des coins de sa bouche. Au bout de ses doigts, un courant électrique passa mais il était trop furieux pour s'en étonner ou s'en émerveiller.
« Tu vas retirer ce que tu viens de dire. Immédiatement. »
Il fut surpris d'avoir parlé aussi calmement. Son cœur cognait si fort contre ses côtes qu'il lui paraissait extraordinaire qu'il se trouve encore dans sa poitrine. Quelque chose palpitait dans la région de sa pomme d'Adam.
Plus tard, Zuko supposa que c'étaient sans doute ces signes qui avaient alerté Toph et qui la poussèrent à agir.
Zuko avait déjà pointé deux doigts en direction de Sokka et, saisi d'un incroyable sentiment de puissance, il sentit l'énergie formidable partir de son ventre, se répandre à travers chaque cellule de son corps et traverser son bras.
Le premier éclair qu'il eut jamais réussi à générer de toute sa vie mourut à l'instant où Toph emprisonna le poing de Zuko dans deux blocs de terre qu'elle avait soudainement fait jaillir du sol.
Zuko poussa un cri de frustration et lança un regard meurtrier à la jeune maître de la terre qui soutint son regard sans sourciller.
« Katara, emmène ton imbécile de frère loin d'ici, ordonna-t-elle.
Zuko reporta son attention sur Katara et sur son frère. Tous les deux le considéraient avec de grands yeux terrifiés et Sokka semblait avoir perdu toute combativité. Son sabre pendait lamentablement au bout de son bras, inutile.
Comme Katara ne bougeait pas, Toph se retourna et cria : « MAINTENANT !
– D'a-d'accord... » balbutia Katara.
Les deux membres de la Tribus de l'Eau échangèrent un regard et Sokka acquiesça. Il rengaina son arme et darda des yeux pleins de mépris sur Zuko puis il tourna les talons. Katara plongea à son tour ses yeux saphir dans ceux de Zuko qui y lut une profonde déception. Mais il s'en fichait bien pour le moment.
Les deux jeunes gens quittèrent la pièce. La lourde porte dégondée claqua violemment et le silence s'installa, entrecoupé seulement par les gémissements d'Azula et les coups sourds frappés à la porte de sa cellule.
Il y eut un craquement sonore et les blocs de pierre explosèrent autour des mains de Zuko qui les regarda comme s'il les voyait pour la première fois. Un peu hésitant, il se releva et épousseta ses vêtements. Il baissa les yeux pour affronter le regard voilé de Toph. Il ne cesserait jamais de s'émerveiller de l'autorité et de la détermination farouche qui émanait d'une si petite personne. Il se sentit comme un petit garçon pris en faute quand elle parla :
« On va faire comme si rien ne s'était passé pour l'instant. Je vais essayer d'oublier que tu as voulu jeter un éclair mortel sur mes meilleurs amis et je vais même considérer la possibilité de parler avec eux pour les calmer. Pendant ce temps, toi, tu vas voir Princesse Barjo. Tu vas faire ce que tu as à faire et quand tu reviendras nous voir, j'espère, pour reprendre les mots de Sokka, que tu auras effectivement choisi ton camp. »
Sur ces mots, elle tourna les talons et disparut à pas rapides par la porte qui séparait les cachots de l'escalier en colimaçon menant aux étages supérieurs du palais.
Honteux et furieux à la fois, Zuko s'accorda quelques secondes pour reprendre ses esprits, s'efforçant d'ignorer les appels déchirants d'Azula qui le suppliait à nouveau depuis sa prison.
« Zuko ! Zuko ! Où es-tu ? Réponds, j'ai peur ! »
Un défilé d'images et de souvenirs traversa son esprit et il dut plaquer ses mains sur ses tempes pour lutter contre une migraine naissante.
Il se remémora d'abord l'expression sur le visage de ses amis quand ils avaient compris qu'il était sur le point de les frapper mortellement.
Il revit en pensées le visage souriant d'Azula, des mois auparavant, alors qu'il posait sur sa tête la couronne qui lui avait été si longtemps confisquée.
Il repensa à la douceur de son sein sous la paume de sa main et à la sensation fugitive de ses lèvres contre les siennes.
