Finalement le chapitre 19 est là, avec un peu d'avance par rapport à ce que j'avais prévu grâce à mon bêta-reader qui a fini son travail de relecture de la version anglaise en un temps record! J'espère que vous apprécierez ce nouveau chapitre. Au moins le suspense n'aura pas duré trop longtemps. Comme toujours, beaucoup de souffrances, de personnages en lutte avec leurs sentiments, et peu de perspective de bonheur pour eux !
Chapitre 19 – Après la tempête
Tout était immobile et tranquille dans les couloirs déserts du château. L'après-midi s'étirait paresseusement dans une sorte de torpeur générale. La chaleur accablante qui s'était abattue sur l'Archipel de la Nation du Feu en cette fin de juillet avait poussé tous les résidents de la Caldera, nobles et serviteurs, à rechercher la fraîcheur, retranchés dans leur demeure ou dans les cuisines souterraines où subsistait encore une atmosphère supportable.
Seul le chant de milliers de cigales perturbait le silence de mort qui semblait être devenu la nouvelle règle depuis que le Seigneur du Feu avait disparu.
Bien sûr il n'avait pas vraiment disparu, se dit le Général Kadao en s'épongeant le front avec un morceau de tissu sorti de sa poche. Zuko était toujours là, au palais. Mais il avait cessé d'apparaître en public et ne s'était rendu à aucune réunion du Conseil depuis près de quinze jours. On ne le voyait plus arpenter les couloirs du palais, ni se rendre dans le grand salon, ni dans la salle du Trône où Kadao et la Dame du Feu se relayaient pour recueillir les doléances des citoyens et gérer les affaire courantes. Il ne pratiquait plus ses exercices dans la cour d'entraînement et aucun de ses amis n'avait réussi à lui parler depuis une semaine.
Il avait seulement reçu, une fois, les Sages et les membres du Conseil pour leur annoncer que la princesse Azula avait été faite prisonnière et transférée dans un quartier de haute sécurité de la Prison de la Capitale. Il avait ordonné que l'on envoie un faucon vers Ba Sing Se, puis il était sorti de la salle du Trône sans attendre leur réaction. On ne l'avait plus revu de tout le jour après cela.
A son retour, le lendemain soir, le palais était en effervescence, se rappela Kadao avec un soupçon d'agacement. Le Seigneur du Feu s'était évaporé ! Le Général, l'Avatar et ses amis avaient passé la nuit à le chercher dans les rues de la Capitale, sur les petites criques isolées, sur les hauteurs de la Caldera. Zuko était seulement réapparu le lendemain, en bonne santé. Il avait levé une main vers ses amis et Mai qui se pressaient vers lui pour s'enquérir de sa santé.
« J'ai seulement besoin d'être seul un moment. Laissez-moi ».
Il leur avait tourné le dos, sans ajouter un mot et était parti vers les appartements de la famille royale.
Il était évident pour tous ceux qui savaient ce qui s'était passé que Zuko ne vivait pas bien le départ de la princesse. Le fait de se charger lui-même de l'endormir pour faciliter son transfert vers la prison l'avait visiblement bouleversé. Bien qu'il admirât le courage qu'il lui avait fallu pour le faire, Kadao imaginait aisément le sentiment de culpabilité qui devait ronger le jeune souverain.
Lui-même avait été bien triste sur le chemin lorsqu'il avait fallu escorter le corps inanimé d'Azula jusqu'à sa cellule, à bord d'un palanquin strictement gardé par une petite cohorte de ses meilleurs hommes. Le sérum était suffisamment puissant pour qu'Azula reste inconsciente plusieurs heures. Pourtant, Kadao lui-même n'avait pu s'empêcher de vérifier toutes les trente secondes qu'elle dormait toujours, craignant une réaction violente en cas de réveil imprévu.
Quel gâchis !
La princesse semblait s'être tellement épanouie au cours de la dernière année ! Elle avait paru presque heureuse par moments et Kadao avait trouvé en elle une interlocutrice agréable dont l'intelligence et les connaissances en matière de stratégie commerciale et militaire l'avaient épaté. Qu'une si jeune femme, réputée psychologiquement instable, détienne un tel savoir et un esprit si agile était extraordinaire.
Kadao et Zuko n'étaient pas les seuls que cette triste situation affectait.
Justement, alors qu'il contemplait, assis sur les marches du kiosque situé au fond des jardins, les arêtes déchiquetées du cratère tout autour de lui, Kadao entendit un mouvement. Il releva la tête et vit apparaître Taïma qui émergeait de l'allée étroite entre deux massifs d'hortensias aux pétales brunis et déjà flétris par le soleil.
Il se releva aussitôt pour l'accueillir et s'inclina respectueusement devant elle avant de lui retourner son salut, poing contre paume. Il répondit également au sourire un peu triste qu'elle lui adressa.
Bien qu'elle eût les traits tirés et des cernes sous les yeux, il ne put s'empêcher, encore une fois, d'apprécier la beauté naturelle de Taïma, son air amène, sa peau cuivrée, presque brune, ses grands yeux outremer et ses épais cheveux bruns soyeux et soigneusement tressés.
« Général…
– Maître Taïma. Comment allez-vous ? Je ne vous ai pas vue depuis trois jours.
– Oui, j'ai été assez occupée. » répondit-elle évasivement.
Kadao n'eut pas besoin de lui demander à quoi. Taïma venait de passer la semaine entre la prison et la maison du Commandant Tsuneo où elle et Katara se relayaient pour prodiguer des soins au malheureux Kojiro.
Le jeune homme avait repris connaissance et répondait plutôt bien à la médecine de la Tribu de l'Eau. Du moins avait-il cessé de hurler à l'agonie à chacun de ses réveils. Il était toujours profondément sédaté la plupart du temps.
Les séances de guérison semblaient le soulager et l'infection avait cessé de s'étendre grâce aux conseils avisés de Katara qui avait appris aux infirmières comment faire un bandage propre et adéquat.
Pour ce qui était de son visage, eh bien… Kojiro devrait apprendre à vivre avec. Le cœur de Kadao se serra quand il repensa à la détresse sur le visage du Commandant lors de leur dernière conversation.
Comme cela arrivait chaque fois qu'il se laissait gagner par l'angoisse, ses autres tracas affluèrent, tous en même temps, et inondèrent son esprit troublé. Son malaise s'intensifia quand il songea au climat d'insécurité qui flottait sur la Capitale.
Le mutisme délibéré de Ba Sing Se l'inquiétait au-delà de tout. Dès que Zuko avait fait son annonce, un émissaire avait été envoyé pour prévenir le roi Kuei de l'incarcération de la princesse. Ils n'avaient obtenu aucune réponse et pour Kadao, ce silence n'augurait rien de bon.
La situation dans les colonies, loin de s'apaiser, empirait. Deux autres attentats avaient eu lieu dans d'autres provinces. Il fallait s'attendre à un afflux de migrants dans les prochaines semaines. Déjà les Fils d'Agni agitaient les foules et orchestraient leur propagande. Ils avaient commencé à sortir de la clandestinité. Le mouvement jouissait d'un regain inédit de popularité. Les forces de l'ordre étaient débordées et un vent d'émeute soufflait sur la Capitale.
Kadao soupira, s'enjoignant à l'optimisme. L'emprisonnement d'Azula avait eu au moins un effet positif. La gronde qui s'élevait parmi les rangs de l'Armée semblait s'être apaisée. Tsuneo avait obtenu justice et bien qu'il ne se sentît pas satisfait, il ne pouvait plus guère reprocher à Zuko son inaction.
« Comment va la Princesse ? s'enquit Kadao en regardant Taïma s'asseoir quelques marches en-dessous de lui et se frotter le visage d'un air las.
– Aucune amélioration, répondit Taïma d'une voix morne. Quand elle est suffisamment lucide pour me reconnaître, elle essaie de me jeter des flammes au visage et m'empêche de m'approcher. C'est pire encore quand elle est en pleine crise délirante. Même les gardes, qui sont pourtant endurcis, ont peur d'elle. J'ai bien essayé de l'approcher quand elle dort, mais elle se réveille aussitôt.»
Taïma ferma étroitement les paupières afin, Kadao en était certain, de ravaler les larmes qui menaçaient de se former à leur bord. Ils avait que Taïma s'était profondément attachée à Azula et assister à sa déchéance, à cette terrible régression devait être un coup dur pour la jeune guérisseuse.
« Elle est épuisée, reprit Taïma, je le vois bien. Et elle souffre ! Mais je ne peux rien faire pour elle si elle ne me dit pas simplement où elle a mal et si elle ne me laisse pas l'examiner ! »
De frustration, Taïma jeta au loin la poignée de graviers qu'elle venait de ramasser et enfonça son visage dans ses bras croisés sur ses genoux.
« Les gardes disent qu'elle a vomi du sang à plusieurs reprise... »
Kadao se figea sur place. On aurait pu croire que Taïma venait de lui geler les entrailles à l'aide de sa maîtrise.
« Taïma, pensez-vous que ses jours soient en danger ?
– Je ne sais pas… Mais je peux affirmer qu'elle va mal. Elle a maigri. Les gardes disent qu'elle ne mange pratiquement rien. Elle est convaincue que Zuko cherche à l'empoisonner. Elle passe des journées entières à hurler des insultes à travers la porte, à maudire son traître de frère, Ty Lee, moi… Tout le monde.
– A-t-elle encore des hallucinations ?
– A l'évidence, oui... » répondit Taïma qui ne se fatigua pas à donner des détails que Kadao n'avait de toute façon pas envie de connaître.
Le ressentiment coupable qu'il éprouvait depuis plusieurs jours envers son roi s'intensifia. Il repensa à la suggestion des Sages qui préconisaient que l'Avatar retire une fois pour toutes sa maîtrise à la princesse. Sans elle, elle ne représentait plus une menace sérieuse, aussi bonne combattante soit-elle. Zuko n'avait pas même daigné répondre à cette demande et il évitait soigneusement tout contact avec l'Avatar et ses amis.
S'il y avait consenti, Taïma pourrait enfin approcher Azula, la soigner… Il savait que la jeune femme partageait son opinion.
Ils restèrent silencieux un long moment. La pensée des derniers événements les hantait tel un spectre de plomb. Les stridulations incessantes des cigales épaississaient l'atmosphère déjà lourde et rendait plus écrasante encore la chaleur de cette journée torride.
« Ah ! s'énerva soudain Taïma, ces maudites bestioles ! Quand vont-elles enfin se taire ? Je n'en peux plus de les entendre à longueur de journée ! »
Kadao sursauta légèrement et tourna la tête vers Taïma. Elle avait à nouveau enfoui son visage dans ses mains et il pouvait lire, à la manière dont ses épaules s'affaissaient, toute la lassitude, tout le poids des responsabilités que Zuko faisait peser sur elle.