Puis ce fut le visage détruit de Kojiro qui agonisait dans sa chambre obscure la stupeur sur le visage serein d'Aang quand il l'avait menacé quelques heures plus tôt.
Et Mai… la douleur, la colère et le chagrin dans ses yeux quand il lui avait avoué ce qui s'était passé avec Azula dans la salle de bain.
Le peuple en colère. Le Royaume de la Terre exigeant l'extradition d'Azula...
Tout cela par sa faute. Toutes ces vies, ces relations, ces efforts ruinés par des choix irréfléchis. Une suite de mauvaise décisions avait engendré le désastre qu'était sa vie aujourd'hui. Et celle d'Azula. Sans parler de l'état de sa nation.
C'était sa faute aujourd'hui, si sa petite sœur se trouvait dans cet état. Il l'avait nourrie de faux espoirs, avait sous-estimé sa souffrance et par-dessus tout, avait oublié à quel point il était dangereux de lui tourner le dos.
Derrière lui, Azula pleurait. On eût dit un jeune enfant terrorisé appelant sa mère. Sauf que cette enfant là n'avait plus de mère. Elle n'avait plus de père. Il ne lui restait qu'un frère. Un frère aîné qui, en voulant la protéger, en voulant l'aimer, l'avait détruite.
Portant une main à sa cuisse, il sentit dans sa poche le petit objet que lui avait confié Taïma, la mort dans l'âme. Il savait comment s'en servir. La seule question maintenant était de savoir s'il aurait le courage de le faire.
Azula était allongée dans le noir sur un sol froid mais étrangement souple.
Tout son corps n'était que douleur. Ses membres étaient perclus de courbatures. C'était étrange car elle avait aussi l'impression que tous ses muscles avaient fondu. Son dos la faisait souffrir et d'horribles contractions tordaient régulièrement son estomac.
Elle voulut porter ses mains à son ventre mais elles les découvrit ramenées dans son dos. Quelque chose de froid entourait ses poignets : de lourds bracelets en métal.
Le feu contenu en elle léchait ses veines et ses entrailles. C'était comme si elle se consumait de l'intérieur et elle devait rassembler toute sa volonté pour contenir les cris d'agonie qui menaçaient de franchir ses lèvres.
Elle s'efforça de concentrer dans ses poings assez d'énergie pour produire la chaleur nécessaire qui ferait fondre le métal qui l'emprisonnait. Mais il ne se passa rien. Ses mains n'avaient même pas bougé.
Elle essaya de remuer les jambes : rien non plus.
Une terreur glaciale la saisit. Et si cette traîtresse de Ty Lee avait définitivement bloqué son chi ? Et si elle restait paralysée à vie ?
Pendant un long moment, Azula fut incapable de respirer normalement. Son souffle était horriblement court et l'écho de ses hoquets et de ses sanglots qui résonnaient dans la pièce vide ne l'aidaient pas vraiment à retrouver son calme.
Mais bientôt, elle constata qu'elle pouvait remuer ses orteils. Un peu plus tard, ce furent ses jambes et son cou.
Elle pleura presque de soulagement.
Quand Ty Lee avait bloqué son chi au Rocher Bouillant, elle avait retrouvé l'usage de ses membres avant de regagner sa maîtrise. Il se passerait sûrement la même chose. Il fallait simplement patienter.
Mais c'était bien difficile quand on se trouvait dans sa situation.
Où était-elle ? Avait-elle été capturée par leurs ennemis du Royaume de la Terre ? Elle avait dû perdre connaissance à un moment ou un autre. Peut-être Ty Lee et les paysans l'avaient-ils livrée eux-mêmes à Lu Fang ?
L'avait-on ramenée à l'asile ? Ou en prison ? Il faisait tellement noir...
Elle releva la tête à la recherche d'une source de lumière. Et soudain, la vérité la frappa : il n'y avait pas de fenêtre.
Ce simple constat dissipa toute autre pensée.
La panique déferla à nouveau sur elle… La sensation de tiraillement dans ses bras lui devint insupportable. Elle se contorsionna sur le sol dans une tentative désespérée pour se libérer de ses chaînes mais ne parvint qu'à se faire mal. Constatant que ses efforts étaient inutiles, elle se mit à ramper sur le sol. Son crâne heurta le mur mais ne rencontra pas la résistance à laquelle elle s'attendait. Un revêtement mou et épais tapissait les murs : une cellule capitonnée !
Non, non, non !
Pas ça ! Pas l'asile, non !
Au prix d'un effort coûteux, elle se redressa sur ses jambes flageolantes. Quand elle fut debout, elle appela à l'aide. Personne n'ouvrit, ni ne répondit. Alors elle s'élança en avant pour se jeter contre le mur matelassé. Un son métallique résonna dans la cellule. La porte !
Reculant de quelques pas, elle recommença. Sous la couche matelassée, le panneau de métal vibra mais la porte résista.
Toujours aucune réponse.
Le désespoir s'abattit sur elle et la terrassa. Elle se laissa tomber à terre et resta là, le visage contre le sol. De grosses larmes roulaient sur ses joues, y collaient ses cheveux qui entraient dans sa bouche. Cela la rendait folle !
Au bout d'un moment, elle entendit des coups frappés au loin et des éclats de voix. Le cœur battant à tout rompre, elle reconnut celle de son frère. Zuzu ! Est-ce qu'il venait pour la sauver ? En tournant la tête, elle vit, percée dans la porte, une ouverture de la taille d'une trappe qui n'était pas là tout à l'heure. Elle se releva tant bien que mal et s'en approcha.
« Zuzu ! Zuzu, est-ce que c'est toi ? »
Un visage apparut dans l'encadrement. Les yeux adorés qui la regardaient de l'autre côté brillaient d'un étrange éclat. Elle se plaqua contre la porte et se hissa avec peine sur la pointe des pieds pour élever son visage à la même hauteur. Mais elle perdit l'équilibre.
– Azula !
– Zuzu ! Sors-moi de là ! Je ne sais pas ce que je fais là ! J'ai peur, Zuzu ! »
– Je suis là, Zula. N'aie pas peur. »
Mais avant qu'elle ait pu répondre, il disparut et elle fut seule à nouveau.
« Zuzu ! » implora-t-elle.
A nouveau des éclats de voix. Le son d'une porte qui se fracasse contre un mur... Des cris et les bruits d'une lutte de l'autre côté décuplèrent sa panique et elle recommença à se jeter contre la porte, à se débattre furieusement contre les bracelets de métal. Que faisait-on à son Zuzu ? Il fallait qu'elle l'aide, il avait besoin d'elle, comme elle avait besoin de lui. Elle sauta sur ses pieds pour essayer de voir à travers le trou mais elle n'était pas assez grande. La frustration, la colère et la peur s'emparaient d'elle, tour à tour, la privant un peu plus à chaque seconde de ce qui lui restait de raison et de lucidité.
Finalement, le silence et le calme s'installèrent à nouveau. Est-ce que Zuko était blessé ? Est-ce qu'il était… Non. Elle ne voulait pas l'envisager. Il était simplement reparti. Il l'avait abandonnée encore une fois. Oui, c'était sûrement ça…
Au comble du désespoir, elle finit par regagner le coin de sa cellule, se recroquevilla sur le sol et attendit en sanglotant.
Quand enfin la lourde porte blindée derrière laquelle on l'avait enfermée s'ouvrit dans un grincement sinistre, Azula était trop épuisée pour relever la tête. La lumière diffuse des torches s'engouffra dans la cellule capitonnée et tout ce qu'elle vit fut une ombre immense qui grandit peu à peu jusqu'à occuper tout l'espace.
Père l'avait enfin retrouvée. Elle ne se débattrait pas, elle n'en avait plus la force.
Deux mains vigoureuses la saisirent par les épaules et la redressèrent. Elle poussa une petite exclamation de terreur qu'elle étouffa très vite.
Ne montre pas que tu as peur !
Elle se retrouva assise, le dos contre le mur et découvrit enfin le visage de son visiteur.
Quand elle reconnut la mâchoire anguleuse, les cheveux longs et sombres, les yeux couleur de soleil, la joue ruinée, elle poussa un grand cri et se jeta en avant.