Il savait que c'était au plus fort de l'été que les étendues glacées et silencieuses des terres septentrionales manquaient le plus cruellement à Taïma. Ce devait être pire encore cette année caniculaire. S'y ajoutait le sentiment cuisant de l'échec, la peur de perdre Azula, d'attiser la colère de Zuko.
« Depuis quand n'êtes-vous pas rentrée chez vous, Taïma ? »
Elle releva lentement la tête mais au lieu de se poser sur le Général, son regard brumeux erra devant elle, comme perdu dans les souvenirs.
– Bientôt quatre ans... »
Mal à l'aise, Kadao remua un peu sur sa marche. Il hésita, puis, voyant l'air misérable de la guérisseuse, prit son courage à deux mains et parla :
« Pourquoi restez-vous ici ? »
Cette fois elle tourna la tête vers lui, si vivement qu'il s'étonna de ne pas entendre craquer les os de son cou. Elle plongea ses yeux bleus dans les siens et il y lut d'abord le choc. Mais derrière, quelque chose d'autre… L'espoir, l'envie peut-être. Et une pointe de culpabilité. Ce devait être la première fois que quelqu'un faisait cette suggestion à voix haute et il fut certain que Taïma aurait préféré être brûlée vive que de confesser son désir de quitter la Nation du Feu, de laisser Zuko se débrouiller avec sa famille, avec ses soucis.
« Vous n'y pensez pas ! répliqua-t-elle sur un ton indigné que Kadao ne trouva pas très convaincant. Je ne peux pas abandonner Azula maintenant. »
Kadao étendit le bras pour le poser sur l'épaule de la jeune femme. Ce simple geste de sympathie fit monter les larmes aux yeux de Taïma et Kadao eut l'impression de voir des vagues danser sous le ciel du Nord. Il se rappela ses voyages dans les terres gelées, les aurores boréales, les nuits éternelles, le reflet de la lune sur la surface argentée de la mer.
« Vous avez fait tout ce qui est humainement possible, Taïma. Vous ne pouvez pas guérir la Princesse. Sa folie est trop profonde, elle est allée trop loin. Je n'aime pas parler ainsi de la famille que je sers au prix de ma vie, mais la Princesse est indéfendable. Ce qu'elle a fait à ce pauvre garçon...et à cette malheureuse Suki... »
Il repensa soudain au visage fermé de Sokka, lui habituellement si joyeux. Il se rappela le regard plein de froideur du jeune guerrier alors qu'il montait sur le dos d'Appa, accompagné de sa jeune épouse, quelques jours seulement après l'emprisonnement d'Azula. Il avait bien fait comprendre qu'il n'acceptait cette mission que pour Aang et Katara. Sokka et Suki s'étaient envolés vers Omashu sans un mot pour Zuko qui n'avait pas même assisté à leur départ, caché on ne savait où dans le palais, ressassant ses sombres pensées.
« Je veux encore essayer un peu, répondit Taïma. Je ne peux pas la laisser maintenant alors qu'elle est tellement malade. Je sais que Zuko a fait ce qu'il fallait. C'est moi qui lui ai donné la seringue pour endormir Azula. Mais elle ne voit pas les choses de cette manière. Elle se sent ignoblement trahie. Zuko était tout son univers depuis son retour de l'asile, et maintenant, elle est si seule ! »
Les larmes jaillirent des beaux yeux de Taïma avant qu'elle ait pu songer à les retenir et elle enfouit son visage dans ses mains. Kadao serra son épaule un peu plus fort et la sentit trembler sous sa main.
« Est-ce que le Seigneur du Feu est venu la voir depuis…
– Non, répondit Taïma qui relevait déjà la tête et s'essuyait les yeux rapidement, comme si elle avait honte de s'être laissé submerger par ses émotions. Pardonnez-moi Général…
Elle prit une profonde inspiration et reprit :
« Zuko n'est pas venu une seule fois. Il se contente de me demander des compte-rendus quotidiens. Ecrits le plus souvent. Je pense qu'il n'ose pas affronter la colère d'Azula. Il doit se sentir tellement coupable. Et je pense que c'est mieux s'il se tient à l'écart pour l'instant.
– Vous avez raison. » conclut Kadao.
Taïma détourna le regard et porta son attention sur un couple de libellules qui voletaient paresseusement au-dessus du massif d'hortensia. Kadao observa un moment leur danse gracieuse et les reflets sur leur corps irisé.
Où était le Seigneur du Feu en ce moment ? Que faisait-il ? À quoi pensait-il ?
Il avait essayé d'interroger Mai sur ce point mais la Dame du Feu, plus maussade encore que d'ordinaire, n'avait pas su lui répondre. Il devinait dans ses soupirs et dans ses regards absents, tout le chagrin et la déception d'une amoureuse délaissée. Le départ d'Azula aurait dû être un motif de réjouissance pour elle, Kadao en était certain. Mais c'était sans compter sur le comportement fuyant de son époux qui, d'après ce qu'avait compris le Général, évitait jusqu'à sa couche. Nul ne savait où le Seigneur du Feu passait ses jours et ses nuits. Il n'apparaissait qu'occasionnellement, s'assurant que quelqu'un le voie pour rassurer tout le monde. Il ne participait pas aux dîners que Mai, lui et leurs amis partageaient en silence, personne n'osant aborder le sujet brûlant de l'incarcération de la princesse.
Kadao ne doutait pas que la patience de la Dame du Feu fût mise à rude épreuve et s'inquiétait un peu de ce qui se passerait quand la lassitude et l'amertume auraient laissé place à une juste colère.
Le chœur des cigales redoubla d'intensité et emplit soudain ses oreilles, son cerveau et sa poitrine. Il ferma les yeux pour tenter de contenir le sentiment d'impatience qui le gagnait peu à peu. Il semblait à Kadao que ces maudits insectes s'amusaient de leurs tourments. Au prix d'un effort coûteux, il se composa un visage serein et souriant et parla :
« Allons venez Taïma, allons boire quelque chose de rafraîchissant. »
La jeune guérisseuse tourna la tête vers lui, lui rendit son sourire et accepta la main qu'il lui tendait. Dès qu'elle fut debout, elle la relâcha et épousseta sa robe bleue aux couleurs de la Tribu de l'Eau.
Kadao fit un geste de la main pour l'inviter à passer devant lui et tous deux prirent la direction du palais, quittant l'atmosphère étouffante du jardin où les cigales poursuivaient leur infernal concert.
Si on cherchait le Seigneur du Feu, le plus simple était de se rendre dans l'aile ouest du palais, là où se situaient les appartements de la famille royale. Cependant, on ne l'aurait guère trouvé dans sa propre chambre où l'attendait, désespérément, soir après soir, son épouse qui finissait par s'endormir seule dans un lit froid et vide, trop grand pour elle seule.
On ne l'aurait pas non plus vu arpenter les couloirs, ni lire tranquillement dans le cabinet de lecture, ni profiter des agréments du spa royal, où la princesse venait souvent autrefois, parfois accompagnée de ses deux amies, profiter des bienfaits d'un massage ou des sources d'eau limpide qui auxquelles on accédait depuis le spa.
Il ne profitait pas non plus de la fraîcheur du patio où il aimait tant à se rendre avec son épouse pour se régaler de délicieux jus de fruits pressés et des pâtisseries savoureuses servis par des domestiques zélés.
Non. Si on cherchait le Seigneur du Feu, mieux valait suivre le dédale de couloirs qui menait aux appartements des autres membres de la famille royale. Il aurait fallu passer devant une gigantesque fresque représentant le combat épique d'un ancien Seigneur du Feu contre un dragon effrayant aux yeux aussi rouges que le sang, continuer pendant quelques pas, tourner la poignée sculptée et pousser la gigantesque porte à double battants qui menait aux appartements personnels de la princesse Azula.
C'est là qu'il se cachait depuis deux jours.
Tout d'abord, il avait évité cette pièce, comme si elle abritait entre ses murs quelque malédiction. Il avait passé ses journées dehors, recherchant la fraîcheur et le réconfort de vieux souvenirs sur la petite crique où leur mère les emmenait, enfants.
Ils y étaient revenus plusieurs fois avec Azula au cours des derniers mois, quand leurs promenades et leurs conversations les menaient au-delà des allées fleuries du jardin royal. Parfois Zuko se baignait et Azula restait sur la plage, refusant avec un sourire poli de le rejoindre et l'attendait sur la sable, le regardant affronter les vagues.
Il ne l'aurait pas admis à l'époque mais il aimait assez sentir son regard sur lui tandis qu'il plongeait sous les flots agités. Il l'observait parfois du coin de l'œil pour s'assurer qu'elle ne manquait pas une miette du spectacle. Il bandait les muscles de ses bras et bombait un peu le torse pour paraître plus farouche. Zuko était bon nageur, meilleur qu'elle sans doute dans ce domaine et il n'était pas fâché, pour une fois, d'avoir une occasion de l'impressionner. Il s'était même mis en danger une fois ou deux en se précipitant dans les rouleaux quand la mer était tumultueuse. Il se rappelait le regard anxieux d'Azula, debout sur la plage, lorsqu'il émergeait soudain quelques mètres plus loin de l'endroit où il avait disparu. Elle le grondait un peu quand il la rejoignait, épuisé, sur la plage où elle lui tendait une serviette. Ils restaient ensuite côte à côte en silence, lui allongé sur le sable, écoutant le fracas des vagues qui s'abattaient contre les rochers plus loin, attentif aux battements de son cœur qui s'apaisaient peu à peu après ce combat épique contre l'onde déchaînée. Elle, toujours assise, contemplant la mer argentée et le disque rougeoyant du soleil que les flots engloutissaient.
Il lui semblait aujourd'hui qu'il n'avait pas assez profité de ces moments de bonheur simple. Un an. Un an de répit seulement avant que la maladie ne vienne lui voler sa sœur à nouveau. Le lien qui s'était crée entre eux au cours de ces douze derniers mois renforçait le poids du chagrin qui l'écrasait à présent.
Oui il avait évité sa chambre tout d'abord, convaincu qu'une part d'Azula, restée confinée entre ces murs, l'attendrait et guetterait le moment propice pour se jeter sur lui et dévorer son âme et son esprit. C'était idiot, bien sûr, mais il ne pouvait s'empêcher d'y penser. Il l'avait si ignoblement trahie ! Mais que pouvait-il faire d'autre ?
Quand il s'était trouvé face à Mai et Ty Lee qui lui racontaient ce qui s'était passé, quand il avait affronté le regard d'Aang, de Toph et de Katara qui le fixaient, suspendus à sa décision, il avait bien été obligé de faire un choix. Azula ou ses amis. Il savait quel choix était le bon. Et il avait agi. Tous ses amis – à l'exception de Sokka qui ne lui avait plus adressé la parole depuis leur altercation – lui avaient assuré qu'il avait fait ce qu'il fallait.