Zuko la rattrapa juste à temps et elle enfouit sa tête dans le creux de son épaule, tout son corps secoué de violents sanglots.
« J'ai cru- j'ai cru... », balbutia-t-elle, incapable de finir sa phrase.
– Chut… Je suis là, Azula. Tout va bien, calme-toi. »
Si seulement elle n'avait pas eu les mains liées ! Elle aurait pu enrouler ses bras autour de son cou et rester là, pour l'éternité. Elle voulait si désespérément se blottir contre lui. À cet instant, tout était oublié : son rejet, sa trahison, sa conversation avec l'Avatar et les Sages dans le Temple. Il était revenu pour elle. Il allait la sauver, l'emmener avec lui, la ramener à la maison !
Au bout d'un moment, Zuko la repoussa légèrement, gentiment et la fit rasseoir. Azula le dévorait des yeux, incapable d'en détacher le regard. Elle essaya de se pencher vers lui une nouvelle fois mais il la repoussa encore avec un peu plus de fermeté.
« Où est-ce qu'on est ? Demanda-t-elle faiblement. Est-ce que nous sommes toujours dans la Nation du Feu ?
– Oui, ce sont les cachots du palais, répondit-il. On t'a emmenée ici le temps que tu retrouves tes esprits. Est-ce que tu te rappelles ce qui s'est passé ? »
– Ce sont tes amis qui m'ont attaquée ! répondit-elle aussitôt d'une voix précipitée. Ils étaient au moins quatre contre moi ! Et il y avait Ty Lee, cette infâme traîtresse ! » Elle dut s'interrompre pour empêcher sa voix de trembler. C'était trop douloureux de penser à Ty Lee. Mai et cette sale traînée de guerrière Kyoshi lui avaient volé son amie avant qu'elle ait eu une chance de regagner sa confiance.
Comme Zuko ne disait rien, elle poursuivit : « Tu comprends ce qu'ils sont en train de faire, Zuzu ? Ils veulent se débarrasser de moi pour te prendre ton trône !
– Non, tu te trompes Azula... »
La voix de Zuko était incroyablement faible, presque triste. C'était presque la voix d'un vieillard. Azula le regarda, incrédule. Est-ce qu'il ne comprenait pas ?
« Ouvre les yeux, Zuko ! Ils complotent contre nous depuis des mois. Ton ami l'Avatar est tellement obsédé par l'idée d'éviter une guerre qu'il est prêt à céder au chantage du Roi de la Terre. Il a ordonné à tes paysans de me capturer pour me livrer à Lu Fang ! Il a déjà convaincu les Sages de le faire ! Ainsi il évitera la guerre ! Il se débarrassera de moi et il me volera ma maîtrise, comme il l'a fait à père ! Je le sais ! Père me l'a dit ! Ensuite il prendra la tienne et il te volera ton trône, sans même avoir besoin de te battre ! »
Face à elle, Zuko la considérait avec de grands yeux incrédules. Il semblait effrayé. Très bien ! Il comprenait enfin. Son frère avait toujours eu un esprit plus lent que le sien mais maintenant, il avait la preuve que ceux qu'il appelait ses amis conspiraient contre eux. Il ne pouvait plus nier.
Zuko semblait préoccupé à présent. Il détourna le visage, contemplant le sol, perdu dans ses pensées. Au bout d'un long moment, il releva la tête et parla :
« Ils disent que c'est toi qui les as attaqués la première. Que tu allais tuer Suki et son bébé. Pourquoi as-tu fait ça, Azula ?»
Azula resta bouche bée. Zuko était-il devenu sourd ou simplement stupide ? Ne venait-elle pas de lui expliquer ? La guerrière Kyoshi, cette garce, lui avait volé sa seule amie ! Est-ce que cela ne suffisait pas ? Un stupide bébé, totalement inutile, même pas encore né. Est-ce que ce n'était pas un faible prix à payer ? Père leur avait toujours appris qu'il fallait se battre pour garder ce qui nous appartenait.