Avec un froncement de sourcils furieux, il repensa à la lettre qu'il avait reçue du Conseil quelques jours auparavant et à la demande intolérable qu'elle contenait. La rage qu'il avait senti affluer en lui en la lisant n'avait eu d'égal que le profond sentiment de malaise qui lui tordait les boyaux. C'était la solution. Indéniablement. S'il acceptait, Azula ne serait plus un danger pour personne et il pourrait la protéger.
Mais il avait vu ce qu'était devenu son père. Il avait contemplé, non sans plaisir, la déchéance et le désespoir d'un homme qui n'était rien sans sa maîtrise. Il l'avait vu devenir ce petit homme amer, aigri, pitoyable qui continuait malgré tout de le mépriser lors de sa visite semestrielle, qui essayait de compenser sa nouvelle faiblesse par des allusions mesquines et des sarcasmes qui n'atteignaient plus Zuko. C'est comme si l'homme puissant, ambitieux qu'il avait tant admiré, était mort avec son pouvoir. Il ne restait que cette écorce, cette coque vide gonflée de haine et de ressentiment. Il n'imposerait pas ce sort à Azula. Il pouvait supporter l'aigreur et l'hostilité de son père. Mais les voir briller dans les yeux de sa sœur, c'était impensable.
Au fond de lui, Zuko était convaincu qu'étouffer le feu d'Azula reviendrait à la tuer. Il n'imaginait pas qu'elle pût y survivre. Ce serait comme lui retirer la capacité de respirer.
Il était donc resté sourd aux demandes des Sages et aux allusions à peine déguisées de Taïma qui ne cessait de lui répéter, rapport après rapport, qu'Azula avait besoin de soins immédiats, que c'était impossible tant qu'elle continuerait à l'attaquer chaque fois qu'elle s'approchait d'elle.
Il avait soigneusement évité Aang depuis la réception de cette missive. S'il était sûr d'une chose au moins, c'est que jamais son ami n'agirait sans son consentement. Du moins voulait-il le croire. Il était impossible qu'il n'ait pas eu connaissance de la décision des Sages. Il savait aussi que l'Avatar n'aimerait pas l'idée d'ôter la maîtrise d'une autre personne. Retirer son terrible pouvoir à Ozai était une question de vie ou de mort. L'équilibre du monde en dépendait. Bien qu'elle fût dangereuse, Azula ne représentait pas une telle menace.
Mais qui sait ce que les Sages murmuraient à l'oreille d'Aang pendant son absence ?
Qu'avait-il pris à Zuko de leur confier tant de pouvoir ? Une Justice indépendante qui n'aurait pas à répondre de ses décisions auprès du pouvoir politique, tel était le rêve qu'il avait un jour partagé avec l'Avatar. Quelle naïveté !
Il se souvint avec un pincement au cœur comme son père avait ri de lui quand il lui avait annoncé cette réforme, lors de l'une de ses visites quelques mois après la victoire.
Zuko en était ressorti profondément contrarié et s'était emporté. Il lui avait assuré dans un débordement de colère que même si le pouvoir de la Justice appartenait à son pire ennemi, il s'arrangerait toujours pour qu'Ozai rôtisse dans sa cellule jusqu'à la fin de ses jours.
Il s'était toujours arrangé jusque là pour soustraire Azula à la Justice des Sages. Mais maintenant qu'elle était si impopulaire, il était certain qu'ils lui refuseraient l'amnistie.
Ils ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient rien ! Lui seul connaissait Azula, savait ce qui était bon pour elle. Il avait agi. Il avait fait ce qu'il fallait ! Il avait bien agi !
Alors pourquoi se sentait-il si malheureux ? Pourquoi avait-il la sensation qu'une main de fer broyait son cœur, le lacérait, le réduisait en miettes puis le reconstituait pour mieux le détruire à nouveau ?
Et pourquoi était-il si douloureux de l'imaginer toute seule dans sa cellule, dans la plus haute tour de la prison de la Capitale ?
Elle devait se demander pourquoi il ne venait pas la voir. Le souvenir cuisant de sa première visite à l'asile l'avait convaincu de ne pas prendre ce risque et de toute façon, il ne se sentait pas prêt à l'affronter.
Mais le manque était là, si lourd que c'était presque une présence qui ne le quittait jamais. Partout il lui semblait entendre sa voix, son rire cristallin, un peu affecté. L'image de son sourire rubis qui retroussait le coin de ses lèvres quand elle se moquait de lui, l'éclat de ses yeux d'ambre… Tout hantait son esprit. Ses dernières paroles avant qu'il ne plante l'aiguille dans sa chair l'obsédaient. Et il ne pouvait oublier la sidération, la peine dans son regard quand il l'avait doucement reposée sur le sol juste avant qu'elle ne commence à se débattre et à convulser sous son regard horrifié.
Une réaction due à la panique, lui avait assuré Taïma qui s'était répandue en excuse après qu'il lui eut décrit le terrible effet du sédatif qu'il avait injecté à Azula.
Sa plus ignoble trahison.
Je t'aime.
Il ne pensait jamais entendre ces mots sortir un jour de ses lèvres. Les entendre avait été comme un poignard planté dans le cœur.
Il réfléchissait, assis sur le bord du lit froid et vide d'Azula. Il avait passé les deux derniers jours ici depuis que le besoin d'elle,devenu trop pressant, l'avait incité à mettre de côté ses appréhensions puériles et à pousser enfin la porte de sa chambre.
Il avait passé la première journée dans son lit, à rechercher son parfum de jasmin sur ses oreillers, dans ses draps, sur le kimono écarlate qu'elle portait souvent pour dormir. Un moment, l'envie de la voir frisant l'intolérable, il s'était levé, à la recherche d'un portrait d'elle. Il s'était dirigé vers le bureau encore encombré de parchemins à moitié chiffonnés et c'est là qu'il les avait trouvés.
Les parchemins.
Les parchemins recouverts de dessins tracés dans des moments de transe, en plein milieu d'une bouffée délirante sans doute. Ils jonchaient maintenant le matelas sur lequel il les avait étalés pour mieux les étudier. Tous représentaient le même motif : un disque tracé au fusain ou peint à l'encre noire qui émergeait de la nuit, dissocié du fond ténébreux par une auréole laissée blanche qui en suggérait les contours.
Un soleil noir. Tracé mille fois, parfois minuscule et perdu dans l'immensité du ciel obscur, parfois gigantesque, occupant presque tout l'espace de la feuille. Les traces aléatoires de fusain qui remplissaient le cercle noir montraient la hâte et la frénésie avec laquelle avaient été exécutés ces dessins. Il n'était pas difficile d'imaginer Azula, aussitôt après avoir rempli un parchemin, le jeter et se saisir d'un autre pour former à nouveau le même thème obsédant, encore et encore, jusqu'à l'épuisement.
Épouvanté par cette découverte, preuve évidente de la folie d'Azula, il se mit à fouiller, à retourner la chambre. Il ouvrit chaque placards, les tiroirs, les coffres. Lui-même ignorait ce qu'il recherchait. Seul son besoin d'obtenir des réponses, de remplir son esprit de sa sœur le guidait. Mais il y avait aussi, tout au fond de lui, le désir obscur de trouver une preuve. La preuve que ce qu'elle lui avait dit, juste avant de sombrer dans l'oubli, était sincère, que ce n'était pas un moyen comme un autre de le manipuler, de le torturer.
C'est comme ça qu'il trouva les lettres, dissimulées dans un coffret qu'elle cachait dans un tiroir de son bureau.
Les lettres qu'il lui avait écrites lors de ses voyages alors qu'elle était à l'asile. Jamais il n'aurait imaginé qu'elle les eût gardées. Quand il comprit de quoi il s'agissait, quand il reconnut sa propre écriture, un torrent d'émotions déferla sur lui.
Certains parchemins étaient endommagés, plusieurs à moitié brûlés. Une partie manquait et les bords calcinés rendaient illisibles les premiers caractères de chaque colonne. On aurait dit que ces lettres avaient été jetées au feu et que quelqu'un s'était précipité pour les récupérer et les sauver des flammes dévorantes. D'autres feuilles au contraire étaient parfaitement plates, comme si elles avaient été lues et relues tant de fois que les pliures avaient disparu.
De l'une de ses lettres, il ne restait rien sinon un petit morceau au bords brûlés contenant les mots « Affectueusement. Ton frère, Zuko. »
Il lut et relut les mots qu'il avait tracés pour elle. Il lui fallut se retenir pour ne pas les réduire en cendres. Était-il donc si stupide à l'époque ? Quel genre de rustre adresserait à une pauvre folle, enfermée dans sa prison, des paroles si dépourvues de délicatesse ? Ces mots lui crachaient au visage, avec un plaisir non dissimulé, toutes ses aventures, toutes les merveilles de ce monde que ses voyages lui avaient permis de découvrir.
Lui qui croyait avoir fait preuve de sensibilité en les écrivant ! Aujourd'hui, s'il était tout à fait honnête avec lui-même, il pouvait dire que ces mots n'avaient pas été guidés que par de bonnes intentions.
La tristesse et la sollicitude qui l'animaient quand il pensait à sa sœur ne suffisaient pas toujours à faire taire la petite voix au fond de lui qui se réjouissait de sa déchéance, de la voir se rétracter dans l'ombre quand lui-même resplendissait à la lumière. Sa joie d'être, pour une fois dans sa vie, le plus chanceux des deux.
Quand la culpabilité de l'avoir abandonnée devenait trop forte, il aimait à penser qu'elle jouait la comédie ou qu'elle méritait son sort. Lui avait osé tourner le dos à leur père, il avait fait les bons choix. Qu'est-ce qui empêchait Azula de l'imiter ? Oui, mieux valait la blâmer pour ses erreurs. C'était plus facile comme ça.
Les retrouvailles après presque deux ans ponctués de rares et courtes visites, avaient constitué un choc. Sa sœur n'était plus la même personne.
Il leur avait fallu longtemps pour bâtir des ruines de leur haine quelque chose qui ressemblât à une relation saine et équilibrée. Dire qu'il avait suffi d'une soirée, une nuit pour tout chambouler.
Zuko avait tellement voulu croire en la rédemption d'Azula, se convaincre qu'elle avait changé grâce à lui, qu'il avait su la persuader d'adhérer à ses valeurs et ses idéaux. Mais maintenant, assis sur ce lit, entouré d'affaires qui lui rappelaient douloureusement ce qu'il venait de perdre, il se demanda s'il ne s'était pas leurré. Si Azula n'était pas toujours la même personne, égoïste, manipulatrice, cruelle, prête à sacrifier les autres pour obtenir ce qu'elle désirait.
« Tu es le Seigneur du Feu ! Tu peux tout ! Nous les détruirons, toi et moi. Nous les réduirons en cendres ! »
Il repensa avec un frisson à ces mots terribles qu'elle avait prononcés alors qu'elle gisait à plat-ventre sur le sol légèrement matelassé de son cachot, les mains liées dans le dos. Ce n'est qu'à ce moment-là, quand il avait vu briller dans ses yeux d'ambre une folie dévorante, que Zuko avait compris ce qu'il s'était efforcé de nier pendant plus d'un an : Azula n'avait que faire de la paix, de la République des Nations, des bonnes relations diplomatiques et de l'Avatar. Elle poursuivait un tout autre but : son frère. Et comme toujours avec Azula, tous les moyens étaient bons pour obtenir ce qu'elle désirait.
Comment avait-il pu être aveugle à ce point ? Quel homme était assez idiot pour mettre des mois, peut-être des années, à comprendre que sa sœur cherchait à le séduire ? Et même après cela, être incapable de dire quelles motivations cachait ce troublant désir de proximité, de dire si ces sentiments étaient sincères ou non ? Taïma avait raison : par son comportement surprotecteur, Zuko n'avait fait que nourrir cette obsession malsaine qui peu à peu, était devenue sienne.
Parfois Zuko se demandait si la même culpabilité, la même honte avaient rongé Azula au début. Était-ce ce qui l'avait menée à la folie ? Ses propres désirs coupables allaient-ils dévorer peu à peu son esprit et faire de lui un tyran sans scrupule ? Cela avait déjà commencé, non ? Si Azula n'avait pas attaqué Kojiro et ses amis, ses manigances l'auraient sans doute déjà conduit dans son lit.
« Ce garçon n'a eu que ce qu'il méritait. Il n'aurait pas dû essayer de prendre ce qui t'appartient. »
La jalousie irrationnelle qui le consumait chaque fois qu'il repensait à ces paroles s'insinua en lui, avec la violence sournoise d'une lame de fond.
Parfois il éprouvait une sincère et profonde pitié pour le pauvre type. D'autres fois, une rage inimaginable enflait dans sa poitrine, obscurcissait ce qui lui restait de raison et une voix désagréable dans sa tête grinçait de viles paroles, se réjouissait du sort de l'infortuné garçon dont le seul crime était peut-être d'avoir croisé la route de la dangereuse princesse de la Nation du Feu.
Puis Zuko se raisonnait. Quoi qu'ait pu faire Kojiro, il n'avait sans doute pas mérité son terrible sort. Il connaissait Azula. Si elle s'était comportée avec le garçon comme elle le faisait avec les hommes lors des soirées mondaines, comme elle le faisait avec lui, pouvait-on lui reprocher d'avoir cru à sa chance ?
Quelle raison absurde avait poussé Azula à sortir avec un homme, pour commencer ? Elle avait sans doute voulu attiser sa jalousie. Avec succès, bien sûr. Il avait toujours été le jouet d'Azula, une proie facile laissée à sa soif de domination. Elle s'était toujours servie de lui pour obtenir ce qu'elle voulait. Maintenant qu'il était lui-même l'objet de sa convoitise, qui sait quel plan aussi ingénieux que tordu elle avait été capable d'enfanter pour l'attirer dans sa toile ? Il avait eu la prétention de croire qu'il connaissait Azula mais qui pouvait s'en targuer ? Zuko avait passé ces derniers mois, ces dernières années dans le déni, refusant de voir la vraie nature des sentiments d'Azula. La vraie nature de ses propres sentiments.
Il faut dire qu'elle avait une drôle de façon de montrer son affection. Elle l'avait d'abord poursuivi, traqué sans relâche à travers le Royaume de la Terre. Elle l'avait poussé à trahir son oncle pour elle, l'avait fait revenir, poussé dans les bras de Mai. Avait menti à leur père pour le mettre dans une situation embarrassante, un nouveau moyen sans doute de l'attacher à elle. Elle l'avait fait chanter, menacé, s'était moquée de lui.
Mais elle était venue le trouver aussi, sur l'Île de Braise, alors qu'il ressassait de sombres pensées dans leur ancienne maison de vacances. A sa manière brusque et méprisante, elle avait montré de la sollicitude pour lui, s'était inquiétée de savoir pourquoi il était si troublé. C'était sa sœur qui était venue le chercher cette nuit-là, pas Mai.
Qu'avait ressenti Azula quand il était parti le jour du Soleil Noir ? Il n'y avait jamais vraiment songé jusqu'à ce qu'il trouve ces dessins insensés tracés par la main d'une folle.
Assis au bord du lit d'Azula dans une mer de parchemins, Zuko prit dans ses mains l'une des lettres qu'il lui avait écrites. Elle n'avait rien de particulier au premier regard. Mais quand il la retourna, son cœur fit un bond violent dans sa poitrine. Presque effacée, tracée avec une encre pâle, on pouvait déchiffrer l'amorce d'une réponse qu'elle avait tenté de lui écrire et qui n'avait jamais atteint son destinataire.
«Reviens »
Zuko serra plus fort le papier pour empêcher ses doigts de trembler. Deux grosses gouttes tombèrent de ses yeux sur le parchemin et brouillèrent l'encre, rendant illisible le seul mot qu'elle lui eût jamais écrit au cours de ces trois longues années passées à l'asile.
« Non ! Non ! » murmura-t-il.
Il augmenta la température de ses mains pour essayer de sécher le parchemin mais il craignit de l'embraser dans sa précipitation. Peut-être pourrait-il demander à Katara ou à Taïma de retirer l'eau ? Il les avait déjà vues récupérer des papiers trempés de cette manière.
Mais comment aurait-il expliqué ? Il fuyait ses amis et ses responsabilités depuis tellement longtemps maintenant. Il n'autorisait personne à venir auprès de lui, à l'exception de Taïma dont il exigeait un rapport journalier de l'état de santé d'Azula.
Ce matin encore il s'était emporté contre elle, lui reprochant son inefficacité après qu'elle lui eut dit que la princesse ne s'était toujours pas laissé approcher.
Il regrettait maintenant son manque de tact et de gratitude. Après tout, Taïma devait être la seule personne ici, en-dehors de lui, à se soucier encore d'Azula. Il craignait de la faire fuir en se comportant comme un mufle. Il avait tenté de balbutier des excuses maladroites mais Taïma était déjà partie.
Katara ne le regardait plus de la même façon depuis qu'il avait été sur le point de lancer un éclair sur son frère.
Zuko n'avait pas vraiment pris le temps de réfléchir à ce qui s'était passé. Jamais jusqu'ici il n'avait été capable de maîtriser la foudre. Il supposait que son désir de protéger Azula devait être à l'origine de cet accident. Il aurait aimé dire qu'il regrettait d'avoir perdu le contrôle de ses nerfs mais le souvenir de la rage meurtrière dans les yeux de Sokka l'en empêchait. Sokka était parti avec Suki pour dieu sait quel mission diplomatique. Il n'avait même pas eu la curiosité d'en savoir plus à ce sujet. Plus rien ne comptait maintenant.
Il n'était même plus capable de parler à Aang. Pourtant le jeune Avatar avait tenté maintes et maintes fois de le voir. Toujours, Zuko avait fui.
Ty Lee était partie le lendemain de l'incarcération d'Azula, la tête basse, le cœur brisé. Il n'avait aucune nouvelle.
Et Mai. Zuko ne cesserait jamais de se le reprocher, mais quand il pensait à sa femme, il n'éprouvait qu'un grand froid dans la poitrine. Il était convaincu qu'elle jubilait du départ d'Azula et craignait ce qu'il pourrait lui dire ou lui faire s'ils venaient à en parler. Il ne supporterait pas de l'entendre dire : « Je te l'avais bien dit » ou « Tu as fait ce qu'il fallait. Elle est folle, irrécupérable. »
Azula s'en était sortie, une fois. Elle s'était échappée de l'enfer et des méandres de sa folie, grâce aux efforts conjugués de Taïma, Katara et à la patience et l'affection de Zuko.
Peut-être pouvait-elle guérir à nouveau ?
Pour le moment elle était en sécurité là-bas, loin de la colère de ses amis et de la menace de leurs ennemis qui ne connaîtraient de repos tant qu'il ne la leur aurait pas livrée. Au moins, ses détracteurs au sein de la Nation du Feu ne pouvaient-ils rien lui reprocher. Il essayait de maintenir aussi secrets que possibles les crimes commis par Azula ces dernières semaines, mais il y avait des fuites, inévitablement, pour ne pas dire une inondation !
Zuko reposa soigneusement la lettre sur le sommet de la pile de parchemins, à côté d'un portrait de leur mère qu'il avait trouvé, dissimulé sous l'oreiller de la princesse, et de la tunique découverte dans la garde-robe d'Azula. Il l'avait tout de suite reconnue à sa teinte vert olive aux couleurs du Royaume de la Terre et aux liserés de fils d'argent brodés sur l'encolure et sur les manches. Il l'avait perdue des mois auparavant et se souvint, avec une pointe de culpabilité, avoir vertement reproché aux lavandières du palais la disparition de ce vêtement qui lui avait été offert par Iroh pour son dix-huitième anniversaire. Il se demanda d'abord ce qu'elle faisait en possession d'Azula et ne put s'empêcher de rougir furieusement quand une image fugace traversa son esprit: celle de sa sœur, humant et tenant la tunique contre son cœur, la serrant contre elle pour dormir peut-être.
Il fallait qu'il sorte de là, qu'il aère son corps et son esprit. Peut-être pourrait-il retourner sur la petite crique ? Ou se rendre à la prison ? Non. Taïma le lui avait déconseillé. D'après elle, Azula n'était pas en état de recevoir des visites. Il craignait de savoir ce que cela impliquait. Elle avait définitivement perdu la raison.
La tentation pourtant était grande d'aller la retrouver. Et si elle l'attaquait, après tout, est-ce que ce ne serait pas mérité ? Ce serait peut-être doux de mourir de sa main.
Il pourrait peut-être la libérer en secret ? Ils fuiraient tous les deux et il veillerait sur elle jusqu'à ce qu'elle soit guérie à nouveau.
Et quoi ? Il laisserait une nation orpheline, sans dirigeant ? Aang serait peut-être là, et Mai aussi. Ils s'occuperaient de son pays le temps qu'il revienne avec une Azula resplendissante de santé. Ou alors ils erreraient des années durant, vivant une vie d'amants maudits, priant de toutes leurs force pour que jamais on ne les reconnaisse, pour que la maladie épargne Azula ?
Il poussa un soupir méprisant, atterré par la stupidité et la naïveté de ses pensées.
Il n'irait pas voir Azula. Il n'en avait pas le courage. Elle ne guérirait pas cette fois. Le traitement miraculeux de Taïma avait cessé de fonctionner et tout était à recommencer. A en croire la guérisseuse, Azula avait cessé de se nourrir. Elle serait morte avant que Taïma ne mette au point une nouvelle formule.
Zuko essuya ses larmes en jurant. Il reprit la lettre et avec des geste précautionneux, il découpa la partie sur laquelle était inscrite la supplique d'Azula.