Ces paysans n'auraient de cesse de les harceler tant qu'ils ne les auraient pas dépouillés de tout, elle et son frère. Ils lui avaient volé l'amitié de Ty Lee, pris sa couronne, avaient fait de Zuko un dirigeant faible et sans envergure. Et maintenant ils les retournaient l'un contre l'autre, insinuaient le doute dans l'esprit troublé de Zuko. Comme avaient fait leurs parents, et oncle Iroh avant eux.
Maintenant qu'ils avaient appris à s'entendre, à s'aimer, qu'ils avaient dépassé leurs rivalités, on voulait encore les séparer.
Ensemble Zuko et Azula seraient presque invincibles et ces imbéciles le savaient. Il suffisait que Zuko comprenne et accepte cette vérité. Alors le monde leur appartiendrait.
« Tu ne comprends pas ? insista-t-elle. Cela fait partie de leur plan ! D'abord, ils veulent nous isoler pour nous affaiblir. Elle m'a volé Ty Lee car elle savait que je suis plus forte avec elle. Et maintenant ils veulent te voler à moi, mais je ne les laisserai pas faire ! Je ne les laisserai pas faire ! »
Soudain, alors qu'elle prononçait le dernier mot, une violente crampe contracta le ventre d'Azula et la jeta, pliée, sur le sol matelassé. Le feu prisonnier, attisé par son impatience et sa colère, grandit brusquement et s'embrasa. Elle poussa un hurlement déchirant qui résonna contre les murs.
Zuko fut sur elle en un instant :
« Qu'est-ce qui se passe, Azula ? cria-t-il d'une voix paniquée, beaucoup plus aiguë qu'à l'ordinaire. Tu as mal ?
La douleur au ventre s'estompait déjà mais la flamme ardente, exigeant d'être libérée, continuait de lécher ses entrailles et de se répandre dans tout son corps, causant une peine sourde, presque insupportable.
« Azula? »
– Sors-moi de là, Zuzu ! Libère-moi de ces chaînes ! Je vais devenir folle !
– Je ne peux pas… »
Que racontait-il ? Bien sûr qu'il en avait le pouvoir ! Luttant de toutes ses forces pour tenir à distance la douleur qui la consumait, elle leva ses yeux d'ambre vers lui et le raisonna :
« Tu es le Seigneur du Feu ! Tu peux tout ! Nous allons sortir d'ici, et ils devront répondre de leur trahison et de leurs crimes ! Nous les détruirons, toi et moi. Nous les réduirons en cendres ! »
Zuko ne répondit pas. Dans la pénombre, elle vit un profond chagrin se dessiner sur son visage et y creuser des sillons. Zuko paraissait avoir vieilli de dix ans.
« Je sais que tu les considères comme tes amis et que c'est dur, dit-elle sur un ton plus doux, presque cajoleur. Mais tu te trompes. Tu verras Zuko, ce ne sera pas douloureux. Tu n'auras pas mal parce que nous serons ensemble ! »
Il tourna la tête vers elle et lui lança un regard étrange qu'elle ne parvint pas à déchiffrer. Ses lèvres tremblaient un peu et formaient des mots qu'elle ne devait jamais entendre. Puis, il s'approcha d'elle et la souleva du sol. Il la prit dans ses bras et au prix de quelques efforts, la fit asseoir sur ses genoux dans la pose d'une mère berçant son enfant.
Il essuya d'abord le visage luisant de larmes d'Azula et replaça les mèches de cheveux qui s'y étaient collées. Enfin il la serra contre son cœur. Ils restèrent là un moment. Azula ferma les yeux. Zuko caressait ses cheveux et déposait parfois un baiser sur son front.
Jamais les tisanes, ni les poudres de Taïma n'avaient eu un effet aussi apaisant. Le feu contenu en elle, sans mourir tout à fait, perdit peu à peu de sa vigueur et ne fut bientôt plus qu'une flamme docile qui ronronnait dans sa poitrine.
« Je vais tout arranger, Azula. Je sais que j'ai commis des erreurs mais je vais les réparer maintenant. » lui dit-il doucement en continuant de passer ses doigts dans ses longues mèches noires qu'il démêlait.