Reviens.
Il fourra le morceau de parchemin dans sa poche de poitrine tout contre son cœur. Puis il jeta tous les autres papiers sur le sol de pierre et, pointant deux doigts en avant, il les embrasa.
Il resta un moment, contemplant le brasier. Le reflet des flammes orange dansait dans ses yeux d'or pareils à deux soleils illuminant la nuit de son visage.
Il étouffa ensuite les braises à l'aide de la tunique offerte par oncle Iroh et quand il ne resta plus qu'un tas de cendres, il quitta la pièce, sans un regard en arrière.
Nuit.
Aucune lueur ne filtrait des barreaux de sa cellule. Ce devait être la nouvelle lune.
Azula n'aimait pas ça. Les nuits sans lune lui faisaient peur.
Les rampants se glissaient plus aisément sous son lit à la faveur de l'obscurité. Ils n'aimaient pas la lumière.
Comme toutes les nuits, Azula tremblait sur son lit, recroquevillée contre le mur. Elle avait dû s'endormir assise à en juger par ses muscles endoloris.
Pourtant elle avait juré de rester éveillée. Il ne fallait plus dormir. Dormir, c'était se rendre vulnérable. Père risquait de venir, de se glisser dans son lit par surprise.
Il viendrait de toute façon. Il venait toutes les nuits. Elle s'éveillait en sentant ses mains se glisser sous sa chemise, ses doigts tirer sur l'ourlet de son pantalon. Avant qu'elle ait pu réagir, il était déjà sur elle, la maintenant étroitement contre lui et elle ne pouvait rien faire. Rien. Elle subissait ses assauts, soirs après soirs. Elle aurait bien voulu crier, appeler à l'aide, mais Père le lui avait interdit.
Parfois la journée, elle arrivait à se persuader que tout cela n'était pas réel. Elle se rappelait pourquoi elle était ici et essayait de se raisonner.
Rien de tout cela n'est vrai. Ce ne sont que des hallucinations, des souvenirs. Tu es redevenue folle, c'est tout.
Mais si ce n'étaient que des hallucinations, alors pourquoi sentait-elle le souffle brûlant de Père dans son cou quand il se démenait au-dessus d'elle nuit après nuit ?
Il y avait des règles ! On pouvait voir les hallucinations. On pouvait les entendre et leur parler, et dans une certaine mesure, on pouvait les toucher aussi. Mais jusqu'ici, elles n'avaient jamais dégagé la moindre chaleur. C'était la règle. C'est comme ça qu'Azula les reconnaissait. Si les règles n'avaient plus cours, comment discerner ce qui était réel et ce qui ne l'était pas ? Était-ce parce que sa maladie empirait ? Ou bien tout cela se produisait-il vraiment ? Est-ce que Zuko avait libéré leur père de prison pour qu'il vienne la punir et la tourmenter ?
À propos de Zuko, que penser de sa présence ? Il restait là, nuit et jour, tapi dans un recoin poussiéreux de sa cellule, à l'épier. Parfois, son œil doré et sa couronne étincelaient dans un rayon de lune, ou un éclat de soleil. Au crépuscule, quand le sol de sa prison se recouvrait d'un tapis de lumière rougeoyante, elle apercevait le bout de ses bottes pointues.
Elle savait qu'il scrutait chacun de ses mouvements. Il la regardait avec une joie démente quand elle se lavait dans le grand baquet posé sur le sol en pierre de sa cellule. Elle sentait son regard fixe dans son dos quand elle s'endormait, face au mur. Il riait quand Père lui rendait visite le soir. Elle était certaine que ce spectacle l'excitait, qu'il se délectait de l'ironie de la situation.
Tu voulais si désespérément plaire à Père, avoir toute son attention pour toi seule. Eh bien tu l'as maintenant ! Il ne vient que pour toi. Ce n'est pas ce que tu voulais ?
Zuko restait silencieux. Il ne parlait jamais mais c'était inutile. Elle le comprenait à la façon dont se retroussaient ses lèvres, à la lueur malveillante qui brillait dans ses yeux.
Il n'était là que pour assister à son humiliation et à son agonie.
Elle ne pouvait même plus se nourrir. Une fois, alors qu'elle prélevait à mains nues quelques grains de riz et une poignée de lentilles dans le plateau que des gardiens lui passaient par une trappe, elle croisa son regard avide et attentif. Un rictus méchant étira ses lèvres fines et elle comprit.
Repoussant son assiette au loin, elle se leva, recula contre le mur opposé et hurla : « Traître ! Tu crois que je n'ai pas compris ! Tu essaies de m'empoisonner ! Eh bien ton plan ridicule a échoué ! Je ne toucherai plus un grain de riz ! »
Cela n'avait pas été trop difficile au début. Mais maintenant, elle mourait de faim. Il lui fallait rassembler toute la force de sa volonté pour ne pas se jeter sur le plateau qui continuait d'arriver, trois fois par jour, par la trappe percée dans la porte blindée. C'était un autre moyen pour Zuko de la torturer. Non content de l'affamer, il fallait qu'il lui mette sous les yeux des assiettes remplies de denrées délicieuses. Depuis quelques jours, le vulgaire bol de riz et lentilles servi à l'ensemble des détenus avait été remplacé par des mets variés et raffinés : chop suey au poulet et à l'ananas, lamelles de bœuf marinées, sashimis, fruits rouges et figues juteuses.
Elle repoussait dans un coin de la cellule les assiettes laissées intactes, essayant de ne pas prêter attention aux effluves qui s'en dégageaient.
Mais bientôt, des rats commencèrent à coloniser la pièce, trop heureux de cette aubaine inespérée. Épouvantée, Azula les fit fuir en leur lançant des flammes, puis des éclairs. Mais ils revenaient toujours. Un matin, au réveil, elle eut la désagréable surprise de trouver l'un de ces immondes rongeurs sur son lit à quelques centimètres de son visage. Elle ne réagit pas tout de suite. C'étaient ses couinements dégoûtants qui l'avaient tirée de sa torpeur. Poussant un hurlement suraigu, elle repoussa violemment la bestiole qui poussa un petit cri en heurtant le mur. Médusée, Azula se plaqua contre le mur et regarda la répugnante créature traverser la pièce dans sa direction et grimper aussitôt sur le lit. Elle en sortit d'un bond et se jeta vers les restes pourrissants de nourriture. Se saisissant des plateaux empilés, elle jeta leur contenu à travers les barreaux de sa cellule. Elle se débarrassa ainsi de chacun de ses repas.
Les rats cessèrent rapidement de venir. Mais pas la faim. Non, la faim l'obsédait nuit et jour, occupait chacune de ses pensées. La douleur à l'estomac était insupportable et elle n'avait plus rien à vomir qu'une bile jaune répugnante avec, parfois, un mince filet de sang. Azula avait cessé de s'en émouvoir.
Elle se méfiait aussi de l'eau mais c'était impossible de résister à la tentation d'hydrater sa gorge qui la brûlait au bout de quelques minutes sans boire.
Elle continua donc de s'abreuver, s'efforçant d'ignorer le visage fourbe de son frère qui dardait sur elle des yeux jaunes aussi luisants que des petits soleils. Fort heureusement, il semblait qu'il n'y eût rien à craindre de l'eau qui s'écoulait du robinet fixé dans le mur et dont elle remplissait son baquet pour sa toilette. Elle essaya de tromper sa faim en se gavant d'eau mais elle ne parvint qu'à augmenter ses maux de ventre.
L'atmosphère dans la triste cellule grise était irrespirable depuis quelques jours. Au-dehors, quand elle restait calme suffisamment longtemps, elle entendait le chant continu des grillons qui couvrait les sons ordinaires de la prison : les cris des gardiens et des autres détenus, le fracas des portes métalliques que l'on ouvrait et refermait. Ces bêtes lui faisaient perdre ce qu'elle conservait de raison. Leurs stridulations suraiguës semblaient intensifier l'atmosphère épaissie par la fournaise et empirait la sensation d'étouffement qui oppressait Azula. Les nuits auraient dû être un soulagement, mais elles ne l'étaient pas.
Elle était certaine que ce soir encore,il allait revenir. Et les rampants seraient là aussi. Nuit sans lune. L'occasion était trop belle.
Non. Non ! Je ne peux plus, je ne peux plus !
Si seulement Maman était là ! Elle aurait tellement voulu la voir, qu'elle vienne lui tenir la main pour lui donner un peu de courage pendant les visites nocturnes de Père, ou lui chanter l'une de ses berceuses.
Elle ne lui avait pas rendu une seule visite depuis qu'elle était enfermée ici. C'était la faute de Zuko, elle en était certaine ! Son traître de frère voulait garder leur mère pour lui tout seul. Il était jaloux. Jaloux de l'attention qu'Ursa accordait enfin à sa fille. Il ne le supportait pas. C'est sans doute pour cela qu'il l'avait fait enfermer. C'était pour cela qu'il restait ici, nuit et jour dans cette cellule déprimante. Il s'assurait qu'Ursa ne viendrait pas pour elle.
Elle avait été assez naïve pour lui révéler que Maman était de retour. Alors Zuko s'était saisi du premier prétexte pour la tenir à l'écart. Quelle idiote elle faisait !
Souvent, Azula repensait aux baisers qu'ils avaient échangé dans la cellule aux murs capitonnés, juste avant qu'il ne la trahisse ignoblement.
Elle avait été si stupide ! Père ne lui avait-il pas toujours dit que l'amour et la confiance étaient pour les imbéciles ? Ne l'avait-il pas prévenue, seulement quelques heures avant ?
Et dire qu'elle lui avait déclaré son amour !
Dans son cœur meurtri, la honte combattait le chagrin et la rancœur. Il devait bien se moquer d'elle maintenant.
Elle les imaginait, tous : Zuko, Mai, Ty Lee, riant à s'en tenir le ventre pendant qu'il leur racontait cette scène pathétique : comment Azula s'était naïvement abandonnée à lui, comment elle lui avait avoué ses sentiments et comment elle avait mendié un peu d'affection en pressant ses lèvres contre les siennes.
Mais Azula n'était plus dupe ! Tout cela faisait partie du plan de Zuko depuis le début.
Il l'avait séduite, il avait profité de sa faiblesse et s'en était servi pour l'anéantir. Il avait endormi sa méfiance en lui rendant sa couronne, lui avait fait la cour.
Quand Zuko aurait enfin été à elle, il l'aurait gardée près de lui et elle aurait régné à ses côtés. Elle y avait cru ! Elle avait été assez pathétique pour se contenter de l'once de pouvoir qu'il avait fait semblant de lui rendre, avait pris ses gestes tendres pour des preuves d'amour.
Elle avait envie de cracher par terre de dépit en repensant à la comédie de Zuko, à ses états-d'âme quand il prétendait se débattre avec ses désirs coupables. Il ne faisait que jouer le rôle du frère tourmenté, déchiré mais en vérité, dès qu'elle avait le dos tourné, il riait de ses propres efforts pour le séduire.