Elle ne répondit pas, savourant plutôt ses caresses, la tendresse dans sa voix, le son régulier de son cœur qui battait tout près de son oreille, son odeur d'homme qui la transportait et dont elle ne serait jamais repue
Il était à elle. Tout à elle. Ceux qui avaient voulu les séparer n'avaient plus qu'à contempler leur défaite. Ils avaient essayé de le lui voler, envieux et amers qu'ils étaient. Ils étaient jaloux, voilà tout. Jaloux de la beauté et de la pureté de leur amour.
Les sous-fifres de l'Avatar avaient peut-être réussi à la neutraliser mais à la fin, c'est elle que Zuko choisissait. Elle sentit son cœur déborder d'une profonde affection pour son frère, d'un amour inconditionnel qui transcendait tous les obstacles, tous les tabous. Un amour assez puissant pour apprivoiser le feu prisonnier et ardent qui crépitait tranquillement dans ses entrailles. C'était doux et douloureux en même temps.
On lui avait appris l'art de la rhétorique, on lui avait enseigné comment élaborer des discours éloquents. Elle savait tromper ou séduire par des mots suaves enrobés de miel. Elle faisait taire d'un mot les insolents qui avaient l'audace de la contredire. Elle maîtrisait à la perfection l'art subtil de la conversation et possédait un sens inné de la répartie qu'on lui enviait souvent. Elle pouvait parler de tactique militaire, de diplomatie, d'art, de poésie ou de philosophie des heures durant sans jamais lasser son interlocuteur.
Mais Azula ne savait pas comment parler d'amour. On ne le lui avait jamais appris. C'est un langage qui lui était étranger, des gestes et une syntaxe énigmatiques, des mots creux, vides de sens pour qui ne les a jamais ressentis. Un monde inaccessible dont Zuko avait la clé. Peut-être qu'elle pourrait… Elle voulait bien essayer. Juste trois mots. Trois mots qu'elle n'avait jamais prononcés :
« Je t'aime. »
Les yeux de Zuko se rouvrirent et il les abaissa vers son visage. Ils se regardèrent un moment, le souffle suspendu, abasourdis, incapables de parler. Puis, sans lui laisser le temps de réfléchir davantage, Azula tendit le cou et appuya ses lèvres humides contre celles de Zuko.
Il ne la repoussa pas. Après l'avoir laissée presser deux autres baisers sur sa bouche entrouverte, il commença à y répondre. Il l'embrassa doucement, plusieurs fois. Ce n'étaient pas les baisers passionnés qu'elle se plaisait à imaginer lors de ses insomnies ou de promenades solitaires dans les jardins du palais. Ce n'étaient pas non plus tout à fait le genre de baiser innocent et chaste que l'on donnait à son frère ou à un ami pour lui dire au revoir. Azula ne savait pas à quoi comparer cette sensation. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle aurait pu continuer, encore et encore.
On entendait rien sinon le bruit de leurs lèvres qui se séparaient pour mieux se rencontrer ensuite.
Ce fut Zuko qui rompit leur dernier baiser. Il remua un peu en-dessous d'elle et appuya son front contre le sien.
« S'il-te-plaît Azula, pardonne-moi. Je t'aime aussi.»
Azula ne vit pas la seringue quand il la sortit de sa poche. Elle poussa simplement un petit cri de surprise quand la fine aiguille entra dans sa cuisse et que le liquide s'infiltra dans ses veines.
Elle ne comprit pas tout de suite. Il la reposa délicatement sur le sol matelassé de la cellule. Ce fut seulement quand le sérum se répandit dans tout son corps, paralysant ses membres un à un, embrumant son cerveau, qu'elle réalisa. Elle lança vers lui un regard hébété et essaya de dire quelque chose, sans succès.
Puis la sidération céda la place à la panique.
Quand elle commença à se cambrer, à s'agiter violemment et à se tordre sur le sol, Zuko se coucha sur elle pour contenir ses spasmes. Il murmura quelque chose à son oreille qu'elle ne comprit pas et ses sanglots désespérés furent la seule réponse dont elle fut capable.
Déjà les ténèbres l'enveloppaient. La dernière chose qu'elle vit fut le visage trempé de larmes de Zuko penché au-dessus du sien. Il y eut la sensation fugitive de ses lèvres sur son front.
Puis, plus rien.