Quand le garçon stupide et maladroit qu'elle avait connu dans sa jeunesse était-il devenu aussi malin, aussi rusé ?
Sa mère avait raison. Il ne l'avait jamais aimée.
Tu m'as manqué.
Cette confidence soufflée dans le creux de sa nuque quand il l'avait tenue dans ses bras le soir de l'incident avec Kojiro… Des paroles creuses, mensongères.
Ses lèvres brûlantes dans son cou, sur sa bouche, sur ses seins…
Ses mots étaient des parjures, ses caresses des mensonges.
Azula se sentait souillée, salie, trahie. Elle s'était laissé manipuler, comme une pauvre ingénue éperdue d'amour. Quelle honte !
Allez, cesse de penser à ça ! C'est dangereux !
Oui. Les voix avaient raison. Il ne fallait pas penser à ses étreintes avec Zuko.
Pas à l'heure des ombres.
Père n'avait encore rien dit à ce sujet. Que ferait-il quand il découvrirait qu'elle avait laissé son frère lui faire ces choses dégoûtantes qu'il redoutait tant ?
Un bruissement léger, derrière le baquet, la tira de ses pensées.
Ils arrivent ! Regarde !
Les voix s'élevèrent toutes en même temps dans sa tête et ce fut une cacophonie. Certaines hurlaient, affolées, d'autres pleuraient, d'autres éclataient de rire. Il lui semblait même entendre des ovations derrière les exclamations de joie et de terreur.
– TAISEZ-VOUS ! » aboya Azula, les deux mains plaquées contre ses oreilles, la tête rentrée dans les épaules.
Le silence retomba. Et c'était mille fois pire, car ils étaient là. Elle les vit ramper, projetant leurs ombres fantastiques dans la lueur opalescente du petit globe en verre dépoli qui lui servait de lampe de chevet. Une terreur démentielle étreignit le cœur d'Azula et elle se ratatina sur son lit, ses yeux agrandis par l'épouvante.
Autour d'elle, elle entendait le frottement de leurs genoux cagneux contre le sol en granit. Leurs corps décharné et ténébreux glissaient imperceptiblement le long des murs, sur le sol, sur le plafond de sa cellule, cafards absurdes tapis dans l'ombre. Bientôt, leurs bras émaciés s'étendraient indéfiniment pour la saisir à la cheville ou aux poignets. Ils la maintiendraient là jusqu'à l'arrivée de Père pour l'empêcher de se débattre.
Azula arracha sa fine couverture et la passa au-dessus de sa tête avant de se rouler en boule sur son matelas. Plus loin, dans le recoin, elle entendit remuer Zuko qui trépignait d'impatience. Elle poussa un gémissement de terreur.
Elle fut incapable de crier, ni même de se débattre quand les mains étiques aux os durs et saillants s'enroulèrent autour de ses membres graciles
« Tu es à moi »
Elle ferma plus étroitement les paupières pour ne pas voir le propriétaire de la voix gutturale qui venait de s'élever dans les ténèbres.
« Regarde-moi », gronda la voix.
Azula obéit. Elle ne pouvait rien refuser à son père.
Deux yeux jaunes étincelants brillaient sur la face charbonneuse de la créature. Sur sa tête, une couronne à cinq flammes miroitait dans le halo laiteux de la lampe. Sa barbiche noire recourbée comme un point d'interrogation pendait sous son menton pointu et effleurait déjà la poitrine d'Azula qui se soulevait et s'abaissait au rythme effréné de sa panique.
« Bonne fille... »
Azula s'évanouit.
Elle s'éveilla à l'aube, le corps flasque, les joues salies par les larmes.
Une nouvelle journée commençait. Tout de suite, la sensation familière de la faim la terrassa. Sa gorge était sèche mais elle ne trouva pas l'énergie d'aller boire. Elle passa la journée sur son matelas, incapable de bouger, gardant le dos résolument tourné à la pièce, fascinée par les dessins que les aspérités de la pierre formaient sur les murs. Elle ne réagit pas quand on cogna à la porte et qu'une voix inquiète l'appela :
« Azula ? Azula ! »
Laissez-moi tranquille.
Parler à voix haute était trop éprouvant.
« A-t-elle mangé quelque chose depuis hier ?
– Toujours rien, maître Taïma. »
Azula enfouit sa tête sous son oreiller pour ne plus les entendre et poussa un grognement. Si les nuits étaient pleines de terreurs, les journées s'étiraient et se répétaient, comme dans une mauvaise comédie. Ils ne la laissaient jamais tranquille !
La fausse sollicitude de Taïma l'épuisait. Chaque matin elle revenait, l'appelait à travers la porte, prétendant vouloir lui parler et l'ausculter, lui administrer son traitement. Comme si cela servait encore à quelque chose !
Mais Azula n'était pas aussi stupide que la guérisseuse aimait à le croire. Le temps de la confiance était terminé. Elle savait parfaitement d'où provenait le sérum que Zuko avait utilisé pour l'endormir.
Taïma était entrée deux ou trois fois. Chaque fois, Azula s'était bien défendue et l'avait obligée à battre en retraite. Elle était heureuse que ce soit elle et non Katara que Zuko envoyait. Elle n'était pas certaine, dans son état actuel, de pouvoir venir à bout de cette dernière. Toute idiote et mièvre qu'elle était, la paysanne n'en était pas moins un puissant maître de son élément.
A cet instant, on frappa trois nouveaux coups à la porte.
« Azula ? »
Cette fois, la princesse perdit patience.
« Laissez-moi ! parvint-elle à crier d'une voix éraillée, où perçaient davantage la détresse et la peur que la colère.
– Azula, c'est moi, Taïma. Vous n'avez rien à craindre de moi, je veux juste m'assurer que vous allez bien, c'est tout.
– Menteuse ! Menteuse ! Je sais pourquoi vous êtes ici ! N'approchez pas ! »
Pourquoi fallait-il que les larmes choisissent ce moment pour s'inviter ? Quand Taïma rapporterait cet échange à Zuko – au vrai Zuko, se reprit-elle – , il se moquerait d'elle.
Le silence s'installa et Azula pensa avec soulagement que Taïma avait dû partir.
Mais c'était trop beau, évidemment. Azula entendit un cliquetis métallique dans la serrure.
Elle n'eut pas le temps de se redresser que déjà, Taïma, escortée par deux gardiens aux proportions impressionnantes entrèrent dans la cellule. Azula les regarda avec appréhension et son estomac se noua douloureusement quand elle remarqua la silhouette des deux gardiens. Le souvenir du docteur Huan Li flanqué de ses deux acolytes frappa sa mémoire et elle eut envie de se recroqueviller dans son lit.
Mais il n'en était pas question. Cette fois au moins, elle avait les mains libres, et pas de camisole. Réunissant tout son courage et le peu de forces qui lui restaient, elle recula contre le mur et leva devant elle deux mains tremblantes. Le feu contenu dans ses veines lécha sa peau et deux flammes azur apparurent au bout de ses doigts.
« Allons, Princesse, la réprimanda doucement Taïma. Soyez raisonnable. Vous avez besoin de soins. Il faut que vous mangiez ! »
– Non, non ! Laissez-moi ! N'approchez- pas ! »
Azula renonça à contenir les sanglots qu'elle sentait monter dans sa gorge.
Les deux gardes en profitèrent pour se jeter sur elle. Les deux flammes vacillantes disparurent dans sa panique et elle se retrouva bientôt clouée sur son matelas, la tête contre son oreiller, hurlante. L'un des gardiens retenait ses poignets, un genou calé sur son dos. L'autre restait là, prêt à l'assister si nécessaire.
Azula essaya de se débattre mais n'en eut pas la force. Taïma s'approcha, ses grands yeux tristes fixant le visage d'Azula dévasté par la colère. Si elle n'avait pas si bien connu la guérisseuse, Azula aurait presque pu croire que c'était de la pitié qui brillait dans les iris turquoises. Mais elle était comme tous les autres, juste une… une sale...une sale petite…
« ...traîtresse ! »
Ce fut le seul mot que la petite voix chevrotante d'Azula put prononcer. Une douleur aiguë dans le bras et le monde vacilla à nouveau, perdant ses contours. L'obscurité l'enveloppa à nouveau.
Depuis le plateau aride sur lequel ils avaient installé leur campement, Iroh contemplait, dans les lueurs agonisantes du crépuscule, les cimes rosissantes des montagnes escarpées qui entouraient la merveilleuse citadelle d'Omashu.
C'était Sokka qui avait insisté pour camper ici plutôt que de loger dans la cité où ils auraient pu bénéficier de l'hospitalité et de la protection de Bumi. Il paraissait plus sage au jeune guerrier de se tenir à l'écart de la population. Bien que Sokka et Suki ne jouissent pas de la même renommée que l'Avatar, leur implication dans la défaite d'Ozai était connue du grand public et il ne faisait pas bon errer dans le Royaume de la Terre ces temps-ci, lorsque l'on était un ami notoire de l'actuel Seigneur du Feu.
Iroh ne pouvait que lui donner raison. Son voyage jusqu'à Omashu, loin d'apaiser ses inquiétudes, les avait renforcées. Partout où il était passé, du plus modeste des hameaux à la plus resplendissante des cités, il n'était pas un village, pas une ville où on n'entendît pas quelque orateur, debout sur des tréteaux, haranguer les foules, exhortant le peuple à la révolution, à soutenir les émeutiers des colonies, à refuser la tyrannie du Seigneur du Feu. Il n'existait pas un panneau où ne fussent pas placardées des affiches semblables à celles qui avaient tant horrifié Iroh à Ba Sing Se.
Sur les routes, il avait rencontré maints citoyens de la Nation du Feu : jeunes, vieux, solitaires, civils, soldats, déserteurs, familles… Tous se pressaient vers la métropole pour y chercher la protection de leur souverain. Les migrants voyageaient en groupes pour assurer leur sécurité, parfois encadrés par des soldats ayant fui avec eux la violence des natifs, voyant dans cette mission un moyen de réparer leur échec.
Iroh avait parfois campé avec eux. C'est ainsi qu'il s'était tenu informé des nouvelles jusqu'à son arrivée à Omashu où, s'étant introduit discrètement dans la ville parmi un convoi de marchands, il avait emprunté les souterrains jusqu'au palais de son vieil ami Bumi qui l'attendait depuis qu'il avait reçu son faucon l'informant de son départ de Ba Sing Se.
Pas du tout surpris de le voir, donc, le vieux fou lui avait tendu une lettre d'Aang qui était arrivée quelques jours plus tôt et qui détaillait les horribles incidents survenus dans sa Nation au cours des semaines précédentes.
Mais le récit de l'Avatar n'était rien comparé à ce que lui raconta Sokka quelques heures plus tard quand la providence leur permit de se rencontrer dans les environs de la ville, près de la Grotte des Amoureux où le jeune homme campait avec Suki. La providence ou plutôt les touffes de poils semées par Appa, en pleine mue, et qui guidèrent les pas d'Iroh depuis le centre-ville jusqu'à la cachette des deux jeunes gens.
La joie des retrouvailles fut rapidement dissipée par le sombre récit que firent Sokka et Suki des derniers événements.
Ainsi, Azula avait bien agressé et mutilé le fils d'un Commandant de la flotte aérienne. Zuko, aveuglé par son désir de la protéger, s'était attiré l'hostilité d'une partie de l'armée, du Conseil des Sages et même de ses plus proches amis.
« Que les choses soient bien claires, annonça d'emblée le jeune garçon, je suis ici pour Aang et Katara. Zuko et Azula sont allés trop loin et sont indéfendables. Je viens pour essayer de maintenir la paix, pas pour régler les problèmes de ces deux cinglés.
– Je comprends ta colère, Sokka, lui répondit patiemment Iroh en posant une main amicale sur son épaule. Mon neveu n'a jamais eu beaucoup de discernement quand il s'agit de sa sœur.
– Certains disent qu'ils sont amants, coupa Sokka d'un ton sec, sans prendre la peine de ménager Iroh qui baissa la tête pour dissimuler l'expression de dégoût qui parcourut son visage.
– J'ai entendu parler de cela, oui. Des rumeurs, rien de plus, tant que nous n'avons pas de preuve tangible d'une telle liaison. »
Derrière Sokka, Suki dansait d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise, comme si elle était saisie d'une envie pressante. Ses joues étaient un peu rouges.
Décidant d'abandonner tout faux-semblant, le cœur battant dans sa poitrine par anticipation, Iroh les interrogea :
« Vous pensez que c'est vrai ?
– Je n'en sais rien, répondit aussitôt Sokka qui n'éprouvait apparemment pas la même gêne à ce sujet. Moi-même je n'ai rien vu et Azula faisait rarement des apparitions à notre table. En fait c'est à peine si on l'a vue pendant notre séjour jusqu'à ce qu'elle pète les plombs. Mais il se passe quelque chose de pas net. Aang et Katara sont soucieux, je le vois bien, même s'ils ne nous disent rien. »
Iroh perçut l'amertume dans la voix du jeune guerrier. Ce n'était un secret pour personne : tout leur entourage connaissait le complexe d'infériorité qu'éprouvait parfois Sokka face aux incroyables compétences de ses amis. Être tenu à l'écart de sujets aussi brûlants devait renforcer sa frustration.
« Ecoutez tous les deux. Je ne vous demande pas de défendre mon neuveu. Et il a toujours eu un tempérament impulsif. Quant à ma nièce, eh bien... » Il se tut un moment et ce silence parla pour lui. « Ce que vous m'avez raconté tous les deux m'inquiète terriblement. Vous avez accompli votre mission, vous m'avez prévenu. Je comprendrais que vous ne veuillez pas m'accompagner. »
Suki s'empressa de le détromper. Bien sûr qu'ils l'escorteraient jusqu'à la Caldera. C'était leur mission et ils s'en acquitteraient.
« Vous seul pouvez aider Zuko à s'apaiser. Il vous écoutera.», lui dit-elle, ses yeux mauves emplis d'une douceur réconfortante.
Iroh abaissa les yeux vers l'abdomen de la jeune femme déformé par un doux renflement et une pointe de culpabilité lui serra le cœur quand il pensa à ce qui se serait passé si Katara et Toph n'avaient pu arrêter Azula à temps.
« Je suis navrée pour ce que ma nièce vous a fait, à tous les deux. Et pour le comportement inacceptable de mon neveu. Je ne vous demande pas de le pardonner, mais j'espère que vous trouverez en vous la force de le faire. »
Sokka baissa les yeux vers le sol, mais Suki soutint son regard et Iroh comprit qu'elle avait déjà commencé à pardonner.
Après tout, en faisant enfermer Azula, Zuko avait fait le bon choix. Pouvait-on le blâmer de vouloir protéger sa famille ? N'était-ce pas ce que faisait Sokka ?
Ces réflexions n'aidèrent pas à dissiper le goût d'amertume qu'Iroh sentait dans sa bouche. La façon dont Zuko défendait Azula au prix de son amitié avec Sokka, Toph, Aang et Katara, ne présageait rien de bon. Il repensa avec un malaise grandissant à l'affiche, toujours pliée dans sa poche, qu'il regardait parfois le soir, aussi fasciné que révulsé par sa grossièreté et par ses allusions répugnantes.
Ils changèrent de sujet et Iroh fut reconnaissant à ses jeunes amis de ne plus en parler.
Ils restèrent deux jours à Omashu, le temps de s'équiper et de s'approvisionner. Des serviteurs de Bumi leur apportèrent ce dont ils avaient besoin au pied de la grotte des amoureux. Sokka et Iroh descendirent du plateau élevé où ils campaient pour récupérer les victuailles pendant que Suki brossait Appa et le préparait.
Ils ne feraient guère de pause, sauf pour laisser Appa dormir. Un voyage d'une semaine au-dessus de l'océan les attendait.
« Alors Iroh, vous êtes prêt ? »
À contrecœur, Iroh détourna les yeux du spectacle de la citadelle étincelante dans le crépuscule et son regard se fixa sur le visage avenant de Suki qui lui tendait sa besace.
Avec un sourire triste qui n'atteignit pas ses yeux, Iroh s'empara du sac, remercia la jeune femme et la suivit, marchant vers le gigantesque bison volant sur lequel Sokka, le visage grave, les sourcils froncés, les attendait, prêt à s'envoler vers la Nation du Feu.
Iroh rentrait chez lui.
Quand Azula reprit conscience, il faisait déjà presque nuit. Les rayons de la lune à son premier quartier s'infiltraient à travers les barreaux, dessinant sur le sol une série de lignes parallèles bleuâtres et fantomatiques.
Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Plusieurs jours peut-être ?
Elle se sentait un peu nauséeuse et renonça rapidement à s'asseoir. Elle était allongée sur le côté, si bien que le bras sur lequel elle reposait était tout engourdi. En le regardant, elle découvrit qu'un long bandage recouvrait tout son avant-bras, du poignet jusqu'au coude, dissimulant les mutilations qu'elle s'était infligées à l'aide d'une tige de métal arrachée à la structure de son lit.
Si Taïma pensait que ses stupides bandages suffiraient à la dissuader de se punir !
Elle retira la couverture qui la recouvrait et constata qu'on avait changé ses vêtements. Elle portait maintenant une tunique et des caleçons propres et frais.
Étrangement, la faim avait disparu, remplacée par une sensation réconfortante de satiété. Est-ce que d'une manière ou d'une autre, ils étaient parvenus à la nourrir pendant qu'elle dormait ?
Cette idée la tira soudainement de sa torpeur. Elle se redressa sur son coude puis, quand la tête cessa de lui tourner, s'assit sur son flanc en se maintenant avec ses deux bras fermement plantés dans le matelas. Azula resta un moment immobile, attentive aux battements de son propre cœur, au rythme de sa respiration.
Elle semblait aller bien, aussi bien que possible. Si la nourriture qu'ils lui avaient donnée était empoisonnée, elle serait probablement déjà malade. Malgré tout, il n'était pas question de laisser Taïma l'approcher à nouveau. Peu importait qu'elle fût réelle ou non. Il n'était que trop évident qu'elle agissait avec la complicité de Zuko. Il devait avoir ordonné qu'on la soigne pour mieux prolonger sa souffrance.
Pourquoi son frère lui refusait-il le droit de partir de la manière qu'elle avait choisie ? Fallait-il qu'il la contrôle à ce point ? Qu'il décide de son destin ? Il l'avait privée de sa liberté, de sa dignité. Maintenant il la privait de sa propre mort, l'en dépossédait.
Il n'était même pas venu la voir. Zuko se fichait bien qu'elle meure, du moment qu'il décidait où et quand.
Elle avait découvert son plan perfide. Faire croire à tous qu'il était un roi miséricordieux qui avait accordé son pardon à une pauvre folle. Qu'il était un grand frère prévenant et aimant. Lui faire croire à elle qu'il l'aimait, qu'il la voulait, la retenir jalousement auprès de lui jusqu'à ce qu'elle soit éperdue d'amour. La faire espérer, la faire attendre, la rejeter puis la reprendre et la faire espérer encore, jusqu'à ce qu'elle en perde la raison. Ainsi, une fois devenue folle, il n'aurait plus rien à faire. C'était comme dans une tragédie. Tout n'avait plus qu'à se dérouler tout seul.
Azula devait reconnaître qu'il avait joué à un jeu dangereux. Cette histoire d'amours incestueuses aurait pu lui coûter son règne. Mais maintenant, il n'avait plus rien à craindre. Il avait éloigné la menace, tout en sauvegardant son image aux yeux de ses amis et de son peuple.
Mai avait gagné. Elle l'avait pour elle toute seule.
Oh ! La sensation évanouie de ses lèvres sur les siennes !
Pourquoi est-ce que ça fait si mal ?
Ils l'avaient tous trahie, manipulée. Jamais elle ne les en aurait cru capables. Autrefois, elle eût sans doute admiré cette capacité. Quand elle était forte, au temps où elle contrôlait encore ses émotions. Avant que Père ne...
Un grattement à la fenêtre attira son attention, puis un chuchotement.
« Hé ! Azula ! Pssst ! Azula ! Réveille-toi ! »
Azula releva aussitôt la tête et son regard affolé tomba sur le visage de poupée de Ty Lee qui la considérait avec ses grands yeux gris pareils à deux galets mouillés par la pluie. Un grand sourire coupait son visage d'une oreille à l'autre.
Il fallut quelques secondes à Azula pour comprendre ce qu'elle voyait : son ancienne amie se tenait derrière les barreaux, de l'autre côté de la fenêtre ouverte. Derrière elle, se dessinait le halo de la lune. Ty Lee semblait enveloppée d'une aura fantomatique similaire à celles que l'acrobate se vantait sans cesse de pouvoir lire. On eût dit une apparition divine.
« Ty ? Souffla Azula, incrédule, en se redressant maladroitement sur son séant. Qu'est-ce que tu fais ici ? Comment fais-tu ça? »
La tour dans laquelle elle se trouvait culminait à plus de quarante mètres du sol et Azula savait qu'elle se trouvait au tout dernier étage. Il fallait que Ty Lee ait acquis la capacité de flotter dans les airs pour se trouver ici. Azula remarqua que ses mains ne se tenaient pas aux barreaux de la fenêtre. Elle devait donc léviter dans le vide.
Le sourire de Ty Lee s'élargit encore.
« Tu as vu, Azula ? Tu as vu ce que j'ai appris à faire ! Depuis ton départ j'ai découvert que je pouvais faire tout un tas de nouvelles choses ! Tu veux voir ? »
Alors Azula se leva sur ses jambes flageolantes. Elle trébucha une ou deux fois sur le chemin qui la séparait de la fenêtre. Là, elle s'accrocha au barreau et vit avec émerveillement la silhouette vêtue de rose de son amie qui flottait loin au-dessus du sol. Elle la regarda cabrioler et virevolter dans le ciel indigo devant le croissant étincelant de la lune, riant aux éclats.
« Ty Lee ! cria Azula comme son amie se rapprochait pour lui parler. Comment tu fais ça ? Apprends-moi ! Tu peux me faire sortir d'ici ? Emmène-moi avec toi ! »
Le rire de Ty Lee retentit et bien qu'elle se trouvât devant elle, Azula eut l'impression qu'il venait aussi de derrière, et sur les côtés et de l'intérieur de son propre crâne.
Et ce rire faisait mal. Tellement mal !
« Désolée Azula, mais j'ai fait un choix ! Je préfère être l'amie de Mai et de cette paysanne de Kyoshi ! Je voulais simplement te montrer comment je vole, comme je suis libre maintenant ! Tu as vu un peu ? »
Et elle s'éloigna à nouveau, effectua une descente vertigineuse en piqué et remonta à toute vitesse pour coller son visage à la fenêtre où elle adressa à Azula un nouveau sourire ingénu.
« Ty, je t'en prie ! s'écria Azula en se pressant contre les barreaux qu'elle serra si fort entre ses mains que ses jointures blanchirent. Excuse-moi de vous avoir attaquées, toi et ton a-amie. »
Le sourire de Ty Lee s'agrandit encore et elle haussa les épaules d'un air joyeux. Azula se demanda si cela signifiait qu'elle lui pardonnait. Déjà, la silhouette de Ty Lee pâlissait dans la lumière fantomatique de la lune.
« Tu reviendras me voir ?» demanda Azula sur un ton presque suppliant qu'elle ne parvint pas à dissimuler.
Pour toute réponse, il n'y eut que le sourire de Ty Lee qui s'étendit encore, au-delà de ce qui était humainement possible et sa bouche s'ouvrit et s'agrandit tellement qu'elle sembla bientôt dévorer son visage, dévoilant des dents d'une blancheur fantastique. Peu à peu, toute sa peau se rétracta dans son front et il n'y eut plus qu'une gigantesque bouche plantées de crocs aiguisés comme des lames de rasoirs. C'était comme un gant que l'on retrousse et Azula poussa un cri d'horreur quand tout le visage de son amie fut recouvert d'une épaisse muqueuse rougeâtre, laissant apparaître viscères et organes.
« Kojiro te salue, Azula ! »
La voix de Ty Lee avait changé. C'était comme si des dizaines de personnes avaient parlé toutes en même temps. Les cordes vocales mises à nue de la créature vibraient intensément. Le ton était lourd, chargé de menaces. Azula hurla de terreur et recula vivement vers son lit où elle se jeta, la tête enfoncée dans son oreiller, les épaules secouées de tremblements incontrôlables.
Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel…
« Il va venir te chercher. Ils viendront tous te chercher, dirent les voix. Ton père m'a chargée de te dire qu'il voulait te voir dans sa chambre. »
Azula se boucha les oreilles. Son cœur était sur le point d'éclater et l'air se raréfiait autour d'elle.
Compte jusqu'à dix ! Compte jusqu'à dix !
Le silence retomba.
Des minutes, des heures, des jours peut-être s'écoulèrent et le soleil ne se levait pas. La nuit perpétuelle dans laquelle vivait Azula ne cessait de charrier ses monstres et ses chimères. Azula décida de ne plus quitter le refuge de son lit.
Depuis combien de temps était-elle là ? Chaque jour, les visions empiraient, devenaient plus effrayantes, plus réelles. Même à l'asile elle ne se souvenait pas qu'elles l'eussent tant persécutée. C'était peut-être parce qu'elle avait laissé s'effondrer le mur. Maman l'avait mise en garde pourtant.
Azula devait impérativement s'enfuir.
C'était trop dangereux de rester là, avec Zuko qui surveillait chacun de ses mouvements et envoyait ses sbires pour essayer de l'anéantir.
Justement, en parlant de sbire… Quelqu'un se trouvait dans la cellule, face à elle.
Azula cligna plusieurs fois des yeux pour s'assurer qu'elle ne rêvait – n'hallucinait – pas. Elle ne l'avait pas vu entrer, ni entendu la porte s'ouvrir.
D'ailleurs, l'homme qui se tenait debout contre le mur de la cellule semblait avoir ses propres moyens d'entrer. Derrière lui, il y avait un trou béant creusé dans le mur de pierres. Azula avait déjà vu cela, du temps où elle collaborait avec les agents du Dai Li.
Azula n'osait pas bouger. Elle ne reconnut pas immédiatement le jeune homme mais quelque chose d'étrange, comme une bizarrerie dans son regard, frappa son esprit. Elle avait déjà vu ce visage-là quelque part mais elle eût été bien en peine de s'en souvenir.
« Princesse Azula, Votre Majesté, commença l'homme en s'inclinant profondément devant elle.
– Qu-qui êtes-vous ? balbutia-t-elle. Est-ce que v-vous êtes réel ?
– Je suis tout ce qu'il y a de plus réel, Princesse. N'ayez pas peur. Je suis là pour vous aider. Êtes-vous capable de marcher ? »
Azula ne répondit pas, ne bougea pas. Qui était cet homme mystérieux et que lui voulait-il ?
Il resta ici, les pieds fermement plantés dans le sol, les mains croisées dans le dos, un sourire énigmatique dessiné sur son long visage pâle. Ses yeux verts brillaient de malice. Verts, non, bruns ? C'était difficile à dire à la clarté fumeuse de la lune.
« Vous êtes un maître de la terre ? Demanda-t-elle finalement d'une petite voix mal assurée. C'est Zuko qui vous envoie ? Il veut en finir avec moi, c'est ça ? »
Le garçon étouffa un petit rire et se recomposa aussitôt un visage de cire. Il redressa les épaules et se tint bien droit avant de lui adresser la parole :
« Je ne travaille pas pour ce traître à son sang et à sa nation, Princesse. Vous pouvez me croire. Il existe des factions qui vous soutiennent et qui rêvent depuis toujours de vous voir sur le trône, des hommes et des femmes prêts à risquer leur vie pour vous aider à reconquérir la couronne. Je suis l'un de ceux-là. »
Azula le regarda avec de grands yeux étonnés. Elle n'ignorait pas qu'une poignée de fanatiques prônaient depuis quelques années le retour au pouvoir d'Ozai ou, à défaut, de sa fille, depuis qu'il était notoire que le Roi Phénix avait tragiquement perdu sa maîtrise. Mais elle pensait ces groupes marginaux et n'aurait jamais imaginé qu'ils pussent être suffisamment préparés pour organiser son évasion de l'une des prisons les mieux gardées de la Nation du Feu. Ni qu'ils aient pu avoir recours à des maîtres de la Terre pour les aider.
« Venez avec moi Princesse, je peux vous faire sortir de là et vous mettre en sécurité. »
Azula hésita. C'était sans doute un piège.
Mais l'homme avait l'air réel. Et surtout, derrière elle, sur le lit, une silhouette s'était redressée,entièrement recouverte du drap blanc sous lequel elle dormait.
Un grognement appréciateur résonna dans les oreilles d'Azula tandis qu'une main aux doigts calleux se frayait un chemin entre ses cuisses. Azula poussa un petit gémissement étranglé.
« Venez, Princesse. Nous pourrons vous soigner. Nous avons le médicament qu'il vous faut ! », l'invitait l'homme face à elle en lui tendant la main d'un air confiant.
La main d'Ozai tirait maintenant lentement sur le nœud qui retenait son pantalon sur ses hanches.
« Vous-vous pouvez les f-faire disparaître ? » demanda-t-elle dans un murmure désespéré.
Père ne devait pas l'entendre.
L'homme fit un pas en avant et baissa les yeux vers elle, son étrange regard débordant d'une immense sollicitude.
« Bien sûr, Princesse. Vous n'avez pas à souffrir comme cela. C'est votre frère, l'imposteur, et son épouse, Dame Mai, qui ont orchestré votre rechute, aidés de cette... femme de la Tribu de l'Eau. »
Il prononça le mot « femme » avec un certain dédain, comme s'il pensait que ce terme était trop noble pour qualifier quelqu'un comme Taïma. Azula n'était pas sûre d'apprécier l'allusion mais elle ne dit rien.
« Nous avons le traitement qu'il vous faut. Il vous libérera de vos hallucinations et de toute vos souffrances. Venez avec moi, Princesse. »
La main se glissa dans son pantalon.
Azula se leva d'un bond, abandonnant derrière elle le spectre de son père et à pas pressés, elle rejoignit l'étrange garçon dont le sourire s'élargit. Elle risqua un regard en arrière. La silhouette s'était évanouie dans les ténèbres : le drap reposait négligemment sur la paillasse. Il n'y avait jamais eu personne là-dessous.
Azula reporta son attention sur le jeune homme. Il était plus âgé qu'elle d'une dizaine d'années peut-être. De près, elle comprit ce qui l'avait interpellée. Ses yeux n'étaient ni verts, ni bruns. Ils étaient des deux couleurs à la fois. Son œil gauche avait la teinte de la terre fraîchement retournée et le droit brillait du même éclat que les cristaux de roches cachés dans les catacombes de Ba Sing Se.
Azula jeta un coup d'œil vers le recoin sombre où était tapi Zuko. La moitié de son visage était dissimulée dans l'ombre. Il se tenait là, toujours silencieux. Un éclair de fureur passa dans ses iris dorés et Azula frissonna.
Si elle restait là, Zuko resterait aussi, indéfiniment, pour la scruter, la surveiller, se moquer d'elle, témoin de sa chute, de son agonie.
Père reviendrait, nuit après nuit. Il ne serait jamais repu d'elle.
Elle ne pouvait le supporter. Son corps et son esprit ne lui appartenaient plus. Peu importe qui était cet homme. Aucun maître de la terre, même le plus brillant, n'arrivait à sa cheville. Il serait toujours temps de l'éliminer s'il devenait menaçant.
Azula tendit la main à son mystérieux sauveur qui s'en saisit. Elle sentit la chaleur de sa peau autour de son poignet et c'était très différent de la vague sensation de tiédeur qu'elle éprouvait d'habitude quand les hallucinations la touchaient. Elle en aurait presque pleuré de gratitude.
« Tu es réel. » chuchota-t-elle en le regardant dans les yeux.
Sans répondre au sourire rusé qu'il lui adressait, elle se laissa entraîner à travers l'ouverture creusée dans le mur en pierres et ils disparurent tous les deux, sans un regard vers la cellule triste et froide.
